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17/12/1998 | CANADA | N°[1998]_3_R.C.S._535

Canada | R. c. Thomas, [1998] 3 R.C.S. 535 (17 décembre 1998)


R. c. Thomas, [1998] 3 R.C.S. 535

Alexander Francois Thomas Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Thomas

No du greffe: 25943.

1998: 19 juin; 1998: 17 décembre.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1997), 85 B.C.A.C. 303, 138 W.A.C. 303, [1997] B.C.J. No. 341 (QL), qui a accueilli

l’appel de l’accusé contre sa déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré et qui a ordonné la tenue d’un nou...

R. c. Thomas, [1998] 3 R.C.S. 535

Alexander Francois Thomas Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Thomas

No du greffe: 25943.

1998: 19 juin; 1998: 17 décembre.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.

en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1997), 85 B.C.A.C. 303, 138 W.A.C. 303, [1997] B.C.J. No. 341 (QL), qui a accueilli l’appel de l’accusé contre sa déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré et qui a ordonné la tenue d’un nouveau procès limité à la question de savoir si le verdict devrait être celui de meurtre au deuxième degré ou celui d’homicide involontaire coupable. Pourvoi accueilli et nouveau procès complet ordonné, les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier et McLachlin sont dissidents.

Sheldon Goldberg, pour l’appelant.

Gregory J. Fitch, pour l’intimée.

Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges Cory, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie rendu par

//Le Juge en chef//

1 Le Juge en chef — Le présent pourvoi, à l’instar des deux autres arrêts rendus simultanément, à savoir R. c. Warsing, [1998] 3 R.C.S. 579, et R. c. Pearson, [1998] 3 R.C.S. 620, porte sur les pouvoirs des cours d’appel selon l’art. 686 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. La question particulière qui est soulevée en l’espèce est de savoir si, à la suite d’un appel contre une déclaration de culpabilité, le par. 686(8) du Code criminel, qui prévoit qu’une cour d’appel peut rendre «toute ordonnance [additionnelle] que la justice exige», autorise cette dernière à ordonner la tenue d’un nouveau procès sur la seule question de savoir si l’accusé est coupable de meurtre au deuxième degré ou d’homicide involontaire coupable. Cette question a été soulevée dans le cadre d’un autre pourvoi formé récemment devant notre Cour, mais qui a finalement été tranché en fonction d’autres moyens: R. c. Wade, [1995] 2 R.C.S. 737. Je désire préciser au départ que la décision que je rends dans la présente affaire porte sur les pouvoirs de la cour d’appel chargée de statuer sur un appel formé à l’encontre du verdict d’un jury. Je n’aborde pas la question de savoir si les mêmes principes s’appliquent aux appels interjetés contre les décisions rendues par un juge seul et si, dans un tel cas, le par. 686(8) pourrait permettre à une cour d’appel de restreindre les moyens de défense que peut invoquer l’accusé lors d’un second procès. En outre, pour les raisons que le juge Major et moi-même avons exposées dans Pearson, la question de la provocation policière présente pour les cours d’appel un ensemble si particulier de circonstances qu’elle justifie de donner au par. 686(8) du Code criminel une interprétation différente de celle que je lui donne en l’espèce.

I. Les faits

2 L’appelant, M. Thomas, a été accusé de meurtre au deuxième degré relativement au décès de sa conjointe de fait, Mme Alexander, qui a été abattue d’un coup de feu. L’événement s’est produit en présence d’un certain Ray Davis, qui a témoigné que l’accusé avait tué Alexander. Au procès, la seule question en litige importante était de savoir si M. Thomas avait l’intention de causer la mort de la victime et s’il avait, de ce fait, commis un meurtre. L’appelant a invoqué la défense d’intoxication à l’appui de sa prétention selon laquelle il devait être déclaré coupable de l’infraction moindre et incluse d’homicide involontaire coupable. Dans son exposé final au jury, l’avocat de l’appelant a admis que son client avait causé la mort de Mme Alexander en commettant un acte illégal. L’accusé a été déclaré coupable de meurtre au deuxième degré le 19 mars 1993.

3 Un avis d’appel de la déclaration de culpabilité a été déposé au nom de Thomas le 29 mai 1995, soit presque deux ans après l’expiration du délai prescrit. Il semble que ce retard ait été attribuable au comportement douteux de l’avocat alors mandaté par le bureau d’aide juridique de la Colombie‑Britannique pour conseiller l’accusé. Ces circonstances regrettables ont donné lieu à la cessation des communications entre l’accusé, son avocat et la Legal Services Society of British Columbia. Entre-temps, soit en septembre 1993, le ministère public a autorisé la destruction de la majorité des pièces produites au procès. Dans l’ensemble, ces pièces corroboraient le témoignage de Davis, le seul témoin oculaire du coup de feu, et elles ont été utiles au ministère public pour prouver que Thomas avait tué Alexander.

4 L’accusé ayant été victime d’une mauvaise représentation en justice, voire même de négligence de la part de son avocat, la Cour d’appel a accepté d’entendre sa requête en prorogation du délai pour interjeter appel de la déclaration de culpabilité. Dans les faits, la Cour d’appel a entendu en même temps la requête en prorogation de délai et l’appel formé contre la déclaration de culpabilité le 6 janvier 1997. Le lendemain, la Cour d’appel a prononcé oralement ses motifs de jugement par lesquels elle accueillait la requête en prorogation de délai ainsi que l’appel interjeté contre la déclaration de culpabilité et ordonnait un nouveau procès en application du par. 686(2) du Code criminel: (1997), 85 B.C.A.C. 303. Le juge Lambert a conclu qu’un nouveau procès était nécessaire étant donné les explications insatisfaisantes données par le juge du procès en réponse aux questions du jury concernant l’intention et l’intoxication. Toutefois, la Cour d’appel a également rendu, en vertu du par. 686(8), une ordonnance accessoire limitant la portée du nouveau procès à la question de savoir si l’accusé était coupable de meurtre au deuxième degré ou d’homicide involontaire coupable. C’est le caractère limitatif de cette ordonnance de nouveau procès que M. Thomas conteste dans le présent pourvoi.

II. Le jugement de la Cour d’appel de la Colombie‑ Britannique

5 La Cour d’appel a décidé d’entendre la requête en prorogation de délai et l’appel au fond au cours de la même audience afin de gagner du temps. Elle a aussi procédé de cette manière parce que le ministère public a prétendu au départ que la prorogation de délai ne devait être accordée que si l’appel ne portait que sur la question de savoir si l’accusé était coupable de meurtre au deuxième degré ou d’homicide involontaire coupable.

6 La Cour d’appel a accueilli la requête de l’appelant. Elle a conclu que l’omission du juge du procès de répondre correctement aux questions du jury sur le lien existant entre l’intention et l’intoxication n’a pas dissipé la confusion dans l’esprit du jury quant à l’état du droit. Dans un cas pareil, il était risqué de maintenir une déclaration de culpabilité fondée sur le verdict du jury, de sorte qu’un nouveau procès devait être ordonné. Cependant, la preuve présentée au procès ne laissait planer aucun doute sur le fait que l’appelant avait tué Mme Alexander. L’identité de l’auteur du crime n’était pas en litige lors du procès. De plus, certaines pièces pertinentes avaient été détruites avant que l’appelant n’ait déposé son avis d’appel avec un retard de deux ans. Pour ces motifs, la Cour d’appel a conclu que le nouveau procès devait se limiter à la question de savoir si le verdict aurait dû être celui de meurtre au deuxième degré ou celui d’homicide involontaire coupable. S’appuyant sur le par. 686(8) du Code criminel, tel qu’interprété par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire R. c. Wade (1994), 89 C.C.C. (3d) 39, le juge Lambert a conclu que la cour avait compétence pour rendre une ordonnance de cette nature. La cour a également prorogé le délai imparti pour interjeter appel de la sentence.

III. Les questions en litige dans le présent pourvoi

7 Devant notre Cour, M. Thomas a invoqué un certain nombre de moyens au soutien de son pourvoi. Il a soutenu que non seulement la Cour d’appel n’avait pas compétence pour ordonner un nouveau procès sur une question limitée, mais qu’elle n’aurait pas dû entendre l’appel au fond en même temps que la requête en prorogation de délai. De plus, il a prétendu que la cour n’aurait pas dû tenir compte de la preuve par affidavit présentée par le ministère public pour établir la destruction des pièces. Il a fait valoir que la prise en considération de cet affidavit lors de l’appel au fond a remplacé la production de témoignages de vive voix. L’appelant a également soutenu que la Cour d’appel a commis une erreur en se fondant sur la destruction d’éléments de preuve pour limiter les questions en litige devant faire l’objet du nouveau procès. Selon lui, ce qu’il a appelé la [traduction] «négligence de [son] ancien avocat» ne devrait aucunement porter atteinte aux droits d’un accusé. Enfin, l’appelant a plaidé qu’[traduction] «[e]n vertu du Code criminel et de la Charte des droits, le nouveau procès devant jury ne pouvait être limité à une décision restreinte» (mémoire de l’appelant, au par. 4). En particulier, M. Thomas a affirmé que l’ordonnance accessoire le privait de son droit d’être jugé par un jury.

8 Selon moi, la question principale soulevée par le présent pourvoi a trait au pouvoir qu’a la Cour d’appel de restreindre son ordonnance de nouveau procès et ainsi limiter le litige soumis au jury à la question de savoir si l’accusé est coupable de meurtre au deuxième degré ou d’homicide involontaire coupable. Vu la conclusion que je tire sur cette question, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres arguments de l’appelant. De toute manière, j’estime que M. Thomas interprète mal les motifs de la Cour d’appel. La lecture de la décision du juge Lambert m’amène à conclure que la Cour d’appel aurait ordonné un nouveau procès sur un nombre limité de questions, qu’il y ait eu ou non destruction de preuve, pour le seul motif que l’identité n’était pas en litige. Quoi qu’il en soit et avec égards, je suis d’avis que la Cour d’appel n’avait pas le pouvoir de restreindre la portée du nouveau procès de l’accusé de la façon dont elle l’a fait.

IV. Les dispositions législatives applicables

9 Les parties pertinentes de l’art. 686 du Code criminel sont ainsi conçues:

686. (1) Lors de l’audition d’un appel d’une déclaration de culpabilité ou d’un verdict d’inaptitude à subir son procès ou de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, la cour d’appel:

a) peut admettre l’appel, si elle est d’avis, selon le cas:

(i) que le verdict devrait être rejeté pour le motif qu’il est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve,

(ii) que le jugement du tribunal de première instance devrait être écarté pour le motif qu’il constitue une décision erronée sur une question de droit,

(iii) que, pour un motif quelconque, il y a eu erreur judiciaire;

b) peut rejeter l’appel, dans l’un ou l’autre des cas suivants:

(i) elle est d’avis que l’appelant, bien qu’il n’ait pas été régulièrement déclaré coupable sur un chef d’accusation ou une partie de l’acte d’accusation, a été régulièrement déclaré coupable sur un autre chef ou une autre partie de l’acte d’accusation,

(ii) l’appel n’est pas décidé en faveur de l’appelant pour l’un des motifs mentionnés à l’alinéa a),

(iii) bien qu’elle estime que, pour un motif mentionné au sous‑alinéa a)(ii), l’appel pourrait être décidé en faveur de l’appelant, elle est d’avis qu’aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave ne s’est produit;

(iv) nonobstant une irrégularité de procédure au procès, le tribunal de première instance était compétent à l’égard de la catégorie d’infractions dont fait partie celle dont l’appelant a été déclaré coupable et elle est d’avis qu’aucun préjudice n’a été causé à celui‑ci par cette irrégularité;

c) peut refuser d’admettre l’appel lorsqu’elle est d’avis que le tribunal de première instance en est venu à une conclusion erronée quant à l’effet d’un verdict spécial, et elle peut ordonner l’inscription de la conclusion que lui semble exiger le verdict et prononcer, en remplacement de la sentence rendue par le tribunal de première instance, une sentence justifiée en droit;

d) peut écarter une déclaration de culpabilité et déclarer l’appelant inapte à subir son procès ou non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux et peut exercer les pouvoirs d’un tribunal de première instance que l’article 672.45 accorde à celui‑ci ou auxquels il fait renvoi, de la façon qu’elle juge indiquée dans les circonstances.

