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27/01/1995 | CANADA | N°[1995]_1_R.C.S._254

Canada | R. c. Bernshaw, [1995] 1 R.C.S. 254 (27 janvier 1995)


R. c. Bernshaw, [1995] 1 R.C.S. 254

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Nathen Bernshaw Intimé

Répertorié: R. c. Bernshaw

No du greffe: 23748.

Audition et jugement: 7 octobre 1994.

Motifs déposés: 27 janvier 1995.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1993), 85 C.C.C. (3d) 404, 28 B.C.A.C. 247, 47 W.A

.C. 247, 48 M.V.R. (2d) 246, qui a infirmé une décision du juge Millward, qui avait confirmé la déclaration de culpabilité...

R. c. Bernshaw, [1995] 1 R.C.S. 254

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Nathen Bernshaw Intimé

Répertorié: R. c. Bernshaw

No du greffe: 23748.

Audition et jugement: 7 octobre 1994.

Motifs déposés: 27 janvier 1995.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1993), 85 C.C.C. (3d) 404, 28 B.C.A.C. 247, 47 W.A.C. 247, 48 M.V.R. (2d) 246, qui a infirmé une décision du juge Millward, qui avait confirmé la déclaration de culpabilité de l'accusé, prononcée par le juge MacKenzie de la Cour provinciale, pour avoir eu la garde ou le contrôle d'un véhicule à moteur avec une alcoolémie de plus de ,08. Pourvoi accueilli.

William F. Ehrcke, pour l'appelante.

Robert A. Higinbotham, pour l'intimé.

Version française des motifs du juge en chef Lamer et des juges Cory et Iacobucci rendus par

1 Le juge Cory — La question soulevée dans le présent pourvoi porte sur la façon dont les divers types de tests de détection (le test ALERT) devraient être administrés. Plus particulièrement, lorsqu'un policier soupçonne la présence d'alcool dans l'organisme d'un conducteur, doit‑il lui faire subir le test ALERT immédiatement ou doit‑il attendre entre 15 et 20 minutes pour que toute trace possible d'alcool dans la bouche puisse s'évaporer?

Le contexte factuel

2 Vers 22 h 35 un soir d'avril 1991, l'agent Mashford a remarqué une voiture qui circulait à une vitesse de 65 km/h dans une zone de 50 km/h. À deux reprises, il a vu la voiture aller du fond de l'accotement jusqu'au centre de la route, et les feux de freinage s'allumer et s'éteindre. Inquiet, il a intercepté le véhicule. À 22 h 36, le policier a demandé à l'intimé son permis de conduire et les documents d'immatriculation du véhicule. Il a décelé une odeur d'alcool exhalée par l'intimé, qui avait les yeux rouges et vitreux. Le policier a demandé à l'intimé s'il avait consommé de l'alcool et celui‑ci lui a répondu par l'affirmative. Il a alors ordonné à l'intimé de se soumettre à un test ALERT. L'intimé a obtempéré. L'appareil de détection, un alcoomètre S‑L2, a enregistré un «échec».

3 Le policier a indiqué que c'est à ce moment qu'il s'est fait l'opinion que la capacité de l'intimé de conduire un véhicule à moteur était affaiblie par l'effet de l'alcool. Après avoir pris cette décision, le policier a dit qu'il avait lu à l'intimé l'ordre type de se soumettre à un alcootest, qu'il l'avait informé de ses droits en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés et qu'il lui avait communiqué l'existence des services d'aide juridique et d'avocats de garde. L'intimé a été conduit au poste de police. On lui a alors remis une liste des avocats de l'aide juridique et on l'a informé qu'il pouvait faire un appel téléphonique s'il le désirait. L'intimé a explicitement refusé d'appeler un avocat et il a fourni deux échantillons d'haleine, à 18 minutes d'intervalle, qui ont tous deux indiqué un alcoolémie dépassant de beaucoup la limite prévue de ,08.

4 M. Benny Wong, en qualité d'expert, a témoigné en faveur de l'intimé relativement aux procédures entourant l'alcootest et le test de détection. Il a indiqué que la présence de traces d'alcool dans la bouche d'une personne soumise à un test pouvait faussement élever le résultat sur l'appareil de détection. M. Wong a aussi indiqué que les policiers avaient été informés qu'ils devaient déterminer le moment de la dernière consommation et qu'ils devaient, dans le cas où ils n'étaient pas en mesure de le faire, attendre 15 minutes avant de faire subir un test au moyen de l'appareil de détection approuvé.

5 On a également déposé en preuve le manuel du fabricant de l'appareil ALERT, dans lequel il est mentionné d'une part, que des traces d'alcool dans la bouche peuvent faussement élever la lecture obtenue et d'autre part, qu'une lecture élevée et inexacte risque d'être obtenue si le conducteur a éructé ou régurgité. Dans chacun de ces cas, le fabricant recommandait une période d'attente de 20 minutes avant de faire subir le test ALERT.

6 En l'espèce, le policier n'a pas été interrogé sur la formation qu'il avait reçue. Plus particulièrement, on ne lui a pas demandé s'il avait été informé qu'il devait s'enquérir du moment où le conducteur avait pris sa dernière consommation ou attendre 15 minutes avant de faire subir le test. Par contre, on n'a pas présenté de preuve qui indiquerait que l'intimé avait pris une consommation dans les 15 minutes précédant le test ALERT.

7 L'intimé soutient que les résultats de l'alcootest devraient être écartés parce que le policier n'avait pas les motifs raisonnables requis pour lui ordonner de se soumettre à ce test. On a soutenu que le policier n'avait pas les motifs nécessaires de le faire parce qu'il savait ou aurait dû savoir que l'échec enregistré sur l'appareil de détection pouvait être inexact à cause de la présence de traces d'alcool dans la bouche. Néanmoins, le juge du procès a admis les résultats de l'alcootest et a déclaré l'intimé coupable d'avoir eu la garde ou le contrôle d'un véhicule à moteur avec une alcoolémie de «plus de ,08», en contravention de l'al. 253b) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46. L'appel de la déclaration de culpabilité par procédure sommaire a été rejeté. Cependant, la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a annulé la déclaration de culpabilité et rendu un verdict d'acquittement: (1993), 85 C.C.C. (3d) 404, 28 B.C.A.C. 247, 47 W.A.C. 247, 48 M.V.R. (2d) 246.

Les dispositions législatives pertinentes

Code criminel

253. Commet une infraction quiconque conduit un véhicule à moteur, un bateau, un aéronef ou du matériel ferroviaire, ou aide à conduire un aéronef ou du matériel ferroviaire, ou a la garde ou le contrôle d'un véhicule à moteur, d'un bateau, d'un aéronef ou de matériel ferroviaire, que ceux‑ci soient en mouvement ou non, dans les cas suivants:

a) lorsque sa capacité de conduire ce véhicule, ce bateau, cet aéronef ou ce matériel ferroviaire est affaiblie par l'effet de l'alcool ou d'une drogue;

b) lorsqu'il a consommé une quantité d'alcool telle que son alcoolémie dépasse quatre‑vingts milligrammes d'alcool par cent millilitres de sang.

254. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article et aux articles 255 à 258.

«alcootest approuvé» Instrument d'un type destiné à recueillir un échantillon de l'haleine d'une personne et à en faire l'analyse en vue de déterminer l'alcoolémie de cette personne et qui est approuvé pour l'application de l'article 258 par un arrêté du procureur général du Canada.

. . .

«appareil de détection approuvé» Instrument d'un genre conçu pour déceler la présence d'alcool dans le sang d'une personne et approuvé pour l'application du présent article par un arrêté du procureur général du Canada.

. . .

(2) L'agent de la paix qui a des raisons de soupçonner la présence d'alcool dans l'organisme de la personne qui conduit un véhicule à moteur, un bateau, un aéronef ou du matériel ferroviaire, ou aide à conduire un aéronef ou du matériel ferroviaire, ou a la garde ou le contrôle d'un véhicule à moteur, d'un bateau, d'un aéronef, ou de matériel ferroviaire, que ceux‑ci soient en mouvement ou non, peut lui ordonner de lui fournir, immédiatement, l'échantillon d'haleine qu'il estime nécessaire pour l'analyser à l'aide d'un appareil de détection approuvé et de le suivre, si nécessaire, pour permettre de prélever cet échantillon.

(3) L'agent de la paix qui a des motifs raisonnables de croire qu'une personne est en train de commettre, ou a commis au cours des deux heures précédentes, par suite d'absorption d'alcool, une infraction à l'article 253 peut lui ordonner immédiatement ou dès que possible de lui fournir immédiatement ou dès que possible les échantillons suivants:

a) soit les échantillons d'haleine qui de l'avis d'un technicien qualifié sont nécessaires à une analyse convenable pour permettre de déterminer son alcoolémie;

. . .

Aux fins de prélever les échantillons de sang ou d'haleine, l'agent de la paix peut ordonner à cette personne de le suivre.

Les décisions d'instance inférieure

A. La Cour provinciale de la Colombie‑Britannique

8 Le juge MacKenzie a conclu que le ministère public n'était pas tenu d'établir que l'appareil de détection fonctionnait bien pour permettre à un policier de se fier à «l'échec» enregistré sur l'appareil. Le ministère public n'a pas non plus à présenter de preuve visant à déterminer ce que signifie l'enregistrement d'un «échec» sur lequel le policier peut se fonder pour établir qu'il avait des motifs raisonnables de croire que les facultés du conducteur étaient affaiblies.

9 Selon le juge MacKenzie, la preuve qui tend à établir que la fiabilité de l'appareil de détection est peut‑être réduite n'empêche pas un policier de s'y fier pour établir qu'il avait des motifs raisonnables de croire qu'une infraction a été commise. Il a conclu que [traduction] «puisque le législateur a formulé différemment les dispositions visant à permettre à un policier d'ordonner à une personne de se soumettre à un test ALERT ou à un alcootest, il voulait de toute évidence qu'il existe une différence entre ces deux procédures et leurs conséquences possibles»; et «c'est pourquoi [le par. 254(2)] exige que la personne obtempère immédiatement à l'ordre, alors que [le par. 254(3)] prévoit qu'elle doit le faire immédiatement ou dès que possible». Par ailleurs, «les conséquences d'un échec à l'un ou l'autre de ces tests sont extrêmement différentes».

10 Le juge MacKenzie se fonde sur les arrêts R. c. Grant, [1991] 3 R.C.S. 139, et R. c. Thomsen, [1988] 1 R.C.S. 640, pour conclure que le terme «immédiatement» au par. 254(2) du Code criminel signifie qu'un policier doit utiliser un appareil de détection approuvé sans attendre une période de 15 minutes. À son avis, [traduction] «cet inconvénient ou la possibilité d'obtenir une lecture faussement élevée est un prix raisonnable à payer lorsque l'on tente de lutter efficacement contre le problème de la conduite avec facultés affaiblies». Il a conclu que l'échec découlant de l'utilisation de l'appareil de détection approuvé avait donné au policier des motifs raisonnables d'ordonner au conducteur de se soumettre à un alcootest; enfin, puisqu'il n'y avait pas eu violation de la Charte, le juge MacKenzie a admis la preuve des résultats de l'alcootest.

B. La Cour suprême de la Colombie‑Britannique

11 Le juge Millward a conclu que le par. 254(2) devrait être interprété de façon à exiger qu'un policier prenne, dans les [traduction] «circonstances appropriées», des précautions raisonnables pour que l'appareil de détection approuvé donne vraisemblablement une lecture juste et convenable. Le juge Millward a conclu que [traduction] «c'est une interprétation juste et correcte découlant d'une interprétation simple et directe du libellé de la disposition». À son avis, le policier n'avait pas pris les mesures raisonnables pour s'assurer de l'exactitude du résultat parce qu'il n'a pas attendu 15 minutes pour permettre l'évaporation des traces d'alcool présentes dans la bouche.

12 Cependant, le juge Millward s'est cru obligé de suivre les lignes directrices établies dans l'affaire R. c. Gartrell (1992), 72 C.C.C. (3d) 51 (C.S.C.‑B.), dans laquelle on a statué que le policier doit procéder dès que possible au test s'il a un appareil de détection en sa possession au moment de la détention. Il a en conséquence confirmé la déclaration de culpabilité.

C. La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1993), 85 C.C.C. (3d) 404

1. Le juge Hutcheon

13 Le juge Hutcheon a indiqué que l'on ne pouvait, à partir de la preuve, affirmer que le policier avait des motifs raisonnables de croire que l'intimé avait commis une infraction à l'art. 253 [traduction] «justifiant l'ordre de fournir un échantillon d'haleine» (p. 410). À son avis, le policier a eu besoin du résultat négatif enregistré sur l'appareil avant que ses soupçons ne deviennent des motifs raisonnables; le juge conclut, à la p. 410:

[traduction] À mon avis, il s'ensuit que si «l'échec» risque, à la connaissance du policier, de ne pas être fiable, on ne peut affirmer qu'il avait des motifs raisonnables de croire qu'il était justifié de procéder à l'autre test. Il ne serait pas raisonnable qu'il ait cette croyance sur le fondement d'un résultat susceptible de ne pas être fiable.

. . .

À mon avis, l'omission par le policier de prendre les précautions nécessaires pour s'assurer de la fiabilité du test de détection m'amène à la conclusion qu'il n'avait pas de motifs raisonnables de donner l'ordre visé au par. 254(3). Il s'ensuit que les résultats de l'alcootest ne sont pas admissibles en preuve.

2. Le juge en chef McEachern (motifs concordants)

14 Selon le juge en chef McEachern, le juge Hutcheon est arrivé à un résultat juridiquement correct parce que le libellé du Code criminel et les éléments de preuve déposés au procès [traduction] «ne laissent place à aucune autre conclusion» (p. 405). À son avis, le Code criminel établit une procédure d'obtention d'un échantillon d'haleine pour analyse, qui doit être respectée pour que les résultats de l'analyse puissent devenir admissibles au procès. Il a conclu, aux pp. 406 et 407:

[traduction] . . . le policier a clairement dit que ce n'est qu'au moment où l'appareil a indiqué un «échec» qu'il s'est fait l'opinion qu'une infraction avait été commise.

