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17/09/1999 | CANADA | N°[1999]_3_R.C.S._281

Canada | Des Champs c. Conseil des écoles séparées catholiques de langue française de Prescott-Russell, [1999] 3 R.C.S. 281 (17 septembre 1999)


Des Champs c. Conseil des écoles séparées catholiques de langue française de Prescott‑Russell, [1999] 3 R.C.S. 281

Florent Des Champs Appelant

c.

Conseil des écoles séparées catholiques de

langue française de Prescott-Russell, Suzanne

Charette, Roch Lalonde, Ronald Lalonde,

R. Serge Lalonde, Hélène Leblanc, Pierre Leblanc,

Jean Lemay, Paul Paradis, Marcel Perras,

Gilles Taillon, François Théoret et Jean-Paul Scott Intimés

Répertorié: Des Champs c. Conseil des écoles séparées catholiques de langue française de P

rescott‑Russell

No du greffe: 25898.

1998: 10 novembre; 1999: 17 septembre.

Présents: Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthie...

Des Champs c. Conseil des écoles séparées catholiques de langue française de Prescott‑Russell, [1999] 3 R.C.S. 281

Florent Des Champs Appelant

c.

Conseil des écoles séparées catholiques de

langue française de Prescott-Russell, Suzanne

Charette, Roch Lalonde, Ronald Lalonde,

R. Serge Lalonde, Hélène Leblanc, Pierre Leblanc,

Jean Lemay, Paul Paradis, Marcel Perras,

Gilles Taillon, François Théoret et Jean-Paul Scott Intimés

Répertorié: Des Champs c. Conseil des écoles séparées catholiques de langue française de Prescott‑Russell

No du greffe: 25898.

1998: 10 novembre; 1999: 17 septembre.

Présents: Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major et Binnie.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario, [1997] O.J. No. 125 (QL), qui a accueilli l’appel interjeté contre une décision de la Cour de l’Ontario (Division générale) (1993), 16 O.R. (3d) 278, qui avait rejeté une requête en rejet de l’action. Pourvoi accueilli, le juge Major est dissident.

Denis J. Power, c.r., et Steven Welchner, pour l’appelant.

Paul S. Rouleau et Bruce Hutchison, pour les intimés.

Version française du jugement des juges L’Heureux-Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Binnie rendu par

1 Le juge Binnie ‑- Bon nombre sinon la plupart des autorités publiques au pays sont, dans une certaine mesure, protégées contre les poursuites par des délais spéciaux de prescription établis par la loi. La raison d’être de ces délais de prescription est d’éviter que l’écoulement du temps ne leur cause indûment préjudice. Le fait que les recours soient intentés avec diligence favorise l’intérêt public en permettant que les litiges soient instruits et tranchés dans les meilleurs délais. Après l’expiration d’un tel délai de prescription, une autorité publique peut se considérer à l’abri des risques d’action en justice et elle n’a pas besoin de conserver ou de chercher des éléments de preuve pertinents. Elle peut établir son budget sans être préoccupée par des réclamations non décidées contre le Trésor public. Les lois établissant des délais de prescription ont de tout temps été considérées comme des dispositions visant à assurer la «tranquillité d’esprit» (Tolson c. Kaye (1822), 3 Brod. & B. 217, 129 E.R. 1267, à la p. 1269, et Deaville c. Boegeman (1984), 14 D.L.R. (4th) 81 (C.A. Ont.), à la p. 86). Le délai de prescription de six mois prévu par l’art. 7 de la Loi sur l’immunité des personnes exerçant des attributions d’ordre public, L.R.O. 1990, ch. P.38 (la «Loi»), tient compte à la fois de la nature et des responsabilités particulières des autorités publiques. En l’espèce, toutefois, l’appelant prétend que l’application de ce délai pour faire obstacle à son action pour congédiement injustifié va au‑delà de l’objet visé par la loi. D’affirmer ce dernier, le fait qu’il travaille pour un employeur du secteur public ne devrait pas avoir pour effet de réduire de six ans à six mois son délai d’action. Selon lui, la nature de son recours ne fait pas entrer en jeu l’aspect «public» des pouvoirs et fonctions du Conseil scolaire intimé. J’estime que son objection est bien fondée. Le juge des requêtes a eu raison de rejeter le moyen de défense fondé sur l’art. 7, et sa décision à cet égard devrait être rétablie. Le présent pourvoi devrait être accueilli.

I. La nature de l’action

2 Le présent pourvoi porte sur le différend qui oppose l’appelant, Florent Des Champs, et son employeur, le Conseil des écoles séparées catholiques de Prescott‑Russell. L’appelant a commencé à travailler pour le Conseil à titre d’enseignant en 1971. Au fil des ans, il a gravi les échelons et, en juillet 1989, il est devenu un des surintendants du Conseil des écoles séparées catholiques de langue française. Trois ans plus tard, par suite de la réorganisation des services éducatifs, les responsabilités du Conseil ont été considérablement réduites. Deux de ses trois postes de surintendants ont alors été déclarés excédentaires, notamment celui de l’appelant. Ce dernier prétend avoir été rétrogradé à un poste de niveau inférieur, contrairement aux droits que lui confère son contrat de travail qui, selon lui, intègre les dispositions du Règlement 309 des R.R.O. 1990, pris en vertu de la Loi sur l’éducation, L.R.O. 1990, ch. E.2. Le Conseil a demandé le rejet de l’action en invoquant l’art. 7 de la Loi. Débouté par le juge des requêtes, le Conseil a eu gain de cause devant la Cour d’appel de l’Ontario.

II. Les faits à l’origine du différend

3 En 1992, par suite de la rationalisation des services éducatifs de langue française, le Conseil intimé a été dépouillé de certaines responsabilités à l’égard des écoles séparées de langue anglaise de la région. Il est alors arrivé à la conclusion que le travail de supervision pouvait désormais être accompli par un seul des trois surintendants qu’il comptait alors. Réagissant à cette «réduction» de son rôle, le Conseil a censément exercé les pouvoirs conférés par l’art. 7 du Règlement 309. Ce règlement autorise le Conseil à déclarer des postes excédentaires dans le cadre de la mise en œuvre [traduction] «d’un plan de réorganisation à long terme du fonctionnement». Il est notoire que le Conseil de Prescott‑Russell n’avait aucun plan de la sorte à l’époque pertinente. Une des questions en litige dans l’action est la validité de la procédure suivie par le Conseil. Cependant, le souci du Conseil de comprimer ses dépenses était certainement dans l’intérêt public.

4 La réorganisation en cause a été décrite ainsi dans la résolution adoptée par le Conseil le 27 avril 1992:

Résolution no 104

ATTENDU QUE le Conseil des écoles séparées catholiques de langue française de Prescott‑Russell a été tenu d’intégrer trois (3) agents de supervision du Conseil d’éducation de Prescott-Russell, le 1er janvier 1989 suite au parachèvement;

ATTENDU QUE les agents de supervision du Conseil des écoles séparées catholiques de langue française de Prescott‑Russell devaient effectuer la supervision des écoles de langue française et de langue anglaise suite au parachèvement, et que par la suite, les services de supervision pour la Section catholique de langue anglaise furent achetés du Conseil des écoles catholiques de Carleton;

ATTENDU QUE deux conseils scolaires distincts, l’un de langue française et l’autre de langue anglaise, furent créés le 1er décembre 1991;

ATTENDU QUE le Conseil des écoles séparées catholiques de langue française de Prescott‑Russell n’aura plus, dans un avenir rapproché, à répondre aux besoins du Prescott and Russell County Roman Catholic English‑Language Separate School Board; et

ATTENDU QUE le Conseil des écoles séparées catholiques de langue française de Prescott‑Russell veut utiliser le plus judicieusement possible ses ressources financières disponibles.

Le Conseil a donc résolu:

Que suite à l’approbation du ministre de l’Éducation et selon les dispositions du règlement 276, le Conseil des écoles séparées catholiques de langue française de Prescott‑Russell déclare deux (2) postes d’agent de supervision excédentaires.

Adopté.

5 Dans une résolution subséquente, le Conseil a décidé de muter l’appelant et un collègue à d’autres fonctions:

Que, suite à l’approbation du ministre de l’Éducation et selon les dispositions du règlement 276, le Conseil des écoles séparées catholiques de langue française de Prescott‑Russell mute MM. Rhéal M. Bazinet et Florent Y. Des Champs, agents de supervision, à un poste pour lequel ils possèdent les qualités requises qui comprend des tâches administratives et de supervision aussi semblables que possible à celles qu’ils remplissaient dans le poste précédent.

6 Le 29 mai 1992, l’appelant a été nommé directeur de l’École Saint‑Luc de Curran, en Ontario, pour l’année scolaire débutant la même année. Il s’est présenté à l’École Saint‑Luc, mais sous réserve, le 24 août 1992. Il a cessé d’être administrateur à temps plein et a dû retourner en salle de classe pour enseigner. Il a estimé avoir été traité injustement.

7 Le 22 décembre 1992, près de huit mois après les événements ayant donné naissance à sa cause d’action, l’appelant a intenté la présente action contre le Conseil, les conseillers scolaires et le directeur de l’éducation.

8 Les divers intimés, y compris le Conseil, ont demandé par voie de requête le rejet de l’action, invoquant que, comme celle‑ci n’avait pas été intentée dans les six mois suivant la naissance de la cause d’action, elle était prescrite par l’effet du par. 7(1) de la Loi. Comme il a été indiqué plus tôt, le juge des requêtes a rejeté cet argument, mais la Cour d’appel de l’Ontario l’a retenu. Il a fallu près de sept ans avant que la «requête préliminaire» parvienne à notre Cour.

III. L’historique des procédures judiciaires

Cour de l’Ontario (Division générale) (1993), 16 O.R. (3d) 278

9 Le 25 novembre 1993, le juge Desmarais a statué que le délai de prescription spécial de six mois ne s’appliquait pas. Conformément à la décision de notre Cour dans Berardinelli c. Ontario Housing Corp., [1979] 1 R.C.S. 275, il s’est demandé si l’acte reproché en l’espèce était, [traduction] «de façon générale [. . .] de nature publique ou privée», et il a conclu qu’il s’agissait d’une activité qui ne comportait pas d’aspect public, mais qui était «plus de nature interne ou courante et où le caractère privé prédomine» (p. 282). Il a par conséquent rejeté le moyen de défense fondé sur la prescription. Il a également radié l’action visant les défendeurs désignés nommément, permettant que l’action ne suive son cours contre le Conseil uniquement.

Cour d’appel de l’Ontario, [1997] O.J. No. 125 (QL)

10 Le 20 janvier 1997, la Cour d’appel de l’Ontario a accueilli l’appel. Dans un bref jugement manuscrit, la Cour d’appel a dit qu’il s’agissait d’une affaire où le Conseil avait déclaré le poste de surintendant excédentaire et, en vertu des pouvoirs que lui conférait la loi, avait muté l’appelant à un poste de directeur d’école. S’appuyant sur sa décision antérieure dans l’affaire Re Gallant et Conseil des écoles séparées catholiques romaines du district de Sudbury (1985), 56 O.R. (2d) 151, la Cour d’appel a retenu la défense fondée sur la prescription et rejeté l’action. De l’avis de la Cour d’appel [traduction] «les actes reprochés n’[étaient] pas accessoires à la fonction d’ordre public» (par. 2), mais relevaient directement des mesures de nature publique protégées par le texte de loi.

IV. Les dispositions législatives pertinentes

11 Loi sur l’immunité des personnes exerçant des attributions d’ordre public, L.R.O. 1990, ch. P.38

7 (1) Nulle action, poursuite ou autre instance n’est recevable contre quiconque pour un acte accompli dans l’exercice ou en vue de l’exercice d’une fonction ou d’un pouvoir prévus par la loi ou d’ordre public, ou pour cause de négligence ou de manquement dans l’exercice de cette fonction ou de ce pouvoir, si elle n’est pas introduite dans les six mois suivant immédiatement le moment où la cause d’action a pris naissance ou, dans le cas où le préjudice s’est poursuivi pendant une certaine période, dans les six mois de la cessation du préjudice.

R.R.O. 1990, Règl. 309

[traduction]

7.--(1) Pour l’application du présent article, le terme «excédentaire», en ce qui concerne le poste d’un agent de supervision, signifie que ce poste n’a plus besoin d’être pourvu pour l’une des raisons suivantes:

a) la mise en œuvre par le conseil d’un plan de réorganisation à long terme du fonctionnement des écoles ou des services de supervision, qui a pour effet d’éliminer ce poste ou de le fusionner avec un autre;

. . .

(2) Si le conseil déclare que le poste d’un agent de supervision est excédentaire, il prend les mesures suivantes:

a) il avise, par écrit, l’agent de supervision, au moins trois mois à l’avance, que le poste qu’il occupe a été déclaré excédentaire;

b) il mute l’agent de supervision à un poste pour lequel celui‑ci possède les qualités requises et qui comprend des tâches administratives et de supervision aussi semblables que possible à celles qu’il remplissait dans le poste précédent;

c) il rémunère l’agent de supervision pendant au moins un an après la date de la mutation, sans réduction de traitement.

V. L’analyse

12 Il convient, au départ, de faire quelques observations d’ordre général. Le texte de l’art. 7 de la Loi indique que la législature n’a pas voulu accorder aux autorités publiques de l’Ontario la protection de cette disposition sur le fondement de leur qualité. L’expression «dans l’exercice ou en vue de l’exercice d’une fonction ou d’un pouvoir prévus par la loi ou d’ordre public» (je souligne) a pour effet de limiter la protection aux pouvoirs et fonctions de nature publique et permet de conclure, par inférence, qu’une autorité publique peut fort bien avoir d’autres fonctions ou pouvoirs qui sont essentiellement de nature privée. Pour distinguer ces éléments publics et privés, il faut, suivant le principe général, interpréter strictement le texte de l’art. 7 à l’encontre de la partie qui invoque la protection spéciale de cette disposition. Pour ce faire, le tribunal est inévitablement appelé à tracer une ligne de démarcation, ce qui l’oblige à examiner la nature du pouvoir ou de la fonction confié par la loi à l’autorité publique poursuivie, ainsi que la nature du comportement dont se plaint le demandeur. Dans le cas qui nous occupe, par exemple, le Conseil a l’obligation de fournir des services éducatifs au public. Pour réaliser son programme, il doit construire des écoles et engager des enseignants. S’il était poursuivi par un enfant blessé lui reprochant de ne pas avoir assuré la sécurité à l’école ou par des parents affirmant qu’il a refusé à tort d’intégrer un enfant à une classe, ces recours viseraient des fonctions publiques de l’école et se heurteraient au délai spécial de prescription. Par contre, le recours d’un entrepreneur mécontent fondé sur un contrat de construction d’une école ou celui d’un fournisseur de services alimentaires impayé sont différents. Bien que l’objet de tels recours se rapporte clairement à l’exécution par l’école de sa mission publique, il est accessoire à celle‑ci. Ces personnes invoqueraient des droits privés en vertu de contrats privés. Leurs recours ne tomberaient pas sous le coup du délai spécial de prescription.

13 Dans le cadre de la présente analyse, il est sans importance que l’action intentée ait un fondement contractuel ou délictuel. L’analyse vise à déterminer s’il y a «corrélation» entre cette action, quel que soit son fondement, et un pouvoir ou une fonction d’ordre public de l’autorité concernée.

14 Ces observations découlent de l’examen des décisions portant sur la question, lesquelles ne sont par ailleurs pas toutes faciles à concilier entre elles. Le juge Arnup fait remonter les origines de la loi ontarienne à une loi anglaise de 1609 intitulée An Acte for ease in pleading against troublesome and contencious Suites prosecuted against Justices of the Peace, Maiors, Constables and certain other his Majestie’s Officers, for the lawfull execucion of their Office, 7 Jas. 1, ch. 5 (voir Re Colledge and Niagara Regional Police Commission (1983), 44 O.R. (2d) 289 (C.A.), aux pp. 294 et suiv., ainsi que l’historique figurant en annexe, à partir de la p. 312). Comme l’a souligné le juge Aylesworth dans l’arrêt Lacarte c. Board of Education of Toronto, [1954] O.R. 435 (C.A.), à la p. 451: [traduction] «Nombre d’éminents juges ont exprimé avec éloquence la difficulté de déterminer précisément quels sont les actes ou catégories d’actes qui sont exclus par la loi».

15 Au moins trois interprétations se dégagent de la jurisprudence concernant la portée de l’art. 7 de la Loi:

16 (i) Selon la première, qui est aussi la plus large, le délai de prescription s’applique dans tous les cas où la cause d’action se rapporte soit à l’exercice d’un pouvoir prévu par la loi ou d’une prérogative, soit à l’omission de le faire. Comme la plupart des autorités publiques sont créées par une loi, cette interprétation assujettit au délai de prescription presque tous leurs actes, ceux‑ci devant nécessairement être accomplis dans une fin publique et en application d’une politique d’intérêt général (voir, par exemple, les motifs du juge Henry dans Berardinelli c. Ontario Housing Corp. (1976), 71 D.L.R. (3d) 56 (H.C. Ont.), à la p. 59). Des variantes de cette interprétation trouvent un certain appui dans l’arrêt Lacarte, précité, de la Cour d’appel de l’Ontario et dans la décision de la majorité de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans Riddle c. University of Victoria (1979), 95 D.L.R. (3d) 193, ainsi que dans les jugements qui se sont inspirés de ces arrêts.

