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22/10/1998 | CANADA | N°[1998]_3_R.C.S._3

Canada | Consortium Developments (Clearwater) Ltd. c. Sarnia (Ville), [1998] 3 R.C.S. 3 (22 octobre 1998)


Consortium Developments (Clearwater) Ltd. c. Sarnia (Ville), [1998] 3 R.C.S. 3

Consortium Developments (Clearwater) Ltd. Appelante

c.

Municipalité de Sarnia et

Conseil d’écoles séparées catholiques de Lambton Intimés

et entre

Kenneth MacAlpine, James Pumple

et MacPump Developments Ltd. Appelants

c.

Municipalité de Sarnia et

Conseil d’écoles séparées catholiques de Lambton Intimés

et

Le procureur général de la Saskatchewan Intervenant

Répertorié: Consortium Developments (Clearwater) Ltd.

c. Sarnia (Ville)

No du greffe: 25604.

Audition et jugement: 16 mars 1998.

Motifs déposés: 22 octobre 1998.

Présents: Le juge en chef Lame...

Consortium Developments (Clearwater) Ltd. c. Sarnia (Ville), [1998] 3 R.C.S. 3

Consortium Developments (Clearwater) Ltd. Appelante

c.

Municipalité de Sarnia et

Conseil d’écoles séparées catholiques de Lambton Intimés

et entre

Kenneth MacAlpine, James Pumple

et MacPump Developments Ltd. Appelants

c.

Municipalité de Sarnia et

Conseil d’écoles séparées catholiques de Lambton Intimés

et

Le procureur général de la Saskatchewan Intervenant

Répertorié: Consortium Developments (Clearwater) Ltd. c. Sarnia (Ville)

No du greffe: 25604.

Audition et jugement: 16 mars 1998.

Motifs déposés: 22 octobre 1998.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier, McLachlin, Iacobucci, Bastarache et Binnie.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

Droit municipal -- Enquête judiciaire -- Municipalité adoptant une résolution visant l’ouverture d’une enquête judiciaire sur certaines opérations immobilières -- Promoteurs immobiliers faisant délivrer des assignations à des élus et à des fonctionnaires municipaux -- La résolution satisfait‑elle aux exigences de la Loi sur les municipalités? -- L’enquête judiciaire empiète-t-elle sur la compétence fédérale en matière de droit criminel? -- L’annulation des assignations délivrées aux élus et aux fonctionnaires municipaux a-t-elle empêché les promoteurs immobiliers de constituer un dossier suffisant? -- La procédure adoptée à l’audience préparatoire à l’enquête dérogeait‑elle aux exigences de la justice naturelle? -- Loi sur les municipalités, L.R.O. 1990, ch. M.45, art. 100(1) -- Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(27).

Droit constitutionnel -- Partage des compétences -- Enquête judiciaire -- Municipalité autorisant une enquête judiciaire sur certaines opérations immobilières -- L’enquête judiciaire empiète-t-elle sur la compétence fédérale en matière de droit criminel? -- Loi sur les municipalités, L.R.O. 1990, ch. M.45, art. 100(1) -- Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(27).

Droit administratif -- Justice naturelle -- Enquête judiciaire -- Municipalité autorisant une enquête judiciaire sur certaines opérations immobilières -- La procédure adoptée à l’audience préparatoire à l’enquête dérogeait‑elle aux exigences de la justice naturelle? -- Loi sur les municipalités, L.R.O. 1990, ch. M.45, art. 100(1).

Une série d’opérations immobilières avec l’appelante Consortium Developments (Clearwater) Ltd. («Consortium»), un promoteur immobilier, a permis à la ville de Clearwater d’acquérir un parc de 40 acres et certains droits sur un terrain adjacent, et à Consortium, d’obtenir un terrain non aménagé de 107 acres destiné au lotissement résidentiel. La ville de Clearwater et l’ancienne ville de Sarnia ont par la suite fusionné. Peu de temps après la fusion, des questions ont été soulevées au sujet du bien‑fondé des opérations immobilières. On alléguait que la ville avait payé des prix gonflés pour les terrains destinés à l’aménagement d’un parc, alors que Consortium avait payé un prix trop bas. Des contribuables municipaux ont adressé une pétition au ministre des Affaires municipales pour demander la tenue d’une enquête fondée sur l’art. 178 de la Loi sur les municipalités. Après examen, le Ministère a décidé de ne pas ordonner la tenue d’une enquête provinciale, mais il a soumis l’affaire à la police provinciale. La police a finalement annoncé, dans un communiqué de presse, que son enquête était terminée et qu’elle n’avait révélé aucune preuve de la perpétration d’une infraction criminelle. Alors que l’enquête policière était toujours en cours, le conseil municipal de Sarnia a adopté une résolution visant l’ouverture d’une enquête judiciaire sur les opérations en cause, conformément au par. 100(1) de la Loi sur les municipalités qui confère aux municipalités ontariennes un vaste pouvoir d’autoriser la tenue d’enquêtes judiciaires sur des questions d’intérêt municipal. Le premier volet de ce pouvoir concerne la tenue d’une enquête sur une inconduite particulière, alors que le second volet a trait plus généralement à la tenue d’une enquête sur le «bon gouvernement de la municipalité ou [sur] la façon de traiter une partie des affaires publiques de celle‑ci». Consortium a constamment soutenu que l’enquête judiciaire projetée ne porte pas sur des questions de «bon gouvernement» ou d’«affaires publiques», mais qu’elle était un substitut d’enquête policière. Elle a cherché à établir les faits à l’appui de cette allégation en faisant délivrer des assignations à des membres du conseil municipal et à certains hauts fonctionnaires de la ville. En fin de compte, la Cour divisionnaire a annulé les assignations pour le motif que la preuve de l’intention de chaque membre ne serait pas pertinente pour décider de la validité de la résolution du conseil municipal. La résolution fondée sur l’art. 100 a également été annulée, pour cause d’imprécision. Environ un mois plus tard et plus de 16 mois après la fin de l’enquête policière, le conseil municipal a adopté une résolution d’autorisation plus longue et détaillée qui renvoyait expressément à la partie du par. 100(1) de la Loi sur les municipalités traitant du «bon gouvernement» et de la «façon de traiter des affaires publiques». Les appelants ont déposé des demandes de contrôle judiciaire. Le commissaire a alors ouvert son enquête en exprimant son intention d’y procéder sans attendre l’issue des demandes de contrôle judiciaire et en traçant les grandes lignes de la procédure d’enquête générale qu’il suivrait. La requête en révocation du commissaire déposée par les appelants a été rejetée par la Cour divisionnaire. Leur demande de contrôle judiciaire visant à faire annuler la nouvelle résolution a été rejetée par la Cour divisionnaire à la majorité. La Cour d’appel a confirmé cette décision, de même que les décisions de la Cour divisionnaire rejetant la requête en révocation du commissaire enquêteur pour cause de partialité et annulant les assignations.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Le pouvoir d’une municipalité d’autoriser une enquête judiciaire est une garantie importante de l’intérêt public, et il ne doit pas être restreint par une interprétation restrictive ou trop technique des conditions législatives de son exercice. En même temps, les individus qui ont joué un rôle dans les événements visés par l’enquête ont également droit au respect de leurs droits. Le fait qu’une enquête fondée sur l’art. 100 soit une enquête judiciaire vise nettement à établir un équilibre entre la volonté de la municipalité d’obtenir d’un commissaire indépendant des renseignements exacts et des recommandations utiles et le droit des citoyens et d’autres personnes à la reconnaissance et à la protection de leurs intérêts légitimes. On a inévitablement, et avec raison, une grande confiance en la capacité du commissaire d’assurer l’équité de l’enquête. Les avantages publics que l’on cherche à obtenir au moyen d’une enquête judiciaire ne peuvent s’acquérir aux dépens des droits des appelants et d’autres personnes impliquées dans les opérations immobilières: ces droits seront protégés au cours de la procédure par les principes de justice naturelle et l’impartialité du commissaire et, par la suite, par l’inadmissibilité de tout témoignage forcé dans le cadre de procédures ultérieures. En l’espèce, la contestation de la validité législative de la deuxième résolution doit être rejetée. La résolution est parfaitement intelligible. Elle décrit non seulement l’objet de l’enquête, mais également les limites de l’intérêt de la municipalité. L’objet de l’enquête énoncé dans la résolution est une question d’intérêt municipal légitime qui relève des sujets mentionnés à l’art. 100.

Les participants à une enquête ont le droit de connaître, suffisamment avant la fin des audiences, les détails de toute inconduite qui peut leur être reprochée (et ordinairement chacun de ces détails avant de témoigner), afin d’être raisonnablement en mesure de répondre comme ils l’entendent. Il arrive couramment que l’on demande à des témoins de communiquer des documents pertinents aux avocats de la commission, et ces derniers devraient autant que possible prendre l’habitude de communiquer aux intéressés, avant qu’ils témoignent, tout autre document obtenu par la commission qui est pertinent en ce qui concerne les questions qui doivent être traitées au cours de leur témoignage, en particulier les documents ayant trait à la participation du témoin lui‑même aux événements visés par l’enquête.

Les tribunaux d’instance inférieure ont eu raison d’annuler les assignations délivrées à des membres du conseil municipal et à des hauts fonctionnaires de la ville. Bien que les tribunaux doivent hésiter à entraver les efforts déployés par une partie pour établir sa preuve, ils devraient annuler les assignations si, comme en l’espèce, la preuve que l’on cherche à obtenir n’a rien à voir avec une question soulevée dans les demandes de contrôle judiciaire.

La deuxième résolution n’est pas ultra vires du fait que l’enquête dont elle demande l’ouverture est, en réalité, un substitut d’enquête policière qui empiète sur la compétence fédérale exclusive en matière de droit et de procédure criminels. L’arrêt Starr ne peut pas être interprété comme autorisant la contestation de la compétence relative à toute enquête judiciaire susceptible de révéler de manière incidente, dans le cadre de son mandat, une inconduite pouvant faire l’objet d’une sanction pénale. La deuxième résolution ne vise pas des allégations précises d’inconduite criminelle de la part d’individus nommés.

La nouvelle municipalité issue de la fusion peut légalement ouvrir une enquête sur les affaires de la municipalité qui l’a précédée. L’article 9 de la loi opérant la fusion, qui prévoit que la nouvelle ville de Sarnia «remplace l’ancienne» municipalité en ce qui concerne l’actif et le passif, fait relever Sarnia de l’art. 100 de la Loi sur les municipalités.

Le commissaire n’a pas manqué aux exigences de la justice naturelle ni perdu irrévocablement sa compétence en raison de la procédure qu’il a adoptée à l’audience préparatoire à l’enquête. Bien qu’il ait déclaré qu’il procéderait à l’enquête malgré le dépôt de la demande de contrôle judiciaire, à l’époque où il a fait cette déclaration, ni lui ni les avocats de la commission n’avaient reçu des appelants une demande d’ajournement. Sa décision de procéder à l’enquête et les mesures proposées pour l’audience sont des décisions prises régulièrement dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire en matière de procédure. Le commissaire n’a pas refusé d’accorder une audience aux appelants et sa conduite n’a révélé aucune partialité de sa part.