En conséquence, il s'ensuit que le policier n'était pas fondé à demander le second échantillon pour analyse, et les résultats de cette analyse n'étaient «donc» pas admissibles.

Les juges des juridictions inférieures ont conclu que le par. 254(3) du Code exige que l'échantillon d'haleine soit fourni dès que possible. Avec égards, il s'agit d'une toute autre question. En l'absence de motifs raisonnables, l'ordre de fournir un échantillon n'est aucunement justifié.

Cependant, je ne voudrais pas que l'on croit qu'à mon avis la police, en l'absence de renseignements sur le moment de la dernière consommation, ne peut détenir un conducteur suspect avant l'écoulement de la période requise. [. . .] J'affirme seulement que la police ne peut se servir d'un résultat douteux comme le fondement des motifs raisonnables à l'appui d'un ordre de se soumettre à un alcootest. [En italique dans l'original.]

Les questions en litige

1.La Cour d'appel a‑t‑elle commis une erreur de droit en affirmant que le par. 254(2) du Code criminel exigeait qu'un agent de la paix, soit détermine le moment de la dernière consommation, soit attende 15 minutes avant de faire subir un test au moyen d'un appareil de détection approuvé?

2.La Cour d'appel a‑t‑elle commis une erreur de droit en statuant qu'un agent de la paix ne peut, sauf s'il a déterminé quand le conducteur a pris sa dernière consommation ou s'il a attendu 15 minutes avant de lui faire subir un test au moyen d'un appareil de détection approuvé, se fonder sur un échec enregistré par cet appareil pour lui ordonner de se soumettre à un alcootest en vertu du par. 254(3) du Code criminel?

3.La Cour d'appel a‑t‑elle commis une erreur de droit en statuant, contrairement à ce qui avait été établi par l'arrêt Rilling c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 183, que les résultats d'une analyse des échantillons d'haleine effectuée au moyen d'un alcootest approuvé sont automatiquement inadmissibles en preuve si le ministère public n'a pas établi que le policier qui a ordonné le prélèvement des échantillons d'haleine avait des motifs raisonnables de le faire comme l'exige le par. 254(3) du Code criminel?

Analyse

15 En vertu du par. 254(2) du Code criminel, lorsqu'un policier soupçonne la présence d'alcool dans l'organisme d'un conducteur, il peut lui ordonner de lui fournir «immédiatement» un échantillon d'haleine pour un alcootest ALERT. La question est de savoir si le terme «immédiatement» signifie tout de suite ou si ce terme peut, dans certaines circonstances, comporter un délai de 15 minutes. Pour répondre à cette question, je dois à la fois examiner la gravité du problème causé par l'alcool au volant ainsi que les dispositions du Code criminel adoptées pour y remédier.

Les problèmes de l'alcool au volant

16 Chaque année, l'ivresse au volant entraîne énormément de décès, de blessures, de peine et de destruction. Au plan numérique seulement, l'ivresse au volant a une plus grande incidence sur la société canadienne que tout autre crime. Du point de vue des décès et des blessures graves donnant lieu à l'hospitalisation, la conduite avec facultés affaiblies est de toute évidence le crime qui cause la plus grande perte sociale au pays. À cet égard, Statistique Canada a récemment fait remarquer:

La conduite avec facultés affaiblies est un crime grave. Chaque année, des milliers de canadiens meurent dans des accidents de la route et beaucoup plus s'y blessent. On associe en moyenne 43% de ces accidents à la consommation d'alcool (Fondation de recherches sur les blessures de la route -- D. R. Mayhew et al. [Alcohol Use Among Persons Fatally Injured in Motor Vehicle Accidents: Canada 1990] 1992, p. 33).

(«Conduite avec facultés affaiblies — Canada, 1991» (1992), 12:17 Juristat 1, à la p. 2.)

17 Statistique Canada a rassemblé toute une gamme de données sur l'ensemble des accidents de la route. Entre 1983 et 1991, il y a eu 41 000 décès attribuables à des accidents de la circulation au Canada. La route a également fait deux millions et demi de blessés: «Conduite avec facultés affaiblies -- Canada, 1992» (1994), 14:5 Juristat 1. En 1992, au total 3 289 décès étaient attribuables à des accidents impliquant des véhicules à moteur: Causes de décès 1992 (1994), aux pp. 246 à 251. Ce chiffre comprend les conducteurs, les passagers, les cyclistes et les piétons. En 1987, les blessures résultant d'accidents de la route ont nécessité 762 000 jours d'hospitalisation et donné lieu à 12 millions de jours de perte d'activité et d'emploi: Accidents au Canada (1991), aux pp. 63 à 66.

18 Selon Statistique Canada, l'alcool est un facteur contributif dans 43 pour 100 des accidents de véhicules à moteur entraînant la mort et des blessures. Si l'on interprète les statistiques générales sur les accidents de la circulation de Statistique Canada relativement à ce pourcentage de 43 pour 100, il semblerait que la consommation d'alcool ait été un facteur contributif dans les cas suivants:

‑quelque 17 630 décès entre 1983 et 1991;

‑approximativement 1 075 000 personnes blessées entre 1983 et 1991;

‑environ 1 414 décès additionnels (dont des conducteurs, des passagers, des cyclistes et des piétons) en 1992;

‑327 660 jours d'hospitalisation en 1987; et

‑5 160 000 jours de perte d'activité et d'emploi en 1987.

19 Ces chiffres rébarbatifs indiquent de façon discrète mais choquante les effets tragiques et dévastateurs de l'alcool au volant. Les coûts sociaux de ce crime, si élevés soient‑ils, sont faibles quand on les compare aux pertes personnelles que ce crime cause aux personnes qui en sont victimes en raison du décès et des blessures de personnes chères. La gravité du problème et son incidence sur la société canadienne sont si importantes que le Code criminel a été modifié dans le but d'éliminer le problème ou, tout au moins, de le réduire.

Les dispositions du Code criminel visant à éliminer ou à réduire le problème

20 Pour remédier à ce problème, le législateur a adopté un régime législatif en deux étapes, respectivement les par. 254(2) et (3) du Code criminel, comme moyen de vérifier si les facultés des conducteurs sont affaiblies. En termes fort simplifiés, on peut dire que la première étape offre un moyen de découvrir les conducteurs dont les facultés sont affaiblies. C'est un examen préliminaire visant à déterminer si un conducteur peut constituer un danger pour le public à cause de l'alcool qu'il a consommé. À la seconde étape, il s'agit de déterminer précisément l'alcoolémie du conducteur. C'est seulement à cette seconde étape que l'on examinera si l'alcoolémie est supérieure à la limite établie, auquel cas la personne a commis une infraction criminelle.

21 Les appareils de détection ALERT sont simplement des instruments approuvés par le législateur qui sont utilisés au cours de la première étape. Ces appareils offrent un moyen de détection rapide. Les conducteurs qui le subissent sont ensuite classés en deux groupes: ceux qui ont de l'alcool dans leur organisme et ceux qui n'en ont pas ou qui en ont peu. Dans ce régime législatif, le législateur a reconnu la nécessité d'établir un équilibre entre les préoccupations opposées que sont la précision du test et l'absence d'inconvénient pour l'ensemble du grand public visé. Le test ALERT utilisé comme instrument d'enquête cause manifestement beaucoup moins d'inconvénients à un conducteur que l'alcootest. Le conducteur qui échoue au test ALERT n'encourt pas de responsabilité criminelle mais peut se voir contraint de subir le test plus exact prévu au par. 254(3) du Code criminel.

22 C'est l'alcootest qui permet d'établir la responsabilité criminelle. Comme on pouvait s'y attendre, des procédures détaillées, exposées à l'art. 258, régissent l'administration de ce test. Cette disposition prévoit que les échantillons d'haleine doivent être prélevés dès qu'il est matériellement possible de le faire après la perpétration de l'infraction. Le premier échantillon doit être prélevé dans les deux heures de la perpétration de l'infraction. Un intervalle d'au moins 15 minutes doit s'écouler avant le deuxième test et chacun des autres par la suite. Cette procédure permettra à la police de suivre et d'observer l'accusé et de s'assurer de l'exactitude du résultat.

Comment devrait être administré le test ALERT pour que l'échantillon soit fourni «immédiatement»?

23 Le paragraphe 254(2) du Code criminel prévoit que le test ALERT doit être effectué «immédiatement». On doit déterminer le sens de ce terme en examinant tout d'abord sa place dans le contexte de l'ensemble du régime législatif destiné à découvrir les conducteurs dont les facultés sont affaiblies. La procédure d'enquête en deux étapes prévue aux par. 254(2) et (3) et le test ALERT lui‑même se veulent à la fois utiles pour la police et sans inconvénient pour les conducteurs. Le test ALERT est un appareil de détection portatif qui fournit promptement des résultats. Il permet aux policiers de confirmer ou de rejeter rapidement leurs soupçons que les facultés d'un conducteur sont affaiblies par l'effet de l'alcool. En outre, cet instrument permet aux conducteurs qui «réussissent» le test de poursuivre leur chemin avec un minimum d'inconvénients. L'ensemble du test ALERT repose sur le concept qu'un conducteur sera détenu pendant une très courte période. Notre Cour a en fait reconnu que le test ALERT doit être administré immédiatement et que la détention en vertu du par. 254(2) peut se justifier en vertu de l'article premier de la Charte précisément en raison de sa très courte durée.

24 Dans l'arrêt R. c. Grant, précité, notre Cour a examiné le sens du terme «immédiatement» utilisé au par. 254(2) du Code criminel. Dans cette affaire, un agent de la GRC avait arrêté un conducteur dont il soupçonnait que les facultés étaient affaiblies et lui a alors ordonné de lui fournir un échantillon d'haleine. Le policier n'avait pas l'appareil ALERT avec lui et a dû attendre 30 minutes avant de le recevoir et de procéder au test. Notre Cour a statué qu'un tel délai n'était pas conforme au par. 254(2) parce que l'alcootest n'avait pas été administré «immédiatement». Nous avons statué que le terme «immédiatement» signifie «tout de suite». Voici à cet égard les commentaires du juge en chef Lamer à la p. 150:

À mon avis, les gestes du policier en l'espèce ne se situent pas dans le contexte du par. 238(2) [maintenant le par. 254(2)]. L'ordre donné n'était pas celui qui est autorisé par le par. 238(2), savoir que M. Grant fournisse «immédiatement» un échantillon d'haleine. [. . .] Rien dans le contexte du par. 238(2) ne permet d'attribuer au mot «immédiatement» un sens différent de celui que lui donne habituellement le dictionnaire, soit que l'échantillon d'haleine doit être fourni tout de suite.

25 Pour déterminer s'il existe des motifs de s'écarter du sens ordinaire du terme «immédiatement», il est nécessaire d'examiner un certain nombre de facteurs. Premièrement, serait‑il compatible avec la Charte d'attendre une période de 15 minutes avant de procéder au test ALERT? Deuxièmement, qui serait touché par une définition élargie du terme «immédiatement»? Troisièmement, les tests ALERT devraient‑ils être effectués de façon uniforme ou devrait‑on donner une interprétation différente au terme «immédiatement» selon les circonstances?

1.Le sens du terme «immédiatement» compte tenu de l'al. 10b) de la Charte

26 Depuis l'arrêt R. c. Thomsen, précité, notre Cour a, à maintes reprises, statué qu'un conducteur, dont le véhicule est intercepté par un policier, se trouve en détention aux fins de l'al. 10b) de la Charte. Ce conducteur a en conséquence droit à l'assistance d'un avocat. Voir par exemple les arrêts R. c. Deruelle, [1992] 2 R.C.S. 663, à la p. 676; R. c. Grant, précité, aux pp. 149 et 150; R. c. Schmautz, [1990] 1 R.C.S. 398, aux pp. 409 et suiv. Dans l'arrêt R. c. Thomsen, notre Cour a reconnu que la violation du droit de l'accusé à l'assistance d'un avocat en contravention de l'al. 10b) de la Charte pouvait se justifier en vertu de l'article premier parce qu'il était urgent d'obtenir rapidement l'échantillon d'haleine pour en assurer l'efficacité. Le droit à l'assistance d'un avocat était incompatible à la fois avec l'utilisation efficace du test ALERT et avec l'objectif d'établir que la présence de la police arriverait à convaincre les conducteurs qui ont pris un verre qu'il existe de fortes chances qu'ils seront rapidement et facilement découverts. Selon notre Cour, l'emploi du terme «sur-le-champ» (ou «immédiatement») dans le contexte d'un test de détection routier indiquait clairement que le conducteur ne devait pas avoir l'occasion de communiquer avec un avocat. Le test devait être effectué tout de suite et le fait de l'échouer n'entraînait aucune conséquence pénale. C'est un appareil de détection utilisé pour la protection du public.

27 Bien que l'art. 234.1, examiné dans l'arrêt Thomsen, ait été légèrement modifié depuis, il demeure pratiquement identique au libellé actuel du par. 254(2). Dans le texte anglais de l'ancienne version, il était question d'un «approved roadside screening device», mais le terme «roadside» a été supprimé de la nouvelle version, qui s'applique maintenant non seulement aux véhicules à moteur mais aussi aux aéronefs, aux bateaux et au matériel ferroviaire. De toute évidence, le terme «roadside» ne peut plus permettre de déterminer le lieu où doit se trouver le véhicule ou celui de l'appareil de détection. Cependant, l'interprétation du terme «sur-le-champ» dans l'arrêt Thomsen n'a certainement pas été touchée par ces modifications. La disposition en question prévoit toujours que l'alcootest doit être administré rapidement à l'endroit où le conducteur est détenu, quel que soit l'endroit où le véhicule se trouve.