(2) Lorsqu’une cour d’appel admet un appel en vertu de l’alinéa (1)a), elle annule la condamnation et, selon le cas:

a) ordonne l’inscription d’un jugement ou verdict d’acquittement;

b) ordonne un nouveau procès.

. . .

(4) Lorsqu’un appel est interjeté d’un acquittement, la cour d’appel peut:

a) rejeter l’appel;

b) admettre l’appel, écarter le verdict et, selon le cas:

(i) ordonner un nouveau procès,

(ii) sauf dans le cas d’un verdict rendu par un tribunal composé d’un juge et d’un jury, consigner un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction dont, à son avis, l’accusé aurait dû être déclaré coupable, et prononcer une peine justifiée en droit ou renvoyer l’affaire au tribunal de première instance en lui ordonnant d’infliger une peine justifiée en droit.

. . .

(8) Lorsqu’une cour d’appel exerce des pouvoirs conférés par le paragraphe (2), (4), (6) ou (7), elle peut en outre rendre toute ordonnance que la justice exige.

V. La compétence de la Cour d’appel sous le régime du par. 686(8)

10 La présente affaire soulève l’importante question de la portée des pouvoirs conférés à une cour d’appel par le par. 686(8) du Code criminel. Ce paragraphe prévoit qu’une cour d’appel qui rend une ordonnance en vertu du par. 686(2), (4), (6) ou (7) «peut en outre rendre toute ordonnance que la justice exige». Devant notre Cour, le ministère public a prétendu que ce paragraphe exige une interprétation aussi généreuse que possible. Selon lui, il faut donner au texte non équivoque du par. (8) son sens clair et non limitatif: la cour accueillant ou rejetant un appel peut rendre toute ordonnance additionnelle que la justice exige. D’ailleurs, selon un principe d’interprétation des lois bien établi, «si le texte est clair en soi, on ne doit pas chercher plus loin»: P.-A. Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990), à la p. 269. D’après le ministère public, la formulation générale du par. 686(8), par rapport au libellé précis d’autres parties de l’art. 686, confirme que ce paragraphe doit être interprété de façon généreuse. Compte tenu de [traduction] «la vaste étendue des mesures de redressement» prévues par l’art. 686, le ministère public a soutenu que la cour d’appel pouvait accorder des mesures de redressement proportionnelles au préjudice subi ou que l’on prétend avoir subi, en raison des erreurs commises par le tribunal de première instance (mémoire du ministère public, aux par. 40 et 41). Enfin, le ministère public a invoqué l’interprétation généreuse donnée par les tribunaux à des expressions telles l’«intérêt de la justice» à l’appui de son argument que la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique avait compétence pour rendre l’ordonnance faisant l’objet du pourvoi. Il a aussi insisté sur le fait que l’analyse des exigences de la justice doit prendre en considération les facteurs pertinents pour l’accusé et pour l’administration de la justice dans son ensemble.

11 Le ministère public a cité de la jurisprudence selon laquelle le par. 686(8) devrait être interprété en fonction de l’objet visé. Dans Elliott c. La Reine, [1978] 2 R.C.S. 393, notre Cour a confirmé le pouvoir d’une cour d’appel de modifier un acte d’accusation à l’égard d’un chef de possession d’une drogue d’usage restreint pour en faire le trafic. L’acte d’accusation initial inculpait l’accusé du trafic d’une drogue particulière, la méthylènedioxyamphétamine («MDA»). La preuve a révélé que l’accusé avait fait le trafic de sel de MDA. La Cour d’appel a conclu que les dispositions de la Loi des aliments et drogues, qui rangeaient la MDA «ou tout sel de cette substance» parmi les drogues d’usage restreint, n’étaient pas assez larges pour qu’une accusation mentionnant uniquement la MDA vise le sel de MDA. La Cour d’appel a permis la modification de l’acte d’accusation pour y inclure une accusation de possession de sel de MDA. Un nouveau procès a été ordonné sur cette accusation. La question litigieuse dont était saisie notre Cour était de savoir si la Cour d’appel avait outrepassé ses pouvoirs en ordonnant la modification de l’acte d’accusation initial pour que celui‑ci soit conforme à la preuve. S’exprimant au nom de la majorité de notre Cour, le juge Ritchie a dit, aux pp. 431 et 432:

À mon avis, lorsque le Parlement a autorisé la Cour d’Appel, dans l’exercice de ses pouvoirs, à ordonner un nouveau procès et «en outre [à] rendre toute ordonnance que la justice exige», il voulait l’autoriser à rendre, dans ces circonstances, toute ordonnance additionnelle que les fins de la justice peuvent exiger, que le nouveau procès dépende ou non de la délivrance de cette ordonnance additionnelle. [En italique dans l’original.]

12 Quelques années plus tard, dans R. c. Provo, [1989] 2 R.C.S. 3, le juge Wilson a conclu qu’une cour d’appel pouvait rendre une ordonnance renvoyant une affaire à procès dans le but de consigner une déclaration de culpabilité relativement à une accusation d’agression sexuelle si les procédures intentées sous ce chef avaient antérieurement fait l’objet d’une suspension fondée sur le principe établi dans l’arrêt Kienapple (Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729). Dans cette affaire, la déclaration de culpabilité relativement à l’accusation d’inceste découlant du même délit avait été annulée en appel. En concluant de la sorte, notre Cour a dit, à la p. 19, que le par. 686(8) conférait «un large pouvoir accessoire» qui doit faire l’objet d’«une interprétation libérale conforme aux fins réparatrices générales qui y sont visées». Le juge Wilson, s’exprimant au nom de notre Cour à l’unanimité, a également conclu, à la p. 20:

À mon avis, il n’y a pas d’alternative raisonnable à une interprétation large du pouvoir accessoire que le par. 613(8) [maintenant le par. 686(8)] confère à la Cour d’appel, compte tenu de sa formulation générale et des fins réparatrices visées. Cette disposition confère à la Cour d’appel un pouvoir supplémentaire général de prononcer toute ordonnance que la justice exige, dans l’exercice de ses pouvoirs en matière d’appel prévus aux paragraphes précédents de l’art. 613. [Je souligne.]

13 Dans une certaine mesure, ces deux arrêts appuient la thèse du ministère public. Ils établissent clairement que le par. 686(8) n’empêche pas que soient rendues des ordonnances qui servent les intérêts du ministère public en matière d’administration de la justice. Toutefois, ils mettent aussi en évidence une caractéristique fondamentale des ordonnances rendues en vertu du par. 686(8), soit que celles‑ci sont de nature accessoire.

14 En matière criminelle, la compétence d’une cour d’appel est purement d’origine législative: art. 674 du Code criminel. Voir aussi Kourtessis c. M.R.N., [1993] 2 R.C.S. 53, à la p. 69, et R. c. Meltzer, [1989] 1 R.C.S. 1764, à la p. 1773. À l’égard des appels ordinaires en matière criminelle, la compétence et les pouvoirs d’une cour d’appel sont définis de façon exhaustive dans la partie XXI du Code criminel. Il faut interpréter le pouvoir précis conféré par le par. 686(8) à la lumière de ce régime législatif. Comme le fait remarquer le juge R. E. Salhany (dans Canadian Criminal Procedure (6e éd. 1994 (feuilles mobiles)), à la p. 9‑5): [traduction] «[o]n oublie souvent que le droit d’un accusé d’interjeter appel de la déclaration de culpabilité doit être analysé à la lumière du pouvoir de la cour d’appel de connaître de la déclaration de culpabilité». D’autres auteurs confirment ce point de vue (J. Sopinka et M. A. Gelowitz, The Conduct of an Appeal (1993), à la p. 111):

[traduction] La nature législative des appels en matière criminelle se reflète non seulement dans l’étendue de la compétence en matière d’appel mais aussi dans la portée des pouvoirs que peut exercer la cour d’appel statuant dans une affaire dont elle est saisie régulièrement.

Le juge Wilson a adopté cette approche dans Provo, précité, à la p. 20, lorsqu’elle a souligné que le Parlement avait conféré à la cour d’appel «un pouvoir supplémentaire général de prononcer toute ordonnance que la justice exige dans l’exercice de ses pouvoirs en matière d’appel prévus aux paragraphes précédents de l’art. 613» (maintenant l’art. 686). (Je souligne.)

15 Notre Cour a adopté une interprétation contextuelle similaire du par. 686(8) dans R. c. Hinse, [1995] 4 R.C.S. 597. Dans cette affaire, notre Cour était appelée à réexaminer une ordonnance rejetant la demande d’autorisation de se pourvoir contre une ordonnance de la Cour d’appel du Québec qui annulait une déclaration de culpabilité et prononçait l’arrêt des procédures pour cause d’abus de procédure. Notre Cour a confirmé que le par. 686(8) conférait à une cour d’appel le pouvoir d’ordonner l’arrêt des procédures criminelles qui violent le sens de l’équité de la société. La majorité a également commenté, en des termes plus généraux, l’étendue du pouvoir conféré par le par. 686(8). Elle a conclu qu’une ordonnance rendue en vertu du par. 686(8) constituait une «ordonnance judiciaire fondamentalement distincte» d’une ordonnance de nouveau procès, mais que la première demeure «accessoire au jugement [que la cour d’appel] a prononcé» (souligné dans l’original):

Mais le seul fait qu’une cour d’appel puisse exercer le pouvoir que lui confère le par. 686(8) du Code criminel, indépendamment d’une ordonnance antérieure fondée sur l’al. 686(2)b), ne change pas, à mon avis, le caractère fondamentalement accessoire et supplémentaire d’une telle ordonnance. [. . .] Le pouvoir que possède la cour en vertu du par. 686(8) n’est toutefois pas si inextricablement lié au sort de l’appel. En fait, le pouvoir que le par. 686(8) confère à la cour est souvent exercé relativement à des facteurs qui n’ont rien à voir avec la question de l’innocence ou de la culpabilité de l’accusé.

(Hinse, précité, aux par. 24, 28 et 31.)

16 Abordant la question de savoir si notre Cour avait compétence pour entendre les pourvois interjetés contre des ordonnances rendues en vertu du par. 686(8), j’ai conclu au nom de la majorité qu’une saine politique judiciaire justifiait l’autorisation des pourvois de cette nature. J’ai aussi émis des commentaires, au par. 33, sur l’étendue des mesures de redressement susceptibles d’être prononcées en application du par. 686(8):

Cependant, le pouvoir résiduel conféré à une cour d’appel par le par. 686(8) n’est pas soumis aux mêmes contraintes textuelles rigoureuses que le pouvoir conféré à la cour par l’al. 686(2)b). En vertu de son pouvoir de redressement, la cour d’appel peut rendre «toute ordonnance» que «la justice exige» selon elle. Il y a donc un risque qu’une cour d’appel rende, en vertu du par. 686(8), une ordonnance qui soit directement incompatible avec son jugement sous‑jacent. Une cour d’appel peut accueillir l’appel d’un accusé et inscrire un verdict d’acquittement en vertu de l’al. 686(2)a), pour ensuite, supposons‑le, condamner, sans raison manifeste, l’accusé à payer des dépens, nonobstant le libellé du par. 683(3). Ou encore, une cour d’appel pourrait, en théorie, annuler la déclaration de culpabilité d’un accusé, et ensuite ordonner l’arrêt des procédures pour des raisons n’ayant absolument rien à voir avec quelque allégation d’abus de procédure, dépassant ainsi les limites du pouvoir discrétionnaire d’une cour d’appel, que notre Cour a énoncées dans l’arrêt Power, précité, à la p. 620. Dans les deux cas, la légalité de l’ordonnance discrétionnaire pertinente, rendue en vertu du par. 686(8), serait douteuse. Qui plus est, l’ordonnance discrétionnaire serait fondamentalement incompatible avec la façon dont la cour statuerait sur l’appel, et, pourrait‑on soutenir, minerait le gain de cause obtenu par l’accusé quant au fond de l’appel. [Je souligne.]

Après avoir mentionné l’ordonnance rendue par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Wade, j’ai ajouté, au par. 34:

En supposant, sans trancher cette épineuse question, qu’une cour d’appel a, en vertu du par. 686(8), le pouvoir d’ordonner un nouveau procès relativement à certaines questions litigieuses seulement, l’exercice non contrôlé de ce pouvoir pose en principe un risque évident. Une cour d’appel pourrait en fait miner le gain de cause obtenu en appel par un accusé, en ordonnant la tenue d’un nouveau procès relativement à certaines questions litigieuses seulement, qui n’auraient absolument rien à voir avec la question sous‑jacente de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé. Le succès remporté par l’accusé en obtenant une ordonnance de nouveau procès en vertu de l’al. 686(2)b) serait complètement dépouillé de son sens par l’«ordonnance supplémentaire» rendue par la cour en vertu du par. 686(8). [Je souligne.]

