La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/06/1995 | CANADA | N°[1995]_2_R.C.S._781

Canada | Telecommunications Workers Union c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications), [1995] 2 R.C.S. 781 (22 juin 1995)


Telecommunications Workers Union c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications), [1995] 2 R.C.S. 781

Telecommunications Workers Union Appelant

c.

Conseil de la radiodiffusion et des

télécommunications canadiennes,

Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd. et

British Columbia Telephone Company Intimés

Répertorié: Telecommunications Workers Union c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications)

No du greffe: 23778.

1995: 23 janvier; 1995: 22 juin.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juge

s La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel féd...

Telecommunications Workers Union c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications), [1995] 2 R.C.S. 781

Telecommunications Workers Union Appelant

c.

Conseil de la radiodiffusion et des

télécommunications canadiennes,

Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd. et

British Columbia Telephone Company Intimés

Répertorié: Telecommunications Workers Union c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications)

No du greffe: 23778.

1995: 23 janvier; 1995: 22 juin.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1993] A.C.F. no 444 (QL), qui a rejeté la demande de l'appelant visant le contrôle judiciaire d'une décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. Pourvoi rejeté, le juge en chef Lamer et les juges Sopinka et Cory sont dissidents.

Morley D. Shortt, c.r., et Donald Bobert, pour l'appelant.

Thomas G. Heintzman, c.r., et Susan L. Gratton, pour l'intimée Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd.

Avrum Cohen, Allan Rosenzveig et Carolyn Pinsky, pour l'intimé le CRTC.

Jack Giles, c.r., Judy Jansen et Alison Narod, pour l'intimée British Columbia Telephone Co.

Version française des motifs du juge en chef Lamer et des juges Sopinka et Cory rendus par

1 Le juge Sopinka (dissident) — Il s'agit en l'espèce de déterminer si le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes («CRTC») a violé les principes de justice naturelle en omettant de remettre au Telecommunications Workers Union («TWU») un avis formel de la demande qui est à l'origine de la lettre‑décision Télécom CRTC 92‑4 («décision 92‑4»). Les procédures, qui opposaient Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd. («Shaw Cable») et British Columbia Telephone Company («BC Tel»), visaient à déterminer qui avait le droit d'effectuer les travaux d'installation sur les structures de soutènement appartenant à BC Tel.

2 Le TWU représente une unité de négociation qui regroupe environ 12 000 employés de BC Tel. Aux termes de la convention collective conclue entre le TWU et BC Tel, tout travail ayant trait à l'entretien, à la réparation ou à la construction de la structure de soutènement est confié exclusivement aux membres du TWU. De toute évidence, donc, la décision 92‑4 aurait nécessairement un effet sur l'aire de travail des employés représentés par le TWU. À mon avis, compte tenu des circonstances uniques de la présente affaire, l'omission de donner au TWU un avis de la procédure soumise au CRTC a entraîné un déni de justice naturelle.

3 Comme le juge L'Heureux‑Dubé l'a signalé, dans l'arrêt connexe British Columbia Telephone Co. c. Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd., [1995] 2 R.C.S. 739, elle a décrit de façon détaillée les faits et l'historique des procédures qui ont abouti au présent pourvoi. Il n'est donc pas nécessaire d'y revenir ici. Toutefois, étant donné que les principes de justice naturelle, dont la règle audi alteram partem, sont déterminés suivant les circonstances particulières d'une affaire, je devrai faire ressortir certains faits dans le cours de mes motifs pour expliquer ma conclusion que le TWU avait le droit de recevoir un avis de la procédure opposant Shaw Cable et BC Tel.

I. Dispositions législatives pertinentes

4 Pour plus de commodité, je reproduirai les dispositions législatives pertinentes:

Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications, L.R.C. (1985), ch. N‑20

66. La Commission peut réviser, abroger ou modifier ses ordonnances ou décisions, ou peut entendre à nouveau une demande qui lui est faite, avant de rendre sa décision.

72. Aussitôt que possible après qu'elle a reçu ou qu'il lui a été signifié un règlement, une ordonnance, des instructions, une décision, un avis, un rapport ou quelque autre document de la part du ministre, de la Commission, ou de l'ingénieur‑inspecteur, toute compagnie doit les porter à la connaissance de chacun des membres de son personnel qui remplissent des fonctions que ces pièces concernent ou peuvent concerner, soit en leur remettant une copie, soit en en affichant une copie là où ils doivent accomplir leurs travaux ou leurs fonctions, ou une partie de leurs travaux ou fonctions.

74. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, lorsque la Commission est autorisée à entendre une requête, plainte ou contestation, ou à prendre une ordonnance, après avoir donné avis aux parties intéressées, elle peut, pour cause d'urgence ou pour toute autre raison qui lui paraît suffisante, nonobstant le défaut ou l'insuffisance de cet avis, prendre une ordonnance ou une décision dans l'affaire comme si l'avis eût été régulièrement donné à toutes les parties; cette ordonnance ou décision est à tous égards aussi valable et exécutoire que si l'avis eût été régulier.

(2) Toute compagnie ou personne qui a droit à un avis et à laquelle un avis suffisant n'a pas été donné peut, à toute époque dans les dix jours qui suivent le moment où elle a eu connaissance de cette ordonnance ou décision, ou dans tel délai plus long que la Commission peut lui accorder, demander à la Commission de modifier ou abroger cette ordonnance ou décision; la Commission doit alors, après tel avis aux autres parties intéressées qu'elle juge à propos de donner, entendre cette demande et modifier ou abroger cette ordonnance ou décision, ou renvoyer cette demande, suivant qu'il lui paraît juste et équitable.