28 L'avocat de l'intimé soutient non seulement qu'il devrait y avoir une période d'attente de 15 à 20 minutes avant l'administration du test ALERT, mais aussi que le policier devrait, pendant cette période, informer le conducteur qu'il a droit à l'assistance d'un avocat. Cette affirmation illustre bien la faiblesse de son argument. On ne peut tout simplement pas dire qu'il faut procéder «immédiatement» à un test routier, c'est‑à‑dire tout de suite, et soutenir en même temps que le conducteur doit être détenu pendant une période suffisamment longue pour qu'il ait l'occasion d'avoir recours à l'assistance d'un avocat en vertu de l'al. 10b) de la Charte. Un tel délai sans possibilité d'avoir recours à l'assistance d'un avocat risquerait non seulement d'être incompatible avec l'al. 10b) de la Charte, mais aussi de ne pas être sauvegardé par l'article premier. Cela ne signifie pas que si, par le passé, un policier a attendu afin de faire subir un test ALERT qui soit exact, les résultats du test seront invalidés ou inadmissibles. L'adoption de la position de l'intimé créerait des conflits inutiles.

29 Lorsqu'une loi donne ouverture à plus d'une interprétation, dont l'une est constitutionnelle et l'autre non, il faut adopter celle qui est compatible avec la Constitution. Voir les arrêts Severn c. The Queen (1878), 2 R.C.S. 70, à la p. 103; McKay c. The Queen, [1965] R.C.S. 798, aux pp. 803 et 804. À mon avis, il est compatible avec la Charte de donner au terme «immédiatement» le sens de «tout de suite» et c'est cette interprétation que l'on devrait en conséquence adopter. Cette conclusion se fonde sur la nature même du test ALERT qui, dans sa conception, n'est rien de plus qu'un appareil de détection préliminaire. C'est pourquoi il devrait être administré immédiatement tant pour la protection des autres usagers de la route que pour éviter les inconvénients aux conducteurs qui n'ont rien à craindre de ce test. Cette position s'appuie aussi sur un examen des circonstances relativement rares où le test ALERT administré immédiatement risque de donner lieu à des résultats inexacts.

2.Quels résultats risquent d'être modifiés par les traces d'alcool dans la bouche?

30 L'intimé ne soutient pas que le test ALERT présente un problème en soi, ni d'ailleurs qu'il faudrait attendre 15 minutes avant de faire subir chaque test ALERT. Il soutient plutôt qu'un tel délai permettrait à toute trace d'alcool dans la bouche de s'évaporer avant le test. Selon la preuve, il demeure des traces d'alcool dans la bouche pendant 15 à 20 minutes après la dernière consommation ou une éructation ou régurgitation. Il est reconnu que toute trace d'alcool dans la bouche s'évapore en 15 à 20 minutes.

31 On constate qu'il n'y aurait lieu d'attendre 15 minutes que si une personne a une indigestion ou si, ce qui est plus fréquent, elle juge bon de prendre un verre juste avant de prendre le volant. Il me semble tout à fait raisonnable d'affirmer que le conducteur qui prend un verre dans ces circonstances devrait être disposé à accepter les conséquences de son acte. Le test ALERT est un appareil de détection qui permet de découvrir les conducteurs qui ont pu consommer plus d'alcool que permis. Il peut donc confirmer qu'un policier a les motifs requis pour exiger d'un conducteur qu'il se soumette à un alcootest.

32 Si une personne a un taux résiduel d'alcool inhabituellement élevé dans la bouche parce qu'elle a pris un verre juste avant de prendre le volant, les résultats erronés du test ALERT seront rectifiés par l'alcootest, qui doit être précédé d'une période d'observation de 15 minutes avant d'être effectué. Tout inconvénient découlant de la nécessité de soumettre le conducteur à un alcootest résulte de ce qu'il a décidé de consommer de l'alcool juste avant de prendre le volant. Un conducteur dont les facultés sont affaiblies présente un danger mortel qu'il faut détecter et écarter de la circulation dès que possible. La possibilité de faire subir le test tout de suite aide à protéger le public en détectant les personnes susceptibles de constituer un danger. Dans l'intérêt de la sécurité du public, il faut accepter qu'il y aura des cas relativement rares où le test ALERT pourra donner des résultats erronés du fait que le conducteur a consommé de l'alcool juste avant de partir.

33 Cette exigence de se soumettre immédiatement au test ALERT devrait être considérée comme l'une des obligations qui découlent du droit de conduire. Dans l'arrêt Galaske c. O'Donnell, [1994] 1 R.C.S. 670, à la p. 686, notre Cour a affirmé que conduire un véhicule automobile n'est ni un droit naturel ni un droit constitutionnel. Il s'agit d'un privilège qui tient plutôt à la possession d'un permis. À chaque droit correspondent des obligations et des responsabilités. C'est le cas du droit de conduire accordé par l'attribution d'un permis. L'une des principales responsabilités d'un conducteur est de faire preuve de diligence raisonnable dans la conduite de son véhicule et, plus précisément, de conduire de façon à ne pas mettre le public en danger. Un conducteur dont les facultés sont affaiblies ne peut s'acquitter de cette obligation ou responsabilité puisqu'il constitue, par définition, un danger pour les autres. Pour s'acquitter de l'obligation qu'il a de ne pas mettre les autres en danger, le conducteur est tenu d'obtempérer à la demande raisonnable qu'un policier lui fait de fournir un échantillon d'haleine. Obtempérer à une demande raisonnable de se soumettre à un test ALERT est un très faible prix à payer pour le privilège de conduire.

3. Uniformité des procédures du test ALERT

34 Dans les arrêts R. c. Pierman; R. c. Dewald (1994), 19 O.R. (3d) 704, la Cour d'appel de l'Ontario a statué que les policiers devraient faire preuve de souplesse dans l'application du par. 254(2). La cour a affirmé que, en règle générale, un policier ne doit pas tarder à faire subir un test ALERT et il doit s'y consacrer tout de suite après avoir donné l'ordre à cette fin. De l'avis de la cour, cela est nécessaire pour que la disposition soit conforme à la Charte. Cependant, la cour a aussi affirmé que si un policier est d'avis qu'un échantillon d'haleine risque d'être contaminé par la présence d'alcool dans la bouche, il peut retarder l'ordre de fournir un échantillon d'haleine ou attendre 15 minutes avant de faire subir le test pour que puissent s'évaporer les traces d'alcool encore dans la bouche. On a reconnu qu'une certaine incompatibilité découle de cette démarche souple. Voici comment on l'exprime à la p. 711:

[traduction] Si [. . .] l'on nous disait qu'un policier a le droit d'attendre 15 minutes avant de prendre un échantillon d'haleine conformément au par. 254(2) du Code criminel seulement dans l'hypothèse où le suspect a pu consommer de l'alcool dans les 15 minutes qui précèdent, nous nous trouverions alors, à mon avis, à élargir sans raison les cas où l'on peut, en vertu de la loi, détenir un conducteur sans lui offrir l'assistance d'un avocat. Le législateur aurait pu établir un délai aux fins de l'application du par. 254(2), comme il l'a fait par exemple au sous‑al. 258(1)c)(ii) [pour l'alcootest]. À mon avis, il n'est pas loisible à notre cour d'élargir l'étendue d'une violation de la Charte au‑delà de ce qui est nécessaire pour donner effet à la disposition en question.

35 À mon avis, il n'y a pas lieu d'adopter cette démarche «souple». Premièrement, le libellé du Code n'indique pas qu'il faut attendre 15 minutes avant de faire subir au conducteur la procédure en deux étapes de détection et de contrôle visée aux par. 254(2) et (3). L'ensemble du régime se fonde sur une très brève période de détention et sur l'administration immédiate du test de détection. Aussi, un délai de 15 minutes serait incompatible avec la conclusion de l'arrêt R. c. Thomsen, précité, et il pourrait ne pas se justifier en vertu de l'article premier de la Charte. On ne saurait oublier qu'un échec au test ALERT n'entraîne aucune responsabilité criminelle. Tout au plus, le conducteur en question aura à se soumettre à l'alcootest qui permettra d'obtenir des résultats plus précis et de corriger tout résultat erroné auquel aurait donné lieu la présence de traces d'alcool dans la bouche. Compte tenu de l'ensemble de ces facteurs, il est préférable d'imposer un critère uniforme pour l'interprétation du terme «immédiatement». Il s'ensuit qu'un policier doit donner à une personne l'ordre de se soumettre à un test ALERT dès qu'il a des motifs raisonnables de soupçonner la présence d'alcool dans l'organisme.

36 Les faits en l'espèce font ressortir qu'il est important de faire subir un test immédiatement et montrent clairement que le test ALERT peut indiquer avec précision que les facultés d'un conducteur sont affaiblies. L'intimé a échoué au test ALERT. Selon les deux alcootests qui ont suivi, il avait un taux d'alcoolémie de 230 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang et de 210 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang. Ces résultats sont entre deux et trois fois plus élevés que la limite prévue par la loi. L'intimé représentait un danger très réel pour le public. À mon avis, il n'existe aucun motif valable de modifier l'interprétation uniforme du par. 254(2) par souci de commodité pour ceux qui risquent d'échouer au test ALERT parce qu'ils ont pris un verre immédiatement avant de prendre la route.

Motifs raisonnables

37 L'intimé soutient qu'un échec au test ALERT ne pouvait permettre d'établir les motifs raisonnables justifiant l'ordre de subir un alcootest en vertu du par. 254(3) du Code criminel. À son avis, ceci découle du fait que les policiers savaient ou auraient dû savoir que le test ALERT risquait de donner un résultat inexact à cause de la présence de traces d'alcool dans la bouche. L'agent Mashford a témoigné en ces termes: [traduction] «Lorsque j'ai vu que l'appareil [ALERT] avait enregistré un «échec», c'est à ce moment que je me suis fait l'opinion que la capacité de M. Bernshaw de conduire un véhicule à moteur était affaiblie par l'effet de l'alcool». Cependant, il avait observé d'autres symptômes de l'état d'ébriété de M. Bernshaw à partir desquels il aurait très bien pu conclure qu'il avait des motifs raisonnables d'ordonner à l'intimé de se soumettre à un test. Il l'avait vu conduire de façon irrégulière, il avait détecté chez lui une odeur d'alcool et il avait remarqué qu'il avait les yeux rouges et vitreux. En outre, l'intimé avait admis avoir consommé de l'alcool. À mon avis, ces symptômes auraient en soi constitué des motifs raisonnables de donner l'ordre en question à l'intimé.

38 Le policier voulait, d'une façon fort louable, que le test ALERT confirme ses observations et ses soupçons. Il ne lui était pas déraisonnable d'agir ainsi. Cependant, je tiens à faire remarquer que, afin de vérifier s'il avait les motifs raisonnables requis par le par. 253(3) en l'espèce, comme dans bien d'autres cas semblables, ses observations quant aux signes d'ivresse peuvent fort bien être suffisantes en soi pour servir de fondement aux motifs raisonnables justifiant d'ordonner à un conducteur de se soumettre à un alcootest. Par ailleurs, si, à partir de ses observations ou de renseignements fiables, un policier a des raisons de soupçonner la présence d'alcool dans l'organisme du conducteur, et lui ordonne de ce fait de se soumettre à un test ALERT, un échec au test peut en soi transformer les soupçons en motifs raisonnables d'ordonner au conducteur de se soumettre à un alcootest. En d'autres termes, lorsqu'un policier a, en fait, des raisons de soupçonner la présence d'alcool dans l'organisme, l'utilisation du test ALERT est justifié et le policier peut se fonder sur les résultats de ce test pour ordonner au conducteur de se soumettre à un alcootest. La simple possibilité que le test ALERT risque de donner des résultats inexacts en raison de la consommation d'alcool juste avant de conduire et dans les 15 minutes précédant le test ne suffit pas à invalider le caractère raisonnable de la croyance du policier fondée sur ces résultats.

Applicabilité de l'arrêt Rilling c. La Reine

39 Dans la présente affaire, le policier avait certainement des motifs raisonnables d'ordonner à l'intimé de se soumettre à un alcootest. En conséquence, il n'est pas strictement nécessaire d'examiner l'applicabilité de l'arrêt Rilling c. La Reine, précité. Cependant, les deux parties ont soulevé ce point et les cours d'appel semblent diverger d'opinions à ce sujet. Dans l'arrêt Rilling, notre Cour a statué que l'absence de motifs raisonnables d'ordonner l'alcootest n'était pas pertinent dans les cas où le conducteur avait, de toute façon, obtempéré à l'ordre. Notre Cour a adopté la position de la Cour d'appel, qui était exprimée dans les termes suivants, à la p. 198:

[traduction] J'estime que cette Cour doit faire siennes les opinions émises dans les affaires Orchard, Showell et Flegel, précitées, et conclure que l'absence de motifs raisonnables et probables de croire que la capacité de conduire du prévenu était affaiblie, bien que constituant un moyen de défense opposable à une accusation portée en vertu du par. (2) de l'art. 235 du Code pour avoir refusé de subir un alcootest, ne rend pas irrecevable le certificat de l'analyste dans le cas d'une accusation portée en vertu de l'art. 236 du Code. Le motif qui a incité un agent de la paix à faire une sommation en vertu du par. (1) de l'art. 235 n'est pas un élément pertinent lorsque l'on a obtempéré à cette sommation.

40 En l'espèce, la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a statué que l'arrêt Rilling ne constitue plus le droit applicable puisqu'il a été rendu avant l'adoption de la Charte.

41 À mon avis, la Cour d'appel a commis une erreur en adoptant cette position. Certes, la Charte est pertinente. Il est possible qu'un accusé puisse établir, selon la prépondérance des probabilités, que le prélèvement des échantillons d'haleine contrevient aux droits que lui garantit la Charte. Par exemple, on pourrait soutenir que le policier n'avait pas, comme la disposition l'exige, de motifs raisonnables d'ordonner l'alcootest, et que, dans ces circonstances, l'utilisation des résultats obtenus serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Dans ces circonstances, la preuve obtenue au moyen de l'alcootest pourrait ne pas être utilisée. Cependant, lorsqu'un accusé obtempère à l'ordre de se soumettre à un alcootest, le ministère public n'a pas à établir qu'il avait des motifs raisonnables de donner l'ordre en question. À mon avis, il appartient plutôt à l'accusé d'établir, selon la prépondérance des probabilités, qu'il y a eu violation de la Charte et que les éléments de preuve recueillis devraient être écartés conformément au par. 24(2). Les résultats des alcootests ne devraient pas être écartés automatiquement.