17 Les motifs de la majorité dans Hinse indiquent que le par. 686(8) ne confère pas à une cour d’appel un pouvoir discrétionnaire illimité. En plus d’être limitée par les exigences de la justice, une cour d’appel ne doit pas rendre une ordonnance directement incompatible avec son jugement sous‑jacent. À mon avis, une cour d’appel doit déterminer si elle a compétence pour rendre une ordonnance accessoire donnée en application du par. 686(8) à la lumière des motifs justifiant la décision rendue en appel et des différents pouvoirs que lui confère l’art. 686 de façon générale.

18 Avant d’aborder l’ordonnance de la Cour d’appel dans la présente affaire, je souligne que l’interprétation du par. 686(8) que je propose est compatible, de manière générale, avec les nombreuses applications dont il a fait l’objet (voir, par exemple: R. c. Stanley (1977), 36 C.C.C. (2d) 216 (C.A.C.-B.); R. c. Cook (1979), 47 C.C.C. (2d) 186 (C.A. Ont.); R. c. B. (A.J.) (1994), 90 C.C.C. (3d) 210 (C.A.T.-N.); R. c. Geauvreau, [1982] 1 R.C.S. 485; Kienapple, précité; Reference re Regina c. Gorecki (No. 2) (1976), 32 C.C.C. (2d) 135 (C.A. Ont.). Cependant, étant donné qu’en l’espèce, ma décision s’appuie sur un fondement restreint, je ne me prononce pas sur le bien‑fondé de ces divers cas d’application du par. 686(8). Son application relativement à la provocation policière est abordée dans Pearson, précité.

19 Dans la présente affaire, la Cour d’appel a conclu que le juge du procès n’a pas répondu de façon satisfaisante aux questions posées par le jury au sujet de l’intention et de l’intoxication. Bien qu’elle ne mentionne pas l’alinéa du par. 686(1) sur lequel elle s’est fondée pour accueillir l’appel, on peut en inférer que la Cour d’appel a jugé qu’il y avait eu erreur judiciaire parce que la confusion jetée dans l’esprit du jury n’avait pas été dissipée. Dans ses motifs de jugement, le juge Lambert a précisé qu’il était [traduction] «risqué» de maintenir la déclaration de culpabilité (p. 306). J’estime donc que l’essence du jugement en appel était que le verdict du jury était erroné et ne pouvait être confirmé. Dans ces circonstances, un nouveau procès doit être ordonné (par. 686(2)). La question est de savoir si la Cour d’appel avait compétence pour ordonner la tenue d’un nouveau procès de portée limitée. Je précise d’abord que je ne suis pas en désaccord avec la prétention du ministère public selon laquelle le par. 686(8) confère aux cours d’appel le pouvoir de rendre une gamme étendue d’ordonnances accessoires. (Voir, par exemple, Pearson, précité.) Je ne le suis pas non plus avec son argument voulant que les cours d’appel doivent jouir d’un vaste pouvoir discrétionnaire de rendre les ordonnances accessoires appropriées. J’estime toutefois que ce pouvoir discrétionnaire comporte des limites et que, dans la présente affaire, elles ont été dépassées.

VI. L’application de l’art. 686 relativement aux procès devant jury

20 Outre les limites susmentionnées aux pouvoirs conférés à une cour d’appel par le par. 686(8), je suis d’avis que toute ordonnance rendue sous son régime doit être compatible avec l’art. 686 envisagé dans son ensemble. Cet article établit la compétence des cours d’appel statuant sur un appel formé contre une déclaration de culpabilité ou un acquittement, et prévoit notamment le pouvoir d’ordonner un nouveau procès. Lorsqu’elle rend une ordonnance de cette nature, la cour doit évidemment agir dans le cadre des règles attributives de compétence et se conformer aux principes dont elles découlent.

21 Le paragraphe 686(4) apporte une limite très importante au pouvoir conféré à une cour d’appel. En particulier, les pouvoirs dont jouit une cour d’appel lorsqu’elle accueille un appel interjeté contre un verdict d’acquittement rendu par un jury sont délimités par le texte des sous‑al. 686(4)b)(i) et (ii), qui prévoient:

(4) Lorsqu’un appel est interjeté d’un acquittement, la cour d’appel peut:

. . .

b) admettre l’appel, écarter le verdict et, selon le cas:

(i) ordonner un nouveau procès,

(ii) sauf dans le cas d’un verdict rendu par un tribunal composé d’un juge et d’un jury, consigner un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction dont, à son avis, l’accusé aurait dû être déclaré coupable, et prononcer une peine justifiée en droit ou renvoyer l’affaire au tribunal de première instance en lui ordonnant d’infliger une peine justifiée en droit. [Je souligne.]

Il ressort essentiellement de cette disposition que dans les cas d’acquittements prononcés par un jury, une cour d’appel n’a pas le pouvoir de remplacer le verdict par une déclaration de culpabilité, même pour une infraction moindre. Dans l’hypothèse où la cour désirerait annuler le verdict, elle n’aurait d’autre choix que d’ordonner un nouveau procès en vertu du sous‑al. 686(4)b)(i).

22 Bien que cette disposition ne s’applique qu’aux appels d’acquittements et que la présente affaire porte sur l’appel d’une déclaration de culpabilité, je crois qu’elle donne une indication de l’étendue de la compétence d’une cour d’appel d’ordonner, dans une affaire devant un jury, un nouveau procès limité à certaines questions en vertu du par. 686(8). Il me paraît évident qu’en ordonnant un nouveau procès en vertu du sous‑al. 686(4)b)(i), une cour d’appel ne peut rendre une ordonnance du genre de celle qui a été rendue en l’espèce en se fondant sur le pouvoir présumément conféré par le par. 686(8). Agir de la sorte équivaudrait à consigner une déclaration de culpabilité partielle contre l’accusé, ce que le sous‑al. 686(4)b)(ii) empêche expressément une cour d’appel de faire. En conséquence, un «nouveau procès» au sens du sous‑al. 686(4)b)(i) signifie un nouveau procès complet, et non pas un nouveau procès limité à certaines questions comme celui qui a été ordonné par la Cour d’appel dans la présente affaire. Il s’ensuit également que les termes «nouveau procès» employés à l’al. 686(2)b) doivent être interprétés de la même manière, à tout le moins dans les cas où il y a eu un procès devant jury.

23 Le paragraphe 686(2) prévoit que lorsqu’une cour d’appel conclut qu’une déclaration de culpabilité est déraisonnable, qu’une erreur de droit a été commise ou qu’il y a eu une erreur judiciaire, elle peut remplacer cette déclaration par un acquittement ou ordonner la tenue d’un nouveau procès. Rien ne permet la substitution d’une déclaration de culpabilité relativement à quelque autre infraction que ce soit. En l’espèce, l’ordonnance de la cour équivaut, à tout le moins, à une déclaration de culpabilité d’homicide involontaire coupable qui remplace le verdict de meurtre au deuxième degré rendu par le premier jury. Le pouvoir de rendre une ordonnance de cette nature devrait découler du par. 686(8) et, pour les motifs susmentionnés, je suis d’avis que ce paragraphe n’a pas la portée nécessaire pour le conférer dans les cas de procès devant jury.

24 Le principe émanant du par. 686(4) est qu’un grand respect doit être accordé aux jurys — tant au premier jury qui a entendu l’affaire qu’à celui qui nous intéresse plus particulièrement en l’espèce, soit celui qui entendra le nouveau procès. Selon moi, les cours d’appel ne devraient pas réduire à la légère l’étendue de la compétence du jury à l’occasion d’un nouveau procès en restreignant la portée des questions litigieuses relevant normalement de sa compétence. En l’espèce, la Cour d’appel a tenté, en ordonnant un nouveau procès, de réduire les fonctions du jury à celle de décider entre l’homicide involontaire coupable et le meurtre au deuxième degré. Dans les faits, l’ordonnance de la Cour d’appel équivaut à l’imposition d’un verdict d’homicide involontaire coupable accompagné d’instructions au jury selon lesquelles il est libre d’aller plus loin s’il le désire. On empêche le jury de rendre un verdict de non‑culpabilité. Il n’est pas totalement exclu qu’un nouveau procès limité à certaines questions comme celui qui a été ordonné en l’espèce puisse être envisagé si la cour d’appel pouvait renvoyer une affaire au même jury. Je ne me prononce pas sur cette question en l’espèce. Dans cette éventualité, le jury pourrait recevoir de nouvelles instructions et être appelé à aborder les questions particulières qui préoccupent la cour d’appel. Pour l’instant, toutefois, le Code criminel ne prévoit pas la possibilité de renvoyer une affaire au juge des faits initial pour qu’il rende une nouvelle décision.

25 Bien que ce qui précède soit suffisant pour trancher le présent pourvoi, l’ordonnance rendue par la cour d’instance inférieure comporte d’autres éléments qui suscitent l’inquiétude et méritent que l’on s’y attarde. La présente affaire me semble illustrer particulièrement bien les dangers de restreindre la portée d’un nouveau procès devant jury. En l’espèce, le jury a posé deux questions précises au juge du procès: [traduction] «Quelle est la définition de l’intention?» et [traduction] «Quel rôle l’intoxication joue‑t‑elle en ce qui concerne l’intention?» Ces questions démontrent clairement que le jury a éprouvé des difficultés à résoudre la question de la mens rea. La Cour d’appel a conclu que les réponses du juge du procès étaient limitées et qu’elles n’étaient [traduction] «pas de nature à éclairer le jury» (p. 306).

26 Étant donné la nature fondamentale de ces questions, il est peu probable que la Cour d’appel aurait été convaincue de la culpabilité de l’accusé, même en ce qui a trait à l’homicide involontaire coupable si l’avocat de M. Thomas n’avait pas admis devant le jury que son client a tué Mme Alexander et n’avait pas demandé qu’il soit déclaré coupable d’homicide involontaire coupable. Cela me conforte dans l’opinion que les ordonnances restreignant la portée d’un nouveau procès après que l’appel d’un verdict rendu par un jury a été accueilli ne sont pas conformes aux principes qui sous‑tendent les pouvoirs conférés aux cours d’appel par l’art. 686. J’ajouterais qu’en l’espèce, une restriction de ce genre aurait comme conséquence pratique de rendre l’accusé prisonnier des concessions faites lors du premier procès, ce qui pourrait entraver l’exercice de son droit à une défense pleine et entière à l’occasion du second procès et contrevenir à la présomption d’innocence, qui sont respectivement protégés par l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés.

27 Un argument supplémentaire illustre les dangers liés à une ordonnance de nouveau procès sur un nombre limité de questions. En l’espèce par exemple, le premier procès de M. Thomas a eu lieu au printemps 1993. À peine un an plus tard, notre Cour a rendu sa décision dans R. c. Daviault, [1994] 3 R.C.S. 63. Par la suite, le Parlement a édicté l’art. 33.1 du Code criminel, qui porte sur la défense d’intoxication volontaire. Il y a donc eu une évolution du droit relativement à la relation entre la mens rea, l’intention et l’intoxication, soit les éléments mêmes sur lesquels s’est penchée la Cour d’appel dans la présente affaire. Dans d’autres cas, les modifications du droit entre le premier et le second procès peuvent être encore plus importantes. Restreindre les questions à être soumises au second jury dans de telles circonstances serait inapproprié.

28 À la lumière de ce qui précède, je conclus que la Cour d’appel n’avait pas le pouvoir de rendre une ordonnance limitant le nouveau procès de l’appelant à la question de savoir s’il était coupable de meurtre au deuxième degré ou d’homicide involontaire coupable. Je prends soin de ne pas aborder la question de savoir si une telle ordonnance serait acceptable dans le cadre d’un procès devant juge seul et si le par. 686(8) autoriserait dans un tel cas une cour d’appel à limiter les moyens de défense que peut invoquer l’accusé au cours d’un second procès, car je peux songer à d’autres considérations susceptibles d’entrer en jeu. En outre, comme nous l’avons vu, la situation particulière qui se présente dans les cas de provocation policière justifie une approche différente: voir Pearson, précité. En conséquence, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès complet pour M. Thomas.

