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15/10/1999 | CANADA | N°[1999]_3_R.C.S._597

Canada | R. c. W. (G.), [1999] 3 R.C.S. 597 (15 octobre 1999)


R. c. W. (G.), [1999] 3 R.C.S. 597

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

G.W. Intimé

Répertorié: R. c. W. (G.)

No du greffe: 26705.

Audition et jugement: 16 juin 1999.

Motifs déposés: 15 octobre 1999.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.

en appel de la cour d’appel de terre-neuve

Droit criminel -- Appels -- Cour d’appel -- Compétence -- Détermination de la peine -- Une cour d’appel possède-t-elle une compétence inhérente lui permettan

t de modifier la peine infligée en l’absence d’un appel interjeté contre la sentence? -- Une cour d’appel peut-elle apaiser ses in...

R. c. W. (G.), [1999] 3 R.C.S. 597

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

G.W. Intimé

Répertorié: R. c. W. (G.)

No du greffe: 26705.

Audition et jugement: 16 juin 1999.

Motifs déposés: 15 octobre 1999.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.

en appel de la cour d’appel de terre-neuve

Droit criminel -- Appels -- Cour d’appel -- Compétence -- Détermination de la peine -- Une cour d’appel possède-t-elle une compétence inhérente lui permettant de modifier la peine infligée en l’absence d’un appel interjeté contre la sentence? -- Une cour d’appel peut-elle apaiser ses inquiétudes à l’égard d’une peine qu’elle juge inadéquate en invitant l’avocat à demander l’autorisation d’en appeler?

Le jury a déclaré l’accusé coupable relativement à un chef de voies de fait, à deux chefs de voies de fait et d’agression sexuelle contre sa conjointe de fait et à un chef d’entrave à la justice. Il a été condamné à quatre ans d’emprisonnement. Il a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité, mais non de la peine qui lui a été infligée. La Cour d’appel a rejeté l’appel formé contre la déclaration de culpabilité. Toutefois, en raison du malaise qu’elle a ressenti devant la période d’emprisonnement, la Cour d’appel a décidé d’exercer ce qu’elle a tenu pour une compétence inhérente afin de réviser la sentence de son propre chef, même en l’absence d’un appel interjeté contre celle-ci. Elle a ordonné aux avocats de revenir devant elle pour présenter des observations sur la sentence. Le ministère public se pourvoit contre l’ordonnance rendue par la Cour d’appel au sujet de la sentence.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Le juge en chef Lamer et les juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie: Les cours d’appel ne possèdent aucune compétence inhérente leur permettant d’examiner la peine infligée à l’accusé reconnu coupable, en l’absence d’appel formé contre la sentence. Une cour régie uniquement par des dispositions législatives ne possède aucun pouvoir de la sorte. Un examen des décisions sur lesquelles la Cour d’appel s’est appuyée pour faire valoir la compétence inhérente lui permettant de connaître de la sentence révèle, premièrement, que certaines de ces décisions n’appuient pas nécessairement une telle affirmation et, deuxièmement, que toutes celles qui l’appuient sont censées suivre une seule décision britannique qui n’étaye pas, en réalité, l’existence de cette compétence.

Bien que la loi ne confère pas explicitement aux cours d’appel le droit d’inviter les parties à interjeter appel de la sentence, il reste que les cours d’appel ont bel et bien le droit de poser des questions aux parties pendant l’argumentation orale. Cependant, la compétence d’une cour d’appel dans ce domaine est sérieusement limitée et ne doit être exercée que très exceptionnellement. Tant que la question n’est pas soulevée d’une manière qui donne à penser que la cour d’appel n’est pas impartiale, une telle question est fondée. Il ressort des motifs de la Cour d’appel, dans lesquels elle parle du «malaise» et de la «gêne» ressentis devant la peine infligée, qu’il n’a pas été satisfait au critère préliminaire applicable pour porter la question de l’appel de la sentence à l’attention des avocats. Les tribunaux doivent s’abstenir de soulever cette question à moins que, après avoir examiné l’appel de la déclaration de culpabilité, des indications préliminaires donnent à penser que la peine infligée est «nettement déraisonnable» ou «manifestement pas indiquée», c’est‑à‑dire en dehors des limites acceptables. L’examen auquel s’est livrée la Cour d’appel correspond à une révision de facto de la sentence, ce qui était inapproprié. Son raisonnement suscite une crainte raisonnable de partialité en faveur de l’accusé.

Les juges L’Heureux-Dubé et Gonthier: Une cour d’appel n’a pas compétence pour réviser une peine infligée proprio motu. N’étant pas compétente pour entendre un appel de la sentence, la Cour d’appel a clairement commis une erreur en commentant la justesse de la peine infligée. Ces commentaires suscitent une crainte raisonnable de partialité, et ce d’autant plus qu’ils peuvent être perçus comme reflétant des mythes et des stéréotypes au sujet des plaignants dans les affaires d’agression sexuelle.