42 Plusieurs cours d'appel provinciales ont adopté comme position que l'arrêt Rilling est toujours applicable dans les circonstances appropriées. C'est‑à‑dire, que lorsque des échantillons d'haleine sont obtenus sans qu'il existe de motifs raisonnables d'en ordonner le prélèvement, les éléments de preuve recueillis devraient être écartés seulement si l'accusé en fait la demande conformément au par. 24(2) de la Charte. Voir R. c. McNulty (1991), 35 M.V.R. (2d) 27 (C.A. Ont.); R. c. Linttell (1991), 64 C.C.C. (3d) 507 (C.A. Alb.); R. c. Dwernychuk (1992), 77 C.C.C. (3d) 385 (C.A. Alb.), autorisation de pourvoi refusée, [1993] 2 R.C.S. vii; R. c. Marshall (1989), 91 N.S.R. (2d) 211 (C.A.); R. c. Langdon (1992), 74 C.C.C. (3d) 570 (C.A.T.‑N.); R. c. Leneal (1990), 68 Man. R. (2d) 127 (C.A.). Je crois que c'est la démarche qui devrait être adoptée.

Résumé

43 À mon avis, le terme «immédiatement» utilisé au par. 254(2) signifie «tout de suite». Les policiers doivent ordonner à un conducteur de se soumettre à un test ALERT dès qu'ils ont des raisons de soupçonner la présence d'alcool dans l'organisme et ils doivent procéder au test immédiatement lorsqu'ils donnent cet ordre. Le paragraphe 254(2) ne prévoit, n'exige ni n'inclut un délai de 15 minutes pour que toute trace possible d'alcool dans la bouche puisse s'évaporer, soit avant l'ordre de fournir un échantillon d'haleine soit avant de procéder au test. Cette conclusion repose sur un examen de la gravité du problème de l'alcool au volant, du régime établi dans le Code criminel pour découvrir les conducteurs dont les facultés sont affaiblies et les soumettre ensuite à un test, de la protection du public, de l'absence d'inconvénient pour les conducteurs qui peuvent poursuivre immédiatement leur chemin s'ils réussissent le test ALERT, de l'interprétation de la disposition de façon à respecter la Charte et, enfin, de la nature du risque de ne pas procéder immédiatement au test.

Dispositif

44 En définitive, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'annuler l'arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique et de rétablir la déclaration de culpabilité et la peine prononcées au procès.

Version française du jugement des juges La Forest, Sopinka, McLachlin et Major rendu par

45 Le juge Sopinka — J'ai lu les motifs du juge Cory et, à son instar, je suis d'avis qu'il y a lieu d'accueillir le pourvoi; cependant, en toute déférence, je ne souscris pas aux motifs sur lesquels il fonde sa décision. Dans les circonstances de l'espèce, le policier avait, à mon avis, des motifs raisonnables d'ordonner un alcootest compte tenu des résultats du test de détection et des autres indices d'ébriété. Cependant, je ne suis pas disposé à conclure qu'un «échec» suffit, en droit, à constituer des motifs raisonnables dans le cas où le policier est au courant de circonstances qui rendent non fiables les résultats du test.

46 En l'espèce, il n'y a aucune preuve de l'existence de telles circonstances. En effet, on n'a pas présenté de preuve quant au moment de la dernière consommation de l'intimé ni quant à d'autres circonstances qui auraient pour effet de rendre non fiables les résultats du test. Le policier était en droit de se fier à ces résultats pour se faire l'opinion qu'il existait des motifs raisonnables le justifiant d'ordonner un alcootest. C'est en fonction des circonstances de chaque cas qu'il faut décider si un agent de la paix a des motifs raisonnables de croire qu'une personne est en train de commettre une infraction, le justifiant d'ordonner un alcootest en vertu du par. 254(3) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. En conséquence, il s'agit essentiellement d'une question de fait et non de droit seulement.

I. Les dispositions législatives pertinentes

Code criminel

254. . . .

(2) L'agent de la paix qui a des raisons de soupçonner la présence d'alcool dans l'organisme de la personne qui conduit un véhicule à moteur, un bateau, un aéronef ou du matériel ferroviaire, ou aide à conduire un aéronef ou du matériel ferroviaire, ou a la garde ou le contrôle d'un véhicule à moteur, d'un bateau, d'un aéronef, ou de matériel ferroviaire, que ceux‑ci soient en mouvement ou non, peut lui ordonner de lui fournir, immédiatement, l'échantillon d'haleine qu'il estime nécessaire pour l'analyser à l'aide d'un appareil de détection approuvé et de le suivre, si nécessaire, pour permettre de prélever cet échantillon.

(3) L'agent de la paix qui a des motifs raisonnables de croire qu'une personne est en train de commettre, ou a commis au cours des deux heures précédentes, par suite d'absorption d'alcool, une infraction à l'article 253 peut lui ordonner immédiatement ou dès que possible de lui fournir immédiatement ou dès que possible les échantillons suivants:

a) soit les échantillons d'haleine qui de l'avis d'un technicien qualifié sont nécessaires à une analyse convenable pour permettre de déterminer son alcoolémie;

. . .

Aux fins de prélever les échantillons de sang ou d'haleine, l'agent de la paix peut ordonner à cette personne de le suivre.

II. Les questions en litige

47 Notre Cour doit examiner les questions suivantes:

1.La Cour d'appel a‑t‑elle commis une erreur de droit en statuant qu'un agent de la paix ne peut, sauf s'il a déterminé quand le conducteur a pris sa dernière consommation ou s'il a attendu 15 minutes avant de lui faire subir un test au moyen d'un appareil de détection approuvé, se fonder sur un échec enregistré par cet appareil pour lui ordonner de se soumettre à un alcootest en vertu du par. 254(3) du Code criminel?

2.Quelle est l'interprétation à donner au terme «immédiatement» au par. 254(2) du Code criminel? Plus particulièrement, est‑il approprié d'affirmer que cette expression signifie qu'un agent de la paix doit soit déterminer le moment de la dernière consommation, soit attendre 15 minutes avant de faire subir un test au moyen d'un appareil de détection approuvé?

III. Analyse

A.Un «échec» fournit‑il en soi des motifs raisonnables d'ordonner un alcootest?

48 En vertu du Code criminel, lorsqu'un policier a des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis une infraction à l'art. 253 du Code, il peut lui ordonner de se soumettre à un alcootest. L'existence de motifs raisonnables comporte un élément objectif et un élément subjectif. En effet, en vertu du par. 254(3) du Code, le policier doit subjectivement croire sincèrement que le suspect a commis l'infraction et, objectivement, cette croyance doit être fondée sur des motifs raisonnables: R. c. Callaghan, [1974] 3 W.W.R. 70 (C. dist. Sask.); R. c. Belnavis, [1993] O.J. No. 637 (Div. gén.) (QL); R. c. Richard (1993), 12 O.R. (3d) 260 (Div. prov.); voir également R. c. Storrey, [1990] 1 R.C.S. 241, relativement aux motifs raisonnables exigés dans le contexte d'une arrestation.

49 Il est clair que le législateur a établi un régime législatif qui permet au policier de faire subir un test de détection lorsqu'il a simplement des raisons de soupçonner la présence d'alcool dans l'organisme d'une personne. Ce test vise de toute évidence à aider le policier à fournir les motifs raisonnables le justifiant d'ordonner un alcootest. Le test de détection routier est un moyen utile de confirmer ou de rejeter un soupçon relativement à la perpétration d'une infraction de conduite avec facultés affaiblies en contravention de l'art. 253 du Code. Le policier peut tenir compte d'un «échec» ainsi que de tout autre signe d'ébriété pour déterminer qu'il a des motifs raisonnables d'ordonner un alcootest. En temps normal, lorsqu'un test de détection routier bien effectué donne lieu à un «échec», ce résultat suffira à donner au policier les motifs requis.

50 Néanmoins, comme je l'ai fait remarquer au début, on ne peut affirmer qu'un «échec» fournit en soi des motifs raisonnables. Si c'était le cas, le législateur aurait pu indiquer son intention dans le Code criminel. Pourtant, l'art. 254 n'indique nullement qu'un «échec» à un test au moyen d'un appareil de détection approuvé est réputé fournir des motifs raisonnables. En conséquence, il faut déterminer comme une question de fait dans chaque cas si le policier avait des motifs raisonnables de croire sincèrement que le suspect avait commis une infraction à l'art. 253 du Code.

51 Lorsqu'il existe une preuve que le policier savait que le suspect avait récemment consommé de l'alcool et que la preuve d'expert démontre que l'on ne peut se fier au test de détection à cause de la présence d'alcool dans la bouche, on ne peut, en droit, affirmer que les critères subjectif et objectif ont été respectés. Ce serait faire échec à la preuve que de prétendre le contraire. Qu'en est‑il du cas où le policier témoigne que le test ALERT ne lui a pas fourni les motifs nécessaires? Faut‑il faire abstraction de son témoignage? L'exigence de motifs raisonnables prévue au par. 254(3) est une exigence non seulement légale, mais aussi constitutionnelle, qu'il faut respecter, en vertu de l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, à titre de condition préalable à une fouille, saisie ou perquisition légitime. L'article 8 exige que les motifs raisonnables existent dans les faits et non que l'on puisse en présumer l'existence nonobstant la preuve.

52 En toute déférence, je ne peux souscrire à l'opinion de mon collègue, qui affirme que les intérêts de la prévention de la conduite en état d'ébriété et le fait qu'il y aura rarement des cas où le test de détection donnera des résultats erronés justifient tout «inconvénient découlant de la nécessité de soumettre le conducteur à un alcootest» (p. 276). Ces cas, même s'ils sont rares (ce dont on n'a pas fait la preuve en l'espèce) constituent des violations de l'art. 8 de la Charte. Je ne connais aucun principe d'interprétation des lois qui sanctionne les violations de la Charte, même rares.

53 De plus, je ne trouve pas très réconfortante l'observation que la personne qui a consommé de l'alcool immédiatement avant de prendre le volant doit assumer le risque que l'appareil de détection produise un «faux échec». Cette personne aurait‑elle droit à moins de protection qu'une autre qui attend 15 minutes avant de partir? Par ailleurs, une consommation dans cette période de 15 minutes ne constitue pas la seule circonstance qui rend le test non fiable. Selon le manuel de formation de la GRC, le résultat est également faussé par une éructation. Dans chaque cas, on recommande d'attendre environ 15 minutes. Toutes les personnes visées par ces cas doivent‑elles subir les conséquences d'un «faux échec»? Ces personnes ont, autant que d'autres, droit à la protection de l'art. 8 de la Charte. Le fait qu'un alcootest subséquent permette de rectifier le faux «échec» résultant d'un test de détection fautif n'est d'aucun réconfort pour une personne dont les droits garantis par la Charte ont été violés. Ce n'est pas simplement une question d'inconvénient pour cette personne. L'existence de motifs raisonnables est essentielle à la protection des droits à la vie privée de toute personne qui risque de faire l'objet d'une fouille, d'une perquisition et d'une saisie par la police.

54 Dans l'affaire R. c. Richardson, Div. prov. Ont., 31 octobre 1990, décision inédite, le juge Sharpe a statué qu'un policier qui a appris à utiliser les appareils de détection mais qui a omis d'attendre 15 minutes avant de faire subir le test n'avait pas de motifs raisonnables d'ordonner un alcootest. Dans son raisonnement, le juge Sharpe fait ressortir qu'un test non fiable ne peut constituer le fondement juridique nécessaire d'un ordre de se soumettre à un alcootest:

[traduction] Même si l'appareil est bien calibré [le résultat peut être] non fiable si l'on ne respecte pas le délai approprié; le résultat pourrait être trop élevé ou trop bas. Un test mal administré et le résultat incertain qui s'ensuit ne peuvent, de l'avis de la cour, servir à créer des motifs raisonnables d'ordonner un alcootest en vertu du par. 254(3) du Code criminel du Canada. [Je souligne.]

Je tiens à faire ressortir que dans l'affaire Richardson, contrairement à la situation en l'espèce, il existait une preuve que l'accusé avait pris une consommation dans les 15 minutes qui avaient précédé le test.

55 Il importe de comprendre que les tests de détection routiers comportent des faiblesses et risquent de ne pas être fiables si une personne a des traces d'alcool dans la bouche. Le fabricant de l'appareil de détection utilisé en l'espèce reconnaît que, dans certaines circonstances, les résultats ne seront pas précis. Voici à cet égard un extrait pertinent du manuel du fabricant, qui porte sur les effets de la présence de traces d'alcool dans la bouche:

[traduction] La concentration d'alcool dans une consommation est de beaucoup supérieure à celle susceptible d'exister dans le sang, de sorte que si un échantillon d'haleine est analysé peu après la dernière consommation du sujet, le résultat sera très élevé à cause de la présence de traces d'alcool encore dans la bouche. Une partie de ces traces d'alcool serait évaporée dans l'air expiré, mais le résultat ainsi obtenu ne refléterait pas l'alcoolémie réelle.

Il importe en conséquence d'attendre au moins vingt minutes à partir du moment de la dernière consommation du sujet. Au cours de cette période de vingt minutes, il y aura évaporation de toute trace d'alcool dans la bouche et l'on pourra ensuite procéder à une analyse valide de l'haleine pour déterminer l'alcoolémie.

De même, si le sujet a récemment régurgité ou vomi, après une consommation récente, il pourrait aussi y avoir des traces d'alcool dans la bouche, ce qui pourrait aussi modifier le résultat de toute analyse d'haleine effectuée par la suite. [Je souligne.]

