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22/05/1997 | CANADA | N°[1997]_2_R.C.S._217

Canada | Soulos c. Korkontzilas, [1997] 2 R.C.S. 217 (22 mai 1997)


Soulos c. Korkontzilas, [1997] 2 R.C.S. 217

Fotios Korkontzilas, Panagiota Korkontzilas

et Olympia Town Real Estate Limited Appelants

c.

Nick Soulos Intimé

Répertorié: Soulos c. Korkontzilas

No du greffe: 24949.

1997: 18 février; 1997: 22 mai.

Présents: Les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1995), 25 O.R. (3d) 257, 126 D.L.R. (4th) 637, 84 O.A.C. 390, 47 R.P.R. (2d) 221, qui a

infirmé une décision de la Cour de l’Ontario (Division générale) (1991), 4 O.R. (3d) 51, 19 R.P.R. (2d) 205, rejetant l’...

Soulos c. Korkontzilas, [1997] 2 R.C.S. 217

Fotios Korkontzilas, Panagiota Korkontzilas

et Olympia Town Real Estate Limited Appelants

c.

Nick Soulos Intimé

Répertorié: Soulos c. Korkontzilas

No du greffe: 24949.

1997: 18 février; 1997: 22 mai.

Présents: Les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1995), 25 O.R. (3d) 257, 126 D.L.R. (4th) 637, 84 O.A.C. 390, 47 R.P.R. (2d) 221, qui a infirmé une décision de la Cour de l’Ontario (Division générale) (1991), 4 O.R. (3d) 51, 19 R.P.R. (2d) 205, rejetant l’action intentée par l’intimé contre les appelants en vue d’obtenir le transfert d’un immeuble. Pourvoi rejeté, les juges Sopinka et Iacobucci sont dissidents.

Thomas G. Heintzman, c.r., et Darryl A. Cruz, pour les appelants.

David T. Stockwood, c.r., et Susan E. Caskey, pour l’intimé.

Version française du jugement des juges La Forest, Gonthier, Cory, McLachlin et Major rendu par

Le juge McLachlin —

I

1. Dans le cadre du présent pourvoi, notre Cour doit déterminer si l’on peut exiger de l’agent immobilier qui a acheté pour lui‑même un immeuble au sujet duquel il a entamé des pourparlers au nom d’un client, qu’il remette l’immeuble à son client même si ce dernier ne peut pas prouver qu’il a subi une perte. La question juridique à trancher est celle de savoir s’il est possible d’imposer une fiducie par interprétation à l’égard d’un immeuble en l’absence d’un enrichissement du défendeur et d’un appauvrissement correspondant du demandeur. À mon avis, cette question doit recevoir une réponse affirmative.

II

2. L’appelant, M. Korkontzilas, est un courtier en immeubles. L’intimé, M. Soulos, était son client. En 1984, M. Korkontzilas a repéré un immeuble commercial susceptible, selon lui, d’intéresser M. Soulos. En effet, M. Soulos était intéressé à acheter l’immeuble. Monsieur Korkontzilas a entamé des négociations au nom de M. Soulos. Il a offert une somme de 250 000 $ pour l’immeuble. Le vendeur, la Dominion Life, a rejeté l’offre et a présenté une contre‑offre dans laquelle il exigeait une somme de 275 000 $. Monsieur Soulos a rejeté la contre‑offre, mais il est revenu à la charge en offrant 260 000 $ ou 265 000 $. La Dominion Life a informé M. Korkontzilas qu’elle accepterait de vendre l’immeuble pour 265 000 $. Au lieu de transmettre cette information à M. Soulos comme il aurait dû le faire, M. Korkontzilas a pris des dispositions pour que son épouse, Panagiota Goutsoulas, achète l’immeuble sous le nom de Panagiot Goutsoulas. Panagiot Goutsoulas a ensuite transféré l’immeuble à Panagiota et Fotios Korkontzilas à titre de copropriétaires. Monsieur Soulos a demandé ce qu’il était advenu de l’immeuble. Monsieur Korkontzilas lui a dit de [traduction] «l’oublier», que le vendeur ne voulait plus le vendre, mais qu’il lui trouverait quelque chose de mieux. Monsieur Soulos a demandé à M. Korkontzilas s’il avait quelque chose à voir avec le changement d’idée du vendeur. La réponse de M. Korkontzilas a été négative.

3. En 1987, M. Soulos a appris que M. Korkontzilas avait acheté l’immeuble pour lui‑même. Alléguant un manquement à une obligation fiduciaire donnant lieu à une fiducie par interprétation, il a intenté une action contre M. Korkontzilas afin d’obtenir que l’immeuble lui soit transféré. Il a soutenu que l’immeuble avait une valeur particulière pour lui parce que son banquier en était locataire et que le fait d’être le bailleur de son propre banquier était une source de prestige dans la communauté grecque à laquelle il appartenait. Toutefois, M. Soulos a renoncé à revendiquer des dommages‑intérêts parce que la valeur marchande de l’immeuble avait, en réalité, diminué depuis que M. Korkontzilas l’avait acheté.

4. Le juge du procès a conclu que M. Korkontzilas avait manqué à un devoir de loyauté envers M. Soulos, mais il a statué que la fiducie par interprétation n’était pas la réparation appropriée parce que M. Korkontzilas avait acquis l’immeuble à sa valeur marchande et ne s’était donc pas «enrichi»: (1991), 4 O.R. (3d) 51, 19 R.P.R. (2d) 205 (ci-après cité au O.R.). La décision a été infirmée en appel, le juge Labrosse étant dissident: (1995), 25 O.R. (3d) 257, 126 D.L.R. (4th) 637, 84 O.A.C. 390, 47 R.P.R. (2d) 221 (ci-après cité au O.R.).

5. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi. Selon moi, la doctrine de la fiducie par interprétation s’applique et exige que M. Korkontzilas transfère à M. Soulos l’immeuble acquis de manière irrégulière.

III

6. La première question à trancher est celle de savoir quelles étaient les obligations de M. Korkontzilas à l’égard de M. Soulos en ce qui a trait à l’immeuble. Cette question nous ramène aux conclusions du juge du procès. Celui‑ci a rejeté l’argument de M. Soulos selon lequel il existait une entente obligeant M. Korkontzilas à lui proposer en exclusivité tous les immeubles dans la région de Danforth avant de les offrir à d’autres acheteurs. Il a toutefois conclu que M. Korkontzilas était devenu le mandataire de M. Soulos lorsqu’il a préparé l’offre que M. Soulos a signée relativement à l’immeuble en cause. Il a en outre considéré que ce mandat comportait l’obligation de faire part à M. Soulos de la réponse du vendeur. Le mandat n’avait pas pris fin lorsque le vendeur a présenté sa contre‑offre. Le juge du procès a donc conclu que M. Korkontzilas était, pendant toute la période pertinente, le mandataire de M. Soulos.

7. Le juge du procès a ajouté que les rapports entre le mandant et le mandataire étaient de nature fiduciaire. Il a conclu qu’en qualité de mandataire de M. Soulos, M. Korkontzilas avait un «devoir de loyauté» envers celui‑ci. Il a estimé que M. Korkontzilas avait manqué à ce devoir de loyauté en n’informant pas M. Soulos de la contre‑offre du vendeur.

8. La Cour d’appel n’a pas remis en question ces conclusions. Les juges majoritaires n’étaient toutefois pas du même avis que le juge du procès quant aux conséquences du manquement par M. Korkontzilas à son devoir de loyauté.

IV

9. Cela nous amène à la principale question en litige dans le présent pourvoi: quelle réparation, s’il en est, le droit offre‑t‑il à M. Soulos par suite du manquement au devoir de loyauté commis par M. Korkontzilas lorsqu’il a acquis l’immeuble en question au lieu de faire part à son mandant, M. Soulos, du prix que le vendeur accepterait?

10. Au procès, M. Soulos a seulement demandé le transfert de l’immeuble sur paiement de la somme versée par M. Korkontzilas, sous réserve des ajustements nécessaires par suite des changements de valeur intervenus et des pertes subies depuis l’achat de l’immeuble. Il s’est désisté de sa demande de dommages‑intérêts au début de la poursuite, ce qui n’est pas étonnant vu que M. Korkontzilas avait acquis l’immeuble pour sa valeur marchande et qu’il avait en fait perdu de l’argent au cours de la période pendant laquelle il en avait été propriétaire. Quoiqu’il en soit, M. Soulos voulait toujours devenir propriétaire de l’immeuble.

11. Monsieur Soulos a soutenu que l’immeuble devait lui être remis en vertu de la doctrine de la fiducie par interprétation reconnue en equity. Le juge du procès a rejeté cette prétention pour le motif qu’il ne pouvait y avoir fiducie par interprétation que si le défendeur s’était enrichi sans cause par suite de sa conduite fautive. L’impossibilité d’indemniser M. Soulos au moyen de dommages-intérêts n’avait aucune importance: [traduction] «Il serait anormal de reconnaître l’existence d’une fiducie par interprétation parce que le recours aux dommages‑intérêts n’est pas satisfaisant, le demandeur n’ayant subi aucun préjudice» (à la p. 69). De plus, [traduction] «il semble tout simplement exagéré et inapproprié d’accorder la réparation draconienne que constitue la fiducie par interprétation lorsque le demandeur n’a subi aucun préjudice» (à la p. 69). Le juge du procès a ajouté qu’il n’y avait pas lieu d’accorder des dommages‑intérêts symboliques étant donné qu’il y avait eu renonciation aux dommages‑intérêts et que M. Soulos avait atténué sa perte en achetant d’autres immeubles.

12. Les juges majoritaires de la Cour d’appel étaient d’un avis différent. Le juge Carthy a statué que la décision d’accorder une réparation en equity était discrétionnaire et dépendait de l’ensemble des faits invoqués devant le tribunal. Selon lui, le juge du procès avait toutefois exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un principe erroné. Le juge Carthy a affirmé que la valeur morale de la conduite du défendeur pouvait dicter l’intervention du tribunal. Dans la plupart des opérations immobilières, une personne agit gracieusement pour l’acheteur tout en demandant une commission au vendeur. Les obligations fiduciaires de l’agent seraient dénuées de sens si celui‑ci pouvait tout simplement acquérir l’immeuble à sa valeur marchande et nier ensuite qu’il est fiduciaire par interprétation parce qu’aucun préjudice n’a été subi. Dans de telles circonstances, les tribunaux d’equity [traduction] «accordent une réparation fondée sur la propriété pour préserver l’intégrité des règles de droit dont ils surveillent l’application» (à la p. 261). Le juge Carthy a admis que le motif pour lequel M. Soulos désirait l’immeuble pouvait sembler [traduction] «fantaisiste». Il a toutefois conclu que, si on l’examine dans le contexte général des opérations immobilières, le recours à la fiducie par interprétation dans ces circonstances vise un [traduction] «objectif salutaire». Elle permet au tribunal de veiller à ce que ne se reproduise pas un comportement immoral qui risque d’ébranler la relation de confiance sur laquelle repose la profession. Les juges majoritaires ont donc ordonné le transfert de la propriété de l’immeuble sous réserve des ajustements nécessaires.

13. La divergence entre le juge du procès et les juges majoritaires de la Cour d’appel peut se résumer de la manière suivante. Le juge du procès était d’avis qu’en l’absence d’une perte établie, M. Soulos n’avait aucun droit d’action. Selon lui, il serait «tout simplement exagéré et inapproprié» d’accorder, en l’absence d’une perte, la fiducie par interprétation. Par contre, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont adopté une conception plus large du champ d’application de la fiducie par interprétation. Ils ont statué qu’il pouvait y avoir une fiducie par interprétation exigeant la rétrocession du bien en l’absence d’une perte établie afin de sanctionner l’acte répréhensible de l’agent et de préserver le lien de confiance sur lequel repose la profession du courtage immobilier et, par conséquent, «l’intégrité des règles de droit» dont les tribunaux d’equity sont chargés de surveiller l’application.