II. Question en litige

Le CRTC a‑t‑il excédé sa compétence en omettant de donner avis au TWU de la demande et de la procédure à l'origine de la décision 92‑4?

III. Analyse

A. Les exigences de la justice naturelle

5 Notre Cour a indiqué de façon explicite dans le passé que les exigences de la justice naturelle procèdent des circonstances d'une affaire, de la nature de l'examen, de la question en cause et des dispositions législatives en vertu desquelles le tribunal administratif agit: Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735, et Assoc. des résidents du Vieux St‑Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, aux pp. 1191 et 1192. Dans chaque cas, il faut déterminer si la partie qui se réclame du droit de recevoir un avis et d'être entendue a un intérêt suffisamment important dans la procédure pour que la règle audi alteram partem commande qu'un avis soit donné.

6 Dans ses motifs, ma collègue conclut que l'intérêt du TWU dans la procédure soumise au CRTC était purement indirect puisque la décision 92‑4 concernait non pas les relations du travail, mais la politique en matière de télécommunications. En toute déférence, le fait que le CRTC s'intéresse particulièrement à la politique en matière de télécommunications, conformément à son mandat, ne diminue en rien le fait que sa décision était susceptible d'avoir un impact sévère sur l'aire de travail réservée aux membres du TWU et de toucher ainsi directement les droits du syndicat et de ses membres. Le CRTC devait en fait déterminer qui avait le droit d'effectuer le travail sur les structures de soutènement appartenant à BC Tel. Il savait très bien quel effet sa décision aurait pour le TWU. Bien que l'idée sous‑jacente à la décision 92‑4 ait pu être étrangère à l'«aire de travail» réservée aux membres du TWU et que le CRTC ait pu chercher à éviter le domaine des relations du travail, cela ne justifie pas une violation de la justice naturelle lorsqu'une décision est susceptible de contrevenir aux droits du syndicat.

7 BC Tel a saisi le CRTC de sa demande afin, principalement, sinon uniquement, qu'il détermine qui avait le droit d'effectuer le travail compte tenu de la sentence arbitrale rendue le 19 juillet 1991 (le «jugement Glass»), mettant en cause le TWU. C'est ce qui a incité BC Tel à soumettre à l'approbation du CRTC en octobre 1991 un accord révisé relatif aux structures de soutènement. Devant le CRTC, BC Tel a fait valoir que, vu le jugement Glass, la compagnie était dans l'impossibilité de permettre à des personnes autres que ses propres employés d'installer des câbles sur sa structure de soutènement. Shaw Cable a exprimé son opposition à cet égard. À mon avis, l'omission de donner avis de la procédure était, dans les circonstances, manifestement injuste.

8 À l'appui de sa conclusion, le juge L'Heureux‑Dubé s'appuie sur l'arrêt Canadian Transit Co. c. Canada (Commission des relations de travail dans la Fonction publique), [1989] 3 C.F. 611 (C.A.), pour soutenir que, pour qu'une personne ait droit à un avis, son intérêt ne doit pas découler simplement d'un lien contractuel avec l'une des parties assujetties à la réglementation et directement concernées. De façon générale, je conviens que ce serait imposer un fardeau peut‑être trop lourd aux organismes de réglementation que d'exiger qu'ils avisent tout individu ayant un lien contractuel avec une partie visée par un règlement. Ainsi que ma collègue le signale, une multitude de décisions rendues par un organisme de réglementation sont susceptibles de toucher indirectement des individus du seul fait que ceux‑ci sont partie à un contrat avec la partie assujettie à la réglementation. Ainsi, selon toute vraisemblance, la décision du CRTC dont l'effet se fait sentir sur la situation financière d'une partie assujettie à sa compétence en matière de réglementation touchera également, de façon indirecte, les personnes liées par contrat à cette partie. Indiscutablement, ce seul intérêt éventuel ne justifie pas l'obligation de donner avis de la procédure soumise au tribunal administratif.

9 À mon avis, toutefois, étant donné les circonstances particulières de la présente affaire, la règle audi alteram partem commande que le TWU soit formellement avisé. La n{oe}ud de la décision du CRTC se rapporte particulièrement au contrat même qui lie BC Tel et le TWU. Aussi, l'intérêt qui est en jeu n'est pas qu'un intérêt éventuel qui naît uniquement de la décision relative à BC Tel. Comme je l'ai mentionné, le CRTC devait déterminer si Shaw Cable et d'autres entreprises de télédistribution pouvaient effectuer le travail sur les structures de soutènement de BC Tel. C'est exactement ce que le jugement Glass a interdit suivant son interprétation de l'article 3(1) de la convention collective. À mon avis, le passage de l'arrêt Canadian Transit cité par le juge L'Heureux‑Dubé ne visait pas les cas où le tribunal administratif doit, en fait, se pencher sur un aspect clé du contrat qui se rapporte directement aux droits d'un tiers. Le CRTC connaissait fort bien la position de BC Tel, suivant laquelle la sentence arbitrale lui interdisait de permettre à des personnes autres que les membres du TWU d'installer des câbles sur son équipement. La décision du CRTC aurait une conséquence directe sur la viabilité d'une disposition donnée de la convention collective. À mon avis, dans pareil cas, on ne saurait soutenir que l'intérêt était indirect uniquement parce qu'il procédait d'un contrat.