56 Il est également pertinent de citer les passages qui, dans le manuel de la formation offerte par la GRC, portent sur l'utilisation des appareils de détection et leur non‑fiabilité lorsqu'il y présence de traces d'alcool dans la bouche:

[traduction] Tous les échantillons d'haleine profonde émanent de la partie inférieure des poumons, passent par la trachée et la bouche avant d'entrer dans le S‑L2. Toute trace d'alcool présente dans la bouche contaminera l'échantillon d'haleine. L'alcool pur, à cause de sa concentration élevée, sature l'échantillon d'haleine et donne lieu à des résultats faussement élevés sur le S‑L2. Ainsi, le S‑L2 pourrait bien indiquer un ÉCHEC alors qu'il s'agit d'un cas d'AVERTISSEMENT ou de RÉUSSITE.

Il peut y avoir présence d'alcool pur dans la bouche s'il y a eu consommation récente de boissons alcoolisées ou si la personne a éructé, ce qui fait remonter l'alcool se trouvant dans l'estomac. Ces traces d'alcool se dissiperont assez rapidement, généralement en moins de quinze (15) minutes.

C'est pourquoi il devrait s'écouler au moins quinze (15) minutes entre le moment où vous faites une première observation de la personne au volant et celui où elle souffle dans le S‑L2. Cette pratique permettra de réduire au minimum le risque que les traces d'alcool se trouvant dans la bouche vienne fausser le test effectué au moyen du S‑L2. [Je souligne.]

57 Bien que le manuel de formation de la GRC recommande une période d'attente d'au moins 15 minutes et le fabricant, de 20 minutes, la préoccupation fondamentale demeure la même. Pour que les résultats du test ne soient pas faussement élevés, il faut allouer une certaine période pour permettre l'évaporation de toute trace d'alcool dans la bouche.

58 En l'espèce, le témoignage de l'expert, M. Wong, confirme l'incidence défavorable de la présence de traces d'alcool dans la bouche sur les résultats du test de détection, comme l'illustrent les passages reproduits. Selon M. Wong, lorsqu'il fait subir un alcootest ou un test de détection, à titre de précaution, [traduction] «[l]e technicien doit s'assurer que le sujet n'a pas consommé d'alcool au cours des vingt dernières minutes avant le prélèvement du premier échantillon». La raison de cette précaution est la suivante: [traduction] «la présence de traces d'alcool dans la bouche élèvera faussement le résultat de l'alcoomètre SL/2 et donnera un résultat erroné». Ce qui signifie que l'alcoolémie serait faussement élevée.

59 Si la preuve scientifique établit que l'appareil de détection est loin d'être fiable en présence de certaines conditions et si un policier sait, par exemple à cause de la formation qu'il a reçue, que l'appareil donnera des résultats inexacts dans le cas où un suspect a pris une consommation dans les 15 minutes avant le test, comment ce policier peut‑il affirmer dans son témoignage qu'il croyait sincèrement que les facultés de cette personne étaient affaiblies, s'il n'existe pas d'autres signes d'ébriété? De toute évidence, le fait qu'un policier est au courant de la non‑fiabilité du test de détection viendrait annihiler toute croyance subjective à l'existence de motifs raisonnables lui permettant de croire à la perpétration d'une infraction à l'art. 253 du Code. Un policier aura de la difficulté à conclure qu'un tel test erroné permet de transformer de simples soupçons en motifs raisonnables. Si le policier doit donner une réponse sincère quant à ce qu'il croyait, je ne peux voir comment l'on pourrait, en droit, lui dire que sa réponse est erronée.

60 Ceci suppose, bien entendu, que les résultats du test de détection serviront seuls à transformer les simples soupçons d'un policier en motifs raisonnables d'ordonner un alcootest en vertu du par. 253(3) du Code. Dans le cas où d'autres symptômes ou signes fournissent au policier des motifs raisonnables, alors il n'a pas à se fier seulement sur un test de détection erroné, et le problème mentionné ne se présenterait pas nécessairement. Comme je l'ai déjà indiqué, chaque cas doit être examiné par rapport aux faits qui lui sont propres. Cependant, un «échec» ne suffit pas en soi pour fournir au policier des motifs raisonnables dans le cas où existent les circonstances dont j'ai parlé, qui lui permettent de savoir que le test donnera des résultats erronés.

B.L'interprétation du terme «immédiatement»: Le test de détection doit‑il être administré tout de suite?

61 L'exigence du par. 254(2) du Code, que le suspect fournisse immédiatement un échantillon d'haleine, soulève un problème vu le risque qu'un policier puisse bien ne pas être en mesure de se fier au résultat d'un appareil de détection qu'il sait non fiable s'il est administré dans les 15 minutes qui suivent la dernière consommation du suspect. Ce problème existe si l'on considère que le terme «immédiatement» signifie que le test routier doit être administré tout de suite et que le policier n'est aucunement justifié d'attendre 15 minutes pour s'assurer de la fiabilité des résultats du test. Comme le juge Fairgieve l'a fait remarquer dans l'affaire R. c. Richard, précité, si tel était le cas, les policiers seraient devant le dilemme suivant: ou le test risque d'être invalidé pour cause de non‑fiabilité s'il est administré sans délai, ou il serait aussi invalidé comme étant non autorisé en vertu du par. 254(2) dans le cas où le policier a attendu 15 minutes. Cela créerait une situation intolérable puisque l'on se trouverait à atténuer l'objet de la loi dans les cas où le policier sait que le suspect a consommé son dernier verre très peu de temps auparavant. À mon avis, le législateur ne peut avoir eu cette intention.

62 Notre Cour a à deux reprises examiné le sens du terme «immédiatement» ou «sur‑le‑champ» dans le contexte du régime législatif en cause. Dans l'arrêt R. c. Thomsen, [1988] 1 R.C.S. 640, notre Cour a eu l'occasion d'examiner le sens de «sur‑le‑champ» au par. 234.1(1), maintenant le par. 254(2) du Code, où le terme utilisé est «immédiatement». Le libellé de l'art. 234.1 était légèrement différent puisqu'il visait seulement les conducteurs d'un véhicule à moteur et que l'alcootest était qualifié par le terme «roadside» dans le texte anglais. Dans la disposition actuelle, le terme «roadside» n'apparaît pas et le par. 254(2) s'applique aussi à quiconque conduit un bateau, un aéronef et du matériel ferroviaire. Cependant, à l'instar de mon collègue le juge Cory, je ne crois pas que la différence entre les deux dispositions soit pertinente. À mon avis, le fait que l'ancienne disposition utilisait dans le texte anglais le terme «roadside» est une simple indication que le législateur n'avait pas inclus que le test pourrait être administré pour découvrir les conducteurs d'autres véhicules, comme un aéronef ou du matériel ferroviaire, dont les facultés étaient affaiblies. Toutefois, le par. 254(2) mentionne expressément ces moyens de transport, et le test n'est donc pas alors nécessairement administré sur le bord de la route. Cependant, cela ne modifie pas le sens du terme «immédiatement».

63 Dans l'arrêt Thomsen, notre Cour a statué qu'une demande d'échantillon d'haleine allait à l'encontre de l'al. 10b) de la Charte, mais que la disposition était sauvegardée par l'article premier. Dans ses motifs, le juge Le Dain a examiné le sens du terme «sur‑le‑champ», à la p. 651:

Dans les motifs de jugement que nous avons rédigés dans l'affaire Therens, le juge Estey et moi‑même, en comparant les par. 234.1(1) [maintenant le par. 254(2)] et 235(1), avons également attaché de l'importance au fait que le législateur a choisi d'utiliser l'expression «sur‑le‑champ» sans plus au par. 234.1(1), mais l'expression «sur‑le‑champ ou dès que possible» au par. 235(1).

Et plus loin, à la p. 653:

Ces remarques soulignent ce que sous‑entendent en pratique les expressions «sur‑le‑champ» et «roadside» que l'on trouve au par. 234.1(1). À mon avis, le fait qu'il ne doit pas y avoir d'occasion de communiquer avec un avocat avant d'obtempérer à la sommation faite en vertu du par. 234.1(1) découle des termes de ce paragraphe lorsqu'ils sont examinés en fonction de l'ensemble des dispositions du Code criminel relatives à l'alcootest. L'alcootest [test de détection] que prévoit le par. 234.1(1) doit être pratiqué sur le bord de la route, au moment et à l'endroit où l'automobiliste est arrêté, et aussi rapidement que possible compte tenu du délai de deux heures imparti pour l'éthylométrie [analyse] qu'on peut juger nécessaire de pratiquer . . . [Je souligne.]

64 Bien que le passage que je viens de citer précise que le test de détection doit être administré dès que possible, le fait qu'il faut tenir compte du délai de deux heures imparti pour l'analyse laisse entendre qu'un délai de 15 minutes n'irait pas à l'encontre du régime prévu à l'art. 254 du Code ni de son objet. L'exigence de prélèvement immédiat de l'échantillon comporte implicitement un délai opérationnel. L'agent de la paix doit préparer le matériel et indiquer au suspect ce qu'il doit faire. Bref, les dispositions législatives doivent accorder suffisamment de temps pour procéder à un test valable. Le temps nécessaire doit s'inscrire à l'intérieur du délai global de deux heures prévu pour assurer le bon fonctionnement du régime.

65 Dans l'arrêt R. c. Grant, [1991] 3 R.C.S. 139, notre Cour a examiné le sens du terme «immédiatement» employé dans une disposition essentiellement semblable au par. 254(2) du Code. Dans cette affaire, il s'agissait de déterminer si une attente de 30 minutes avant la livraison de l'appareil requis était contraire au sens du terme «immédiatement», de sorte que l'ordre de se soumettre au test de détection n'était pas autorisé. Le Juge en chef Lamer, au nom de notre Cour, a statué que les motifs dans l'arrêt Thomsen, précité, étaient directement applicables à la disposition modifiée, le par. 238(2) (maintenant le par. 254(2)). Notre Cour a conclu que les gestes du policier n'étaient pas conformes au par. 238(2) puisqu'il n'avait pas demandé que le suspect fournisse immédiatement un échantillon d'haleine. À cet égard, le juge en chef Lamer affirme à la p. 150:

Rien dans le contexte du par. 238(2) ne permet d'attribuer au mot «immédiatement» un sens différent de celui que lui donne habituellement le dictionnaire, soit que l'échantillon d'haleine doit être fourni tout de suite. Sans analyser plus à fond le nombre exact de minutes qui peuvent s'écouler pour que l'on puisse considérer que l'échantillon d'haleine n'a pas été fourni «immédiatement», je ferais toute simplement observer que, dans le cas où, comme en l'espèce, le policier qui donne l'ordre n'a pas d'alcootest (A.L.E.R.T.) en sa possession et où le dispositif en question n'arrive qu'une demi‑heure plus tard, l'ordre donné ne respecte pas les dispositions du par. 238(2). [Je souligne.]

66 Ce passage semble indiquer que l'arrêt Grant n'écarte pas la possibilité que le policier dispose d'une certaine latitude pour faire subir le test après un certain laps de temps. Le juge en chef Lamer a explicitement refusé de déterminer la durée exacte du délai à l'expiration duquel l'ordre d'un policier se situerait en dehors de la portée du terme «immédiatement». Cependant, dans l'arrêt Grant, un délai d'une demi‑heure alors qu'il n'y avait même pas d'appareil de détection sur les lieux n'était pas conforme au Code criminel.

67 Dans un certain nombre de décisions rendues avant l'arrêt Grant et par la suite, les tribunaux ont statué que le terme «immédiatement» ne signifie pas tout de suite. Dans l'arrêt R. c. Seo (1986), 54 O.R. (2d) 293 (C.A.), le tribunal a statué que le test pourrait être administré dès qu'il était raisonnablement possible de le faire compte tenu des circonstances. Le juge Finlayson a fait remarquer que, suivant le Jowitt's Dictionary of English Law ainsi que le Black's Law Dictionary, le terme «forthwith» signifie dans un délai raisonnable compte tenu de la disposition et des circonstances de l'affaire.

68 Dans l'arrêt R. c. Wannacott (1990), 23 M.V.R. (2d) 248 (C. dist. Ont.), conf. par (1991), 5 O.R. (3d) 300 (C.A.), le policier avait attendu neuf minutes avant de faire subir le test parce qu'il y avait eu consommation récente d'alcool. Le juge McDermid a conclu que l'on était toujours à l'intérieur de la définition du terme «immédiatement» dans le cas où l'attente vise à assurer l'exactitude du test de détection. Il affirme à la p. 251: [traduction] «Une interprétation trop restrictive du terme "immédiatement" à l'art. 254 irait à l'encontre de l'intention du législateur.» En conséquence, dans le cas où la police agit de bonne foi, les délais de cette nature ne devraient pas servir de fondement au rejet des résultats du test de détection.

69 De même, dans l'affaire R. c. Kaczmarek (1994), 16 O.R. (3d) 510 (Div. gén.), la police avait attendu 11 minutes avant de faire subir le test parce que l'accusé avait fumé, ce qui risquait aussi d'en fausser les résultats. Le juge Hayes a cité l'arrêt Grant ainsi que la décision Wannacott et a conclu que cette attente de 11 minutes respectait le sens du terme «immédiatement» visé au par. 254(2) du Code.

70 En conséquence, il appert que les tribunaux sont disposés à donner une interprétation large au terme «immédiatement» comme notre Cour l'a reconnu dans l'arrêt Grant. À mon avis, cette interprétation est appropriée compte tenu du libellé et du contexte du texte législatif. Voici à cet égard le passage pertinent du par. 254(2) du Code:

L'agent de la paix [. . .] peut lui ordonner de lui fournir, immédiatement, l'échantillon d'haleine qu'il estime nécessaire pour l'analyser à l'aide d'un appareil de détection approuvé et de le suivre, si nécessaire, pour permettre de prélever cet échantillon. [Je souligne.]

Cette disposition prévoit expressément qu'un policier a le droit d'ordonner à une personne de lui fournir l'échantillon d'haleine nécessaire à l'analyse. Dans le cas où le policier sait qu'un suspect a récemment consommé de l'alcool, il doit attendre au moins 15 minutes avant de prélever un échantillon valable. En conséquence, le libellé de la disposition appuie l'argument que le terme «immédiatement» doit être interprété avec souplesse.

