La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/12/1998 | CANADA | N°[1998]_3_R.C.S._579

Canada | R. c. Warsing, [1998] 3 R.C.S. 579 (17 décembre 1998)


R. c. Warsing, [1998] 3 R.C.S. 579

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Kristian Lee Warsing Intimé

Répertorié: R. c. Warsing

No du greffe: 26303.

1998: 19 juin; 1998: 17 décembre.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1997), 97 B.C.A.C. 137, 157 W.A.C. 137, 119 C.C.C. (3d) 385, 11 C.R. (5th) 383, [1997]

B.C.J. No 2239 (QL), qui a accueilli l’appel formé par l’accusé contre ses déclarations de culpabilité pour meurtre au p...

R. c. Warsing, [1998] 3 R.C.S. 579

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Kristian Lee Warsing Intimé

Répertorié: R. c. Warsing

No du greffe: 26303.

1998: 19 juin; 1998: 17 décembre.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1997), 97 B.C.A.C. 137, 157 W.A.C. 137, 119 C.C.C. (3d) 385, 11 C.R. (5th) 383, [1997] B.C.J. No 2239 (QL), qui a accueilli l’appel formé par l’accusé contre ses déclarations de culpabilité pour meurtre au premier degré et pour tentative de meurtre et ordonné la tenue d’un nouveau procès limité à la question de la capacité mentale de l’accusé au moment des infractions. Pourvoi rejeté et nouveau procès complet ordonné, les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier et McLachlin sont dissidents en partie et le juge en chef Lamer et le juge Bastarache sont dissidents.

William F. Ehrcke, c.r., et W. J. Scott Bell, pour l’appelante.

Manuel A. Azevedo et Albert C. Peeling, pour l’intimé.

Version française des motifs rendus par

//Le Juge en chef et le juge Bastarache//

1 Le Juge en chef et le juge Bastarache (dissidents) -- Nous sommes d’accord avec le juge Major pour dire que la Cour d’appel a exercé correctement son pouvoir discrétionnaire en admettant la nouvelle preuve.

2 Une fois la preuve admise, il faut décider si la Cour d’appel a compétence pour ordonner un nouveau procès afin d’établir si l’accusé devrait être déclaré non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux, ou si sa compétence se limite à confirmer la déclaration de culpabilité ou à y substituer un verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux.

3 Les pouvoirs de la Cour d’appel sont énoncés à l’art. 686 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, dont voici les dispositions pertinentes:

686. (1) Lors de l’audition d’un appel d’une déclaration de culpabilité ou d’un verdict d’inaptitude à subir son procès ou de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, la cour d’appel:

a) peut admettre l’appel, si elle est d’avis, selon le cas:

. . .

(iii) que, pour un motif quelconque, il y a eu erreur judiciaire;

. . .

d) peut écarter une déclaration de culpabilité et déclarer l’appelant inapte à subir son procès ou non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux et peut exercer les pouvoirs d’un tribunal de première instance que l’article 672.45 accorde à celui‑ci ou auxquels il fait renvoi, de la façon qu’elle juge indiquée dans les circonstances.

(2) Lorsqu’une cour d’appel admet un appel en vertu de l’alinéa (1)a), elle annule la condamnation et, selon le cas:

a) ordonne l’inscription d’un jugement ou verdict d’acquittement;

b) ordonne un nouveau procès.

. . .

(8) Lorsqu’une cour d’appel exerce des pouvoirs conférés par le paragraphe (2), (4), (6) ou (7), elle peut en outre rendre toute ordonnance que la justice exige.

4 L’alinéa 686(1)d) mentionne expressément la question de la maladie mentale. Il crée une obligation pour la Cour d’appel d’exercer ses pouvoirs d’écarter une déclaration de culpabilité et de déclarer l’accusé inapte à subir son procès ou non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux, le cas échéant. Cet article ne confère aucun pouvoir discrétionnaire d’ordonner un nouveau procès. Les pouvoirs qu’il accorde obligent une cour d’appel à tenir une audience en vue de prendre une décision. Lors de cette audience, la cour d’appel siège comme juge des faits et décide de la question des troubles mentaux. Elle ne peut pas ordonner que des questions soient renvoyées au tribunal de première instance.

5 L’appelante allègue que, lorsqu’une question de maladie mentale est soulevée pour la première fois en appel, la Cour d’appel peut agir soit en vertu de l’al. 686(1)d) pour écarter la déclaration de culpabilité et déclarer l’accusé non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux, soit en vertu du sous‑al. 686(1)a)(iii) (conjointement avec le par. 686(2)b)) pour ordonner un nouveau procès parce qu’il y a eu erreur judiciaire. L’appelante soutient qu’en adoptant l’al. 686(1)d) le législateur n’a pas éliminé la compétence du tribunal pour agir en vertu du sous-al. 686(1)a)(iii).

6 Les règles d’interprétation applicables dans les présentes circonstances n’étayent pas le point de vue de l’appelante. L’interprétation de la mesure législative dans son contexte permet aux tribunaux d’inférer les motifs pour lesquels le législateur a inclus une disposition ou un détail particuliers. Lorsqu’ils font ces inférences, les tribunaux prêtent une attention spéciale à l’économie de la mesure législative. Comme R. Sullivan le souligne dans Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994), aux pp. 56 et 248:

[traduction] Les inférences portant sur l’objet visé découlent souvent de l’analyse de la structure ou de l’économie d’une loi. En procédant à cette analyse, le tribunal retrace, en fait, la démarche du rédacteur de la loi, en examinant la relation entre les dispositions pour deviner le plan d’ensemble. Il tente de découvrir la raison de l’inclusion de chaque disposition et la contribution de chacune d’elles à la réalisation des objectifs du législateur. Il regarde comment les dispositions sont groupées en rubriques ou divisées en parties pour découvrir un thème ou un raisonnement communs.

. . .

Dans son analyse de l’économie d’une loi, le tribunal tente de découvrir de quelle façon les dispositions ou les parties de la loi interagissent pour mettre à exécution un plan plausible et cohérent. Il examine ensuite comment la disposition à interpréter peut se comprendre eu égard à ce plan.

7 Le juge Greschuk décrit le raisonnement du tribunal dans Melnychuk c. Heard (1963), 45 W.W.R. 257 (C.S. Alb.), à la p. 263:

[traduction] Le tribunal doit tenir compte non pas uniquement d’un seul article, mais de tous les articles d’une loi, y compris la relation d’un article avec les autres, la relation d’un article avec l’objet général que vise la loi en cause, l’importance de l’article, la portée entière de la loi et l’intention véritable de l’autorité qui l’a adoptée.

Le recours à ce type d’analyse pour déterminer l’objet visé est également illustré dans Gould c. Yukon Order of Pioneers, [1996] 1 R.C.S. 571; R. c. Chartrand, [1994] 2 R.C.S. 864; Renvoi relatif à la taxe sur les produits et services, [1992] 2 R.C.S. 445; R. c. Deruelle, [1992] 2 R.C.S. 663; Thomson c. Canada (Sous-ministre de l’Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385; Waldick c. Malcolm, [1991] 2 R.C.S. 456; Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, aux pp. 130 à 134; Canadian Imperial Bank of Commerce c. 64576 Manitoba Ltd., [1990] 5 W.W.R. 419 (B.R. Man.), conf. par [1991] 2 W.W.R. 323 (C.A. Man.); Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653; Rawluk c. Rawluk, [1990] 1 R.C.S. 70, aux pp. 90, 97 et 98; R. c. Thompson, [1990] 2 R.C.S. 1111, aux pp. 1160, 1163 et 1164, le juge La Forest, dissident; Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 1 R.C.S. 1722, aux pp. 1740 et 1741, ainsi que 1752 et 1756.

8 Notre point de vue sur la bonne façon d’interpréter l’al. 686(1)d) et le sous‑al. 686(1)a)(iii) est compatible avec les motifs de notre Cour dans l’arrêt R. c. Mailloux, [1988] 2 R.C.S. 1029, à la p. 1040:

Quel était donc l’objet du par. 1016(4) [remplacé par l’al. 686(1)d)]? En cherchant la réponse à cette question, il ne faut pas perdre de vue le fait qu’un nouveau procès ne pouvait être déclenché en vertu des dispositions générales de l’art. 1014 [remplacé par l’al. 686(1)a)] que s’il y avait eu, en première instance, une erreur de droit, des conclusions déraisonnables ou un déni de justice en ce qui concernait la question de l’aliénation mentale. Pour cela, il fallait absolument que la question de l’aliénation mentale ait été soulevée au procès. À mon avis, le par. 1016(4) visait à permettre à une cour d’appel d’accorder à l’accusé un certain redressement, pour incomplet qu’il fût, dans les cas où la question de l’aliénation mentale avait été soulevée pour la première fois en appel.

9 L’application du sous-al. 686(1)a)(iii) comporte une évaluation de la preuve soumise au juge du procès, afin de décider s’il y a eu erreur judiciaire. Toutefois, la Cour d’appel ne peut pas conclure à l’existence d’une erreur judiciaire à partir d’une nouvelle preuve dont le premier juge des faits ne disposait pas.

10 Ainsi, lorsque la question de la maladie mentale est soulevée pour la première fois en appel au moyen d’une nouvelle preuve, la Cour d’appel ne peut pas ordonner un nouveau procès en se fondant sur l’al. 686(1)a). L’alinéa 686(1)d) régit de façon exclusive la compétence de la Cour d’appel dans des circonstances comme celles de la présente affaire.

11 Par conséquent, l’admission d’une nouvelle preuve, en l’espèce, commande l’application de l’al. d), qui oblige la Cour d’appel à exercer les mêmes pouvoirs que le tribunal de première instance et à trancher la question litigieuse de la maladie mentale. Dans la présente affaire, la Cour d’appel a ordonné un nouveau procès limité à la question de l’aliénation mentale. Elle l’a fait sans avoir la compétence légale pour le faire. Nous accueillerions donc le pourvoi et nous annulerions cette décision et renverrions l’affaire devant la Cour d’appel pour qu’elle la tranche conformément à l’al. 686(1)d).

12 Nous tenons à ajouter, en passant, que si la Cour d’appel avait eu compétence pour ordonner la tenue d’un nouveau procès, nous serions alors entièrement d’accord avec le juge Major, auteur des motifs de la majorité, pour dire que le nouveau procès n’aurait pas pu être limité à la question de la non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux.

Version française des motifs des juges L’Heureux-Dubé, Gonthier et McLachlin rendus par

//Le juge L’Heureux-Dubé//

13 Le juge L’Heureux-Dubé (dissidente en partie) -- Le présent pourvoi porte sur l’admission par la Cour d’appel d’une opinion psychiatrique à titre de nouvelle preuve, permettant à l’intimé de soulever pour la première fois la défense de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux («NRCTM»). Il porte aussi sur la compétence de la Cour d’appel, compte tenu de cette nouvelle preuve, d’ordonner un nouveau procès limité à la question de la NRCTM de l’intimé au moment de la perpétration des infractions.