14. Le pourvoi expose donc deux conceptions différentes du rôle et de la portée de la fiducie par interprétation. Les partisans de la première conception considèrent que la fiducie par interprétation ne peut être accordée que dans le cas d’une perte clairement établie. Selon eux, il ne peut y avoir de fiducie par interprétation que s’il y a «enrichissement» du défendeur et «appauvrissement» correspondant du demandeur. Même s’ils ne nient pas que la fiducie par interprétation peut s’appliquer pour empêcher l’enrichissement sans cause, les partisans de la seconde conception ne la confinent pas dans ce rôle. Selon eux, la fiducie par interprétation peut s’appliquer en l’absence d’une perte établie pour condamner une conduite fautive et préserver l’intégrité du lien de confiance qui est à la base même d’un bon nombre de nos professions et institutions.

15. Je suis d’avis que cette seconde conception plus large de la fiducie par interprétation devrait l’emporter. Elle concorde davantage avec l’évolution de la doctrine de la fiducie par interprétation, la théorie sur laquelle repose la fiducie par interprétation, et les objectifs que cette fiducie vise dans notre système juridique.

V

16. Les appelants soutiennent que le point de vue adopté par notre Cour relativement à la fiducie par interprétation dans des arrêts tels Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834, repose exclusivement sur l’enrichissement sans cause. Par conséquent, ils font valoir qu’une fiducie par interprétation ne peut pas être imposée dans les cas où, comme en l’espèce, le demandeur ne peut pas établir un appauvrissement ainsi qu’un enrichissement correspondant du défendeur.

17. L’évolution des règles de droit relatives à la fiducie par interprétation n’étaye pas un tel point de vue. Elle semble plutôt indiquer que la fiducie par interprétation est une institution ancienne et éclectique imposée par le droit non pas seulement pour remédier à l’enrichissement sans cause, mais aussi pour obliger des personnes se trouvant dans diverses situations à se conformer à des normes élevées en matière de confiance et de probité et les empêcher de conserver des biens qu’en toute «conscience» elles ne devraient pas être autorisées à garder. Cette doctrine avait pour but non seulement d’assurer que justice soit rendue dans l’affaire dont le tribunal était saisi, mais aussi de protéger les liens de confiance ainsi que les institutions qui en dépendent. Il a été possible d’atteindre ces objectifs en considérant que la personne détenait le bien à titre de fiduciaire pour le bénéfice de la personne lésée, même en l’absence d’une fiducie au sens strict créée par la volonté des parties. En Angleterre, la fiducie ainsi créée était appelée fiducie réelle ou «institutionnelle». Aux États‑Unis, et récemment au Canada, il est question dans la jurisprudence de la possibilité de demander la fiducie par interprétation à titre de réparation.

18. Même si elle reconnaît des cas précis où s’applique la fiducie par interprétation, la théorie générale du droit anglais ancien n’offre aucun concept limitatif ou unificateur satisfaisant pour la fiducie par interprétation. Comme l’indique D. W. M. Waters dans son ouvrage intitulé The Constructive Trust (1964), à la p. 39, la fiducie par interprétation [traduction] «n’a jamais été autre chose qu’une expression pratique et utile servant à décrire ou à exprimer les obligations des parties». La fiducie par interprétation était utilisée en droit anglais [traduction] «pour établir un lien entre des situations variées . . . du fait que les obligations imposées par le droit dans de tels cas pouvaient à certains égards être assimilées aux obligations qui étaient imposées à un fiduciaire exprès»: J. L. Dewar, «The Development of the Remedial Constructive Trust», (1982-84), 6 Est. & Tr. Q. 312, à la p. 317, citant Waters, précité.

19. Parmi les cas où la fiducie par interprétation a été reconnue en Angleterre, notons ceux où la fiducie découlait d’un manquement à une obligation fiduciaire ainsi que ceux où elle était imposée pour éviter que l’absence d’un écrit ne prive une personne de ses droits de propriété, pour empêcher un acheteur ayant une connaissance préalable de retenir frauduleusement des biens en fiducie ou pour assurer l’exécution des fiducies secrètes et des testaments mutuels. Voir Dewar, précité, à la p. 334. Les rapports fiduciaires sous‑tendent une bonne partie des règles de droit anglais applicables à la fiducie par interprétation. Comme l’écrit Waters, précité, à la p. 33: [traduction] «les rapports fiduciaires sont manifestement inhérents à la fiducie par interprétation pour tout ce qui touche ou presque son application». Par ailleurs, ce ne sont pas tous les manquements à des obligations fiduciaires qui donnent naissance à une fiducie par interprétation. Comme le dit L. S. Sealy dans «Fiduciary Relationships», [1962] Camb. L.J. 69, à la p. 73:

[traduction] Selon nous, le terme «fiduciaire» ne définit pas une seule catégorie de rapports auxquels s’applique un ensemble de règles et de principes déterminés. Chacun des recours prévus par l’equity ne peut être exercé que dans un nombre limité de situations fiduciaires; le simple fait de déclarer que Jean a des rapports fiduciaires avec moi signifie simplement que sa situation est à certains égards assimilable à celle d’un fiduciaire; cela ne permet pas de conclure qu’il est possible d’appliquer un principe ou un recours fiduciaire donné. [En italique dans l’original.]

L’absence de rapports fiduciaires traditionnels n’empêche pas nécessairement non plus de conclure à l’existence d’une fiducie par interprétation; le caractère fautif de la conduite peut suffire pour constituer un manquement à une obligation assimilable à une obligation fiduciaire: voir Dewar, précité, aux pp. 322 et 323.

20. Les tribunaux canadiens n’ont jamais abandonné les principes de la fiducie par interprétation qui ont été élaborés en Angleterre. Ils les ont toutefois modifiés. Plus particulièrement, au cours des dernières décennies, les tribunaux canadiens ont utilisé la fiducie par interprétation pour remédier à l’enrichissement sans cause. Il est désormais établi qu’une fiducie par interprétation peut être imposée en l’absence d’un comportement fautif, tel le manquement à une obligation fiduciaire, lorsque trois éléments sont réunis: (1) l’enrichissement du défendeur, (2) l’appauvrissement correspondant du demandeur et (3) l’absence de tout motif juridique à l’enrichissement: Pettkus c. Becker, précité.

21. L’affirmation par notre Cour, dans des arrêts comme Pettkus c. Becker, que la fiducie par interprétation peut être accordée pour prévenir l’enrichissement sans cause, ne devrait pas être interprétée comme ayant fait disparaître du droit canadien la fiducie par interprétation dans les autres cas où l’on reconnaît depuis longtemps la possibilité d’y avoir recours. Les termes utilisés ne permettent pas de faire une telle affirmation. Pour A. J. McClean, «Constructive and Resulting Trusts -- Unjust Enrichment in a Common Law Relationship -- Pettkus v. Becker» (1982), 16 U.B.C. L. Rev. 155, le ratio de l’arrêt Pettkus c. Becker est [traduction] «un énoncé assez modéré» (à la p. 170). Il ajoute: [traduction] «Il serait erroné . . . de l’interpréter comme on interpréterait le texte d’une loi et de limiter l’évolution du droit».

22. D’autres auteurs reconnaissent que l’imposition de la fiducie par interprétation pour remédier à l’enrichissement sans cause n’empêche pas de conclure à l’existence d’une telle fiducie dans d’autres situations. Dans son article intitulé «The Remedial Constructive Trust: A Principled Basis for Priorities over Creditors» (1989), 68 R. du B. can. 315, à la p. 318, D. M. Paciocco dit qu’ [traduction] «il faut établir une distinction entre la fiducie par interprétation qui est utilisée pour remédier à l’enrichissement sans cause et les autres types de fiducies par interprétation qui existaient en droit canadien avant 1980». Paciocco affirme que l’enrichissement sans cause n’est pas une condition essentielle à l’existence d’une fiducie par interprétation (à la p. 320):

[traduction] . . . dans la catégorie traditionnelle la plus large, soit la fiducie par interprétation, il n’est pas nécessaire qu’il y ait appauvrissement du demandeur. La fiducie par interprétation est imposée pour relever le degré de moralité sur le marché en général, les bénéficiaires de certaines de ces fiducies recevant ce que l’on ne peut décrire que comme un profit fortuit.

23. Dewar, précité, a un point de vue analogue (à la p. 332):

[traduction] Même s’il est peu probable que les tribunaux canadiens abandonnent les notions et les classifications relatives à la fiducie par interprétation appliquée en Angleterre, nous croyons que l’adoption par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Pettkus c. Becker d’une fiducie par interprétation de style américain influencera profondément l’évolution du droit des fiducies canadien.

Dewar, précité, ajoute aux pp. 332 et 333: [traduction] «En droit anglais et en droit canadien, il n’y a aucune unanimité sur les cas précis dans lesquels s’applique la fiducie par interprétation même s’il est admis qu’il existe certaines catégories générales de situations qui donnent lieu à une telle fiducie». L’une de ces situations est celle où l’on tente de remédier à un comportement frauduleux ou déloyal.

24. Dans «The Emergence of Unjust Enrichment as a Cause of Action and the Remedy of Constructive Trust» (1988), 26 Alta. L. Rev. 407, à la p. 414, M. M. Litman considère que l’enrichissement sans cause constitue un outil utile pour rationaliser les catégories traditionnelles de fiducies par interprétation. Il est néanmoins d’avis qu’on commettrait une [traduction] «erreur importante» en écartant tout simplement les principes traditionnels de la fiducie par interprétation. Il cite diverses décisions canadiennes, postérieures à l’arrêt Pettkus c. Becker, précité, qui imposent des fiducies par interprétation pour remédier à l’acquisition irrégulière de biens, même en l’absence d’un enrichissement sans cause et d’un appauvrissement correspondant, et il conclut que la fiducie par interprétation [traduction] «ne peut pas toujours s’expliquer par le modèle de la fiducie par interprétation fondée sur l’enrichissement sans cause» (p. 416). En résumé, le droit anglais ancien fait encore partie du droit canadien contemporain et oriente son évolution. Comme le dit le juge La Forest (maintenant juge de notre Cour) dans l’arrêt White c. Central Trust Co. (1984), 17 E.T.R. 78 (C.A.N.‑B.), à la p. 90, cité par Litman, précité, les tribunaux [traduction] «ne s’aventureront pas dans des domaines inconnus lorsqu’ils peuvent administrer la justice en s’en tenant à des principes sûrs».

25. Je conclus que les règles de droit relatives à la fiducie par interprétation dans les provinces de common law du Canada visent les cas où les tribunaux d’equity anglais ont traditionnellement conclu à l’existence d’une fiducie par interprétation de même que les cas d’enrichissement sans cause reconnus dans la jurisprudence canadienne récente.

VI

26. Divers principes ont été proposés pour donner cohésion aux cas où le droit anglais permettait de conclure à l’existence d’une fiducie par interprétation. Dans l’ouvrage intitulé The Law of Restitution (3e éd. 1986), à la p. 61, R. Goff et G. Jones sont d’avis que l’enrichissement sans cause est l’un de ces principes. Toutefois, à moins que le terme «enrichissement» ne soit interprété de façon très large de manière à n’être pas limité aux réclamations pécuniaires, il n’explique pas tous les cas où la fiducie par interprétation a été appliquée. Comme le dit McClean, précité, à la p. 168: [traduction] «aussi satisfaisante que soit [la théorie de l’enrichissement sans cause] pour les autres aspects du droit applicable en matière de restitution, sa portée n’est peut‑être pas assez large pour englober tous les types de fiducies par interprétation». McClean aborde ensuite la situation soulevée par le présent pourvoi: [traduction] «Dans certains cas, lorsqu’une telle fiducie est imposée, il se peut que le fiduciaire n’ait obtenu aucun avantage; ce pourrait être le cas, par exemple, lorsque la personne est déclarée fiduciaire de son tort. Le demandeur n’a peut‑être pas toujours subi une perte. McClean conclut (aux pp. 168 et 169): [traduction] «Par conséquent, l’enrichissement sans cause ne peut pas expliquer de façon satisfaisante toutes les catégories de demandes de restitution».