Version française des motifs des juges L’Heureux-Dubé, Gonthier et McLachlin rendus par

//Le juge L’Heureux-Dubé//

29 Le juge L’Heureux‑Dubé (dissidente) -- J’ai eu l’avantage de lire les motifs du Juge en chef dans le présent pourvoi et, en toute déférence, je ne peux souscrire ni à ses motifs ni au dispositif qu’il propose. Le présent pourvoi, de même que les arrêts R. c. Warsing, [1998] 3 R.C.S. 579, et R. c. Pearson, [1998] 3 R.C.S. 620, rendus simultanément, nous donne l’occasion d’analyser la portée des larges pouvoirs conférés aux cours d’appel par le par. 686(8) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46. Je suis d’avis que ces pouvoirs n’ont pas été outrepassés en l’espèce.

30 Les faits essentiels tiennent à ce bref résumé. L’appelant a été déclaré coupable par un jury du meurtre au deuxième degré de sa conjointe de fait, Emily Alexander. Au procès, l’appelant a admis, par la voix de son avocat, qu’il avait abattu Mme Alexander, mais il a invoqué la défense d’intoxication à l’appui d’un verdict d’homicide involontaire coupable. L’appelant a déposé son avis d’appel plus de deux ans après sa déclaration de culpabilité, et, entre-temps, plusieurs pièces qui avaient été déposées au procès ont été détruites. En appel, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, ayant accordé une prolongation du délai de production de l’avis d’appel, a accueilli l’appel au motif que le juge du procès avait commis une erreur dans ses réponses aux questions du jury concernant l’intention et l’intoxication, et a ordonné la tenue d’un nouveau procès. Toutefois, la Cour d’appel, se fondant sur le par. 686(8) du Code criminel, a limité le nouveau procès à la question de savoir si l’appelant devait être reconnu coupable de meurtre au deuxième degré ou d’homicide involontaire coupable.

I. Les questions en litige

31 La principale question que soulève ce pourvoi vise le pouvoir d’une cour d’appel de rendre, en vertu du par. 686(8) du Code criminel, une ordonnance restreignant la portée d’un nouveau procès à la question de savoir si l’accusé était coupable d’homicide involontaire coupable ou de meurtre au deuxième degré. Une question additionnelle découle de la décision de la Cour d’appel d’entendre en même temps la demande de prolongation du délai et l’appel au fond.

II. La portée du par. 686(8)

32 Pour déterminer l’étendue des pouvoirs conférés par le par. 686(8), il faut interpréter l’expression «en outre [. . .] toute ordonnance que la justice exige» utilisée dans cet article. Il est bien établi que l’interprétation d’une loi doit donner effet à l’intention du législateur et qu’elle doit être guidée par l’examen du texte de la disposition visée, par son but et par les objectifs généraux qui la sous‑tendent (P.‑A. Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990), aux pp. 262 à 264, ainsi que 271 à 285; voir R. c. Cuerrier, [1998] 2 R.C.S. 371, le juge L’Heureux‑Dubé, et R. c. Hinchey, [1996] 3 R.C.S. 1128, le juge L’Heureux‑Dubé, au par. 12).

33 L’article 686 prévoit:

686. (1) Lors de l’audition d’un appel d’une déclaration de culpabilité ou d’un verdict d’inaptitude à subir son procès ou de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, la cour d’appel:

a) peut admettre l’appel, si elle est d’avis, selon le cas:

(i) que le verdict devrait être rejeté pour le motif qu’il est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve,

(ii) que le jugement du tribunal de première instance devrait être écarté pour le motif qu’il constitue une décision erronée sur une question de droit,

(iii) que, pour un motif quelconque, il y a eu erreur judiciaire;

b) peut rejeter l’appel, dans l’un ou l’autre des cas suivants:

(i) elle est d’avis que l’appelant, bien qu’il n’ait pas été régulièrement déclaré coupable sur un chef d’accusation ou une partie de l’acte d’accusation, a été régulièrement déclaré coupable sur un autre chef ou une autre partie de l’acte d’accusation,

(ii) l’appel n’est pas décidé en faveur de l’appelant pour l’un des motifs mentionnés à l’alinéa a),

(iii) bien qu’elle estime que, pour un motif mentionné au sous‑alinéa a)(ii), l’appel pourrait être décidé en faveur de l’appelant, elle est d’avis qu’aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave ne s’est produit;

(iv) nonobstant une irrégularité de procédure au procès, le tribunal de première instance était compétent à l’égard de la catégorie d’infractions dont fait partie celle dont l’appelant a été déclaré coupable et elle est d’avis qu’aucun préjudice n’a été causé à celui‑ci par cette irrégularité;

c) peut refuser d’admettre l’appel lorsqu’elle est d’avis que le tribunal de première instance en est venu à une conclusion erronée quant à l’effet d’un verdict spécial, et elle peut ordonner l’inscription de la conclusion que lui semble exiger le verdict et prononcer, en remplacement de la sentence rendue par le tribunal de première instance, une sentence justifiée en droit;

d) peut écarter une déclaration de culpabilité et déclarer l’appelant inapte à subir son procès ou non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux et peut exercer les pouvoirs d’un tribunal de première instance que l’article 672.45 accorde à celui‑ci ou auxquels il fait renvoi, de la façon qu’elle juge indiquée dans les circonstances.

(2) Lorsqu’une cour d’appel admet un appel en vertu de l’alinéa (1)a), elle annule la condamnation et, selon le cas:

a) ordonne l’inscription d’un jugement ou verdict d’acquittement;

b) ordonne un nouveau procès.

(3) Lorsqu’une cour d’appel rejette un appel aux termes du sous‑alinéa (1)b)(i), elle peut substituer le verdict qui, à son avis, aurait dû être rendu et:

a) soit confirmer la peine prononcée par le tribunal de première instance;

b) soit imposer une peine justifiée en droit ou renvoyer l’affaire au tribunal de première instance en lui ordonnant d’infliger une peine justifiée en droit.

(4) Lorsqu’un appel est interjeté d’un acquittement, la cour d’appel peut:

a) rejeter l’appel;

b) admettre l’appel, écarter le verdict et, selon le cas:

(i) ordonner un nouveau procès,

(ii) sauf dans le cas d’un verdict rendu par un tribunal composé d’un juge et d’un jury, consigner un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction dont, à son avis, l’accusé aurait dû être déclaré coupable, et prononcer une peine justifiée en droit ou renvoyer l’affaire au tribunal de première instance en lui ordonnant d’infliger une peine justifiée en droit.

. . .

(8) Lorsqu’une cour d’appel exerce des pouvoirs conférés par le paragraphe (2), (4), (6) ou (7), elle peut en outre rendre toute ordonnance que la justice exige.

34 L’article 686 décrit les pouvoirs généraux dont disposent les cours d’appel pour trancher les appels en matière criminelle. Cet article confère le pouvoir d’accorder un grand nombre de réparations particulières selon la nature et la gravité de l’erreur commise par le tribunal d’instance inférieure. Par exemple, en vertu du sous‑al. 686(1)b)(i) et du par. 686(3), une cour d’appel peut rejeter un appel et substituer le verdict qui, à son avis, aurait dû être rendu lorsqu’elle est d’avis que l’accusé a été régulièrement déclaré coupable relativement à au moins un chef d’accusation ou à une partie de l’acte d’accusation. De plus, lorsqu’un appel est interjeté contre un acquittement et que le verdict n’a pas été rendu par un tribunal composé d’un juge et d’un jury, le par. 686(4) confère à une cour d’appel le pouvoir de remplacer le verdict d’acquittement par un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction dont l’accusé aurait dû être reconnu coupable, n’eût été l’erreur de droit.

35 L’objectif général de l’art. 686 est de promouvoir le caractère définitif des litiges criminels, lorsque cela est possible, et de faire en sorte que les cours d’appel aient le pouvoir d’accorder des réparations proportionnelles aux erreurs commises par le tribunal de première instance. L’article 686 confère aux cours d’appel le pouvoir discrétionnaire et l’autorité nécessaires pour traiter les diverses erreurs commises lors du procès, de manière à ce que justice soit rendue.

36 Le paragraphe 686(8) joue un rôle particulier à cet égard. Lorsqu’une cour d’appel ordonne la tenue d’un nouveau procès conformément au par. 686(2) du Code criminel, le par. 686(8) lui permet de rendre «en outre [. . .] toute ordonnance que la justice exige». Dans ce contexte, les fins réparatrices du par. 686(8) sont de veiller à ce que les intérêts de la justice soient protégés lorsque l’ordonnance de nouveau procès n’assurerait pas, à elle seule, que justice soit rendue. Ces mesures réparatrices doivent être interprétées largement afin d’accroître la capacité des cours d’appel de répondre de façon mesurée à la nature et à la gravité de l’erreur commise lors des procédures antérieures.

37 Je crois qu’il serait inapproprié pour notre Cour d’affirmer, comme le fait le Juge en chef, que la règle générale est qu’une cour d’appel ne peut jamais ordonner la tenue d’un nouveau procès restreint à un nombre limité de verdicts. À mon avis, la vaste compétence d’une cour d’appel quant aux ordonnances qu’elle peut rendre est limitée uniquement par ce que «la justice exige». La nature des ordonnances additionnelles que «la justice exige» variera grandement d’une affaire à l’autre. Ainsi, le juge Doherty, au nom de la cour dans l’arrêt R. c. Bernardo (1997), 121 C.C.C. (3d) 123 (C.A. Ont.), à la p. 131, a choisi, selon moi, l’approche appropriée dans l’analyse de ce que la justice exige:

[traduction] L’expression «l’intérêt de la justice» est utilisée partout dans le Code criminel. Sa signification découle du contexte dans lequel elle est utilisée et elle indique l’existence d’un pouvoir discrétionnaire à exercer cas par cas.

38 De même, ce que «la justice exige» dans une situation donnée devrait être décidé par la cour d’appel selon chaque cas, et son pouvoir discrétionnaire de façonner une réparation d’un genre particulier en vertu du par. 686(8) ne devrait pas être restreint. Il revient à notre Cour, cela va de soi, de revoir l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire cas par cas et de décider si, compte tenu des faits particuliers d’une affaire, l’ordonnance restreignant le nouveau procès à la résolution de certaines questions constitue ce que «la justice exige» (R. c. Hinse, [1995] 4 R.C.S. 597).

39 La détermination de ce que «la justice exige» découle des fins réparatrices du par. 686(8) et fait intervenir tant l’examen de l’intérêt individuel de l’accusé dans un procès équitable que celui de l’intérêt collectif dans la bonne administration de la justice. Cela est conforme à l’interprétation d’expressions similaires, comme l’«intérêt de la justice», dans différents articles de la partie XXI du Code criminel, et les «principes de justice fondamentale», dans l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (pour le Code criminel, voir Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759, à la p. 775, al. 683(1)d) (auparavant 610(1)d)); Bernardo, précité, par. 684(1); R. c. Chek TV Ltd. (1986), 27 C.C.C. (3d) 380 (C.A.C.-B.), à la p. 383, le juge Craig dans ses motifs concourants, par. 683(5) (auparavant 610(5)); pour l’art. 7 de la Charte, voir R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, à la p. 458, le juge L’Heureux‑Dubé; Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, à la p. 539, le juge La Forest; Rodriguez c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519; Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143; R. c. Levogiannis, [1993] 4 R.C.S. 475, à la p. 486, le juge L’Heureux‑Dubé).

40 Le paragraphe 686(8), dans sa version anglaise, prévoit que le pouvoir discrétionnaire d’une cour d’appel de rendre «any additional order» n’est limité que par ce que «justice requires». L’utilisation du mot «any» met en relief le fait que ce paragraphe vise tous les types d’ordonnance. La version française du par. 686(8), qui prévoit qu’une cour d’appel peut «en outre rendre toute ordonnance que la justice exige», confirme la portée étendue de cette disposition.

41 L’énumération de réparations particulières dans les autres paragraphes de l’art. 686, combinée à l’absence de tout terme limitatif dans le par. 686(8), renforce la position que le Parlement n’avait pas l’intention de restreindre l’étendue des pouvoirs conférés à une cour d’appel en vertu de ce paragraphe (notre Cour en est venue à une conclusion similaire relativement aux al. 443(1)a) et b) du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34 (maintenant l’art. 487), dans R. c. Multiform Manufacturing Co., [1990] 2 R.C.S. 624, à la p. 631).