Jurisprudence

Citée par le juge en chef Lamer

Arrêts critiqués: R. c. MacKay (1934), 62 C.C.C. 188; R. c. Musgrave (1926), 46 C.C.C. 45; distinction d’avec les arrêts: R. c. Towers (1929), 21 Cr. App. R. 74; R. c. Henry (1927), 20 Cr. App. R. 117; R. c. Moscovitch (1924), 18 Cr. App. R. 37; R. c. Hervey (1939), 27 Cr. App. R. 146; arrêts mentionnés: R. c. Thomas, [1998] 3 R.C.S. 535; Kourtessis c. M.R.N., [1993] 2 R.C.S. 53; R. c. Ferencsik, [1970] 4 C.C.C. 166; R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500; R. c. Shropshire, [1995] 4 R.C.S. 227.

Citée par le juge L’Heureux-Dubé

Arrêts mentionnés: R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577; R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595; R. c. Esau, [1997] 2 R.C.S. 777; R. c. Ewanchuk, [1999] 1 R.C.S. 330.

Lois et règlements cités

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 675(1), 678, 687.

Doctrine citée

Andrias, Richard T. «Rape Myths: A persistent problem in defining and prosecuting rape» (1992), 7:2 Criminal Justice 2.

Archard, David. Sexual Consent. Oxford: Westview Press, 1998.

Burt, Martha R. «Rape Myths and Acquaintance Rape». In Andrea Parrot and Laurie Bechhofer, eds., Acquaintance Rape: The Hidden Crime. New York: John Wiley, 1991, 26.

Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur l’égalité des sexes dans le système de justice au Canada. L’égalité des sexes dans le système de justice au Canada: Document récapitulatif et propositions de mesures à prendre. Ottawa, 1992.

Mack, Kathy. «“You should scrutinise her evidence with great care”: Corroboration of women’s testimony about sexual assault». In Patricia Easteal, ed., Balancing the Scales: Rape, Law Reform and Australian Culture. Sydney: Federation Press, 1998, 59.

Mohr, Renate M. «Sexual Assault Sentencing: Leaving Justice to Individual Conscience». In Julian V. Roberts and Renate M. Mohr, eds., Confronting Sexual Assault: A Decade of Legal and Social Change. Toronto: University of Toronto Press, 1994, 157.

Ruby, Clayton C. Sentencing, 4th ed. Toronto: Butterworths, 1994.

Sheehy, Elizabeth A. «Canadian Judges and the Law of Rape: Should the Charter Insulate Bias?» (1989), 21 R.D. Ottawa 741.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de Terre-Neuve (1998), 163 Nfld. & P.E.I.R. 132, 503 A.P.R. 132, 18 C.R. (5th) 379, [1998] N.J. No. 130 (QL), concernant une question relative à sa compétence. Pourvoi accueilli.

Wayne Gorman, pour l’appelante.

R. Michael Newton, pour l’intimé.

Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges Gonthier, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie rendu par

II Le Juge en chef —

I. Introduction

1 La principale question à résoudre dans le présent pourvoi est de savoir si les cours d’appel possèdent une compétence inhérente leur permettant d’examiner la peine infligée à l’accusé reconnu coupable, en l’absence d’appel formé contre la sentence. Un jury a déclaré l’intimé coupable relativement à deux chefs de voies de fait et d’agression sexuelle contre sa conjointe de fait (infractions dont la commission s’est prolongée dans le temps), à un chef de voies de fait (commises le 3 janvier 1993) et à un chef d’entrave à la justice. Le juge du procès a condamné l’intimé à quatre ans d’emprisonnement. L’intimé a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité, mais non de la peine qui lui a été infligée. Le ministère public a annoncé son intention d’en appeler de la sentence, mais il a décidé de ne pas donner suite à l’affaire après l’audition de l’appel de la déclaration de culpabilité. La Cour d’appel a rejeté l’appel de la déclaration de culpabilité mais a ordonné aux avocats de revenir devant elle présenter des observations sur la sentence. La cour a décidé qu’elle possédait une compétence inhérente qui lui permettait d’examiner la sentence proprio motu, même en l’absence d’un appel formé contre celle-ci. Le ministère public a interjeté appel de la décision de la Cour d’appel devant notre Cour et, dans l’intervalle, l’ordonnance de la Cour d’appel a été suspendue. Le 25 juin 1999, la Cour d’appel (dans une instance distincte) a accordé à l’intimé une prorogation du délai fixé pour déposer l’avis de demande d’autorisation d’appel de la sentence.

2 Notre Cour a accueilli le pourvoi du ministère public à l’audience. L’ordonnance de la Cour d’appel portant que les parties doivent revenir devant elle pour présenter des observations sur la sentence a été annulée. Les motifs qui suivent expliquent brièvement notre décision.

II. Le contexte

3 L’acte d’accusation comporte quatre chefs. Les deuxième et troisième chefs, de nature générale, allèguent que la plaignante a fait l’objet d’une violence à la fois physique et sexuelle pendant une période de presque six ans. Le premier chef renvoie à des voies de fait précises, commises le 3 janvier 1993, au cours desquelles la plaignante a subi une fracture du bras. Le quatrième chef concerne l’entrave à la justice résultant des menaces de mort proférées contre la plaignante pour l’empêcher de donner suite à ses allégations de violence. Un jury a déclaré l’intimé coupable relativement à tous ces chefs. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement d’une durée totale de quatre années après que des peines consécutives furent infligées pour chaque déclaration de culpabilité.