27. McClean, comme d’autres, considère que le principe le plus satisfaisant pour fonder la théorie de l’enrichissement sans cause est le concept de la «conscience» qui est à la [traduction] «base même de la compétence en equity» (à la p. 169):

[traduction] La «conscience tranquille» ainsi que «la justice naturelle et l’equity» étaient deux des critères mentionnés par lord Mansfield dans l’arrêt Moses c. MacFerlan (1760), 2 Burr. 1005, 97 E.R. 676 (K.B.), dans une action en recouvrement des sommes reçues, le prototype des demandes de restitution en common law. Le concept de la «conscience» a des assises solides en equity et un certain fondement en common law; il est suffisamment large pour s’appliquer aux fiducies par interprétation lorsque le défendeur n’a obtenu aucun avantage ou lorsque le demandeur n’a pas subi de perte. Par conséquent, on peut dire qu’il s’agit dans le cas du droit de la restitution d’un fondement aussi solide sinon meilleur que l’enrichissement sans cause.

28. D’autres experts reconnaissent comme McClean que le concept de la conscience peut s’avérer utile pour assurer la cohésion des différentes formes de fiducie par interprétation. Litman, précité, signale la fiducie fondée sur [traduction] «la justice naturelle et l’equity» ou la «conscience» [traduction] «qui constitue un recours pour les préjudices débordant le cadre de l’enrichissement sans cause», et il ajoute que l’on peut considérer qu’il s’agit du fondement des diverses fiducies institutionnelles ainsi que de la fiducie par interprétation en matière de restitution pour enrichissement sans cause (aux pp. 415 et 416).

29. De nombreux juristes sont d’accord pour considérer la conscience comme le concept unificateur à la base même de la fiducie par interprétation. Selon lord juge Edmund Davies, l’idée d’un «manque de probité» chez la personne à laquelle la fiducie par interprétation est imposée constitue [traduction] «une pierre de touche utile pour déterminer les circonstances dans lesquelles il y aurait fiducie par interprétation»: Carl Zeiss Stiftung c. Herbert Smith & Co. (No. 2), [1969] 2 Ch. 276 (C.A.), à la p. 301. Le juge Cardozo a approuvé en termes similaires le thème unificateur de la conscience dans la décision Beatty c. Guggenheim Exploration Co., 122 N.E. 378 (1919), à la p. 380:

[traduction] La fiducie par interprétation est la formule utilisée pour exprimer la conscience de l’equity. Lorsque des biens ont été acquis dans des circonstances telles que le titulaire du titre en common law ne peut pas, en toute conscience, en retenir l’intérêt bénéficiaire, l’equity fait de cette personne un fiduciaire. [Je souligne.]

30. Lord Denning, maître des rôles, a exprimé un point de vue analogue dans une série de décisions où la fiducie par interprétation a été imposée pour remédier à un acte fautif: voir Neale c. Willis (1968), 19 P. & C.R. 836; Binions c. Evans, [1972] Ch. 359; Hussey c. Palmer, [1972] 1 W.L.R. 1286. Dans Binions, faisant référence au juge Cardozo, précité, lord Denning a dit que le tribunal imposerait une fiducie par interprétation [traduction] «pour la simple raison qu’il serait tout à fait injuste que les demandeurs expulsent le défendeur en violation de la clause aux termes de laquelle ils ont occupé les locaux» (p. 368). Dans Hussey, il a dit ce qui suit au sujet de la fiducie par interprétation (aux pp. 1289 et 1290): [traduction] «Quel que soit le terme employé pour la décrire, il s’agit d’une fiducie imposée en vertu du droit lorsque la justice et la conscience l’exigent».

31. De nombreux auteurs anglais ont remis en question les déclarations extensives de lord Denning au sujet de la fiducie par interprétation. Néanmoins, il n’est pas seul dans son camp: le juge Bingham a également indiqué dans la décision Neste Oy c. Lloyd’s Bank Plc, [1983] 2 Lloyd’s Rep. 658, que le concept de la conscience était le fondement d’une intervention en equity.

32. Dans l’arrêt Elders Pastoral Ltd. c. Bank of New Zealand, [1989] 2 N.Z.L.R. 180, la Cour d’appel de la Nouvelle‑Zélande semble aussi avoir accepté que la conscience pouvait justifier l’imposition d’une fiducie par interprétation. Le président Cooke, aux pp. 185 et 186, a cité le passage suivant des motifs du juge Bingham dans le jugement Neste Oy, précité, à la p. 666:

[traduction] Compte tenu de la situation [des défendeurs] lorsque le dernier paiement a été reçu, tout administrateur raisonnable et honnête de cette compagnie (ou les administrateurs actuels s’ils l’avaient su) aurait, j’en suis certain, pris des dispositions, sans hésitation ni retard, pour que cette somme soit remboursée aux demandeurs. Il aurait été quasiment déloyal de la part [des défendeurs] de tirer avantage du paiement, et il aurait semblé contraire à toute notion ordinaire d’équité que l’ensemble des créanciers puisse profiter du fait qu’un paiement a été fait à un moment où il n’y avait plus aucune contrepartie. Certes, l’insolvabilité entraîne toujours des pertes et il est impossible d’atteindre la perfection en matière d’équité. La banque et d’autres créanciers ont des réclamations légitimes. Il me semble néanmoins qu’au moment de la réception du paiement, [les défendeurs] ne pouvaient en toute conscience retenir cet argent et que, par conséquent, il faut conclure à l’existence d’une fiducie par interprétation. [Je souligne.]

Le président Cooke a tout simplement conclu (à la p. 186): [traduction] «Je ne pense pas qu’en toute conscience, les courtiers puissent conserver cet argent.» On a considéré que la décision Elders appuyait la thèse voulant que, même en l’absence de rapports fiduciaires ou d’enrichissement sans cause, le comportement contraire à la conscience pouvait entraîner l’imposition d’une fiducie par interprétation à titre de réparation: voir Mogal Corp. c. Australasia Investment Co. (In Liquidation) (1990), 3 N.Z.B.L.C. 101, 783; J. Dixon, «The Remedial Constructive Trust Based on Unconscionability in the New Zealand Commercial Environment», (1992-95), 7 Auck. U. L. Rev. 147, aux pp. 157 et 158. Même si dans Re Goldcorp Exchange Ltd. (In Receivership), [1994] 2 All E.R. 806, le Comité judiciaire du Conseil privé a rejeté la création d’une fiducie par interprétation pour satisfaire aux exigences de la conscience, il n’en demeure pas moins que la conscience est depuis le début un thème sous‑jacent à la fiducie par interprétation.

33. La conscience concerne non seulement l’équité entre les parties devant le tribunal, mais aussi le souci plus général des tribunaux de maintenir l’intégrité d’institutions tels les rapports fiduciaires que les tribunaux d’equity étaient chargés de surveiller. Comme le dit le juge La Forest dans l’arrêt Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377, à la p. 453:

Le droit des obligations fiduciaires a toujours comporté un élément de dissuasion. On peut déjà le constater dans le passage susmentionné de l’arrêt Keech, précité; voir aussi Canadian Aero, précité, aux pp. 607 et 610; Canson, précité, à la p. 547, le juge McLachlin. Le droit est ainsi en mesure de surveiller une relation que la société considère comme utile, tout en écartant la nécessité d’une réglementation officielle qui risquerait d’en réduire l’utilité sociale.

La fiducie par interprétation imposée pour manquement à une obligation fiduciaire permet non seulement de rendre justice aux parties comme l’exige la conscience, mais aussi d’obliger les fiduciaires et autres personnes occupant des postes de confiance à se conformer aux normes élevées en matière de confiance et de probité nécessaires pour assurer l’efficacité des institutions commerciales et autres institutions sociales.

34. Il ressort qu’une fiducie par interprétation peut être imposée lorsque la conscience l’exige. L’examen portant sur les exigences de la conscience doit tenir compte des situations où des fiducies par interprétation ont été reconnues dans le passé. Il est guidé aussi par les deux raisons pour lesquelles les fiducies par interprétation ont été traditionnellement imposées: rendre justice aux parties et préserver l’intégrité d’institutions fondées sur des rapports assimilables à ceux qui existent dans le cadre des fiducies. Enfin, l’examen se fait en fonction de l’absence d’indication qu’une fiducie par interprétation aurait un effet inéquitable ou injuste sur le défendeur ou sur des tiers, ce dont l’equity a toujours tenu compte. Les réparations reconnues en equity sont souples; elles sont accordées en fonction de ce qui est juste compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce.

35. La conscience comme élément unificateur dans les différents cas où il est possible de conclure à une fiducie par interprétation a l’inconvénient d’être très générale. Mais tout concept capable d’englober les diverses circonstances dans lesquelles une fiducie par interprétation peut être imposée doit obligatoirement l’être. Ce sont les circonstances particulières des cas où les juges ont conclu dans le passé à l’existence d’une fiducie par interprétation qui viennent préciser le concept général. Le juge à qui l’on demande d’imposer une fiducie par interprétation tiendra compte non seulement de ce qui pourrait sembler «équitable» dans un sens général, mais aussi des autres cas où les tribunaux ont conclu à l’existence d’une fiducie par interprétation. L’objectif consiste simplement à assurer l’évolution logique et progressive du droit, cas par cas.

36. On peut considérer que les cas dont le juge doit tenir compte pour déterminer si la conscience exige l’imposition d’une fiducie par interprétation entrent dans deux catégories générales. La première catégorie concerne les biens obtenus par suite de la conduite fautive du défendeur, notamment le manquement à une obligation fiduciaire ou le manquement à un devoir de loyauté. Les fiducies institutionnelles anglaises traditionnelles entrent généralement dans cette catégorie sans toutefois être les seules à en faire partie (du moins au Canada). La seconde catégorie concerne les cas où le défendeur n’a pas obtenu les biens de manière irrégulière, mais où il s’enrichirait sans cause au détriment du demandeur si on lui permettait de les conserver. Les deux catégories ne sont pas mutuellement exclusives. L’acquisition de biens d’une manière irrégulière sera souvent associée à l’enrichissement sans cause, et vice versa. Toutefois, l’un ou l’autre de ces éléments peut suffire à justifier l’imposition d’une fiducie par interprétation.

37. En Angleterre, le droit ne reconnaît pas encore formellement la fiducie par interprétation accordée à titre de réparation dans les cas d’enrichissement sans cause, même si de nombreuses déclarations de lord Denning vont dans ce sens. Toutefois, les tribunaux concluent bel et bien à l’existence de la fiducie par interprétation dans des circonstances analogues à celles dont il est question en l’espèce. L’equity reconnaît traditionnellement qu’il est juste d’imposer une fiducie par interprétation pour un simple manquement à un devoir de loyauté. Le droit anglais est résumé par Goff et Jones dans The Law of Restitution, précité, à la p. 643:

[traduction] Il se peut que le fiduciaire abuse de sa position de confiance en utilisant à son profit un contrat, une acquisition de biens ou une autre occasion d’affaires au détriment de son bénéficiaire. S’il le fait, il est réputé détenir en fiducie pour le bénéficiaire les avantages ainsi détournés.

P. Birks est d’accord avec ce principe dans l’ouvrage intitulé An Introduction to the Law of Restitution (1985) (à la p. 330 et aux pp. 338 à 343). Il indique que les conflits d’intérêts sont souvent à l’origine de la fiducie par interprétation accordée en l’absence d’enrichissement sans cause. Birks fait une distinction entre les actes fautifs réprimés en vue de prévenir l’enrichissement et ceux qui sont condamnés afin de faire obstacle à un préjudice (p. 340). Un fiduciaire en conflit d’intérêts représente un risque de préjudice réel ou potentiel, même si son inconduite ne l’enrichit pas toujours. Une fiducie par interprétation peut en conséquence être ordonnée.