10 Du reste, les problèmes que pourrait en pratique provoquer l'obligation d'aviser les individus qui ont un lien contractuel avec une partie assujettie à la réglementation ne se posent pas en l'espèce. En fait, suivant la sentence arbitrale rendue le 25 janvier 1983 (le «jugement Williams»), lorsque l'Association canadienne de télévision par câble («l'ACTC») a demandé au CRTC en 1987 de rendre une ordonnance contraignant BC Tel à permettre aux entreprises de télédistribution, y compris Shaw Cable, d'installer leurs propres câbles coaxiaux sur les structures de soutènement de BC Tel, le CRTC a permis au TWU de prendre part à la procédure. Le CRTC savait que l'apport du TWU pourrait se révéler des plus utile. Dans une lettre-décision datée du 28 juillet 1987, le CRTC a écrit ce qui suit:

[traduction] Le 2 avril 1987, le TWU a informé le Conseil de son intérêt dans la demande soumise par l'ACTC. Dans une lettre du 27 avril 1987, le Conseil a indiqué qu'il pourrait tirer profit des opinions du TWU et a exposé la procédure à suivre par le TWU, B.C. Tel et l'ACTC relativement à ces questions. [Je souligne.]

11 Comme le TWU était partie à la procédure de 1987, le CRTC devait savoir que le syndicat avait un intérêt tout aussi important dans la demande ayant abouti à la décision 92‑4 puisque la question posée était essentiellement identique. La seule différence réside dans le fait que, dans l'intervalle, le TWU a réussi à obtenir une seconde sentence arbitrale en sa faveur, laquelle empêchait effectivement BC Tel de respecter l'ordonnance antérieure du CRTC rendue en 1987. En passant, il y a lieu de remarquer que Shaw Cable a été avisée de la procédure d'arbitrage devant Glass et invitée à y participer, invitation qu'elle a toutefois déclinée. Cela illustre également la corrélation entre les questions soulevées et les intérêts qui sont en jeu dans les procédures soumises aux conseils d'arbitrage et au CRTC.

12 Il était évident que toute ordonnance du CRTC rendue en contradiction avec le jugement Glass toucherait directement les droits du syndicat. La demande de BC Tel (et donc la demande de Shaw Cable en réponse) était fondée uniquement sur les sentences arbitrales. Aussi, suis‑je d'avis que contraindre le CRTC à aviser le TWU n'aurait dans les circonstances actuelles engendré aucune difficulté d'ordre pratique.

13 La décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans Canadian Transit, précitée, vient appuyer ma conclusion que l'avis formel était aussi opportun que nécessaire dans les circonstances. Dans cette affaire, des employés des douanes ont demandé à la Commission des relations de travail dans la Fonction publique d'enquêter sur la sécurité des conditions de travail sur le pont reliant Windsor (Ontario) et Detroit (Michigan). Canadian Transit Co. était la propriétaire et l'exploitante du pont. Selon la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.), le propriétaire du pont doit assumer le coût des réparations nécessaires au respect des exigences en matière de sécurité. Ayant conclu que les conditions sur le pont étaient dangereuses, la Commission a ordonné à l'employeur, le gouvernement, d'apporter les modifications nécessaires à cet égard. Canadian Transit Co. devrait en assumer les coûts.

14 Canadian Transit Co. a demandé le contrôle judiciaire de la décision de la Commission, soutenant ne pas avoir reçu avis de la procédure ni avoir été invitée à y participer. La Cour d'appel fédérale à l'unanimité a accueilli la demande et renvoyé l'affaire afin que soit tenue une nouvelle audience, dans le cadre de laquelle Canadian Transit Co. aurait qualité pour agir. Le juge Marceau, se prononçant au nom de la majorité, a noté que la Commission n'avait aucune autorité à l'égard de Canadian Transit Co., puisque cette dernière n'était pas l'employeur dans le cadre de cette procédure. Néanmoins, la mise en application de la décision de la Commission toucherait directement et nécessairement les droits de la compagnie. De même, dans des motifs concordants, le juge MacGuigan a indiqué que, bien que l'ordonnance de la Commission ne s'adresse qu'à l'employeur, «elle avait des conséquences immédiates pour la requérante» (p. 618).

15 En l'espèce, tout comme dans l'affaire Canadian Transit, l'organisme administratif était parfaitement conscient de l'intérêt de la requérante. Pour emprunter les propos du juge MacGuigan, «cet intérêt réel avait un lien suffisamment direct avec la question dont était saisie la Commission pour donner droit à la requérante à un avis de l'audience [. . .] et à la possibilité suffisante d'y exposer son point de vue» (p. 624).

16 À mon avis, on peut inférer de tout ce qui précède que les règles de justice naturelle commandaient que le TWU soit avisé et ait la possibilité d'être entendu. Reste toutefois à savoir s'il existe dans le régime législatif des dispositions régissant les pouvoirs du CRTC qui pourraient modifier ma conclusion.

B. L'effet du régime législatif

17 Dans ses motifs, ma collègue le juge L'Heureux‑Dubé soutient que même si les règles de justice naturelle avaient normalement exigé que le CRTC avise le TWU de la procédure, l'art. 72 de la Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications, L.R.C. (1985), ch. N‑20 («LNAT»), l'en dispense. Suivant cette disposition, toute compagnie intéressée par une procédure soumise au CRTC est tenue d'en aviser les membres de son personnel susceptibles d'être concernés par l'issue de l'audition. Par conséquent, en l'espèce, BC Tel était tenue, conformément à l'art. 72, d'aviser le TWU. Avec égards, je ne puis convenir qu'une disposition qui oblige une partie à une procédure à donner un avis puisse dégager un tribunal administratif de son obligation de respecter les principes de justice naturelle. Autrement, l'omission de la part d'une partie visée par un règlement de donner avis à une autre partie intéressée conformément à l'art. 72 risquerait d'entraîner un déni de justice naturelle à l'égard duquel aucun recours ne serait offert. Il s'agit là d'une proposition étonnante. Il arrive fréquemment que les règles de procédure laissent à la discrétion des parties la décision de donner un avis, mais l'omission de le faire est un vice de procédure qui autorise la partie lésée à demander réparation, peu importe qui est fautif.