Jurisprudence

Arrêts mentionnés: MacPump Developments Ltd. c. Sarnia (City) (1994), 20 O.R. (3d) 755; Thorne’s Hardware Ltd. c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 106; Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang au Canada), [1997] 3 R.C.S. 440; Di Iorio c. Gardien de la prison de Montréal, [1978] 1 R.C.S. 152; Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350; Godson c. City of Toronto (1890), 18 R.C.S. 36; Starr c. Houlden, [1990] 1 R.C.S. 1366; Colombie-Britannique (Milk Board) c. Grisnich, [1995] 2 R.C.S. 895; Re Canada Metal Co. and Heap (1975), 7 O.R. (2d) 185; Re Nelles and Grange (1984), 46 O.R. (2d) 210; Procureur général du Québec et Keable c. Procureur général du Canada, [1979] 1 R.C.S. 218; O’Hara c. Colombie-Britannique, [1987] 2 R.C.S. 591; Phillips c. Nouvelle‑Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97; Hydro Electric Commission of Mississauga c. City of Mississauga (1975), 13 O.R. (2d) 511.

Lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, art. 13.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 121.

Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(27), 92(8), (13), (16).

Loi sur l’aménagement du territoire, L.R.O. 1990, ch. P.13.

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑5, art. 5(2).

Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11, art. 13.

Loi sur les enquêtes publiques, L.R.O. 1990, ch. P.41, art. 5(2), 9(1).

Loi sur les municipalités, L.R.O. 1990, ch. M.45, art. 100(1), 178.

Sarnia-Lambton Act, 1989, S.O. 1989, ch. 41, art. 9.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1996), 30 O.R. (3d) 1, 138 D.L.R. (4th) 512, 92 O.A.C. 321, 34 M.P.L.R. (2d) 291, [1996] O.J. No. 3004 (QL), qui a confirmé une décision de la Cour divisionnaire (1995), 23 O.R. (3d) 498, 83 O.A.C. 241, 27 M.P.L.R. (2d) 157, [1995] O.J. No. 1649 (QL), qui avait rejeté une demande de contrôle judiciaire. Pourvoi rejeté.

Harvey T. Strosberg, c.r., et Susan J. Stamm, pour les appelants.

George H. Rust-D’Eye, Barnet H. Kussner et Valerie M’Garry, pour l’intimée la ville de Sarnia.

Thomson Irvine, pour l’intervenant.

Version française du jugement de la Cour rendu par

//Le juge Binnie//

1 LE JUGE BINNIE — Le présent pourvoi porte sur une contestation de la validité et de la conduite d’une enquête judiciaire, autorisée par une municipalité, sur des allégations de conflits d’intérêts et d’irrégularités relatives à certaines opérations immobilières à Sarnia (Ontario). Les appelants, qui comptent parmi eux des promoteurs immobiliers, soutiennent que l’enquête judiciaire empiète sur la compétence fédérale en matière de droit criminel, qu’elle a été instituée irrégulièrement et excède les pouvoirs de la municipalité, et que les tribunaux d’instance inférieure les ont empêchés à tort de constituer un dossier suffisant pour établir les faits à l’appui de leurs diverses allégations d’invalidité. Au terme de l’audience devant notre Cour, le pourvoi a été rejeté séance tenante, avec motifs à suivre.

Les faits

2 À l’automne de 1989 et au printemps de 1990, un terrain vague situé près de l’intersection des routes 402 et 40 dans la ville de Clearwater, tout juste à l’est de l’ancienne ville de Sarnia, a fait l’objet d’un certain nombre d’opérations. Ces opérations immobilières, qui comprenaient des ventes réciproques de terrains entre la municipalité et un promoteur, l’appelante Consortium Developments (Clearwater) Ltd. («Consortium»), ont donné lieu à des transferts de terrains entre les secteurs public et privé. Le Conseil d’écoles séparées catholiques de Lambton obtenait un terrain pour construire une école, alors que la ville de Clearwater obtenait un parc et certains droits sur un terrain adjacent, et Consortium, un terrain non aménagé de 107 acres destiné au lotissement résidentiel. Il a plus tard été allégué que la ville de Clearwater avait payé des prix gonflés pour les 40 acres destinées à l’aménagement d’un parc, alors que l’appelante Consortium (qui avait acquis un droit de premier refus sur les terrains municipaux dans le cadre de l’achat de ses terrains par la ville de Clearwater) avait payé un prix trop bas. La vente à Consortium s’est faite par appel d’offres. Consortium, en qualité d’acheteuse, a constitué une hypothèque de 3 390 812 $ (l’«hypothèque de Consortium») au profit de la ville de Clearwater, en qualité de vendeuse.

3 Le 1er janvier 1991, la ville de Clearwater et l’ancienne ville de Sarnia ont fusionné. En vertu de la Sarnia‑Lambton Act, 1989, S.O. 1989, ch. 41, la nouvelle municipalité issue de la fusion héritait de l’actif et du passif de la ville de Clearwater, dont l’hypothèque de Consortium. L’intimée Sarnia affirme qu’en vertu de la loi opérant la fusion, la ville et ses conseils locaux remplacent les anciennes municipalités et leurs conseils locaux. Si la ville de Clearwater pouvait autoriser l’enquête, fait‑on valoir, la nouvelle ville de Sarnia résultant de la fusion pourrait le faire aussi.

4 Peu de temps après la fusion, des questions ont été soulevées au sujet du bien‑fondé des opérations immobilières. Le maire de Sarnia a écrit à l’avocat de Consortium pour obtenir des renseignements et, en particulier, connaître l’identité des actionnaires et des dirigeants de Consortium. Sa demande a été refusée. Politiquement, c’en était trop.

L’hypothèque de Consortium

5 L’hypothèque de Consortium comporte un certain nombre d’aspects controversés. Elle prévoit que ni les intérêts ni le principal ne seront exigibles tant et aussi longtemps que la municipalité n’aura pas établi un plan secondaire pour les terrains visés et doté ceux‑ci de services. Cela permettrait à Consortium d’aménager les terrains en vue d’y construire des résidences selon un plan de lotissement conforme à la Loi sur l’aménagement du territoire, L.R.O. 1990, ch. P.13. Le remboursement du principal n’a pas à être effectué à une date particulière, mais il doit débuter trois ans après que les intérêts auront commencé à courir. Consortium a expliqué cette entente par le fait que, jusqu’à ce que Clearwater (maintenant Sarnia) remplisse cette condition, ce qui, croyait‑on, serait fait «presque immédiatement» après la vente, elle posséderait une propriété non bâtie ne valant qu’une fraction du prix d’achat. Pour Sarnia, ces conditions financières signifient que l’hypothèque de 3 390 812 $ de Consortium ne génère aucun bénéfice immédiat pour la ville, et qu’elle pourrait, en outre, être critiquée comme mesure d’incitation à aménager les terrains de Consortium en priorité par rapport à d’autres terrains vagues de la municipalité, peut‑être même contrairement à ce que pourraient commander les considérations habituelles en matière d’aménagement du territoire.

6 Un autre aspect controversé de l’opération de Consortium est le fait que ses actionnaires et dirigeants persistent à vouloir garder l’anonymat. La ville de Clearwater n’avait pas insisté pour que leur identité soit révélée et avait toujours traité avec l’avocat du promoteur. Consortium fait donc maintenant valoir que l’anonymat est en quelque sorte devenu une clause contractuelle de la vente du parc, qui lie la nouvelle ville de Sarnia. L’identité des actionnaires n’avait toujours pas été révélée à la date de l’audition du présent pourvoi. Les autres appelants, Kenneth MacAlpine, James Pumple et MacPump Developments Ltd., étaient les prédécesseurs en titre (ou étaient liés aux prédécesseurs en titre) des terrains qui ont fait l’objet de certaines des opérations, et ils se sont joints à la contestation de l’enquête judiciaire pour le motif qu’ils se considèrent comme des cibles éventuelles. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire antérieur, l’avocate de la ville de Sarnia a déposé un affidavit dans lequel il était affirmé:

[traduction] Un des conseillers municipaux et le maire de Clearwater, de même que deux dirigeants de MacPump, travaillaient pour la même société immobilière à l’époque pertinente, ce qui soulève des questions légales en matière de conflits d’intérêts.

Les enquêtes

7 Des contribuables municipaux ont adressé une pétition au ministre des Affaires municipales pour demander la tenue d’une enquête fondée sur l’art. 178 de la Loi sur les municipalités, L.R.O. 1990, ch. M.45. Après examen, le Ministère a décidé de ne pas ordonner la tenue d’une enquête provinciale, mais il a soumis l’affaire à la direction de la lutte contre l’escroquerie de la Police provinciale de l’Ontario. Le 18 août 1993, la Police provinciale de l’Ontario a annoncé, dans un communiqué de presse, que son enquête était terminée et qu’elle n’avait révélé [traduction] «aucune preuve de la perpétration d’une infraction criminelle». Le rôle joué par les avocats de Consortium dans les opérations immobilières a fait l’objet de deux enquêtes du Barreau du Haut‑Canada qui a conclu, dans les deux cas, à l’absence de preuve de faute ou de conduite professionnelle indigne d’un avocat, et n’a pris aucune mesure.

La première résolution du conseil municipal de Sarnia

8 Le 23 novembre 1992, le conseil municipal de Sarnia a adopté une résolution fondée sur le par. 100(1) de la Loi sur les municipalités, visant l’ouverture d’une enquête judiciaire sur les opérations immobilières. Le paragraphe 100(1) confère aux municipalités ontariennes un vaste pouvoir d’autoriser la tenue d’enquêtes judiciaires sur des questions d’intérêt municipal. Les appelants disent que ce pouvoir comporte deux volets distincts. Le premier volet concerne la tenue d’une enquête sur une inconduite particulière, et le second a trait plus généralement à la tenue d’une enquête sur le bon gouvernement de la municipalité ou sur «la façon de traiter une partie des affaires publiques de celle‑ci»:

100 (1) . . . lorsque le conseil d’une municipalité adopte une résolution en vue de demander à un juge de la Cour de l’Ontario (Division générale), soit d’enquêter [premier volet] sur toute question relative à un cas présumé de méfait, d’abus de confiance ou d’inconduite de la part d’un membre du conseil ou d’un agent ou d’un employé de la municipalité, ou de quiconque est lié à la municipalité par un contrat, quant à ses fonctions ou à ses obligations, soit d’enquêter [deuxième volet] sur ou au sujet de toute question qui se rapporte au bon gouvernement de la municipalité ou à la façon de traiter une partie des affaires publiques de celle‑ci, notamment une affaire traitée par une commission nommée par le conseil municipal ou élue par les électeurs . . .

9 Voici la partie essentielle de la première résolution adoptée par le conseil municipal de Sarnia:

[traduction] QUE le conseil municipal de Sarnia demande la nomination d’un juge en vertu de la loi appropriée qui sera chargé de mener une enquête pour le compte de la ville concernant la vente de terrains municipaux à Consortium et la vente, par Consortium au Conseil d’écoles séparées catholiques de Lambton, d’un terrain situé dans OPA no 7 et du parc Lottie Neely.

10 Consortium a constamment soutenu que l’enquête judiciaire projetée ne porte pas sur des questions de «bon gouvernement» ou d’«affaires publiques», mais qu’elle est un substitut d’enquête policière. À l’appui de son point de vue, Consortium renvoie non seulement aux enquêtes infructueuses de la PPO et du Barreau du Haut‑Canada susmentionnées, mais également à des articles de presse locale relatant les diverses déclarations de politiciens municipaux de Sarnia, dont les suivantes:

(i) Le 17 juillet 1993, le conseiller John Vollmar aurait dit: [traduction] «Les gens qui me parlent veulent des réponses au sujet des personnes en cause [. . .] de la légalité et de la moralité de l’affaire».