38. Les deux catégories de fiducie par interprétation sont reconnues aux États‑Unis; même si l’enrichissement sans cause est parfois invoqué aux États‑Unis pour justifier la fiducie par interprétation, en fait, les tribunaux y reconnaissent qu’il est possible d’avoir recours à la fiducie par interprétation pour obtenir la remise du bien acquis par suite d’une conduite fautive en l’absence d’un enrichissement sans cause du défendeur et d’un appauvrissement correspondant du demandeur. Ainsi, les auteurs de Scott on Trusts (3e éd. 1967), vol. V, à la p. 3410, affirment que la fiducie par interprétation [traduction] «peut être invoquée lorsque le bien est obtenu par erreur ou par fraude, ou à la suite d’une autre conduite fautive». Ou comme l’a dit le juge Cardozo, [traduction] «[u]ne fiducie par interprétation est donc le mécanisme de réparation en vertu duquel l’intérêt personnel s’efface devant la loyauté envers autrui»: Meinhard c. Salmon, 164 N.E. 545 (1928), à la p. 548, cité dans Scott on Trusts, précité, à la p. 3412. Scott on Trusts, précité, indique, à la p. 3418, qu’il y a des cas [traduction] «où une fiducie par interprétation est imposée au défendeur même si la perte du demandeur est inférieure au gain réalisé par le défendeur ou, en fait, lorsque le demandeur n’a subi aucune perte».

39. Les tribunaux canadiens reconnaissent aussi la possibilité de recourir à la fiducie par interprétation tant dans les cas où des biens sont acquis d’une manière irrégulière que dans les cas d’enrichissement sans cause. Appliquant le droit anglais, ils concluent depuis longtemps à l’existence d’une fiducie par interprétation à la suite d’une acquisition irrégulière de biens, par exemple en raison d’une fraude ou d’un manquement à une obligation fiduciaire. Plus récemment, les tribunaux canadiens ont reconnu qu’il était possible d’imposer une fiducie par interprétation analogue à celle qui existe aux États‑Unis dans les cas d’enrichissement sans cause: Pettkus c. Becker, précité. Toutefois, depuis cet arrêt, les tribunaux canadiens ont continué de conclure à l’existence d’une fiducie par interprétation lorsque des biens ont été acquis de manière irrégulière, même en l’absence d’enrichissement sans cause. Bien que de tels cas ne soient pas fréquents car peu de justiciables choisissent d’intenter des poursuites en l’absence d’une perte pécuniaire, ils ne sont pas rares.

40. Litman, précité, à la p. 416, fait remarquer que [traduction] «depuis l’arrêt Pettkus c. Becker, il y a eu de nombreux cas où les tribunaux ont eu recours à la fiducie par interprétation institutionnelle sans qu’il soit question d’enrichissement sans cause». L’imposition d’une fiducie par interprétation dans de tels cas se justifie non pas par l’enrichissement sans cause, mais par le fait que la conduite fautive du défendeur l’oblige à remettre le bien ainsi obtenu au demandeur.

41. Ainsi, dans l’arrêt Ontario Wheat Producers’ Marketing Board c. Royal Bank of Canada (1984), 9 D.L.R. (4th) 729 (C.A. Ont.), une fiducie par interprétation a été imposée à une banque qui avait reçu de l’argent tout en sachant qu’il n’appartenait pas au déposant mais à un tiers.

42. De même, dans l’arrêt MacMillan Bloedel Ltd. c. Binstead (1983), 14 E.T.R. 269 (C.S.C.‑B.), une fiducie par interprétation a été imposée à des personnes qui avaient participé sciemment à un manquement à une obligation fiduciaire, même si on avait conclu que l’enrichissement sans cause ne justifierait pas l’imposition d’une fiducie parce qu’il était impossible de dire que la compagnie demanderesse avait subi une perte ou un appauvrissement car sa propre politique l’empêchait de toucher les profits. Le juge Dohm (maintenant juge en chef adjoint) a dit que la fiducie par interprétation devait être accordée [traduction] «non pas en raison de ce qu’exige l’équité entre les parties, mais pour veiller à ce que les fiduciaires demeurent fidèles à la parole donnée et à ce que les personnes qui les aident à manquer à leurs obligations soient appelées à rendre des comptes» (p. 302).

43. Je conclus qu’au nom de la conscience, l’application de la fiducie par interprétation est reconnue au Canada tant pour sanctionner des conduites fautives tels la fraude et le manquement à un devoir de loyauté que pour remédier à l’enrichissement sans cause et à un appauvrissement correspondant. Bien qu’elle soit souvent imposée parce qu’il y a à la fois conduite fautive et enrichissement sans cause, la fiducie par interprétation peut aussi être accordée pour l’un ou l’autre motif: lorsqu’il y a conduite fautive mais aucun enrichissement sans cause ni appauvrissement correspondant ou lorsqu’il y a enrichissement sans cause moralement inadmissible, en l’absence de conduite fautive, comme dans l’arrêt Pettkus c. Becker, précité. Dans le cadre de ces deux grandes catégories les règles de droit relatives à la fiducie par interprétation pourront évoluer et se préciser au fil des ans et selon les cas qui pourront se présenter.

44. McClean, précité, a résumé avec habilité le processus évoqué (aux pp. 169 et 170):

[traduction] Le droit [en matière de fiducie par interprétation] en est peut‑être arrivé à une étape où il est possible de dégager certains principes généraux à partir d’exemples précis et de créer, par analogie et dans le respect de ces principes généraux, de nouveaux chefs de responsabilité. À notre avis, il ne s’agit pas de demander aux tribunaux de se lancer dans une entreprise trop risquée ni même nouvelle, en fait, puisque dans une large mesure, c’est de cette manière que la common law a toujours évolué.

VII

45. Dans l’arrêt Pettkus c. Becker, précité, notre Cour a examiné sous tous leurs angles les conditions préalables à la fiducie par interprétation fondée sur l’enrichissement sans cause. La présente espèce nous oblige à étudier minutieusement les conditions essentielles à l’existence de la fiducie par interprétation fondée sur un comportement fautif. À la lumière des décisions des tribunaux d’equity imposant la fiducie par interprétation par suite de comportements fautifs et des critères examinés dans un article de Roy Goode intitulé «Property and Unjust Enrichment», publié dans Essays on the Law of Restitution (1991), sous la direction d’Andrew Burrows, je conclus que quatre conditions doivent généralement être réunies:

(1) le défendeur doit avoir été assujetti à une obligation en equity, c’est‑à‑dire une obligation du type de celles dont les tribunaux d’equity ont assuré le respect, relativement aux actes qui ont conduit à la possession des biens;

(2) il faut démontrer que la possession des biens par le défendeur résulte des actes qu’il a ou est réputé avoir accomplis à titre de mandataire, en violation de l’obligation que l’equity lui imposait à l’égard du demandeur;

(3) le demandeur doit établir qu’il a un motif légitime de solliciter une réparation fondée sur la propriété, soit personnel soit lié à la nécessité de veiller à ce que d’autres personnes comme le défendeur s’acquittent de leurs obligations;

(4) il ne doit pas exister de facteurs qui rendraient injuste l’imposition d’une fiducie par interprétation eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire; par exemple, les intérêts des créanciers intervenants doivent être protégés.

VIII

46. Appliquant ce critère à l’espèce, je conclus que le manquement par M. Korkontzilas à son devoir de loyauté a suffi pour engager la conscience du tribunal et lui permettre de conclure à l’existence d’une fiducie par interprétation pour les motifs suivants.

47. Premièrement, M. Korkontzilas était assujetti à une obligation en equity relativement à l’immeuble en cause. L’omission de faire part à son client de l’information qu’il avait obtenue au nom de ce dernier quant au prix que le vendeur accepterait pour l’immeuble et l’utilisation de cette information pour acheter lui‑même l’immeuble constituent un manquement au devoir de loyauté imposé par l’equity. Il a permis que ses propres intérêts entrent en conflit avec ceux de son client. Il a acheté l’immeuble de manière irrégulière, après avoir manqué de façon flagrante et inexcusable à son devoir de loyauté envers M. Soulos. Voilà le genre de situation où les tribunaux d’equity, au Canada et ailleurs, ont traditionnellement conclu à l’existence d’une obligation en equity dont la violation peut donner naissance à une fiducie par interprétation, même en l’absence d’enrichissement sans cause.

48. Deuxièmement, M. Korkontzilas a obtenu la possession de cet immeuble par suite des actes accomplis à titre de mandataire et du manquement à l’obligation que lui imposait l’equity envers le demandeur. L’acquisition de l’immeuble était la conséquence directe du manquement à son devoir de loyauté envers son client, M. Soulos.

49. Troisièmement, même si M. Korkontzilas ne s’est pas enrichi pécuniairement par suite de l’acquisition irrégulière de l’immeuble, il existe de bonnes raisons pour que l’equity impose une fiducie par interprétation. Monsieur Soulos soutient qu’une fiducie par interprétation est nécessaire pour remédier à l’appauvrissement qu’il a subi en raison de son désir persistant de devenir propriétaire de l’immeuble en question, bien que pour des raisons non pécuniaires. Selon lui, cette mesure, et rien de moins, permettra de replacer les parties dans la situation où elles se seraient trouvées s’il n’y avait pas eu manquement. À mon avis, cet argument à lui seul suffirait à convaincre un tribunal d’equity que la réparation appropriée pour l’acquisition irrégulière de l’immeuble par M. Korkontzilas est une ordonnance portant qu’il doit, à titre de fiduciaire par interprétation, transférer l’immeuble à M. Soulos.

50. Mais il y a plus. Comme la Cour d’appel, j’estime qu’une fiducie par interprétation est requise dans des cas comme celui‑ci pour assurer le respect du devoir de loyauté auquel sont tenus les mandataires et autres personnes occupant des postes de confiance: voir Hodgkinson c. Simms, précité, le juge La Forest. Si les agents immobiliers sont autorisés à garder les immeubles qu’ils ont acquis pour eux‑mêmes en violation de leur devoir de loyauté envers leurs clients à condition qu’ils paient la valeur marchande de l’immeuble, la confiance sur laquelle repose l’institution qu’est le courtage immobilier sera ébranlée. Le message sera clair: les agents immobiliers peuvent manquer à leurs obligations envers leurs clients et les tribunaux n’interviendront pas à moins que le client puisse prouver que l’agent immobilier a réalisé un profit. C’est inacceptable. Les tribunaux d’equity se sont toujours souciés d’obliger la personne qui agit pour une autre à respecter l’éthique; notre Cour doit aller dans le même sens.

51. J’en viens maintenant à la question de savoir s’il existe en l’espèce des facteurs qui rendraient inéquitable l’imposition d’une fiducie par interprétation. À mon avis, il n’y en a aucun. Nul ne subira un préjudice du fait d’une ordonnance enjoignant à M. Korkontzilas de transférer l’immeuble à M. Soulos. Monsieur Korkontzilas ne sera pas non plus traité inéquitablement. Monsieur Soulos ne demande pas mieux que de faire les ajustements financiers nécessaires, y compris d’indemniser M. Korkontzilas pour la perte qu’il a subie au cours des années pendant lesquelles il a été propriétaire de l’immeuble.

52. Je conclus qu’une fiducie par interprétation doit être imposée. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi et de confirmer l’ordonnance de la Cour d’appel portant que les appelants doivent transférer l’immeuble à l’intimé, sous réserve des ajustements appropriés. L’intimé a droit aux dépens dans toutes les cours.

Version française des motifs des juges Sopinka et Iacobucci rendus par

53. Le juge Sopinka (dissident) — J’ai lu les motifs de ma collègue, le juge McLachlin. Bien que j’adhère à sa conclusion selon laquelle le manquement à une obligation fiduciaire a été établi en l’espèce, je ne souscris pas à son analyse concernant la réparation appropriée. À mon avis, elle commet une erreur en confirmant le jugement par lequel les juges majoritaires de la Cour d’appel ont infirmé la décision du juge du procès pour imposer une fiducie par interprétation à l’égard de l’immeuble en question. Ma conclusion se fonde sur deux motifs principaux. Premièrement, la décision d’imposer une fiducie par interprétation relève du pouvoir discrétionnaire du juge et, à ce titre, elle appelle à la retenue. Comme le juge du procès n’a pas commis d’erreur de principe en refusant de rendre une ordonnance en ce sens, les tribunaux d’appel ne devraient pas s’immiscer dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Deuxièmement, même si l’examen en appel était justifié en l’espèce, il ne peut y avoir fiducie par interprétation en l’absence d’enrichissement sans cause. Quoique mon désaccord avec le juge McLachlin porte essentiellement sur ce dernier point, je traiterai tout de même de ces questions successivement, dans le cadre de mon analyse des motifs des juges majoritaires de la juridiction inférieure.