14 J’ai pris connaissance des motifs du juge Major ainsi que de ceux du Juge en chef et du juge Bastarache. Je souscris, pour l’essentiel, aux motifs du juge Major concernant l’admission de la nouvelle preuve et la compétence de la Cour d’appel, vu cette nouvelle preuve, d’ordonner un nouveau procès. Cependant, pour des motifs analogues à ceux que j’ai exposés dans l’arrêt R. c. Thomas, [1998] 3 R.C.S. 535, rendu simultanément, je ne suis pas d’accord avec la conclusion du juge Major que la Cour d’appel n’avait pas le pouvoir d’ordonner un nouveau procès limité à la question de la capacité mentale de l’accusé.

15 Avant d’aborder cette dernière question, je tiens à ajouter certains commentaires en ce qui concerne l’admission d’une nouvelle preuve en appel.

I. Nouvelles questions soulevées en appel

16 Règle générale, les cours d’appel ne permettent pas qu’une question soit soulevée pour la première fois en appel. J’ai souligné, en dissidence, dans R. c. Brown, [1993] 2 R.C.S. 918, à la p. 923, que la raison de la rigueur de cette règle est de deux ordres: «premièrement, le préjudice qu’entraîne pour l’autre partie l’impossibilité de répondre et de présenter de preuve au procès et, deuxièmement, l’absence d’un dossier suffisant pour pouvoir tirer les conclusions de fait requises pour trancher adéquatement la nouvelle question». (Voir également Perka c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232, R. c. R. (R.) (1994), 91 C.C.C. (3d) 193 (C.A. Ont.), R. c. Trabulsey (1995), 97 C.C.C. (3d) 147 (C.A. Ont.).) J’ai également exposé, dans l’arrêt Brown, précité, aux pp. 923 et 924, la raison qui sous‑tend l’interdiction générale d’instruire en appel des questions non soulevées en première instance:

. . . de façon générale, l’interdiction de présenter de nouveaux arguments en appel vient étayer l’intérêt supérieur qu’a la société à ce que les litiges en matière criminelle soient tranchés de façon définitive. S’il n’y avait pas de limites aux questions qui peuvent être soulevées en appel, ce caractère définitif deviendrait illusoire. Le ministère public et la défense seraient plongés dans l’incertitude si les avocats des deux parties, ayant découvert que la stratégie adoptée au procès n’a pas entraîné le verdict souhaité ou escompté, concevaient de nouvelles façons de procéder. Les coûts augmenteraient et le règlement des affaires criminelles pourrait prendre plusieurs années dans les cas les plus courants. De plus, cela aurait pour effet de miner l’attente qu’a la société à ce que les affaires criminelles se règlent équitablement et complètement en première instance, ainsi que le respect qu’elle a pour l’administration de la justice. Les jurés auraient raison de ne pas être certains d’avoir rempli une fonction sociale importante ou d’avoir simplement perdu leur temps. Pour ces raisons, les tribunaux ont toujours observé scrupuleusement la règle interdisant le recours à ces tactiques.

Voir également R. c. Vidulich (1989), 37 B.C.L.R. (2d) 391 (C.A.), aux pp. 398 et 399.

17 En outre, cette règle reconnaît l’importante responsabilité qu’ont les avocats de la défense de prendre des décisions qui sont dans le meilleur intérêt de leur client et d’avancer tous les arguments appropriés pendant le procès. Les avocats ont, eux aussi, la responsabilité d’assurer le caractère définitif de l’instance.

18 Toutefois, la règle générale qui interdit la présentation de nouvelles questions en appel n’est pas absolue. Il existe un certain nombre d’exceptions, dont l’une est l’admission d’une nouvelle preuve en appel. Le pouvoir d’admettre une nouvelle preuve en appel est conféré par l’al. 683(1)d) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46:

683. (1) Aux fins d’un appel prévu par la présente partie, la cour d’appel peut, lorsqu’elle l’estime dans l’intérêt de la justice:

. . .

d) recevoir la déposition, si elle a été offerte, de tout témoin, y compris l’appelant, qui est habile à témoigner mais non contraignable;

19 L’arrêt Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759, a établi le cadre d’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Le juge McIntyre a précisé, au nom de la Cour, que le souci primordial d’une cour d’appel dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’admettre une nouvelle preuve doit être «l’intérêt de la justice» et il a formulé les critères suivants, à la p. 775:

(1) On ne devrait généralement pas admettre une [preuve] qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès, à condition de ne pas appliquer ce principe général de manière aussi stricte dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles: voir McMartin c. La Reine.

(2) La [preuve] doit être pertinente, en ce sens qu’elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès.

(3) La [preuve] doit être plausible, en ce sens qu’on puisse raisonnablement y ajouter foi, et

(4) elle doit être telle que si l’on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu’avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat.

20 Comme l’indique le premier critère énoncé par le juge McIntyre, l’obligation de diligence raisonnable ne s’applique pas de manière aussi stricte dans les affaires criminelles, étant donné que la liberté du sujet est habituellement en jeu. Comme le juge Major le souligne, notre Cour a reconnu qu’en matière criminelle l’absence de diligence raisonnable n’est pas toujours fatale et doit être évaluée en fonction du poids des autres critères et de l’intérêt de la justice (McMartin c. The Queen, [1964] R.C.S. 484, R. c. McAnespie, [1993] 4 R.C.S. 501, et R. c. Price, [1993] 3 R.C.S. 633).

21 L’intérêt de la justice doit tenir compte du traitement spécial que notre système de justice criminelle réserve à la défense de NRCTM. Comme l’a fait observer le juge Major, le traitement spécial de la défense de NRCTM découle du principe de justice fondamentale selon lequel une personne qui était «aliénée» au moment de l’infraction ne devrait pas être déclarée coupable d’un crime (R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933; voir également l’art. 16 du Code criminel). Le caractère particulier de la défense de NRCTM ressort également du pouvoir, accordé aux cours d’appel par l’al. 686(1)d) du Code criminel, d’écarter une déclaration de culpabilité et d’imposer une conclusion de NRCTM, ce qui permet, en fait, d’invoquer ce moyen de défense pour la première fois en appel. Conformément à l’arrêt Swain, précité, la common law permet aussi d’invoquer la défense de NRCTM après que le juge des faits a conclu que l’accusé a accompli l’acte coupable, mais avant l’inscription de la déclaration de culpabilité. Ainsi, l’état mental d’un accusé au moment de l’infraction a toujours été d’une importance primordiale dans notre système de justice criminelle.

22 Je partage l’opinion du juge Major que tous les critères de l’arrêt Palmer applicables à l’admission d’une nouvelle preuve ont été respectés en l’espèce, sauf celui de la diligence raisonnable. Par conséquent, bien que l’obligation de diligence raisonnable du test de l’arrêt Palmer n’ait pas été remplie, je suis d’accord avec le juge en chef McEachern de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, au nom de la majorité, pour dire que [traduction] «la règle exigeant la diligence raisonnable, la pratique interdisant de soulever de nouveaux moyens de défense en appel et la nécessité du caractère définitif du procès doivent tous, dans des circonstances aussi exceptionnelles, céder le pas au principe selon lequel une personne incapable de former une intention criminelle ne devrait pas être déclarée coupable» ((1997), 97 B.C.A.C. 137, au par. 72). Dans les circonstances particulières de la présente affaire, l’intimé devrait être autorisé à invoquer pour la première fois en appel la défense de NRCTM et, par conséquent, je suis d’accord avec la conclusion du juge Major que c’est à juste titre que la Cour d’appel a admis la preuve psychiatrique.

23 Cela nous amène à la question de la réparation appropriée lorsqu’un nouvel élément de preuve est admis en appel.

II. La réparation

24 Le pouvoir d’une cour d’appel d’admettre un nouvel élément de preuve est conféré par l’al. 683(1)d) du Code criminel. Cependant, l’art. 683 ne précise pas la réparation appropriée en pareil cas. Les cours d’appel ont souvent ordonné la tenue de nouveaux procès en matière criminelle lorsqu’elles admettaient de nouveaux éléments de preuve sans toutefois faire référence à un article particulier du Code criminel (voir McMartin, précité, et R. c. Stolar, [1988] 1 R.C.S. 480). La compétence pour ordonner la tenue d’un nouveau procès lorsqu’un nouvel élément de preuve est présenté découle, à mon avis, des pouvoirs généraux conférés aux cours d’appel par l’art. 686 et, en particulier, par l’al. 686(1)a). Les dispositions pertinentes se lisent ainsi:

686. (1) Lors de l’audition d’un appel d’une déclaration de culpabilité ou d’un verdict d’inaptitude à subir son procès ou de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, la cour d’appel:

a) peut admettre l’appel, si elle est d’avis, selon le cas:

(i) que le verdict devrait être rejeté pour le motif qu’il est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve,

(ii) que le jugement du tribunal de première instance devrait être écarté pour le motif qu’il constitue une décision erronée sur une question de droit,

(iii) que, pour un motif quelconque, il y a eu erreur judiciaire;

. . .

d) peut écarter une déclaration de culpabilité et déclarer l’appelant inapte à subir son procès ou non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux et peut exercer les pouvoirs d’un tribunal de première instance que l’article 672.45 accorde à celui‑ci ou auxquels il fait renvoi, de la façon qu’elle juge indiquée dans les circonstances.

(2) Lorsqu’une cour d’appel admet un appel en vertu de l’alinéa (1)a), elle annule la condamnation et, selon le cas:

a) ordonne l’inscription d’un jugement ou verdict d’acquittement;

b) ordonne un nouveau procès.

. . .

(8) Lorsqu’une cour d’appel exerce des pouvoirs conférés par le paragraphe (2), (4), (6) ou (7), elle peut en outre rendre toute ordonnance que la justice exige.

25 Le libellé très général du sous-al. 686(1)a)(iii), notamment, favorise cette interprétation en énonçant clairement le pouvoir d’«admettre l’appel, si elle est d’avis [. . .] que, pour un motif quelconque, il y a eu erreur judiciaire» (je souligne). (Voir G. D. McKinnon, The Criminal Lawyers’ Guide to Appellate Court Practice (1997), à la p. 93; I. Lagarde, Droit pénal canadien (2e éd. 1974), vol. II, à la p. 1685, et l’arrêt R. c. Thomson (1995), 102 C.C.C. (3d) 350 (C.A.C.-B.), où la Cour d’appel a ordonné un nouveau procès après avoir admis un nouvel élément de preuve afin de s’assurer qu’il n’y avait pas d’erreur judiciaire.) Cela est compatible avec le «pouvoir discrétionnaire absolu» qu’ont les cours d’appel d’admettre un appel en vertu du sous-al. 686(1)a)(iii) (Mahoney c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 834, le juge McIntyre, à la p. 845). Par conséquent, je suis d’accord avec le juge Major que le pouvoir d’ordonner un nouveau procès lorsqu’un nouvel élément de preuve est admis est prévu conjointement par le sous‑al. 686(1)a)(iii) et l’al. 686(2)b).