4 L’accusé a interjeté appel de la déclaration de culpabilité mais n’a pas demandé l’autorisation d’en appeler de la sentence. La Cour d’appel a rejeté son appel de la déclaration de culpabilité: (1998), 163 Nfld. & P.E.I.R. 132. Toutefois, dans ses motifs rédigés par le juge Marshall, la cour dit, à la p. 147, ressentir [traduction] «un malaise suffisant devant la période d’emprisonnement» pour invoquer sa prétendue [traduction] «compétence inhérente» et réviser la sentence de son propre chef. Elle a ordonné aux avocats de revenir devant elle dans une semaine pour présenter des observations sur la sentence.

III. Les dispositions législatives pertinentes

5 Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46

675. (1) Une personne déclarée coupable par un tribunal de première instance dans des procédures sur acte d’accusation peut interjeter appel, devant la cour d’appel:

a) de sa déclaration de culpabilité:

(i) soit pour tout motif d’appel comportant une simple question de droit,

(ii) soit pour tout motif d’appel comportant une question de fait, ou une question de droit et de fait, avec l’autorisation de la cour d’appel ou de l’un de ses juges ou sur certificat du juge de première instance attestant que la cause est susceptible d’appel,

(iii) soit pour tout motif d’appel non mentionné au sous‑alinéa (i) ou (ii) et jugé suffisant par la cour d’appel, avec l’autorisation de celle‑ci;

b) de la sentence rendue par le tribunal de première instance, avec l’autorisation de la cour d’appel ou de l’un de ses juges, à moins que cette sentence ne soit de celles que fixe la loi.

. . .

678. (1) Un appelant qui se propose d’introduire un recours devant la cour d’appel ou d’obtenir de ce tribunal l’autorisation d’interjeter appel, donne avis d’appel ou avis de sa demande d’autorisation d’appel, de la manière et dans le délai que les règles de cour peuvent prescrire.

(2) La cour d’appel ou l’un de ses juges peut proroger le délai de l’avis d’appel ou de l’avis d’une demande d’autorisation d’appel.

. . .

687. (1) S’il est interjeté appel d’une sentence, la cour d’appel considère, à moins que la sentence n’en soit une que détermine la loi, la justesse de la sentence dont appel est interjeté et peut, d’après la preuve, le cas échéant, qu’elle croit utile d’exiger ou de recevoir:

a) soit modifier la sentence dans les limites prescrites par la loi pour l’infraction dont l’accusé a été déclaré coupable;

b) soit rejeter l’appel.

(2) Un jugement d’une cour d’appel modifiant la sentence d’un accusé qui a été déclaré coupable a la même vigueur et le même effet que s’il était une sentence prononcée par le tribunal de première instance.

IV. La décision de la Cour d’appel

6 La cour d’appel a rejeté l’appel de la déclaration de culpabilité. Toutefois, compte tenu du «malaise» ressenti devant la durée de la peine d’emprisonnement infligée, la cour a choisi d’exercer ce qu’elle considérait être une compétence inhérente pour réviser la sentence même en l’absence d’appel interjeté contre celle‑ci. Elle a conclu qu’elle avait compétence en se fondant entièrement sur son interprétation de l’ouvrage intitulé Sentencing (4e éd. 1994), dans lequel C. Ruby s’appuie, à la p. 455, sur cinq précédents jurisprudentiels pour affirmer l’existence de cette compétence inhérente des cours d’appel. La cour a exprimé son inquiétude au sujet des éléments de preuve présentés en l’espèce, en particulier ceux qui ont été soumis par la plaignante. La cour s’est interrogée sur les motifs pour lesquels la plaignante avait déposé les accusations, avançant que c’était peut‑être la nouvelle relation de l’accusé avec une autre femme qui l’avait poussée à agir. [traduction] L’«effet indirect» de motifs inspirés par la vengeance devait être pris en considération. En outre, de l’avis de la cour, une lecture attentive du dossier révélait plusieurs indices d’exagération de la part de la plaignante quant à l’étendue et à la nature de la violence et des préjudices subis. Enfin, la cour a conclu que son [traduction] «profond malaise» devant la durée de la peine d’emprisonnement pouvait être également lié au fait qu’il n’y avait pas lieu de rechercher un effet dissuasif spécifique. La Cour d’appel a fait remarquer que l’accusé et la plaignante n’étaient plus unis par des liens intimes. En conséquence, la cour a supposé que le besoin d’effet dissuasif spécifique était négligeable, voire inexistant. La cour a ordonné aux parties de revenir devant elle dans une semaine pour présenter des observations sur la sentence.

V. L’analyse

7 Au premier abord, notre Cour pourrait trancher rapidement le présent pourvoi en statuant sur la question principale de savoir si les cours d’appel possèdent une compétence inhérente pour connaître des questions relatives à la détermination de la peine en l’absence d’appel formé contre la sentence. De toute évidence, la réponse est «non». Une cour régie uniquement par des dispositions législatives ne possède aucun pouvoir de la sorte. Toutefois, au deuxième coup d’œil, la présente affaire comporte une question incidente plus compliquée. Si la cour d’appel ne peut aborder la question de la peine en l’absence d’appel interjeté à cet égard, peut‑elle apaiser ses inquiétudes devant une peine qu’elle juge inadéquate en invitant l’avocat à demander l’autorisation d’en appeler? L’intimé prétend que les cours d’appel ont le pouvoir d’inviter les parties à présenter des observations sur des questions déterminées. Je commenterai ces deux questions tour à tour. Enfin, compte tenu du fait que la demande de l’intimé visant à obtenir une prorogation du délai pour demander l’autorisation d’en appeler de la sentence a été accueillie, je ferai part de mes préoccupations au sujet de l’arrêt que la Cour d’appel a rendu dans la présente affaire, lesquelles m’amènent à dire qu’il y a lieu de tenir toute audience ultérieure devant une formation différente. À mon avis, le raisonnement de la Cour d’appel suscite une crainte raisonnable de partialité en faveur de l’intimé.