Norme de contrôle et exercice du pouvoir discrétionnaire

54. Il est bien établi en droit que, règle générale, les tribunaux d’appel ne devraient pas modifier les ordonnances rendues dans le cadre de l’exercice du pouvoir discrétionnaire des juges de première instance. En effet, de telles ordonnances ne peuvent être infirmées en appel que si l’exercice du pouvoir discrétionnaire a été fondé sur un principe erroné: voir Donkin c. Bugoy, [1985] 2 R.C.S. 85. Comme l’ont reconnu les juges majoritaires de la Cour d’appel ((1995), 25 O.R. (3d) 257, à la p. 259) la décision d’accorder la fiducie par interprétation est discrétionnaire. Dans l’arrêt Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574, la Cour a conclu à la majorité que la décision d’imposer une fiducie par interprétation à la suite d’un manquement à une obligation fiduciaire reposait sur l’examen de l’ensemble des circonstances. Le juge La Forest a dit, à la p. 674:

En l’espèce, on a démontré qu’il y avait lieu à restitution. La Cour peut accorder une réparation relative à la propriété, c’est‑à‑dire ordonner à Lac de rendre le bien‑fonds Williams, ou accorder une indemnité, c’est‑à‑dire une somme d’argent. [...] [La fiducie par interprétation n’est qu’une] réparation parmi d’autres, et il n’y sera recouru que dans les circonstances appropriées.

Cette conception de la fiducie par interprétation axée sur l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire est également conforme avec la manière d’aborder les réparations en equity de façon générale: voir Canson Enterprises Ltd. c. Boughton & Co., [1991] 3 R.C.S. 534, à la p. 585.

55. La décision d’imposer une fiducie par interprétation étant discrétionnaire, il faut d’abord établir que le juge de première instance a commis une erreur de principe avant d’annuler sa décision de ne pas accorder une telle réparation. Selon moi, le juge du procès n’a pas commis une telle erreur.

56. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont conclu, semble‑t‑il, que le juge du procès a commis une erreur en ne prenant pas en compte la nature moralement répréhensible du comportement des appelants. De la même façon, le juge McLachlin, invoquant de simples considérations de «conscience», est d’avis qu’il y avait lieu d’imposer une fiducie par interprétation en l’espèce. Selon moi, le juge du procès a effectivement tenu compte de la valeur morale du comportement des appelants et, par conséquent, un tribunal d’appel ne peut intervenir en se fondant sur ce motif. Le juge du procès a dit ((1991), 4 O.R. (3d) 51, à la p. 69) que même s’il [traduction] «[n]e fait aucun doute que le maintien de la moralité dans les affaires constitue un aspect de l’ordre public sur lequel un tribunal est fondé à se pencher», la morale ne devrait pas, de façon générale, inciter le tribunal à intervenir, sauf lorsque cela s’avère nécessaire pour faire respecter un droit quelconque en common law. Autrement dit, j’estime que le juge du procès était d’avis que lorsque rien ne justifie que le tribunal accorde une fiducie par interprétation ou une autre réparation, la seule valeur morale de l’acte ne suffira pas à fonder une telle décision. Selon moi, cet énoncé du droit est juste.

57. Selon les juges majoritaires de la Cour d’appel (aux pp. 259 et 260), les principes énoncés par le juge du procès pouvaient s’appliquer lorsque d’autres réparations s’offraient aux parties mais lorsqu’une seule réparation était possible, comme c’est le cas en l’espèce, leur application était contestable. Je ne souscris pas à ce raisonnement. Si la fiducie par interprétation est jugée inappropriée lorsque diverses réparations s’offrent aux parties, je ne vois pas en vertu de quel principe elle serait appropriée lorsqu’il s’agit de la seule réparation possible. Le juge du procès a le pouvoir discrétionnaire d’imposer ou non la fiducie par interprétation et l’exercice de ce pouvoir ne devrait pas dépendre du nombre des réparations possibles. En l’espèce, l’intimé a renoncé à réclamer des dommages‑intérêts. Même s’il ne pouvait réclamer de dommages‑intérêts compensatoires puisqu’il n’a subi aucune perte pécuniaire (j’examinerai cette question plus loin en déterminant si une fiducie par interprétation aurait pu être ordonnée), l’intimé aurait pu réclamer des dommages‑intérêts punitifs. Sa décision de ne pas le faire ne devrait pas jouer sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge du procès relativement à la fiducie par interprétation.

58. Le juge du procès a beaucoup insisté sur l’absence de profit en décidant de ne pas accorder la fiducie par interprétation. Pour les motifs que j’exposerai en détail plus loin, j’estime que la décision du juge du procès à cet égard était bien fondée. Par contre, les juges majoritaires de la Cour d’appel et le juge McLachlin considèrent que le juge du procès a commis une erreur en appréciant mal le rôle dissuasif de la fiducie par interprétation dans la présente affaire. À mon avis, la prise en considération du rôle dissuasif de la fiducie par interprétation ne révèle aucune erreur de principe de la part du juge du procès. Il se peut que l’élément de dissuasion, tout comme la valeur morale des actes visés, influent sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire de décider de la réparation à accorder en cas de manquement à une obligation fiduciaire (voir, par ex., Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377, aux pp. 421 et 453). Toutefois, en l’espèce, le juge du procès n’a pas omis de tenir compte de cet élément en déterminant s’il convenait d’ordonner la fiducie par interprétation. Comme je l’ai déjà mentionné, le juge a affirmé que même si [traduction] «le maintien de la moralité dans les affaires constitue [. . .] un aspect de l’ordre public sur lequel un tribunal est fondé à se pencher» (à la p. 69), cet objectif, en soi, ne justifie pas l’octroi d’une réparation en l’espèce. À mon avis, cette mention du «maintien de la moralité dans les affaires» montre qu’après avoir tenu compte de l’élément de dissuasion, le juge a néanmoins conclu que celui-ci ne pouvait, en soi, justifier l’octroi d’une réparation en l’espèce. Par conséquent, même s’il était possible de qualifier d’erreur de principe l’omission de tenir compte de l’élément de dissuasion, dans la présente affaire, le juge du procès n’a pas commis une telle erreur.

59. Selon moi, le juge du procès n’a pas commis d’erreur de principe susceptible de justifier l’annulation de son jugement et l’imposition d’une fiducie par interprétation. Même s’il avait commis une erreur de principe, je suis d’avis que, vu les faits de l’espèce, la fiducie par interprétation ne s’offrait pas aux parties. Autrement dit, même s’il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue à l’égard de la décision du juge du procès, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont commis une erreur en imposant la fiducie par interprétation et le pourvoi devrait être accueilli. Voici les motifs sur lesquels je fonde ma conclusion.

Enrichissement sans cause et possibilité de recourir à la fiducie par interprétation

60. Selon le juge McLachlin, les cas où la fiducie par interprétation peut être accordée entrent dans deux catégories générales: lorsqu’il y a enrichissement sans cause et lorsqu’il y a atteinte à la «conscience». Même s’il peut arriver que, dans un cas particulier, il y ait à la fois enrichissement sans cause et atteinte à la «conscience», le juge McLachlin est d’avis que la présence de l’un ou l’autre élément suffit pour imposer la fiducie par interprétation. Le juge McLachlin conclut qu’en ne tenant pas compte de ce que dicte la «conscience» indépendamment de toute autre considération, le juge du procès a commis une erreur. Avec égards, je ne souscris pas à cette conclusion. Selon moi, il ressort très clairement de la jurisprudence récente de notre Cour qu’une fiducie par interprétation ne peut être imposée que lorsqu’il y a enrichissement sans cause. Par exemple, des extraits de l’arrêt Lac Minerals, précité, exposent les circonstances dans lesquelles il conviendrait d’imposer une fiducie par interprétation. À mon avis, il ressort clairement de cet arrêt que l’imposition d’une fiducie par interprétation ne peut être accordée à titre de réparation que lorsqu’il y a enrichissement sans cause. Le juge La Forest a dit, aux pp. 673 et 674:

Cette Cour a été appelée récemment à examiner, dans l’arrêt Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltd., [1989] 1 R.C.S. 426, les circonstances motivant l’imposition d’une fiducie par interprétation. Le Juge en chef y a analysé l’évolution de la fiducie par interprétation au cours d’une période de 200 ans, depuis son emploi initial dans le cadre des rapports fiduciaires jusqu’à l’arrêt Pettkus c. Becker, [[1980] 2 R.C.S. 834], dans lequel la Cour a donné à la fiducie par interprétation son emploi contemporain de réparation en matière d’enrichissement sans cause. Le Juge en chef a souligné que l’arrêt Pettkus c. Becker, précité, établissait un processus en deux temps. En premier lieu, la Cour détermine si l’enrichissement sans cause est établi et ensuite elle se demande si, dans les circonstances, la fiducie par interprétation est la réparation appropriée à l’égard de cet enrichissement. Dans l’arrêt Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltd., on a refusé d’appliquer la fiducie par interprétation, non pas parce qu’elle ne s’offrait pas aux parties (bien qu’à mon avis elle aurait pu ne pas être appropriée), mais plutôt parce que l’enrichissement sans cause n’ayant pas été établi, la question de la réparation ne se posait pas.

En l’espèce, on a démontré qu’il y avait lieu à restitution. La Cour peut accorder une réparation relative à la propriété, c’est‑à‑dire ordonner à Lac de rendre le bien‑fonds Williams, ou accorder une indemnité, c’est‑à‑dire une somme d’argent. Même si, comme le Juge en chef le faisait observer à la p. 847 de l’arrêt Pettkus c. Becker, «Le principe de l’enrichissement sans cause est au coeur de la fiducie par interprétation», l’inverse n’est pas vrai. La fiducie par interprétation n’est pas au coeur du droit de la restitution. [Je souligne.]

Il a ajouté, à la p. 678:

Une grande partie de la difficulté disparaît si l’on reconnaît que, dans ce contexte, la question de la réparation appropriée se pose seulement une fois que l’on a démontré qu’il y avait lieu à restitution. La fiducie par interprétation confère un droit de propriété, mais ce droit ne peut exister que si un droit à une réparation a déjà été établi. [Je souligne.]

61. Dans Brissette, Succession c. Westbury Life Insurance Co., [1992] 3 R.C.S. 87, les juges majoritaires ont cité et approuvé certains des passages de l’arrêt Lac et ils ont conclu, à la p. 96, que «[l]’enrichissement sans cause est une condition fondamentale du recours à la fiducie par interprétation».

62. Se référant uniquement à l’arrêt Pettkus, précité, le juge McLachlin dit, au par. 21, que cet arrêt et d’autres décisions, ne devraient pas être interprétés comme faisant disparaître du droit canadien la fiducie par interprétation en cas d’absence d’enrichissement sans cause. Avec égards, je ne vois pas comment des déclarations telles «[l]’enrichissement sans cause est une condition fondamentale du recours à la fiducie par interprétation» pourraient ne pas faire disparaître du droit canadien le recours à la fiducie par interprétation en l’absence d’enrichissement. Il a été maintes fois répété que l’enrichissement sans cause constituait une condition préalable au recours à la fiducie par interprétation. Par conséquent, l’imposition d’une telle fiducie en l’absence d’enrichissement sans cause, irait manifestement à l’encontre d’un principe juridique établi.