17 (ii) Selon une deuxième interprétation, plus restrictive, le délai de prescription ne s’applique que lorsque l’acte reproché se rapporte aux responsabilités qui incombent à l’autorité publique envers le «public» censé bénéficier des activités générales de cette dernière (ou être assujetti à celles‑ci), par opposition aux actes qui ne peuvent substantiellement être distingués d’actes survenant dans le secteur privé (par exemple un manquement à un contrat liant un ministère et un fournisseur). Au soutien de cette interprétation plus limitée, mentionnons les décisions suivantes: Clarke c. Ottawa Board of Education (1975), 54 D.L.R. (3d) 321 (C. cté Ont.); Re Beauchamp and Town of Espanola (1981), 122 D.L.R. (3d) 149 (C. div. Ont.), confirmée à (1981), 128 D.L.R. (3d) 766 (C.A. Ont.), le juge en chef adjoint MacKinnon; l’opinion dissidente du juge Taggart dans Riddle, précité; ainsi que les décisions de première instance suivantes: Collier c. Lake Superior Board of Education (1986), 14 C.C.E.L. 183 (C. dist. Ont.), et Molloy c. Ontario (Human Rights Commission) (1992), 41 C.C.E.L. 101 (C. Ont. (Div. gén.)).

18 (iii) Selon une troisième interprétation, encore plus restrictive, non seulement le délai spécial de prescription ne s’applique‑t‑il qu’à l’«exercice direct» de pouvoirs et fonctions prévus par la loi au profit du public, mais sont exclus du champ d’application de ce délai les actes accomplis dans l’exercice de ces pouvoirs et fonctions et qui sont de nature interne ou courante et où le caractère privé prédomine. Notre Cour a souscrit à cette interprétation au fil des ans, notamment dans McGonegal c. Gray, [1952] 2 R.C.S. 274, et tout particulièrement dans Berardinelli, précité, où le juge Estey a dit, à la p. 280, relativement à l’art. 7 (auparavant l’art. 11), que «[t]oute ambiguïté découlant de l’application des règles appropriées d’interprétation des lois doit donc être résolue en faveur de la personne dont les droits sont diminués». Le juge Estey a poursuivi en faisant l’observation suivante: «Il est indubitable que la disposition contestée est ambiguë et imprécise». Sur le plan des principes généraux, le juge Estey a conclu, à la p. 284, que l’application dans cette affaire d’une interprétation plus large aurait pour effet d’établir une double norme intolérable, c’est‑à‑dire de créer «deux situations distinctes en matière de responsabilité du propriétaire pour deux logements apparemment semblables».

19 On aurait pu s’attendre à ce que, dans un pays doté d’un système de justice bien ordonné, la troisième interprétation -- en l’occurrence la plus restrictive -- l’emporte, puisqu’elle a reçu l’aval de notre Cour à deux occasions. Toutefois, il semble que, au milieu des années cinquante, une série d’affaires de «congédiement injustifié» d’enseignants se soient écartées du principal courant jurisprudentiel concernant l’art. 7 de la Loi et des lois connexes. Contrairement au juge Major, je ne crois pas que les «affaires touchant des enseignants» soient sans incidence en l’espèce. Elles ont établi un courant jurisprudentiel contraire dont est directement issue la décision qui fait l’objet du présent pourvoi: s’appuyant uniquement sur l’arrêt Gallant, précité, la Cour d’appel a conclu sommairement que les actes reprochés «n’[étaient] pas accessoires à la fonction d’ordre public». Afin de statuer sur le présent pourvoi, il faut se demander si ces décisions sont correctes. L’arrêt qui semble être à l’origine de la bifurcation est la décision du juge Aylesworth de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Lacarte, précitée, que je vais bientôt examiner.

20 Je me propose tout d’abord de reprendre les observations faites plus tôt et de dégager certains appuis à leur égard dans la jurisprudence.

1. La classification des fonctions d’ordre public en fonctions à caractère «public» et fonction à caractère principalement «privé»

21 Les fonctions et les pouvoirs d’origine législative exercés par une «autorité publique» ne bénéficient pas tous de la protection de la loi. Deux approches connexes se dégagent de la jurisprudence: (i) l’approche fondée sur la nature du pouvoir ou de la fonction d’origine législative invoqué par la partie défenderesse, (ii) l’approche fondée sur la nature du droit corrélatif invoqué par la partie demanderesse.

(i) Est‑ce que le pouvoir ou la fonction d’origine législative invoqué en défense par l’autorité publique est de nature publique ou privée?

22 Les pouvoirs et les fonctions d’origine législative d’une autorité publique sont qualifiés soit de pouvoirs ou fonctions «d’ordre public» au sens de l’art. 7, soit de pouvoirs ou fonctions qui ont «une connotation d’administration ou de gestion privée ou qui sont par leur nature même accessoires» (le juge Estey, Berardinelli, précité, à la p. 283). Leur classification dans l’une ou l’autre de ces catégories dépend en partie de l’identité de ceux pour qui la fonction (ou le devoir, pour reprendre le terme utilisé dans Berardinelli) est exercée, le lord chancelier Buckmaster dans Bradford Corp. c. Myers, [1916] 1 A.C. 242 (H.L.), à la p. 247:

[traduction] Autrement dit, ce n’est pas parce que l’acte à l’origine d’une poursuite relève du pouvoir d’une autorité publique que cette dernière a droit à la protection de la loi. C’est parce que l’acte découle de l’exécution directe d’une loi, de l’accomplissement d’un devoir public ou de l’exercice d’un pouvoir public. J’emploie ces mots dans le sens d’un devoir envers le public en général ou d’un pouvoir exercé impartialement à l’égard du public en général. Cela suppose donc que certains devoirs et pouvoirs ne sont pas de nature publique et que la loi n’accorde pas de protection quand on les accomplit. [Je souligne.]

Par exemple, tant en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F‑11, que des lois provinciales équivalentes, des autorités publiques exercent certains pouvoirs de régie interne en plus d’être assujetties à des devoirs de même nature. Il est impossible d’affirmer, dans quelque sens concret que ce soit, qu’il s’agit de devoirs qui incombent à ces autorités «envers le public en général». Par contre, il existe d’autres pouvoirs et devoirs qui sont exercés en faveur du public -- tel le devoir de fournir des logements sociaux sûrs qui était en litige dans l’arrêt Berardinelli --, mais qui ne sont néanmoins pas qualifiés «d’ordre public» pour l’application du délai de prescription parce qu’ils sont considérés de «par leur nature même accessoires» au rôle de l’autorité publique concernée. Il faut donc considérer que, lorsque le juge Estey (à la p. 283) parle des pouvoirs et devoirs qui ont une «connotation d’administration ou de gestion privée ou qui sont par leur nature même accessoires» (je souligne), il établit une classification disjonctive.

23 L’affaire Cloudfoam Ltd. c. Toronto Harbour Commission, [1968] 2 O.R. 497 (H.C.), décision confirmée à [1969] 2 O.R. 194 (C.A.), est un exemple du type de cas auxquels s’applique clairement le délai spécial de prescription. Dans cette affaire, les autorités portuaires défenderesses avaient entreposé à l’extérieur des marchandises qui venaient d’arriver par navire à son terminal du port de Toronto. Lorsque le propriétaire des marchandises en a pris livraison, il a constaté que la pluie les avait détrempées et irrémédiablement endommagées. La demanderesse a plaidé que la défenderesse avait fait montre de négligence en entreposant les marchandises sans les protéger contre les intempéries. La défenderesse a invoqué la protection de la Loi. La commission du havre de Toronto avait été créée en 1911 pour exploiter le port, notamment en fournissant des installations de terminal et des services d’entreposage de marchandises. L’entreposage de marchandises au terminal faisait partie des services offerts au public, et le demandeur, un propriétaire de marchandises, faisait partie du «public» au bénéfice duquel les installations avaient été établies. Le moyen de défense fondé sur la prescription s’appliquait à juste titre. Pour une affaire analogue, voir: Firestone Tire and Rubber Co. (S.S.) Ld. c. Singapore Harbour Board, [1952] A.C. 452 (C.P.).

24 L’examen des vieilles décisions anglaises qui ont établi la [traduction] «ligne de démarcation» adoptée par le juge Rand dans l’arrêt McGonegal, précité, à la p. 289, nous éclaire sur la décision de ce dernier. (À toutes fins utiles, le texte de la disposition anglaise établissant le délai de prescription, abrogée en 1954, était le même que celui de l’art. 7 de la Loi.)

25 L’affaire Myers, précitée, concernait une action intentée contre une municipalité dont les employés avaient «déchargé» une tonne de coke dans la vitrine du commerce de la partie demanderesse. La municipalité avait invoqué le fait qu’elle était tenue d’approvisionner les habitants en gaz naturel et qu’un résidu de la fabrication de ce gaz, le coke, devait être éliminé. La meilleure façon de le faire était de vendre le coke aux gens qui s’en servaient pour le chauffage de leur maison. La municipalité a donc fait valoir que la vente du coke constituait [traduction] «un acte accompli dans l’exécution ou en vue de l’exécution d’une loi ou encore d’une fonction ou d’un pouvoir d’ordre public» (p. 251) et elle a plaidé qu’aucune responsabilité ne pouvait lui être imputée relativement à un événement fortuit comme le déchargement d’une certaine quantité de coke dans la vitrine d’un client. La municipalité a présenté (à la p. 243) un argument semblable à celui avancé par le Conseil en l’espèce:

[traduction] L’autorité publique qui est requise d’accomplir un acte particulier est tenue de faire tout ce qui est accessoire à l’accomplissement de cet acte.

. . .

Lorsqu’une loi requiert une autorité publique de s’acquitter d’une fonction donnée tout en lui laissant le choix des modalités d’exécution, les actes accomplis suivant les modalités choisies sont des actes accomplis dans l’exécution de la fonction prévue par la loi.

26 Le lord chancelier a exprimé son désaccord, concluant que la fonction «de nature publique» de la municipalité ne s’étendait pas à la disposition d’un sous-produit issu de la production du gaz naturel. Le déchargement négligent de coke dans la vitrine du commerçant était trop étranger à l’exécution de la mission publique que le Parlement avait voulu protéger. L’acte était intra vires, mais il a été jugé ne pas avoir été accompli «directement» dans l’exécution d’une fonction au profit [traduction] «du public en général». Le lord chancelier a dit (à la p. 246) qu’il importe peu que l’action ait un fondement contractuel ou délictuel. Dans le contexte, je crois que l’expression «public en général» s’entend de la catégorie de personnes qui sont censées soit bénéficier de l’exercice du pouvoir public qui a été conféré, soit être assujetties à celui‑ci. Il n’est pas nécessaire qu’il s’agisse de tous les habitants du territoire en cause. Dans l’affaire Cloudfoam, par exemple, la fonction spéciale confiée par la loi à l’autorité publique à l’égard des propriétaires de marchandises n’était pas exclue de la protection de la loi pour ce motif.

(ii) Y a‑t‑il «corrélation» entre le droit invoqué par le demandeur et une fonction d’ordre public imposée à l’autorité publique défenderesse?

27 L’utilité de la détermination de la nature précise de l’action d’un demandeur en s’interrogeant sur le caractère public ou privé de la fonction exercée par le défendeur a été signalée dans une vieille décision anglaise sur laquelle s’est appuyé l’arrêt Myers, en l’occurrence Sharpington c. Fulham Guardians, [1904] 2 Ch. 449. Dans cette affaire, la partie défenderesse, autorité publique qui avait été constituée administrateurs de l’assistance publique, avait entrepris de transformer un vieux manoir en centre d’accueil pour les enfants pauvres. La mise sur pied d’un tel établissement relevait des pouvoirs et fonctions confiés par la loi à la partie défenderesse. Le demandeur, un entrepreneur en construction, avait engagé une poursuite pour obtenir le versement de sommes supplémentaires en application d’un contrat. Comme il a été indiqué plus tôt, le texte de loi établissant le délai de prescription invoqué en défense comportait des dispositions presque identiques à celles de l’art. 7 de la Loi. Manifestement, les travaux de rénovation du bâtiment étaient intra vires des pouvoirs de l’autorité publique et pouvaient être rattachés à sa mission «publique». Le juge Farwell a toutefois rejeté ce moyen de défense à la p. 456:

[traduction] La fonction publique confiée en l’espèce aux administrateurs est d’établir un centre d’accueil à l’intention des enfants pauvres; un manquement à cette obligation ou l’exécution négligente de celle‑ci causerait un préjudice aux enfants et, peut‑être, au public qui pourrait subir un préjudice du fait que des enfants errent dans les rues. Pour s’acquitter de cette obligation, les administrateurs ont le pouvoir de construire une maison ou de modifier un bâtiment et ils ont, en conséquence, conclu un contrat privé à cette fin. C’est d’un manquement à ce contrat privé dont on se plaint dans la présente action. Il ne s’agit pas d’une plainte présentée par un certain nombre d’enfants ou par un citoyen relativement à la fonction d’ordre public. Il s’agit d’une plainte formulée par un citoyen à l’égard d’un préjudice privé qui lui a été causé. Comme je l’ai souligné, la seule façon dont la fonction publique entre en jeu en l’espèce est que, si elle n’existait pas, tout contrat de cette nature serait ultra vires. Il en serait d’ailleurs ainsi de tous les contrats. [Je souligne.]

Cet arrêt a été cité et approuvé dans Myers, par lord Atkinson, qui dit ceci, à la p. 260:

[traduction] Chaque mot de ce jugement -- qui, selon moi, et de l’avis des lords juges de la Cour d’appel, est fondé sur le plan des principes et conforme à la jurisprudence -- s’applique à la présente affaire.

28 La détermination de l’identité du public au bénéfice duquel le pouvoir ou la fonction d’origine législative existe peut aider à dire s’il s’agit d’un pouvoir à caractère public ou dont «le caractère privé prédomine». Dès qu’il est déterminé qu’il s’agit d’une fonction de nature publique, tout recours «corrélatif» exercé contre l’autorité publique est assujetti au délai spécial de prescription. Parmi les affaires scolaires dans lesquelles il a été jugé que le demandeur faisait partie du «public» censé bénéficier de l’avantage prévu, mentionnons: Griffiths c. Smith, [1941] A.C. 170 (H.L.) (parent blessé lors d’une exposition des travaux de la classe de son fils), et Moffatt c. Dufferin County Board of Education, [1973] 1 O.R. 351 (C.A.) (enfant blessé en exécutant une tâche dangereuse confiée par son professeur, en l’occurrence le déplacement d’un piano).

29 L’approche fondée sur l’existence d’un droit corrélatif a été proposée pour la première fois par lord Shaw of Dunfermline dans l’arrêt Myers, aux pp. 263 et 264:

[traduction] À tout devoir découlant de la loi ou de l’exercice d’une fonction de nature publique correspond un droit corrélatif. L’existence et l’exploitation d’un tramway municipal dépendent, disons, d’une loi d’intérêt privé et de nombreuses lois d’intérêt public, et la municipalité qui l’exploite exécute de ce fait un devoir public. L’usager qui monte à bord du tramway et paie le prix du billet conclut, en un sens, un contrat. Mais le fait de monter à bord, de payer le prix du billet et de conférer à la municipalité l’obligation de le transporter en toute sécurité confère un droit au passager, un droit de nature publique, au transport qu’il partage avec les autres citoyens et qui est corrélatif au devoir d’ordre public qu’a la municipalité envers tous les citoyens . . .

Toutefois, lorsque le droit du particulier ne peut être mis en corrélation avec un devoir de nature législative ou d’ordre public envers lui, le fondement des rapports entre les parties repose uniquement sur un marché privé que la municipalité, d’une part, et le citoyen, le consommateur ou le client, d’autre part, étaient libres de conclure ou de refuser. [Je souligne.]

On notera que dans l’exemple de lord Shaw, celui‑ci disait que «[l’]usager qui [. . .] paie le prix du billet conclut, en un sens, un contrat», mais que le délai de prescription s’appliquait malgré tout parce que le recours contractuel pouvait être corrélé au «devoir d’ordre public qu’a[vait] la municipalité envers tous les citoyens». L’approche fondée sur l’existence d’un «droit corrélatif» expose utilement l’analyse à laquelle il faut soumettre la déclaration du demandeur dans ce genre d’affaires et, avec égards, je ne partage pas l’inquiétude du juge Major (au par. 94) que cette approche exclut «tous les recours contractuels de la protection de la loi» ou «a également pour effet d’exclure la plupart des recours délictuels» (par. 95). Il est vrai, comme le souligne mon collègue au par. 99, que la Cour doit examiner la conduite de l’autorité publique au regard de ses pouvoirs et fonctions d’ordre public, mais cela n’est qu’une autre façon de dire que l’application du texte de loi dépend en bout de ligne de la caractérisation précise de l’action du demandeur.