A. Les pouvoirs des cours d’appel

8 Il est clair que les cours d’appel ne possèdent aucune compétence inhérente. Cette règle a été affirmée explicitement dans de nombreuses décisions et devrait être bien comprise. Très récemment, dans l’arrêt R. c. Thomas, [1998] 3 R.C.S. 535, j’ai réitéré le principe établi que les cours d’appel n’existent qu’en vertu de la loi. Le juge La Forest avait précédemment mis ce principe en relief dans l’arrêt Kourtessis c. M.R.N., [1993] 2 R.C.S. 53, aux pp. 69 et 70:

Les appels ne sont qu’une création de la loi écrite; voir l’arrêt R. c. Meltzer, [1989] 1 R.C.S. 1764, à la p. 1773. Une cour d’appel ne possède pas de compétence inhérente. De nos jours toutefois, on a parfois tendance à oublier ce principe fondamental. Les appels devant les cours d’appel et la Cour suprême du Canada sont devenus si courants que l’on s’attend généralement à ce qu’il existe un moyen quelconque d’en appeler de la décision d’un tribunal de première instance. Toutefois, il demeure qu’il n’existe pas de droit d’appel sur une question sauf si le législateur compétent l’a prévu.

La jurisprudence de notre Cour a donc établi de façon définitive que les cours d’appel ne peuvent prétendre posséder une quelconque compétence inhérente.

9 En l’espèce, la Cour d’appel fonde sa prétention à une compétence inhérente à l’égard de la détermination de la peine sur l’ouvrage de Ruby intitulé Sentencing, op. cit. Monsieur Ruby fait référence à cinq décisions qui, à son avis, établissent l’existence de la compétence inhérente des cours d’appel en matière de détermination de la peine. Un examen de ces décisions révèle, premièrement, que certaines de ces décisions n’appuient pas nécessairement l’affirmation de M. Ruby et, deuxièmement, que toutes celles qui l’appuient sont censées suivre une seule décision britannique qui n’étaye pas, en réalité, l’existence de cette compétence.

10 Dans deux des décisions citées par M. Ruby, l’accusé a, en fait, interjeté appel de la sentence. Dans R. c. Henry (1927), 20 Cr. App. R. 117, l’accusé en a appelé expressément de sa peine, qui comprenait une période [traduction] «[d’]incarcération à des fins préventives», après avoir été déclaré coupable et reconnu [traduction] «repris de justice». La cour a estimé que l’accusé avait un très mauvais dossier, mais qu’il avait fait preuve d’initiative en se trouvant du travail et, en conséquence, la période d’incarcération à des fins préventives a été retranchée. À mon avis, cette décision permet tout au plus de soutenir que lorsqu’un accusé en appelle de la peine qui lui a été infligée, le tribunal peut réduire celle‑ci de son propre chef sans renvoyer l’affaire au juge chargé de déterminer la peine. Bien que le sommaire porte: [traduction] «la Cour peut réduire la sentence principale proprio motu», la décision n’étaye pas l’idée que la cour peut réduire une peine en l’absence d’appel formé contre la sentence.

11 Dans R. c. Towers (1929), 21 Cr. App. R. 74, l’accusé a demandé l’autorisation d’interjeter appel de sa déclaration de culpabilité. À l’audience, il a également demandé à la cour de l’autoriser à interjeter appel de la sentence. Le ministère public ne s’est pas opposé à ce que la demande soit élargie pour inclure la sentence. La cour a noté qu’il était [traduction] «incompréhensible» que l’accusé n’ait pas demandé l’autorisation d’en appeler de la sentence. L’avocat du ministère public [traduction] «a admis ce point» (p. 75). La cour a également décidé que, puisque l’avocat du ministère public était présent dans la salle d’audience, elle traiterait de la question immédiatement. La peine d’emprisonnement infligée à l’accusé a été remplacée par une amende. La peine devait être réduite parce que le juge du procès avait considéré à tort qu’il n’avait pas le pouvoir d’infliger une amende. Comme il était [traduction] «parfaitement évident» qu’il avait effectivement ce pouvoir, la Cour d’appel a infligé une amende. Je noterais toutefois que l’accusé dans Towers a expressément demandé l’autorisation d’en appeler de la sentence, ce qui n’a donné lieu à aucune objection de la part du ministère public. Il y a lieu d’établir une distinction entre cette affaire et la présente espèce.