63. Même en faisant abstraction de la jurisprudence, j’estime que l’impossibilité d’imposer une fiducie par interprétation en l’absence d’un enrichissement sans cause est compatible avec le rôle réparateur de cette fiducie. L’intimé a soutenu que si aucune réparation ne s’offrait à lui en l’espèce, il en résulterait une situation inacceptable, car il jouirait d’un droit tout en étant privé d’un recours pour le faire respecter. Je ne suis pas d’accord. De toute évidence, le bénéficiaire a le droit d’exiger du fiduciaire qu’il remplisse son obligation et, s’il subit un préjudice, il a droit à une réparation. À mon avis, cela est conforme aux autres principes de droit privé en matière de réparation. La violation d’une obligation, dans d’autres contextes juridiques, donne lieu à une réparation uniquement en cas de perte. Ainsi, il se peut que j’aie l’obligation, envers mon voisin, de déneiger mon allée, et il se peut que j’aie manqué à cette obligation. Cependant, si cette violation ne fait subir aucune perte à mon voisin, il n’y a pas de délit civil et aucune réparation ne s’offre à lui. De la même façon, il se peut que j’aie l’obligation contractuelle de fournir des marchandises à une certaine date, à un prix déterminé. Si, après que j’ai manqué à mon obligation, mon cocontractant parvient à se procurer les mêmes marchandises au prix, à la date et au lieu prévus au contrat, il ne subira aucun préjudice et aucune réparation ne s’offrira à lui. Le principe selon lequel il n’existe aucune réparation en cas de violation d’une obligation d’un fiduciaire si celui‑ci ne s’enrichit pas du fait de cette violation, est parfaitement compatible avec les règles que je viens de mentionner.

64. Les principes en matière de réparation étayent donc, de façon générale, la règle interdisant l’imposition d’une fiducie par interprétation en l’absence d’enrichissement sans cause. À mon avis, l’analyse des principes régissant la fiducie par interprétation, exposés dans l’arrêt Lac Minerals, appuie également cette règle. Dans cet arrêt, le juge La Forest a dit que, même en cas d’enrichissement sans cause, la fiducie par interprétation constituait une réparation extraordinaire, la solution normalement retenue étant les dommages‑intérêts. Il a affirmé, à la p. 678:

Dans la grande majorité des cas, la fiducie par interprétation ne sera pas la réparation appropriée. Ainsi, dans l’arrêt Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltd., précité, si l’on avait établi qu’il y avait lieu à restitution, il n’y aurait eu aucune raison d’imposer une fiducie par interprétation puisqu’il aurait pu être satisfait aux prétentions du demandeur par une simple indemnité; il n’y a lieu de conférer une fiducie par interprétation qu’en présence d’un motif pour accorder au demandeur les droits supplémentaires découlant de la reconnaissance d’un droit de propriété. [Je souligne.]

65. Le juge La Forest conclut donc que le bénéficiaire lésé ne peut généralement obtenir que des dommages‑intérêts, et non le bien lui‑même. C’est dire qu’en général, le bénéficiaire n’a pas droit au bien en question mais plutôt à la valeur des gains tirés de son acquisition. Il s’ensuit que si aucun gain n’a été réalisé, c’est‑à‑dire s’il n’y a eu aucun enrichissement sans cause, le bénéficiaire n’a pas le droit d’obtenir réparation. Par conséquent, en l’absence d’enrichissement sans cause, il n’existe aucun droit à une fiducie par interprétation ni à aucune autre réparation.

66. Bien que, selon moi, les arrêts récents de notre Cour et les principes qui les sous‑tendent règlent la question, le juge McLachlin, citant d’autres arrêts canadiens, conclut que la fiducie par interprétation peut s’appliquer même en l’absence d’enrichissement sans cause. Elle fait référence à trois décisions de juridictions inférieures qui, selon elle, ont imposé une fiducie par interprétation en l’absence d’un enrichissement sans cause. Avec égards, j’estime qu’aucune de ces décisions n’étaye son point de vue. L’enrichissement sans cause se déduit de la présence de trois éléments, soit un enrichissement du défendeur, un appauvrissement correspondant du demandeur, et l’absence de tout motif juridique à l’enrichissement: Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834, et Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltd., [1989] 1 R.C.S. 426. Or, le juge McLachlin n’a cité aucune décision dans laquelle une fiducie par interprétation a été accordée à titre de réparation en l’absence d’un tel enrichissement.

67. Dans Ontario Wheat Producers’ Marketing Board c. Royal Bank of Canada (1984), 9 D.L.R. (4th) 729 (C.A. Ont.), une fiducie par interprétation a été imposée à une banque qui a reçu, en toute connaissance de cause, des sommes d’argent qui appartenaient à une personne autre que le déposant. Dans cette affaire, la banque était créancière garantie du déposant qui éprouvait des difficultés financières au moment des dépôts. De toute évidence, il s’agissait d’un cas d’enrichissement sans cause: la banque tirait profit de la situation en obtenant des droits sur les sommes déposées tout en augmentant ses chances d’être remboursée du crédit fait au déposant; la demanderesse (une société dont le mandataire, le déposant, avait manqué à ses obligations fiduciaires) était privée du droit de recouvrer son argent; et il n’y avait aucun motif juridique justifiant l’enrichissement. L’imposition d’une fiducie par interprétation répondait donc à un enrichissement sans cause, que la cour ait fait allusion ou non à une telle doctrine.

68. MacMillan Bloedel Ltd. c. Binstead (1983), 14 E.T.R. 269 (C.S.C.‑B.) présente, selon moi, un autre cas d’enrichissement sans cause. Dans cette affaire, le fiduciaire d’une société a manqué à son obligation en effectuant une opération intéressée, sans révéler son conflit d’intérêts. Une fiducie par interprétation a été imposée relativement aux profits secrets réalisés, même si la société demanderesse n’aurait pas pu, à cause de sa politique interne, réaliser elle‑même les profits. Bien que le fiduciaire se soit manifestement enrichi, le juge du procès et le juge McLachlin ont conclu à l’absence d’un «appauvrissement correspondant» et donc d’un enrichissement sans cause, étant donné que la demanderesse n’aurait pas pu réaliser elle-même les profits.

69. Je n’adhère pas au point de vue du juge McLachlin selon lequel il n’y avait pas d’enrichissement sans cause dans l’arrêt Binstead. Tout d’abord, les tribunaux ont, de façon constante, explicitement qualifié d’enrichissement sans cause les profits réalisés par le fiduciaire, peu importe que le bénéficiaire ait pu ou non les réaliser lui‑même. Par exemple, dans Reading c. The King, [1948] 2 All E.R. 27 (K.B.D.), conf. par [1949] 2 All E.R. 68 (C.A.), conf. par [1951] 1 All E.R. 617 (H.L.), le juge Denning a dit (à la p. 28):

[traduction] Le fait que l’employeur n’a perdu aucun profit ni subi aucun préjudice est sans importance. Et le fait que l’employeur n’aurait pu accomplir l’acte lui-même n’a pas d’importance non plus. Si l’employé s’est enrichi de façon injuste du fait de l’exercice de ses fonctions et sans la permission de son employeur, la loi interdit qu’il soit autorisé à conserver l’argent... [Je souligne.]

Dans l’arrêt Canadian Aero Service Ltd. c. O’Malley, [1974] R.C.S. 592, aux pp. 621 et 622, le juge Laskin, plus tard Juge en chef, a dit:

Pour établir la responsabilité d’O’Malley et de Zarzycki pour violation d’obligation de fiduciaire, il n’est pas nécessaire que Canaero démontre qu’elle aurait obtenu le contrat de la Guyane, si ce n’avait été de l’intervention de ces derniers; ce n’est pas non plus une condition du recouvrement de dommages‑intérêts que Canaero établisse ce qu’auraient été ses profits éventuels ou ce qu’elle a perdu en ne réalisant pas l’occasion d’affaires en question. Elle a le droit d’obliger les fiduciaires déloyaux à rendre compte de leur manquement suivant le gain qu’ils ont réalisé. Que les dommages‑intérêts adjugés en l’espèce soient considérés comme compte de profits ou, ce qui équivaut à la même chose, comme basés sur un enrichissement injuste, je suis d’avis de ne pas en modifier le montant. [Je souligne.]

Il ressort clairement des arrêts Reading et O’Malley que les profits réalisés par le fiduciaire à la suite d’un manquement à ses obligations sont rattachés à l’enrichissement sans cause, que la société ait été ou non en mesure de réaliser elle‑même les profits. Par conséquent, il y a bien eu enrichissement sans cause dans l’arrêt Binstead, contrairement à ce qu’affirme le juge McLachlin.

70. J’aimerais ajouter que le fait que les profits aient été considérés comme un «enrichissement injuste» dans les arrêts Reading, O’Malley, et Binstead n’est pas incompatible avec les règles générales régissant l’enrichissement sans cause. Dans chaque cas, la partie demanderesse avait le droit d’obtenir le respect par le fiduciaire de son obligation. Les profits réalisés par la partie défenderesse par suite du manquement à son obligation sont considérés en equity comme appartenant à la société, que cette dernière ait été ou non en mesure de réaliser ces profits en l’absence du manquement visé. Pour illustrer l’analogie établie avec le droit de propriété, le maître des rôles Denning a dit, dans Phipps c. Boardman, [1965] 1 All E.R. 849 (C.A.), à la p. 856, conf. par [1966] 3 All E.R. 721 (H.L), que:

[traduction] [S]’il réalise un profit personnel à l’aide des renseignements ou connaissances qu’il devait recueillir ou découvrir pour le compte de son mandataire ou qu’il a par ailleurs acquis pour ce dernier, il peut être tenu responsable [. . .], car de tels renseignements ou connaissances appartiennent à son mandataire, au même titre qu’une invention . . . [En italique dans l’original; je souligne.]

71. Par conséquent, dans l’arrêt Binstead, la conservation des profits par le fiduciaire aurait privé la société de son droit à ceux‑ci. Les sommes que le fiduciaire a obtenues en portant atteinte aux droits de la partie demanderesse représentent l’appauvrissement. Pour qu’il n’y ait ni appauvrissement ni enrichissement sans cause dans des circonstances par ailleurs analogues à celles de l’affaire Binstead, il faudrait que l’opération intéressée n’engendre aucun profit secret. Si une réparation était accordée en l’absence de profit, et donc en l’absence d’enrichissement et d’appauvrissement, le juge McLachlin serait fondée à invoquer ce cas à l’appui de sa conclusion. Cependant, étant donné qu’un profit a bel et bien été réalisé dans Binstead, il y a eu enrichissement sans cause justifiant l’imposition d’une fiducie par interprétation, que la cour se soit fondée expressément ou non sur la doctrine de l’enrichissement sans cause.

72. En résumé, le juge McLachlin n’a cité aucune décision canadienne dans laquelle une fiducie par interprétation a été imposée malgré l’absence d’enrichissement sans cause. À la lumière de cette conclusion et d’arrêts récents de notre Cour qui interdisent, de manière non équivoque, l’imposition d’une fiducie par interprétation en l’absence d’un enrichissement sans cause, j’estime que le juge McLachlin se trompe en concluant qu’une telle fiducie peut être imposée en l’absence d’enrichissement sans cause.

73. Outre la jurisprudence canadienne, le juge McLachlin s’efforce d’étayer sa conclusion en citant divers auteurs et décisions étrangères. À cause des règles de droit claires récemment formulées par notre Cour, j’estime que la doctrine et la jurisprudence étrangère ne sont utiles que dans la mesure où il ressort des principes énoncés que le droit canadien devrait être modifié. J’analyserai donc seulement les principes sur lesquels se fonde le juge McLachlin, au lieu d’examiner chaque décision et article qu’elle cite.

74. En un mot, le juge McLachlin conclut, à l’instar des juges majoritaires de la Cour d’appel, que le refus d’accorder la fiducie par interprétation à la suite d’un manquement à une obligation fiduciaire mais en l’absence d’un enrichissement sans cause, protégerait inadéquatement l’intégrité des rapports fiduciaires. À propos de l’imposition d’une fiducie par interprétation sur le simple fondement du concept de la «conscience», elle dit, au par. 33:

La conscience concerne non seulement l’équité entre les parties devant le tribunal, mais aussi le souci plus général des tribunaux de maintenir l’intégrité d’institutions tels les rapports fiduciaires que les tribunaux d’equity étaient chargés de surveiller [. . .] La fiducie par interprétation imposée pour manquement à une obligation fiduciaire permet non seulement de rendre justice aux parties comme l’exige la conscience, mais aussi d’obliger les fiduciaires et autres personnes occupant des postes de confiance à se conformer aux normes élevées en matière de confiance et de probité nécessaires pour assurer l’efficacité des institutions commerciales et autres institutions sociales.