18 Certes, en général, l'employeur est le mieux placé pour déterminer si les intérêts de ses employés sont en jeu. Toutefois, dans les cas où le CRTC sait que les membres du personnel d'une partie seront directement touchés par la procédure, rien dans l'art. 72 ne vient annuler son obligation de respecter les exigences de justice naturelle. Par conséquent, compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire, à savoir que le TWU avait pris part à la procédure en 1987 et que la demande visait principalement à déterminer qui devait effectuer le travail sur les structures de soutènement suivant l'article 3(1) de la convention collective, les règles de justice naturelle contraignaient le CRTC à faire en sorte qu'un avis soit donné, quelles que soient les obligations de l'employeur sous le régime de la LNAT. L'équité procédurale est un droit pour les parties intéressées et une obligation pour le tribunal administratif. Cette situation ne change pas lorsque une obligation additionnelle de donner avis est imposée à l'une des parties assujetties à la réglementation.

19 Ma collègue signale également que l'art. 66 LNAT prescrit la réparation qu'il convient d'accorder aux employés qui n'ont pas été avisés. Cette disposition confère au CRTC le pouvoir de modifier toute ordonnance ou d'entendre à nouveau une demande. Il y a cependant lieu de remarquer que le libellé de l'art. 66 accorde une faculté. En d'autres termes, le CRTC a le pouvoir discrétionnaire de modifier l'ordonnance ou d'entendre à nouveau la demande. La disposition ne prévoit aucun droit d'appel, ni aucun contrôle judiciaire de la décision du CRTC qui soit fondé sur un déni de justice naturelle. Lorsque la justice naturelle commande qu'une partie soit avisée et que le tribunal ne respecte pas cette obligation, la partie lésée peut demander le contrôle judiciaire de la décision. Il ne convient pas de demander subsidiairement que le tribunal, à sa discrétion, entende à nouveau la demande après qu'il se soit prononcé à cet égard.

20 De même, contrairement à l'argument avancé par Shaw Cable, je ne crois pas que l'art. 74 LNAT soit de quelque assistance dans le présent pourvoi. De toute évidence, cette disposition s'applique lorsque, pour cause d'urgence ou pour toute autre raison suffisante, le CRTC décide d'aller de l'avant dans une affaire sans qu'avis soit donné. Dans ce cas, conformément au par. 74(2), une partie qui aurait normalement droit à l'avis peut demander au CRTC de modifier sa décision. Or, l'art. 74 vise plutôt le cas où la justice naturelle commande qu'une partie soit avisée et où, après s'être penché sur la question, le CRTC agit quand même sans avoir donné avis, pour une raison qu'il juge suffisante. Ce n'est pas ce qui s'est produit en l'espèce. Le CRTC a simplement négligé de donner avis au TWU, estimant apparemment qu'il n'avait pas à le faire. Il n'y a pas la moindre indication que le CRTC a effectivement décidé d'entendre la demande sans aviser le TWU «pour cause d'urgence ou pour toute autre raison». Aussi, suis‑je d'avis que l'art. 74 n'a aucune application en l'espèce.

21 Si les règles de justice naturelle sont déterminées suivant le régime législatif qui régit le tribunal administratif, il faut un libellé clair pour déroger aux principes ordinaires d'équité procédurale. Les propos du juge en chef Rinfret dans Alliance des professeurs catholiques de Montréal c. Quebec Labour Relations Board, [1953] 2 R.C.S. 140, à la p. 154, sont à mon avis fort à propos dans le présent contexte:

Le principe que nul ne doit être condamné ou privé de ses droits sans être entendu, et surtout sans avoir même reçu avis que ses droits seraient mis en jeu est d'une équité universelle et ce n'est pas le silence de la loi qui devrait être invoqué pour en priver quelqu'un. À mon avis, il ne faudrait rien moins qu'une déclaration expresse du législateur pour mettre de côté cette exigence qui s'applique à tous les tribunaux et à tous les corps appelés à rendre une décision qui aurait pour effet d'annuler un droit possédé par un individu. [Je souligne.]

Ce principe vaut non seulement pour le droit à la justice naturelle, mais également pour le droit à un contrôle judiciaire en cas de déni de justice naturelle.

22 Dans la présente affaire, on ne saurait prétendre que le libellé législatif dispense le CRTC de son obligation d'aviser le TWU conformément à la règle audi alteram partem. Ni que la LNAT exclut tout recours aux tribunaux en cas de non‑respect des principes d'équité procédurale.

23 Il convient également de signaler que, dans l'arrêt connexe, notre Cour a conclu qu'en cas de conflit, la décision du CRTC doit avoir priorité sur celle d'un conseil arbitral. Il devient donc d'autant plus important pour le TWU de pouvoir se faire entendre par le CRTC afin de tenter de défendre ses droits.