(ii) Le 19 août 1993, la conseillère Elizabeth Wood aurait affirmé que [traduction] «le conseil veut vérifier s’il y a eu des erreurs de jugement et des conflits d’intérêts».

(iii) Le 31 août 1993, on cite le point de vue du maire Mike Bradley sur la raison pour laquelle la ville demandait de procéder à l’enquête judiciaire:

[traduction] Il a dit que le conseil veut connaître l’identité des dirigeants anonymes de Consortium, étant donné que la ville a hérité de Clearwater la convention d’achat intervenue entre cette dernière et le groupe, qui comprend une hypothèque de 3,4 millions $.

[Le conseil] veut également savoir pourquoi Clearwater a agi ainsi et si des fonctionnaires étaient en conflit d’intérêts.

(iv) Le 3 septembre 1993, le conseiller Terry Burrell aurait déclaré que les enquêtes de la PPO [traduction] «n’ont pas porté sur la question de savoir si des membres d’organismes publics, tel le conseil de Clearwater, étaient en conflit d’intérêts [. . .] c’est la question qui se pose ici». La conseillère Wood aurait dit qu’une enquête judiciaire est un excellent moyen de connaître la vérité concernant la question de savoir si des fonctionnaires ou des employés «ont abusé» de leurs positions.

(v) Le 14 février 1994, le conseiller Dave Boushy aurait déclaré que [traduction] «la question est de savoir si des lois ont été violées dans le cadre de ces opérations».

(vi) Le 16 février 1994, alors qu’il commentait la conclusion de la PPO qu’il n’y avait aucune preuve de la perpétration d’une infraction criminelle, le maire Mike Bradley aurait dit qu’une telle conclusion ne signifiait pas que tout avait été fait dans les règles.

11 Consortium a cherché à établir les faits à l’appui de l’allégation que l’enquête était une tentative déguisée de tenir un substitut d’enquête criminelle, en faisant délivrer des assignations à des membres du conseil municipal de Sarnia et à certains hauts fonctionnaires de la ville. Les assignations ont, en fin de compte, été annulées par les tribunaux d’instance inférieure, et ces annulations sont à l’origine d’un des moyens d’appel devant notre Cour.

L’annulation de la première résolution du conseil municipal de Sarnia

12 La première résolution a été annulée pour cause d’imprécision; voir MacPump Developments Ltd. c. Sarnia (City) (1994), 20 O.R. (3d) 755 (C.A.). Cependant, la Cour d’appel a alors décidé qu’étant donné que la nouvelle ville de Sarnia englobait désormais tout le territoire de l’ancienne municipalité de Clearwater qu’elle avait remplacée en vertu de l’art. 9 de la loi opérant la fusion, elle avait, aux termes de l’art. 100, le pouvoir d’adopter une résolution en bonne et due forme visant l’ouverture d’une enquête sur les affaires de l’ancienne municipalité de Clearwater. Le juge Doherty a fait remarquer, à la p. 771:

[traduction] . . . les questions se rapportant au bon gouvernement ou aux affaires publiques de Clearwater constituent, depuis la fusion, des questions se rapportant au bon gouvernement et aux affaires publiques de Sarnia.

La deuxième résolution du conseil municipal de Sarnia

13 Le 9 janvier 1995, un mois seulement après l’annulation de sa résolution antérieure autorisant la tenue d’une enquête judiciaire et plus de 16 mois après la fin de l’enquête de la PPO, la ville de Sarnia a adopté une résolution d’autorisation plus longue et détaillée qui renvoyait expressément à la partie de l’art. 100 de la Loi sur les municipalités traitant du «bon gouvernement» et de la «façon de traiter des affaires publiques». Comme cette résolution constitue une partie importante de l’argumentation soumise en appel, je la reproduis en entier:

[traduction] Résolution visant l’ouverture d’une enquête judiciaire fondée sur l’article 100 de la Loi sur les municipalités et à en établir le mandat

ATTENDU QUE, en vertu de l’article 100 de la Loi sur les municipalités, L.R.O. 1990, ch. M.45, un conseil municipal peut, par résolution, demander à un juge de la Cour de l’Ontario (Division générale) d’enquêter sur ou au sujet de toute question se rapportant au bon gouvernement de la municipalité ou à la façon de traiter une partie de ses affaires publiques;

ET ATTENDU QUE le juge saisi d’une telle demande doit procéder à l’enquête et remettre au conseil, dans les meilleurs délais, les résultats de cette enquête et les éléments de preuve recueillis, et qu’à cette fin le juge a tous les pouvoirs conférés à une commission par la partie II de la Loi sur les enquêtes publiques, L.R.O. 1990, ch. P.41;

ET ATTENDU QUE la municipalité de Sarnia est devenue propriétaire de certains terrains, indiqués sur la carte ci‑jointe et connus sous le nom de «terrains Lottie Neely» ou «parc Lottie Neely», par suite de la fusion des anciennes villes de Clearwater («Clearwater») et de Sarnia, et par suite de l’achat de ces terrains à MacPump Developments Ltd. («MacPump») par Clearwater;

ET ATTENDU QUE, en contrepartie de son achat des terrains Lottie Neely, Clearwater a consenti à MacPump, outre le versement du prix d’achat de 1 200 000 $, un droit de premier refus sur une parcelle de terrain de 142 acres lui appartenant, laquelle est également indiquée sur la carte ci‑jointe et connue sous le nom de «terrain Parklands»;

ET ATTENDU QUE Clearwater a vendu le terrain Parklands à Consortium Developments (Clearwater) Ltd. («Consortium») à la suite d’un appel d’offres, sous réserve du droit de premier refus;

ET ATTENDU QUE, avant la vente du terrain Parklands à Consortium, Clearwater a refusé de négocier avec le Conseil d’écoles séparées catholiques de Lambton (le «conseil scolaire») l’offre de ce dernier d’acheter une partie du terrain Parklands;

ET ATTENDU QUE le droit de premier refus consenti par Clearwater à MacPump a été cédé par MacPump à un fiduciaire (le «fiduciaire»);

ET ATTENDU QUE le fiduciaire a accepté de vendre au conseil scolaire une parcelle de 35 acres du terrain Parklands;

ET ATTENDU QUE le terrain Parklands que Clearwater a vendu à Consortium a été cédé en deux parcelles, de la façon suivante:

1. une parcelle de 35 acres cédée au fiduciaire, et

2. une parcelle de 107 acres cédée à Consortium.

ET ATTENDU QUE le même jour où Clearwater a cédé le terrain Parklands au fiduciaire et à Consortium, le fiduciaire a cédé la parcelle de 35 acres à un fiduciaire agissant pour le compte du conseil scolaire;

ET ATTENDU QUE, par suite de la vente à Consortium, la municipalité de Sarnia est titulaire d’une hypothèque de 3 390 812,20 $ sur la parcelle de 107 acres du terrain Parklands, laquelle hypothèque a été enregistrée le 5 avril 1990 et prévoit notamment que:

«Le principal sera remboursable de la façon suivante:

a) les intérêts seront calculés au taux annuel de 10 pour 100, de façon semestrielle non à l’avance, et ils seront payables annuellement. Les intérêts commenceront à courir dès que le titulaire de la charge aura réalisé le plan secondaire relatif aux terrains en cause et doté ceux‑ci de l’infrastructure nécessaire en vue de leur aménagement dans le cadre d’un plan de lotissement conforme à la Loi sur l’aménagement du territoire.

b) toute partie du principal ou des intérêts dus et payables dans un délai de trois (3) ans à partir de la date à laquelle les intérêts commenceront à courir tel que prévu dans la clause a) qui précède.»

ET ATTENDU QUE les conditions auxquelles les intérêts commenceraient à courir sur le principal garanti par l’hypothèque n’ont pas été remplies;

ET ATTENDU QUE, en vertu de l’article 9 de la Sarnia‑Lambton Act, S.O. 1989, ch. 41, l’actif et le passif de Clearwater sont devenus l’actif et le passif de la ville de Sarnia, et que cette ville remplace Clearwater;

ET ATTENDU QU’une enquête publique permettrait au public de comprendre et d’apprécier pleinement les opérations susmentionnées, et permettrait au commissaire de faire des recommandations avantageuses quant à la façon de traiter les affaires publiques de la municipalité à l’avenir;

ET ATTENDU QUE la ville de Sarnia a reçu des délégations et des pétitions lui demandant d’enquêter sur ces opérations;

ET ATTENDU QUE la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé le droit de la ville d’adopter une telle résolution;

LE CONSEIL MUNICIPAL DE LA VILLE DE SARNIA A DONC RÉSOLU DE:

1. demander, par la présente, la tenue d’une enquête conformément à la partie de l’article 100 de la Loi sur les municipalités qui autorise le commissaire à «enquêter sur ou au sujet de toute question qui se rapporte au bon gouvernement de la municipalité ou à la façon de traiter une partie des affaires publiques de celle‑ci», et de

2. demander que monsieur le juge Gordon P. Killeen agisse en tant que commissaire pour les fins de l’enquête.

IL EST EN OUTRE RÉSOLU QUE le mandat de l’enquête soit le suivant:

Enquêter sur tous les aspects des opérations susmentionnées, leur historique et leur incidence sur les contribuables de la ville de Sarnia, dans la mesure où elles touchent au bon gouvernement de la municipalité ou à la façon de traiter ses affaires publiques, et faire les recommandations que le commissaire pourra juger appropriées et dans l’intérêt du public, à la suite de son enquête.

IL EST EN OUTRE RÉSOLU QUE le commissaire, en enquêtant sur les opérations en cause auxquelles la ville de Clearwater a pris part, et sans toucher expressément aux affaires internes et à la conduite du conseil scolaire, sauf de manière accessoire à son enquête principale, aura le pouvoir de poser toute question qu’il pourra juger nécessairement accessoire à la compréhension complète de ces opérations.

ET, afin d’aviser dans un délai raisonnable les personnes qui pourront être appelées à témoigner, et sans porter atteinte au pouvoir discrétionnaire du commissaire de mener l’enquête conformément au mandat énoncé aux présentes, il est prévu que l’enquête pourra porter sur les sujets suivants notamment:

1. toutes les circonstances pertinentes relatives aux diverses opérations mentionnées aux présentes, y compris: le lien qui existe entre elles; la contrepartie fournie par les parties dans chaque cas; l’attribution, par Clearwater, d’un droit de premier refus à MacPump dans le cadre de l’achat des terrains Lottie Neely par Clearwater; l’acceptation, par Clearwater, d’une hypothèque constituée par Consortium dans le cadre de son achat du terrain Parklands; le moment où ont été conclues les diverses opérations les unes par rapport aux autres et par rapport à la fusion de Clearwater et de l’ancienne ville de Sarnia;

2. la nature et l’importance des renseignements dont disposaient les parties ayant pris part aux diverses opérations, à toutes les époques pertinentes;

3. les liens, s’il en est, qui existaient entre, d’une part, les représentants élus et les administrateurs de Clearwater et, d’autre part, les dirigeants et les représentants du conseil scolaire, MacPump, le fiduciaire et Consortium, à toutes les époques pertinentes; et

4. les avis juridiques ou autres avis professionnels obtenus par Clearwater relativement aux négociations qu’elle menait.