42 Dans l’arrêt Elliott c. La Reine, [1978] 2 R.C.S. 393, notre Cour a interprété largement la compétence d’une cour d’appel pour rendre toute ordonnance que la justice exige en vertu du par. 686(8). Le juge Ritchie, au nom de la majorité, a conclu que la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique avait correctement exercé la compétence que lui conférait le par. 613(8) (maintenant le par. 686(8)) en modifiant un chef d’accusation de façon à ce qu’il soit compatible avec la preuve déposée au procès. Le juge Ritchie déclarait ceci, aux pp. 431 et 432:

À mon avis, lorsque le Parlement a autorisé la Cour d’appel, dans l’exercice de ses pouvoirs, à ordonner un nouveau procès et «en outre [à] rendre toute ordonnance que la justice exige», il voulait l’autoriser à rendre, dans ces circonstances, toute ordonnance additionnelle que les fins de la justice peuvent exiger, que le nouveau procès dépende ou non de la délivrance de cette ordonnance additionnelle. Je ne pense pas qu’on doive interpréter restrictivement les larges pouvoirs conférés aux cours d’appel par le par. 613(8); ils sont plutôt destinés à assurer que les fins de la justice soient respectées. Compte tenu de cette considération essentielle, on doit leur donner une interprétation large. [En italique dans l’original; je souligne.]

43 Le juge Wilson, au nom de notre Cour à l’unanimité dans R. c. Provo, [1989] 2 R.C.S. 3, a cité et approuvé l’extrait susmentionné, et a décrit ainsi la portée du par. 613(8) (maintenant le par. 686(8)), aux pp. 19 et 20:

Dans l’exercice du pouvoir que lui confère le par. 613(2), la Cour d’appel dispose, en vertu du par. 613(8) du Code, d’un large pouvoir accessoire de rendre «en outre [. . .] toute ordonnance que la justice exige». Cette Cour a donné aux pouvoirs conférés à la Cour d’appel par le par. 613(8) une interprétation libérale conforme aux fins réparatrices générales qui y sont visées.

. . .

À mon avis, il n’y a pas d’alternative raisonnable à une interprétation large du pouvoir accessoire que le par. 613(8) confère à la Cour d’appel, compte tenu de sa formulation générale et des fins réparatrices visées. Cette disposition confère à la Cour d’appel un pouvoir supplémentaire général de prononcer toute ordonnance que la justice exige, dans l’exercice de ses pouvoirs en matière d’appel prévus aux paragraphes précédents de l’art. 613. [Je souligne.]

Plus récemment, dans l’arrêt Hinse, précité, notre Cour a confirmé qu’une interprétation libérale du par. 686(8), reflétant ses fins réparatrices générales, est appropriée.

44 En outre, le ministère public a présenté une longue liste de décisions illustrant la grande diversité des ordonnances rendues par les cours d’appel en vertu du par. 686(8). Certaines ordonnances ont été rendues pour limiter le nouveau procès à l’infraction incluse dans des cas où la preuve ne pouvait donner lieu à un verdict de culpabilité à l’égard de l’infraction faisant l’objet de l’accusation (R. c. Stanley (1977), 36 C.C.C. (2d) 216 (C.A.C.‑B.); R. c. Cook (1979), 47 C.C.C. (2d) 186 (C.A. Ont.); R. c. Ruptash (1982), 68 C.C.C. (2d) 182 (C.A. Alb.); R. c. Popoff (1960), 129 C.C.C. 250 (C.A.C.‑B.)); modifier un chef de l’acte d’accusation (Elliott, précité); ordonner la tenue d’un nouveau procès en fonction d’une dénonciation modifiée (R. c. Geauvreau, [1982] 1 R.C.S. 485); arrêter des procédures criminelles qui violent le sens du franc‑jeu et de la décence qu’a la société (Hinse, précité); mettre fin à la suspension conditionnelle d’une accusation à laquelle a été appliqué le principe de l’arrêt Kienapple contre les déclarations de culpabilité multiples (Provo, précité). Ces affaires illustrent le besoin de conférer aux cours d’appel la compétence étendue nécessaire pour rendre toutes sortes d’ordonnances adaptées à l’erreur commise par l’instance inférieure.

45 L’approche du Juge en chef consiste à restreindre dès le départ le type d’ordonnances qui peuvent être rendues en vertu du par. 686(8). Il s’appuie sur une analogie faite avec le par. 686(4) pour conclure que lorsque la tenue d’un nouveau procès est ordonnée, il doit s’agir d’un nouveau procès complet, et non pas d’un nouveau procès sur un nombre limité de verdicts. Je ne partage pas cette opinion pour les motifs suivants.

46 En premier lieu, le libellé du par. 686(8) et l’interprétation large requise par ses fins réparatrices générales sont incompatibles avec la conclusion que certains types d’ordonnances sont hors de sa portée. Bien que le pouvoir discrétionnaire conféré par le par. 686(8) aux cours d’appel ne soit pas illimité, l’approche appropriée consiste à examiner l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire cas par cas et non pas à retrancher définitivement de la compétence des cours d’appel des catégories entières d’ordonnances.

47 En deuxième lieu, j’estime que l’analogie faite avec le par. 686(4) n’est pas convaincante. Le Juge en chef reconnaît, au par. 22 de ses motifs, que le par. 686(4) vise les appels d’acquittement alors que la présente affaire porte sur l’appel d’une déclaration de culpabilité qui relève du par. 686(2). Le libellé des deux dispositions est différent. L’alinéa 686(2)b) ne comporte pas les restrictions en matière de verdicts rendus par un jury que prescrit le sous‑al. 686(4)b)(ii). En conséquence, il n’y a aucune raison d’interpréter le par. 686(4) comme apportant des restrictions au par. 686(2). Le fait que le par. 686(8) s’applique tant au par. 686(4) qu’au par. 686(2) ne signifie pas pour autant que les restrictions qui s’appliquent au par. 686(4) s’appliquent au par. 686(2).

48 Le Juge en chef dit également, au par. 24, que «[l]e principe émanant du par. 686(4) est qu’un grand respect doit être accordé aux jurys». Encore une fois, cela peut être le cas pour les verdicts d’acquittement rendus par un jury que le par. 686(4) empêche une cour d’appel de modifier. Cependant, en matière d’appels de verdicts de culpabilité rendus par un jury, rien aux par. 686(2) et 686(8) n’indique que la même restriction est imposée à la cour d’appel. En fait, la cour peut annuler le verdict au motif qu’il est déraisonnable ou qu’il ne peut s’appuyer sur la preuve, par exemple, et ordonner un verdict d’acquittement en vertu du sous‑al. 686(1)a)(i) et du par. 686(2). Par conséquent, on ne saurait appliquer le par. 686(4), qui n’est pas ici en cause, de façon à limiter la compétence conférée aux cours d’appel par le par. 686(8).

49 Le Juge en chef tente de réduire l’effet d’une interprétation restrictive du par. 686(8) en la limitant aux verdicts rendus par un jury et en laissant à plus tard l’examen de la question de savoir si les mêmes principes s’appliqueraient aux décisions rendues par un juge seul (par. 1 et 28). En réalité, le texte du par. 686(8) ne fait aucune distinction entre un procès avec juge seul et un procès avec juge et jury, et je ne vois pas pourquoi notre Cour en ferait une.

50 Ayant conclu que le par. 686(8) conférait à la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique la compétence pour rendre toutes sortes d’ordonnances, sous la seule réserve de ce que la justice exige, je vais examiner maintenant si la cour peut limiter le nouveau procès à un verdict d’homicide involontaire coupable ou de meurtre au deuxième degré.

III. Le pouvoir d’ordonner la tenue d’un nouveau procès restreint à un verdict d’homicide involontaire coupable ou de meurtre au deuxième degré en vertu du par. 686(8)

51 L’appelant prétend que, en règle générale, lorsque la tenue d’un nouveau procès est ordonnée en raison de directives erronées sur la défense d’intoxication, il s’agit d’un nouveau procès complet, et non d’un nouveau procès limité. Bien qu’habituellement toutes les questions en litige soient renvoyées pour examen dans le cadre d’un nouveau procès, le par. 686(8) peut servir à limiter les verdicts possibles à cette occasion dans des cas exceptionnels, par exemple lorsqu’il n’y a aucun doute que l’accusé a commis l’acte reproché.

52 Des ordonnances ont été rendues en vertu du par. 686(8) pour restreindre les questions en litige dans le cadre d’un nouveau procès, dans des cas où la seule question en litige, une fois l’appel entendu, concernait la défense de provocation policière ou d’aliénation mentale. Par exemple, l’arrêt Pearson, précité, de notre Cour a confirmé l’ordonnance de nouveau procès limité à la question de la provocation policière conformément au par. 686(8). De plus, les cours d’appel de l’Ontario et de la Colombie‑Britannique ont rendu des ordonnances additionnelles qui limitaient le nouveau procès à la question de la provocation policière dans R. c. Maxwell (1990), 61 C.C.C. (3d) 289 (C.A. Ont.); R. c. Barnes (1990), 54 C.C.C. (3d) 368 (C.A.C.‑B.), conf. par [1991] 1 R.C.S. 449; R. c. Laverty (1990), 80 C.R. (3d) 231 (C.A.C.‑B.), et motifs supplémentaires, 1er novembre 1990, greffe de Victoria V00270. De même, un banc de cinq juges de la Cour d’appel de l’Ontario a restreint le nouveau procès à la question de savoir s’il y avait aliénation mentale au moment de la perpétration de l’infraction dans Reference re Regina c. Gorecki (No. 2) (1976), 32 C.C.C. (2d) 135.

53 La tenue d’un nouveau procès restreint à des verdicts précis peut aussi être appropriée lorsque la seule question en litige, une fois l’appel entendu, est de savoir si l’accusé est coupable d’homicide involontaire coupable ou de meurtre au deuxième degré. Dans l’affaire R. c. Wade (1994), 89 C.C.C. (3d) 39, infirmé sur un autre point par [1995] 2 R.C.S. 737, la Cour d’appel de l’Ontario a restreint le nouveau procès à la question de savoir si l’accusé était coupable d’homicide involontaire coupable ou de meurtre au deuxième degré, empêchant de ce fait l’accusé d’invoquer la défense d’automatisme, qui avait déjà été rejetée par un jury antérieur. Le juge Doherty a déclaré dans Wade, précité, à la p. 65:

[traduction] Du point de vue de la compétence, je ne peux voir aucune différence entre le fait de limiter un nouveau procès à la question de la provocation policière ou de l’aliénation mentale et celui de limiter un nouveau procès à la question de savoir si l’appelant est coupable de meurtre ou d’homicide involontaire coupable. La jurisprudence, combinée au texte du par. 686(8), et l’obligation d’interpréter ce dernier de façon large, comme le prescrit l’arrêt R. c. [Provo], précité, me convainquent que la cour a compétence pour limiter un nouveau procès à une décision sur la question de savoir si l’appelant a commis un meurtre ou un homicide involontaire coupable.

54 Dans l’arrêt Wade, précité, aux pp. 65 et 66, le juge Doherty a souligné que les procès limités à la question de l’homicide involontaire coupable ou du meurtre au deuxième degré ne sont pas choses inconnues. Cela se produit lorsque l’accusé admet avoir causé la mort de la victime mais qu’il prétend ne pas avoir eu l’état d’esprit requis pour avoir commis un meurtre.

55 Ceci étant dit, je partage entièrement la position adoptée par la Cour d’appel dans Gorecki (No. 2) et Wade, précités, selon laquelle une ordonnance limitant un nouveau procès constitue une réparation exceptionnelle que la justice exigera dans des «circonstances spéciales». En l’espèce, la Cour d’appel semble avoir été guidée par le critère des «circonstances spéciales» énoncé dans Wade et Gorecki (No. 2), précités. Je vais examiner maintenant en quoi consistent les «circonstances spéciales» dans ces deux affaires et ensuite si de telles circonstances sont ici présentes.