26 Le point de vue du Juge en chef et du juge Bastarache selon lequel «la Cour d’appel ne peut pas conclure à l’existence d’une erreur judiciaire à partir d’une nouvelle preuve dont le premier juge des faits ne disposait pas» (par. 9) est contraire à l’interprétation large donnée au sous-al. 686 (1)a)(iii) et à son application par les cours d’appel. Cette position restreint considérablement la compétence que les cours d’appel tiennent de cet article et essentiellement leur retire la compétence pour ordonner la tenue d’un nouveau procès après l’admission d’un nouvel élément de preuve dans tous les cas et non seulement dans ceux ayant trait à la défense de NRCTM. Aucune autre disposition de l’art. 686 ne s’appliquerait dans un tel cas. Il n’y a rien dans le texte du sous‑al. 686(1)a)(iii) qui restreigne son application à la preuve présentée au procès, et je ne vois aucune raison de le faire.

27 Tenant pour acquis qu’il n’est pas possible de conclure à l’existence d’une erreur judiciaire, au sens du sous-al. 686(1)a)(iii), à partir d’une preuve dont le juge des faits ne disposait pas, le Juge en chef et le juge Bastarache concluent, pour leur part, que l’al. 686(1)d) «régit de façon exclusive la compétence de la Cour d’appel dans des circonstances comme celles de la présente affaire» (par. 10) et que, par conséquent, l’affaire devrait être renvoyée devant la Cour d’appel pour qu’elle décide conformément à cette disposition (par. 11). Je ne suis pas de cet avis. Comme l’a souligné le juge Major, le texte clair de l’al. 686(1)d) et, en particulier, l’utilisation du mot «peut» n’excluent pas l’application de l’al. 686(1)a) lorsque des questions de troubles mentaux sont examinées. En outre, je suis d’accord avec le juge Major lorsqu’il affirme, au par. 66, que la «mention de la NRCTM au début du par. 686(1) doit permettre à une cour d’appel d’ordonner un nouveau procès afin d’éviter une erreur judiciaire découlant de l’omission de soulever la question de la NRCTM lors du procès». Pour les motifs exposés par le juge Major, l’arrêt R. c. Mailloux, [1988] 2 R.C.S. 1029, n’est pas déterminant en ce qui concerne la question de compétence soulevée en l’espèce. Le sous-alinéa 686(1)a)(iii) et l’al. 686(1)d), lus conjointement, donnent à la Cour d’appel la possibilité soit d’ordonner un nouveau procès, soit de substituer un verdict de NRCTM dans les cas où la défense de NRCTM est invoquée pour la première fois en appel.

28 J’ajouterais que cette approche est en accord avec les règles générales concernant l’admission d’une nouvelle preuve établies dans l’arrêt Stolar, précité, à la p. 492, où notre Cour a statué que, dès qu’une cour d’appel décide d’admettre la preuve, elle peut trancher l’affaire immédiatement si la preuve est concluante, ou, si elle ne l’est pas, ordonner un nouveau procès.

29 Adopter l’opinion du Juge en chef et du juge Bastarache signifierait que, dans une affaire où la nouvelle preuve est non concluante, mais susceptible d’influer sur le verdict, comme la preuve psychiatrique en l’espèce, la Cour d’appel pourrait accueillir l’appel, mais ne pourrait prescrire un redressement. Par conséquent, même si le nouvel élément de preuve admis n’était pas examiné devant elle, la cour n’aurait d’autre choix que d’accueillir l’appel et d’inscrire une conclusion de NRCTM, ou de confirmer la déclaration de culpabilité. Ce ne saurait être ce que la justice exige, étant donné, notamment, qu’en général il n’appartient pas à une cour d’appel d’agir comme un tribunal de première instance et de tenir un procès sur cette question. À cet égard, le juge en chef McEachern a fait remarquer, au par. 64:

[traduction] [L]es faits sont complexes en l’espèce et il risque d’être nécessaire d’entendre un nombre de témoins, possiblement des deux côtés. À mon avis, il serait préférable que ces questions soient tranchées dans le cadre d’un nouveau procès, vraisemblablement devant un juge et un jury.

30 Après avoir conclu que la tenue d’un nouveau procès est le redressement approprié et que ce redressement relève de la compétence d’une cour d’appel, j’examinerai maintenant l’ordonnance de la Cour d’appel qui limite le nouveau procès à la question de savoir si l’intimé était non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux au moment de la perpétration des infractions.

III. Le pouvoir d’ordonner un nouveau procès de portée limitée

31 Je ne partage pas l’avis du juge Major que la Cour d’appel n’a pas le pouvoir d’ordonner un nouveau procès de portée limitée. Dans l’arrêt Thomas, rendu simultanément, j’ai émis l’opinion que le par. 686(8) confère à une cour d’appel une large compétence pour décider quelle ordonnance serait «appropriée, compte tenu de la nature et de l’étendue de l’erreur lors du procès», y compris le pouvoir de limiter le nouveau procès aux verdicts d’homicide involontaire coupable ou de meurtre au deuxième degré (par. 74). En outre, une telle ordonnance sera exceptionnelle et dictée par ce que «la justice exige» (par. 686(8)), pour les raisons que j’ai exposées dans l’arrêt Thomas et auxquelles je renvoie comme si elles étaient ici au long récitées.

32 La Cour d’appel, dans la présente affaire, était préoccupée par le risque qu’une personne susceptible de souffrir de troubles mentaux soit déclarée coupable, vu que la défense de NRCTM n’avait pas été soulevée au procès. Se fondant sur la procédure énoncée dans l’arrêt Swain, précité, la cour a ordonné la tenue d’un nouveau procès limité à la question de savoir si l’intimé était ou non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux au moment de la perpétration des infractions.

33 La Cour a statué dans l’arrêt Swain, précité, que la question de savoir si l’accusé est non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux peut être déterminée lors d’une audience à être tenue après en être venu à la conclusion qu’il a accompli les actes criminels reprochés, mais avant l’inscription d’une déclaration de culpabilité. La question de la NRCTM peut être tranchée par le jury après qu’il a conclu que l’accusé a accompli l’acte coupable afin de déterminer si cette conclusion devrait donner lieu à une déclaration de culpabilité ou à une conclusion qu’il est non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux. Cette nouvelle règle de common law a été jugée compatible avec le droit d’un accusé à ce que le ministère public prouve tous les éléments de l’infraction avant de soulever d’autres points. L’ordonnance envisagée par la Cour d’appel en l’espèce est de même nature qu’une «audience de type Swain», car le ministère public a prouvé hors de tout doute raisonnable que l’intimé a accompli l’acte coupable, avant que la défense de NRCTM ne soit invoquée. Par conséquent, étant donné qu’une procédure en deux étapes est prévue pour le procès lui‑même, je conclus que l’ordonnance est compatible avec la défense de NRCTM soulevée par l’intimé en appel.

34 J’estime que l’arrêt Swain, précité, démontre qu’un nouveau procès limité à la question de savoir si l’accusé est non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux est compatible avec ce que «la justice exige» dans les circonstances. Un nouveau procès est ordonné parce que le nouvel élément de preuve porte sur la question de savoir si l’accusé est non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux. Cet élément de preuve n’a aucun rapport avec la conclusion selon laquelle l’accusé a accompli l’acte coupable. Si l’accusé avait présenté cet élément de preuve au procès après que le jury eut décidé qu’il avait accompli l’acte coupable, cela aurait été considéré lors d’une audience de type Swain, dans le cadre de laquelle le jury aurait eu à déterminer uniquement s’il devait y avoir déclaration de culpabilité ou conclusion de NRCTM. Il est conforme aux exigences de la justice de suivre la même procédure lorsqu’un nouveau procès est ordonné, de manière à ce que la nouvelle preuve soit examinée. Cela permet d’éviter de revenir sur des questions qui ont déjà été tranchées par le jury et qui n’ont absolument rien à voir avec les raisons qui justifient l’ordonnance de nouveau procès.

35 Il existe une jurisprudence abondante qui appuie l’émission d’une telle ordonnance dans un contexte de provocation policière et prescrit également une procédure en deux étapes où la défense de provocation policière est distincte de la question de savoir si l’accusé a accompli les éléments essentiels de l’infraction (R. c. Mack, [1988] 2 R.C.S. 903). Dans l’arrêt R. c. Pearson, [1998] 3 R.C.S. 620, rendu simultanément, notre Cour a confirmé l’ordonnance limitant le nouveau procès à la question de la provocation policière en vertu du par. 686(8). Un nouveau procès limité à la défense de provocation policière a été ordonné dans R. c. Laverty (1990), 80 C.R. (3d) 231 (C.A.C.‑B.), où les aspects procéduraux de cette ordonnance étaient fondés sur le par. 686(8) (voir les motifs supplémentaires rendus le 1er novembre 1990, greffe de Victoria V00270; voir aussi R. c. Barnes (1990), 54 C.C.C. (3d) 368 (C.A.C.-B.), conf. par [1991] 1 R.C.S. 449, R. c. Maxwell (1990), 61 C.C.C. (3d) 289 (C.A. Ont.), et R. c. Scott, [1990] 3 R.C.S. 979, le juge Sopinka, à la p. 1019, et le juge McLachlin, aux pp. 1017 et 1018, tous les deux dissidents sur une autre question). Il est intéressant de noter qu’un banc de cinq juges de la Cour d’appel de l’Ontario, dans Reference re Regina c. Gorecki (No. 2) (1976), 32 C.C.C. (2d) 135, a ordonné la tenue d’un nouveau procès limité à la défense d’aliénation mentale, bien avant que notre Cour ait décidé dans l’arrêt Swain, précité, que la question de l’aliénation mentale pouvait être invoquée après en être venu à la conclusion que l’accusé a accompli l’acte coupable. Cette jurisprudence démontre clairement que la justice peut exiger une ordonnance limitant la portée du nouveau procès à la défense de NRCTM.

36 L’intimé soutient que cette ordonnance contrevient aux principes de justice fondamentale et à la présomption d’innocence consacrés à l’art. 7 et à l’al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Je ne suis pas d’accord pour les raisons suivantes. Premièrement, la situation de l’intimé lors de ce nouveau procès sera la même que lors d’une audience de type Swain et il ne bénéficiera donc pas de la présomption d’innocence pendant l’examen de la question de la NRCTM. Le ministère public a déjà établi l’existence de tous les éléments des infractions et un jury a été convaincu hors de tout doute raisonnable que l’intimé avait commis les crimes en question. La seule question non résolue est de savoir s’il avait la capacité mentale nécessaire pour être déclaré criminellement responsable de ces crimes.