30 Non seulement le lien entre les droits du demandeur et des devoirs corrélatifs d’ordre public, qui a été dégagé dans Sharpington puis précisé dans Myers, a‑t‑il été retenu par notre Cour dans les arrêts McGonegal et Berardinelli, mais son importance a été mise en évidence dans des décisions anglaises plus récentes, par exemple Government of Malaysia c. Lee Hock Ning, [1974] A.C. 76 (C.P.). Dans cette affaire, le gouvernement de la Malaysie avait conclu avec l’entrepreneur intimé des contrats pour la construction de salles de classe dans des écoles élémentaires. Une somme est devenue exigible par l’entrepreneur en application d’un contrat. Le gouvernement a plaidé que l’action intentée par l’entrepreneur à cet égard était prescrite par l’effet de l’art. 2 de la Public Authorities Protection Ordinance, 1948 (Malaysie), no 19, puisqu’elle n’avait pas été intentée dans les 12 mois du manquement reproché. Rejetant ce moyen de défense, lord Kilbrandon a dit ce qui suit, à la p. 84:

[traduction] En l’espèce, tout comme dans Sharpington, [. . .] le droit de l’entrepreneur est corrélé non pas à un droit ou à une fonction prévus par la loi, savoir la prestation de services d’éducation, mais plutôt à des obligations prises par l’autorité lorsqu’elle a contracté avec lui.

. . .

En d’autres termes, si on applique le critère établi par lord Shaw of Dunfermline, il y avait corrélation entre les droits de leurs clients et un devoir prévu par la loi dont ils étaient créanciers en tant que membres de la collectivité commerçante dans l’intérêt de laquelle les fonctions conférées par la loi devaient être exercées, et non simplement des obligations issues d’un contrat conclu accessoirement à l’exercice de ces fonctions, ces obligations n’intéressant que les seules parties à ce contrat.

31 Ce volet de l’analyse «stricte» a été expliqué et appliqué dans les savants motifs de dissidence du juge Taggart de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, dans Riddle, précité. Dans cette affaire, l’appelante avait été engagée par l’université à titre de professeur adjoint au département d’anglais; elle avait reçu des augmentations de salaire par suite d’évaluations satisfaisantes de son rendement. Elle s’attendait à ce que le département renouvelle son contrat pour une période supplémentaire de deux ans, comme il l’avait fait deux ans plus tôt. Toutefois, mesurant la faible production de travaux universitaires publiés par l’appelante à l’aune de la norme «publie ou péris», le département a décidé de ne pas recommander le renouvellement de son contrat. L’appelante n’a pris action que plus de quatre ans après avoir été avisée du non‑renouvellement de son contrat. L’université a fait valoir que, en décidant de ne pas renouveler le contrat de l’appelante, elle avait pris une décision en matière de dotation conformément aux dispositions de la Universities Act, S.B.C. 1963, ch. 52, et elle a invoqué le délai de prescription de six mois qui est prévu au par. 11(2) de la Statute of Limitations de la Colombie‑Britannique et qui s’applique aux actions intentées par suite d’actes [traduction] «accomplis dans l’exécution ou en vue de l’exécution d’une loi provinciale, d’une fonction ou d’un pouvoir d’ordre public, ou pour cause de négligence ou de manquement dans l’exécution de la loi, de la fonction ou du pouvoir en question». S’appuyant principalement sur les motifs du juge Estey dans l’arrêt Berardinelli, précité, et sur les décisions anglaises examinées précédemment, le juge Taggart a conclu ainsi, à la p. 219:

[traduction] Je ne crois pas qu’il soit possible d’affirmer que les actes que l’appelante reproche à l’intimée découlent d’un pouvoir exercé impartialement à l’égard du public en général. Les actes ont été accomplis en rapport avec l’appelante uniquement. Dans ces circonstances, j’estime que les commentaires faits par le juge Smith de la Cour de comté [relativement à l’arrêt Lacarte] dans l’affaire Clarke c. Ottawa Board of Education [précitée] sont justes. En l’espèce, tout comme dans Clarke, le droit d’action est issu des rapports entre l’intimée et l’appelante, personne physique qui ne bénéficiait pas ni n’était censée bénéficier au premier chef de l’exercice par l’intimée des pouvoirs qui lui sont conférés par la Universities Act. Dans la présente affaire, tout comme dans Clarke, le facteur important est le fait que l’intimée, bien qu’elle poursuivait ses objectifs en général, accomplissait un acte privé vis‑à‑vis d’une personne privée.

Le juge Taggart a exposé des motifs de dissidence dans cette affaire. L’autorisation de se pourvoir devant notre Cour contre la décision majoritaire a été refusée: [1979] 1 R.C.S. xii (19 juin 1979). Évidemment, ce refus ne doit pas être interprété comme l’expression d’un point de vue par les juges de notre Cour quant au fond de l’affaire. À mon sens, le juge Taggart a appliqué une variante du critère fondé sur l’existence d’un «droit corrélatif» énoncé par lord Shaw. Il n’y avait pas corrélation entre l’action de la demanderesse et un devoir de l’université «envers le public en général» (pour reprendre les termes employés par lord chancelier Buckmaster dans Myers). Le devoir invoqué par la demanderesse tombait donc en dehors du champ d’application de la protection de la loi. Je partage l’avis du juge Taggart de la Cour d’appel que l’on aurait dû permettre que l’action suive son cours.

32 L’affaire Clarke c. Ottawa Board of Education, précitée, à laquelle s’est référé le juge Taggart, est un autre exemple d’application de l’approche fondée sur l’existence d’un «droit corrélatif» -- quoiqu’elle ne soit pas présentée ainsi -- comme l’indiquent clairement les commentaires suivants du juge Smith de la Cour de comté, à la p. 328:

[traduction] Je suis par conséquent d’avis que, suivant l’état du droit exposé dans la jurisprudence, la Loi sur l’immunité des personnes exerçant des attributions d’ordre public ne s’applique pas lorsque le conseil fait affaire avec une personne privée, par exemple pour la fourniture de matériaux ou d’ameublement scolaire ou pour la construction d’écoles. J’estime que la Loi ne s’applique pas non plus aux différends qui opposent le conseil à ses préposés -- qu’il s’agisse d’enseignants ou d’autres membres de son personnel -- et portent sur le salaire, les avantages ou d’autres postes de rémunération ou sur toute autre question de nature privée intéressant ces personnes. Je crois que c’est ce qui découle des différents arrêts cités, à commencer par Sharpington.

33 Un autre exemple d’application de l’approche fondée sur l’existence d’un «droit corrélatif» est l’affaire Comstock International Ltd. c. The Queen in right of Ontario (1981), 126 D.L.R. (3d) 323, où la Cour divisionnaire de l’Ontario a rejeté le moyen de défense fondé sur la prescription invoqué par la Couronne provinciale. Comstock, la partie demanderesse, avait conclu avec le gouvernement provincial un contrat pour la construction d’une station d’épuration des eaux usées, d’une station de pompage et d’un bâtiment des pompes dans le village de Hornepayne, dans le nord de l’Ontario. La demanderesse n’a pas intenté son action en dommages‑intérêts dans le délai de six mois. La cour devait trancher la question de savoir [traduction] «si, dans le cadre d’une action en dommages‑intérêts fondée sur un contrat privé conclu pour la construction d’installations dont l’aménagement était, suivant la loi, une des fonctions du ministère ontarien de l’Environnement, la Couronne avait droit à la protection de l’art. 11 [maintenant l’art. 7] de la Loi sur l’immunité des personnes exerçant des attributions d’ordre public». La cour a conclu, à la p. 325, que [traduction] «[l]e seul devoir auquel étaient tenus les appelants envers [le demandeur] découlait du contrat, et non d’une loi. Il s’agit d’un devoir à l’égard d’une personne, et non à l’égard du public». Pour reprendre les termes employés par lord Shaw dans Myers, il n’y avait pas de «corrélation» entre l’action du demandeur et un devoir d’ordre public auquel était tenue l’autorité publique. S’appuyant sur la décision Government of Malaysia, précitée, la Cour divisionnaire a tiré la conclusion suivante, à la p. 326:

[traduction] . . . l’action de Comstock est présentée en sa qualité d’entrepreneur, et non sur le fondement d’une perte ou d’un préjudice subi à titre de membre du public touché par les activités du ministère. L’article 11 de la Loi sur l’immunité des personnes exerçant des attributions d’ordre public ne s’applique que lorsque les rapports entre les parties résultent d’un devoir public auquel l’autorité publique est tenue envers le demandeur ou une autre partie en leur qualité de membre du public, et elle ne s’applique pas lorsque les rapports entre les parties sont essentiellement régis par un contrat ou quelque autre entente juridique privée.

La décision rendue dans Comstock a été suivie dans Collier, précité. Je suis d’accord avec le juge Major que ce qui importe ce n’est pas de s’interroger sur l’identité du demandeur, mais plutôt de se demander ce que faisait l’autorité publique. Cependant, le fait est que la nature de l’action du demandeur est souvent un bon indice afin de déterminer si «ce que faisait l’autorité publique» avait un caractère public ou privé.

34 En l’espèce, évidemment, l’appelant prétend que la mission publique de l’intimé consiste à fournir des services éducatifs au bénéfice du public en général, et que les rapports de l’intimé avec lui n’ont pas lieu «directement» dans l’exécution de cette mission, mais sont plutôt des activités où le «caractère privé prédomine» (Berardinelli, le juge Estey, à la p. 284 (italiques omis)).

2. L’activité reprochée à l’autorité publique est-elle «accessoire ou incidente» à l’exécution de sa mission publique?

35 Jusqu’ici, l’analyse s’est attachée aux différentes approches appliquées pour qualifier les pouvoirs ou fonctions confiés par la loi à l’autorité publique. Cependant, dans Berardinelli, précité, le juge Estey a examiné un pouvoir d’origine législative qui, a‑t‑il conclu, apportait une réponse ambiguë. En effet le par. 6(2) de la Housing Development Act autorisait un large éventail d’activités, dont certaines seulement pouvaient être considérées comme étant «d’ordre public» et visées par le délai spécial de prescription. En conséquence, il parle non seulement de la nécessité d’une «séparation des pouvoirs légaux entre ce qui est privé et ce qui est public», mais aussi de «séparer en deux catégories les actes que l’intimée peut accomplir en exécution de ses pouvoirs et devoirs» (p. 284 (je souligne)).

36 Dans McGonegal, précité, le juge Rand s’est lui aussi soucié de la nature des actes, à la p. 290:

[traduction] Le fait de servir ces repas ne prend un aspect public que lorsqu’il se limite aux élèves, même s’il est possible d’affirmer que ce dévouement privé de l’institutrice revêt, de façon éloignée, un intérêt pour l’administration de l’école en général . . . [L]’acte à l’origine de la blessure n’a pas été accompli dans l’exécution d’une responsabilité publique directement liée aux intérêts des enfants: il n’avait pas atteint ce caractère public; il s’agissait d’un acte de nature privée accompli en vertu d’un pouvoir de nature privée. [. . .] Si de la soupe avait été mise à chauffer à l’intention de certains écoliers, ou si certains d’entre eux en avaient mangé, il aurait été possible de distinguer cet acte subséquent; si, par exemple, pendant que la soupe chauffait ou était transportée depuis le réchaud, un enfant avait été ébouillanté, il aurait certainement été plus facile de soutenir que l’acte avait été accompli dans l’exercice d’un pouvoir d’ordre public.

37 Le juge Rand, aux pp. 288 et 289, a lui aussi approuvé le raisonnement de la Cour d’appel d’Angleterre dans l’arrêt Clarke c. St. Helens Borough Council (1915), 85 L.J. (K.B.) 17, le lord juge en chef Swinfen Eady, aux pp. 21 et 22. Dans cette affaire, le conseil défendeur fournissait à ses cadres une voiture avec chauffeur pour les déplacements qu’ils effectuaient dans l’exercice des fonctions publiques du Conseil. Il a été jugé que cette mesure était prise en vue de la réalisation de la mission publique de celui‑ci. Toutefois, pour ce qui est des activités elles‑mêmes, la Cour d’appel a estimé que, même si les cadres se trouvant dans l’automobile avaient pu y être dans l’accomplissement d’une fonction d’ordre public, le travail du chauffeur n’était qu’«accessoire» à cette fonction, et que l’action en dommages‑intérêts qu’avaient intentée les demandeurs blessés dans un accident de voiture n’était pas prescrite par l’application de la Public Authorities Protection Act, 1893 (R.-U.), 56 & 57 Vict., ch. 61. En l’espèce, on fait valoir que même si les professeurs et les surintendants, par analogie avec les chauffeurs, contribuent à la mission éducative, leurs relations de travail sont accessoires ou incidentes à cette mission.

38 Comme il a été mentionné plus tôt, l’«interprétation stricte» retenue dans McGonegal, précité, a été appliquée par notre Cour dans Berardinelli, précité. Dans cette affaire, un résidant d’un complexe de logements sociaux avait intenté une action pour les blessures qu’il avait subies en chutant sur de la glace ou de la neige pendant qu’il passait sur des terrains communs qui, alléguait‑il, étaient mal entretenus. L’organisme en cause avait le mandat public d’établir des logements sociaux et avait, à cette fin, [traduction] «les pouvoirs et devoirs jugés nécessaires . . . et le pouvoir de planifier, de construire et de gérer pareille entreprise. . .». Par conséquent, contrairement à Myers, précité, l’affaire Berardinelli ne mettait pas en cause une activité accessoire à l’exécution d’une fonction publique de l’organisme, mais découlait directement du mandat confié par la loi à celui‑ci, savoir l’établissement de logements. Le demandeur était un des locataires de la société d’habitation et faisait valoir un droit «corrélatif» au devoir imposé par la loi à l’autorité publique concernée, savoir l’établissement de logements sociaux. S’exprimant au nom de notre Cour, le juge Estey a souligné, à la p. 279, que les pouvoirs et devoirs de la société d’habitation étaient assez larges pour «couvrir pratiquement toutes les activités administratives et de gestion, sous toutes leurs facettes et dans tous les détails matériels, dans la construction et l’exploitation de logements». Il a tiré la conclusion suivante, à la p. 283:

. . . l’expression «un devoir . . . conféré par la loi ou . . . autre devoir . . . public» à l’art. 11 [maintenant l’art. 7] vise, dans le contexte du par. 6(2) de The Housing Development Act, les aspects des pouvoirs et devoirs légaux qui ont une connotation ou un aspect public et ne comprend pas les responsabilités de planification, de construction et d’administration (pour reprendre le par. 6(2)) qui ont une connotation d’administration ou de gestion privée ou qui sont par leur nature même accessoires.

39 Le juge Estey a estimé utile de situer, le long d’un continuum, les différentes activités de la société intimée. Il a qualifié les activités se trouvant à une extrémité de ce continuum d’activités «d’ordre public» au sens de l’art. 7 (à l’époque l’art. 11) de la Loi, et il a dit des activités situées à l’autre extrémité qu’il s’agissait «principalement [d’]acte[s] à caractère “accessoire”, “incident” ou “privé”» à la p. 286:

L’enlèvement de la neige par l’intimée constitue, dans le cadre de l’exécution de son mandat en vertu du par. 6(2), une activité à caractère privé et courant par opposition à ses obligations de planifier, de construire et de gérer un complexe d’habitation, qui ont un caractère public. C’est une tâche qui incombe à presque tous les propriétaires au Canada en hiver.

40 Comme je l’ai indiqué précédemment, le juge Estey a exprimé la crainte, à la p. 280, que si tout acte, «même tout à fait mineur», accompli en vertu de ces pouvoirs était considéré comme relevant de la mission publique de la société d’habitation, l’application du délai de prescription de six mois créerait une double norme inacceptable: les locataires de logements sociaux seraient assujettis à un délai de six mois pour prendre action, alors que les locataires de logements privés disposeraient généralement d’un délai de six ans pour le faire. Contrairement au juge Major, je ne considère pas que les commentaires du juge Estey visent uniquement le cas où «un plaideur privé ne pouvait pas prévoir que ses droits vis-à-vis de l’autorité publique en cause seraient différents de ceux dont il jouirait vis-à-vis d’une organisation privée par ailleurs identique» (par. 85 (le soulignement est du juge Major)). Selon moi, les inquiétudes concernant l’application d’un double délai de prescription découlent davantage du fait que, dans certains secteurs d’activité (par exemple les relations du travail), les actions intentées contre des autorités publiques sont presque identiques à celles intentées contre des organisations privées. Les demandeurs sont assujettis à des délais de prescription beaucoup plus courts, et ce pour des motifs qui ne semblent pas correspondre à quelque besoin légitime d’accorder une protection plus grande aux autorités publiques en raison de leur mission spéciale et de leur vulnérabilité particulière, facteurs qui les distinguent des organisations privées. Par conséquent, malgré le fait que l’enlèvement de la neige était accompli dans l’exécution du mandat confié par la loi à la société d’habitation intimée, le juge Estey a estimé, à la p. 286, que cette activité n’avait pas un «caractère public» et qu’il s’agissait

principalement d’un acte à caractère «accessoire», «incident» ou «privé», selon la terminologie du juge Rand dans [McGonegal]. [Je souligne.]