56 Dans l’affaire Gorecki (No. 2), précitée, un jury avait déclaré l’accusé coupable du meurtre de sa femme et on avait demandé à la Cour d’appel d’examiner de nouveaux éléments de preuve relativement à l’état mental de l’accusé au moment de l’infraction. Au procès, l’accusé n’avait pas soulevé cette question et n’avait invoqué que la défense d’accident. La Cour d’appel a conclu que la preuve nouvelle pourrait démontrer que l’accusé souffrait de maladie mentale sans en être conscient et que, de ce fait, il ne lui avait pas été possible d’invoquer la défense d’aliénation lors du procès. En conséquence, la cour a ordonné la tenue d’un nouveau procès limité à la défense d’aliénation mentale, en se fondant sur le par. 613(8) (maintenant le par. 686(8)), et a fait observer, à la p. 149:

[traduction] Lorsque la Cour d’appel ordonne la tenue d’un nouveau procès, le par. 613(8) lui permet en outre de rendre toute ordonnance que la justice exige. Nous exerçons notre pouvoir d’ordonner la tenue d’un nouveau procès mais, en même temps, nous sommes convaincus qu’en vertu du par. 613(8), la justice exige que, vu les circonstances spéciales de la présente affaire, l’accusé ne devrait pouvoir soulever que la défense d’aliénation, les autres moyens de défense ayant déjà été épuisés lors du premier procès, dont la décision a été confirmée en appel. [Je souligne.]

57 Dans l’affaire Wade, précitée, le juge Doherty a également conclu à l’existence de «circonstances spéciales» justifiant l’ordonnance qui limitait les questions en litige lors du nouveau procès. Dans cette affaire, l’avocat de la défense a admis que l’accusé avait attaqué sa femme et lui avait infligé les blessures mortelles. Au procès, l’accusé a soulevé la défense d’automatisme provoqué par divers troubles du sommeil. Un jury l’a déclaré coupable de meurtre au deuxième degré. À la suite d’un appel et d’un autre procès, un deuxième jury l’a également déclaré coupable de meurtre au deuxième degré. Au second procès, le juge a décidé de ne pas laisser au jury la possibilité d’un verdict d’homicide involontaire coupable, ce qui a entraîné l’appel. Le juge Doherty a rappelé que la défense d’automatisme invoquée par l’accusé avait été entièrement rejetée par le jury, qui était convaincu hors de tout doute raisonnable que l’accusé avait tué sa femme. Il a donc ordonné la tenue d’un nouveau procès limité à la question de savoir si l’accusé était coupable de meurtre au deuxième degré ou d’homicide involontaire coupable et a fait observer, à la p. 65:

[traduction] En l’espèce, comme dans Gorecki, il n’existe de doute ni sur le fait que l’appelant a causé la mort de la victime ni sur la façon dont il s’y est pris. Rien n’indique qu’il y ait eu provocation, intoxication ou toute autre excuse ou justification. Il ne s’agit nettement pas d’une affaire où, contrairement à d’autres, il existe une possibilité sérieuse qu’un nouveau procès pourrait mener à un résultat totalement différent que celui auquel a mené le procès antérieur. [Je souligne.]

58 L’examen de ces deux affaires et une interprétation de ce que «la justice exige», selon l’objet visé, m’amènent à conclure qu’exceptionnellement une ordonnance peut être rendue restreignant les verdicts possibles dans un nouveau procès lorsqu’il n’existe aucun doute raisonnable que l’accusé a commis l’acte reproché et que la seule question non résolue a trait à la qualification juridique de cet acte en raison de l’état mental de l’accusé ou en raison d’excuses ou de moyens de défense possibles, comme la provocation policière.

IV. Application à la présente affaire

59 Avant de rendre l’ordonnance restreignant le nouveau procès, le juge Lambert, au nom de la cour, a souligné qu’à la fin du procès il n’y avait aucun doute que l’appelant avait fait feu sur Emily Alexander et cela n’était pas contesté par la défense. Cependant, il a conclu que le juge du procès avait semé la confusion chez les membres du jury, tant par ses directives que par ses réponses à leurs questions sur la définition de l’intention et sur la relation entre l’intention et l’intoxication. Le juge Lambert a conclu qu’il serait imprudent, en raison de cette confusion, de maintenir la déclaration de culpabilité. Au motif que [traduction] «l’identité n’était pas en litige au procès» et que «des preuves et des pièces pertinentes ont été détruites» ((1997), 85 B.C.A.C. 303, à la p. 306), le juge Lambert a rendu l’ordonnance limitant le nouveau procès à la question de savoir si l’appelant était coupable d’homicide involontaire coupable ou de meurtre au deuxième degré.

60 Prenons d’abord la question du préjudice subi par le ministère public en raison de la destruction de certaines pièces. Le ministère public soutient qu’en raison du retard de l’appelant à déposer son avis d’appel, l’autorisation de détruire certaines pièces a été donnée et que celles‑ci ont effectivement été détruites, de sorte que la capacité du ministère public de présenter sa preuve dans le cadre d’un nouveau procès s’en est trouvée réduite. Le ministère public prétend également qu’il ne devrait pas être forcé de subir quelque réduction potentielle de sa capacité d’établir sa preuve en raison d’événements ultérieurs dont il n’est pas responsable.

61 Cependant, le ministère public concède que le retard à produire l’avis d’appel n’était pas dû à la faute de l’appelant. Par ailleurs, la Cour d’appel a conclu que le long délai ayant entraîné la destruction des pièces ne résultait pas de la faute de l’accusé, mais de la rupture des communications entre l’accusé, la Legal Services Society of British Columbia et l’avocat de l’accusé nommé par cette dernière. Au surplus, l’appelant allègue que la plupart des pièces qui ont été détruites peuvent être obtenues de nouveau ou reconstituées. Le ministère public ne nie pas que cela soit possible. Je suis donc d’avis que le préjudice allégué par le ministère public ne suffit pas, en lui‑même, à justifier l’ordonnance rendue.

62 Le motif subsidiaire sur lequel se fonde le juge Lambert pour ordonner la tenue d’un nouveau procès limité est beaucoup plus convaincant. Dans sa décision, le juge Lambert a conclu que [traduction] «[à] l’issue du procès, la défense n’a pas contesté que M. Thomas avait fait feu sur Emily Alexander» (p. 304), «il n’y avait aucun doute que M. Thomas avait fait feu sur Emily Alexander» et «l’identité n’était pas en litige au procès» (p. 306). Renvoyant à l’interprétation du par. 686(8) dans l’affaire Wade, précitée, le juge Lambert a ordonné la tenue d’un nouveau procès limité à la question de savoir si un verdict de meurtre au deuxième degré ou d’homicide involontaire coupable devrait être rendu.

63 Il n’y a aucun doute dans la présente affaire sur le fait que l’appelant a tué Mme Alexander ni sur la façon dont il s’y est pris. L’avocat de l’appelant a admis devant le jury que l’appelant avait causé la mort de Mme Alexander au moyen d’un acte illégal et que, par conséquent, il était au moins coupable d’homicide involontaire coupable, comme le démontrent ces extraits du plaidoyer de l’avocat au jury:

[traduction] Il y a une différence entre un meurtre au deuxième degré et un homicide involontaire coupable, et monsieur le juge vous expliquera les différences et leur signification en droit, et ses explications sur le droit sont définitives. Et il n’y a aucun doute en l’espèce que M. Thomas a fait feu sur Emily, il n’y a aucun doute à ce sujet et jamais je n’oserais, même dans mes rêves les plus fous, me présenter devant vous et prétendre le contraire. En l’espèce, nous vous demandons d’utiliser votre bon sens et je n’essaie pas de vous persuader de ne pas le faire. C’est clair qu’il a fait feu sur Emily, mais vous devez examiner toutes les circonstances entourant l’événement. Vous devez regarder comment la loi qualifie cela. S’agit‑il d’un meurtre au deuxième degré? S’agit‑il d’un homicide involontaire coupable?

. . .

Bien souvent lors de procès criminels, nous parlons de plusieurs choses comme l’identité de l’accusé, la date, l’heure, l’endroit, la compétence et d’autres questions. Je vous ai déjà mentionné que je n’avais pas l’intention de plaider sur ces questions et je ne le ferai pas. Il est très clair que l’essentiel des faits que nous connaissons, nous savons que M. Thomas a fait feu sur Emily et il n’y a aucun doute là‑dessus, mais ce que vous avez à déterminer c’est la nature de l’intention qu’il avait.

. . .

Ma prétention est que vous êtes saisis de nombreux éléments de preuve et de faits relativement au niveau d’intoxication, et, selon moi, il existe un doute raisonnable à l’égard de l’accusation de meurtre au deuxième degré. Je n’essaie pas de vous faire croire que M. Thomas n’a rien fait. Il est clair que M. Thomas a fait feu sur Emily et qu’il l’a tuée, mais, ce que je vous dis, c’est qu’il s’agit d’un homicide involontaire coupable et non d’un meurtre au deuxième degré. [Je souligne.]

64 De plus, le juge du procès a précisé dans ses directives au jury que [traduction] «[l]a nature de la présente affaire est telle qu’il est improbable que vous examiniez la possibilité d’un acquittement parce que la preuve des coups de feu n’est pas contestée». Il a alors amené le jury à considérer un verdict d’homicide involontaire coupable ou de meurtre au deuxième degré.

65 En conséquence, je ne peux partager l’opinion du Juge en chef que, n’eût été l’admission de culpabilité par l’avocat de l’appelant, «il est peu probable que la Cour d’appel aurait été convaincue de la culpabilité de l’accusé, même en ce qui a trait à l’homicide involontaire coupable» (par. 26). La preuve produite au procès contre l’appelant était accablante. Cette preuve et l’admission de l’avocat de la défense ont mené la Cour d’appel à conclure qu’il n’y avait aucun doute que l’appelant avait tué Mme Alexander. En soi, l’ordonnance restreignant le nouveau procès dans la présente affaire n’a pas «absolument rien à voir avec la question sous‑jacente de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé» et n’est pas «directement incompatible avec son jugement sous‑jacent» (voir Hinse, précité, aux para. 34 et 33 (souligné dans l’original)), mais est, en réalité, entièrement reliée à la culpabilité de l’appelant. Une approche semblable a été suivie dans la décision majoritaire de l’arrêt Pearson, précité, au par. 14.

66 L’appelant fait valoir, quoique de façon sommaire, que l’ordonnance rendue par la Cour d’appel en l’espèce est incompatible avec la présomption d’innocence. Son argument découle du fait que l’ordonnance empêche le tribunal d’examiner la possibilité d’un verdict d’acquittement lors du nouveau procès.

67 Il avance également que l’ordonnance rendue par la Cour d’appel en l’espèce viole l’art. 7 et l’al. 11f) de la Charte, mais sans donner davantage d’explications. Bien que le Juge en chef fasse allusion à des violations de cet article et de cet alinéa, il ne tire aucune conclusion à cet égard. Les questions relatives à la Charte ont été soulevées pour la première fois devant notre Cour. Nous n’avons donc pas l’avantage des motifs de la Cour d’appel et aucune question constitutionnelle n’a été soulevée. Je vais tout de même faire de brefs commentaires sur ces violations alléguées.

68 La présomption d’innocence, protégée par l’al. 11d) de la Charte, est garantie «tant» que l’accusé n’est pas «déclaré coupable, conformément à la loi». Une personne qui a été déclarée coupable lors d’un procès et qui porte sa déclaration de culpabilité en appel ne peut plus se prévaloir de la présomption d’innocence (voir R. c. Farinacci (1993), 86 C.C.C. (3d) 32 (C.A. Ont.), et R. c. Noble, [1997] 1 R.C.S. 874, au par. 107). La présomption d’innocence renaît en appel uniquement à l’égard des éléments sur lesquels la Cour d’appel écarte le verdict. Si la cour écarte l’ensemble du verdict, la présomption d’innocence renaît donc à l’égard de tous les éléments du crime (R. c. Potvin, [1993] 2 R.C.S. 880, à la p. 912, le juge Sopinka). Si, en revanche, la cour conclut que certains éléments de l’infraction ont été prouvés hors de tout doute raisonnable et ordonne la tenue d’un nouveau procès restreint aux éléments non résolus, la présomption d’innocence renaît seulement à l’égard de ces éléments. Tant et aussi longtemps que le ministère public a le fardeau de prouver chaque élément de l’infraction hors de tout doute raisonnable, la présomption d’innocence est respectée. Lorsqu’un nouveau procès est restreint à un nombre limité de questions, c’est parce que le ministère public s’est déjà acquitté de ce fardeau relativement aux autres éléments du crime. En l’espèce, l’erreur relative aux directives est entièrement liée à la question de l’intention et n’a aucune incidence sur le fait que le jury a conclu hors de tout doute raisonnable que l’appelant avait tué sa conjointe. En conséquence, la Cour d’appel n’a fait renaître que les éléments relatifs à la question de l’intention. À l’égard de ces éléments, l’accusé a entièrement droit à la présomption d’innocence. Dans le présent pourvoi, l’effet pratique de cette présomption est que le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable l’intention requise pour un meurtre au deuxième degré.