37 Deuxièmement, contrairement au juge Major, je ne vois pas comment une ordonnance de même nature que la procédure établie dans l’arrêt Swain, précité, qui a été jugée conforme aux principes de justice fondamentale, pourrait éventuellement violer ces mêmes principes. Au contraire, je crois que, dans la présente affaire, la tenue d’un nouveau procès de portée limitée garantit à l’intimé la possibilité de présenter une défense pleine et entière. En effet, notre Cour a statué dans l’arrêt Swain, précité, à la p. 986, que la nouvelle règle de common law qui permet d’invoquer la défense d’aliénation mentale après que le juge des faits a conclu que l’accusé a accompli l’acte criminel «protégerait le droit de l’accusé de contrôler sa défense». Selon une telle règle, l’accusé peut invoquer n’importe quel moyen de défense au procès, même un moyen incompatible avec l’aliénation mentale. Si ces moyens de défense échouent et qu’il est décidé que l’accusé a accompli l’acte coupable, celui‑ci peut encore invoquer l’aliénation mentale comme moyen de défense. En l’espèce, l’intimé a fait valoir pour sa défense que sa belle-mère avait commis les crimes. Ce moyen de défense a été rejeté et un jury a conclu qu’il avait accompli les éléments essentiels des infractions reprochées. L’ordonnance de la Cour d’appel lui permet d’invoquer la défense de NRCTM et il sera en mesure de soulever toutes les questions qu’il souhaite en matière de preuve et de Charte relativement à la question de la NRCTM. Par conséquent, l’intimé ne subira aucun préjudice découlant de l’ordonnance de la Cour d’appel enjoignant la tenue, en l’espèce, d’un nouveau procès de portée limitée.

38 Troisièmement, invoquant l’arrêt Swain, précité, le juge Major fait allusion à la possibilité que «si la preuve produite relativement à des troubles mentaux n’était pas suffisante pour convaincre le juge des faits que l’accusé était non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux, cette preuve pouvait être prise en compte pour décider si l’accusé avait la mens rea requise» (par. 74). Cette possibilité a été analysée dans l’arrêt Swain, précité, relativement à certains cas où la défense de NRCTM est invoquée pendant le procès, mais elle ne s’étend pas à la deuxième étape de la procédure prévue dans l’arrêt Swain, lorsque la défense est invoquée après la conclusion que l’accusé a accompli l’acte coupable. Ainsi, l’audience de type Swain tenue après le verdict n’est pas différente d’une audience en matière de provocation policière qui ne met pas en cause la mens rea; voir Pearson, précité. Comme je l’ai déjà mentionné, notre Cour a établi que, dans une audience de type Swain, le juge des faits n’a qu’à décider si la conclusion que l’accusé a accompli les éléments essentiels de l’infraction doit donner lieu à une déclaration de culpabilité ou à un verdict de NRCTM. L’ordonnance de la Cour d’appel, en l’espèce, est au même effet.

39 Le nouvel élément de preuve ne se rapporte qu’à la défense de NRCTM. Il n’est donc pas nécessaire de remettre en question les conclusions du jury que l’intimé a perpétré les crimes reprochés, ce qui n’est pas l’objet du pourvoi. La seule question que soulève l’intimé a trait à sa défense de NRCTM et j’estime que justice sera rendue si un nouveau procès limité à cette seule question était ordonné. Par conséquent, compte tenu de la nature de la défense de NRCTM et de la possibilité d’erreur judiciaire à laquelle l’ordonnance de la cour avait pour but de remédier, je conclus que la Cour d’appel a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire en ordonnant, en l’espèce, la tenue d’un nouveau procès limité à cette question.

IV. Dispositif

40 Pour ces motifs, je confirmerais l’ordonnance de la Cour d’appel enjoignant la tenue d’un nouveau procès limité à la question de savoir si l’intimé était ou non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux au moment de la perpétration des infractions. Par conséquent, je rejetterais le pourvoi.

Version française du jugement des juges Cory, Iacobucci, Major et Binnie rendu par

//Le juge Major//

Le juge Major --

I. Les faits

41 Un jury a déclaré l’intimé Warsing coupable relativement à deux chefs d’accusation de meurtre au premier degré et à un chef d’accusation de tentative de meurtre, à la suite du décès de son frère et de sa s{oe}ur et des blessures subies par sa belle‑mère. Le moyen de défense de la non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux («NRCTM») n’a pas été invoqué au procès. Après sa déclaration de culpabilité, l’intimé a été interné dans un établissement psychiatrique et examiné par plusieurs psychiatres, dont l’un a diagnostiqué chez lui une «psychose maniaco‑dépressive», également connue sous le nom de «trouble affectif bipolaire», et a conclu que Warsing souffrait de cette maladie au moment des infractions, de sorte qu’il aurait dû être déclaré non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux.

42 L’intimé a demandé à la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique d’admettre le témoignage d’expert de ce psychiatre comme nouvel élément de preuve et de lui permettre d’invoquer pour la première fois le moyen de défense de la NRCTM. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a décidé, à la majorité, que Warsing avait

le droit de déposer la preuve psychiatrique, et a ordonné la tenue d’un nouveau procès limité à la question de la NRCTM.

II. Les dispositions législatives pertinentes

43 Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46

683. (1) Aux fins d’un appel prévu par la présente partie, la cour d’appel peut, lorsqu’elle l’estime dans l’intérêt de la justice:

. . .

b) ordonner qu’un témoin qui aurait été un témoin contraignable lors du procès, qu’il ait été appelé ou non au procès:

(i) ou bien comparaisse et soit interrogé devant la cour d’appel,

(ii) ou bien soit interrogé de la manière prévue par les règles de cour devant un juge de la cour d’appel, ou devant tout fonctionnaire de la cour d’appel ou un juge de paix ou autre personne nommée à cette fin par la cour d’appel;

. . .

d) recevoir la déposition, si elle a été offerte, de tout témoin, y compris l’appelant, qui est habile à témoigner mais non contraignable;

686. (1) Lors de l’audition d’un appel d’une déclaration de culpabilité ou d’un verdict d’inaptitude à subir son procès ou de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, la cour d’appel:

a) peut admettre l’appel, si elle est d’avis, selon le cas:

(i) que le verdict devrait être rejeté pour le motif qu’il est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve,

(ii) que le jugement du tribunal de première instance devrait être écarté pour le motif qu’il constitue une décision erronée sur une question de droit,

(iii) que, pour un motif quelconque, il y a eu erreur judiciaire;

. . .

d) peut écarter une déclaration de culpabilité et déclarer l’appelant inapte à subir son procès ou non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux et peut exercer les pouvoirs d’un tribunal de première instance que l’article 672.45 accorde à celui‑ci ou auxquels il fait renvoi, de la façon qu’elle juge indiquée dans les circonstances.

(2) Lorsqu’une cour d’appel admet un appel en vertu de l’alinéa (1)a), elle annule la condamnation et, selon le cas:

a) ordonne l’inscription d’un jugement ou verdict d’acquittement;

b) ordonne un nouveau procès.

. . .

(8) Lorsqu’une cour d’appel exerce des pouvoirs conférés par le paragraphe (2), (4), (6) ou (7), elle peut en outre rendre toute ordonnance que la justice exige.

III. L’historique des procédures judiciaires

Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1997), 97 B.C.A.C. 137

(1) L’opinion majoritaire

44 Le juge en chef McEachern de la Colombie‑Britannique (avec l’appui du juge Finch) ont dégagé trois questions:

a) Le nouvel élément de preuve satisfait‑il au critère d’admissibilité?

b) Dans la négative, est‑il possible de permettre à l’accusé de présenter ce nouvel élément de preuve compte tenu de son omission de révéler la raison pour laquelle il n’a pas plaidé l’aliénation mentale lors de son procès?

c) L’accusé peut‑il bénéficier d’un procès sur la question de l’aliénation mentale en application de l’arrêt Swain?

45 Le juge en chef McEachern a décidé que l’accusé ne satisfaisait pas au critère de diligence raisonnable énoncé dans l’arrêt Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759. Il a noté que la possibilité d’invoquer le moyen de défense de la NRCTM aurait été évidente pour toute personne au courant du comportement bizarre de l’accusé et de ses déclarations concernant les infractions qui lui étaient reprochées. Malgré cela, il a conclu que l’omission de se conformer à l’élément de diligence raisonnable du critère de l’arrêt Palmer n’était pas fatale à l’appel de l’accusé étant donné que les trois autres conditions de ce critère avaient été remplies et qu’il était dans l’intérêt de la justice d’admettre la preuve en cause.

46 En ce qui concerne la deuxième question, le juge en chef McEachern a statué que l’arrêt R. c. Mailloux, [1988] 2 R.C.S. 1029, n’était pas pertinent. Il a décidé que l’appel dont la cour était saisie portait principalement sur la question de savoir si l’accusé, qui avait pris délibérément la décision de ne pas plaider l’aliénation, devait maintenant pouvoir invoquer ce moyen de défense et présenter une preuve à ce sujet. Bien que, dans la plupart des cas, il soit interdit à l’accusé d’invoquer le moyen de défense de la NRCTM pour la première fois en appel, le juge en chef McEachern a conclu que, compte tenu des circonstances exceptionnelles de l’affaire et s’appuyant sur l’arrêt R. c. Buxbaum (1989), 70 C.R. (3d) 20 (C.A. Ont.), la cour devrait faire ce qui est juste et admettre la preuve.

47 Quant à la troisième question, le juge en chef McEachern s’est fondé sur l’arrêt R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, pour statuer qu’il y avait lieu d’admettre le nouvel élément de preuve et pour ordonner la tenue d’un nouveau procès limité à la question de la capacité mentale de l’accusé au moment des infractions.

(2) La dissidence

48 Madame le juge Ryan a convenu avec les juges majoritaires qu’il convenait, dans des circonstances exceptionnelles, d’ordonner la tenue d’un nouveau procès malgré la décision stratégique de l’accusé de ne pas invoquer le moyen de défense de la NRCTM au procès. Sa dissidence tenait à son opinion que la preuve était insuffisante pour la convaincre qu’il était dans l’intérêt de la justice d’ordonner un nouveau procès.

IV. Les questions en litige

49 Le pourvoi porte sur quatre questions:

(1) La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a‑t‑elle commis une erreur en admettant un nouvel élément de preuve qui ne satisfaisait pas à toutes les conditions d’admission d’une nouvelle preuve en appel?

(2) La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a‑t‑elle commis une erreur en permettant à l’intimé d’invoquer en appel un moyen de défense entièrement nouveau qui n’avait pas été invoqué au procès?