71 Deux affaires récentes entendues à la Cour d'appel de l'Ontario viennent aussi appuyer cette conclusion. Dans R. c. Pierman; R. c. Dewald (1994), 19 O.R. (3d) 704, la cour a examiné si les policiers sont autorisés à attendre 15 minutes avant de prélever un échantillon d'haleine en vertu du par. 254(2) du Code pour s'assurer du bon fonctionnement de l'appareil. Après avoir examiné la jurisprudence, le juge Arbour a précisé que l'on ne pouvait décider dans l'abstrait s'il fallait attendre 15 minutes ou non. Si le policier n'avait jamais la possibilité d'attendre 15 minutes, alors il pourrait soit ne pas tenir compte de l'«échec» à cause du risque de non‑fiabilité du résultat, soit ordonner au suspect de se soumettre à un alcootest sans se préoccuper du fait que le résultat du test de détection était peut‑être faussement élevé. Par contre, le juge Arbour a fait remarquer que si le policier a le droit d'attendre 15 minutes avant de faire subir le test, il prolonge ainsi excessivement la période de détention pendant laquelle le suspect n'a pas accès à l'assistance d'un avocat. Le juge Arbour conclut à la p. 711:

[traduction] À mon avis, un policier ne peut retarder le prélèvement de l'échantillon d'haleine, lorsqu'il agit en application du par. 254(2) du Code criminel, sauf s'il est d'avis qu'un échantillon d'haleine prélevé immédiatement ne pourra être analysé à l'aide d'un appareil de détection approuvé. Le policier n'est pas tenu de prélever un échantillon qui, à son avis, ne pourra être analysé convenablement. L'expression «proper analysis» [employée dans le texte anglais] comporte un élément d'exactitude. [. . .] Dans le cas où des faits portent le policier à croire qu'il est nécessaire d'attendre un peu pour obtenir un résultat exact, j'estime qu'il agit à l'intérieur du cadre de la disposition s'il retarde le prélèvement de l'échantillon d'haleine. Dans un tel cas, comme je l'ai déjà indiqué, il importe peu que le policier attende pour ordonner au suspect de se soumettre à un test ou attende pour le faire subir après avoir donné cet ordre. [Je souligne.]

72 Par conséquent, dans cette affaire, le policier pouvait légitimement attendre pour faire subir le test parce qu'il existait une preuve que Pierman avait peut‑être consommé de l'alcool juste avant d'être intercepté. Cependant, dans le cas de Dewald, le policier n'avait aucun renseignement quant au moment où l'accusé avait pris sa dernière consommation d'alcool et il n'était pas justifié de retarder le test. Le juge Arbour a conclu que la police ne peut détenir un suspect pendant une période additionnelle de 15 minutes que dans le cas où des faits lui permettent de croire que l'appareil de détection donnerait un résultat inexact.

73 J'adopte la démarche souple préconisée par le juge Arbour. À mon avis, elle est conforme à l'objet du régime législatif et garantit qu'un policier a une conviction sincère fondée sur des motifs raisonnables avant d'ordonner un alcootest. Le paragraphe 254(2) du Code permet d'attendre 15 minutes pour se conformer aux exigences d'utilisation de l'appareil. Ceci s'applique dans le cas où un policier sait que le résultat risque de ne pas être exact dans un cas donné.

74 Certes, il n'y a pas de doute que le test de détection devrait généralement être administré dès que possible; cependant, on irait tout à fait à l'encontre du but du législateur si l'on exigeait que la police fasse subir le test de détection tout de suite dans des circonstances qui rendraient les résultats totalement non fiables et faussés. L'adoption d'une démarche souple permet d'établir l'équilibre approprié entre l'objectif du législateur dans sa lutte contre les méfaits de la conduite en état d'ébriété, d'une part, et les droits des citoyens de ne pas faire l'objet de fouilles, de perquisitions ou de saisies abusives, d'autre part. À mon avis, rien ne sert de citer des statistiques. Bien que nous soyons tous d'accord pour dire que le législateur a raison de chercher énergiquement à réduire l'hécatombe sur nos routes, on n'aide nullement à la réalisation de cet objectif en permettant qu'il soit porté atteinte à la vie privée de personnes innocentes sur le fondement de tests erronés. À mon avis, ce n'est pas l'intention qu'avait le législateur lorsqu'il a adopté l'art. 254 du Code criminel.

75 Je tiens à mentionner un problème, examiné par mon collègue et par le juge Arbour, que le fait d'attendre avant de faire subir un test de détection risque de soulever: le suspect a‑t‑il droit à l'assistance d'un avocat s'il est détenu pendant plus longtemps? Dans l'arrêt Thomsen, précité, notre Cour a statué que le test de détection constituait une limite raisonnable au droit à l'assistance d'un avocat prévu à l'al. 10b) de la Charte. À mon avis, il n'est pas incompatible avec l'arrêt Thomsen d'attendre 15 minutes pour obtenir un échantillon d'haleine valable. Il serait en fait curieux que notre Cour statue qu'il y a lieu de sacrifier les droits de certaines personnes garantis par une disposition de la Charte (l'art. 8) pour préserver la restriction imposée aux droits que leur garantit une autre disposition (l'al. 10b)).

C. Application aux faits en l'espèce

76 Compte tenu de l'analyse qui précède, il est nécessaire de déterminer si le policier avait, à partir des faits en l'espèce, des motifs raisonnables de croire sincèrement que l'intimé avait commis une infraction à l'art. 253 du Code, nonobstant la non‑fiabilité possible de l'appareil de détection.

77 Comme mon collègue le juge Cory le fait remarquer, il existait en l'espèce plusieurs autres signes d'ébriété à part la preuve fournie par le test de détection. L'agent Mashford a témoigné qu'il avait remarqué un véhicule qui circulait à une vitesse excédant la limite et qui, à deux reprises, était allé de l'accotement jusqu'au centre de la route, et dont les feux de freinage s'allumaient et s'éteignaient. De plus, lorsqu'il a interrogé l'intimé, il a décelé une odeur d'alcool et l'intimé a admis avoir bu. En outre, l'agent Mashford a constaté que ses yeux étaient extrêmement rouges et vitreux. En se fondant sur ce qui précède, on peut soutenir que le policier pouvait avoir suffisamment de motifs raisonnables d'ordonner un alcootest, même en l'absence de résultats obtenus au moyen d'un appareil de détection. Dans ce cas, la non‑fiabilité possible de ces résultats n'aurait pas eu pour effet de vicier une croyance fondée sur des motifs raisonnables.

78 Cependant, l'agent Mashford a témoigné en ces termes:

[traduction] Lorsque j'ai vu que [l'appareil de détection] avait enregistré un «échec», c'est à ce moment que je me suis fait l'opinion que la capacité de M. Bernshaw de conduire un véhicule à moteur était affaiblie par l'effet de l'alcool. [Je souligne.]

La preuve paraît donc indiquer que, malgré les autres indices possibles d'ébriété, il n'a acquis une croyance fondée sur des motifs raisonnables, le justifiant d'ordonner un alcootest, qu'après avoir fait subir le test de détection. À cet égard, le juge MacKenzie conclut en ces termes:

[traduction] Il est clair que les soupçons que l'agent Mashford avait quant aux facultés affaiblies de M. Bernshaw se sont transformés en motifs raisonnables de croire qu'il lui était justifié d'ordonner un alcootest à cause de l'échec au test ALERT. [Je souligne.]

79 Pour les fins qui m'intéressent, je vais supposer que, abstraction faite de «l'échec» au test de détection, il n'existait pas suffisamment de motifs raisonnables d'ordonner un alcootest. En conséquence, il faut déterminer si l'agent Mashford avait le droit de se fier à «l'échec» au test de détection.

80 En l'espèce, il n'existe absolument aucune preuve quant au moment de la dernière consommation de l'intimé, c'est‑à‑dire que l'on ne sait pas s'il avait pris une consommation dans les 15 minutes qui ont précédé le test de détection. Avant de faire subir ce test, le policier n'a pas demandé à l'intimé quand il avait pris sa dernière consommation. Puisque l'agent Mashford ne disposait pas de cette information, il serait trop conjectural de soutenir que le résultat obtenu de l'appareil de détection n'était pas fiable. Dans le cas où l'appareil de détection utilisé a été approuvé en vertu du régime législatif, le policier peut se fier à l'exactitude de cet appareil sauf s'il existe une preuve crédible à l'effet contraire.

81 De l'avis de l'intimé, avant d'ordonner à un suspect de se soumettre à un test de détection, le policier doit lui demander quand il a pris sa dernière consommation afin de s'assurer d'obtenir un résultat précis. Cependant, à mon avis, la police n'est pas obligée de faire cette demande. Un suspect n'étant pas tenu de répondre à une telle question, il ne serait pas approprié d'imposer à la police une telle obligation. Cela ne veut pas dire que le suspect ne peut de lui‑même fournir ces renseignements, soit de façon spontanée ou en réponse à une question de la police. Dans un tel cas, si le policier est informé que le détenu a consommé de l'alcool dans les 15 minutes qui précèdent, ou s'il a d'autres motifs de croire que le suspect a récemment eu des traces d'alcool dans la bouche parce qu'il a régurgité, il peut attendre pendant une période appropriée avant de faire subir le test de détection. Cependant, le policier n'est pas tenu d'obtenir ces renseignements en posant une question en ce sens au suspect avant de faire subir le test de détection.

82 Cela ne veut pas dire pour autant que le policier doit automatiquement retarder le test de détection en raison du simple fait que le suspect lui dit qu'il a récemment pris une consommation d'alcool. Un policier a le droit de ne pas croire le suspect, auquel cas il n'aura aucun doute quant à la validité des résultats du test de détection. Cependant, si le policier croit le suspect, alors il sera justifié de retarder le test afin d'en assurer l'exactitude. On doit supposer que le policier agit de bonne foi à cet égard. Sinon, le juge du procès sera en mesure de conclure que le policier n'avait pas le motif requis.

83 Dans d'autres cas, il existe une preuve manifeste du fait que la personne a consommé une substance qui aura pour effet de fausser les résultats, et le policier attendra alors sûrement pendant un certain temps pour s'assurer de l'exactitude des résultats. Par exemple, le policier peut avoir été témoin du fait que le suspect a consommé de l'alcool dans les 15 minutes qui précèdent. Voir R. c. Jackson (1993), 147 A.R. 173 (B.R.).

84 En l'espèce, M. Wong a affirmé dans son témoignage que la présence de traces d'alcool dans la bouche risque de fausser les résultats du test routier. Le témoignage de l'expert, pris dans l'abstrait, n'est pas utile, sauf s'il peut se rattacher aux faits en l'espèce. Même si l'expert soutient que l'appareil de détection ne serait aucunement fiable dans le cas où un suspect a consommé de l'alcool au cours des 15 minutes avant le test, ce témoignage n'est d'aucune utilité si l'on n'a pas fait la preuve d'une consommation récente d'alcool. En conséquence, le témoignage d'expert de M. Wong pourrait tout au plus démontrer l'inexactitude possible de l'appareil de détection. Cela ne suffit pas à vicier une croyance sincère fondée sur des motifs raisonnables lorsque le policier croyait en la fiabilité du test; la réponse à la question de savoir si le test aurait en fait été fiable ou non ne serait que pure conjecture.

85 L'arrêt R. c. Linttell (1991), 64 C.C.C. (3d) 507 (C.A. Alb.), dont les faits sont analogues à ceux de l'espèce, vient appuyer la conclusion à laquelle j'arrive à partir des faits. Dans cette affaire, le policier n'avait pas attendu 15 minutes avant de faire subir le test de détection pour s'assurer que la présence de traces d'alcool dans la bouche ne vienne fausser les résultats. La cour a indiqué qu'il n'existait aucune preuve que l'accusé avait des traces d'alcool dans la bouche ni que c'était une possibilité réaliste. Les doutes soulevés relativement à la contamination causée par des traces d'alcool dans la bouche étaient de simples conjectures et le policier n'avait donc aucun motif de croire que les résultats du test risquaient de ne pas être fiables. Par conséquent, la cour a jugé que la fouille n'était pas abusive.

86 De même, vu les faits de l'espèce, je suis d'avis de conclure que l'agent Mashford avait les motifs raisonnables nécessaires pour ordonner un alcootest en vertu du par. 254(3) du Code.

IV. Dispositif

87 En définitive, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'annuler l'arrêt de la Cour d'appel et de rétablir la déclaration de culpabilité prononcée et la peine infligée au procès.

Les motifs suivants ont été rendus par

88 Le juge L'Heureux‑Dubé — En toute déférence pour mes deux collègues, aucune de leur approche ne me semble entièrement satisfaisante pour résoudre le problème que soulève ce pourvoi. D'une part, je ne peux être d'accord avec le juge Cory que le test ALERT devrait être administré immédiatement même dans des circonstances où il ne serait pas objectivement raisonnable de le faire. D'autre part, je ne peux non plus être d'accord avec le juge Sopinka que nous devrions adhérer de façon aussi stricte au critère subjectif des motifs raisonnables de sorte que nous laissions aux policiers la tâche de juger par eux‑mêmes dans chaque cas si un court délai dans la demande du test ALERT est requis. J'estime que l'approche la plus appropriée dans l'interprétation de l'interaction entre les par. 254(2) et (3) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, se situe entre les deux pôles qu'ils avancent. Il existe, à mon avis, une solution mitoyenne pratique que j'encourage la police à adopter comme la norme procédurale à suivre, de nature à la fois à simplifier et à clarifier l'administration du test ALERT.