Comme cela se produit parfois, la dissidence éclaire la ratio decidendi des juges majoritaires. Dans Berardinelli, la dissidence du juge Martland portait précisément sur cette proposition, à la p. 296:

Je ne trouve aucune jurisprudence à l’appui de la prétention que les aspects courants ou matériels de la gestion sont exclus de la protection de l’art. 11. Si l’omission alléguée se rapporte à la gestion de l’entreprise, j’en conclus que rien ne justifie la prétention qu’il ne s’agit pas d’une omission dans l’exécution d’un pouvoir au sens de l’art. 11. [Je souligne.]

41 Le tribunal saisi d’une affaire fondée sur l’art. 7 de la Loi doit donc s’interroger et sur la nature du pouvoir ou de la fonction confiés par la loi (ou par ailleurs licite) à la partie défenderesse et sur l’activité dont se plaint la partie demanderesse, ainsi que sur la corrélation entre les deux. Avant de proposer un critère tendant à intégrer ces éléments, il pourrait être utile d’examiner les problèmes d’interprétation de la Loi qui ont été créés par les «affaires touchant des enseignants» en Ontario.

3. Les «affaires touchant des enseignants»

42 L’origine de la difficulté que pose le présent pourvoi peut être retracée aux affaires «touchant des enseignants» en Ontario et, en particulier, à la décision rendue en 1954 par le juge Aylesworth de la Cour d’appel dans l’affaire Lacarte, précitée. Le conseil scolaire avait congédié la demanderesse, une enseignante, parce qu’elle ne cessait de se plaindre du conseil et ses collègues et de les critiquer. Le juge de première instance, ainsi que la Cour d’appel, à la p. 447, ont conclu que, [traduction] «dans l’intérêt de l’établissement, il était manifestement impossible qu’elle [l’enseignante] continue à faire partie du personnel de la Danforth Technical School et que, pour ce qui était de la muter à une autre école, aucun directeur n’était disposé à l’accueillir». La Cour d’appel a donc rejeté l’action de l’enseignante à la lumière des faits de l’affaire. Toutefois, dans des remarques incidentes, le juge Aylesworth s’est penché sur le moyen de défense fondé sur le délai de prescription prévu par la Loi. Après s’être référé à certaines décisions anglaises susmentionnées et avoir cité un extrait de l’arrêt Myers (à la p. 452) portant que [traduction] «certains devoirs et pouvoirs ne sont pas de nature publique», le juge Aylesworth a fait mention (à la p. 453) de la disposition législative conférant au conseil et au comité consultatif le pouvoir [traduction] «de choisir des enseignants et d’établir une échelle salariale [. . .] et, de façon générale, de prendre toute autre mesure nécessaire pour réaliser les objectifs de la présente partie». Selon mon interprétation de ses motifs, le juge Aylesworth a ensuite conclu que les mesures prises par le conseil à l’endroit de l’enseignante étaient [traduction] «dans le meilleur intérêt de l’école» (p. 455) et, de ce fait, relevaient de la mission publique du conseil et bénéficiaient de la protection de la loi. L’arrêt Lacarte, précité, a fait l’objet d’un pourvoi devant notre Cour, et le juge Rand (qui avait rédigé les motifs dans McGonegal, précité), s’exprimant au nom des juges majoritaires, a rejeté le pourvoi, sans toutefois s’appuyer d’aucune façon sur le moyen de défense fondé sur la prescription. Seul le juge Locke a donné son appui à l’opinion du juge Aylesworth.

43 Avec égards, il me semble que l’affaire Lacarte, précitée, illustre l’analyse problématique qui a été critiquée par le juge Estey dans Berardinelli, précité. Dans Lacarte, on a inféré de l’existence de la mission publique que les actes accomplis dans la réalisation de cette mission étaient protégés par le délai de prescription. À l’opposé, dans Berardinelli, notre Cour a clairement reconnu que l’enlèvement de la neige était une activité accomplie en vue de la réalisation de la mission de la société ontarienne d’habitation et qu’il était dans l’intérêt public que celle‑ci fournisse des logements sûrs et abordables. Je crois que, dans Lacarte, l’analyse ne va pas plus loin. Dans Berardinelli, par contre, notre Cour franchit une étape supplémentaire et conclut que l’enlèvement de la neige est néanmoins exclu de la protection parce que, d’affirmer le juge Estey, à la p. 286, il s’agissait principalement d’une «activité à caractère privé et courant».

44 L’arrêt Lacarte a été suivi par le juge Lacourcière dans Gallant, précité. Cet arrêt a été invoqué en l’espèce par la Cour d’appel de l’Ontario. Dans Gallant, s’inspirant du langage et des concepts utilisés par le juge Aylesworth dans Lacarte, le juge Lacourcière a dit ce qui suit, à la p. 155:

Disons en premier lieu que le conseil scolaire, en acceptant la démission de l’appelante, agissant de bonne foi et dans l’intérêt du conseil et de l’école en question, est une personne qui agit en conformité ou en exécution d’un devoir conféré par la loi ou d’un autre devoir public et par conséquent, a droit à la protection qui est accordée à une telle personne. [Je souligne.]

Je ne doute pas que, dans cette affaire, les actes du conseil ont été accomplis en conformité avec les pouvoirs que lui confère la loi. L’étape qui manque est l’omission d’analyser les activités pertinentes du conseil au regard des pouvoirs que lui confère la loi et de dire si elles sont principalement de nature privée ou publique. Je ne peux accepter que ce qui était «dans l’intérêt» de l’école ne pouvait pas également avoir un caractère «privé et courant». L’analyse faite dans Gallant a à son tour été reprise par les juges majoritaires dans l’arrêt Riddle, précité, de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique.

45 Le juge Lacourcière faisait partie de la formation de la Cour d’appel de l’Ontario qui a appliqué le délai de prescription de six mois dans Berardinelli en 1977. Cette décision a été infirmée par notre Cour en 1979. Plus tard, en 1985, dans sa décision ultérieure dans Gallant, précité, le juge Lacourcière n’a apparemment pas considéré que la décision de notre Cour dans Berardinelli, précité, avait eu pour effet de mettre en doute la décision qu’il avait lui‑même rendue plus tôt dans cette affaire ou la décision, plus ancienne encore, du juge Aylesworth dans Lacarte, précité. Au fil des ans, la jurisprudence qu’a inspirée l’arrêt Lacarte a pris des proportions impressionnantes, mentionnons à cet égard l’arrêt Moffatt, précité, ainsi qu’un certain nombre de décisions de tribunaux de première instance en Ontario dans des affaires de congédiement injustifié d’enseignants: Stewart c. Lincoln County Board of Education (1972), 8 O.R. (2d) 168 (H.C.), Goodwin c. Oxford County Board of Education (1980), 30 O.R. (2d) 359 (H.C.), et Wright c. Board of Education for the City of Hamilton (1977), 16 O.R. (2d) 828 (H.C.); et dans une affaire analogue concernant un enquêteur, Cossette c. Ombudsman (1980), 28 O.R. (2d) 92 (H.C.).

46 La jurisprudence fondée sur l’arrêt Lacarte a, à l’occasion, été critiquée par des juges de première instance qui ont signalé l’interprétation plus nuancée adoptée dans McGonegal, et, subséquemment, par le juge Estey dans Berardinelli. Par exemple, dans Clarke c. Ottawa Board of Education, précité, le juge Smith de la Cour de comté, après avoir fait une revue de la jurisprudence, a tiré la conclusion suivante relativement à l’arrêt Lacarte, précité, à la p. 327:

[traduction] . . . la décision mérite certes le plus grand respect, mais elle semble aller à l’encontre de la jurisprudence établie citée plus tôt, et il vaut peut‑être mieux, à ce moment‑ci, considérer que la question n’est pas réglée dans la province.

47 Des sentiments analogues ont été exprimés dans les décisions suivantes: Hanna c. Ontario Hydro (1982), 37 O.R. (2d) 783 (H.C.), le juge Montgomery, à la p. 784; Collier, précité, le juge Wright, à la p. 189; et Molloy, précité, le juge Ground, à la p. 105.

48 Comme je l’ai indiqué plus tôt, le problème que pose la jurisprudence fondée sur les arrêts Lacarte et Gallant est qu’elle ne distingue pas suffisamment entre les différentes activités d’une autorité publique et la nécessité de chercher une «corrélation» entre l’action du demandeur et les pouvoirs et fonctions d’ordre public de l’autorité publique. Même s’il est vrai, dans un sens général, comme l’a suggéré le juge Henry dans l’affaire Berardinelli, précitée, que toutes les actions ou omissions d’une autorité publique peuvent en bout de ligne être rattachées d’une manière ou d’une autre à une fin d’ordre public ou à la défense de l’intérêt public, la loi établissant le délai de prescription prévoit clairement que certaines de ces activités ne jouissent pas de la protection spéciale, mais sont plutôt assujetties aux règles de droit ordinaires en matière de prescription. L’idée énoncée dans l’arrêt Gallant, précité, à la p. 155, que les actes du conseil scolaire dans cette affaire étaient les actes d’«une personne qui agit en conformité ou en exécution d’un devoir conféré par la loi ou d’un autre devoir public et par conséquent, a droit à la protection qui est accordée à une telle personne» (je souligne), a tout simplement une portée trop étendue parce qu’elle ne pose pas les bonnes questions relativement à la nature du pouvoir ou de la fonction, aux activités particulières qui sont reprochées, et elle ne demande pas si l’action du demandeur peut être corrélée avec un pouvoir ou une fonction, comme nous l’avons vu plus tôt. Le critère proposé dans les arrêts Lacarte et Gallant, tel qu’il a été interprété dans les «affaires touchant des enseignants» décidées ultérieurement, réduit virtuellement l’analyse à la seule question de l’intra vires. Contrairement à ce que suggère le juge Major au par. 114, je ne vois pas de problème dans ce que le juge Lacourcière a dit. Avec égards, le problème que pose selon moi l’arrêt Gallant découle plutôt de ce que le juge Lacourcière n’a pas dit et de l’analyse plus détaillée qu’il n’a pas estimé nécessaire de faire. Selon ce point de vue, on pourrait prétendre que même un acte ultra vires est protégé, puisque la loi vise expressément les actes accomplis «dans l’exercice ou en vue de l’exercice d’une fonction prévus par la loi ou d’ordre public» (italiques ajoutés). Il est vrai, comme le suggère le juge Major, au par. 76, que même les actions reprochant un manquement à une «fonction d’ordre public» comporte un aspect privé. Toutefois, la question est de savoir s’il y a corrélation entre l’action et un pouvoir ou une fonction prévus par la loi, dont l’exercice est qualifié de public et non de privé. Ce n’est que dans le second cas que la protection de la loi ne s’applique pas.

4. L’approche recommandée

49 L’article 7 de la Loi a été qualifié de [traduction] «mesure radicale» (le juge Rand dans McGonegal, à la p. 289) et de [traduction] «mesure draconienne» (le juge Krever dans Schnurr c. Royal Ottawa Hospital (1986), 56 O.R. (2d) 589 (C.A.), à la p. 593). L’examen des questions mentionnées précédemment doit être fait en tenant pour acquis que l’art. 7 doit être interprété restrictivement et en faveur de «la personne dont les droits sont diminués» (le juge Estey dans Berardinelli, à la p. 280).

50 Le tribunal appelé à se prononcer sur le moyen de défense prévu par l’art. 7 de la Loi ou par une disposition analogue peut appliquer la démarche suivante:

(1) La partie défenderesse est-elle une autorité publique appartenant à la catégorie des personnes physiques ou entités visées par la protection accordée par le délai de prescription? Même si la plupart des autorités publiques satisfont à cette exigence, l’affaire Schnurr, précitée, illustre le genre de problèmes susceptibles de se présenter.

(2) Que faisait l’autorité publique, et dans l’exercice de quel pouvoir ou de quelle fonction? Cette information figure généralement dans les actes de procédure. En l’espèce, l’information nécessaire se trouve dans les résolutions du Conseil.

(3) Est‑ce que le pouvoir ou la fonction invoqué pour fonder en partie la cause d’action du demandeur peut à juste titre être considéré comme ayant «une connotation ou un aspect public» ou comme ayant plutôt une «connotation d’administration ou de gestion privée ou [comme étant de] par [sa] nature même accessoir[e]» (Berardinelli, le juge Estey, à la p. 283)?

(4) Est‑ce que l’activité de la partie défenderesse qui fait l’objet de la plainte est «de nature essentiellement publique» ou plus «de nature interne ou courante et où le caractère privé prédomine» (Berardinelli, le juge Estey, à la p. 284 (italiques omis))?

(5) Du point de vue du demandeur, est-ce que son action ou le droit qu’il invoque peut «être corrélé» avec l’exercice, par la partie défenderesse, d’un pouvoir d’ordre public, se rapporte à un manquement à une fonction d’ordre public, ou reproche une activité à caractère public, compte tenu de la qualification appropriée?

51 Si la réponse à la question cinq est oui, le délai de prescription s’applique.

5. Application aux faits de l’espèce

52 Il ne fait aucun doute que la réorganisation du Conseil constituait une mesure publique importante. L’exécution efficace d’un programme d’éducation, au plus bas coût pour les contribuables, est une responsabilité qui incombe au Conseil envers le public en général et dont il visait à s’acquitter en adoptant les résolutions du 27 avril 1992. Toutefois, l’action de l’appelant ne se veut pas une attaque contre la réorganisation du Conseil. Le préjudice dont il se plaint a été le fait de la mise en œuvre interne par le Conseil de sa réorganisation publique, de sorte que son action contre ce dernier en tant qu’employeur ne soulève que des problèmes courants de relations de travail. Il n’accepte pas l’argument du Conseil qu’il était inévitable que la réduction de l’effectif causerait préjudice à l’un ou l’autre des surintendants, et que le pouvoir d’abolir des postes emportait celui de causer un tel préjudice. Il est d’avis que si le Conseil avait réduit l’effectif conformément à ses propres politiques de gestion, en d’autres mots si le Conseil avait agi selon les règles, aucun surintendant n’aurait eu de raison de se plaindre sur le plan juridique.

53 Avec égards, je ne partage pas l’avis du juge Major (au par. 82) selon lequel cette analyse a pour effet de «décompos[er]» tout acte en une série d’«éléments». Au contraire, je suis d’avis que l’intimé ne devrait pas être autorisé à regrouper plusieurs actes distincts pour lancer un appel général à l’intérêt public afin d’élargir le champ d’application du délai spécial de prescription.

54 Il est indéniable que l’intimé est une autorité publique qui a droit, dans les cas qui s’y prêtent, à la protection de la Loi. Il ressort des actes de procédure que l’essence de la plainte est la décision du Conseil portant que l’appelant était l’un des deux surintendants dont les postes devaient être déclarés excédentaires, ainsi que l’affectation de ce dernier à des tâches qu’il juge de niveau inférieur. L’appelant soutient que, contrairement aux conditions de son contrat de travail, il n’a pas été affecté à [traduction] «des tâches administratives et de supervision aussi semblables que possible à celles qu’il remplissait dans le poste précédent» au sens du par. 7(2) du Règlement 309. Le Conseil affirme qu’il s’est acquitté de ses obligations envers l’appelant conformément au contrat, au Règlement et à la Loi sur l’éducation.

55 Le paragraphe 7(2) du Règlement 309 indique expressément quels sont les droits de l’appelant si son poste est déclaré excédentaire. Cette disposition crée le cadre législatif applicable au contrat de travail des «agents de supervision»:

[traduction]

(2) Si le Conseil déclare que le poste d’un agent de supervision est excédentaire, il prend les mesures suivantes:

a) il avise, par écrit, l’agent de supervision, au moins trois mois à l’avance, que le poste qu’il occupe a été déclaré excédentaire;

b) il mute l’agent de supervision à un poste pour lequel celui‑ci possède les qualités requises et qui comprend des tâches administratives et de supervision aussi semblables que possible à celles qu’il remplissait dans le poste précédent;

c) il rémunère l’agent de supervision pendant au moins un an après la date de la mutation, sans réduction de traitement. [Je souligne.]