69 Le même raisonnement s’applique à l’égard de l’argument selon lequel la tenue d’un nouveau procès sur un nombre limité de questions viole le droit à un procès par jury protégé par l’al. 11f). Le jury a déclaré l’accusé coupable dans le cadre d’un procès où la seule erreur commise concernait l’élément moral du crime. Il s’ensuit que le jury doit avoir conclu hors de tout doute raisonnable que l’accusé avait commis l’acte criminel. Lors du nouveau procès, un autre jury décidera des éléments non résolus de l’infraction alléguée. Le droit de l’accusé à un procès par jury est donc entièrement respecté.

70 On a également prétendu qu’en admettant au procès qu’il était au moins coupable d’homicide involontaire coupable, l’appelant avait renoncé à son droit d’être présumé innocent et à son droit à un procès par jury dans le cadre d’un nouveau procès limité à la question de savoir s’il est coupable d’homicide involontaire coupable ou de meurtre au deuxième degré. Puisque j’ai conclu que ces droits ont été entièrement respectés, il est inutile que j’examine cette prétention.

71 L’appelant ne subira aucun préjudice découlant de l’ordonnance rendue par la Cour d’appel en l’espèce. La seule question encore en litige à l’issue du procès était de savoir s’il était coupable de meurtre au deuxième degré ou d’homicide involontaire coupable. À cet égard, si le juge du procès n’avait commis aucune erreur, l’appelant aurait été déclaré coupable, à tout le moins, d’homicide involontaire coupable. Par conséquent, l’ordonnance limitative corrige l’erreur commise au procès et replace l’appelant dans la situation où il était, et où il admettait être, à la fin du procès. Le juge Doherty en est venu à la même conclusion dans l’affaire Wade (à la p. 65):

[traduction] Il [l’accusé] aura toutes les occasions voulues de contester la preuve du ministère public sur la question de son intention et de produire des éléments de preuve pertinents à cet égard. Il sera forclos de soulever de nouveau la question du caractère volontaire de sa conduite, mais je ne vois aucun préjudice et aucune injustice dans le fait d’empêcher la remise en cause d’une question qui a déjà été tranchée par un jury qui a reçu des directives appropriées. Je ne connais aucun principe d’équité exigeant que l’on donne à un accusé une seconde chance de soulever un moyen de défense au motif qu’une erreur de droit non reliée à ce moyen requiert l’annulation du verdict. Cette proposition pousse trop loin ce qu’on appelle la théorie de la «seconde chance» offerte par la justice criminelle. [Je souligne.]

Ainsi, il est tout à fait équitable envers l’appelant de limiter le nouveau procès en l’espèce à une décision sur la question de savoir s’il est coupable de meurtre au deuxième degré ou d’homicide involontaire coupable, car cela lui permet de plaider la seule question encore en litige, soit son niveau d’intention, qui reste à être tranchée par un jury ayant reçu des directives appropriées et complètes.

72 Permettre à l’appelant de répudier l’admission de culpabilité et de tenter d’obtenir un acquittement au nouveau procès aurait de plus pour effet de déconsidérer l’administration de la justice. Dans R. c. Buxbaum (1989), 70 C.R. (3d) 20 (C.A. Ont.), l’accusé avait tenté de produire une nouvelle preuve en appel relativement à son état d’esprit dans le but de soulever la défense d’aliénation mentale. Cependant, l’avocat de la défense a délibérément omis de soulever ce moyen au procès. La Cour d’appel a refusé d’admettre la preuve nouvelle au motif qu’il ne serait pas dans l’«intérêt de la justice» de le faire, car cela [traduction] «permettrait alors à l’appelant de soulever cet autre moyen de défense devant la cour» et «de répudier la position qu’il avait défendue devant le jury et, dans les faits, d’en adopter une autre tout à fait incompatible» (Buxbaum, à la p. 35; au même effet, voir Palmer, précité, à la p. 775).

73 La recherche de la vérité et la condamnation des coupables constituent sans aucun doute des parties importantes de l’intérêt collectif dans l’administration de la justice. Dans la présente affaire, il n’existe aucun doute que l’appelant a abattu la victime. Son avocat l’a admis dans son plaidoyer au jury. Ce que le juge Doherty a écrit dans l’affaire Wade, précitée, à la p. 66, est particulièrement pertinent:

[traduction] La justice envers l’accusé et envers la collectivité est bien servie par l’ordonnance de nouveau procès, au cours duquel le niveau de culpabilité de l’appelant pourra être déterminé conformément à la loi. La justice ne requiert plus une décision à l’égard de la culpabilité elle‑même. Cette décision a déjà été rendue de façon équitable.

74 Ces considérations m’amènent à conclure que l’ordonnance rendue en vertu du par. 686(8), restreignant le nouveau procès aux verdicts d’homicide involontaire coupable ou de meurtre au deuxième degré était parfaitement appropriée, compte tenu de la nature et de l’étendue de l’erreur lors du procès, et que la justice l’exigeait vu les circonstances spéciales de l’espèce.

75 Avant d’aborder la deuxième question en litige, j’aimerais commenter brièvement l’opinion du Juge en chef, au par. 27 de ses motifs, selon laquelle la tenue d’un nouveau procès sur un nombre limité de questions dans une affaire portant sur l’intention et l’intoxication pourrait être préjudiciable à l’accusé étant donné l’évolution du droit sur ces questions depuis le premier procès de l’appelant. Pour illustrer ce point, le Juge en chef cite l’arrêt de notre Cour dans R. c. Daviault, [1994] 3 R.C.S. 63, ainsi que la promulgation de l’art. 33.1 du Code criminel qui porte sur la défense d’intoxication volontaire. Une telle évolution du droit, dans la mesure où elle est pertinente et a une incidence sur les faits, pourrait être un motif pour refuser de rendre une ordonnance restreignant les verdicts possibles en vertu du par. 686(8). Toutefois, aucun changement de cette nature n’a affecté le présent pourvoi. Rien n’indique que l’appelant était dans un état ressemblant à l’intoxication extrême équivalant à l’automatisme, au sens de Daviault, précité. La seule question sur laquelle planait encore un doute une fois l’appel entendu était de savoir si l’accusé était coupable de meurtre ou d’homicide involontaire coupable.

V. La requête en prolongation de délai et en obtention d’une ordonnance de nouveau procès

76 En appel, le ministère public a déposé deux affidavits au soutien de sa position qu’il subirait un préjudice dans le cadre d’un nouveau procès en raison de la destruction de pièces, et il a contesté la requête en prolongation du délai pour ce motif. L’appelant n’est pas d’accord que la demande de prolongation du délai devait être liée à la décision concernant la tenue d’un nouveau procès sur un nombre limité de questions. De plus, l’appelant avance que, dans sa décision sur la question de savoir si le par. 686(8) exigeait la tenue d’un nouveau procès sur un nombre limité de questions, la Cour d’appel a commis une erreur en se fondant sur les affidavits produits par le ministère public dans le cadre de la requête en prolongation du délai.

77 Il ressort clairement de la décision de la Cour d’appel que c’est dans le but d’économiser le temps de la cour que celle‑ci a décidé d’entendre les deux requêtes en même temps plutôt que l’une après l’autre. Rien n’indique que l’appelant se soit opposé à cette décision à ce moment‑là. De plus, l’appelant n’a pas démontré qu’il avait subi un préjudice réel en raison de cette décision, indépendamment de sa prétention que l’admission des affidavits dans le cadre de l’appel de la déclaration de culpabilité a donné un avantage inéquitable au ministère public parce que cela lui avait permis de produire une nouvelle preuve et de prendre l’appelant par surprise. L’utilisation d’affidavits par le ministère public n’a pas pu prendre l’appelant par surprise. Le ministère public avait indiqué que, si la tenue d’un nouveau procès était ordonnée, il tenterait de restreindre sa portée en invoquant, entre autres, la perte d’une partie de la preuve à l’appui de sa prétention. Je conclus donc que la Cour d’appel n’a commis aucune erreur en entendant la requête en prolongation du délai en même temps que l’appel et en se fondant sur les affidavits du ministère public.

VI. Conclusion

78 En conclusion, je suis d’avis que le par. 686(8) confère de larges pouvoirs à la Cour d’appel pour accorder des réparations adaptées aux erreurs commises au procès, dont le pouvoir de rendre toute ordonnance accessoire limitant les questions qui font l’objet d’un nouveau procès. Ces larges pouvoirs sont limités uniquement par ce que «la justice exige». Ce que la justice exige dépend des circonstances particulières et doit être déterminé cas par cas. Une ordonnance restreignant le nouveau procès à un nombre limité de verdicts est une réparation exceptionnelle que la justice exigera dans des «circonstances spéciales». Une ordonnance de cette nature peut être appropriée lorsqu’il n’existe aucun doute que l’accusé a commis l’acte criminel et que la seule question non résolue a trait à la qualification juridique de cet acte. Appliquant ces principes, je suis d’avis qu’en l’espèce, l’ordonnance de la Cour d’appel restreignant le nouveau procès aux verdicts limités d’homicide involontaire coupable ou de meurtre au deuxième degré était appropriée, étant donné les circonstances spéciales, et conforme aux exigences de la justice.

VII. Dispositif

79 Pour ces motifs, je rejetterais le pourvoi.

Pourvoi accueilli et nouveau procès complet ordonné, les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier et McLachlin sont dissidents.

Procureur de l’appelant: Sheldon Goldberg, Vancouver.

Procureur de l’intimée: Le ministère du Procureur général, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : [1998] 3 R.C.S. 535 ?
Date de la décision : 17/12/1998
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli et la tenue d’un nouveau procès complet est ordonnée

Analyses

Droit criminel - Appel - Pouvoirs d’une cour d’appel - Accusé déclaré coupable de meurtre au deuxième degré à la suite d’un procès devant jury - Cour d’appel ordonnant la tenue d’un nouveau procès limité à la question de savoir si l’accusé était coupable de meurtre au deuxième degré ou d’homicide involontaire coupable - La Cour d’appel avait‑elle compétence pour ordonner un nouveau procès de portée limitée? - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 686(8).

L’accusé a été inculpé de meurtre au deuxième degré relativement au décès de sa conjointe de fait, qui a été abattue d’un coup de feu. L’événement s’est produit en présence d’un témoin oculaire qui a affirmé, dans sa déposition, que l’accusé avait tué sa conjointe. L’accusé a invoqué la défense d’intoxication à l’appui de sa prétention selon laquelle il devait être déclaré coupable d’homicide involontaire coupable. Dans son exposé final au jury, l’avocat de la défense a admis que son client avait causé la mort de sa conjointe en commettant un acte illégal. L’accusé a été déclaré coupable de meurtre au deuxième degré et, en raison d’une mauvaise représentation en justice, a déposé un avis d’appel plus de deux ans après la déclaration de culpabilité. Entre-temps, plusieurs pièces qui avaient été déposées au procès ont été détruites. La Cour d’appel a accueilli la requête en prorogation du délai de dépôt de l’avis d’appel ainsi que l’appel interjeté contre la déclaration de culpabilité, et elle a ordonné la tenue d’un nouveau procès en application du par. 686(2) du Code criminel. La cour a conclu que le juge du procès avait donné des explications insatisfaisantes en réponse aux questions du jury au sujet de l’intention et de l’intoxication. En vertu du par. 686(8), la cour a également rendu une ordonnance accessoire limitant la portée du nouveau procès à la question de savoir si l’accusé était coupable de meurtre au deuxième degré ou d’homicide involontaire coupable.

Arrêt (les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier et McLachlin sont dissidents): Le pourvoi est accueilli et la tenue d’un nouveau procès complet est ordonnée.

Le juge en chef Lamer et les juges Cory, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie: Le paragraphe 686(8) ne confère pas à une cour d’appel un pouvoir discrétionnaire illimité de rendre des ordonnances accessoires. En plus d’être limitée par les exigences de la justice, une cour d’appel ne doit pas rendre une ordonnance directement incompatible avec son jugement sous‑jacent. Toute ordonnance fondée sur le par. 686(8) doit être compatible avec l’art. 686 envisagé dans son ensemble. Une cour d’appel doit donc déterminer si elle a compétence pour rendre une ordonnance accessoire fondée sur le par. 686(8), à la lumière des motifs justifiant la décision rendue en appel et des différents pouvoirs que lui confère l’art. 686 de façon générale.