Le juge McLachlin considère donc que l’élément de dissuasion ne jouera sur les fiduciaires déloyaux que s’il est possible de recourir à la fiducie par interprétation, même en l’absence d’enrichissement sans cause.

75. À mon avis, la dissuasion n’est pas un facteur qui appelle la modification du droit canadien et l’imposition de la fiducie par interprétation en l’absence d’un enrichissement sans cause. Comme je l’ai déjà souligné, malgré des considérations de dissuasion, il est vrai que le droit privé ne prévoit habituellement pas de recours en cas d’absence de perte. Les tribunaux n’ont pas jugé qu’il était nécessaire d’accorder, même en l’absence de perte, une réparation à la suite d’un manquement à une obligation en matière délictuelle ou contractuelle par souci de protection de l’intégrité de ces obligations. Je ne vois pas ce qui distingue le rôle des obligations fiduciaires du rôle social très important que jouent d’autres obligations juridiques, et qui justifierait qu’elles reçoivent un traitement particulier en matière de réparation.

76. De toute façon, l’impossibilité d’invoquer la fiducie par interprétation en l’absence d’enrichissement sans cause n’a, selon moi, aucune incidence importante sur la dissuasion des fiduciaires déloyaux ni grande influence sur la protection de l’intégrité des rapports fiduciaires. Premièrement, si dans un cas donné, l’élément de dissuasion était jugé particulièrement important, le demandeur pourrait obtenir du juge du procès des dommages‑intérêts punitifs. L’imposition d’une fiducie par interprétation n’est pas nécessaire au maintien de l’intégrité du rapport, même si cette dernière constituait un aspect important d’une affaire. Le fait que des dommages‑intérêts punitifs n’ont pas été revendiqués en l’espèce ne devrait pas obliger notre Cour à imposer une fiducie par interprétation à la place. Deuxièmement, même si aucune réparation ne pouvait être demandée en l’absence d’enrichissement sans cause (ce qui est faux, vu la possibilité de réclamer des dommages‑intérêts punitifs), l’élément de dissuasion n’est pas exclu pour autant. Supposons une affaire semblable au présent pourvoi. Même si le fiduciaire sans scrupules sait bien qu’il ne sera pas tenu de rendre le bien qu’il a malhonnêtement acquis si celui‑ci n’a pas pris de valeur, il devra tout de même avoir à l’esprit la possibilité que, si le bien prenait de la valeur, c’est‑à‑dire s’il s’enrichissait sans cause, il devrait alors payer des dommages‑intérêts ou peut‑être même céder le bien. Par conséquent, si ce fiduciaire décidait de manquer à son obligation dans l’espoir de réaliser un profit, ce qui, j’imagine, constitue le motif habituel, voire l’unique motif d’un tel comportement, le fait de ne pas imposer une fiducie par interprétation en l’absence de profit n’aurait aucune incidence sur l’élément de dissuasion. Je suis donc en désaccord avec le juge McLachlin, qui estime que la dissuasion exige que l’on puisse recourir à la fiducie par interprétation, même en l’absence d’un enrichissement sans cause.

77. À l’évidence, je ne peux souscrire à l’opinion du juge McLachlin selon laquelle une fiducie par interprétation pouvait et, en fait, devait être ordonnée dans la présente affaire, même s’il n’y a eu aucun enrichissement sans cause. Pour déterminer si une telle réparation pouvait être accordée en l’espèce, à mon avis, il faut d’abord déterminer s’il y a eu enrichissement sans cause.

Y a‑t‑il eu enrichissement sans cause?

78. À mon avis, il n’y a eu aucun enrichissement, et par conséquent, aucun enrichissement sans cause en l’espèce. Tout d’abord, les appelants n’ont manifestement pas réalisé de profits en achetant l’immeuble. En effet, le juge du procès à dit (à la p. 68):

[traduction] Je traiterai maintenant des faits de l’espèce. La nature de l’obligation et du manquement a déjà été examinée. À l’étape interlocutoire, le demandeur a renoncé à réclamer des dommages‑intérêts. Une telle décision n’entraînait aucun sacrifice puisqu’il aurait été impossible pour le demandeur d’établir l’existence d’un préjudice. [Je souligne.]

L’enrichissement provenant de l’achat de l’immeuble n’était pas de nature pécuniaire, ce qui donne à penser qu’il n’y a eu aucun enrichissement et, par conséquent, aucun enrichissement sans cause.

79. On pourrait peut-être avancer, si l’immeuble était exceptionnel ou s’il était par ailleurs difficile à évaluer, que les profits réalisés par le défendeur ne représentent ni son enrichissement ni l’appauvrissement du demandeur. Par analogie avec une ordonnance portant exécution en nature d’un contrat, lorsque la propriété qui en fait l’objet est exceptionnelle ou par ailleurs difficile à évaluer, on peut conclure que des dommages‑intérêts ne sont pas satisfaisants et que l’exécution en nature du contrat doit être ordonnée pour indemniser adéquatement le demandeur. Il se peut que, dans un tel cas, des dommages‑intérêts ne puissent représenter la perte subie par le demandeur ni le gain réalisé par le défendeur du fait de la violation du contrat. On pourrait donc conclure qu’il y a eu enrichissement, même en l’absence d’une fluctuation de la valeur marchande d’une propriété, si celle‑ci est exceptionnelle ou, si par ailleurs, elle est difficile à évaluer.

80. Indépendamment de l’utilité de telles considérations pour déterminer s’il y a eu un enrichissement, l’immeuble en question n’a pas été jugé exceptionnel ou par ailleurs difficile à évaluer au point d’influer sur le choix de la réparation appropriée. Le juge du procès a souligné que l’intimé a soutenu que l’immeuble avait une valeur particulière pour lui parce que le locataire était une banque et que le fait d’être le bailleur d’une banque était une source de prestige dans la communauté grecque. Selon le juge du procès (à la p. 69), il ne fallait pas tenir compte d’un tel facteur, pas plus qu’il ne faut tenir compte de l’attachement d’une personne pour sa propriété dans une cause d’expropriation. Autrement dit, bien que des considérations personnelles aient pu conduire à l’achat de l’immeuble, elles n’entrent pas en ligne de compte lorsqu’il s’agit de déterminer la valeur de celui‑ci. Cela montre, à mon avis, que le juge du procès n’a pas considéré que l’immeuble était exceptionnel au point d’influer sur son analyse de la réparation appropriée. Cette conclusion ressort clairement de l’analyse que le juge du procès fait de Lee c. Chow (1990), 12 R.P.R. (2d) 217 (C.S. Ont.). Dans cette affaire, une fiducie par interprétation a été ordonnée à l’égard d’un immeuble qu’un mandataire avait malhonnêtement acheté dans des circonstances semblables à celles qui nous occupent. En l’espèce, le juge du procès a établi la distinction suivante avec la décision Lee (à la p. 70):

[traduction] Parmi ces circonstances [celles de l’affaire Lee], mentionnons les suivantes: une certaine dépendance du demandeur qui, selon moi, n’existe pas en l’espèce; le fait qu’il s’agissait d’un immeuble résidentiel répondant aux exigences particulières du demandeur, et non d’un immeuble commercial n’ayant de valeur qu’à titre d’investissement; et le fait qu’il paraissait probable que le prix d’achat en faisait une aubaine, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. [Je souligne.]

Dans l’affaire Lee, des profits avaient été réalisés -- d’où enrichissement -- et l’immeuble avait des qualités exceptionnelles qui contribuaient à justifier l’imposition d’une fiducie par interprétation. En l’espèce, aucun profit n’a été réalisé, et le juge du procès n’a constaté aucun avantage non pécuniaire important lié à l’immeuble: celui-ci n’avait de valeur «qu’à titre d’investissement». À mon avis, comme l’immeuble ne conférait ni avantage pécuniaire ni avantage non pécuniaire, il n’y a eu aucun enrichissement, et par conséquent, aucun enrichissement sans cause.

81. Vu l’absence d’enrichissement sans cause, j’estime que le juge du procès a eu raison de ne pas accorder la réparation demandée, soit la fiducie par interprétation. Le juge du procès a dit (à la p. 69):

[traduction] Dans l’arrêt LAC Minerals, précité, il a été jugé opportun d’imposer une fiducie par interprétation parce que les dommages‑intérêts ne donnaient pas satisfaction. Il serait anormal de reconnaître l’existence d’une fiducie par interprétation parce que le recours aux dommages‑intérêts n’est pas satisfaisant, le demandeur n’ayant subi aucun préjudice.

Le juge du procès, vu l’absence d’un préjudice pécuniaire dont on aurait pu déduire l’existence d’un enrichissement sans cause, a refusé d’imposer une fiducie par interprétation. Or, ni les juges majoritaires de la Cour d’appel ni le juge McLachlin n’invoquent une erreur de principe dans les motifs du juge du procès; en fait, je suis d’avis qu’ils se trompent en concluant que la fiducie par interprétation peut s’appliquer dans la présente affaire. Même si le juge du procès avait omis de tenir compte de facteurs tels la valeur morale du comportement des défendeurs et l’élément de dissuasion, ce qui n’est pas le cas, et même si une telle omission pouvait être assimilée à une erreur de principe, les facteurs à considérer pour décider s’il y a lieu d’imposer une fiducie par interprétation ne jouent qu’à la deuxième étape de l’enquête, lorsqu’il s’agit de déterminer la réparation appropriée. À moins que l’enrichissement sans cause ne soit établi à la première étape de l’examen, il n’est pas nécessaire de tenir compte de ces facteurs. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont commis une erreur en s’immisçant dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge du procès et en concluant qu’une fiducie par interprétation pouvait être imposée en l’absence d’enrichissement sans cause.

Conclusion

82. Étant donné que le juge du procès ne s’est pas trompé en n’imposant pas une fiducie par interprétation et que ce sont plutôt les juges majoritaires de la Cour d’appel qui ont commis une erreur en accordant cette réparation, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel et de rétablir le jugement du juge du procès. Vu les circonstances, je n’adjugerais de dépens aux appelants ni dans le présent pourvoi, ni en Cour d’appel.

Pourvoi rejeté avec dépens, les juges Sopinka et Iacobucci sont dissidents.

Procureurs des appelants: McCarthy Tétrault, Toronto.

Procureurs de l’intimé: Stockwood, Spies & Campbell, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : [1997] 2 R.C.S. 217 ?
Date de la décision : 22/05/1997
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Fiducies et fiduciaires - Fiducie par interprétation - Mandat —Obligations fiduciaires - Un agent immobilier a présenté une offre d’achat concernant un immeuble au nom de son client - Le vendeur a rejeté l’offre, mais il a informé l’agent du montant qu’il accepterait - L’agent a acheté l’immeuble pour lui‑même au lieu de transmettre l’information à son client - La valeur marchande de l’immeuble a diminué depuis que l’agent l’a acheté - Est‑il possible d’imposer une fiducie par interprétation à l’égard de l’immeuble et d’ordonner à l’agent de le transférer à son client, même si ce dernier ne peut établir qu’il a subi une perte?.

Immeuble - Réparation - Fiducie par interprétation - Mandat - Un agent immobilier a présenté une offre d’achat concernant un immeuble au nom de son client - Le vendeur a rejeté l’offre, mais il a informé l’agent du montant qu’il accepterait - L’agent a acheté l’immeuble pour lui‑même au lieu de transmettre l’information à son client - La valeur marchande de l’immeuble a diminué depuis que l’agent l’a acheté - Est‑il possible d’imposer une fiducie par interprétation à l’égard de l’immeuble et d’ordonner à l’agent de le transférer à son client, même si ce dernier ne peut établir qu’il a subi une perte?.