La deuxième demande de contrôle judiciaire

14 Le 28 février 1995, plusieurs semaines après l’adoption de la deuxième résolution du conseil municipal de Sarnia, les présentes demandes de contrôle judiciaire ont été déposées. Un des motifs invoqués était que la deuxième résolution du conseil municipal de Sarnia avait un objet déguisé vu qu’elle:

[traduction] . . . institue une enquête sur la prétendue inconduite de personnes nommées et non nommées tout en visant l’ouverture d’une enquête sur le bon gouvernement de la municipalité.

L’ouverture de l’enquête de la commission

15 Le 6 mars 1995, le commissaire Gordon P. Killeen, juge de la Cour de l’Ontario (Division générale), a ouvert son enquête. Dans son allocution d’ouverture, il a exprimé son intention de procéder à l’enquête sans attendre l’issue des demandes de contrôle judiciaire et a tracé les grandes lignes de la procédure d’enquête générale qu’il suivrait. Les appelants ont prétendu que le commissaire Killeen avait non seulement décidé de procéder sans entendre leurs arguments, mais également décidé de la façon dont il procéderait. Ils ont déposé une requête visant à le révoquer. Cette requête en révocation a été rejetée à l’unanimité par la Cour divisionnaire dans une ordonnance datée du 10 mars 1995.

Les assignations à comparaître délivrées à des membres du conseil municipal

16 Comme nous l’avons vu, pour étayer son allégation d’objet déguisé, Consortium a fait délivrer des assignations à divers membres du conseil municipal et à des hauts fonctionnaires de la ville leur enjoignant de témoigner dans le cadre des demandes de contrôle judiciaire en instance. À la suite d’une requête préliminaire, la Cour divisionnaire a, dans des motifs écrits déposés le 12 avril 1995, 81 O.A.C. 102, annulé les assignations pour le motif que la preuve de l’intention de chaque membre ne serait pas pertinente pour décider de la validité de la résolution du conseil municipal, citant l’arrêt Thorne’s Hardware Ltd. c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 106.

Les dispositions législatives pertinentes

17 Le paragraphe 100(1) de la Loi sur les municipalités, L.R.O. 1990, ch. M.45, se lit ainsi:

100 (1) Le juge effectue une enquête, lorsque le conseil d’une municipalité adopte une résolution en vue de demander à un juge de la Cour de l’Ontario (Division générale), soit d’enquêter sur toute question relative à un cas présumé de méfait, d’abus de confiance ou d’inconduite de la part d’un membre du conseil ou d’un agent ou d’un employé de la municipalité, ou de quiconque est lié à la municipalité par un contrat, quant à ses fonctions ou à ses obligations, soit d’enquêter sur ou au sujet de toute question qui se rapporte au bon gouvernement de la municipalité ou à la façon de traiter une partie des affaires publiques de celle‑ci, notamment une affaire traitée par une commission nommée par le conseil municipal ou élue par les électeurs. Aux fins de l’enquête, le juge a tous les pouvoirs conférés à une commission par la partie II de la Loi sur les enquêtes publiques, laquelle partie s’applique à l’enquête comme s’il s’agissait d’une enquête effectuée en vertu de cette loi. En outre, le juge remet dans les meilleurs délais au conseil son rapport en ce qui concerne le résultat de l’enquête et les preuves qu’il a recueillies.

Les jugements

18 La demande de contrôle judiciaire des appelants visant à faire annuler la nouvelle résolution du 9 janvier 1995 a été rejetée le 8 juin 1995 par la Cour divisionnaire à la majorité (le juge Steele, avec l’appui du juge Rosenberg, le juge Borins étant dissident). Le 6 septembre 1996, la Cour d’appel a rejeté les appels interjetés contre les décisions rendues par la Cour divisionnaire le 10 mars (la demande de révocation du commissaire Killeen), le 12 avril (l’annulation des assignations à comparaître) et le 8 juin 1995 (le rejet des demandes de contrôle judiciaire sur le fond).

Cour de l’Ontario (Division générale), Cour divisionnaire (1995), 23 O.R. (3d) 498

Le juge Steele, au nom de la cour à la majorité

19 Un règlement ou une résolution est présumé valide et il incombait aux requérants d’établir qu’il y avait lieu de l’annuler. En cas de doute, il y a lieu de l’interpréter comme étant intra vires. Le conseil municipal avait le pouvoir d’adopter une résolution visant l’ouverture de l’enquête sauf si, à première vue, elle était imprécise ou empiétait sur la compétence fédérale en matière de droit criminel. Même si le prétendu contrat verbal de non‑divulgation des noms des dirigeants de Consortium liait Sarnia, il ne l’empêchait pas d’adopter la résolution en cause. La résolution n’était pas imprécise. Elle établissait le lien requis par l’art. 100 de la Loi entre l’objet visé et le bon gouvernement ou les affaires de la municipalité. [traduction] «La [. . .] résolution soulève suffisamment la question qui doit être examinée pour démontrer l’existence d’un lien valide entre l’objet de l’enquête et les affaires publiques et le bon gouvernement de la municipalité» (p. 515). L’objet véritable de la résolution est la tenue d’une enquête sur le bon gouvernement de la municipalité et, en particulier, sur la façon de traiter ses affaires publiques. Toute enquête peut aboutir à une preuve de conduite répréhensible, et cette seule possibilité ne suffit pas pour conclure à l’invalidité de la résolution. Il y a lieu de présumer que le commissaire connaît la loi et qu’il réagirait de façon appropriée si une question était soulevée au sujet de la preuve ou de l’atteinte à des droits individuels. La demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

Le juge Rosenberg, motifs concordants

20 L’enquête devrait pouvoir se dérouler pour les raisons exposées par le juge Steele et pour celles qui suivent. Elle était menée par un juge de cour supérieure qui connaissait bien les limites d’une enquête. Il serait erroné d’adopter une perception trop technique de l’exigence que le mandat définisse les questions auxquelles il faut répondre. Ce n’est qu’une fois que tous les détails des diverses opérations immobilières auront été analysés que les véritables questions pourront être formulées en connaissance de cause et que des recommandations pourront être faites.

Le juge Borins, dissident

21 Le juge Borins a conclu qu’il s’agissait, en réalité, d’une enquête en vertu du premier volet du pouvoir d’autorisation, qui était axée sur la question de savoir si les opérations immobilières avaient été marquées par la corruption, et non pas d’une enquête en vertu du deuxième volet de ce pouvoir, qui portait sur le bon gouvernement ou les affaires publiques de la municipalité. Il a conclu (à la p. 521) que son objet véritable

[traduction] était de déterminer si un méfait, un abus de confiance, un conflit d’intérêts, ou quelque autre acte irrégulier, non spécifié, pouvait être attribué à MacPump et à Consortium, ou à leurs dirigeants, ou encore aux représentants du conseil scolaire ou à ceux de l’ancienne ville de Clearwater.

Le juge Borins a statué que des détails sont requis pour chaque volet de l’art. 100, mais plus particulièrement pour le premier volet, et que la résolution en cause était irrégulière parce qu’elle [traduction] «n’identifie rien de suspect à propos des opérations immobilières, telle l’existence d’un conflit d’intérêts ou d’un détournement de fonds» (p. 527). Il a dit (aux pp. 531 et 532):

[traduction] Bref, aucun aspect de la résolution, à première vue, ni aucun élément de preuve n’établit que l’objet de l’enquête projetée a une incidence sur le bon gouvernement ou les affaires publiques de Clearwater. De même, si on considère qu’elle vise l’ouverture d’une enquête en vertu du premier volet, la résolution manque également de détails étant donné qu’elle ne fait état d’aucun méfait qui aurait été commis.

La résolution contrevient au principe selon lequel les règlements ou résolutions doivent être suffisamment clairs pour que les personnes qu’ils touchent puissent les comprendre de manière à pouvoir s’y conformer. En outre, la résolution était nulle pour des motifs constitutionnels. Un examen de toutes les circonstances permettait de conclure que l’objet véritable de l’enquête était la tenue d’une enquête criminelle. La résolution était un exercice inconstitutionnel, par un conseil municipal, de la compétence fédérale en matière de droit criminel prévue au par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867. Le juge Borins aurait annulé la deuxième résolution de la ville de Sarnia et mis fin à l’enquête.

Cour d’appel (1996), 30 O.R. (3d) 1

22 L’appel a été rejeté. Le paragraphe 100(1) de la Loi sur les municipalités comporte deux volets. Selon le premier volet, le conseil municipal peut adopter une résolution visant l’ouverture d’une enquête sur un cas présumé d’inconduite de la part d’un fonctionnaire de la municipalité ou de toute personne traitant avec cette dernière. Suivant le deuxième volet, le conseil municipal peut adopter une résolution visant l’ouverture d’une enquête sur «toute question qui se rapporte au bon gouvernement de la municipalité ou à la façon de traiter une partie des affaires publiques de celle‑ci». La cour a rejeté l’argument selon lequel la résolution de la ville était illégale parce qu’à sa lecture même elle visait la tenue d’une enquête en vertu du deuxième volet, alors qu’en réalité elle visait l’ouverture d’une enquête fondée sur le premier volet qui ne serait pas assortie des garanties procédurales appropriées. La cour a conclu qu’il n’était pas nécessaire que la municipalité précise le volet en vertu duquel elle était censée agir, étant donné qu’elle avait compétence pour agir en vertu de l’un ou l’autre volet.

23 L’argument selon lequel la résolution était trop imprécise et manquait de détails a été rejeté. Le préambule de la résolution donnait une description très détaillée des opérations immobilières. [traduction] «Il est clair que les opérations immobilières sont “la question” sur laquelle doit porter l’enquête au sens du par. 100(1) de la Loi sur les municipalités» (p. 20). La résolution était suffisamment détaillée pour satisfaire aux exigences du par. 100(1) de la Loi. Le juge en chef McMurtry a souligné, au nom de la cour (à la p. 22), que:

[traduction] La ville de Sarnia a spécifié la «question» sur laquelle l’enquête devait porter, et cette question se limitait à une série déterminée d’opérations. Il n’est pas nécessaire que la résolution comporte des allégations particulières pour que le commissaire saisisse les questions potentiellement problématiques qui sont susceptibles d’être liées à l’intérêt public. Des fonds publics ont été utilisés pour acheter deux terrains à des prix qui paraissent avoir été considérablement gonflés, la ville est titulaire d’une hypothèque qui risque d’être irréalisable, et Consortium a refusé catégoriquement de révéler l’identité de ses dirigeants. Là encore, les opérations sont décrites suffisamment en détail pour que le commissaire connaisse l’objet de l’enquête.

La cour était d’avis que les appelants paraissaient demander des détails qui ne pourraient être éventuellement disponibles qu’après la tenue de l’enquête.

24 Quant à l’argument selon lequel la résolution empiétait sur la compétence fédérale en matière de droit criminel prévue au par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867, le juge en chef McMurtry a dit que les opérations immobilières avaient suscité un intérêt public considérable et que la résolution touchait à première vue à des questions de politique générale en demandant au commissaire d’enquêter sur tous les aspects de ces opérations, y compris leur incidence sur les contribuables de la ville. Il était question de bon gouvernement de la municipalité et de façon de traiter des affaires publiques. La Loi sur les municipalités permet une telle enquête, et le partage constitutionnel des compétences ne l’invalidait pas. Même si l’enquête touche de manière incidente à ce qui peut être une conduite criminelle, il reste qu’elle a été instituée pour atteindre un objectif provincial valide. L’objet véritable de la résolution relevait de la compétence provinciale. Tous les autres moyens d’appel ont été rejetés.