56 Je conviens avec le juge Major que des mesures de réduction de l’effectif auront invraisemblablement des aspects publics et des aspects privés, et que ces derniers aspects ne peuvent soustraire un acte manifestement d’ordre public à l’application de l’art. 7 de la Loi. Je ne partage toutefois pas l’opinion qu’il exprime (au par. 77) en ce qui concerne les prétentions de l’appelant en l’espèce. Selon moi, l’appelant ne s’en prend pas aux «aspects privés d’un acte accompli dans l’exercice de fonctions d’ordre public». Au contraire, il se plaint d’une décision sur son dossier (c.‑à‑d. le fait qu’on ait choisi son poste et qu’on l’ait ensuite muté à un poste pour lequel il était surqualifié), qui est distincte de l’exercice des pouvoirs et fonctions d’ordre public du Conseil, et qui leur est accessoire ou incidente. Si le Conseil l’avait muté à un poste comportant des tâches administratives et de supervision aussi semblables que possible à celles qu’il remplissait dans son poste précédent, cela n’aurait pas empêché le Conseil de réaliser la réduction de son effectif. De fait, affirme l’appelant, si le Conseil l’avait muté en conformité avec ses propres règles, personne n’aurait eu de raison de se plaindre sur le plan juridique.

57 Je suis d’avis que le Règlement 309 est un instrument de régie interne qui, pour reprendre l’expression employée par le juge Estey dans Berardinelli, a principalement une «connotation privée». Il s’agit d’un texte réglementaire régissant les rapports privés entre le Conseil et ses surintendants qui sont créés par le contrat de travail. Le règlement comprend deux parties. La première partie énonce la procédure d’agrément, notamment les exigences en matière de diplômes et de qualification professionnelle, et elle comporte des dispositions régissant la tenue d’examens annuels et fixant une norme de passage, ainsi que des dispositions connexes applicables aux personnes se portant candidates à ce genre de poste. La seconde partie porte sur la mutation et le congédiement des agents de supervision. Son contenu pourrait figurer dans une loi relative aux normes d’emploi visant les employeurs du secteur privé ou être reprise dans le guide des ressources humaines d’une société privée bureaucratisée. La seule raison pour laquelle ce document prend la forme d’un règlement est qu’il s’adresse à un employeur du secteur public.

58 Je reconnais que les obligations faites au Conseil à l’égard du personnel de supervision sont énoncées en langage impératif (au moyen du présent de l’indicatif) et que, dans certaines décisions antérieures, on a établi une distinction entre les activités obligatoires (qui ont été considérées visées par le délai de prescription) et les activités discrétionnaires (qui pourraient ne pas l’être); voir, par exemple, Compton c. Council of the County Borough of West Ham, [1939] Ch. 771, et McManus c. Bowes, [1938] 1 K.B. 98 (C.A.). Dans le présent cas, tout comme dans l’affaire Berardinelli, la nature impérative de l’obligation ne l’empêche pas de relever des activités qui sont «plus de nature interne ou courante et où le caractère privé prédomine» (p. 284 (je souligne;; italique omis)). L’appelant reproche au Conseil d’avoir enfreint ses propres règles en matière d’ancienneté lorsqu’il a décidé de le réaffecter, parce qu’il a fondé cette décision sur son ancienneté en tant que surintendant plutôt qu’à titre d’employé du Conseil. L’ayant à tort choisi aux fins de réduction de l’effectif, le Conseil a exacerbé cette erreur (d’affirmer l’appelant) en l’affectant à un poste pour lequel il était surqualifié et qui exigeait qu’il consacre 30 pour 100 de son temps à l’enseignement, au lieu de lui permettre de consacrer tout son temps à l’administration. Avec égards pour l’opinion contraire, ces actes du Conseil n’étaient pas la conséquence inévitable de la décision de réduire l’effectif de surintendants, et l’exemple de la loi de retour au travail n’est pas comparable, même en supposant qu’une telle loi pourrait donner lieu à des poursuites. L’argument fondamental de l’appelant est que la réduction de l’effectif accomplie dans l’intérêt du public aurait pu et aurait dû être réalisée sans causer à quelque employé que ce soit de préjudice donnant ouverture à poursuite civile. Je suis conscient que, dans l’arrêt Riddle, précité, les juges majoritaires ont établi une distinction entre les problèmes contractuels avec les enseignants et la [traduction] «tâche plus courante d’assurer la présence de personnel d’entretien» (le juge Hinkson, à la p. 228). Toutefois, il me semble que, dans l’un ou l’autre cas, l’arrêt Berardinelli, précité, nous enseigne qu’il faut éviter d’appliquer à de tels problèmes courants de gestion et de relations de travail des délais de prescription différents selon que l’employeur concerné appartient au secteur privé ou au secteur public.

59 Par conséquent, je conclus que le délai de prescription de six mois ne s’applique pas et que l’action de l’appelant peut suivre son cours. Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire que j’examine les autres prétentions de l’appelant, savoir que, comme sa cause d’action est de nature récurrente ou continue, il respecte le délai de six mois (parce qu’il continue d’occuper un poste ne correspondant pas à son talent et à son expérience), ou encore que son allégation de mauvaise foi visant le Conseil, les conseillers et le directeur de l’éducation empêche la Cour de trancher la question de droit préliminaire consistant à déterminer si le délai de prescription s’applique en l’espèce. J’ajouterais seulement que l’ordonnance du juge des requêtes radiant l’action contre les défendeurs désignés nommément ne faisait pas l’objet d’un pourvoi devant notre Cour.

VI. Le dispositif

60 Le pourvoi est donc accueilli avec dépens, l’ordonnance de la Cour d’appel de l’Ontario est infirmée et l’ordonnance du juge des requêtes datée du 25 novembre 1993 déclarant inapplicable l’art. 7 de la Loi est rétablie, de sorte que l’action peut suivre son cours contre le Conseil selon la procédure ordinaire.

Version française des motifs rendus par

61 Le juge Major (dissident) — L’appelant, Florent Des Champs, interjette appel de la décision de la Cour d’appel de l’Ontario qui a déclaré son action contre le Conseil scolaire intimé (le «Conseil») prescrite en vertu du par. 7(1) de la Loi sur l’immunité des personnes exerçant des attributions d’ordre public, L.R.O. 1990, ch. P.38 (la «Loi»). Comme j’arrive à la conclusion que l’action fait suite à une mesure prise par le Conseil directement dans l’exercice d’un pouvoir d’ordre public, j’estime que la Cour d’appel a eu raison d’appliquer la Loi. Avec égards, je suis en désaccord avec les motifs du juge Binnie et je rejetterais le pourvoi.

62 En juillet 1989, l’appelant est nommé à un poste de surintendant au sein du Conseil. Trois ans plus tard, son poste est déclaré excédentaire dans le cadre de la réorganisation des fonctions du Conseil. Cette mesure fait l’objet de deux résolutions adoptées consécutivement le 27 avril 1992 et dont voici les extraits pertinents:

RÉSOLUTION no 104:

Que suite à l’approbation du ministre de l’Éducation et selon les dispositions du règlement 276, le Conseil des écoles séparées catholiques de langue française de Prescott‑Russell déclare deux (2) postes d’agent de supervision excédentaires.

RÉSOLUTION no 105:

Que, suite à l’approbation du ministre de l’Éducation et selon les dispositions du règlement 276, le Conseil des écoles séparées catholiques de langue française de Prescott‑Russell mute MM. Rhéal M. Bazinet et Florent Y. Des Champs, agents de supervision, à un poste pour lequel ils possèdent les qualités requises qui comprend des tâches administratives et de supervision aussi semblables que possible à celles qu’ils remplissaient dans le poste précédent.

63 L’appelant est muté à un poste de directeur d’école, mutation qu’il considère contraire au Règlement 309, R.R.O. 1990 (le «Règlement 309»), pris en vertu de la Loi sur l’éducation de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. E.2. Voici les passages pertinents de l’art. 7 du Règlement 309:

[traduction]

7. -- (1) Pour l’application du présent article, le terme «excédentaire», en ce qui concerne le poste d’un agent de supervision, signifie que ce poste n’a plus besoin d’être pourvu pour l’une des raisons suivantes:

a) la mise en œuvre par le conseil d’un plan de réorganisation à long terme du fonctionnement des écoles ou des services de supervision, qui a pour effet d’éliminer ce poste ou de le fusionner avec un autre;

. . .

(2) Si le conseil déclare que le poste d’un agent de supervision est excédentaire, il prend les mesures suivantes:

a) il avise, par écrit, l’agent de supervision, au moins trois mois à l’avance, que le poste qu’il occupe a été déclaré excédentaire;

b) il mute l’agent de supervision à un poste pour lequel celui‑ci possède les qualités requises et qui comprend des tâches administratives et de supervision aussi semblables que possible à celles qu’il remplissait dans le poste précédent;

c) il rémunère l’agent de supervision pendant au moins un an après la date de la mutation, sans réduction de traitement.

64 L’appelant intente une poursuite contre le Conseil, les conseillers individuellement et le directeur de l’éducation. Les intimés demandent le rejet de l’action en invoquant le par. 7(1) de la Loi, qui est rédigé ainsi:

Nulle action, poursuite ou autre instance n’est recevable contre quiconque pour un acte accompli dans l’exercice ou en vue de l’exercice d’une fonction ou d’un pouvoir prévus par la loi ou d’ordre public, ou pour cause de négligence ou de manquement dans l’exercice de cette fonction ou de ce pouvoir, si elle n’est pas introduite dans les six mois suivant immédiatement le moment où la cause d’action a pris naissance ou, dans le cas où le préjudice s’est poursuivi pendant une certaine période, dans les six mois de la cessation du préjudice.

Le juge des requêtes refuse de rejeter l’action intentée contre le Conseil, concluant que le délai spécial de prescription n’est pas applicable. Toutefois, il radie, pour d’autres motifs, l’action visant les défendeurs individuellement: (1993), 16 O.R. (3d) 278. La Cour d’appel accueille l’appel du Conseil et statue que la Loi s’applique. Comme l’appelant n’a pas intenté son action dans les six mois de l’acte reproché, la Cour d’appel rejette l’action: [1997] O.J. No. 125 (QL).

I. L’objet et l’interprétation de la Loi

65 Les organismes publics exercent de nombreuses activités commerciales et contractuelles dans le cadre desquelles il est fréquemment impossible de les distinguer des entreprises privées. En effet, un gouvernement peut agir comme employeur, commerçant, locateur, dépositaire ou transporteur public, et les actes qu’il accomplit en ces diverses capacités peuvent faire naître une variété de causes d’action privées. Dans ce contexte, il paraît inutile, voire injuste, d’accorder aux organismes publics une protection spéciale contre les poursuites privées. Pourtant, c’est précisément l’objet de certaines mesures législatives au Canada, notamment le par. 7(1) de la Loi ontarienne en cause.

66 La sagesse et la nécessité du délai de prescription prévu au par. 7(1) sont peut‑être discutables, mais cette disposition n’en demeure pas moins une loi de l’Ontario qui doit être appliquée à toute action que le législateur a entendu inclure dans les catégories énumérées dans ce texte. La province d’Ontario a choisi d’établir une distinction entre les droits qu’a un demandeur contre un organisme public et ceux qu’il aurait contre une organisation privée, malgré le fait que les activités exercées et les préjudices subis puissent être les mêmes.

67 Ce texte de loi est impopulaire et peut engendrer des résultats injustes. Dès 1969, la Commission de réforme du droit de l’Ontario recommandait son abrogation. (Voir le document de la Commission de réforme du droit de l’Ontario intitulé Report of the Ontario Law Reform Commission on Limitation of Actions (1969)). Ces efforts ont été vains. Tant que la Loi existe, les tribunaux sont tenus de l’appliquer. Il est évident que son application a engendré et continuera d’engendrer des distinctions inopportunes, au bien-fondé douteux. Si le législateur désire continuer d’accorder une certaine protection aux autorités publiques, il devrait clarifier le droit pour éviter les interprétations difficiles auxquelles donne lieu le texte de loi dans sa forme actuelle.

68 L’objet de ce type de loi établissant un délai de prescription a été résumé comme suit dans l’arrêt Bradford Corp. c. Myers, [1916] 1 A.C. 242 (H.L.), par lord Shaw of Dunfermline, à la p. 260: elle [traduction] «permet l’établissement d’un budget périodique plus certain, elle empêche qu’une génération de contribuables se voit refiler les obligations contractées par une autre et elle assure la stabilité de la comptabilité municipale et locale».

69 Un autre objet apparent est le désir de soustraire les administrations nouvellement élues aux poursuites découlant des actes de l’administration précédente. Le paragraphe 7(1) de la Loi est le moyen retenu pour atteindre cet objectif. Cette disposition permet aux organismes publics de se considérer à l’abri des poursuites après six mois, délai de prescription plus court que le délai habituel de six ans applicable en cas de rupture de contrat entre parties privées.

70 Comme la disposition de la Loi qui établit le délai de prescription limite le droit de demander réparation pour les actes des organismes publics, les tribunaux ont pris soin de l’appliquer strictement. Bien que le par. 7(1) soit censé s’appliquer à «quiconque pour un acte accompli dans l’exercice ou en vue de l’exercice d’une fonction ou d’un pouvoir prévus par la loi ou d’ordre public» (je souligne), des mesures législatives analogues ont été interprétées comme ne s’appliquant qu’aux organismes publics et non aux personnes privées agissant en vertu d’un mandat public. Voir l’arrêt Myers, précité, à la p. 247.

71 Les tribunaux ont en outre restreint le champ d’application du texte de loi en interprétant quels sont les types d’actes susceptibles d’être «accompli[s] dans l’exercice ou en vue de l’exercice d’une fonction ou d’un pouvoir prévus par la loi ou d’ordre public». Selon son libellé, cette disposition a une large portée et pourrait vraisemblablement englober tout acte accompli par une autorité publique, pourvu que cet acte ressortisse aux pouvoirs dont celle‑ci est dûment investie. Cependant, le champ d’application du texte de loi a été restreint aux actes accomplis directement dans l’exécution de la mission publique de l’autorité concernée. On considère que les actes «accessoires» à cette mission ne bénéficient pas de la protection du texte de loi et sont donc assujettis au délai de prescription ordinaire.

72 Comme on peut le deviner, il faut délimiter avec soin les actes qui sont «directement» liés à l’exercice des fonctions d’une autorité publique et ceux qui y sont «accessoires». Dans certains cas, l’acte reproché est à ce point étranger à la mission de l’autorité publique qu’il n’est pas nécessaire d’établir la distinction avec grande précision. Ce n’est toutefois pas le cas en l’espèce.

II. Mesure «directe» ou «accessoire»?

73 Il s’agit essentiellement de déterminer si la décision du Conseil de déclarer excédentaire un poste de surintendant était un acte accompli directement dans l’exécution de sa mission publique.

74 Le point de départ de l’analyse est le fait incontesté que la réduction de l’effectif est clairement un acte de nature publique. L’appelant l’a à juste titre reconnu, et je ne vois pas comment on pourrait le nier. La fonction première d’un conseil scolaire est de pourvoir à la prestation de services éducatifs de manière efficace et économique. La décision du gouvernement ontarien de réorganiser les fonctions du Conseil en réduisant le nombre d’écoles relevant de son autorité ainsi que la décision subséquente du Conseil de réduire son personnel de supervision sont clairement des décisions qui tendent directement à la réalisation de cet objectif.

75 L’appelant a tenté d’établir une distinction entre la réduction de l’effectif en général et l’abolition de son poste en particulier. On a plaidé que, comme l’appelant ne conteste pas la décision de nature publique de réduire le nombre de surintendants du Conseil, il ne conteste pas un acte de nature publique du Conseil scolaire. Il soutient que la réduction de l’effectif a un aspect privé et que c’est cet aspect qui le touche personnellement en sa qualité d’employé, c’est‑à‑dire la décision portant qu’il serait un de ceux dont le poste serait aboli.

76 Je conviens que l’acte de réduction de l’effectif peut revêtir à la fois un aspect public et un aspect privé et que la poursuite de l’appelant découle d’un aspect privé. Toutefois, c’est le cas de la plupart des actions intentées contre des autorités publiques. Pour se voir reconnaître qualité pour agir, un demandeur doit établir qu’il a subi un certain préjudice touchant ses intérêts personnels. Dans Griffiths c. Smith, [1941] A.C. 170 (H.L.), lord Wright a bien exposé ce principe, aux pp. 192 et 193:

[traduction] Monsieur Clothier [pour la partie demanderesse] a cependant fait valoir [. . .] qu’il ne s’agissait pas d’un manquement dans l’exécution d’une fonction ou d’un pouvoir de nature publique, mais simplement d’un manquement à un devoir de nature privée envers une personne privée, [. . .] découlant d’un acte privé, savoir l’invitation à visiter l’exposition. Toutefois, s’il était fondé, cet argument s’appliquerait à presque toutes, sinon toutes les affaires où la Public Authorities Protection Act est invoquée dans les faits. Dans ces affaires, le demandeur est une personne privée qui intente une action pour le préjudice qui lui a été infligé à titre personnel. Bien que, à cet égard, le préjudice revête un caractère privé, la question est de savoir s’il a été infligé par la partie défenderesse dans l’exercice ou en vue de l’exercice d’une fonction ou d’un pouvoir d’ordre public. [Je souligne.]