12 Je passe maintenant à l’examen des autres décisions sur lesquelles s’est fondée la cour de juridiction inférieure. Dans R. c. MacKay (1934), 62 C.C.C. 188, la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse a affirmé qu’elle pouvait réduire la peine infligée proprio motu en s’appuyant sur R. c. Musgrave (1926), 46 C.C.C. 45 (C.S.N.‑É.), pour exercer ce pouvoir. Dans Musgrave, il a été décidé qu’une cour de justice pouvait réduire la peine infligée proprio motu en l’absence d’appel formé contre la sentence. La Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse dans Musgrave s’est appuyée sur une cause anglaise, R. c. Moscovitch (1924), 18 Cr. App. R. 37, pour étayer cette proposition. Dans Moscovitch, l’accusé a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité, mais son avocat a été expressément invité à demander l’autorisation d’interjeter appel de la sentence. Après avoir pris en considération les circonstances, la cour dans Moscovitch a réduit la peine infligée.

13 L’appelante souligne à juste titre que, dans Moscovitch, la cour a expressément invité l’accusé à interjeter appel de la sentence. En conséquence, c’est à tort que cette décision a été invoquée dans l’arrêt Musgrave, précité, comme précédent jurisprudentiel établissant qu’une cour d’appel a le pouvoir de réduire la peine infligée de son propre chef. C’est donc à tort que l’arrêt Musgrave a été invoqué dans l’arrêt MacKay.

14 Dans l’arrêt R. c. Hervey (1939), 27 Cr. App. R. 146, aux pp. 148 et 149, la cour a noté que le défendeur avait interjeté appel de sa déclaration de culpabilité uniquement, mais elle a statué: [traduction] «la cour a le pouvoir de considérer que son avis d’appel vise également la sentence». L’accusé a été déclaré coupable relativement à quatre chefs ayant trait au vol qualifié, à l’effraction dans une maison d’habitation et au complot en vue de commettre un vol. La cour a annulé la déclaration de culpabilité relativement à deux chefs et elle a affirmé: [traduction] «[m]algré l’omission dans l’avis d’appel, la cour est d’avis que, compte tenu de la révision partielle de la déclaration de culpabilité, il convient de réduire sa peine à dix‑huit mois d’emprisonnement» (je souligne). Une distinction peut être établie entre l’arrêt Hervey et la présente affaire à deux égards: premièrement, la cour ayant annulé dans Hervey la déclaration de culpabilité relativement à deux chefs d’accusation, il s’ensuivait que la peine devait être réduite en conséquence; deuxièmement, même si la cour dans Hervey pensait qu’elle pouvait étendre la portée de l’appel formé contre une déclaration de culpabilité de façon qu’il vise la sentence, le Code criminel canadien actuel prévoit des options précises dont l’accusé doit se prévaloir pour interjeter appel d’une déclaration de culpabilité ou d’une sentence, ou des deux. En particulier, l’al. 675(1)b) dispose:

675. (1) Une personne déclarée coupable par un tribunal de première instance dans des procédures sur acte d’accusation peut interjeter appel, devant la cour d’appel:

. . .

b) de la sentence rendue par le tribunal de première instance, avec l’autorisation de la cour d’appel ou de l’un de ses juges, à moins que cette sentence ne soit de celles que fixe la loi. [Je souligne.]

L’accusé a donc besoin de l’autorisation de la cour pour interjeter appel de la sentence. Il ne conviendrait pas qu’une cour d’appel considère que l’avis d’appel d’une déclaration de culpabilité comprend un avis d’appel de la sentence. Ce point a été établi dans l’arrêt R. c. Ferencsik, [1970] 4 C.C.C. 166 (C.A. Ont.), où le juge Aylesworth a expressément décidé que le libellé sans équivoque des dispositions relatives à l’appel du Code criminel, [traduction] «fait ressortir la distinction entre, d’une part, les appels formés contre la déclaration de culpabilité ou le rejet de l’accusation et, d’autre part, les appels interjetés contre la peine» (p. 167).

15 Il est donc évident que les cours d’appel n’ont aucune compétence inhérente pour connaître des appels interjetés contre la sentence. La jurisprudence de notre Cour confirme que les tribunaux d’appel sont définis par la loi. Cette conclusion à elle seule suffit pour trancher la question restreinte en l’espèce en ce que la Cour d’appel de Terre‑Neuve a commis une erreur en concluant qu’elle avait le pouvoir inhérent d’examiner la sentence en l’absence d’appel formé contre celle‑ci. Toutefois, comme je l’ai dit, cette affaire soulève également la question distincte de savoir si une cour d’appel a le pouvoir d’inviter une partie à interjeter appel de la sentence dans l’intérêt de la justice. Comme je vais l’expliquer, à mon avis, la compétence d’une cour d’appel dans ce domaine est sérieusement limitée et ne doit être exercée que très exceptionnellement.

B. Le rôle de la cour

16 Il est vrai que la Cour d’appel de Terre‑Neuve n’a pas «officiellement» réexaminé la peine infligée à l’intimé en l’absence d’appel formé contre la sentence. Elle a plutôt ordonné aux parties de revenir devant elle une semaine plus tard pour fixer une date pour l’audition des observations sur la sentence. L’intimé est demeuré en liberté conformément à une ordonnance de mise en liberté provisoire. À l’audience devant notre Cour, l’intimé a concédé que la cour n’avait pas la compétence inhérente qu’elle prétendait exercer pour connaître de la sentence, mais il a soutenu qu’elle avait le pouvoir de l’«inviter» à présenter une demande de prorogation du délai pour déposer l’avis de demande d’autorisation d’appel de la sentence. Ce pouvoir d’«invitation» est également mentionné dans une décision invoquée dans l’un des arrêts mentionnés précédemment, soit l’arrêt Moscovitch, précité. Je fais remarquer qu’un tel pouvoir n’a aucun fondement légal.