24 En conclusion, je suis d'avis que l'omission d'aviser le TWU de la procédure soumise au CRTC a engendré un déni de justice naturelle. Bien qu'il ne soit pas nécessaire d'aviser chaque syndicat lié par une convention collective à la compagnie assujettie à la réglementation du CRTC, j'estime que les circonstances uniques de la présente affaire, exposées ci‑dessus, commandaient qu'avis soit donné au TWU.

IV. Dispositif

25 Pour tous ces motifs, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et d'ordonner au CRTC de reconsidérer sa décision après avoir accordé au TWU la possibilité d'être entendu.

Le jugement des juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Gonthier, McLachlin, Iacobucci et Major a été rendu par

26 Le juge L'Heureux‑Dubé — Ce pourvoi a été entendu en même temps que le pourvoi connexe British Columbia Telephone Co. c. Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd., [1995] 2 R.C.S. 739, et origine des mêmes faits. L'affaire British Columbia Telephone concerne un appel interjeté par la British Columbia Telephone Company («BC Tel») à l'encontre de la lettre‑décision Télécom CRTC 92‑4 («décision 92‑4») tel que prévu à la loi. Le présent pourvoi, par contre, concerne une demande de contrôle judiciaire de la part de Telecommunications Workers Union («TWU») relativement à la même lettre‑décision. La décision 92‑4 et les faits qui ont donné naissance à ce pourvoi sont décrits de façon détaillée dans les motifs que j'ai rédigés dans British Columbia Telephone.

27 En ce qui concerne l'historique des procédures dans le cas qui nous occupe, la demande de contrôle judiciaire de TWU a d'abord été soumise à la Cour d'appel fédérale, qui l'a rejetée: [1993] A.C.F. no 444 (QL). Dans des motifs succincts, le juge Mahoney, s'exprimant au nom de la Cour d'appel à l'unanimité, a signalé que les moyens invoqués à l'appui de la demande de contrôle judiciaire de TWU étaient, à une exception près, essentiellement les mêmes que ceux invoqués par BC Tel dans son appel formé en vertu de la loi à l'encontre de la décision 92‑4 (sur laquelle porte l'arrêt British Columbia Telephone). Le juge Mahoney a ajouté:

Le motif sous‑jacent à la présente demande et qui diffère de ceux soulevés en appel [en vertu de la loi] est que le CRTC [Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes] n'a pas respecté les principes de la justice naturelle à l'égard de TWU en ne donnant pas à celui‑ci un avis des demandes qui sont à l'origine de la décision 92‑4.

Il a été statué en appel [prévu dans la loi] que le CRTC n'avait pas le pouvoir d'enjoindre à BC Tel de violer la convention collective en accomplissant à nouveau un acte qu'un conseil d'arbitrage constitué conformément au Code canadien du travail avait assimilé, de manière définitive, à une violation. Il me semble s'ensuivre que TWU n'avait pas droit à un avis relatif aux demandes puisque le CRTC n'avait pas le pouvoir de priver TWU ou ses membres des droits que leur conférait la convention collective. Pour cette raison, et parce que le fait d'accueillir l'appel [prévu dans la loi] l'a privée par ailleurs de tout objet, je suis d'avis de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

L'appelant se pourvoit contre cette décision devant notre Cour.

28 Quoique l'appelant ait invoqué plusieurs moyens dans sa requête initiale de contrôle judiciaire devant la Cour d'appel fédérale, il en reprend seulement deux dans le pourvoi formé devant notre Cour contre la décision de la Cour d'appel fédérale. D'une part, TWU fait valoir que l'omission du CRTC de lui avoir donné avis de la procédure qui a abouti à la décision 92‑4 a privé le CRTC de sa compétence et, pour cette raison, cette décision est invalide. TWU soutient, d'autre part, que la décision 92‑4 devrait être infirmée pour le motif que le CRTC a commis une erreur de droit et excédé sa compétence du fait qu'il n'aurait pas suivi sa politique de déférence à l'égard des décisions des conseils d'arbitrage constitués par BC Tel et TWU relativement à l'aire de travail des employés de BC Tel.

Omission de donner avis

29 La règle audi alteram partem, qui est une composante des principes de justice naturelle et d'équité procédurale, requiert qu'une partie à une procédure devant un tribunal en soit informée et ait la possibilité d'être entendue par le tribunal.

30 L'appelant TWU fait valoir qu'il a un intérêt dans la décision 92‑4 et qu'à ce titre, il doit bénéficier des protections procédurales mentionnées précédemment relativement à cette décision. Plus précisément, TWU soutient que la décision 92‑4 aura des répercussions sur l'aire de travail réservée à ses membres. Par conséquent, TWU soutient qu'il avait le droit d'être avisé de la procédure qui a mené à la décision, à défaut de quoi cette dernière est invalide.

31 Pour sa part, l'intimée Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd. prétend que TWU n'était pas en droit de recevoir tel avis puisque son intérêt dans la procédure soumise au CRTC était purement indirect. À cet égard, l'intimée s'est référée aux commentaires du juge Marceau dans Canadian Transit Co. c. Canada (Commission des relations de travail dans la Fonction publique), [1989] 3 C.F. 611 (C.A.), à la p. 614:

Il me semble clair que le seul intérêt dans l'issue éventuelle d'une affaire soumise à un tribunal, qu'il soit pécuniaire ou autre, ne suffit pas en lui‑même à conférer à un particulier qualité pour agir. Les exigences de la justice naturelle et de l'équité dans la procédure n'en demandent certainement pas tant, et en tout état de cause, il serait impossible en pratique d'aller jusque là. À mon sens, pour compter au nombre des parties intéressées auxquelles un tribunal doit accorder qualité pour agir dans une affaire dont il est saisi afin de satisfaire aux exigences de la règle audi alteram partem, un particulier doit être touché directement et nécessairement par la décision à rendre. Son intérêt ne doit pas être simplement indirect ou éventuel, comme c'est le cas lorsqu'une décision peut l'atteindre par un intermédiaire étranger aux préoccupations du tribunal, tel un rapport contractuel avec une des parties directement concernées. [Je souligne.]

