Nouveau‑Brunswick c. O'Leary, [1995] 2 R.C.S. 967
Lawrence O'Leary Appelant
c.
Sa Majesté la Reine du chef de
la province du Nouveau‑Brunswick Intimée
Répertorié: Nouveau‑Brunswick c. O'Leary
No du greffe: 23928.
1994: 6 décembre; 1995: 29 juin.
Présents: Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, McLachlin, Iacobucci et Major.
en appel de la cour d'appel du nouveau‑brunswick
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Nouveau‑Brunswick (1993), 141 R.N.‑B. (2e) 157, 361 A.P.R. 157, qui a confirmé la décision de la Cour du Banc de la Reine (1993), 135 R.N.‑B. (2e) 394, 344 A.P.R. 394, qui avait rejeté la requête de l'appelant visant à faire radier l'action pour négligence intentée par l'intimée. Pourvoi accueilli.
Robert D. Breen et Joël Michaud, pour l'appelant.
Michael D. Gorman et Richard C. Speight, pour l'intimée.
Version française du jugement de la Cour rendu par
1 Le juge McLachlin — L'appelant O'Leary, opérateur de compteur de trafic pour la province du Nouveau‑Brunswick, était appelé à voyager dans toute la province. La province allègue qu'il a conduit son véhicule loué alors que celui‑ci avait un pneu crevé, ce qui a nécessité des réparations de 2 815,54 $. La province a intenté une action pour cette somme contre O'Leary. Ce dernier a fait valoir que les tribunaux n'étaient pas compétents pour connaître de la demande puisque celle‑ci relève de la convention collective et est régie par les dispositions sur l'arbitrage prévues dans la Loi relative aux relations de travail dans les services publics, L.R.N.-B. 1973, ch. P-25. Cette loi confère à l'arbitre nommé en vertu de ses dispositions la compétence exclusive de rendre une décision définitive liant les parties à l'égard de tous les désaccords que soulèvent l'interprétation, l'application, l'administration ou une prétendue inexécution de la convention collective.
2 Une requête visant à faire radier la déclaration de l'employeur a été rejetée pour le motif que l'action pour négligence ne relevait pas de la convention collective et ne constituait pas un grief sujet à arbitrage: (1993), 135 R.N.-B. (2e) 394, 344 A.P.R. 394. La Cour d'appel a maintenu la décision pour les mêmes motifs: (1993), 141 R.N.-B. (2e) 157, 361 A.P.R. 157.
3 Dans l'arrêt connexe Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, j'analyse le droit pertinent. J'y conclus que les tribunaux ne sont pas compétents pour connaître d'un litige qui découle de la convention collective, sous réserve du pouvoir discrétionnaire résiduel qu'ont les tribunaux de compétence inhérente d'accorder une réparation que la procédure d'arbitrage d'origine législative ne prévoit pas. Pour déterminer si une affaire découle ou non de la convention collective, il faut prendre en considération l'essence du litige et des dispositions de la convention collective.
4 Ainsi, la Cour d'appel a commis une erreur en déclarant sans réserve qu'[traduction] «[i]l peut y avoir poursuite en négligence indépendamment de la convention collective» (p. 160). En fait, la négligence ne peut fonder une action que si le litige ne résulte pas de la convention collective.
5 Reste à savoir si, considéré dans son essence, le litige opposant les parties en l'espèce résulte de la convention collective. À mon avis, c'est le cas.
6 La province fait principalement valoir que la convention collective n'envisage pas expressément la négligence de l'employé à l'égard des biens de l'employeur et ses conséquences. Toutefois, comme je l'ai noté dans Weber, on dira d'un litige qu'il résulte de la convention collective s'il relève de celle‑ci soit expressément, soit implicitement. En l'espèce, la convention ne mentionne pas explicitement la négligence dont un employé pourrait faire preuve dans le cadre de son travail. Cette négligence relève néanmoins implicitement de la convention collective. Encore une fois, il faut comprendre que c'est l'essence du différend entre les parties et non le cadre juridique dans lequel le litige est posé qui déterminera le tribunal qui convient pour régler l'affaire.