La Cour d’appel n’avait pas le pouvoir de rendre une ordonnance limitant le nouveau procès de l’accusé à la question de savoir s’il était coupable de meurtre au deuxième degré ou d’homicide involontaire coupable. Les ordonnances restreignant la portée d’un nouveau procès après que l’appel d’un verdict rendu par un jury a été accueilli ne sont pas conformes aux principes qui sous‑tendent les pouvoirs conférés aux cours d’appel par l’art. 686. Bien que le par. 686(4) ne s’applique qu’aux appels d’un acquittement et que la présente affaire porte sur l’appel d’une déclaration de culpabilité, ce paragraphe donne une indication de l’étendue de la compétence qu’une cour d’appel a, en vertu du par. 686(8), pour ordonner la tenue d’un nouveau procès de portée limitée dans le cas d’une affaire devant jury. En vertu du sous‑al. 686(4)b)(i), une cour d’appel ne peut rendre une ordonnance du genre de celle qui a été rendue en l’espèce. Agir de la sorte équivaudrait à consigner une déclaration de culpabilité partielle contre l’accusé, ce que le sous‑al. 686(4)b)(ii) empêche expressément une cour d’appel de faire. Par conséquent, les mots «nouveau procès» au sous‑al. 686(4)b)(i) signifient un nouveau procès complet et, à l’al. 686(2)b), ils doivent être interprétés de la même manière, à tout le moins lorsqu’il y a eu un procès devant jury.

En outre, l’al. 686(2)b) n’autorise d’aucune façon une cour d’appel à substituer une déclaration de culpabilité relativement à quelque autre infraction que ce soit. En l’espèce, l’ordonnance de la Cour d’appel équivaut à tout le moins à une déclaration de culpabilité d’homicide involontaire coupable, qui remplace le verdict de meurtre au deuxième degré rendu par le jury. Le paragraphe 686(8) n’a pas la portée nécessaire pour conférer le pouvoir de rendre une ordonnance de cette nature dans les cas de procès devant jury. En principe, les cours d’appel ne doivent pas réduire l’étendue de la compétence du jury à l’occasion d’un nouveau procès en restreignant la portée des questions litigieuses relevant normalement de sa compétence. En ordonnant un nouveau procès de portée limitée, la Cour d’appel a tenté de réduire les fonctions du jury à celle de décider entre l’homicide involontaire coupable et le meurtre au deuxième degré. On empêche le jury de rendre un verdict de non‑culpabilité.

La présente affaire illustre également les dangers que peut entraîner le fait de restreindre la portée d’un nouveau procès devant jury. En l’espèce, les questions posées par le jury au juge du procès démontrent que le jury a éprouvé des difficultés à résoudre la question de la mens rea. Étant donné la nature fondamentale de ces questions, il est peu probable que la Cour d’appel aurait été convaincue de la culpabilité de l’accusé, même en ce qui a trait à l’homicide involontaire coupable, si l’avocat de l’accusé n’avait pas admis devant le jury que son client avait tué sa conjointe et s’il n’avait pas demandé que ce dernier soit déclaré coupable d’homicide involontaire coupable. En l’espèce, un nouveau procès de portée limitée rendrait l’accusé prisonnier des concessions faites lors du premier procès, ce qui pourrait entraver l’exercice de son droit à une défense pleine et entière à l’occasion du second procès et contrevenir à la présomption d’innocence, qui sont respectivement protégés par l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. De plus, depuis le procès de l’accusé, il y a eu une évolution importante du droit relativement à la relation entre la mens rea, l’intention et l’intoxication, notamment l’adoption de l’art. 33.1 du Code criminel, qui porte sur la défense d’intoxication volontaire. Il serait inapproprié, dans ces circonstances, de restreindre les questions à être soumises au second jury.

Les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier et McLachlin (dissidents): La cour d’appel qui ordonne la tenue d’un nouveau procès conformément au par. 686(2) du Code criminel peut, en vertu du par. 686(8), «en outre rendre toute ordonnance que la justice exige». Dans ce contexte, les fins réparatrices du par. 686(8) sont de veiller à ce que les intérêts de la justice soient protégés lorsque l’ordonnance de nouveau procès n’assurerait pas, à elle seule, que justice soit rendue. Ces mesures réparatrices doivent être interprétées largement afin d’accroître la capacité des cours d’appel de répondre de façon mesurée à la nature et à la gravité de l’erreur commise au procès. La compétence qu’a une cour d’appel, en vertu du par. 686(8), de rendre toutes sortes d’ordonnances, y compris toute ordonnance accessoire limitant les questions qui font l’objet d’un nouveau procès, est restreinte uniquement par ce que «la justice exige». Ce que «la justice exige» dans une situation donnée variera et devrait être décidé par la cour d’appel selon chaque cas. La détermination de ce que «la justice exige» découle des fins réparatrices du par. 686(8) et fait intervenir tant l’examen de l’intérêt individuel de l’accusé dans un procès équitable que celui de l’intérêt collectif dans la bonne administration de la justice. De plus, le libellé du par. 686(8) est incompatible avec la conclusion que certains types d’ordonnances sont hors de sa portée. Bien que le pouvoir discrétionnaire conféré par le par. 686(8) aux cours d’appel ne soit pas illimité, l’approche appropriée pour notre Cour consiste à examiner l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire cas par cas et non pas à retrancher définitivement de la compétence des cours d’appel des catégories entières d’ordonnances. Le paragraphe 686(4), qui n’est pas ici en cause, ne saurait être appliqué de façon à limiter la compétence conférée aux cours d’appel par le par. 686(8).

Une ordonnance rendue en vertu du par. 686(8) et qui restreint le nouveau procès à un nombre limité de verdicts est une réparation exceptionnelle que la justice exigera dans des «circonstances spéciales». Une telle ordonnance peut exceptionnellement être rendue lorsqu’il n’existe aucun doute raisonnable que l’accusé a commis l’acte reproché et que la seule question non résolue a trait à la qualification juridique de cet acte. En l’espèce, l’identité n’était pas en litige au procès. L’avocat de la défense a admis devant le jury que l’accusé avait causé la mort de sa conjointe au moyen d’un acte illégal et que, par conséquent, il était au moins coupable d’homicide involontaire coupable. De plus, la preuve déposée au procès contre l’accusé était accablante. Cela a mené la Cour d’appel à conclure qu’il n’y avait aucun doute que l’accusé avait tué sa conjointe. Vu ces circonstances spéciales, l’ordonnance de la Cour d’appel restreignant le nouveau procès à un nombre limité de verdicts -- homicide involontaire coupable ou meurtre au deuxième degré -- était appropriée et conforme aux exigences de la justice.

L’ordonnance n’est pas incompatible avec la présomption d’innocence garantie par l’al. 11d) de la Charte. En l’espèce, le ministère public s’est déjà acquitté de son fardeau de preuve relativement aux autres éléments du crime, et le jury a conclu hors de tout doute raisonnable que l’accusé avait tué sa conjointe. L’erreur commise par le juge du procès est liée à ses directives portant sur la question de l’intention. En conséquence, la Cour d’appel n’a fait renaître que les éléments relatifs à la question de l’intention. À l’égard de ces éléments, l’accusé a entièrement droit à la présomption d’innocence et le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable l’intention requise pour un meurtre au deuxième degré. Le même raisonnement réfute l’argument selon lequel la tenue d’un nouveau procès sur un nombre limité de questions viole le droit à un procès par jury garanti par l’al. 11f) de la Charte. De plus, l’accusé ne subira aucun préjudice découlant de l’ordonnance. L’ordonnance limitative corrige l’erreur commise au procès, replace l’accusé dans la situation où il était à la fin du procès et lui permet de plaider la seule question encore en litige, soit son niveau d’intention, qui reste à être tranchée par un jury ayant reçu des directives appropriées et complètes. Enfin, l’évolution du droit relatif à l’intention et à l’intoxication depuis le procès de l’accusé n’est pas pertinente en l’espèce puisque rien n’indique que l’accusé était dans un état ressemblant à l’intoxication extrême équivalant à l’automatisme.

La Cour d’appel n’a commis aucune erreur en entendant la requête en prorogation de délai en même temps que l’appel et en se fondant sur les affidavits du ministère public.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Thomas

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge en chef Lamer
Distinction faite d’avec l’arrêt: R. c. Pearson, [1998] 3 R.C.S.620
arrêts mentionnés: R. c. Warsing, [1998] 3 R.C.S. 579
R. c. Wade (1994), 89 C.C.C. (3d) 39, inf. pour d’autres motifs [1995] 2 R.C.S. 737
Elliott c. La Reine, [1978] 2 R.C.S. 393
R. c. Provo, [1989] 2 R.C.S. 3
Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729
Kourtessis c. M.R.N., [1993] 2 R.C.S. 53
R. c. Meltzer, [1989] 1 R.C.S. 1764
R. c. Hinse, [1995] 4 R.C.S. 597
R. c. Stanley (1977), 36 C.C.C. (2d) 216
R. c. Cook (1979), 47 C.C.C. (2d) 186
R. c. B. (A.J.) (1994), 90 C.C.C. (3d) 210
R. c. Geauvreau, [1982] 1 R.C.S. 485
Reference re Regina c. Gorecki (No. 2) (1976), 32 C.C.C. (2d) 135
R. c. Daviault, [1994] 3 R.C.S. 63.
Citée par le juge L’Heureux‑Dubé (dissidente)
R. c. Pearson, [1998] 3 R.C.S. 620
R. c. Warsing, [1998] 3 R.C.S. 579
Reference re Regina c. Gorecki (No. 2) (1976), 32 C.C.C. (2d) 135
R. c. Wade (1994), 89 C.C.C. (3d) 39, inf. pour d’autres motifs [1995] 2 R.C.S. 737
R. c. Cuerrier, [1998] 2 R.C.S. 371
R. c. Hinchey, [1996] 3 R.C.S. 1128
R. c. Bernardo (1997), 121 C.C.C. (3d) 123
R. c. Hinse, [1995] 4 R.C.S. 597
Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759
R. c. Chek TV Ltd. (1986), 27 C.C.C. (3d) 380
R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411
Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425
Rodriguez c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519
Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143
R. c. Levogiannis, [1993] 4 R.C.S. 475
R. c. Multiform Manufacturing Co., [1990] 2 R.C.S. 624
Elliott c. La Reine, [1978] 2 R.C.S. 393
R. c. Provo, [1989] 2 R.C.S. 3
R. c. Stanley (1977), 36 C.C.C. (2d) 216
R. c. Cook (1979), 47 C.C.C. (2d) 186
R. c. Ruptash (1982), 68 C.C.C. (2d) 182
R. c. Popoff (1960), 129 C.C.C. 250
R. c. Geauvreau, [1982] 1 R.C.S. 485
R. c. Maxwell (1990), 61 C.C.C. (3d) 289
R. c. Barnes (1990), 54 C.C.C. (3d) 368, conf. par [1991] 1 R.C.S. 449
R. c. Laverty (1990), 80 C.R. (3d) 231
R. c. Farinacci (1993), 86 C.C.C. (3d) 32
R. c. Noble, [1997] 1 R.C.S. 874
R. c. Potvin, [1993] 2 R.C.S. 880
R. c. Buxbaum (1989), 70 C.R. (3d) 20
R. c. Daviault, [1994] 3 R.C.S. 63.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 11d), f).
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 33.1 [aj. 1995, ch. 32, art. 1], partie XXI, 674, 686(1) [mod. ch. 27 (1er suppl.), art. 145
1991, ch. 43, art. 9 (ann., art. 8)], (2), (3) [mod. ch. 27 (1er suppl.), art. 145], (4) [idem], (6) [abr. & rempl. 1991, ch. 43, art. 9 (ann., art. 8)], (7) [idem], (8).
Doctrine citée
Côté, Pierre‑André. Interprétation des lois, 2e éd. Cowansville, Qué.: Yvon Blais, 1990.
Salhany, Roger E. Canadian Criminal Procedure, 6th ed. Aurora, Ont.: Canada Law Book, 1994 (loose‑leaf updated May 1998, release No. 8).
Sopinka, John, and Mark A. Gelowitz. The Conduct of an Appeal. Toronto: Butterworths, 1993.

Proposition de citation de la décision: R. c. Thomas, [1998] 3 R.C.S. 535 (17 décembre 1998)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1998-12-17;.1998..3.r.c.s..535 ?
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