77 Le fait qu’un acte de nature publique comporte un aspect privé ne le soustrait pas à l’application du par. 7(1) de la Loi. Cette disposition interdit que soit intentée, après l’expiration d’un délai de six mois, toute action visant «un acte accompli dans l’exercice ou en vue de l’exercice d’une fonction ou d’un pouvoir prévus par la loi ou d’ordre public» (je souligne). Rien ne justifie d’établir une exception à l’égard des poursuites fondées sur les «aspects privés» d’un acte accompli dans l’exercice de fonctions d’ordre public. Voir l’arrêt Berardinelli c. Ontario Housing Corp., [1979] 1 R.C.S. 275, le juge Estey, à la p. 284:

Cette interprétation de l’art. 11 [maintenant l’art. 7] a pour effet de séparer en deux catégories les actes que l’intimée peut accomplir en exécution de ses pouvoirs et devoirs en vertu [. . .] de sa loi constitutive; il s’agit d’une part des actes à caractère public ou de nature essentiellement publique et d’autre part d’une catégorie d’activités, dont celles de gestion, qui sont plus de nature interne ou courante et où le caractère privé prédomine. [Je souligne; en italique dans l’original.]

78 La raison pour laquelle il convient de mettre l’accent sur l’acte de l’autorité publique plutôt que sur l’aspect de l’acte visé par les poursuites est évidente. La Loi a pour objet de permettre aux autorités publiques d’établir leurs budgets et de planifier leurs activités en tenant pour acquis qu’aucune poursuite ne sera intentée contre elles plus de six mois après qu’un acte a été accompli dans l’exercice d’une fonction ou d’un pouvoir d’ordre public. Si la Loi ne s’appliquait qu’aux «aspects publics» d’un tel acte, une poursuite fondée sur les droits personnels du plaideur pourrait toujours être intentée plusieurs années plus tard. La Loi serait alors sans effet, car elle ne permettrait pas la réalisation de son objet manifeste, qui est d’éliminer rapidement les possibilités de poursuites fondées sur des actes accomplis par des autorités publiques directement dans l’exercice d’un pouvoir ou d’une fonction d’ordre public.

79 Le juge Binnie décrit bien cette analyse aux par. 35 à 39 de ses motifs. De façon générale, je n’ai rien à redire en ce qui concerne le résumé qu’il fait du test à ces paragraphes. Toutefois, je ne suis pas d’accord avec son application de ce test en l’espèce.

80 Le juge Binnie conclut que la décision d’«abolir le poste» de l’appelant et de le muter à d’autres fonctions constituait en fait un acte distinct de la décision de supprimer un poste de surintendant en général. Bien que la décision de réduire l’effectif comme telle a été prise directement dans l’exercice d’une fonction ou d’un pouvoir d’ordre public, les mesures particulières de mise en œuvre de cette décision sont, selon le juge Binnie, « accessoires ou incidentes» à cette fonction d’ordre public.

81 Je ne suis pas d’accord. Il n’existe pas de distinction significative entre l’action de réduire l’effectif et l’action d’«abolir le poste» d’une personne en particulier. L’action n’existe qu’à partir du moment où son objet est déterminé. Le Conseil ne peut réduire l’effectif dans l’abstrait. Le Conseil a procédé à l’abolition de certains postes de surintendant et à la mutation de leurs titulaires à de nouvelles fonctions à l’occasion de sa réunion du 27 avril 1992. La résolution no 104 déclarait excédentaires deux postes sans préciser lesquels, alors que la résolution no 105 indiquait que l’appelant et un collègue étaient mutés à d’autres postes. Compte tenu de son libellé, la résolution no 104 n’aurait pu avoir aucun effet sans la résolution no 105, qui précisait l’identité des personnes dont les postes étaient déclarés excédentaires. Les deux résolutions ont accompli dans les faits l’acte contesté par l’appelant, savoir sa mutation de son ancien poste, désormais aboli, à de nouvelles fonctions qu’il considère insatisfaisantes.

82 À mon avis, la distinction proposée par le juge Binnie aurait pour effet de permettre que tout acte, même s’il s’agit clairement d’un acte de nature publique, puisse être décomposé en une série d’éléments et que l’aspect de l’activité qui touche le demandeur soit qualifié de mesure de «mise en œuvre interne» ou de fonction «tout à fait mineure». Par exemple, dans l’affaire Griffiths, précitée, une mère qui visitait l’exposition des travaux scolaires de son enfant s’est blessée lorsque le plancher de la pièce où elle se trouvait a cédé. Le vicomte Maugham de la Chambre des lords a conclu, à la p. 187, que la tenue d’une telle exposition faisait partie des activités inhérentes au fonctionnement d’une école et constituait, par conséquent, [traduction] «un acte accompli directement dans l’exécution d’une fonction publique, soit celle de veiller au bon fonctionnement de l’école». Suivant l’analyse proposée par le juge Binnie, il serait possible de distinguer entre l’acte général qui consiste à organiser une exposition, acte de nature publique, et l’acte précis qui consiste à tenir cette exposition dans un immeuble, à un étage supérieur dont la charpente n’est pas suffisamment solide, lequel acte peut être qualifié de simple mesure de mise en œuvre d’ordre privé, de question de logistique et d’administration immobilière.

83 L’argument voulant qu’une mesure particulière de mise en œuvre d’un acte public doive être considérée comme un acte distinct «de nature privée» échappant à l’application du délai de prescription plus court a, selon moi, été rejeté dans les motifs de lord Porter dans l’affaire Griffiths, précitée, à la p. 207:

[traduction] Toutefois, supposons que les appelants, [. . .] les administrateurs [de l’école] n’étaient aucunement tenus d’exercer leurs fonctions comme ils ont choisi de le faire — qu’il n’existait aucune obligation d’organiser une exposition ou d’inviter les parents à la visiter. Encore une fois, je crois que ce n’est pas pertinent. Comme l’a dit le lord juge Scrutton dans Edwards c. Metropolitan Water Board [[1922] 1 K.B. 291, à la p. 306]: «Le fait que la fonction aurait pu être exercée d’une autre manière est également sans importance» [. . .] Si cet argument était fondé, la Public Authorities Protection Act aurait peu d’utilité, car j’imagine que, dans la plupart des cas, il y a au moins deux façons de s’acquitter d’une fonction, et on pourrait prétendre que la solution de rechange à la solution choisie aurait pu être retenue.

Par conséquent, l’observation du juge Binnie (au par. 58) selon laquelle l’infortune de l’appelant n’était pas «la conséquence inévitable de la décision de réduire l’effectif» n’est pas pertinente. Le fait que le Conseil aurait pu agir de telle sorte que «personne n’aurait eu de raison de se plaindre sur le plan juridique» (par. 56) ne change rien au fait que l’acte en cause a été accompli directement dans l’exercice d’un pouvoir d’ordre public. En conséquence, je ne crois pas que le fait que le Conseil scolaire ait choisi d’abolir le poste de l’appelant plutôt que celui d’un collègue enlève à l’acte de réduction de l’effectif sa nature publique.

84 Je ne suis pas non plus d’accord avec l’affirmation du juge Binnie (aux par. 52 et 58) que des «problèmes courants de gestion et de relations de travail» sont nettement de nature «privée». L’arrêt Berardinelli, précité, n’étaye certes pas cette affirmation. Il était question, dans cette affaire, d’une poursuite intentée par un piéton qui avait fait une chute sur de la glace ou de la neige en passant sur les terrains d’un ensemble résidentiel public. Il y a une grande différence entre l’enlèvement de la neige et la «gestion et les relations de travail», activités qui peuvent donner lieu à un large éventail de mesures gouvernementales. Plus particulièrement, s’il est possible d’affirmer qu’une réduction de l’effectif est un simple problème «courant», il est difficile de voir pourquoi on ne pourrait qualifier de la sorte les grèves, puisqu’il s’agit d’une situation à laquelle la plupart des employeurs du secteur public et du secteur privé doivent faire face. Peut‑on vraiment qualifier d’acte de nature «privée» l’adoption d’une loi de retour au travail pour mettre fin à une grève d’employés de l’État? Si oui, il ne reste pas grand-chose de la disposition établissant le délai de prescription.

85 Enfin, je ne crois pas que la présente espèce soulève de problème de «double délai de prescription». Dans ses motifs dans l’arrêt Berardinelli, précité, à la p. 280, le juge Estey souligne qu’un tel problème ne se présente que dans un contexte très précis:

L’imposition de cette prescription à cette classe spéciale aurait pour effet direct de créer deux catégories de logements: les logements exploités par des personnes mandatées par la Loi et protégées par la prescription de six mois et les logements exploités par des personnes sans pouvoirs conférés par la loi et à l’égard desquelles la prescription générale s’appliquerait. Bien évidemment, les membres du public dont les droits sont directement atteints par la distinction ne pourront voir de différence entre les deux sortes de complexes d’habitation. [Je souligne.]

Le problème du double délai de prescription se pose lorsqu’un plaideur privé ne pouvait pas prévoir que ses droits vis‑à‑vis de l’autorité publique en cause seraient différents de ceux dont il jouirait vis‑à‑vis d’une organisation privée par ailleurs identique. À la p. 284, le juge Estey insiste à nouveau sur le facteur de la similarité, affirmant que l’application d’un délai de prescription plus court «créerait deux situations distinctes en matière de responsabilité du propriétaire pour deux logements apparemment semblables» (je souligne).

86 À l’opposé, il n’existe en l’espèce aucun risque qu’un employé d’une école publique ait pu, par inadvertance, supposer que les droits liés à son emploi étaient identiques à ceux d’un employé d’une école privée. Les relations de travail au sein du système public d’enseignement font l’objet d’une réglementation détaillée, qui diffère considérablement des conditions applicables dans le secteur privé. La différence entre le fait de travailler au sein du système public d’enseignement et celui de travailler au sein du système privé d’enseignement est beaucoup plus grande que celle qui existe entre le fait de chuter sur la neige devant un immeuble public ou devant un immeuble privé. Il ne s’agit donc pas, en l’occurrence, d’une affaire où l’application du texte de loi en cause «créerait deux situations distinctes» en matière de responsabilité de l’employeur pour deux emplois «apparemment semblables».

87 Le juge Binnie justifie l’application parcimonieuse de la Loi parce qu’elle s’appliquerait «pour des motifs qui ne semblent pas correspondre à quelque besoin légitime d’accorder une protection plus grande aux autorités publiques en raison de leur mission spéciale et de leur vulnérabilité particulière, facteurs qui les distinguent des organisations privées» (par. 40). Avec égards, le fait d’être en désaccord avec les principes qui sous-tendent la loi ne justifie pas de lui donner une interprétation plus stricte que celle que permettent son libellé et la jurisprudence. À mon avis, rien dans la jurisprudence ne permet de qualifier l’ensemble des activités complexes et à saveur politique qui se rattachent aux «relations du travail» d’activités «accessoires ou incidentes» aux pouvoirs d’une autorité publique. Si telle est réellement l’intention du législateur ontarien, il est libre de modifier ou d’abroger la loi en question.

III. Y a-t-il lieu de se poser d’autres questions?

88 Comme je l’ai dit plus tôt, je suis de façon générale d’accord avec la manière dont le juge Binnie a formulé le test aux par. 35 à 39 de ses motifs, test qui trouve son expression dans le quatrième volet de l’approche qu’il recommande (par. 50). Toutefois, il propose deux critères additionnels qui appellent quelques brefs commentaires.

89 Le juge Binnie demande tout d’abord si le «pouvoir ou la fonction d’origine législative» qui est invoqué par l’autorité publique a un caractère public ou privé. Cette analyse est expliquée aux par. 22 à 26 de ses motifs et correspond au troisième volet de l’approche qu’il recommande. Pour expliquer ce critère, il réfère (au par. 22) à l’affirmation du lord chancelier Buckmaster dans l’arrêt Myers, précité, selon laquelle ce ne sont pas tous les actes intra vires d’une administration publique qui sont protégés par le texte de loi, et à la distinction que fait le juge Estey dans Berardinelli, précité, entre les activités qui ont «une connotation ou un aspect public» et celles qui ont une «connotation d’administration ou de gestion privée ou qui sont par leur nature même accessoires» (p. 283).

90 J’ai de la difficulté à saisir en quoi cette analyse diffère de l’analyse du caractère «accessoire ou incident» dont traite le juge Binnie aux par. 35 à 39. Si le pouvoir ou la fonction de l’organisme public, qui n’est rien d’autre que la source du pouvoir fondant l’acte reproché, se situe à l’extrémité du continuum où se trouvent les activités «d’ordre public», l’activité est alors directement liée au rôle public de l’autorité concernée. Par contre, si le pouvoir de l’autorité publique a un caractère davantage «privé», tel le pouvoir qu’avait la société gazière de disposer des sous‑produits du coke dans l’arrêt Myers, précité, l’activité résultant de l’exercice de ce pouvoir sera a fortiori «accessoire ou incidente» aux fonctions de l’autorité publique. De même, dans l’arrêt Berardinelli, précité, dans son analyse des «activités administratives à caractère courant et plus matériel» (p. 285), le juge Estey ne traite pas le pouvoir de l’autorité publique d’exécuter ces fonctions différemment de l’exécution concrète de l’acte reproché. Par conséquent, je ne crois pas que le troisième volet de l’approche recommandée par le juge Binnie ajoute quoi que ce soit au quatrième volet.

91 Le deuxième critère, plus nuancé celui‑là, est exprimé aux par. 27 à 34 des motifs du juge Binnie ainsi qu’au cinquième volet de l’«approche recommandée» par celui‑ci. Pour que s’applique la disposition établissant le délai de prescription, affirme‑t‑il, le demandeur doit alléguer dans son action que l’autorité publique a manqué envers lui à une fonction qui peut être qualifiée de «publique». Suivant cette interprétation, la disposition établissant le délai de prescription ne s’applique pas, sauf si l’action repose sur une fonction qui incombe à l’autorité publique envers le public en général plutôt qu’envers le demandeur individuellement.

92 Il est important, à ce stade‑ci, de faire la distinction entre deux usages du mot «fonction». Une fonction d’une autorité publique, au sens où ce mot est utilisé dans l’expression «un acte accompli dans l’exercice ou en vue de l’exercice d’une fonction ou d’un pouvoir prévus par la loi ou d’ordre public» (je souligne) qui figure dans la loi, est assimilable à la mission de cette autorité, aux choses que cette dernière peut et doit faire pour s’acquitter de son rôle. Pour l’application de la disposition établissant le délai de prescription, cette fonction se rattache au pouvoir d’une «autorité publique»: elle motive et justifie la prise de mesures particulières par l’autorité publique. Lorsque le mot «fonction» est utilisé dans ce sens, la «fonction» exercée par l’autorité publique doit être de nature publique pour que s’applique la disposition établissant le délai de prescription. Comme je l’ai dit précédemment, cela revient à dire que l’acte en cause de l’autorité publique (accompli conformément au pouvoir ou à la fonction d’ordre public) doit avoir été fait directement en vue de la réalisation de sa mission.

93 Toutefois, le second sens de «fonction» correspond au devoir qui incombe à l’autorité publique envers un demandeur. Le demandeur qui prend action contre une autorité publique reproche à celle‑ci d’avoir manqué à un devoir et de lui avoir causé un préjudice ouvrant droit à action en justice. Si je comprends bien, le juge Binnie conclut que ce devoir doit également être de nature «publique»: en d’autres mots, la cause d’action invoquée par le demandeur ne peut reposer sur des rapports «privés» qui n’existent pas entre l’autorité publique concernée et le public en général.

94 Je ne crois pas que ce critère basé sur le fondement de l’action soit compatible avec les énoncés antérieurs de l’état du droit. Tout d’abord, il exclut tous les recours contractuels de la protection de la loi. Le demandeur qui fonde son droit d’action sur un contrat invoque nécessairement un manquement à une obligation qui n’existe qu’envers lui seulement et non envers le public en général. Les droits contractuels sont toujours fondés sur un marché privé, peu importe la mesure dans laquelle ce marché se rapporte «directement» à l’exécution par l’autorité publique de sa mission. Je ne peux pas imaginer comment une poursuite pour rupture de contrat pourrait satisfaire au critère proposé par le juge Binnie. Pourtant, comme il le reconnaît lui‑même, l’exclusion systématique des recours contractuels de la protection du texte de loi est depuis longtemps rejetée. Voir les motifs du juge Binnie au par. 13; Myers, précité, à la p. 246 (lord chancelier Buckmaster), et à la p. 264 (lord Shaw of Dunfermline).