17 Bien que la loi ne confère pas explicitement aux cours d’appel le droit d’inviter les parties à interjeter appel de la sentence, il reste que les cours d’appel ont bel et bien le droit de poser des questions aux parties pendant la présentation de l’argumentation orale. Tant que la question n’est pas soulevée d’une manière qui donne à penser que la cour d’appel n’est pas impartiale, une telle question est légitime. Il importe de souligner que ce droit ne peut être exercé que pendant l’argumentation orale des parties. Il ne saurait être exercé ex parte dans les motifs du jugement ni dans un autre cadre. J’ajoute incidemment qu’il n’est pas inapproprié toutefois pour la cour d’appel de mentionner simplement dans ses motifs qu’aucune des parties n’a interjeté appel de la sentence devant elle. Il se peut que la cour d’appel veuille ainsi indiquer, par exemple, pourquoi la déclaration de culpabilité a été réexaminée alors que la sentence ne l’a pas été.

18 Cette méthode respecte les décisions stratégiques prises par les avocats et est rigoureusement conforme à la procédure prévue par le Code criminel pour les appels formés contre la sentence. Elle permet également de dissiper les craintes de partialité puisque les juges d’appel sont censés poser des questions pointues pendant l’argumentation orale. Par contraste, l’approche de la Cour d’appel de Terre‑Neuve, soit l’invitation à interjeter appel, risque de susciter une crainte de partialité en particulier si, comme en l’espèce, la cour d’appel exprime dans ses motifs la «gêne» ou le «malaise» ressentis devant la peine infligée. À mon avis, cette méthode pourrait fournir des motifs pour attaquer l’impartialité de la Cour lorsqu’elle entend par la suite les observations sur la sentence. Surtout si aucun appel n’est interjeté contre la sentence, l’expression d’une telle opinion va également à l’encontre du principe bien établi selon lequel il faut faire preuve d’une très grande retenue à l’égard des juges chargés d’infliger la peine vu la nature délicate du processus de détermination de la peine. Dans l’arrêt R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, au par. 91, j’ai donné des détails sur la retenue qui est due aux juges qui infligent la peine:

Cette norme de contrôle, qui appelle à la retenue, a de profondes justifications fonctionnelles. Comme l’a expliqué le juge Iacobucci, au par. 46 de l’arrêt Shropshire, [[1995] 4 R.C.S. 227], lorsque le juge qui inflige la peine a eu l’avantage de présider le procès du délinquant, il a alors profité de l’avantage comparatif d’avoir vu et entendu les témoins du crime. [. . .] Le juge qui inflige la peine jouit d’un autre avantage par rapport au juge d’appel en ce qu’il peut apprécier directement les observations présentées par le ministère public et le contrevenant relativement à la détermination de la peine. Du fait qu’il sert en première ligne de notre système de justice pénale, il possède également une qualification unique sur le plan de l’expérience et de l’appréciation. Fait peut‑être le plus important, le juge qui impose la peine exerce normalement sa charge dans la communauté qui a subi les conséquences du crime du délinquant ou à proximité de celle‑ci. De ce fait, il sera à même de bien évaluer la combinaison particulière d’objectifs de détermination de la peine qui sera «juste et appropriée» pour assurer la protection de cette communauté. La détermination d’une peine juste et appropriée est un art délicat, où l’on tente de doser soigneusement les divers objectifs sociétaux de la détermination de la peine, eu égard à la culpabilité morale du délinquant et aux circonstances de l’infraction, tout en ne perdant jamais de vue les besoins de la communauté et les conditions qui y règnent. Il ne faut pas intervenir à la légère dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge chargé de la détermination de la peine. [Je souligne.]

Exceptionnellement, les cours d’appel peuvent se sentir obligées de demander aux parties pourquoi elles n’ont pas interjeté appel de la sentence. À l’évidence, cela serait le plus approprié dans les cas où l’accusé n’est pas représenté en appel car l’on craint moins alors de s’immiscer dans les choix stratégiques d’une partie en formulant les questions. De même, le risque de susciter une crainte de partialité est réduit lorsque l’accusé n’est pas représenté par avocat puisque historiquement, les tribunaux ont pris à tâche de s’assurer que toutes les options possibles avaient été envisagées par un tel accusé.

19 Je souligne également que dans R. c. Shropshire, [1995] 4 R.C.S. 227, et M. (C.A.), notre Cour a décidé qu’une cour d’appel peut modifier la sentence (après que l’autorisation d’appel a été accordée) seulement si la peine infligée est «nettement déraisonnable» ou «manifestement pas indiquée», ces deux normes voulant dire la même chose selon moi. Dans l’arrêt Shropshire, la Cour a conclu, au par. 50, que dans le contexte de la détermination de la peine, une sentence sera considérée déraisonnable si elle tombe en dehors des «limites acceptables» dans des circonstances analogues. Dans un système contradictoire, il semble logique de supposer que si aucun appel n’est formé contre la peine infligée, c’est que les parties n’y ont rien trouvé de «nettement» déraisonnable. Je fais donc une mise en garde: les cours d’appel doivent faire preuve de circonspection avant de soulever la question de l’appel de la sentence, à moins que la peine soit si nettement déraisonnable ou manifestement pas indiquée qu’elle laisse supposer un oubli possible de l’avocat ou de l’accusé non représenté par un avocat.