32 De façon générale, je souscris aux prétentions de l'intimée. À mon avis, l'intérêt de TWU dans l'affaire soumise au CRTC était purement indirect. La décision du CRTC en était une de politique en matière de télécommunications. Le CRTC devait décider de la meilleure façon de réglementer une compagnie de téléphone monopoliste afin de protéger l'intérêt public. L'objectif sous‑jacent à la décision du CRTC n'avait absolument rien à voir avec «l'aire de travail» de TWU. En fait, une telle considération n'aurait pas été pertinente quant à la décision du CRTC. TWU n'avait donc aucun intérêt pertinent à faire valoir devant le CRTC. Si TWU risquait d'être touché par la décision du CRTC, ce ne pouvait être que de façon purement indirecte. Pour ce motif, je conclus que la règle audi alteram partem ne commandait pas que TWU soit avisé de l'audience du CRTC. TWU n'était pas une partie, ni n'avait‑il un intérêt direct dans l'affaire soumise au tribunal.

33 À cet égard, il importe de signaler que conclure ici que TWU avait droit à un avis aurait des conséquences sérieuses susceptibles de paralyser les organismes de réglementation. En effet, il en découlerait que tout individu ayant un lien contractuel avec une personne visée par un règlement devrait recevoir avis de la procédure de réglementation visant cette personne si une telle procédure était susceptible de le toucher, même indirectement. Étant donné l'étendue des attributions de nombreux organismes de réglementation, leurs décisions sont susceptibles de toucher indirectement un grand nombre d'individus ayant un lien contractuel avec une personne visée par un règlement. Ainsi, toutes ces parties devraient recevoir avis de la procédure de réglementation. Ceci est particulièrement problématique étant donné la très grande difficulté de déterminer avec exactitude avant l'audition qui sont ces parties et vu la possibilité qu'en l'absence de tel avis, ces dernières pourraient contester la légalité de la décision de l'organisme de réglementation. Cela serait susceptible d'entraîner un nombre infini de contestations qui paralyseraient effectivement les organismes de réglementation. Par conséquent, la règle audi alteram partem ne devrait pas être interprétée de façon à exiger qu'un avis soit donné aux parties indirectement touchées par des procédures en matière de réglementation.

34 En revanche, même si j'ai tort et que le CRTC aurait normalement dû, en conformité avec la règle audi alteram partem, aviser TWU de la procédure en question, à mon avis, l'art. 72 de la Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications, L.R.C. (1985), ch. N‑20 («LNAT»), dispense effectivement le CRTC de cette obligation. L'article 72 LNAT se lisait ainsi au moment où la décision 92‑4 a été rendue:

72. Aussitôt que possible après qu'elle a reçu ou qu'il lui a été signifié un règlement, une ordonnance, des instructions, une décision, un avis, un rapport ou quelque autre document de la part du ministre, de la Commission, ou de l'ingénieur‑inspecteur, toute compagnie doit les porter à la connaissance de chacun des membres de son personnel qui remplissent des fonctions que ces pièces concernent ou peuvent concerner, soit en leur remettant une copie, soit en en affichant une copie là où ils doivent accomplir leurs travaux ou leurs fonctions, ou une partie de leurs travaux ou fonctions.

Cet article a pour effet de dégager le CRTC de toute responsabilité d'aviser TWU de la procédure en question. L'article 72 impose plutôt cette obligation à BC Tel. Or, ce transfert de responsabilité serait dénué de sens si une décision du CRTC pouvait tout de même être contestée pour le motif que TWU n'a pas été notifié de la procédure. À mon sens, l'art. 72 devrait être interprété comme mettant les décisions du CRTC à l'abri de toute contestation fondée sur le motif qu'une personne visée par un règlement (soit BC Tel) a omis d'aviser ses employés de la procédure. Dans un tel cas, il conviendrait plutôt de permettre aux employés de demander une nouvelle audition au CRTC comme le permet l'art. 66 LNAT qui s'appliquait alors:

66. La Commission peut réviser, abroger ou modifier ses ordonnances ou décisions, ou peut entendre à nouveau une demande qui lui est faite, avant de rendre sa décision.

En conséquence, la réparation ouverte aux employés serait équivalente à celle qui s'offre à la partie ayant reçu un avis insuffisant de la part du CRTC en application de l'art. 74 LNAT. Au moment où les événements donnant naissance à la présente procédure se sont déroulés, l'art. 74 LNAT se lisait comme suit:

74. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, lorsque la Commission est autorisée à entendre une requête, plainte ou contestation, ou à prendre une ordonnance, après avoir donné avis aux parties intéressées, elle peut, pour cause d'urgence ou pour toute autre raison qui lui paraît suffisante, nonobstant le défaut ou l'insuffisance de cet avis, prendre une ordonnance ou une décision dans l'affaire comme si l'avis eût été régulièrement donné à toutes les parties; cette ordonnance ou décision est à tous égards aussi valable et exécutoire que si l'avis eût été régulier.