Les questions en litige

25 Devant notre Cour, les appelants ont soulevé les questions suivantes:

1. La résolution est‑elle illégale du fait qu’elle omet de satisfaire aux exigences du par. 100(1) de la Loi?

2. La tentative des appelants d’établir un dossier relatif aux circonstances de l’affaire aurait‑elle dû être limitée par l’annulation des assignations délivrées au maire et aux conseillers de la ville de Sarnia, de même qu’à des fonctionnaires municipaux?

3. La résolution est‑elle ultra vires du fait que l’enquête dont elle demande l’ouverture est, en réalité, un substitut d’enquête policière et d’enquête préliminaire qui empiète sur la compétence fédérale en matière de droit criminel prévue au par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867?

4. La résolution est‑elle illégale du fait qu’elle exige que Sarnia enquête sur les affaires de Clearwater?

5. Le commissaire a‑t‑il manqué aux exigences de la justice naturelle et perdu irrévocablement sa compétence en raison de la procédure qu’il a adoptée à l’audience préparatoire à l’enquête?

1. La résolution est‑elle illégale du fait qu’elle omet de satisfaire aux exigences du par. 100(1) de la Loi?

26 Le pouvoir d’une municipalité ontarienne d’autoriser l’ouverture d’une enquête judiciaire sur des questions touchant au bon gouvernement de la municipalité ou à «la façon de traiter une partie des affaires publiques de celle‑ci», de même que sur toute allégation d’inconduite relativement à ces questions, existait déjà avant la Confédération. À part quelques modifications destinées à harmoniser ce pouvoir avec d’autres modifications législatives provinciales, l’art. 100 de la Loi sur les municipalités est essentiellement identique à la disposition de 1866 qui l’a précédé. Cela reflète une reconnaissance, au fil des décennies, que le bon gouvernement dépend en partie de la disponibilité de bons renseignements. Une municipalité, à l’instar des ordres supérieurs de gouvernement, a parfois besoin d’aller au fond des choses et des événements qui relèvent de sa compétence. Le pouvoir d’autoriser une enquête judiciaire est une garantie importante de l’intérêt public, et il ne doit pas être restreint par une interprétation restrictive ou trop technique des conditions législatives de son exercice. En même temps, il va de soi que les individus qui ont joué un rôle dans les événements visés par l’enquête ont également droit au respect de leurs droits. La question fondamentale qui se pose dans le présent pourvoi est de savoir comment établir un équilibre entre ces deux exigences.

27 L’avocat de Consortium a exprimé l’opposition de son client à la portée apparente de l’art. 100 en faisant remarquer que cet article donnait à chaque municipalité de la province le pouvoir de contraindre un citoyen [traduction] «à se rendre sur la place publique pour y être interrogé». Rappelons, cependant, que Consortium a choisi de traiter avec un corps public dont le successeur est maintenant comptable à ses contribuables d’une hypothèque de 3,39 millions $ qui ne rapporte rien et d’un parc de 40 acres qui aurait été acheté à un prix exorbitant. L’interrogatoire des actionnaires ou des dirigeants de Consortium (si jamais ils sont identifiés) aura lieu sous la direction d’un commissaire qui est (et doit être) un juge de la Cour de l’Ontario (Division générale). Le fait qu’une enquête fondée sur l’art. 100 soit une enquête judiciaire vise nettement à établir un équilibre entre la volonté de la municipalité d’obtenir d’un commissaire indépendant des renseignements exacts et des recommandations utiles et le droit des citoyens et d’autres personnes à la reconnaissance et à la protection de leurs intérêts légitimes. On a inévitablement, et avec raison, une grande confiance en la capacité du commissaire d’assurer l’équité de l’enquête.

L’équité procédurale

28 Certains arguments avancés pour le compte des appelants semblaient, en fait, ne tenir aucun compte de la distinction qui existe entre, d’une part, les conditions de l’exercice valide du pouvoir conféré à l’art. 100 d’ouvrir une enquête et, d’autre part, les garanties procédurales auxquelles les appelants ont droit pendant l’enquête, une fois que celle‑ci a été ouverte validement. La résolution du conseil municipal visée à l’art. 100 doit évidemment être intelligible. Elle doit faire part de l’objet de l’enquête au commissaire et à toute autre personne intéressée, et relier cet objet à une seule ou plusieurs des questions mentionnées à l’art. 100 de la Loi sur les municipalités. Elle doit permettre aux personnes qui comparaissent devant le commissaire de saisir raisonnablement la portée de même que les limites de l’enquête de façon à éviter la possibilité, si vague soit‑elle, qu’un commissaire ou un avocat de la commission trop enthousiaste établisse, en fait, son propre mandat. La résolution fondée sur l’art. 100 doit fournir suffisamment de détails pour satisfaire à ces exigences législatives.

29 Cela dit, la résolution fondée sur l’art. 100 n’est pas un acte de procédure, et encore moins un acte d’accusation. Elle crée une compétence, mais, dans l’exercice de cette compétence, le commissaire est limité par les principes de l’équité procédurale, peu importe que ces limites soient mentionnées ou non dans la résolution fondée sur l’art. 100. L’application de ces principes dépendra, bien entendu, de l’objet de l’enquête et des intérêts divers des personnes qui témoigneront ou qui seront autrement impliquées dans les procédures. Il ressort clairement de la gamme de questions mentionnées à l’art. 100 que l’application du principe de l’équité procédurale doit être souple. Les témoins qui comparaissent à titre d’expert dans le cadre d’une enquête générale d’intérêt public sur les finances municipales, par exemple, auront probablement peu besoin de garanties procédurales. Une enquête sur un aspect particulier des «affaires publiques», tel un déboire survenu dans un appel d’offres, est plus susceptible d’avoir une incidence sur des droits individuels, et la procédure sera par voie de conséquence contrôlée plus strictement. Dans les cas les plus délicats où l’inconduite reprochée risque d’engendrer une responsabilité civile ou criminelle (peu importe que l’enquête soit fondée sur le premier ou le deuxième volet), l’ensemble des restrictions de la justice naturelle protégeront les gens raisonnablement perçus comme des cibles éventuelles.

30 Les distinctions qui existent sur le plan conceptuel entre la validité législative et les droits des participants à une enquête équitable sont importantes. Si la municipalité avait une connaissance suffisante des faits pertinents pour être en mesure de fournir les détails de l’affaire, il se pourrait qu’une enquête ne soit pas nécessaire. En même temps, l’absence de connaissance n’autorise pas la municipalité à bafouer les droits de ses employés, de ses anciens employés, des gens avec qui elle a déjà fait affaires, ou d’autres personnes. Des aspects de l’équité procédurale, telle la nécessité de fournir des détails, ne doivent pas faire échouer l’enquête au départ sauf si on conclut que, dans les circonstances particulières de l’affaire, il est simplement impossible de tenir une enquête équitable d’après le texte de la résolution en cause. À part cela, l’enquête devrait pouvoir se dérouler, et les objections procédurales devraient être examinées à un stade ultérieur lorsque le commissaire aura eu l’occasion d’étudier et de régler les questions d’équité.

31 Il est vrai, comme l’a souligné le juge Borins, dissident en Cour divisionnaire, à la p. 525, que l’art. 100, contrairement à l’art. 13 de la Loi sur les enquêtes fédérale, L.R.C. (1985), ch. I‑11, et au par. 5(2) de la Loi sur les enquêtes publiques de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. P.41, ne précise pas qu’une personne ne pourra faire l’objet d’une constatation d’inconduite que si elle a reçu un préavis suffisant de la nature de l’inconduite qui lui est reprochée et si elle a eu la possibilité d’être entendue à l’enquête en personne ou par l’entremise d’un avocat. Le juge Borins a considéré que cette omission signifiait:

[traduction] . . . que les résultats de l’enquête que le commissaire soumet au conseil municipal peuvent comprendre des constatations d’inconduite sans que [ce préavis] soit nécessaire.

Je ne suis pas d’accord. L’article 13 de la Loi sur les enquêtes fédérale et le par. 5(2) de la Loi sur les enquêtes publiques de l’Ontario reflètent les principes de justice naturelle applicables en matière de préavis et de possibilité d’être entendu lorsqu’une inconduite est alléguée, et un commissaire agissant en vertu de l’art. 100 doit s’y conformer même si l’art. 100 ne l’oblige pas à le faire.

La validité législative de la deuxième résolution de la ville de Sarnia

32 Ayant ces principes à l’esprit, j’aborde l’argument selon lequel la deuxième résolution du conseil municipal de Sarnia ne satisfait pas aux conditions législatives minimales de l’exercice valide du pouvoir prévu à l’art. 100. La résolution décrit d’abord l’art. 100 comme étant la source de la compétence de la municipalité, elle énumère ensuite de façon très détaillée chaque étape des opérations impliquant les terrains en cause, y compris les clauses controversées de l’hypothèque de Consortium susmentionnée, et elle décrit enfin le rapport de successeur qui existe entre Sarnia et l’ancienne ville de Clearwater. Après avoir défini l’objet de l’enquête et nommé le juge Killeen au poste de commissaire, la résolution établit un lien entre le mandat de l’enquête et l’art. 100 de la façon suivante:

[traduction] Enquêter sur tous les aspects des opérations susmentionnées, leur historique et leur incidence sur les contribuables de la ville de Sarnia, dans la mesure où elles touchent au bon gouvernement de la municipalité ou à la façon de traiter ses affaires publiques, et faire les recommandations que le commissaire pourra juger appropriées et dans l’intérêt du public, à la suite de son enquête. [Je souligne.]

33 Le mandat du commissaire vise donc l’intérêt de la municipalité dans le bon gouvernement et la façon de traiter les affaires publiques, et s’y limite. Cette limitation est importante et les avocats des divers participants ont le droit de veiller à ce qu’elle soit respectée. La résolution prévoit plus loin:

[traduction] afin d’aviser dans un délai raisonnable les personnes qui pourront être appelées à témoigner, [. . .] il est prévu que l’enquête pourra porter [à l’égard des diverses opérations] sur [. . .] le lien qui existe entre elles; la contrepartie fournie par les parties dans chaque cas; l’attribution, par Clearwater, d’un droit de premier refus à MacPump dans le cadre de l’achat des terrains Lottie Neely par Clearwater; l’acceptation, par Clearwater, d’une hypothèque constituée par Consortium dans le cadre de son achat du terrain Parklands; le moment où ont été conclues les diverses opérations les unes par rapport aux autres et par rapport à la fusion de Clearwater et de l’ancienne ville de Sarnia; [Je souligne.]

34 En ce qui concerne le «bon gouvernement» et la façon de traiter les «affaires publiques», la résolution «prévoit» expressément que l’enquête pourra porter sur:

[traduction]

2. la nature et l’importance des renseignements dont disposaient les parties ayant pris part aux diverses opérations, à toutes les époques pertinentes;

3. les liens, s’il en est, qui existaient entre, d’une part, les représentants élus et les administrateurs de Clearwater et, d’autre part, les dirigeants et les représentants du conseil scolaire, MacPump, le fiduciaire et Consortium, à toutes les époques pertinentes; et

4. les avis juridiques ou autres avis professionnels obtenus par Clearwater relativement aux négociations qu’elle menait.