(3) La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a‑t‑elle commis une erreur en ordonnant la tenue d’un nouveau procès fondé sur le nouvel élément de preuve soumis en appel?

(4) La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a‑t‑elle commis une erreur en ordonnant la tenue d’un nouveau procès limité à la question de la NRCTM?

V. Analyse

Première question

50 La règle relative à l’admission d’une nouvelle preuve en appel a été établie dans l’arrêt Palmer, précité, à la p. 775:

(1) On ne devrait généralement pas admettre une [preuve] qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès, à condition de ne pas appliquer ce principe général de manière aussi stricte dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles: voir McMartin c. La Reine.

(2) La [preuve] doit être pertinente, en ce sens qu’elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès.

(3) La [preuve] doit être plausible, en ce sens qu’on puisse raisonnablement y ajouter foi, et

(4) elle doit être telle que si l’on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu’avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat.

Les parties s’entendent pour dire que la preuve offerte satisfait au deuxième critère de l’arrêt Palmer, soit celui de la pertinence, mais l’appelante soutient que les premier, troisième et quatrième critères ne sont pas respectés.

51 En l’espèce, on aurait certainement pu obtenir la preuve psychiatrique en faisant preuve de diligence raisonnable. Lié par le secret professionnel, l’avocat de l’intimé en Cour d’appel a été incapable d’expliquer pourquoi la preuve de la NRCTM n’a pas été produite. L’intimé aurait pu renoncer au secret professionnel et son omission de le faire militerait normalement contre l’admission du nouvel élément de preuve, mais ce n’est là qu’un facteur parmi d’autres. Voir l’arrêt McMartin c. The Queen, [1964] R.C.S. 484, le juge Ritchie, à la p. 491:

[traduction] Dans tous les cas, si la preuve est jugée assez probante pour être raisonnablement susceptible d’influer sur le verdict du jury, je ne crois pas qu’elle devrait être exclue pour le motif qu’on n’a pas fait montre de diligence raisonnable pour l’obtenir avant ou pendant le procès.

Dans R. c. McAnespie, [1993] 4 R.C.S. 501, la Cour a rejeté en appel un nouvel élément de preuve qui était disponible au procès, à l’étape de la détermination de la peine; voir le juge Sopinka, aux pp. 502 et 503:

[N]ous sommes d’avis que l’intimé n’a pas satisfait au critère de la diligence raisonnable. Bien que ce facteur ne soit pas appliqué strictement dans les causes criminelles et qu’il ne doive pas être pris en considération isolément, les autres facteurs n’ont pas un poids tel en l’espèce qu’ils l’emportent sur l’omission de satisfaire au critère de la diligence raisonnable. [Souligné dans l’original.]

Il est souhaitable que la diligence raisonnable ne reste qu’un facteur parmi d’autres, et son absence, particulièrement en matière criminelle, devrait être appréciée en fonction d’autres circonstances. Si la preuve est convaincante et s’il est dans l’intérêt de la justice de l’admettre, alors le défaut de satisfaire à ce critère ne devrait pas être retenu pour en écarter l’admission.

52 L’appelante a soutenu que la preuve de l’aliénation mentale n’était pas plausible et ne satisfaisait pas au troisième élément du critère de l’arrêt Palmer. L’intimé a été examiné par un psychiatre dans les jours qui ont suivi les meurtres, sans qu’aucun trouble mental ne soit constaté. Toutefois, cet examen a été effectué dans le but de déterminer si l’intimé était apte à subir son procès, et non pas pour établir sa capacité mentale au moment des infractions. L’appelante a cité l’arrêt R. c. Stolar, [1988] 1 R.C.S. 480, comme établissant qu’il y avait lieu d’évaluer la crédibilité en fonction de toute l’affaire et non pas seulement en fonction de la demande d’autorisation de produire un nouvel élément de preuve. Le juge en chef McEachern a retenu ce principe, au par. 28, en déclarant que [traduction] «elle est plausible en ce sens qu’on peut raisonnablement y ajouter foi si on la considère en fonction d’autres éléments de preuve pertinents quant à cette question», puis, au par. 63, où il a mentionné «l’évaluation psychiatrique, apparemment cohérente, fondée sur les faits et les antécédents familiaux de l’accusé». Il est évident qu’il est raisonnablement possible d’ajouter foi à la preuve. Il appartient au juge des faits de décider s’il y ajoutera effectivement foi.

53 Enfin, l’appelante fait valoir qu’il n’y a lieu d’accorder aucune valeur probante à la preuve, si elle est admise, parce qu’il s’agit d’une opinion d’expert fondée sur des faits non prouvés qui ont été relatés par l’intimé lui‑même: R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24; R. c. Lavallee, [1990] 1 R.C.S. 852. Cet argument ne tient pas compte du fait qu’on a soumis au procès, au sujet des antécédents familiaux et du comportement antérieur de l’intimé, des éléments de preuve qui étayaient les conclusions du psychiatre. Dans bien des cas, le témoignage des experts repose sur les hypothèses ou suppositions qu’on leur demande de formuler. La valeur de leur opinion dépend alors de la validité de ces suppositions et est liée à la valeur probante qui lui sera attribuée plutôt qu’à son admissibilité.

54 Les arguments de l’appelante concernant l’application stricte de la règle de l’arrêt Abbey doivent être appréciés en fonction des motifs ultérieurs du juge Wilson dans Lavallee, où elle a examiné l’arrêt Abbey. Le juge Wilson y a formulé quatre propositions qui expriment le fondement de l’arrêt Abbey (à la p. 893):

1. Une opinion d’expert pertinente est admissible, même si elle est fondée sur une preuve de seconde main.

2. Cette preuve de seconde main (ouï‑dire) est admissible pour montrer les renseignements sur lesquels est fondée l’opinion d’expert et non pas à titre de preuve établissant l’existence des faits sur lesquels se fonde cette opinion.

3. Lorsque la preuve psychiatrique consiste en une preuve par ouï‑dire, le problème qui se pose est celui de la valeur probante à accorder à l’opinion.

4. Pour que l’opinion d’un expert puisse avoir une valeur probante, il faut d’abord conclure à l’existence des faits sur lesquels se fonde l’opinion.

En ce qui a trait au quatrième principe, le juge Wilson a conclu que, dans la mesure où il existe quelque élément de preuve admissible sur lequel repose l’opinion de l’expert, on ne peut faire abstraction de celle‑ci; il s’ensuit toutefois que plus l’expert s’appuie sur des faits non établis par la preuve, moins on accordera de valeur probante à son opinion.

55 Dans le présent pourvoi, la question de la valeur probante n’a pas encore été soulevée vu que la Cour d’appel n’a pas décidé si l’intimé était non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux; elle a plutôt conclu que l’opinion de l’expert l’avait convaincue que c’était une question qui devrait être instruite. L’opinion d’expert, conjuguée au diagnostic de trouble bipolaire de l’humeur établi à l’égard de l’intimé, soulevait une question touchant son état mental au moment des infractions. Cette preuve était plausible et, selon les conclusions tirées par le juge des faits, elle aurait pu influer sur l’issue du procès.

56 Même si le nouvel élément de preuve ne satisfaisait pas au critère de diligence raisonnable énoncé dans l’arrêt Palmer, la preuve que l’on cherchait à produire était plausible et pourrait influer sur le verdict, si on y ajoutait foi. Je suis d’avis que la décision de la Cour d’appel d’admettre cette preuve après avoir soupesé les facteurs décrits était juste et doit être confirmée. Le défaut de l’intimé de satisfaire à l’obligation de diligence raisonnable est grave et serait fatal dans bien des cas; toutefois, l’intérêt de la justice l’emporte et, comme le juge Carthy de la Cour d’appel l’a affirmé dans l’arrêt R. c. C. (R.) (1989), 47 C.C.C. (3d) 84 (C.A. Ont.), à la p. 87, le défaut de satisfaire à l’obligation de diligence raisonnable ne doit pas [traduction] «l’emporter sur l’obtention d’un résultat juste».

Deuxième question

57 L’appelante a affirmé que le principe du caractère définitif de la décision commandait de refuser à l’intimé l’autorisation de se prévaloir d’un moyen de défense auquel il a renoncé lors du procès: R. c. Potvin, [1993] 2 R.C.S. 880; R. c. R. (R.) (1994), 91 C.C.C. (3d) 193 (C.A. Ont.). Toutefois, la Cour d’appel avait le pouvoir discrétionnaire de permettre qu’une nouvelle question ou une nouvelle défense soit soulevée pour la première fois en appel: R. c. Vidulich (1989), 37 B.C.L.R. (2d) 391, et, en l’absence d’erreur, l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire doit être respecté. Le dossier ne précise pas si l’intimé a réellement renoncé au moyen de défense de la NRCTM et, comme ce dernier n’a pas renoncé à la protection du secret professionnel de l’avocat, cette source d’information demeure inaccessible.

58 Le moyen de défense de la NRCTM est complexe et relativement obscur. Bien que l’arrêt Mailloux, précité, ne s’applique pas directement, il peut nous guider dans une certaine mesure. Mailloux a été accusé de deux meurtres au deuxième degré et, lors de son procès, il a invoqué sans succès l’aliénation mentale comme moyen de défense principal. En appel, notre Cour a examiné l’al. 613(1)d), qui a été remplacé par l’al. 686(1)d), et le juge Lamer (maintenant Juge en chef) a statué, dans une remarque incidente, que cet alinéa avait été adopté pour permettre à une cour d’appel d’annuler un verdict même dans les cas où aucune erreur de droit n’avait été commise, mais où la question de l’aliénation mentale n’avait pas été soulevée en première instance. Voici le libellé de l’al. 613(1)d):

613. (1) Lors de l’audition d’un appel d’une déclaration de culpabilité ou d’un verdict portant que l’appelant est incapable de subir son procès, pour cause d’aliénation mentale, ou d’un verdict spécial de non‑culpabilité pour cause d’aliénation mentale, la cour d’appel

. . .

d) peut écarter une déclaration de culpabilité et déclarer l’appelant non coupable pour cause d’aliénation mentale et ordonner que l’appelant soit détenu sous bonne garde jusqu’à ce que le lieutenant-gouverneur ait fait connaître son bon plaisir, quand elle estime que, même si l’appelant a accompli l’acte, ou est responsable de l’omission, dont il est accusé, il était aliéné au moment de l’acte ou de l’omission, de façon à ne pas être criminellement responsable de sa conduite . . . [Je souligne.]

Bien que le Code ait subi des changements importants en la matière, je suis d’avis que les observations du juge Lamer appuient mon opinion qu’il est acceptable d’autoriser l’accusé à invoquer la NRCTM pour la première fois en appel lorsque cela est indiqué.