20 Je me rends compte que cela peut, à première vue, sembler contradictoire. D’un côté, il est demandé aux cours d’appels de ne pas réviser la sentence proprio motu, mais de l’autre, elles peuvent vérifier si l’absence d’appel n’est pas un oubli si elles estiment, après une révision initiale, que la peine est «nettement déraisonnable». Pour résoudre cette énigme, j’insiste sur le fait qu’une évaluation préliminaire du caractère approprié de la peine peut être effectuée assez facilement dans le cadre de l’appel d’une déclaration de culpabilité. À mon avis, une cour statuant en appel sur la déclaration de culpabilité pourrait estimer, de façon préliminaire, que la peine semble nettement déraisonnable ou manifestement pas indiquée. Dans pareils cas, le recours que constitue l’appel de la sentence pourrait être porté à l’attention de l’avocat ou suggéré à l’accusé qui assure lui‑même sa défense lorsqu’ils présentent leur argumentation orale. Une révision complète de la sentence serait incorrecte en l’absence d’un appel.

21 À cet effet, j’estime que la Cour d’appel a commis une erreur en affirmant en l’espèce qu’elle éprouvait un «malaise» et une «gêne» devant la période d’incarcération infligée à l’intimé, et ce, pour deux raisons: premièrement, la cour ne s’est pas contentée de porter la question de l’appel de la sentence à l’attention de l’avocat (elle a en fait ordonné aux parties de revenir devant elle pour présenter des observations); deuxièmement, les termes employés n’indiquent pas que le critère préliminaire applicable pour soulever la question de l’appel a été respecté. La possibilité d’un simple désaccord quant à la peine prononcée ne justifie pas l’intervention unilatérale d’une cour d’appel. Il faut reconnaître que la Cour d’appel n’entendait pas entreprendre une révision complète de la sentence. Elle n’a certainement pas rendu une ordonnance relative à la sentence en remplaçant le point de vue du juge qui a infligé la peine par le sien. Toutefois, en réalité, les remarques supplémentaires faites par la Cour d’appel donnent à penser qu’elle s’est lancée dans une révision de facto de la sentence.

22 La Cour d’appel a clairement dit qu’elle estimait que la peine infligée par le juge chargé de déterminer la peine était trop sévère. En fait, la Cour d’appel a conclu, à la p. 150, que la transcription de la preuve justifiait son malaise et sa gêne devant la peine de quatre ans d’emprisonnement qui a été prononcée et ce, pour trois raisons:

[traduction] Ils portent principalement sur la nature de la relation dysfonctionnelle, sur la sévérité apparente de la peine comparativement aux doutes soulevés quant à l’étendue de la violence et des blessures effectivement subies, et sur l’absence de la nécessité apparente d’une peine qui dissuade expressément G.W. de récidiver.

23 Malgré ces remarques, en ordonnant aux parties de revenir devant elle pour présenter des observations sur la sentence, la Cour d’appel a tenté de faire comprendre qu’elle resterait impartiale et examinerait les arguments avancés par le ministère public pour justifier la peine infligée. Toutefois, je pense qu’un observateur objectif aurait du mal à croire que cette formation de la cour confirmerait la peine infligée, quels que soient les efforts déployés par le ministère public à cet égard. Le fait que la cour indique clairement son désaccord suscite une crainte de partialité de sa part.

VI. Conclusion et dispositif

24 En bref, à mon avis, la Cour d’appel a commis une erreur sous les rapports suivants:

1. En l’absence d’un appel formé contre la peine, la Cour d’appel n’avait aucune compétence inhérente pour ordonner aux parties de revenir devant elle afin de présenter des observations sur la sentence.

2. Il ressort des motifs de l’arrêt, dans lesquels la Cour d’appel parle du «malaise» et de la «gêne» ressentis devant la peine infligée, que le critère préliminaire applicable pour porter la question de l’appel de la sentence à l’attention des avocats n’a pas été respecté. Les tribunaux doivent s’abstenir de soulever cette question à moins que, après avoir examiné l’appel de la déclaration de culpabilité, des indications préliminaires donnent à penser que la peine infligée est «nettement déraisonnable» ou «manifestement pas indiquée», c’est‑à‑dire en dehors des limites acceptables.

3. L’examen auquel s’est livrée la Cour d’appel correspond à une révision de facto de la sentence, ce qui était inapproprié, en particulier dans le contexte d’une ordonnance enjoignant aux parties de revenir devant elle dans une semaine pour présenter des observations sur la détermination de la peine.

25 En conséquence, comme notre Cour a déjà accueilli le pourvoi et annulé l’ordonnance de la Cour d’appel portant que les parties doivent revenir présenter des observations relativement à la détermination de la peine, la demande d’autorisation d’appel présentée par l’intimé à l’encontre de la sentence doit être instruite devant une formation différente de la Cour d’appel.