35 Les appelants se plaignent du fait qu’il n’y ait ici aucune mention particulière de «cas présumé de méfait, d’abus de confiance ou d’inconduite». Il semble que leur objectif est de restreindre l’enquête aux détails que la municipalité connaît déjà, à supposer que de tels détails existent effectivement. Toutefois, l’art. 100 n’oblige pas une municipalité à présenter plus d’allégations exorbitantes qu’elle n’est disposée et en mesure de présenter. L’article 3 de la résolution parle d’une enquête sur les «liens» existant entre les représentants du promoteur et les fonctionnaires municipaux. Cet article soulève clairement la question des conflits d’intérêts éventuels. La ville n’est nullement tenue d’alléguer l’existence réelle de tels conflits. L’article 4 soulève la question de savoir si Clearwater a fait la sourde oreille à ses conseillers professionnels. Des questions comme la possibilité qu’il existe des conflits d’intérêts et qu’il n’ait pas été tenu compte d’avis professionnels se rapportent, sous un aspect, au bon gouvernement et peut‑être même, sous un autre aspect, à une inconduite. L’article 100 confère un vaste pouvoir, et il était loisible au conseil municipal de Sarnia d’autoriser l’enquête plus générale, mentionnée dans sa résolution, sur la façon de traiter les affaires publiques, par opposition à l’enquête plus limitée sur des actes particuliers d’inconduite qui, selon les appelants, aurait été préférable.

36 Les appelants soutiennent que le lien entre le «bon gouvernement» et les opérations immobilières en cause devrait être énoncé dans la résolution fondée sur l’art. 100, mais la résolution, dans son ensemble, révèle clairement à qui veut bien le comprendre que la ville juge que, par suite d’«affaires publiques» qui peuvent avoir impliqué des «liens» entre des fonctionnaires et des promoteurs immobiliers, elle se retrouve maintenant avec une hypothèque qui ne rapporte rien et un parc dont le prix est excessif, qui ont entraîné des «délégations et des pétitions», et croit qu’elle bénéficierait des recommandations du commissaire à l’égard de [traduction] «la façon de traiter les affaires publiques de la municipalité à l’avenir». Il est évident qu’une enquête menée en vertu du deuxième volet de l’art. 100 sur un aspect particulier des affaires publiques peut révéler une inconduite. De même, une enquête fondée sur le premier volet peut porter sur «un cas présumé de méfait» et permettre de conclure que la conduite visée, quoique parfaitement innocente, devrait néanmoins donner lieu à des recommandations relatives au bon gouvernement de la municipalité. Même si, à certaines fins, il peut être utile de considérer que l’art. 100 comporte deux volets, il n’est donc question que d’un seul pouvoir et les conditions préalables à son exercice valide pour ouvrir une enquête judiciaire ne varient pas en fonction de l’objet de celle‑ci. Une interprétation plus compartimentée minerait l’utilité du pouvoir et contredirait l’intention générale du législateur qui ressort de la lecture même de l’art. 100. J’estime que c’est dans le cadre de l’équité procédurale, au stade de l’enquête, qu’il vaut mieux traiter la préoccupation, légitime selon moi, concernant le besoin de plus de détails dans les cas où une inconduite est susceptible d’être constatée.

37 Il faut se rappeler que le rapport que le commissaire soumettra au conseil municipal ne fera état que de son point de vue et ne déterminera pas s’il y a responsabilité civile ou criminelle, le cas échéant. Comme notre Cour l’a récemment souligné dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang au Canada), [1997] 3 R.C.S. 440 («l’affaire de l’Enquête sur le sang contaminé»), le juge Cory, au par. 34:

Une commission d’enquête ne constitue ni un procès pénal, ni une action civile pour l’appréciation de la responsabilité. Elle ne peut établir ni la culpabilité criminelle, ni la responsabilité civile à l’égard de dommages. Il s’agit plutôt d’une enquête sur un point, un événement ou une série d’événements. Les conclusions tirées par un commissaire dans le cadre d’une enquête sont tout simplement des conclusions de fait et des opinions que le commissaire adopte à la fin de l’enquête. Elles n’ont aucun lien avec des critères judiciaires normaux. Elles tirent leur source et leur fondement d’une procédure qui n’est pas assujettie aux règles de preuve ou de procédure d’une cour de justice. Les conclusions d’un commissaire n’entraînent aucune conséquence légale. Elles ne sont pas exécutoires et elles ne lient pas les tribunaux appelés à examiner le même objet.

Les avantages publics que l’on cherche à obtenir au moyen d’une enquête judiciaire ne peuvent s’acquérir aux dépens des droits des appelants et d’autres personnes impliquées dans les opérations immobilières: ces droits seront protégés au cours de la procédure par les principes de justice naturelle et l’impartialité du commissaire et, par la suite, par l’inadmissibilité de tout témoignage forcé dans le cadre de procédures ultérieures, en vertu du par. 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑5, et de l’art. 13 de la Charte canadienne des droits et libertés (Di Iorio c. Gardien de la prison de Montréal, [1978] 1 R.C.S. 152; Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350), sur le plan fédéral, et du par. 9(1) de la Loi sur les enquêtes publiques de l’Ontario, qui est incorporé par renvoi au par. 100(1) de la Loi sur les municipalités, sur le plan provincial.

38 À l’instar du juge Borins, dissident, de la Cour divisionnaire, les appelants se fondent sur les motifs de dissidence exposés par le juge Gwynne de notre Cour, dans l’arrêt Godson c. City of Toronto (1890), 18 R.C.S. 36. Dans cet arrêt, les juges majoritaires ont confirmé une résolution municipale très générale qui visait l’ouverture d’une enquête judiciaire sur la conduite d’un inspecteur municipal soupçonné d’avoir commis un méfait. La résolution manquait de détails. Les juges majoritaires de notre Cour, par l’entremise du juge en chef sir W. J. Ritchie, ont conclu, à la p. 40 que [traduction] «[l]a ville était légalement habilitée à charger le juge de comté de tenir les enquêtes ordonnées en l’espèce». Les seuls motifs dissidents, ceux du juge Gwynne, étaient fondés sur son opinion que le pouvoir de la municipalité d’autoriser une enquête judiciaire était si [traduction] «susceptible de donner lieu à des abus» que la loi devait «recevoir l’interprétation littérale la plus restrictive de façon à limiter la portée des pouvoirs» (p. 41). L’interprétation restrictive a manifestement été rejetée par les juges majoritaires de la Cour. Le juge Gwynne a ajouté que la compétence découlant du premier volet exigeait que la résolution de la municipalité [traduction] «mentionne un acte, une affaire, ou une chose tenant d’un méfait, d’un abus de confiance, ou d’une autre forme d’inconduite spécifiée» (p. 42). Il me semble que le juge Gwynne n’a fait que souligner que l’objet d’une enquête doit être précisé, ce à quoi je souscris. Inutile de répéter qu’une enquête sur une inconduite doit décrire l’inconduite sur laquelle elle porte. Toutefois, dans la mesure où les appelants considèrent que le juge Gwynne avançait la proposition générale selon laquelle, en l’absence d’une telle description de l’inconduite en cause, une municipalité ne peut pas ouvrir une enquête plus large fondée sur le deuxième volet de l’art. 100 pour aller au fond d’une affaire publique controversée, je ne suis pas d’accord pour dire que c’était ce qu’il faisait. Dans le cas où il aurait avancé une telle proposition, j’estime que l’on peut considérer que les juges majoritaires de notre Cour dans Godson l’ont rejetée, et ce, à juste titre.

39 L’affaire de l’Enquête sur le sang contaminé, précitée, est plus récente et intéressante. On y contestait le pouvoir du commissaire Horace Krever non seulement de constater les «faits» concernant l’approvisionnement en sang au Canada au début des années 80, mais encore de faire des déductions susceptibles d’indiquer que les personnes morales ou physiques visées avaient adopté une conduite qui pouvait engendrer la culpabilité criminelle ou une responsabilité civile. Le mandat dans cette affaire ne comportait, comme en l’espèce, aucune allégation d’inconduite. À cet égard, il présente une ressemblance frappante avec la présente affaire. Notre Cour a rejeté à l’unanimité la contestation des préavis de faute potentielle donnés par le commissaire Krever, et du pouvoir de ce dernier de tirer éventuellement des conclusions faisant état d’une faute, s’il le jugeait approprié. La décision rendue dans cette affaire devrait être appliquée en l’espèce pour conclure que le commissaire qui agit en vertu du deuxième volet de l’art. 100 peut non seulement enquêter, dans le cadre de son mandat général, sur une conduite susceptible d’avoir des conséquences criminelles ou civiles, mais également, dans son rapport (le juge Cory, au par. 57):

. . . conclure à l’existence d’une faute sur la foi des conclusions de fait, pourvu que ces conclusions soient nécessaires à la réalisation de l’objet de l’enquête tel qu’il est décrit dans le mandat.

40 En l’espèce, la résolution fondée sur l’art. 100 est parfaitement intelligible. Elle décrit non seulement l’objet de l’enquête, mais également les limites de l’intérêt de la municipalité. L’objet de l’enquête énoncé dans la deuxième résolution du conseil municipal de Sarnia est une question d’intérêt municipal légitime qui relève des sujets mentionnés à l’art. 100. La contestation de la validité législative de la résolution fondée sur l’art. 100 doit donc être rejetée.

L’équité procédurale à l’enquête

41 Avant de laisser le premier moyen d’appel des appelants, je tiens à souligner que les préoccupations des individus impliqués dans des enquêtes judiciaires sont réelles et compréhensibles. Contrairement aux poursuites ordinaires où il y a communication préliminaire de la preuve et où le procès se déroule à un rythme modéré conformément à une procédure bien établie, l’enquête judiciaire s’apparente souvent à un énorme interrogatoire préalable multipartite caractérisé par une absence de plaidoiries, une divulgation minimale avant les audiences (parce qu’il se peut que les avocats de la commission aient peu de renseignements à divulguer, du moins au départ), et des règles de preuve moins strictes. Les audiences sont souvent entourées de publicité. Il arrive fréquemment, bien entendu, qu’au moins certains des participants savent bien avant les avocats de la commission ce que révéleront les documents qui seront présentés, ce que diront les témoins clés et où des «malentendus» pourront survenir. L’enquête progresse nécessairement en convoi de participants dont les intérêts, les motifs, les renseignements, la participation même et la visibilité sont très différents. La tâche est difficile pour un commissaire de coordonner ce processus de manière à servir l’intérêt qu’a le public à découvrir la vérité sans exposer les participants à un préjudice incident inutile, évitable ou injustifié. Bien que les appelants aillent trop loin lorsqu’ils prétendent que les détails qu’ils demandent doivent être incorporés dans la résolution fondée sur l’art. 100, les participants à une enquête ont le droit de connaître, suffisamment avant la fin des audiences, les détails de toute inconduite qui peut leur être reprochée (et ordinairement chacun de ces détails avant de témoigner), afin d’être raisonnablement en mesure de répondre (s’ils ne l’ont pas déjà fait) comme ils l’entendent. Il arrive couramment que l’on demande à des témoins de communiquer des documents pertinents aux avocats de la commission et, en toute équité, ces derniers devraient autant que possible prendre l’habitude de communiquer aux intéressés, avant qu’ils témoignent, tout autre document obtenu par la commission qui est pertinent en ce qui concerne les questions qui doivent être traitées au cours de leur témoignage, en particulier les documents ayant trait à la participation du témoin lui‑même aux événements visés par l’enquête. Les enquêtes judiciaires ne sont pas des épreuves de surprise. En fait, on justifie souvent l’existence de ces enquêtes et les procédés qui y sont utilisés par le fait qu’elles sont de nature inquisitoire plutôt que contradictoire et qu’aucun litige n’oppose les participants. Les enquêtes judiciaires ne sont pas, en ce sens, contradictoires. C’est pourquoi les appelants et d’autres personnes dont la conduite est examinée peuvent légitimement soutenir qu’étant réputés, en droit, ne pas être des adversaires, les avocats de la commission ne doivent pas les traiter comme s’ils l’étaient.