59 Un deuxième élément qui aide l’accusé à invoquer le moyen de défense de l’aliénation mentale pour la première fois en appel est l’arrêt Swain, précité, et la réponse du législateur à cet arrêt. L’arrêt Swain a reconnu qu’il serait injuste d’obliger l’accusé à plaider l’aliénation mentale comme moyen de défense subsidiaire, étant donné que cela pourrait lui nuire à la fois lorsqu’il plaide l’aliénation mentale et lorsqu’il clame son innocence. L’arrêt Swain permettait à l’accusé d’attendre qu’une conclusion de culpabilité ait été tirée avant d’invoquer le moyen de défense de l’aliénation mentale. Même si on permet rarement à un accusé de garder un moyen de défense en réserve en vue de l’utiliser en appel s’il est déclaré coupable, l’arrêt Swain offre cette possibilité et confirme que les questions de principe liées à la possibilité d’invoquer le moyen de défense de la NRCTM pour la première fois en appel se posent de façon mitigée en raison de la nature du moyen de défense de la NRCTM. L’arrêt Swain confirme qu’il est de justice fondamentale qu’une personne qui n’était pas criminellement responsable au moment de l’infraction ne soit pas déclarée coupable.

60 Cette façon de procéder fait exception à la règle générale, mais les circonstances et la preuve en l’espèce militent en faveur de permettre à l’intimé d’invoquer le moyen de défense de la NRCTM pour la première fois en appel.

Troisième question

61 Cette question touche la compétence de la Cour d’appel pour ordonner un nouveau procès sur la question de l’aliénation mentale, tel que prévu dans l’arrêt Swain. L’appelante et l’intimé soutiennent tous les deux que la Cour d’appel a, en vertu de l’al. 686(1)d), le pouvoir d’écarter la déclaration de culpabilité et de déclarer l’accusé non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux, ou d’ordonner un nouveau procès pour cause d’erreur judiciaire en vertu du sous‑al. 686(1)a)(iii) et du par. 686(2). Toutefois, l’appelante fait valoir que la Cour d’appel est habilitée à ordonner que l’affaire fasse l’objet d’un nouveau procès limité à une question précise, alors que l’intimé prétend qu’il y a lieu d’ordonner un procès de novo.

62 Voici ce que prévoient les al. 686(1)a) et d) et le par. 686(2) du Code criminel:

686. (1) Lors de l’audition d’un appel d’une déclaration de culpabilité ou d’un verdict d’inaptitude à subir son procès ou de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, la cour d’appel:

a) peut admettre l’appel, si elle est d’avis, selon le cas:

(i) que le verdict devrait être rejeté pour le motif qu’il est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve,

(ii) que le jugement du tribunal de première instance devrait être écarté pour le motif qu’il constitue une décision erronée sur une question de droit,

(iii) que, pour un motif quelconque, il y a eu erreur judiciaire;

. . .

d) peut écarter une déclaration de culpabilité et déclarer l’appelant inapte à subir son procès ou non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux et peut exercer les pouvoirs d’un tribunal de première instance que l’article 672.45 accorde à celui‑ci ou auxquels il fait renvoi, de la façon qu’elle juge indiquée dans les circonstances.

(2) Lorsqu’une cour d’appel admet un appel en vertu de l’alinéa (1)a), elle annule la condamnation et, selon le cas:

a) ordonne l’inscription d’un jugement ou verdict d’acquittement;

b) ordonne un nouveau procès.

63 Dans l’arrêt Mailloux, la Cour a conclu qu’une cour d’appel devrait substituer un verdict de NRCTM à une déclaration de culpabilité lorsque l’aliénation mentale est invoquée pour la première fois conformément à l’al. 613(1)d), qui a été remplacé par l’al. 686(1)d). En l’espèce, la Cour d’appel a refusé de tirer une conclusion au sujet de la NRCTM et a préféré ordonner la tenue d’un nouveau procès parce que, comme l’ont affirmé les juges majoritaires, au par. 64, [traduction] «les faits sont complexes en l’espèce et le concours de nombreux témoins risque d’être nécessaire, peut‑être des deux côtés».

64 Bien que le Code criminel prévoie clairement qu’une cour d’appel peut trancher la question de la NRCTM, il est ambigu quant à savoir si une telle cour a le pouvoir d’ordonner un nouveau procès lorsqu’elle conclut qu’elle est incapable de trancher de manière décisive la question de la NRCTM.

À la page 1040 de l’arrêt Mailloux, le juge Lamer a affirmé, relativement aux dispositions qui ont précédé l’art. 686:

Quel était donc l’objet du par. 1016(4)? En cherchant la réponse à cette question, il ne faut pas perdre de vue le fait qu’un nouveau procès ne pouvait être déclenché en vertu des dispositions générales de l’art. 1014 que s’il y avait eu, en première instance, une erreur de droit, des conclusions déraisonnables ou un déni de justice en ce qui concernait la question de l’aliénation mentale. Pour cela, il fallait absolument que la question de l’aliénation mentale ait été soulevée au procès. À mon avis, le par. 1016(4) visait à permettre à une cour d’appel d’accorder à l’accusé un certain redressement, pour incomplet qu’il fût, dans les cas où la question de l’aliénation mentale avait été soulevée pour la première fois en appel.

Dans l’arrêt Buxbaum, précité, portant sur des circonstances similaires, la Cour d’appel de l’Ontario, en examinant l’arrêt Mailloux, a exprimé l’avis qu’une cour d’appel n’avait pas le pouvoir d’ordonner un nouveau procès. La cour a affirmé, aux pp. 32 et 33:

[traduction] Il appert donc que, dans des circonstances comme celles dont nous sommes saisis, lorsque le moyen de défense de l’aliénation mentale n’a pas été invoqué lors du procès pour quelque raison que ce soit, aucun appel fondé sur une allégation d’erreur judiciaire ne peut être interjeté devant notre Cour en vertu de l’al. 686(1)a), et il n’existe aucun pouvoir d’annuler le verdict et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès pour ce motif. Nous n’avons pas non plus le pouvoir, en pareilles circonstances, d’ordonner la tenue d’un nouveau procès devant jury, limité au moyen de défense de l’aliénation mentale, comme l’a fait notre cour dans l’affaire Gorecki, précitée.

65 L’arrêt Mailloux portait sur le caractère raisonnable de la conclusion du jury sur le moyen de défense de la NRCTM, et non sur le fait que ce moyen de défense était invoqué pour la première fois en appel. Dans cette mesure et dans le contexte du présent pourvoi, les observations du juge Lamer ne sont pas déterminantes quant à la question soulevée en l’espèce. Le juge en chef McEachern a fait une distinction avec les faits de l’affaire Buxbaum, soulignant qu’elle ne mettait pas en cause les antécédents et le comportement inusités d’un accusé comme l’intimé. Je suis d’avis qu’il est dans l’intérêt de la justice d’interpréter l’arrêt Mailloux comme reconnaissant que, dans les cas où le moyen de défense de la NRCTM n’est pas invoqué lors du procès et où la cour d’appel conclut qu’elle ne peut pas trancher la question de la NRCTM, la cour d’appel a compétence pour ordonner un nouveau procès afin d’éviter une erreur judiciaire. Dans la plupart des cas, il est probable que la cour d’appel disposera d’une preuve suffisante pour trancher la question de la NRCTM. Ce ne serait que lorsque les faits sont complexes et où la cour conclut que d’autres éléments de preuve sont nécessaires qu’elle ordonnerait la tenue d’un nouveau procès.

66 Le sous‑alinéa 686(1)a)(iii) et l’al. 686(2)b) habilitent une cour d’appel à ordonner la tenue d’un nouveau procès. L’argument voulant que l’al. 686(1)d) constitue une disposition exhaustive indépendante concernant la compétence de la cour d’appel relativement à une question de NRCTM, dans le cadre d’un appel d’une déclaration de culpabilité, n’est pas convaincant. La mention de la NRCTM au début du par. 686(1) doit permettre à une cour d’appel d’ordonner un nouveau procès afin d’éviter une erreur judiciaire découlant de l’omission de soulever la question de la NRCTM lors du procès.

67 Les alinéas 686(1)a), b), c) et d) commencent tous par le mot «peut» qui exprime une faculté, ce qui indique clairement que le législateur conférait des pouvoirs facultatifs aux cours d’appel à cet égard. La nature facultative de ces alinéas donne aux cours d’appel la souplesse nécessaire pour agir dans l’intérêt de la justice, comme en traite pleinement l’arrêt Buxbaum.

68 Cette conclusion est étayée par les observations formulées par le juge Lamer aux pp. 1037 et 1038 de l’arrêt Mailloux, où on analyse une question semblable concernant l’interaction des al. 613(1)a) et 613(1)d), remplacés par les al. 686(1)a) et 686(1)d). Le fait de permettre à l’al. 686(1)a) de s’appliquer conjointement avec l’al. 686(1)d) ne rend pas l’al. 686(1)d) superflu. En l’absence de l’al. 686(1)d), une cour d’appel serait incapable de substituer un verdict de NRCTM, vu qu’à eux seuls l’al. 686(1)a) et le par. 686(2) ne prévoient pas ce redressement.

Quatrième question

69 Bien que je sois d’accord avec la décision de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique d’ordonner la tenue d’un nouveau procès, en toute déférence, je ne souscris pas à sa décision de limiter ce procès à la question de la NRCTM. L’appelante a soutenu que la Cour d’appel a le pouvoir de limiter la portée d’un nouveau procès conformément au par. 686(8):

686. . . .

(8) Lorsqu’une cour d’appel exerce des pouvoirs conférés par le paragraphe (2), (4), (6) ou (7), elle peut en outre rendre toute ordonnance que la justice exige.

L’appelante a soutenu que, lorsqu’une déclaration de culpabilité est écartée ou annulée, l’accusé ne bénéficie pas nécessairement d’une présomption complète d’innocence lors du nouveau procès, à moins que la conclusion factuelle de culpabilité soit annulée. Selon l’appelante, cela est particulièrement vrai lorsqu’il est question du moyen de défense des troubles mentaux étant donné que ce moyen de défense est habituellement soulevé à la suite d’une conclusion de culpabilité, mais avant l’inscription d’une déclaration de culpabilité. Cela contraste avec la plupart des autres moyens de défense qui sont invoqués avant une conclusion de culpabilité.

70 L’intimé a répliqué en exprimant des craintes quant à son droit à un procès équitable et à la présomption d’innocence garantis par l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Il a rejeté l’interprétation que le juge Doherty a donnée aux par. 686(8) et 686(2) dans l’arrêt R. c. Wade (1994), 89 C.C.C. (3d) 39 (C.A. Ont.). Bien qu’il existe un chevauchement entre les par. 686(8) et 686(2), l’intimé fait valoir que le par. 686(2) est une disposition particulière et que la disposition générale du par. 686(8) ne saurait y déroger. Un principe rudimentaire d’interprétation législative veut que des termes généraux ne dérogent pas à des dispositions particulières.