7 L'article 24.04 de la convention collective impose à l'employé l'obligation de garantir la sécurité et la fiabilité des biens et de l'équipement de l'employeur. On peut en inférer qu'il confère à l'employeur le droit corrélatif d'intenter une action pour manquement à cette obligation. Bien que l'article 24 figure sous l'intertitre général «Santé et sécurité», la raison d'être de l'obligation ne porte pas atteinte à l'existence de cette obligation d'entretenir les biens de l'employeur. Le litige concerne essentiellement la protection des biens et de l'équipement de l'employeur. Invoquer la négligence à l'appui du litige n'a pas pour effet de retirer celui‑ci de la portée de l'article 24. Aux termes de l'article 5.03, l'employeur doit exercer ses droits en conformité avec les modalités de la convention collective; implicitement donc, il doit avoir recours à la procédure d'arbitrage exhaustive établie par la Loi, que la convention collective reconnaît comme étant l'unique recours possible. Il résulte de ces dispositions que le litige découle de la convention collective et que le seul moyen d'obtenir réparation est la procédure d'arbitrage établie dans la Loi.
8 La province fait en outre valoir que la convention collective ne traite pas du droit de l'employeur de prendre une mesure disciplinaire contre un employé. La discipline demeure la prérogative de l'employeur. Une fois qu'elle est imposée, soutient‑on, l'employé peut déposer un grief en application de la convention collective mais, jusqu'alors, la convention collective n'est pas en cause. Suivant la thèse de la province, l'action de l'employeur est une forme de mesure disciplinaire et n'est donc pas parallèle à la convention collective ni ne fait‑elle double emploi.
9 Cet argument est lui aussi réfuté par le fait que la convention collective impose une obligation à l'employé relativement aux biens de l'employeur et contraint ce dernier à exercer ses droits conformément à ses dispositions. Le tort allégué par l'employeur découle de la convention collective; partant, la mesure disciplinaire qu'il engendre relève également de la convention. Celle‑ci prévoit par ailleurs que l'employeur peut obtenir réparation par voie d'arbitrage. Le paragraphe 92(1) de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics inscrit dans la convention collective une disposition prévoyant que la décision arbitrale est définitive et obligatoire «[l]orsqu'un désaccord survient entre les parties relativement à [. . .] l'application ou l'administration de la présente convention», ce qui comprend une réparation pour manquement à la convention par l'une ou l'autre partie. Le fait que l'employeur puisse imposer une mesure disciplinaire dans certains cas sans avoir recours à l'arbitrage n'élimine en rien l'obligation, prévue par la Loi et la convention, de résoudre les litiges par voie d'arbitrage. L'employeur invoque également le fait que l'article 15 de la convention collective traite uniquement des griefs déposés par les employés. Cela n'invalide cependant pas le libellé plus général du par. 92(1) de la Loi, qui vise les deux parties. Implicitement, l'employeur doit pouvoir être en mesure de déposer un grief sous le régime de la convention collective.
10 On n'a pas prétendu que l'arbitre ne pouvait pas imposer une peine pécuniaire à l'employé pour manquement à son obligation à l'égard des biens de l'employeur. En outre, il importe peu, à mon avis, que les biens endommagés en l'espèce aient été loués par la province auprès d'un tiers. L'obligation à laquelle l'employé était tenu à l'égard des biens qui lui avaient été confiés dans le cadre de son travail ne peut varier selon que l'employeur en est le propriétaire, le locataire ou le possesseur en vertu d'une entente donnée.
11 Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, de radier la déclaration et d'accorder les dépens à O'Leary dans toutes les cours.
Pourvoi accueilli avec dépens.
Procureurs de l'appelant: Pink ⋅ Breen ⋅ Larkin, Fredericton.
Procureur de l'intimée: Le procureur général du Nouveau‑Brunswick, Fredericton.