(2) Toute compagnie ou personne qui a droit à un avis et à laquelle un avis suffisant n'a pas été donné peut, à toute époque dans les dix jours qui suivent le moment où elle a eu connaissance de cette ordonnance ou décision, ou dans tel délai plus long que la Commission peut lui accorder, demander à la Commission de modifier ou abroger cette ordonnance ou décision; la Commission doit alors, après tel avis aux autres parties intéressées qu'elle juge à propos de donner, entendre cette demande et modifier ou abroger cette ordonnance ou décision, ou renvoyer cette demande, suivant qu'il lui paraît juste et équitable.

35 Pour tous ces motifs, ce moyen d'appel doit être rejeté.

Omission de respecter la politique du CRTC

36 TWU soutient, dans un deuxième temps, que le CRTC a commis une erreur de droit et excédé sa compétence en faisant défaut de respecter une présumée politique de déférence à l'égard des décisions des conseils d'arbitrage constitués par les parties relativement à l'affaire.

37 À mon avis, ce moyen d'appel est sans aucun fondement. Premièrement, le CRTC n'a jamais adopté de politique de déférence à l'égard des décisions de ces conseils d'arbitrage. TWU invoque des passages comme ceux qui suivent à l'appui de l'existence d'une telle politique:

B.C. Tel a prétendu que l'article XXI de sa convention collective avec la Union Telecommunications Workers (sic) l'empêchait de faire effectuer des travaux par contrat à l'extérieur, mais la clause en question ne semble pas l'empêcher de permettre à une tierce partie d'installer son propre matériel à ses frais. [Décision Télécom CRTC 78‑6, 28 juillet 1978, à la p. 27.]

[traduction] Comme le conseil d'arbitrage n'a pas dit que la convention collective ne permettrait pas le travail envisagé dans ces décisions [Décisions Télécom CRTC 78‑6 et 79‑22], il ne semble y avoir aucun motif de changer le statu quo. Le Conseil ordonne en conséquence à BC Tel de permettre aux entreprises de télédistribution de faire le travail de bobinage nécessaire à l'installation de leur câble coaxial sur les structures de soutènement de B.C. Tel conformément aux termes de l'Accord. [Lettre‑décision du CRTC, 28 juillet 1987, à la p. 5.]

Ces passages n'établissent toutefois pas véritablement l'existence d'une politique de déférence à l'égard des conseils d'arbitrage. J'estime, comme l'intimée Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd., que ces commentaires étaient simplement incidents et destinés à répondre aux prétentions de BC Tel et de TWU. Deuxièmement, il ne serait pas approprié que le CRTC adopte une politique générale de déférence à l'égard d'un conseil d'arbitrage puisqu'il s'agirait alors d'une délégation irrégulière des pouvoirs discrétionnaires du CRTC ou d'une entrave à ceux‑ci.

Dispositif

38 Pour ces motifs, je rejetterais le pourvoi, avec dépens dans toutes les cours.

Pourvoi rejeté avec dépens, le juge en chef Lamer et les juges Sopinka et Cory sont dissidents.

Procureurs de l'appelant: Shortt, Moore & Arsenault, Vancouver.

Procureur de l'intimé le CRTC: Le contentieux du CRTC, Hull.

Procureurs de l'intimée Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd.: McCarthy Tétrault, Toronto.

Procureurs de l'intimée British Columbia Telephone Co.: Farris, Vaughan, Wills & Murphy, Vancouver.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit administratif - Audi alteram partem - Omission de donner avis - Décision du CRTC déterminant qui pouvait effectuer les travaux d'installation sur les structures de soutènement de la compagnie de téléphone - Droits des employés de la compagnie de téléphone compromis par la décision du CRTC - Le CRTC a‑t‑il excédé sa compétence en omettant d'aviser le syndicat de la tenue de son audience? - Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications, L.R.C. (1985), ch. N‑20, art. 66, 72, 74.

Ce pourvoi, qui a été entendu en même temps que le pourvoi connexe British Columbia Telephone Co. c. Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd., [1995] 2 R.C.S. 739 («BC Tel»), et procède des mêmes faits, concerne une demande de contrôle judiciaire de la part du TWU relativement à la même décision du CRTC que celle qui était contestée dans BC Tel. La Cour d'appel fédérale a rejeté la demande du fait de sa décision dans BC Tel. Le pourvoi soulève deux questions, à savoir: (1) si le CRTC a excédé sa compétence en omettant de donner avis au TWU de la demande et de la procédure à l'origine de la décision du CRTC, et (2) si le CRTC a commis une erreur de droit et excédé sa compétence en rendant la décision en question du fait qu'il n'aurait pas suivi une politique établie de retenue à l'égard des décisions des conseils d'arbitrage constitués par BC Tel et le TWU relativement à l'aire de travail des employés de BC Tel.

Arrêt (le juge en chef Lamer et les juges Sopinka et Cory sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.

Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier, Iacobucci, McLachlin et Major: La règle audi alteram partem ne commandait pas que le TWU soit avisé de l'audience du CRTC. Le TWU n'était pas une partie, ni n'avait‑il un intérêt direct dans l'affaire soumise au tribunal. La décision du CRTC concernait une politique en matière de télécommunications, non de relations du travail, et la considération de «l'aire de travail» du TWU n'aurait pas été pertinente quant à cette décision. La règle audi alteram partem ne devrait pas être interprétée de façon à exiger qu'un avis soit donné aux parties indirectement touchées par des procédures en matière de réglementation. Quoi qu'il en soit, même si, normalement, le CRTC aurait dû, en conformité avec cette règle, aviser le TWU de la procédure, l'art. 72 de la Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications dispense le CRTC de cette obligation et impose à BC Tel l'obligation d'aviser le TWU. Cette disposition devrait être interprétée comme mettant les décisions du CRTC à l'abri de toute contestation fondée sur le motif qu'une personne visée par un règlement a omis d'aviser ses employés de la procédure. Dans un tel cas, il conviendrait de permettre aux employés de demander une nouvelle audience au CRTC comme le permet l'art. 66 de la Loi. Enfin, le CRTC n'a pas commis d'erreur de droit ni excédé sa compétence en faisant défaut de respecter une politique de déférence à l'égard des décisions des conseils d'arbitrage. Le CRTC n'a jamais adopté pareille politique et il ne serait pas approprié qu'il en adopte une puisqu'il s'agirait alors d'une délégation irrégulière de ses pouvoirs discrétionnaires ou d'une entrave à ceux‑ci.

Le juge en chef Lamer et les juges Sopinka et Cory (dissidents): Compte tenu des circonstances uniques de la présente affaire, l'omission de donner au TWU un avis de la procédure soumise au CRTC a entraîné un déni de justice naturelle. Aux termes de la convention collective conclue entre le TWU et BC Tel, tout travail ayant trait à l'entretien, à la réparation ou à la construction de la structure de soutènement de BC Tel est confié exclusivement aux membres du TWU. Bien que le CRTC s'intéresse particulièrement à la politique en matière de télécommunications, conformément à son mandat, il savait très bien que, quant à la question même de savoir qui avait le droit d'effectuer le travail sur la structure de soutènement de BC Tel, sa décision était susceptible d'avoir un impact sévère sur l'aire de travail réservée aux membres du TWU et de toucher ainsi directement les droits du syndicat et de ses membres. S'il est vrai que ce serait imposer un fardeau peut‑être trop lourd aux organismes de réglementation que d'exiger qu'ils avisent tout individu ayant un lien contractuel avec une partie visée par un règlement, un avis doit être donné dans les cas où, comme en l'espèce, le tribunal administratif doit, en fait, se pencher sur un aspect clé du contrat qui se rapporte directement aux droits d'un tiers. La décision du CRTC aurait une conséquence directe sur la viabilité d'une disposition donnée de la convention collective. Dans pareil cas, on ne saurait soutenir que l'intérêt était indirect uniquement parce qu'il procédait d'un contrat. Du reste, les problèmes que pourrait en pratique provoquer l'obligation d'aviser les individus qui ont un lien contractuel avec une partie assujettie à la réglementation ne se posent pas en l'espèce. Comme le TWU était partie à une procédure soumise antérieurement au CRTC, où la question posée était essentiellement identique, le CRTC savait que le syndicat avait un intérêt tout aussi important dans la demande ayant abouti à la décision contestée. Contraindre le CRTC à aviser le TWU n'aurait donc engendré aucune difficulté d'ordre pratique.

Rien dans la Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications ne dispense le CRTC de son obligation d'aviser le TWU conformément à la règle audi alteram partem. L'article 72, suivant lequel toute partie intéressée par une procédure est tenue d'en aviser les membres de son personnel, ne dégage pas un tribunal administratif de son obligation de respecter les principes de justice naturelle. Bien qu'en général, l'employeur soit le mieux placé pour déterminer si les intérêts de ses employés sont en jeu, dans les cas où le CRTC sait que les membres du personnel d'une partie seront directement touchés par la procédure, les règles de justice naturelle le contraignent à faire en sorte qu'un avis soit donné, quelles que soient les obligations de l'employeur sous le régime de la Loi. L'article 66 de la Loi ne prévoit pas la réparation qu'il convient d'accorder aux employés qui n'ont pas été avisés. Lorsque la justice naturelle commande qu'une partie soit avisée et que le tribunal ne respecte pas cette obligation, la partie lésée peut demander le contrôle judiciaire de la décision. Il ne convient pas de demander subsidiairement que le tribunal, à sa discrétion, entende à nouveau la demande après qu'il se soit prononcé à cet égard. L'article 74 de la Loi ne s'applique que lorsque, «pour cause d'urgence ou pour toute autre raison», le CRTC décide d'aller de l'avant dans une affaire sans qu'avis soit donné. Ce n'était pas le cas en l'espèce. Aussi, l'art. 74 n'a‑t‑il aucune application.


Parties
Demandeurs : Telecommunications Workers Union
Défendeurs : Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications)

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge L'Heureux‑Dubé
Arrêts mentionnés: British Columbia Telephone Co. c. Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd., [1995] 2 R.C.S. 739
Canadian Transit Co. c. Canada (Commission des relations de travail dans la Fonction publique), [1989] 3 C.F. 611.
Citée par le juge Sopinka (dissident)
British Columbia Telephone Co. c. Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd., [1995] 2 R.C.S. 739
Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735
Assoc. des résidents du Vieux St‑Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170
Canadian Transit Co. c. Canada (Commission des relations de travail dans la Fonction publique), [1989] 3 C.F. 611
Alliance des professeurs catholiques de Montréal c. Quebec Labour Relations Board, [1953] 2 R.C.S. 140.
Lois et règlements cités
Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications, L.R.C. (1985), ch. N‑20 [abr. 1993, ch. 38, art. 130], art. 66, 72, 74.

Proposition de citation de la décision: Telecommunications Workers Union c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications), [1995] 2 R.C.S. 781 (22 juin 1995)


Origine de la décision
Date de la décision : 22/06/1995
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1995] 2 R.C.S. 781 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1995-06-22;.1995..2.r.c.s..781 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award