71 Les principes énoncés par le Juge en chef, au nom de la majorité, dans l’arrêt R. c. Thomas, [1998] 3 R.C.S. 535 (déposé en même temps que les présents motifs), sont utiles pour régler le présent pourvoi. Thomas était accusé du meurtre au deuxième degré de sa conjointe de fait et il a invoqué le moyen de défense de l’intoxication pour contester l’existence de l’élément d’intention spécifique nécessaire pour qu’il y ait meurtre au deuxième degré, et pour soulever la possibilité d’un homicide involontaire coupable. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a ordonné la tenue d’un nouveau procès limité à la question de savoir si Thomas était coupable de meurtre au deuxième degré ou de l’infraction moindre et incluse d’homicide involontaire coupable.

72 Comme l’établit l’arrêt Thomas, les ordonnances rendues conformément au par. 686(8) sont de nature accessoire et ne peuvent être inconciliables ou directement incompatibles avec une décision de la cour d’appel fondée sur le par. 686(2). Lorsque la cour d’appel ordonne la tenue d’un nouveau procès conformément au par. 686(2), sa capacité de rendre une ordonnance accessoire en vertu du par. 686(8) est subordonnée à la condition que la justice l’exige. Dans l’arrêt Thomas, le Juge en chef a statué que la cour d’appel qui annule, pour cause d’erreur judiciaire, une déclaration de culpabilité prononcée à la suite d’un procès devant jury, et qui ordonne un nouveau procès, doit ordonner de recommencer le procès au complet. En pareil cas, le par. 686(8) ne donne pas le pouvoir d’ordonner un nouveau procès de portée limitée.

73 Selon les principes de l’arrêt Thomas, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique n’était pas compétente pour limiter la portée du nouveau procès auquel l’accusé avait droit. La Cour d’appel a annulé la déclaration de culpabilité de l’accusé, mais elle a limité son nouveau procès à la question de la NRCTM. Cette ordonnance limitait l’issue du procès de l’intimé à deux verdicts possibles: il pourrait être déclaré soit coupable, soit non coupable pour cause de NRCTM. La présomption d’innocence est essentielle pour assurer la tenue d’un procès équitable, qui est la mission de notre système de justice criminelle. La tenue d’un procès qui ne peut pas mener à un verdict d’acquittement porte manifestement atteinte au principe du procès équitable.

74 Un procès de portée limitée qui restreint le droit de l’accusé de contrôler sa défense porte atteinte à un principe de justice fondamentale et ce résultat est insoutenable. L’accusé doit être en mesure de faire valoir tous ses moyens de défense. Dans les circonstances de la présente affaire, l’intimé doit avoir cette possibilité. Un accusé peut invoquer le moyen de défense de la NRCTM n’importe quand pendant son procès ou attendre que le juge des faits ait conclu à sa culpabilité pour le faire. L’arrêt Swain prévoyait également que, si la preuve produite relativement à des troubles mentaux n’était pas suffisante pour convaincre le juge des faits que l’accusé était non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux, cette preuve pouvait être prise en compte pour décider si l’accusé avait la mens rea requise. Cela étant, il est évident que la capacité d’un accusé de présenter une défense pleine et entière pourrait être grandement compromise si son procès était limité à la question de la NRCTM. À cet égard, la question de la NRCTM diffère de celle de la provocation policière et, comme l’indiquent les motifs de l’arrêt R. c. Pearson, [1998] 3 R.C.S. 620 (déposés en même temps que les présents motifs), la dernière question permet de procéder autrement.

75 L’appelante (le ministère public) a soulevé, dans son mémoire supplémentaire, la question de savoir si un appelant peut quitter notre Cour avec moins que ce qu’il a obtenu en cour d’appel: R. c. Barnes, [1991] 1 R.C.S. 449, à la p. 466, et Guillemette c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 356, à la p. 364. L’intimé n’a pas déposé de pourvoi incident concernant la question de la portée limitée du procès et, en conséquence, si l’appelante (le ministère public) n’avait pas interjeté appel devant notre Cour, le nouveau procès serait encore limité à la question de la NRCTM. Cette proposition pose deux difficultés. Les arrêts Barnes et Guillemette portaient tous les deux sur la situation d’un accusé, par opposition à celle du ministère public. De plus, la question de savoir s’il y a lieu d’ordonner la tenue d’un nouveau procès ou d’un procès de portée limitée est une question de compétence, de sorte que notre Cour peut la soulever de son propre chef. Compte tenu de notre conclusion que la Cour d’appel n’avait pas compétence pour ordonner un procès de portée limitée, nous n’avons d’autre choix que d’ordonner la tenue d’un nouveau procès. Le paragraphe 695(1) du Code criminel prévoit:

695. (1) La Cour suprême du Canada peut, sur un appel aux termes de la présente partie, rendre toute ordonnance que la cour d’appel aurait pu rendre et peut établir toute règle ou rendre toute ordonnance nécessaire pour donner effet à son jugement.

VI. Dispositif

76 Le pourvoi est rejeté et un nouveau procès complet est ordonné.

Pourvoi rejeté et nouveau procès complet ordonné, les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier et McLachlin sont dissidents en partie et le juge en chef Lamer et le juge Bastarache sont dissidents.

Procureur de l’appelante: Le ministère du Procureur général, Vancouver.

Procureurs de l’intimé: Azevedo & Peeling, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : [1998] 3 R.C.S. 579 ?
Date de la décision : 17/12/1998
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté et la tenue d’un nouveau procès complet est ordonnée

Analyses

Droit criminel - Appel - Nouvel élément de preuve - Demande d’admission par l’accusé d’une preuve psychiatrique comme nouvel élément de preuve en appel - Non-respect du critère de diligence raisonnable relatif à l’admission d’un nouvel élément de preuve - La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en admettant la preuve psychiatrique?.

Droit criminel - Appel - Moyens de défense - Moyen de défense de la non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux invoqué pour la première fois en appel par la présentation d’un nouvel élément de preuve - La Cour d’appel a‑t‑elle commis une erreur en permettant que soit invoqué le moyen de défense?.

Droit criminel - Appel - Pouvoirs d’une cour d’appel - Accusé déclaré coupable de meurtre au premier degré et de tentative de meurtre à l’issue d’un procès devant jury - Moyen de défense de la non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux invoqué pour la première fois en appel par la présentation d’un nouvel élément de preuve - Cour d’appel ordonnant la tenue d’un nouveau procès limité à la question de la capacité mentale de l’accusé au moment des infractions - La Cour d’appel avait‑elle compétence pour ordonner un nouveau procès? - Dans l’affirmative, la Cour d’appel avait‑elle compétence pour ordonner un procès de portée limitée? - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 686(1)a)(iii), (1)d), (2)b), (8).

Un jury a déclaré l’accusé coupable relativement à deux chefs d’accusation de meurtre au premier degré et à un chef d’accusation de tentative de meurtre. L’accusé a par la suite été interné dans un établissement psychiatrique et examiné par plusieurs psychiatres, dont l’un a diagnostiqué chez lui une psychose maniaco‑dépressive et a conclu qu’il souffrait de cette maladie au moment des infractions, de sorte qu’il aurait dû être déclaré non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux. L’accusé a demandé à la Cour d’appel d’admettre le témoignage d’expert de ce psychiatre comme nouvel élément de preuve et de lui permettre d’invoquer pour la première fois le moyen de défense de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux («NRCTM»). La Cour d’appel, à la majorité, a statué qu’il y avait lieu d’admettre le nouvel élément de preuve et a ordonné la tenue d’un nouveau procès limité à la question de la capacité mentale de l’accusé au moment des infractions. Le ministère public se pourvoit devant notre Cour.

Arrêt (les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier et McLachlin sont dissidents en partie et le juge en chef Lamer et le juge Bastarache sont dissidents): Le pourvoi est rejeté et la tenue d’un nouveau procès complet est ordonnée.

Les juges Cory, Iacobucci, Major et Binnie: La décision de la Cour d’appel d’admettre cette nouvelle preuve, après avoir soupesé les facteurs pertinents, était juste et doit être confirmée. Même si le nouvel élément de preuve ne satisfaisait pas au critère de diligence raisonnable énoncé dans l’arrêt Palmer, il est souhaitable que la diligence raisonnable ne reste qu’un facteur parmi d’autres, et son absence, particulièrement en matière criminelle, devrait être appréciée en fonction d’autres circonstances. Si la preuve est convaincante et s’il est dans l’intérêt de la justice de l’admettre, alors le défaut de satisfaire à ce critère ne devrait pas être retenu pour en écarter l’admission. En l’espèce, le nouvel élément de preuve que l’on cherchait à produire était pertinent, plausible et pourrait influer sur le verdict, si on y ajoutait foi. Le défaut de l’accusé de satisfaire à l’obligation de diligence raisonnable est grave et serait fatal dans bien des cas; toutefois, dans les circonstances de la présente affaire, l’intérêt de la justice l’emporte sur ce défaut.

Lorsque cela est indiqué, il est acceptable d’autoriser l’accusé à invoquer le moyen de défense de la NRCTM pour la première fois en appel. Bien que le fait d’invoquer un nouveau moyen de défense en appel fasse exception à la règle générale, les circonstances et la preuve en l’espèce militent en faveur de permettre à l’accusé d’invoquer le moyen de défense. Il est de justice fondamentale qu’une personne qui n’était pas criminellement responsable au moment de l’infraction ne soit pas déclarée coupable.

La Cour d’appel avait compétence pour ordonner un nouveau procès. Quand le moyen de défense de la NRCTM est invoqué en appel pour la première fois, la Cour d’appel a, en vertu de l’al. 686(1)d) du Code criminel, le pouvoir d’écarter la déclaration de culpabilité et de déclarer l’accusé non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux. Toutefois, si la Cour d’appel conclut qu’elle ne peut pas trancher la question de la NRCTM, elle a compétence pour ordonner un nouveau procès afin d’éviter une erreur judiciaire, conformément au sous‑al. 686(1)a)(iii) et à l’al. 686(2)b) du Code. Bien que, dans la plupart des cas, il soit probable que la Cour d’appel disposera d’une preuve suffisante pour trancher la question de la capacité mentale, lorsque les faits sont complexes et que la cour conclut que d’autres éléments de preuve sont nécessaires, la tenue d’un nouveau procès devrait être ordonnée.