Version française des motifs des juges L’Heureux‑Dubé et Gonthier rendus par

26 Le juge L’Heureux‑Dubé — Le présent pourvoi soulève la question de savoir si une cour d’appel a compétence pour entendre un appel de sentence lorsqu’aucune autorisation d’interjeter appel n’a été sollicitée.

27 J’estime, comme le Juge en chef, que le droit en la matière est clair: une cour d’appel n’a pas compétence pour réviser une peine proprio motu.

28 En l’espèce, la Cour d’appel non seulement a commis une erreur en invoquant sa prétendue «compétence inhérente» pour réviser la peine et ordonner aux parties de revenir devant elle pour faire des représentations à cet égard, mais elle a émis les commentaires additionnels suivants au sujet de la sentence:

[traduction] Bien que les motifs du plaignant ne constituent pas en soi un facteur ayant une incidence directe sur la détermination de la peine appropriée, il peut néanmoins s’agir d’une circonstance susceptible d’entraîner un effet indirect. Lorsque, comme en l’espèce, il ressort clairement de la preuve que la plainte a été déposée en guise de représailles pour des actes qui n’ont rien à voir avec les crimes, il convient d’examiner, dans le cadre de la détermination d’une peine juste et proportionnelle aux infractions, si les conséquences des crimes commis étaient aussi graves que l’a prétendu la victime. Dans ces circonstances, il est nécessaire de lire attentivement le dossier pour déceler tout indice d’exagération de la part du plaignant.

. . .

En l’espèce, l’examen du dossier suscite bel et bien de l’inquiétude quant à l’étendue réelle de la violence et des blessures épisodiques. Il est entendu que les actes violents et menaçants pour lesquels [G.W.] a été déclaré coupable doivent être punis. Cependant, la peine doit être proportionnelle aux infractions. Le verdict qu’a rendu le jury porte sur la culpabilité, mais non sur l’étendue de celle‑ci. [. . .] [I]l convient de noter que les descriptions contenues dans la transcription relativement à la gravité des blessures subies par [S.M.] n’étayent pas entièrement la prétention de cette dernière quant à l’étendue des mauvais traitements qu’elle a dit avoir subis dans le cadre de cette relation malsaine.

. . .

Le dernier facteur qui ressort de la transcription et qui contribue à accentuer l’impression de profond malaise ressentie devant la durée de la peine d’emprisonnement est que la nécessité d’une dissuasion particulière en l’espèce paraît négligeable, voire inexistante, à la lumière de la rupture entre [G.W.] et [S.M.], puis de l’amorce d’une nouvelle relation dans le cas de [G.W.].

((1998), 163 Nfld. & P.E.I.R. 132, aux pp. 149 et 150)

29 N’étant pas compétente pour entendre un appel de la sentence, la Cour d’appel a clairement commis une erreur en commentant la justesse de la peine. Comme l’a souligné le Juge en chef, ces commentaires suscitent une crainte raisonnable de partialité, et ce d’autant plus qu’ils peuvent être perçus comme reflétant des mythes et des stéréotypes au sujet des plaignants dans les affaires d’agression sexuelle. (Voir R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577, aux pp. 604 et 630, le juge McLachlin, et à la p. 651, le juge L’Heureux‑Dubé; R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595, à la p. 670, le juge Cory; R. c. Esau, [1997] 2 R.C.S. 777, aux pp. 814 et 815, le juge McLachlin; R. c. Ewanchuk, [1999] 1 R.C.S. 330, aux pp. 374 à 378, le juge L’Heureux‑Dubé; K. Mack, «“You should scrutinise her evidence with great care”: Corroboration of women’s testimony about sexual assault», dans P. Easteal, dir., Balancing the Scales: Rape, Law Reform and Australian Culture (1998), 59; R. Mohr, «Sexual Assault Sentencing: Leaving Justice to Individual Conscience», dans J. Roberts et R. Mohr, dir., Confronting Sexual Assault: A Decade of Legal and Social Change (1994), 157; M. R. Burt, «Rape Myths and Acquaintance Rape», dans A. Parrot et L. Bechhofer, dir., Acquaintance Rape: The Hidden Crime (1991), 26; R. T. Andrias, «Rape Myths: A persistent problem in defining and prosecuting rape» (1992), 7:2 Criminal Justice 2; Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur l’égalité des sexes dans le système de justice au Canada, «L’égalité des sexes dans le système de justice au Canada: Document récapitulatif et propositions de mesures à prendre (1992); E. A. Sheehy, «Canadian Judges and the Law of Rape: Should the Charter Insulate Bias?» (1989), 21 R.D. Ottawa 741; D. Archard, Sexual Consent (1998), à la p. 131.)

30 Quant au résultat, je suis d’accord avec la façon dont mon collègue dispose du présent pourvoi.

Pourvoi accueilli.

Procureur de l’appelante: Le ministère de la Justice, St. John’s.

Procureur de l’intimé: La Newfoundland Legal Aid Commission, St. John’s.



Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : W. (G.)

Références :
Proposition de citation de la décision: R. c. W. (G.), [1999] 3 R.C.S. 597 (15 octobre 1999)


Origine de la décision
Date de la décision : 15/10/1999
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1999] 3 R.C.S. 597 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1999-10-15;.1999..3.r.c.s..597 ?
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