2. La tentative des appelants d’établir un dossier relatif aux circonstances de l’affaire aurait‑elle dû être limitée par l’annulation des assignations délivrées au maire et aux conseillers de la ville de Sarnia, de même qu’à des fonctionnaires municipaux?

42 Cette question est régie par les principes déjà analysés. Les appelants font valoir que la preuve des circonstances de l’affaire, dont l’intention de chaque membre du conseil municipal de Sarnia, est admissible et pertinente pour établir si l’objet véritable de la résolution était de découvrir et révéler un acte d’inconduite non spécifié. Cette preuve porterait sur la question de savoir si ces conseillers municipaux avaient vraiment l’intention d’ouvrir une enquête fondée sur le «premier volet» qui serait déguisée en enquête fondée sur le «deuxième volet» dans le cadre général de l’art. 100, afin de ne pas avoir à fournir les détails appropriés de l’inconduite. De surcroît, les appelants veulent démontrer que, même s’il s’agissait d’une enquête fondée sur le «premier volet», les partisans de la résolution sollicitaient en fait la tenue d’un substitut d’enquête policière sur la perpétration d’infractions criminelles particulières par des individus particuliers, de sorte que s’appliquait l’interdiction de l’arrêt Starr c. Houlden, [1990] 1 R.C.S. 1366.

43 J’aborderai la question de l’arrêt Starr plus loin. Sous réserve de cela, il est clair que la preuve concernant l’argument du «premier volet» par rapport au «deuxième volet» n’est pas pertinente. La théorie du détournement de pouvoir s’applique lorsqu’une législature est censée exercer son pouvoir relativement à une question qui relève de sa compétence, alors qu’en réalité elle s’efforce de légiférer sur une question qui n’en relève pas. En d’autres termes, les appelants soutiennent que, bien que la résolution fondée sur l’art. 100 autorise, «sur le plan de la forme», une enquête en vertu du deuxième volet, elle autorise «au fond» une enquête en vertu du premier volet et devrait donner lieu à l’application de ce que les appelants estiment être les exigences procédurales plus strictes d’une enquête fondée sur le «premier volet». Si on laisse de côté la question de partage des compétences qui prédominait dans Starr, les appelants ne peuvent obtenir gain de cause en établissant simplement que certains membres du conseil municipal peuvent avoir eu à l’esprit un certain aspect de la compétence conférée par l’art. 100, alors que d’autres membres avaient à l’esprit un autre aspect de cette même compétence. La résolution était par écrit. Les membres du conseil ont voté ce texte écrit. Le commissaire est lié par cet écrit. Il s’agit de savoir si la municipalité, par opposition à chacun des membres de son conseil, avait compétence pour agir comme elle l’a fait. Voir Colombie‑Britannique (Milk Board) c. Grisnich, [1995] 2 R.C.S. 895, au par. 5.

44 La présente affaire illustre bien la raison pour laquelle la règle de l’arrêt Thorne’s Hardware, précité, est salutaire. Dans cette affaire, la Cour était invitée à conclure que le cabinet fédéral avait été motivé par des considérations financières mesquines et irrégulières lorsqu’il avait étendu les limites du port de Saint‑Jean de manière à comprendre le nouveau terminal en eau profonde qu’Irving Oil et ses filiales en propriété exclusive avaient pris soin de construire hors des anciennes limites portuaires. Cela avait pour résultat de rendre exigibles, à l’égard des nouvelles installations, des droits de port qui ne l’étaient pas auparavant. Voici ce que le juge Dickson a dit, au nom de la Cour, à la p. 112:

L’avocat des appelantes reproche à la Cour d’appel fédérale d’avoir omis d’examiner et d’apprécier la preuve afin de déterminer si le gouverneur en conseil a été animé par des motifs irréguliers en prenant le décret attaqué. On nous invite à entreprendre cet examen, mais j’estime avec égards qu’il faut décliner cette invitation. Nous n’avons ni le droit ni l’obligation de mener une enquête sur les motifs qui ont pu inciter le cabinet fédéral à prendre le décret . . .

45 Les motifs d’un corps législatif composé de nombreuses personnes sont «inconnaissables», à l’exception de ce qui ressort des dispositions qu’il adopte. En l’espèce, le conseil municipal avait le pouvoir prévu à l’art. 100, et l’a exercé sous forme de résolution qui parle d’elle-même. Même si certains membres de l’ancien ou de l’actuel conseil municipal de Sarnia ont pu faire des déclarations qui traduisent une volonté d’exposer au grand jour une prétendue inconduite, l’enquête sera menée non pas par des conseillers municipaux mais par le commissaire Killeen, un juge de cour supérieure, qui s’en remettra aux directives prévues dans la résolution fondée sur l’art. 100, et non aux commentaires de certains politiciens municipaux relatés dans la presse. En conséquence, les tribunaux d’instance inférieure ont eu raison d’annuler les assignations et de radier du dossier certains autres éléments de preuve. Bien que les tribunaux doivent hésiter à entraver les efforts déployés par une partie pour établir sa preuve, ils devraient annuler les assignations si, comme en l’espèce, la preuve que l’on cherche à obtenir n’a rien à voir avec une question soulevée dans les demandes de contrôle judiciaire: Re Canada Metal Co. and Heap (1975), 7 O.R. (2d) 185 (C.A.), le juge Arnup, à la p. 192.

3. La résolution est‑elle ultra vires du fait que l’enquête dont elle demande l’ouverture est, en réalité, un substitut d’enquête policière et d’enquête préliminaire qui empiète sur la compétence fédérale en matière de droit criminel prévue au par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867?

46 La question du détournement de pouvoir pourrait être soulevée à bon droit s’il était établi que l’enquête judiciaire en cause, apparemment autorisée par la loi provinciale, était en fait un substitut d’enquête policière qui empiétait sur la compétence fédérale exclusive en matière de droit et de procédure criminels. Une preuve extrinsèque serait admissible pour établir l’existence d’un détournement de pouvoir: Starr, précité, à la p. 1403. Si les appelants ont raison, la résolution excédera le pouvoir conféré par l’art. 100 qui n’autorise que les enquêtes relevant de la compétence provinciale, et sera invalide pour des raisons de partage des compétences.

47 La constitutionnalité de l’art. 100 lui‑même ne fait aucun doute. Elle peut être étayée par différentes dispositions de l’art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867: a) le par. 92(8), les institutions municipales dans la province; b) le par. 92(13), la propriété et les droits civils dans la province; c) le par. 92(16), généralement, toutes les matières d’une nature purement locale ou privée dans la province. Il s’agit de savoir si cette résolution particulière, adoptée en vertu de cet article, est elle-même ultra vires.

48 Les appelants allèguent que des membres du conseil municipal de Sarnia étaient frustrés du fait que les enquêtes de la police et du ministère provincial des Affaires municipales n’avaient révélé aucune preuve d’«écart de conduite». L’avocat des appelants évoque une réunion qu’il a eue avec certains fonctionnaires de la ville le 3 mars 1995, au cours de laquelle trois conseillers municipaux ont mentionné la tenue d’une réunion à huis clos moins d’un mois avant l’adoption de la résolution du 9 janvier 1995, où il avait été question d’aller au fond des choses pour vérifier s’il y avait eu «écart de conduite», et où l’avocate de la ville aurait affirmé qu’un agent de la PPO lui avait dit «à titre confidentiel» que le conseil municipal devrait aller de l’avant avec l’enquête. Cette déclaration faisait implicitement état, soutient‑on, de l’opinion de l’agent de la PPO que la tenue d’une enquête pourrait bien révéler l’existence d’activités criminelles. Les appelants cherchent à attribuer ce motif au conseil municipal.

49 Le premier problème que pose un tel raisonnement est que le fait que des conseillers municipaux aient pris leurs désirs pour des réalités, même s’il était établi, ne peut transformer une enquête fondée sur l’art. 100 en substitut d’enquête policière. Si la contestation de compétence a réussi dans l’affaire Starr, ce n’est pas parce que les rédacteurs du décret provincial en cause espéraient que le commissaire serait en mesure de procéder à un substitut d’enquête policière, mais plutôt parce que notre Cour a conclu que c’était là, en réalité, ce que le décret lui ordonnait de faire. Une preuve extrinsèque a été admise pour étayer la conclusion d’inconstitutionnalité, mais cette preuve corroborait ce qui ressortait déjà manifestement du texte du décret. Il suffit de répondre à l’argument avancé par les appelants en l’espèce que si le commissaire tentait effectivement de procéder à un substitut d’enquête policière, comme c’était le cas dans l’affaire Starr, il excéderait alors le pouvoir conféré par la résolution fondée sur l’art. 100. Même si certains membres du conseil municipal étaient incités à voter en faveur de la résolution en raison d’une conception erronée de ce qu’elle permettrait d’accomplir, cela ne saurait rendre intra vires une résolution ultra vires.

50 L’arrêt Starr ne peut pas être interprété comme autorisant la contestation de la compétence relative à toute enquête judiciaire susceptible de révéler de manière incidente, dans le cadre de son mandat, une inconduite pouvant faire l’objet d’une sanction pénale. En l’espèce, alors que l’enquête de la PPO était en cours au moment de l’adoption de la première résolution du conseil municipal, elle était déjà terminée depuis 16 mois quand le conseil municipal de Sarnia a adopté sa deuxième résolution le 9 janvier 1995. Même si l’on estime que l’adoption de la deuxième résolution est entachée par les circonstances qui auraient entouré l’adoption de la première résolution (nonobstant l’élection, entre‑temps, d’un nouveau conseil municipal), il reste que la deuxième résolution ne vise pas des allégations précises d’inconduite criminelle de la part d’individus nommés.

51 Il faut se rappeler que, dans Starr, l’enquête criminelle de la police se déroulait en même temps que l’enquête Houlden elle‑même. Un haut fonctionnaire du bureau du Premier ministre de l’Ontario avait démissionné après avoir admis qu’il avait bénéficié irrégulièrement d’avantages personnels gratuits, dont le fameux réfrigérateur. Les enquêteurs qui travaillaient dans le cadre de l’enquête Houlden comprenaient des membres de la police régulière. On devait s’efforcer d’empêcher que le travail des «membres du personnel enquêteur» influe sur celui des «membres de la police régulière» qui étudiaient simultanément la possibilité de porter des accusations en vertu du Code criminel. Les deux enquêtes étaient tenues en fonction de mandats essentiellement identiques, à savoir l’art. 121 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, comme on peut le constater en comparant cet article avec le mandat de la commission Houlden.

Article 121 du Code criminel

. . . quiconque [. . .] paye une commission ou récompense ou confère un avantage ou un bénéfice de quelque nature à un employé ou fonctionnaire du gouvernement avec lequel il traite, ou à un membre de sa famille . . .