Toutefois, la Cour d’appel a commis une erreur en limitant le nouveau procès à la question de la NRCTM. Les principes énoncés par la majorité dans l’arrêt Thomas montrent que les ordonnances rendues conformément au par. 686(8) du Code sont de nature accessoire et ne peuvent être inconciliables ou directement incompatibles avec une décision de la cour d’appel fondée sur le par. 686(2). Lorsque la cour d’appel ordonne la tenue d’un nouveau procès conformément au par. 686(2), sa capacité de rendre une ordonnance accessoire en vertu du par. 686(8) est subordonnée à la condition que la justice l’exige. Compte tenu de ces principes, la Cour d’appel n’était pas compétente pour limiter la portée du nouveau procès. La présomption d’innocence est essentielle pour assurer la tenue d’un procès équitable et la tenue d’un procès qui ne peut pas mener à un verdict d’acquittement porte manifestement atteinte au principe du procès équitable. Un procès de portée limitée qui restreint le droit de l’accusé de contrôler sa défense porte également atteinte à un principe de justice fondamentale. L’accusé doit être en mesure de faire valoir tous ses moyens de défense. En l’espèce, si la preuve de troubles mentaux n’était pas suffisante pour convaincre le juge des faits que l’accusé était non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux, cette preuve pouvait être prise en compte pour décider si l’accusé avait la mens rea requise. Cela étant, il est évident que la capacité d’un accusé de présenter une défense pleine et entière pourrait être grandement compromise si son procès était limité à la question de la NRCTM.

Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier et McLachlin (dissidents en partie): Il y accord pour l’essentiel avec les motifs du juge Major, sauf en ce qui concerne la question de la compétence de la Cour d’appel d’ordonner la tenue d’un nouveau procès de portée limitée.

Règle générale, les cours d’appel ne permettent pas qu’une question soit soulevée pour la première fois en appel. Toutefois, il existe un certain nombre d’exceptions, dont l’une est l’admission d’une nouvelle preuve en appel. Le non‑respect du critère de la diligence raisonnable énoncé dans l’arrêt Palmer n’est pas toujours fatal et doit être évalué en fonction du poids des autres critères et de l’intérêt de la justice. L’intérêt de la justice doit tenir compte du traitement spécial que notre système de justice criminelle réserve à la défense de NRCTM, comme cela ressort de l’arrêt Swain, de l’art. 16 et de l’al. 686(1)d) du Code criminel. Dans les circonstances inhabituelles de la présente affaire, la règle exigeant la diligence raisonnable, la pratique interdisant de soulever de nouveaux moyens de défense en appel et la nécessité du caractère définitif du procès doivent tous céder le pas au principe selon lequel une personne incapable de former une intention criminelle ne devrait pas être déclarée coupable. Par conséquent, c’est à juste titre que la Cour d’appel a admis la preuve psychiatrique et l’accusé devrait être autorisé à invoquer pour la première fois en appel la défense de NRCTM.

Le pouvoir d’ordonner un nouveau procès lorsqu’un nouvel élément de preuve est admis est prévu conjointement par le sous‑al. 686(1)a)(iii) et l’al. 686(2)b). Rien dans le texte du sous‑al. 686(1)a)(iii) ne restreint son application à la preuve présentée au procès. Le sous‑alinéa 686(1)a)(iii) et l’al. 686(1)d), lus conjointement, donnent à la Cour d’appel la possibilité soit d’ordonner un nouveau procès, soit de substituer un verdict de NRCTM dans les cas où la défense de NRCTM est invoquée pour la première fois en appel. La possibilité soit d’ordonner un nouveau procès, soit de substituer un verdict de NRCTM est en accord avec les règles générales concernant l’admission d’une nouvelle preuve.

Pour les motifs exprimés par la minorité dans l’arrêt Thomas, la Cour d’appel avait le pouvoir d’ordonner un nouveau procès de portée limitée. Le paragraphe 686(8) du Code confère à une cour d’appel une large compétence pour décider quelle ordonnance serait appropriée, compte tenu de la nature et de l’étendue de l’erreur lors du procès, y compris le pouvoir de limiter un nouveau procès. En outre, une telle ordonnance sera exceptionnelle et dictée par ce que «la justice exige». Dans les circonstances de la présente affaire, un nouveau procès limité à la question de la NRCTM était compatible avec ce que «la justice exige», étant donné que l’ordonnance de la Cour d’appel est de même nature qu’une «audience de type Swain». L’«audience de type Swain» est tenue après qu’on en est venu à la conclusion que l’accusé a accompli les actes criminels reprochés, mais avant l’inscription d’une déclaration de culpabilité, aux fins d’une décision quant à savoir si l’accusé est non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux. L’ordonnance de la Cour d’appel ne contrevient pas aux principes de justice fondamentale ni à la présomption d’innocence consacrés à l’art. 7 et à l’al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Premièrement, comme la situation de l’accusé lors de ce nouveau procès sera la même que lors d’une audience de type Swain, il ne bénéficiera donc pas de la présomption d’innocence pendant l’examen de la question des troubles mentaux. Le ministère public a déjà établi l’existence de tous les éléments des infractions et un jury a été convaincu hors de tout doute raisonnable que l’accusé avait commis les crimes en question. Le nouvel élément de preuve ne porte que sur la question de savoir si l’accusé est non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux. Deuxièmement, une ordonnance compatible avec la procédure établie dans l’arrêt Swain, qui a été jugée conforme aux principes de justice fondamentale, ne peut pas violer ces mêmes principes. Enfin, la preuve produite relativement à des troubles mentaux ne peut être prise en compte pour décider si l’accusé avait la mens rea requise. Dans une audience de type Swain, le juge des faits n’a qu’à décider si la conclusion que l’accusé a accompli les éléments essentiels de l’infraction doit donner lieu à une déclaration de culpabilité ou à un verdict de NRCTM. L’ordonnance de la Cour d’appel, en l’espèce, est au même effet.

Le juge en chef Lamer et le juge Bastarache (dissidents): La Cour d’appel a exercé correctement son pouvoir discrétionnaire en admettant la nouvelle preuve. Lorsque la question de la maladie mentale est soulevée pour la première fois en appel au moyen d’une nouvelle preuve, l’al. 686(1)d) du Code criminel, qui mentionne expressément la question de la maladie mentale, régit de façon exclusive la compétence de la Cour d’appel. Cette compétence se limite à confirmer la déclaration de culpabilité ou à y substituer un verdict de NRCTM. La cour ne peut pas ordonner un nouveau procès en se fondant sur le sous‑al. 686(1)a)(iii) et l’al. 686(2)b). L’application du sous‑al. 686(1)a)(iii) comporte une évaluation de la preuve soumise au juge du procès, afin de décider s’il y a eu erreur judiciaire. La Cour d’appel ne peut pas conclure à l’existence d’une erreur judiciaire à partir d’une nouvelle preuve dont le premier juge des faits ne disposait pas. L’affaire devrait être renvoyée devant la Cour d’appel pour qu’elle la tranche conformément à l’al. 686(1)d).


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Warsing

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Major
Arrêt appliqué: R. c. Thomas, [1998] 3 R.C.S. 535
distinction faite d’avec les arrêts: R. c. Pearson, [1998] 3 R.C.S. 620
R. c. Barnes, [1991] 1 R.C.S. 449
Guillemette c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 356
arrêts examinés: Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759
R. c. Mailloux, [1988] 2 R.C.S. 1029
R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933
arrêts mentionnés: R. c. Buxbaum (1989), 70 C.R. (3d) 20
McMartin c. The Queen, [1964] R.C.S. 484
R. c. McAnespie, [1993] 4 R.C.S. 501
R. c. Stolar, [1988] 1 R.C.S. 480
R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24
R. c. Lavallee, [1990] 1 R.C.S. 852
R. c. C. (R.) (1989), 47 C.C.C. (3d) 84
R. c. Potvin, [1993] 2 R.C.S. 880
R. c. R. (R.) (1994), 91 C.C.C. (3d) 193
R. c. Vidulich (1989), 37 B.C.L.R. (2d) 391
R. c. Wade (1994), 89 C.C.C. (3d) 39.
Citée par le juge L’Heureux‑Dubé (dissidente en partie)
R. c. Thomas, [1998] 3 R.C.S. 535
R. c. Pearson, [1998] 2 R.C.S. 620
R. c. Brown, [1993] 2 R.C.S. 918
Perka c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232
R. c. R. (R.) (1994), 91 C.C.C. (3d) 193
R. c. Trabulsey (1995), 97 C.C.C. (3d) 147
R. c. Vidulich (1989), 37 B.C.L.R. (2d) 391
Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759
McMartin c. The Queen, [1964] R.C.S. 484
R. c. McAnespie, [1993] 4 R.C.S. 501
R. c. Price, [1993] 3 R.C.S. 633
R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933
R. c. Stolar, [1988] 1 R.C.S. 480
R. c. Thomson (1995), 102 C.C.C. (3d) 350
Mahoney c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 834
R. c. Mailloux, [1988] 2 R.C.S. 1029
R. c. Mack, [1988] 2 R.C.S. 903
R. c. Laverty (1990), 80 C.R. (3d) 231
R. c. Barnes (1990), 54 C.C.C. (3d) 368, conf. par [1991] 1 R.C.S. 449
R. c. Maxwell (1990), 61 C.C.C. (3d) 289
R. c. Scott, [1990] 3 R.C.S. 979
Reference re Regina c. Gorecki (No. 2) (1976), 32 C.C.C. (2d) 135.
Citée par le juge en chef Lamer et le juge Bastarache (dissidents)
Melnychuk c. Heard (1963), 45 W.W.R. 257
Gould c. Yukon Order of Pioneers, [1996] 1 R.C.S. 571
R. c. Chartrand, [1994] 2 R.C.S. 864
Renvoi relatif à la taxe sur les produits et services, [1992] 2 R.C.S. 445
R. c. Deruelle, [1992] 2 R.C.S. 663
Thomson c. Canada (Sous‑ministre de l’Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385
Waldick c. Malcolm, [1991] 2 R.C.S. 456
Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85
Canadian Imperial Bank of Commerce c. 64576 Manitoba Ltd., [1990] 5 W.W.R. 419, conf. par [1991] 2 W.W.R. 323
Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653
Rawluk c. Rawluk, [1990] 1 R.C.S. 70
R. c. Thompson, [1990] 2 R.C.S. 1111
Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 1 R.C.S. 1722
R. c. Mailloux, [1988] 2 R.C.S. 1029.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 11d).
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 16 [abr. & rempl. 1991, ch. 43, art. 2], 683(1)b), d), 686(1) [mod. ch. 27 (1er suppl.), art. 145
1991, ch. 43, art. 9 (ann., art. 8)], (2), (8), 695(1).
Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 613(1)d).
Doctrine citée
Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. By Ruth Sullivan. Toronto: Butterworths, 1994.
Lagarde, Irénée. Droit pénal canadien, vol. II, 2e éd. Montréal: Wilson & Lafleur, 1974.
McKinnon, Gil D. The Criminal Lawyers’ Guide to Appellate Court Practice. Aurora, Ont.: Canada Law Book, 1997.

Proposition de citation de la décision: R. c. Warsing, [1998] 3 R.C.S. 579 (17 décembre 1998)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1998-12-17;.1998..3.r.c.s..579 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award