89 L'interaction des par. 254(2) et (3) du Code criminel, à première vue, fait problème. D'une part, le par. 254(2) exige que le test ALERT soit administré «immédiatement». Du même souffle, le par. 254(3) prévoit qu'un policier doit avoir des motifs raisonnables de croire qu'une infraction à l'art. 253 a été commise pour pouvoir requérir un alcootest. D'autre part, un test de détection qui n'est pas administré «immédiatement» ne constitue pas une demande appropriée en vertu du par. 254(2) du Code, et ne saurait en conséquence justifier d'autres mesures contre le conducteur. Par contre, selon le témoin expert de l'intimé, il y a des cas où un test de détection administré «immédiatement» donnerait lieu à des résultats non fiables à cause de la présence de traces d'alcool dans la bouche. Le conclusion logique de cette énigme serait la suivante: si le policier qui fait subir le test sait qu'il n'est pas fiable, comment peut‑il s'y fier pour acquérir les motifs raisonnables exigés par le par. 254(3)?

90 J'estime qu'il est tout à fait concevable, en fait probable, que le législateur n'ait pas envisagé, lors de l'adoption de la disposition, la possibilité que la présence de traces d'alcool dans la bouche rende un test de détection manifestement non fiable. Il a fort vraisemblablement supposé qu'un tel test pouvait être administré immédiatement et fournir des résultats significatifs qui devaient suffire à fournir les motifs nécessaires à une demande de se soumettre à un alcootest. Selon le témoignage de l'expert de l'intimé, qui n'a pas été contredit, la présomption selon laquelle les résultats sont exacts pourrait bien être erronée dans certaines circonstances. Dans de telles circonstances, un policier ne peut plus se fier uniquement au test de détection pour affirmer qu'il a des motifs raisonnables d'ordonner un alcootest. Il s'ensuit alors une situation sans issue. Bien qu'il soit tout à fait manifeste que le législateur a voulu que les appareils de détection approuvés permettent à un policier d'avoir les motifs raisonnables nécessaires pour requérir un alcootest, nous nous trouvons ici devant un cas où l'on peut démontrer que l'une des présomptions à la base du régime pourrait, dans certaines circonstances, être incorrecte. Puisque le sens ordinaire des termes employés dans les dispositions en cause donne à notre Cour peu d'indications quant à l'intention du législateur dans un tel cas, je me propose d'examiner ce problème en analysant premièrement l'esprit et l'objet de la loi, et deuxièmement, les valeurs sous‑jacentes de la Charte canadienne des droits et libertés, que nous devons nous efforcer de respecter (Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513, à la p. 558; Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, à la p. 1078).

91 À mon avis, le législateur avait l'intention que le test de détection rencontre deux objectifs importants et interreliés: (1) fournir à la police un moyen utile, rapide et raisonnablement objectif d'éliminer de nos routes les conducteurs susceptibles de constituer un danger pour les autres et (2) réduire en même temps le plus possible les cas où des conducteurs sont incommodés ou détenus de façon injustifiable. Si l'on interprète littéralement les par. 254(2) et (3) du Code, nous ne pouvons donner plein effet à un aspect de l'objectif du législateur sans porter atteinte à l'autre. Notre Cour doit en conséquence déterminer, en tant que question d'interprétation des lois, quelle est la corrélation entre les par. 254(2) et (3) du Code. Ce faisant, nous devons trouver un moyen de concilier l'exigence voulant que le test de détection soit administré «immédiatement» avec le fait que la demande de se soumettre à un alcootest doit reposer sur des «motifs raisonnables», d'une façon qui soit compatible avec le contexte particulier dans lequel ces termes sont utilisés dans le Code, mais qui ne soit pas incompatible avec les valeurs de la Charte.

92 À l'instar de mon collègue le juge Cory, je suis d'avis qu'il n'y aura généralement lieu d'attendre 15 minutes avant le test ALERT que dans les cas où un conducteur a décidé de consommer de l'alcool juste avant de prendre le volant. Je suis également d'accord pour dire que tout inconvénient lié à la nécessité de se soumettre à un alcootest à la suite d'un échec au test ALERT est directement attribuable à la consommation volontaire d'alcool par le conducteur si peu de temps avant de prendre le volant. Par conséquent, dans la grande majorité des cas, le conducteur est en fait l'artisan de son propre malheur. Enfin, je reconnais que le test de détection vise à permettre à la police de juger rapidement, efficacement et de manière raisonnablement fiable de la sobriété d'une personne, de façon à éliminer de la route les conducteurs dont les facultés sont affaiblies. Le test de détection est un moyen rapide, facile et sommaire de lutter contre un danger très réel sur les routes. C'est un appareil de détection qui, de ce fait même, n'est pas parfait. C'est en partie pour ce motif que ses résultats ne donnent pas lieu à des conséquences pénales. Compte tenu de toutes ces considérations, je suis d'accord avec mon collègue le juge Cory pour dire que l'objet du régime ALERT, les conséquences relativement mineures d'un faux «échec», et les préoccupations de principe urgentes qui sous‑tendent la nécessité d'uniformité, de certitude et d'efficacité dans l'application du régime militent tous en faveur de résoudre cette ambiguïté par l'administration du test, sans délai important, dans tous les cas. Cependant, j'hésite à forcer la police à faire subir le test dans les cas où il serait même objectivement déraisonnable de se fier aux résultats du test ALERT comme seul fondement pour baser une croyance à des motifs raisonnables. Par ailleurs, je doute qu'une interprétation aussi rigide de ces deux dispositions soit compatible avec la Charte.

93 Comme mes deux collègues, je pars de l'hypothèse que le test ALERT, un appareil approuvé par le législateur, peut, s'il est bien administré à la connaissance du policier, lui fournir les motifs suffisants requis pour fonder sa croyance en des motifs raisonnables de croire qu'il peut requérir un alcootest. Je ne crois pas que l'on puisse contester que c'était là l'intention du législateur. Cependant, à mon avis, compte tenu de l'objet du régime ALERT et de l'obligation que notre Cour a de préférer les interprétations compatibles avec les valeurs de la Charte à celles qui ne le sont pas, cette règle ne peut être absolue.

94 J'estime que deux des valeurs reconnues par la Charte sont pertinentes à l'interprétation de l'ambiguïté à laquelle donne lieu l'interaction des par. 254(2) et (3) du Code criminel. La première est la valeur sous‑jacente à l'al. 10b) de la Charte, selon laquelle une personne ne peut être détenue sans l'assistance d'un avocat que pendant une période aussi courte que possible dans les circonstances. Cette valeur a certainement guidé l'interprétation que notre Cour a donnée au terme «immédiatement» visé au par. 254(2) dans l'arrêt R. c. Grant, [1991] 3 R.C.S. 139, et paraît être à la base de l'analyse du juge Cory en l'espèce. La seconde est la valeur sous‑jacente à l'art. 8 de la Charte selon laquelle il ne saurait être porté atteinte à la vie privée d'une personne de façon déraisonnable. Cette valeur semble être exprimée dans les motifs du juge Sopinka. Ma démarche diffère de celle de mes collègues les juges Cory et Sopinka en ce que je cherche à trouver un équilibre en considérant ces deux valeurs au regard des circonstances, sans expressément faire primer l'une sur l'autre.

95 Puisque le juge Cory a déjà fort éloquemment fait ressortir l'importance d'interpréter le par. 254(2) d'une façon compatible avec les valeurs sous‑jacentes à l'al. 10b) de la Charte, je préfère mettre l'accent sur les valeurs sous‑jacentes à l'art. 8 dans le par. 254(3), valeurs qui, dans les circonstances, font contrepoids à celles de l'al. 10b).

96 Je reconnais, comme mon collègue le juge Sopinka, que l'existence de «motifs raisonnables» constitue non seulement une condition statutaire préalable à une demande d'alcootest, mais aussi une pierre angulaire de la Charte. Je conviens également que ces motifs raisonnables comportent ordinairement un élément tant subjectif qu'objectif. Je demeure, cependant, mal à l'aise devant sa conclusion à l'effet qu'un policier peut attendre avant d'administrer le test chaque fois qu'il croit qu'il existe une preuve crédible de nature à suggérer que le test de détection risque de ne pas être fiable dans les circonstances. Cette approche exigerait du policier qu'il évalue subjectivement dans chaque cas le fondement factuel pour évaluer s'il existe des motifs raisonnables par rapport à la totalité des circonstances. Elle encourage aussi le policier à attendre dans des circonstances ambiguës, par excès de prudence. En toute déférence, une telle interprétation semble empiéter indûment sur les valeurs qui sous‑tendent l'al. 10b) de la Charte et invite, lors du procès, à mettre en doute le jugement exercé par le policier à un point qui, à mon avis, est presque certainement incompatible avec la nature et l'objet du régime ALERT. Le législateur voulait, on se rappellera, que ce régime constitue un moyen «facile et sommaire» d'évaluer la sobriété en bordure de la route, en réduisant au minimum les inconvénients pour le conducteur et en offrant le maximum de certitude et d'efficacité aux personnes chargées de son application.

97 Même en vertu de la Charte, l'existence de «motifs raisonnables» peut vouloir dire différentes choses dans différents contextes. Notre Cour a déjà affirmé que la norme des «motifs raisonnables» est celle de la «probabilité fondée sur la crédibilité»: Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, à la p. 167; Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416, à la p. 446, et, à une autre occasion, elle a parlé de «probabilité raisonnable» ou de «croyance raisonnable»: R. c. Debot, [1989] 2 R.C.S. 1140, à la p. 1166 (le juge Wilson). Ces différentes formulations sont en soi peu utiles à l'interprétation de l'expression «motifs raisonnables» dans notre cas. Il importe davantage d'examiner le contexte dans lequel cette expression est employée ainsi que les valeurs qui la sous‑tendent.

98 Dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc., le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a fait remarquer que, dans le cas du droit contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives garanti par l'art. 8, et de l'exigence souvent citée qu'une fouille ou perquisition doit être fondée sur l'existence de «motifs raisonnables», la valeur sous‑jacente est le fait de «s'attendre raisonnablement à la protection de la vie privée» (aux pp. 159 et 160):

La garantie de protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives ne vise qu'une attente raisonnable. Cette limitation du droit garanti par l'art. 8, qu'elle soit exprimée sous la forme négative, c'est‑à‑dire comme une protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies «abusives», ou sous la forme positive comme le droit de s'attendre «raisonnablement» à la protection de la vie privée, indique qu'il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s'immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d'assurer l'application de la loi. [Souligné dans l'original.]

Voir aussi l'arrêt R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, à la p. 641 (le juge Wilson). Notre Cour a reconnu, à plusieurs reprises, il ne faut pas l'oublier, que ce qui est «raisonnable» et le fait «de s'attendre raisonnablement à la protection de la vie privée» peuvent varier d'un contexte à l'autre, selon le choc des considérations au c{oe}ur d'un litige donné: Hunter c. Southam Inc., précité, à la p. 155; R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495, aux pp. 526 à 528. «[L]a norme d'examen de ce qui est "raisonnable" dans un contexte donné doit être souple si on veut qu'elle soit réaliste et ait du sens»: McKinlay Transport Ltd., précité, à la p. 645 (le juge Wilson).

99 Pour ce qui est du contexte, on a souvent fait une distinction entre d'une part, les infractions criminelles ou quasi criminelles, et, d'autre part, les infractions de nature administrative ou réglementaire. Voir McKinlay Transport Ltd., à la p. 647. Il ne doit pas, toutefois, toujours dépendre de ces facteurs. Dans l'arrêt Simmons, précité, notre Cour a statué que les attentes raisonnables en matière de vie privée sont moindres aux douanes que dans la plupart des autres situations et qu'il faut donner aux agents des douanes suffisamment de latitude pour leur permettre de répondre à l'intérêt de l'État dans le contrôle tant des personnes que des effets qui entrent sur son territoire. Cette conclusion s'appuyait sur le fait que la fouille attaquée était purement une fouille à nu, et ne violait donc pas de façon aussi invasive l'intégrité physique de la personne pour qu'elle puisse être considérée abusive en vertu de l'art. 8 de la Charte. L'arrêt R. c. Wise, [1992] 1 R.C.S. 527 se rapproche davantage de la question soulevée en l'espèce; le juge Cory y a mis l'accent sur le contexte spécial des attentes moindres en matière de vie privée à l'intérieur d'un véhicule à moteur. En outre, dans l'arrêt R. c. Hundal, [1993] 1 R.C.S. 867, à la p. 884, le juge Cory a fait ressortir le fait que la conduite est une activité qui nécessite un permis:

[L'exigence d'un permis] sert en outre à confirmer que les personnes qui conduisent connaissent les normes de diligence auxquelles sont soumis tous les conducteurs. De plus, vu l'exigence d'un permis de conduire, il faut tenir compte de ce que les titulaires de permis choisissent de se livrer à l'activité réglementée qu'est la conduite d'un véhicule automobile. Ils assument ainsi une responsabilité envers tous les autres membres du public qui circulent sur les chemins.

Bien que ces remarques aient été faites dans le contexte de l'examen que le juge Cory faisait de la mens rea exigée pour l'infraction de conduite dangereuse, je suis d'avis qu'elles sont tout aussi pertinentes dans le contexte de la conduite avec facultés affaiblies. Est également pertinent le fait que notre Cour a fréquemment reconnu le contexte unique dans lequel se produisent les infractions de conduite avec facultés affaiblies comme facteur permettant de justifier, en vertu de l'article premier, une loi qui a été jugée contraire à un droit garanti par la Charte. Voir par exemple les arrêts R. c. Whyte, [1988] 2 R.C.S. 3; R. c. Hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621; R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257; R. c. Thomsen, [1988] 1 R.C.S. 640; R. c. Dedman, [1985] 2 R.C.S. 2.