Paragraphe 2 du mandat de la commission Houlden

[traduction] . . . un bénéfice, avantage ou récompense quelconque a été accordé à un fonctionnaire public élu ou non élu ou à un membre de sa famille. . .

En définitive, les «membres de la police régulière» et les «membres du personnel enquêteur» procédaient simultanément à la même enquête, en vertu de mandats essentiellement identiques. La différence était que les «membres de la police régulière» étaient tenus de respecter les contraintes du droit criminel, alors que les «membres du personnel enquêteur» ne l’étaient pas. Le décret établissant la commission Houlden a donc été annulé pour le motif qu’il visait la compétence fédérale exclusive en matière de droit et de procédure criminels et excédait donc la compétence législative de la province. Le caractère limité de la conclusion du juge Lamer, maintenant Juge en chef, ressort à la lecture de ses motifs, à la p. 1402:

Le mandat désigne des personnes nommément et le fait en utilisant des termes qui sont presque identiques à ceux de la disposition correspondante du Code criminel. Le même mandat enjoint au commissaire de faire enquête et de constater des faits qui constitueraient en réalité, contre les personnes désignées, une preuve prima facie suffisante pour obtenir le renvoi de ces personnes à leur procès pour infraction à l’art. 121 du Code. Même si la province n’a peut‑être pas visé ce résultat, l’enquête a pour conséquence ultime d’équivaloir à une enquête de police et à une enquête préliminaire régie par la Partie XVIII du Code, relativement à des infractions criminelles précises reprochées à Mme Starr et à Tridel Corporation Inc.

En outre, le juge Lamer confirme, à la p. 1409, la règle constitutionnelle générale qui permet la tenue d’enquêtes provinciales qui, de par leur «caractère véritable», portent sur des questions provinciales (en l’espèce un gouvernement local), malgré les effets «accessoires» qu’elles peuvent avoir sur la compétence fédérale en matière de droit criminel:

Il n’y a pas de doute qu’il existe une jurisprudence sanctionnant la validité d’enquêtes dont la fonction principale est de déterminer des faits, mais non de mener un procès criminel, même si leur objet porte en partie sur une activité criminelle. En fait, il est manifeste que le risque qu’un témoin devant une commission d’enquête devienne plus tard un accusé dans son procès sur une accusation criminelle ne rend pas la commission ultra vires de la province. Mais dans aucune affaire antérieure, notre Cour n’a examiné une enquête provinciale qui comporte à la fois la reproduction presque textuelle de la définition d’une infraction au Code criminel et la désignation de personnes précises alors que des enquêtes policières sont en cours à l’égard des mêmes personnes.

52 La nature exceptionnelle de l’arrêt Starr et des faits qui sont à l’origine de la décision de notre Cour a été soulignée dans l’affaire de l’Enquête sur le sang contaminé, précitée. Dans cette affaire, il a été jugé que l’enquête Krever, établie en vertu de la Loi sur les enquêtes fédérale, avait compétence pour tirer des conclusions faisant état d’une faute, même une faute susceptible d’engendrer une responsabilité civile ou criminelle, pourvu que ces conclusions soient vraiment pertinentes à l’égard de l’objet général de l’enquête défini dans son mandat. En exposant les motifs de notre Cour, le juge Cory a établi une distinction d’avec les affaires Starr et Re Nelles and Grange (1984), 46 O.R. (2d) 210 (C.A.), au par. 47:

Ces deux enquêtes étaient manifestement exceptionnelles. Elles portaient sur des incidents particuliers et sur des personnes précises, concurremment à des enquêtes criminelles.

L’affaire de l’Enquête sur le sang contaminé a repris et approuvé le courant de jurisprudence dans lequel notre Cour avait accordé une grande portée à des enquêtes provinciales, dont Procureur général du Québec et Keable c. Procureur général du Canada, [1979] 1 R.C.S. 218, O’Hara c. Colombie‑Britannique, [1987] 2 R.C.S. 591, et Phillips c. Nouvelle‑Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97. L’affaire Westray est particulièrement intéressante si on la compare aux faits de la présente affaire, étant donné qu’à l’époque où les directeurs de la mine étaient appelés à témoigner devant la commission, ils faisaient en même temps l’objet d’accusations en vertu de la Occupational Health and Safety Act de la province. La confirmation du bien‑fondé de ces arrêts par notre Cour à l’unanimité, dans l’affaire de l’Enquête sur le sang contaminé, rend le moyen d’appel fondé sur le partage des compétences également insoutenable en l’espèce.

4. La résolution est‑elle illégale du fait qu’elle exige que Sarnia enquête sur les affaires de Clearwater?

53 Les appelants font valoir que la nouvelle municipalité de Sarnia créée par la Sarnia‑Lambton Act, 1989 ne pouvait légalement ouvrir une enquête sur les affaires de la municipalité qui l’a précédée. À cet égard, ils se fondent sur Hydro Electric Commission of Mississauga c. City of Mississauga (1975), 13 O.R. (2d) 511 (Cour div.). Ils prétendent que la Sarnia‑Lambton Act, 1989, interprétée dans son ensemble, prévoit la création d’une nouvelle municipalité à partir de deux municipalités distinctes qui ont toutes les deux été dissoutes au moment de la fusion. Il est soutenu que le libellé de la Loi engendre une discontinuité entre les anciennes municipalités maintenant dissoutes et une nouvelle entité distincte, et que l’art. 100 ne permet pas à la nouvelle ville de Sarnia d’enquêter sur les agents, fonctionnaires et entrepreneurs d’une municipalité disparue, ni d’enquêter sur la façon de traiter les affaires publiques de cette autre municipalité.

54 Cette question dépend du but de la loi ontarienne et, en particulier, de l’art. 9 de la Sarnia‑Lambton Act, 1989, qui prévoit:

[traduction] 9. Sous réserve de toute autre disposition de la présente loi, l’actif et le passif des anciennes municipalités et de leurs conseils locaux deviennent l’actif et le passif de la ville ou d’un conseil local de celle‑ci, sans indemnisation, et la ville et ses conseils locaux remplacent les anciennes municipalités et leurs conseils locaux. [Je souligne.]

Les appelants soutiennent que si les derniers mots avaient compris l’expression «à toutes fins», la phrase soulignée «aurait fort bien pu élargir la portée de l’article au‑delà de la question “de l’actif et du passif”» (mémoire des appelants, au par. 36). J’estime que l’interprétation de l’art. 9 proposée par les appelants est trop restrictive, mais, de toute façon, il reste que la résolution fondée sur l’art. 100 en l’espèce découle précisément du fait que Sarnia a hérité de l’actif et du passif de Clearwater. Les conditions dont est assorti cet actif, comme nous l’avons vu, obligent la nouvelle ville de Sarnia à aménager les terrains visés et à les doter des services municipaux avant que les intérêts et le principal ne deviennent exigibles. Ces conditions et leur provenance sont des «questions d’actualité» qui doivent être examinées par la nouvelle ville de Sarnia. Ainsi, même selon l’interprétation qu’en donnent les appelants, l’art. 9 de la Sarnia‑Lambton Act, 1989, qui prévoit que la nouvelle ville de Sarnia «remplace l’ancienne» municipalité en ce qui concerne l’actif et le passif, fait relever Sarnia de l’art. 100. Il n’est pas nécessaire d’examiner la conception plus large de l’art. 9 préconisée par l’intimée.

5. Le commissaire a‑t‑il manqué aux exigences de la justice naturelle et perdu irrévocablement sa compétence en raison de la procédure qu’il a adoptée à l’audience préparatoire à l’enquête?

55 Les appelants font valoir que le commissaire a commis une erreur en omettant de faire part aux parties intéressées de l’avis des avocats de la commission et d’entendre les arguments des avocats des appelants avant de choisir la procédure qu’il suivrait. Ils soutiennent que, lorsqu’il a refusé de leur accorder une audience, le commissaire n’a pas agi de façon impartiale et a donc miné la confiance du public dans l’intégrité du processus de la commission.

56 À mon avis, cet argument échoue lui aussi d’après les faits. Le commissaire n’a pas refusé d’accorder une audience aux appelants et sa conduite n’a révélé aucune partialité de sa part. Il est vrai qu’à l’ouverture de l’«audience préparatoire» le 6 mars 1995, le commissaire a déclaré qu’il procéderait à l’enquête malgré le dépôt de la demande de contrôle judiciaire. Cependant, à l’époque où il a fait cette déclaration, ni lui ni les avocats de la commission n’avaient reçu des appelants une demande d’ajournement. Lorsque les avocats des appelants se sont adressés au commissaire, il semble qu’ils estimaient qu’ils seraient mieux placés, du point de vue tactique, s’ils considéraient comme irrévocable l’allocution d’ouverture du commissaire. Ils ont appliqué cette stratégie au point où l’avocat qui représentait Consortium à l’époque a conclu ainsi son argumentation, dont la transcription compte deux pages et demie:

[traduction] J’ai donc cru, monsieur, que, par courtoisie, je devrais vous communiquer ce que nous vous aurions dit. [Je souligne.]

Après avoir communiqué ce qu’ils auraient dit, tout en précisant que, en fait, ce n’était pas ce qu’ils disaient, les avocats des appelants se sont assis et n’ont plus participé. L’énoncé par le commissaire de la procédure qu’il comptait suivre consistait largement en des généralités qui semblaient s’adresser aux personnes, dans la salle d’audience, qui n’étaient pas des avocats. Vu l’absence de tout avis qu’un ajournement serait demandé, on ne peut reprocher au commissaire d’avoir fait part de son intention de procéder à l’enquête de manière expéditive, ni d’avoir refusé d’envisager un ajournement éventuel dans des circonstances où les appelants eux‑mêmes refusaient, pour manifester leur mécontentement ou pour des raisons tactiques, de présenter des arguments à l’appui de cette mesure. Il n’y a aucune raison d’imputer au commissaire un manque d’impartialité. Dans les circonstances particulières de l’audience préparatoire, il avait le droit d’exposer la façon dont il comptait mener l’enquête sans divulguer l’avis qu’il avait reçu des avocats de la commission. Ses décisions seront appréciées selon leur propre valeur, indépendamment de l’avis qu’il a reçu. Sa décision de procéder à l’enquête et les mesures proposées pour l’audience sont des décisions prises régulièrement dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire en matière de procédure, et ce moyen doit donc lui aussi être rejeté.

Dispositif

57 Le pourvoi est donc rejeté avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de l’appelante Consortium Developments (Clearwater) Ltd.: Gowling, Strathy & Henderson, Toronto.

Procureurs des appelants Kenneth MacAlpine, James Pumple et MacPump Developments Ltd.: Gignac, Sutts, Windsor.

Procureurs de l’intimée la ville de Sarnia: Weir & Foulds, Toronto.

Procureur de l’intervenant: John D. Whyte, Regina.


Synthèse
Référence neutre : [1998] 3 R.C.S. 3 ?
Date de la décision : 22/10/1998

Parties
Demandeurs : Consortium Developments (Clearwater) Ltd.
Défendeurs : Sarnia (Ville)
Proposition de citation de la décision: Consortium Developments (Clearwater) Ltd. c. Sarnia (Ville), [1998] 3 R.C.S. 3 (22 octobre 1998)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1998-10-22;.1998..3.r.c.s..3 ?
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