K, un courtier en immeubles, a entamé des négociations au nom de S, son client, en vue d’acheter un immeuble commercial. Le vendeur a rejeté l’offre et présenté une contre‑offre. K a rejeté la contre‑offre, mais il est revenu à la charge. Le vendeur a informé K du montant qu’il accepterait, mais au lieu de transmettre cette information à S, K a pris des dispositions pour que son épouse achète l’immeuble. L’immeuble a ensuite été transféré à K et à son épouse, à titre de copropriétaires. Alléguant un manquement à une obligation fiduciaire donnant lieu à une fiducie par interprétation, S a intenté une action contre K afin d’obtenir que l’immeuble lui soit transféré. Il a soutenu que l’immeuble avait une valeur particulière pour lui parce que son banquier en était le locataire et que le fait d’être le bailleur de son propre banquier était une source de prestige dans sa communauté. Il a renoncé à revendiquer des dommages‑intérêts parce que la valeur marchande de l’immeuble avait diminué depuis que K l’avait acheté. Le juge du procès a conclu que K avait manqué à un devoir de loyauté envers S, mais il a statué que la fiducie par interprétation n’était pas la réparation appropriée parce que K ne s’était pas «enrichi». Dans une décision rendue à la majorité, la Cour d’appel a infirmé cette décision et ordonné le transfert de l’immeuble à S sous réserve des ajustements nécessaires.

Arrêt (les juges Sopinka et Iacobucci sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.

Les juges La Forest, Gonthier, Cory, McLachlin et Major: La fiducie par interprétation est une institution ancienne et éclectique imposée par le droit non pas seulement pour remédier à l’enrichissement sans cause, mais aussi pour obliger des personnes se trouvant dans diverses situations à se conformer à des normes élevées en matière de confiance et de probité et les empêcher de conserver des biens qu’en toute «conscience» elles ne devraient pas être autorisées à garder. Bien qu’au cours des dernières décennies les tribunaux canadiens aient utilisé la fiducie par interprétation pour remédier à l’enrichissement sans cause, cet emploi ne devrait pas être interprété comme ayant fait disparaître du droit canadien la fiducie par interprétation dans les autres cas où l’on reconnaît depuis longtemps la possibilité d’y avoir recours. Au nom de la conscience, l’application de la fiducie par interprétation est reconnue tant pour sanctionner des conduites fautives tels la fraude et le manquement à un devoir de loyauté que pour remédier à l’enrichissement sans cause et à un appauvrissement correspondant. Bien qu’elle soit souvent imposée parce qu’il y a à la fois conduite fautive et enrichissement sans cause, la fiducie par interprétation peut aussi être accordée pour l’un ou l’autre motif.

Les conditions suivantes doivent généralement être réunies avant qu’une fiducie par interprétation fondée sur un comportement fautif puisse être imposée: 1) le défendeur doit avoir été assujetti à une obligation en equity relativement aux actes qui ont conduit à la possession des biens; 2) il faut démontrer que la possession des biens par le défendeur résulte des actes qu’il a ou est réputé avoir accomplis à titre de mandataire, en violation de l’obligation que l’equity lui imposait à l’égard du demandeur; 3) le demandeur doit établir qu’il a un motif légitime de solliciter une réparation fondée sur la propriété, soit personnel, soit lié à la nécessité de veiller à ce que d’autres personnes comme le défendeur s’acquittent de leurs obligations; et 4) il ne doit pas exister de facteurs qui rendraient injuste l’imposition d’une fiducie par interprétation eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire.

En l’espèce, le manquement par K à son devoir de loyauté a suffi pour engager la conscience du tribunal et lui permettre de conclure à l’existence d’une fiducie par interprétation. Premièrement, K était assujetti à une obligation en equity relativement à l’immeuble en cause. Son omission de faire part à son client de l’information qu’il avait obtenue au nom de ce dernier quant au prix que le vendeur accepterait pour l’immeuble et l’utilisation de cette information pour acheter lui‑même l’immeuble constituaient un manquement au devoir de loyauté imposé par l’equity. Deuxièmement, K a obtenu la possession de cet immeuble par suite des actes accomplis à titre de mandataire et du manquement à l’obligation que lui imposait l’equity envers S. Troisièmement, une fiducie par interprétation est nécessaire pour remédier à l’appauvrissement que S a subi en raison de son désir persistant de devenir propriétaire de l’immeuble en question. Une fiducie par interprétation est également requise dans des cas comme celui‑ci pour assurer le respect du devoir de loyauté auquel sont tenus les mandataires et autres personnes occupant des postes de confiance. Enfin, il n’y a pas en l’espèce de facteurs qui rendraient inéquitable l’imposition d’une fiducie par interprétation.

Les juges Sopinka et Iacobucci (dissidents): La décision d’imposer une fiducie par interprétation est discrétionnaire, et à ce titre, elle doit être abordée avec retenue par les tribunaux d’appel. La décision du juge de première instance de ne pas imposer une telle réparation ne peut être annulée en appel que si l’exercice du pouvoir discrétionnaire a été fondé sur un principe erroné. Il n’a pas commis une telle erreur dans la présente cause. Le juge du procès a tenu compte de la valeur morale du comportement de K et, par conséquent, un tribunal d’appel ne peut intervenir en se fondant sur ce motif. Il était d’avis que lorsque rien ne justifie que le tribunal accorde une fiducie par interprétation ou une autre réparation, la seule valeur morale de l’acte ne suffira pas à fonder une telle décision; cet énoncé du droit est juste. Le juge du procès a le pouvoir discrétionnaire d’imposer ou non la fiducie par interprétation et l’exercice de ce pouvoir ne devrait pas dépendre du nombre des réparations possibles. En l’espèce, S a renoncé à réclamer des dommages‑intérêts. Même s’il ne pouvait réclamer de dommages‑intérêts compensatoires puisqu’il n’a subi aucune perte pécuniaire, S aurait pu réclamer des dommages‑intérêts punitifs. Sa décision de ne pas le faire ne devrait pas jouer sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge du procès relativement à la fiducie par interprétation. Le juge du procès a également tenu compte de l’élément de dissuasion, mais il a conclu que celui-ci ne pouvait en soi justifier l’octroi d’une réparation en l’espèce.

Même si l’examen en appel était justifié, la fiducie par interprétation ne s’offrait pas aux parties, vu les faits de l’espèce. Il ressort très clairement de la jurisprudence récente de la Cour qu’une fiducie par interprétation ne peut être imposée que lorsqu’il y a enrichissement sans cause. En l’espèce, il n’y a eu aucun enrichissement et, par conséquent, aucun enrichissement sans cause. L’impossibilité d’imposer une fiducie par interprétation en l’absence d’un enrichissement sans cause est compatible avec le rôle réparateur de cette fiducie, et l’analyse des principes exposés dans l’arrêt Lac Minerals appuie également cette règle. La dissuasion n’exige pas que l’on puisse recourir à la fiducie par interprétation même en l’absence d’un enrichissement sans cause. Malgré des considérations de dissuasion, il est vrai que le droit privé ne prévoit habituellement pas de recours en cas d’absence de perte. Les tribunaux n’ont pas jugé qu’il était nécessaire d’accorder, même en l’absence de perte, une réparation à la suite d’un manquement à une obligation en matière délictuelle ou contractuelle. Rien ne justifie que les manquements aux obligations fiduciaires reçoivent un traitement particulier à cet égard. De toute façon, l’impossibilité d’invoquer la fiducie par interprétation en l’absence d’un enrichissement sans cause n’a aucune incidence importante quant à l’élément de dissuasion. Des dommages‑intérêts punitifs pourraient être imposés si l’élément de dissuasion était jugé particulièrement important, et un fiduciaire sans scrupules devra avoir à l’esprit la possibilité que, si le bien prenait de la valeur, il devrait alors payer des dommages‑intérêts ou peut‑être même céder le bien.


Parties
Demandeurs : Soulos
Défendeurs : Korkontzilas

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge McLachlin
Arrêts mentionnés: Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834
White c. Central Trust Co. (1984), 17 E.T.R. 78
Carl Zeiss Stiftung c. Herbert Smith & Co. (No. 2), [1969] 2 Ch. 276
Beatty c. Guggenheim Exploration Co., 122 N.E. 378 (1919)
Neale c. Willis (1968), 19 P. & C.R. 836
Binions c. Evans, [1972] Ch. 359
Hussey c. Palmer, [1972] 1 W.L.R. 1286
Neste Oy c. Lloyd’s Bank Plc, [1983] 2 Lloyd’s Rep. 658
Elders Pastoral Ltd. c. Bank of New Zealand, [1989] 2 N.Z.L.R. 180
Mogal Corp. c. Australasia Investment Co. (In Liquidation) (1990), 3 N.Z.B.L.C. 101, 783
Re Goldcorp Exchange Ltd. (In Receivership), [1994] 2 All E.R. 806
Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377
Meinhard c. Salmon, 164 N.E. 545 (1928)
Ontario Wheat Producers’ Marketing Board c. Royal Bank of Canada (1984), 9 D.L.R. (4th) 729
MacMillan Bloedel Ltd. c. Binstead (1983), 14 E.T.R. 269.
Citée par le juge Sopinka (dissident)
Donkin c. Bugoy, [1985] 2 R.C.S. 85
Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574
Canson Enterprises Ltd. c. Boughton & Co., [1991] 3 R.C.S. 534
Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377
Brissette, Succession c. Westbury Life Insurance Co., [1992] 3 R.C.S. 87
Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834
Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltd., [1989] 1 R.C.S. 426
Ontario Wheat Producers’ Marketing Board c. Royal Bank of Canada (1984), 9 D.L.R. (4th) 729
MacMillan Bloedel Ltd. c. Binstead (1983), 14 E.T.R. 269
Reading c. The King, [1948] 2 All E.R. 27, conf. par [1949] 2 All E.R. 68, conf. par [1951] 1 All E.R. 617
Canadian Aero Service Ltd. c. O’Malley, [1974] R.C.S. 592
Phipps c. Boardman, [1965] 1 All E.R. 849, conf. par [1966] 3 All E.R. 721
Lee c. Chow (1990), 12 R.P.R. (2d) 217.
Doctrine citée
Birks, Peter. An Introduction to the Law of Restitution. Oxford: Clarendon Press, 1985.
Dewar, John L. «The Development of the Remedial Constructive Trust» (1982‑84), 6 Est. & Tr. Q. 312.
Dixon, John. «The Remedial Constructive Trust Based on Unconscionability in the New Zealand Commercial Environment» (1992-95), 7 Auck. U. L. Rev. 147.
Goff of Chieveley, Robert Goff, and Gareth Jones. The Law of Restitution, 3rd ed. London: Sweet & Maxwell, 1986.
Goode, Roy. «Property and Unjust Enrichment». In Andrew Burrows, ed., Essays on the Law of Restitution. Oxford: Clarendon Press, 1991.
Litman, M. M. «The Emergence of Unjust Enrichment as a Cause of Action and the Remedy of Constructive Trust» (1988), 26 Alta. L. Rev. 407.
McClean, A. J. «Constructive and Resulting Trusts — Unjust Enrichment in a Common Law Relationship — Pettkus v. Becker (1982)», 16 U.B.C. L. Rev. 155.
Paciocco, David M. «The Remedial Constructive Trust: A Principled Basis for Priorities over Creditors» (1989), 68 R. du B. can. 315.
Scott, Austin Wakeman. The Law of Trusts, vol. V, 3rd ed. Boston: Little, Brown, 1967.
Sealy, L. S. «Fiduciary Relationships», [1962] Camb. L.J. 69.
Waters, D. W. M. The Constructive Trust: The Case for a New Approach in English Law. London: University of London, Athlone Press, 1964.

Proposition de citation de la décision: Soulos c. Korkontzilas, [1997] 2 R.C.S. 217 (22 mai 1997)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1997-05-22;.1997..2.r.c.s..217 ?
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