95 Le critère basé sur le fondement de l’action que propose le juge Binnie a également pour effet d’exclure la plupart des recours délictuels. Une action intentée à la suite de blessures corporelles ou de dommages matériels repose généralement sur le devoir qu’a une personne de ne pas agir de manière négligente à l’égard de tous les demandeurs prévisibles ou, dans de rares cas, sur celui de ne pas causer intentionnellement un préjudice à autrui. Il ne s’agit pas de devoirs «publics»; ces devoirs s’appliquent à toutes personnes, publiques ou privées. Ils ne sont pas particuliers aux organismes publics et ils ne découlent pas de leurs missions publiques. Néanmoins, dans certaines décisions, on a appliqué le délai de prescription prévu par la Loi à des recours délictuels reprochant de la négligence ayant entraîné des blessures corporelles. Je ne peux pas imaginer comment, dans Griffiths, précité, le devoir qui incombait à l’école de ne pas causer par sa négligence des blessures à des invités pourrait être qualifié de «public».

96 De même, bien que dans Berardinelli, précité, notre Cour n’ait pas appliqué la disposition établissant le délai de prescription, elle n’a d’aucune façon suggéré qu’un demandeur privé pourrait être soustrait à l’application du texte de loi si son action n’est pas fondée sur un devoir envers le public en général. S’il s’agissait là d’un énoncé correct du droit, l’affaire Berardinelli aurait pu être tranchée sur le fondement de ce motif plus simple, ce qui aurait permis d’éviter l’analyse du caractère «accessoire ou incident» de l’acte reproché.

97 Il existe une différence importante entre, d’une part, l’idée exprimée par le juge Binnie selon laquelle l’action elle‑même doit alléguer un manquement à une fonction d’ordre public et, d’autre part, la proposition, formulée dans la jurisprudence canadienne et la jurisprudence anglaise, que l’action doit être fondée sur un acte qui est en «corrélation» avec un pouvoir ou une fonction d’ordre public. Ce dernier concept, exact à mon avis, est tout simplement une autre façon de dire que, pour que s’applique le délai de prescription, l’acte reproché doit résulter directement, et non pas accessoirement, de l’exécution d’un pouvoir ou d’une mission d’ordre public.

98 Toutes les décisions anglaises relatives à la loi analogue du Royaume-Uni (Public Authorities Protection Act, 1893 (R.-U.), 56 & 57 Vict., ch. 61) s’attachent exclusivement à la question de savoir si l’acte reproché a été accompli directement dans l’exercice d’une fonction ou d’un pouvoir prévus par la loi. Dans l’affaire Sharpington c. Fulham Guardians, [1904] 2 Ch. 449, où une action avait été intentée contre une autorité publique sur le fondement d’un contrat de construction, le tribunal a conclu que l’acte reproché avait un caractère privé. Le délai spécial de prescription ne s’appliquait pas parce que l’action en justice découlait d’un acte (l’omission de payer une somme d’argent) qui était simplement accessoire à la fonction publique de Fulham Guardians qui était de venir en aide aux enfants pauvres.

99 Le fait qu’il s’agit là de la bonne interprétation de l’arrêt Sharpington ressort clairement des jugements qui suivent cette décision. Dans Myers, on s’est attaché précisément à la question de savoir si [traduction] «l’acte découle de l’exécution directe d’une loi, de l’accomplissement d’un devoir public ou de l’exercice d’un pouvoir public» (p. 247, lord chancelier Buckmaster). L’analyse que fait, dans cette affaire, lord Shaw of Dunfermline de la «corrélation» entre les droits et les obligations n’est qu’un moyen permettant de déterminer si le comportement en litige découlait soit de l’exercice d’un pouvoir ou d’une fonction d’ordre public, soit d’un marché privé. La dernière question posée par lord Shaw dans l’arrêt Myers (à la p. 264) est la suivante:

[traduction] [D]e quelle nature était le devoir de la personne morale: s’agissait‑il d’un devoir d’ordre public ou d’un devoir d’ordre privé envers un individu donné, suivant l’explication qui a déjà été donnée de ces concepts? Dans le premier cas, la Loi s’applique, alors que dans le second, elle ne s’applique pas. [Je souligne.]

Cette question porte sur le devoir qui incombe à l’autorité publique aux termes de son mandat, sur la fonction qu’elle exerçait lorsqu’elle a accompli l’acte reproché. Si lord Shaw voulait, dans les faits, imposer un critère basé sur le fondement de l’action qui soit plus restrictif, cette idée n’a pas été acceptée par ses collègues. Les autres opinions dans l’arrêt Myers s’attachent clairement à la nature de l’acte de l’autorité, et non à celle de l’action du demandeur. Voir Myers, précité, à la p. 247 (motifs du lord chancelier Buckmaster, auxquels a souscrit lord Dunedin); à la p. 252 (vicomte Haldane); et à la p. 260 (lord Atkinson).

100 Par conséquent, lorsque l’application du par. 7(1) de la Loi est en litige, je crois que la seule question qu’il convient de se poser est celle formulée par le juge Estey dans l’arrêt Berardinelli: l’acte reproché a‑t‑il un caractère public ou est‑il accessoire ou incident à l’exécution de la mission publique de l’autorité concernée? Toute autre question additionnelle relativement à la nature publique du pouvoir conféré par la loi ou à la corrélation de l’action du demandeur est, à mon avis, injustifiée et inutile.

IV. La qualité du demandeur

101 L’appelant a plaidé que, pour que s’applique le délai de prescription plus court, le demandeur doit être un «membre de la collectivité» servie par l’autorité publique concernée. La Loi ne limite pas son application aux poursuites intentées par les personnes faisant partie du «public» servi par l’autorité publique. À mon avis, l’idée que la capacité de l’autorité publique d’invoquer la prescription en défense dépende de l’identité du demandeur n’est pas pratique et ne trouve pas d’appui dans la jurisprudence.

102 L’effet de la condition préconisée par l’appelant est que, dans les cas où une autorité publique agit directement dans l’exécution de sa mission publique, le par. 7(1) de la Loi ne la protège que si le demandeur fait partie du public qu’elle sert. Dans le cas contraire, un délai de prescription plus long s’appliquerait.

103 Un tel régime serait susceptible de produire des résultats étranges. Par exemple, si une régie municipale des eaux expropriait un terrain appartenant à une personne habitant la municipalité et desservie par la régie, le propriétaire n’aurait que six mois pour prendre action, puisqu’il fait partie du «public» visé ou de la «collectivité» servie par l’autorité publique. Par contre, le voisin d’une telle personne, qui réside à l’extérieur de la municipalité et ne profite pas des services de l’autorité publique, disposerait d’un délai beaucoup plus long pour ester en justice.

104 Cette distinction n’est pas étayée par la jurisprudence. Dans Sharpington, précité, le juge Farwell a souligné (à la p. 456) l’existence d’une fonction de nature publique en faveur des [traduction] «enfants et peut‑être [du] public qui pourrait subir un préjudice du fait que des enfants errent dans les rues» (je souligne). Il a ajouté que l’action de l’entrepreneur n’était pas prescrite, car il ne s’agissait pas [traduction] «d’une plainte présentée par un certain nombre d’enfants ou par un citoyen relativement à la fonction d’ordre public» (je souligne). Manifestement, M. Sharpington était un membre du public et le délai de prescription se serait appliqué à son cas si la poursuite avait découlé d’un acte accompli directement dans l’exercice du pouvoir d’ordre public confié à Fulham Guardians.

105 De même, dans Griffiths, précité, à la p. 178, il a été jugé que les seules questions qui devaient être tranchées pour statuer sur l’applicabilité de la disposition établissant le délai de prescription étaient les suivantes:

[traduction] Premièrement, les administrateurs [de l’école] constituent‑ils une autorité publique? Deuxièmement, la négligence ou le manquement dont ils sont responsables à la lumière de la preuve découle‑t‑il de l’exécution des fonctions ou des pouvoirs qui leurs sont confiés par la loi?

La question de savoir si le père ou la mère qui assiste à une exposition dans une école est ou non un membre du public au bénéfice duquel cette école a été créée n’a pas été jugée pertinente. Comme c’est au bénéfice des étudiants qui la fréquentent qu’une école s’acquitte de sa fonction publique, la demanderesse dans Griffiths ne satisfaisait pas à ce critère. Néanmoins, la Chambre des lords a conclu à l’application du délai de prescription en cause.

106 Les décisions canadiennes qui suivent ces précédents anglais ne font pas état de la qualité du demandeur en tant que membre du «public» visé. Les motifs du juge Rand dans McGonegal c. Gray, [1952] 2 R.C.S. 274, mettent l’accent uniquement sur [traduction] «l’acte à l’origine de la blessure» (p. 290). Dans cette affaire, un écolier s’était blessé après qu’une institutrice lui ait demandé d’allumer un réchaud pour préparer de la soupe. Relativement à la question factuelle de savoir si l’institutrice faisait réchauffer la soupe pour elle‑même ou pour les écoliers, notre Cour s’est partagée, quatre juges contre trois. Ce fait était jugé pertinent parce qu’il permettait de qualifier l’acte de l’institutrice: l’enseignante qui accomplit des tâches qui ne sont pas au bénéfice des étudiants accomplit [traduction] «un acte de nature privée, en vertu d’un pouvoir de nature privée» (p. 290). Ayant conclu que l’institutrice entendait préparer de la soupe pour elle‑même et non pour les étudiants, la majorité de notre Cour a statué qu’elle n’avait pas agi dans l’exercice d’un pouvoir d’ordre public. Dans McGonegal, les juges étaient unanimement d’avis que, si l’institutrice avait préparé de la soupe principalement pour les écoliers et non pour elle‑même, son acte aurait alors été accompli dans l’exercice d’un pouvoir d’ordre public et aurait justifié l’application du délai de prescription plus court. Voir McGonegal, aux pp. 284 (le juge Kerwin), 290 (le juge Rand), 295 (le juge Estey) et 298 (le juge Locke).

107 Rien dans l’arrêt McGonegal ne tend à indiquer que l’identité du demandeur ait eu quelque incidence sur l’application du délai de prescription. Si l’institutrice avait préparé de la soupe pour les écoliers, l’acte aurait été qualifié de public et le délai de prescription plus court se serait appliqué, peu importe que la personne chargée d’allumer le réchaud ait été un écolier, un préposé à l’entretien, un autre instituteur ou encore un pur inconnu. Comme je l’ai mentionné plus tôt, il serait étrange que l’action intentée par un écolier blessé à cause de la négligence de son instituteur soit prescrite et que celle intentée par un étranger ne le soit pas.

108 De même, dans l’arrêt Berardinelli, précité, le juge Estey n’a fait aucune mention de l’appartenance du demandeur au groupe de personnes au bénéfice desquelles la société ontarienne d’habitation a été créée. Quoique la Cour d’appel de l’Ontario ait fait observer que [traduction] «[l]’appelant [était] un membre du public au profit duquel le pouvoir en question [devait] être exercé», ce point n’a pas été retenu par notre Cour. Dans l’affaire Moffatt c. Dufferin County Board of Education, [1972] 1 O.R. 351 (C.A.), le fait que le demandeur était un étudiant de l’école n’a pas été mentionné du tout dans l’analyse de la Loi.

109 Je reconnais que, au Canada, certains tribunaux ont interprété différemment l’arrêt Sharpington et les décisions qui l’ont suivi, concluant qu’ils établissaient une règle stricte selon laquelle le demandeur est automatiquement soustrait à l’application du délai de prescription s’il ne fait pas partie [traduction] «du public au profit duquel le pouvoir public est censé être exercé» (voir Comstock International Ltd. c. The Queen in right of Ontario (1981), 126 D.L.R. (3d) 323 (C. div. Ont.), à la p. 326). Cette opinion a été formulée pour la première fois dans Clarke c. Ottawa Board of Education (1975), 54 D.L.R. (3d) 321 (C. cté Ont.), où le juge Smith a fait remarquer que tant l’affaire Sharpington que celle dont il était saisi portaient sur une poursuite intentée par [traduction] «une personne privée qui ne profitait pas et n’était pas censée profiter des avantages découlant de l’accomplissement par le conseil de sa mission» (p. 327). Comme je l’ai indiqué précédemment, je me demande si cette affirmation est factuellement exacte, étant donné que M. Sharpington faisait clairement partie du public qui, pour reprendre les termes du juge Farwell, [traduction] «pourrait subir un préjudice du fait que des enfants errent dans les rues» (p. 456). Toutefois, même en supposant le contraire, je n’y vois pas autre chose qu’une ressemblance intéressante entre les faits des deux affaires; ce facteur n’a certainement pas joué un rôle essentiel dans la décision du tribunal dans l’affaire Sharpington.

110 Je ne considère pas que, dans ses motifs, le juge Binnie accepte l’argument de l’appelant selon lequel un demandeur doit appartenir au public visé pour que s’applique le délai de prescription. Même si le juge Binnie fait état de cas où des demandeurs ont satisfait à ce critère (par. 23, 26 et 28), ce critère ne se retrouve pas dans l’approche qu’il recommande en bout de ligne. Par conséquent, notre Cour le rejette à l’unanimité.

V. Les «affaires touchant des enseignants»

111 Je ne souscris pas aux conclusions du juge Binnie concernant les décisions que l’on a appelées les «affaires touchant des enseignants» et dans lesquelles on a jugé que les mesures prises par les conseils scolaires en matière d’emploi sont des actes «de nature publique» qui emportent l’application du délai de prescription plus court prévu au par. 7(1). On prétend que ces décisions dérogent à l’analyse faite dans les arrêts McGonegal et Berardinelli, puisqu’on y a jugé que tout acte intra vires de l’autorité publique est automatiquement visé par le par. 7(1).

112 Dans Lacarte c. Board of Education of Toronto, [1954] O.R. 435 (C.A.), le juge Aylesworth a examiné (à la p. 452) la jurisprudence anglaise pertinente, notamment les affaires Myers et Griffiths, et il a cité des extraits de Firestone Tire and Rubber Co. (S.S.) Ld. c. Singapore Harbour Board, [1952] A.C. 452 (C.P.), aux pp. 464 et 465, indiquant que les actes d’une autorité publique ne sont pas tous nécessairement visés par la disposition établissant le délai de prescription:

[traduction] Il est essentiel, pour que s’applique la protection prévue par la loi, que l’action ou l’omission en cause résulte de l’exécution d’une fonction de nature publique ou de l’exercice d’un pouvoir public. Cela suppose donc que certaines fonctions et certains pouvoirs ne sont pas de nature publique. (Voir les motifs de lord Buckmaster dans l’arrêt Bradford Corporation, [1916] 1 A.C. 242, à la p. 247.) . . .

Leurs seigneuries considèrent que l’extrait suivant des propos tenus par le vicomte Maugham (expressément approuvés par le vicomte Simon) dans l’arrêt Griffiths est des plus utiles pour trancher le présent cas: «Il suffit de démontrer qu’un acte a essentiellement été accompli dans l’exercice, au bénéfice du public, d’un pouvoir conféré à l’autorité publique, et non simplement d’un pouvoir accessoire, comme celui d’exploiter un commerce». Le terme «accessoire» est utilisé en l’espèce au sens de «subsidiaire». [En italique dans l’original.]

Le juge Aylesworth conclut (à la p. 454) que, [traduction] «en mettant fin à l’emploi de l’appelante, l’intimé a non seulement agi dans l’exercice d’un pouvoir d’ordre public qui lui avait été conféré, mais il a dans les faits agi dans l’exécution de sa fonction d’ordre public». Cette conclusion est compatible avec les arrêts McGonegal et Berardinelli.

113 De même, la décision rendue dans l’affaire Re Gallant et Conseil des écoles séparées catholiques romaines du district de Sudbury (1985), 56 O.R. (2d) 151 (C.A.), s’appuie sur la conclusion que l’acceptation de la démission de l’enseignante était un acte accompli dans l’exercice ou en vue de l’exercice d’une fonction ou d’un pouvoir prévus par la loi ou d’ordre public. Je ne suis pas d’accord avec l’opinion selon laquelle le juge Lacourcière «réduit virtuellement l’analyse à la seule question de l’intra vires» (le juge Binnie, au par. 48). Le juge Lacourcière est clairement arrivé à la conclusion (à la p. 155) que c’était l’acte de l’autorité publique, et non le simple fait qu’il s’agissait d’une autorité publique, qui avait déclenché l’application du délai de prescription:

Disons en premier lieu que le conseil scolaire, en acceptant la démission de l’appelante, agissant de bonne foi et dans l’intérêt du conseil et de l’école en question, est une personne qui agit en conformité ou en exécution d’un devoir conféré par la loi ou d’un autre devoir public et par conséquent, a droit à la protection qui est accordée à une telle personne. [Je souligne.]

Bien que le raisonnement du juge Lacourcière soit succinct, l’application de la disposition établissant le délai de prescription repose clairement sur une conclusion concernant l’acte en cause de l’autorité publique, et non pas seulement sur la conclusion que l’autorité publique avait agi dans les limites de ses pouvoirs.

114 Le juge Binnie exprime son désaccord (au par. 48) avec «[l]’idée énoncée dans l’arrêt Gallant», savoir que le délai de prescription s’appliquait parce que le conseil scolaire avait agi «en conformité ou en exécution d’un devoir conféré par la loi ou d’un autre devoir public». Cette «idée», toutefois, ne fait que reproduire directement un passage de la traduction française du texte de loi qui était en litige dans l’arrêt Berardinelli de notre Cour (le juge Estey, à la p. 278): «Aucune action, poursuite ou autre procédure n’est recevable ou ne peut être intentée contre une personne pour un acte fait en conformité ou en exécution d’un devoir ou pouvoir conféré par la loi . . .» (je souligne). Il ressort clairement de cette traduction que le juge Lacourcière ne cherchait pas à donner une nouvelle interprétation de la règle de droit comme le suggèrent les motifs du juge Binnie, mais qu’il confirmait simplement la conclusion de fait du juge de première instance que l’acte reproché tombait sous le coup du texte de loi.

115 Cette interprétation est compatible avec la décision qu’a rendue la formation de la Cour d’appel (dont faisait partie le juge Lacourcière) dans Berardinelli, et qui a été résumée ainsi par le juge Estey (à la p. 279):

[La Cour d’appel] a jugé à l’unanimité que même si l’intimée est en droit mandataire de Sa Majesté, certains de ses devoirs et pouvoirs sont de telle nature que la Société ne peut invoquer [la disposition établissant le délai spécial de prescription] à leur égard. En conséquence, la Cour d’appel a analysé ce qu’on a appelé le deuxième point litigieux, savoir si [traduction] «la négligence ou l’omission en cause a été commise dans l’exécution d’un devoir ou d’un pouvoir conféré par la loi ou d’un autre devoir ou pouvoir public ».

Ce résumé indique que la Cour d’appel s’est posé la bonne question dans l’affaire Berardinelli. De fait, dans leurs motifs dans cette affaire, les juges de la majorité de notre Cour n’ont pas désapprouvé l’analyse suivie par la Cour d’appel. Leur désaccord a plutôt porté sur l’application de cette analyse, savoir l’établissement de la distinction entre les activités d’ordre public d’une autorité publique et ses activités d’ordre privé.

116 La Cour d’appel de l’Ontario n’a pas jugé qu’une autorité publique qui agit dans les limites de ses pouvoirs jouit invariablement de la protection de la Loi. Au contraire, dans ses décisions, elle s’attache plutôt à déterminer si l’acte reproché, quoique intra vires, a néanmoins pu ne pas avoir été accompli directement dans l’exercice d’une fonction ou d’un pouvoir d’ordre public. Les décisions des tribunaux inférieurs citées par le juge Binnie (au par. 45) vont dans le même sens.

117 Il n’est pas nécessaire d’invoquer les «affaires touchant des enseignants» pour conclure que l’«abolition du poste» de l’appelant par le Conseil constituait en l’espèce un acte de nature publique assujetti au délai de prescription plus court. À mon avis, les faits de la présente affaire commandent encore plus clairement cette conclusion que ne le ferait, par exemple, la décision de congédier un enseignant, car l’abolition du poste de l’appelant est survenue à la suite d’une importante réorganisation du Conseil scolaire et elle était autorisée par un règlement précis. Je n’exprime aucune opinion sur la justesse des décisions rendues dans les «affaires touchant des enseignants». Je souligne seulement qu’elles ne dérogent pas à la jurisprudence et qu’il ne faut pas faire abstraction à la légère de leur valeur persuasive.

VI. Les autres questions en litige

118 Puisque j’écarte l’interprétation du par. 7(1) de la Loi préconisée par l’appelant, il me faut examiner deux autres prétentions. Premièrement, l’appelant affirme que l’intimé ne peut invoquer la prescription puisque ce dernier a agi de mauvaise foi en déclarant son poste excédentaire et en le mutant à ses nouvelles fonctions. Deuxièmement, il fait valoir que sa mutation -- selon lui contraire au Règlement 309 -- constitue un «préjudice qui se poursuit», de telle sorte que le délai de prescription n’a pas encore expiré.

119 En ce qui concerne les allégations de mauvaise foi, je suis d’accord avec la décision du juge de première instance et celle de la Cour d’appel à cet égard: le simple fait d’affirmer qu’il y a eu mauvaise foi et d’invoquer des faits non pertinents ne suffit pas pour étayer une telle allégation. Les faits invoqués portent sur d’autres questions que la réduction de l’effectif en litige ou montrent seulement que l’intimé a manqué au devoir qui lui incombe en vertu du Règlement 309. La violation d’un règlement ne permet pas à elle seule de conclure à la mauvaise foi.

120 Je rejette aussi l’argument de l’appelant que sa mutation à un nouveau poste constitue un «préjudice qui se poursuit», lui permettant d’intenter une action à tout moment jusqu’à ce qu’un poste convenable lui soit attribué conformément au Règlement 309. Le préjudice allégué découle de la décision d’abolir son poste de surintendant et de le muter à un nouveau poste. Ces mesures sont survenues à un moment précis, c’est‑à‑dire lorsque le Conseil a adopté ses résolutions le 27 avril 1992. La conséquence la plus tardive qui puisse être imputée à ces mesures date du 29 mai 1992, lorsque l’appelant a reçu l’avis de mutation. Même en faisant courir le délai de prescription à partir de cette date, l’action de l’appelant (déposée le 22 décembre 1992) n’a pas été intentée dans le délai plus court de prescription de six mois.

VII. Le dispositif

121 Je rejetterais le pourvoi avec dépens.

Pourvoi accueilli avec dépens, le juge Major est dissident.

Procureurs de l’appelant: Nelligan Power, Ottawa.

Procureurs des intimés: Genest Murray DesBrisay Lamek, Toronto.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Prescription - Autorités publiques -- Conseil scolaire - Poste de surintendant déclaré excédentaire par le Conseil scolaire et mutation de l’employé à un poste ne comportant pas de tâches de supervision - Action intentée par le surintendant huit mois après les événements ayant donné naissance à la cause d’action - Est‑ce que le délai de prescription de six mois prévu par l’art. 7 de la Loi sur l’immunité des personnes exerçant des attributions d’ordre public s’applique et rend l’action irrecevable? -- Loi sur l’immunité des personnes exerçant des attributions d’ordre public, L.R.O. 1990, ch. P.38, art. 7.

Le conseil scolaire intimé a déclaré excédentaires deux de ses trois postes de surintendants en vertu de l’art. 7 du Règlement 309 pris en application de la Loi sur l’éducation, et l’appelant, un surintendant, a été muté à un poste de directeur d’école. Il a cessé d’être administrateur à temps plein et a dû retourner en salle de classe pour enseigner. Près de huit mois après les événements ayant donné naissance à sa cause d’action, il a pris action, revendiquant les droits prévus au par. 7(2) du Règlement 309. Le Conseil a présenté une requête en rejet d’action, invoquant le délai de prescription de six mois prévu par l’art. 7 de la Loi sur l’immunité des personnes exerçant des attributions d’ordre public. Cette requête a été rejetée par le juge qui en était saisi, mais la Cour d’appel a infirmé cette décision, concluant que l’action était prescrite par l’effet du délai de prescription de six mois.

Arrêt (le juge Major est dissident): Le pourvoi est accueilli.

Les juges L’Heureux-Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Binnie: L’article 7 de la Loi sur l’immunité des personnes exerçant des attributions d’ordre public ne protège pas les autorités publiques sur le fondement de leur qualité, et les actions d’une autorité publique ne bénéficient pas toutes de la protection de l’art. 7. Pour que l’art. 7 s’applique, il doit y avoir corrélation entre le droit invoqué par le demandeur et une fonction ou un pouvoir d’ordre public de l’autorité concernée. Les autorités publiques peuvent avoir d’autres fonctions et pouvoirs qui sont de nature privée ou accessoire. Le tribunal appelé à déterminer s’il doit appliquer ou non l’art. 7 doit s’interroger sur l’action en cause et sur sa corrélation avec la nature du pouvoir ou de la fonction confié par la loi à l’autorité publique. Une loi peut autoriser un large éventail d’activités, dont seulement quelques‑unes pourraient être considérées d’ordre public pour l’application de l’art. 7. Un acte accompli dans l’exécution d’un mandat confié par la loi et qui n’a pas de caractère public ou qui a un caractère accessoire, incident ou privé n’est pas protégé par l’art. 7 de la Loi.

Le tribunal appelé à se prononcer sur l’application du délai de prescription prévu par l’art. 7 de la Loi ou par une disposition analogue pourrait se poser les questions suivantes: La partie défenderesse est‑elle une autorité publique appartenant à la catégorie des personnes physiques ou entités visées par la protection accordée par le délai de prescription? Que faisait l’autorité publique, et dans l’exercice de quel pouvoir ou de quelle fonction? Est‑ce que le pouvoir ou la fonction de l’autorité publique peut à juste titre être considéré comme ayant une connotation ou un aspect public ou comme ayant une connotation d’administration ou de gestion privée ou comme étant de par sa nature même accessoire? Est‑ce que l’activité de l’autorité publique qui fait l’objet de la plainte est de nature essentiellement publique ou plus de nature interne ou courante et où le caractère privé prédomine? Du point de vue du demandeur, est‑ce que son action ou de droit qu’il invoque peut être corrélé avec l’exercice par la partie défenderesse d’un pouvoir d’ordre public, se rapporte à un manquement à une fonction d’ordre public ou reproche une activité à caractère public. Si la réponse à cette dernière question est affirmative, le délai de prescription s’applique.

En l’espèce, la réorganisation du Conseil constituait une mesure publique. L’exécution efficace d’un programme d’éducation est une responsabilité qui incombe au Conseil envers le public en général. Toutefois, le préjudice dont l’appelant se plaint a été causé par la mise en œuvre par le Conseil de sa réorganisation, et l’action de l’appelant contre le Conseil en tant qu’employeur ne soulève que des problèmes de relations de travail. L’acte du Conseil sur lequel l’action de l’appelant est fondée était distinct de l’exercice par le Conseil de ses fonctions et pouvoirs d’ordre public, et était accessoire ou incident à ces pouvoirs et fonctions. Le Conseil ne devrait pas être autorisé à regrouper plusieurs actes distincts pour lancer un appel général à l’intérêt public afin d’élargir le champ d’application de l’art. 7 de la Loi. L’action du Conseil n’était pas la conséquence inévitable de la réduction de l’effectif. Le délai de prescription de six mois ne s’applique pas. L’ordonnance du juge des requêtes déclarant inapplicable l’art. 7 de la Loi est rétablie, de sorte que l’action peut suivre son cours contre le Conseil.

Le juge Major (dissident): L’acte du Conseil en l’espèce a été accompli directement dans l’exercice de son pouvoir d’ordre public et il est assujetti à l’art. 7 de la Loi sur l’immunité des personnes exerçant des attributions d’ordre public. L’action de l’appelant n’a pas été intentée dans le délai de prescription de six mois imparti et ne devrait pas être autorisée à suivre son cours.

La Loi doit être appliquée à toute action que la législature a entendu inclure dans les catégories qui y sont énumérées. Le champ d’application du texte de loi a été restreint aux actes accomplis directement dans l’exécution de la mission publique de l’autorité concernée. Il faut éliminer avec soin les actes qui sont directement liés à l’exécution des pouvoirs et fonctions d’une autorité publique et ceux qui y sont accessoires. La décision de déclarer excédentaire le poste de l’appelant et de le muter constituait un acte accompli directement dans l’exécution de la mission publique du Conseil. L’acte de réduction de l’effectif peut revêtir à la fois un aspect public et un aspect privé, mais l’aspect privé ne le prive pas de la protection accordée par l’art. 7 de la Loi. Rien ne justifie d’établir une exception à l’égard des poursuites fondées sur les aspects privés d’un acte accompli directement dans l’exercice de fonctions d’ordre public.

L’accent porte sur l’acte dont se plaint l’appelant. Il n’existe pas de distinction significative entre l’action de réduire l’effectif et l’action d’abolir le poste de l’appelant en particulier. Une telle distinction aurait pour effet de permettre que tout acte à caractère public puisse être décomposé en une série d’éléments, dont certains pourraient être qualifiés mesures de mise en œuvre interne ou de fonctions tout à fait mineures. Le fait que le Conseil scolaire ait aboli le poste de l’appelant plutôt que celui d’un collègue n’enlève pas à l’acte de réduction de l’effectif sa nature publique. La capacité de l’autorité publique d’invoquer l’art. 7 de la Loi ne dépend pas de l’identité du demandeur.


Parties
Demandeurs : Des Champs
Défendeurs : Conseil des écoles séparées catholiques de langue française de Prescott-Russell

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Binnie
Arrêts appliqués: Berardinelli c. Ontario Housing Corp., [1979] 1 R.C.S. 275, inf. 75 D.L.R. (3d) 348, conf. 71 D.L.R. (3d) 56
Bradford Corp. c. Myers, [1916] 1 A.C. 242
arrêts suivis: Cloudfoam Ltd. c. Toronto Harbour Commission, [1968] 2 O.R. 497, conf. par [1969] 2 O.R. 194
Sharpington c. Fulham Guardians, [1904] 2 Ch. 449
arrêts non suivis: Re Gallant et Conseil des écoles séparées catholiques romaines du district de Sudbury (1985), 56 O.R. (2d) 151
Lacarte c. Board of Education of Toronto, [1954] O.R. 435
Riddle c. University of Victoria (1979), 95 D.L.R. (3d) 193
Moffatt c. Dufferin County Board of Education, [1973] 1 O.R. 351
Stewart c. Lincoln County Board of Education (1972), 8 O.R. (2d) 168
Goodwin c. Oxford County Board of Education (1980), 30 O.R. (2d) 359
Wright c. Board of Education for the City of Hamilton (1977), 16 O.R. (2d) 828
Cossette c. Ombudsman (1980), 28 O.R. (2d) 92
arrêt expliqué: Griffiths c. Smith, [1941] A.C. 170
arrêts mentionnés: Tolson c. Kaye (1822), 3 Brod. & B. 217, 129 E.R. 1267
Deaville c. Boegeman (1984), 14 D.L.R. (4th) 81
Re Colledge and Niagara Regional Police Commission (1983), 44 O.R. (2d) 289
Clarke c. Ottawa Board of Education (1975), 54 D.L.R. (3d) 321
Re Beauchamp and Town of Espanola (1981), 122 D.L.R. (3d) 149, conf. par (1981), 128 D.L.R. (3d) 766
Collier c. Lake Superior Board of Education (1986), 14 C.C.E.L. 183
Molloy c. Ontario (Human Rights Commission) (1992), 41 C.C.E.L. 101
McGonegal c. Gray, [1952] 2 R.C.S. 274
Firestone Tire and Rubber Co. (S.S.) Ld. c. Singapore Harbour Board, [1952] A.C. 452
Government of Malaysia c. Lee Hock Ning, [1974] A.C. 76
Comstock International Ltd. c. The Queen in right of Ontario (1981), 126 D.L.R. (3d) 323
Clarke c. St. Helens Borough Council (1915), 85 L.J. (K.B.) 17
Hanna c. Ontario Hydro (1982), 37 O.R. (2d) 783
Schnurr c. Royal Ottawa Hospital (1986), 56 O.R. (2d) 589
Compton c. Council of the County Borough of West Ham, [1939] Ch. 771
McManus c. Bowes, [1938] 1 K.B. 98.
Citée par le juge Major (dissident)
Bradford Corp. c. Myers, [1916] 1 A.C. 242
Griffiths c. Smith, [1941] A.C. 170
Berardinelli c. Ontario Housing Corp., [1979] 1 R.C.S. 275
Sharpington c. Fulham Guardians, [1904] 2 Ch. 449
McGonegal c. Gray, [1952] 2 R.C.S. 274
Moffatt c. Dufferin County Board of Education, [1973] 1 O.R. 351
Comstock International Ltd. c. The Queen in right of Ontario (1981), 126 D.L.R. (3d) 323
Clarke c. Ottawa Board of Education (1975), 54 D.L.R. (3d) 321
Lacarte c. Board of Education of Toronto, [1954] O.R. 435
Firestone Tire and Rubber Co. (S.S.) Ld. c. Singapore Harbour Board, [1952] A.C. 452
Re Gallant et Conseil des écoles séparées catholiques romaines du district de Sudbury (1985), 56 O.R. (2d) 151.
Lois et règlements cités
Loi sur l’éducation, L.R.O. 1990, ch. E.2.
Loi sur l’immunité des personnes exerçant des attributions d’ordre public, L.R.O. 1990, ch. P.38, art. 7.
Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11.
Public Authorities Protection Act, 1893 (R.-U.), 56 & 57 Vict., ch. 61.
R.R.O. 1990, Règl. 309, art. 7.
Doctrine citée
Commission de réforme du droit de l’Ontario. Report of the Ontario Law Reform Commission on Limitation of Actions. Toronto: Ministère du Procureur général, 1969.

Proposition de citation de la décision: Des Champs c. Conseil des écoles séparées catholiques de langue française de Prescott-Russell, [1999] 3 R.C.S. 281 (17 septembre 1999)


Origine de la décision
Date de la décision : 17/09/1999
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1999] 3 R.C.S. 281 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1999-09-17;.1999..3.r.c.s..281 ?
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