100 Quelle est la nature des attentes raisonnables en matière de vie privée par rapport à l'activité contrôlée en cause (en l'espèce, la détermination de la sobriété des conducteurs en bordure de la route)? Comme dans le cas de l'arrêt Simmons, précité, je suis d'avis qu'il s'agit d'une activité pour laquelle les attentes raisonnables en matière de vie privée sont moindres tant à cause de la nature de l'activité que de celle des moyens disponibles pour la réglementer. Les tests ALERT, les contrôles au hasard et autres mesures de cette nature visent toutes à réglementer une activité qui s'exerce dans le contexte particulier de la conduite d'un véhicule et avec le but précis d'enrayer un problème précis — la conduite avec facultés affaiblies. Lorsqu'une personne obtient un permis de conduire, elle accepte les nombreuses responsabilités qui accompagnent ce privilège et, par surcroît, s'engage envers les autres à conduire prudemment sur les routes de notre pays. Par ailleurs, il est de notoriété publique que la conduite avec facultés affaiblies est dangereuse et que l'État doit prendre certaines mesures pour enrayer ce problème urgent. Les personnes qui décident de prendre le volant alors qu'elles ont bu le font sans aucun souci des risques que cette activité génère ou en les acceptant volontairement. Les attentes raisonnables en matière de vie privée que ces personnes peuvent avoir à l'intérieur de leur véhicule sont en conséquence moindres relativement à la détermination de leur sobriété qu'elles le seraient relativement à la plupart des autres activités qui ne soulèvent pas de considérations similaires. Certes, il est juste d'affirmer qu'une fois que la police commence une enquête qui n'a aucun rapport avec la réglementation de la conduite d'un véhicule, conduite susceptible d'être dangereuse, les raisons que j'ai invoquées peuvent ne plus s'appliquer: voir par exemple l'arrêt R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615.

101 En conséquence, je ne suis pas tout à fait convaincue que les valeurs qui sous‑tendent l'art. 8 de la Charte exigent que notre Cour interprète la norme des «motifs raisonnables» dans le contexte de l'interaction des par. 254(2) et (3) de la même façon qu'elle pourrait être tenue de le faire dans la plupart d'autres contextes. À mon avis, les conducteurs ont des attentes raisonnables moindres en matière de vie privée lorsqu'il s'agit de la vérification de leur sobriété, que celles qu'ils auraient relativement à d'autres infractions qui ne leur seraient pas liées. Ces attentes tiennent tant à la nature de l'activité qu'à la menace contre laquelle les tests de sobriété effectués en bordure de la route veulent lutter. Les personnes qui prennent le volant après avoir consommé de l'alcool connaissent bien les risques qu'elles courent. Un conducteur qui affiche des signes d'ébriété suffisants pour qu'un policier ait des motifs raisonnables de soupçonner qu'il a de l'alcool dans l'organisme serait mal venu de dire qu'il a néanmoins des attentes raisonnables en matière de vie privée, dans le but d'empêcher une vérification raisonnable de ces signes au moyen d'un test ALERT et, en cas d'un échec à ce test, d'un alcootest. En conséquence, dans l'intérêt d'assurer la certitude du régime et compte tenu du contexte très spécial tant du problème de la conduite avec facultés affaiblies que des moyens raisonnables disponibles pour enrayer ce fléau, il est justifié d'innover dans une certaine mesure relativement à l'élément subjectif de la norme des «motifs raisonnables» de façon à réaliser l'objet que le législateur visait manifestement, c'est‑à‑dire lutter efficacement contre le fléau de la conduite avec facultés affaiblies au moyen des tests de détection. Je peux me tromper, mais je ne vois pas comment les motifs de mon collègue le juge Cory ne comportent pas implicitement cette même conclusion.

102 Ayant fait une revue de ce que je considère comme les deux valeurs fondamentales de la Charte qui doivent sous‑tendre l'interprétation des par. 254(2) et (3), je passe maintenant à l'analyse de l'épineuse question de savoir si un échec au test ALERT devrait être suffisant, en droit, pour établir les motifs nécessaires pour demander un alcootest. Comme je l'ai déjà indiqué, j'estime qu'une analyse fondée sur l'objet des par. 254(2) et (3) exige que, généralement, nous répondions par l'affirmative à cette question, sous réserve de quelques exceptions limités dont je vais discuter maintenant.

103 Premièrement, il peut y avoir des cas où il est non seulement souhaitable mais en fait objectivement nécessaire que le policier attende un certain temps avant d'obtenir un échantillon approprié, par exemple pour ne pas endommager la cellule de détection de l'appareil parce que la personne a fumé (voir R. c. Kaczmarek (1994), 16 O.R. (3d) 510 (Div. gén.); R. c. Jackson (1993), 147 A.R. 173 (B.R.)), ou parce que le policier a effectivement vu la personne accusée consommer de l'alcool, éructer ou régurgiter — ce qui, selon le manuel de la GRC, peut fausser l'exactitude du test de détection à cause de la présence de traces d'alcool dans la bouche. Dans ces cas, le policier doit savoir objectivement qu'il y a plus de chances que l'appareil donnera un résultat inexact que le contraire, et il doit savoir que les résultats ne pourraient servir de base à une demande de se soumettre à l'acootest. Si, de l'avis du policier, il n'existe pas suffisamment d'autres signes d'ébriété le justifiant de requérir un alcootest, il devrait alors attendre pendant une courte période avant de pouvoir se fier à l'appareil ALERT à une telle fin.

104 Il est possible également qu'un conducteur admette de son plein gré qu'il a consommé de l'alcool dans les 15 dernières minutes. Dans un tel cas, je ne suis pas d'accord avec le juge Sopinka lorsqu'il dit qu'un policier peut croire ou ne pas croire cette affirmation. Pour les motifs déjà mentionnés, je crois que le contexte unique des évaluations de la sobriété en bordure de la route justifie, sur le plan pratique, une certaine innovation relativement à l'élément subjectif des motifs raisonnables. Par conséquent, dans l'intérêt de la certitude, je dirais qu'un policier devrait alors croire le conducteur sur parole et retarder à administrer le test assez longtemps pour empêcher la possibilité que des traces d'alcool dans la bouche influent sur le résultat du test. En outre, même en l'absence d'une telle affirmation, si un policier croit quand même sincèrement, pour quelque motif que ce soit, que le conducteur a consommé de l'alcool ou fumé dans les 15 dernières minutes, il doit alors attendre 15 minutes avant de faire subir le test.

105 Lorsque le policier décide qu'il doit attendre un certain temps afin de s'assurer de la fiabilité du test ALERT, il devrait toutefois lire au conducteur une formule type disant essentiellement: «Je crois que vous avez pris de l'alcool ou fumé dans les 15 dernières minutes. Puisque le fait d'avoir bu de l'alcool ou fumé dans les 15 dernières minutes peut influer sur la fiabilité de ce test de détection, je dois vous demander, dans votre propre intérêt, d'attendre 15 minutes, sans fumer ni boire d'alcool, avant que je vous fasse subir le test.» En indiquant au conducteur la raison du délai, le policier lui donnera l'occasion de fournir de son plein gré d'autres renseignements qui pourraient permettre d'exiger qu'il se soumette au test tout de suite. Un conducteur qui croit qu'il est sobre et qui n'a pas consommé d'alcool ni fumé dans les 15 dernières minutes aura, à ce moment-là, la possibilité d'offrir de son plein gré de subir le test immédiatement. Cela est conforme à l'intention du législateur que le test ALERT soit administré avec le moins d'inconvénients possibles pour les conducteurs, de façon à permettre à ceux dont l'alcoolémie est nettement sous la limite légale de poursuivre leur route. Par contre, le conducteur qui craint avoir dépassé la limite légale attendra probablement sans rien dire, espérant bénéficier de la période additionnelle qui lui est allouée. Dans les deux cas, le policier aura alors des motifs raisonnables de se fier à la fois raisonnablement et sincèrement au résultat du test ALERT.

106 Bien qu'interpréter le par. 254(2) comme envisageant la possibilité d'un délai dans ces circonstance violerait l'al. 10b), cette violation sera justifiée en vertu de l'article premier pour les motifs exprimés dans l'arrêt R. c. Thomsen, précité. La lecture par le policier de la formule mentionnée plus haut lorsqu'il croit sincèrement qu'il y a eu consommation récente porterait atteinte de façon minimale aux droits que l'al. 10b) garantit au conducteur, car le conducteur serait mis au courant des motifs du délai et il aurait ainsi la possibilité de prendre en toute connaissance de cause la décision de renoncer à ce délai et d'en faire part au policier. Les policiers ont ainsi une directive unique et claire sur la façon d'agir dans tous les cas. L'administration du test de détection sera simplifiée et clarifiée, et les contestations, lors du procès, de la procédure suivie par le policier en seront minimisées. Tout cela pourra se faire sans que les policiers aient à poser des questions précises au conducteur (puisque ces questions pourraient, elles-mêmes, entraîner l'application de l'al. 10b) de la Charte).

107 J'encourage fortement les policiers à adopter cette pratique. Je crois qu'elle facilitera les choses pour les conducteurs, pour la police et pour les tribunaux. Je tiens à souligner, toutefois, que l'omission de la part du policier de lire cette formule ne signifiera pas nécessairement qu'il y a eu violation des droits que l'al. 10b) garantit au conducteur. La formule ne doit être lue que lorsqu'un policier croit, pour quelque motif crédible que ce soit, que le conducteur a fumé ou consommé de l'alcool récemment. Le simple fait de savoir, par exemple, que l'accusé a consommé de l'alcool au cours de la soirée, en l'absence d'autres circonstances, ne serait pas un motif assez précis pour fonder une telle croyance, ou pour justifier un délai dans l'administration du test.

108 J'estime avec le juge Sopinka que dans le cas où un policier attend pendant une période raisonnable pour s'assurer de l'exactitude des résultats du test ALERT, ce délai n'est pas incompatible avec l'exigence que l'échantillon soit fourni «immédiatement», prévue au par. 254(2), ni avec les arrêts R. c. Grant et R. c. Thomsen, précités, de notre Cour. Je noterais simplement que dans aucun de ces deux arrêts notre Cour ne s'est penchée sur des circonstances dans lesquelles le délai a résulté d'un excès de précautions raisonnables. Dans le cas où la police attend pour s'assurer de l'exactitude du test de détection, cette attente ne peut qu'être favorable au conducteur, puisqu'elle élimine pratiquement la possibilité qu'il obtienne un faux «échec» et qu'il doive se soumettre à un alcootest à partir d'un résultat erroné. Je ne puis m'empêcher de faire remarquer qu'il serait difficile d'affirmer que l'utilisation de la preuve obtenue au moyen d'un alcootest dans de telles circonstances, même en contravention de la Charte, serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

109 En résumé, notre Cour a reconnu dans l'arrêt Grant, précité, qu'il est imprudent de faire un énoncé général quant à ce qui constituerait un délai incompatible avec le terme «immédiatement» utilisé au par. 254(2). À mon avis, ce terme doit être interprété d'une façon qui reconnaisse l'interrelation entre les par. 254(2) et (3). En effet, il serait contraire au libellé du par. 254(3) et aux valeurs qui sous‑tendent l'art. 8 de la Charte de conclure qu'un échec au test ALERT peut en toutes circonstances servir de fondement à une demande d'alcootest. Ce serait aller à l'encontre de l'intention manifeste du législateur et aboutir à une absurdité que de définir le terme «immédiatement» de façon si étroite que les policiers seraient tenus de faire subir le test sans délai même dans les circonstances où ils ne pourraient même pas se fier objectivement au résultat du test de détection aux fins d'une «analyse convenable» et, ainsi, de l'établissement des motifs raisonnables qu'exige le par. 254(3) aux fins d'une demande d'alcootest. Par ailleurs, j'estime que l'on risque d'empiéter excessivement sur les valeurs sous‑jacentes à l'al. 10b) de la Charte si l'on conclut, sans élaborer et sans formuler de guide pour la police, qu'un policier peut attendre avant de faire subir le test de détection chaque fois qu'il a raison de croire qu'il existe une preuve crédible que ce test risque de ne pas donner des résultats exacts dans ces circonstances. Je suis aussi d'avis qu'une telle interprétation serait incompatible avec l'intention du législateur, soit que le test de détection devrait être administré avec le plus de facilité, de certitude et d'efficacité possible pour toutes les personnes concernées.

110 Dans le présent cas, le dossier du procès paraît révéler que le policier a en fait observé d'autres signes d'ébriété qui auraient pu lui permettre d'établir la croyance requise à l'appui d'une demande d'alcootest. Le témoignage du policier suggère, cependant, qu'il n'avait acquis cette croyance qu'après avoir fait subir le test de détection. La Cour d'appel a tranché l'appel en fonction de ce témoignage. À l'instar de mon collègue, le juge Sopinka, je suis en conséquence disposée à tenir pour acquis que le policier s'est fié au résultat du test de détection comme justification de sa demande d'alcootest. Pour les motifs qui précèdent, je conclurais que le policier pouvait se fier à l'échec enregistré par l'appareil de détection pour former la croyance requise à l'appui d'une demande d'alcootest conformément au par. 254(3). On n'a présenté aucune preuve à l'effet que le policier était au courant d'une consommation récente d'alcool ou de l'existence d'autres facteurs qui auraient pu raisonnablement influer sur la fiabilité de l'appareil. Il pouvait donc se fier au résultat du test ALERT pour exiger l'alcootest.

111 En conséquence, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et de rétablir la déclaration de culpabilité de l'intimé.

Version française des motifs rendus par

112 Le juge Gonthier — Je suis d'accord avec le juge Sopinka et je souscris également à titre indicatif et non obligatoire aux propositions du juge L'Heureux-Dubé quant à certaines procédures policières qui seraient souhaitables dans les circonstances qu'elle décrit.

Pourvoi accueilli.

Procureur de l'appelante: Le ministère du Procureur général, Vancouver.

Procureurs de l'intimé: Green, Higinbotham & Claus, Victoria.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit criminel - Véhicules à moteur - Ordre de soumettre un échantillon d'haleine - Test de détection routier - Policier autorisé à ordonner à un conducteur de soumettre «immédiatement» un échantillon d'haleine pour un test de détection - Un «échec» fournit‑il en soi des motifs raisonnables d'ordonner un alcootest? - Un policier doit‑il déterminer le moment de la dernière consommation ou attendre 15 minutes avant de faire subir un test de détection? - Le terme «immédiatement» signifie‑t‑il tout de suite ou peut‑il comporter un délai de 15 minutes? - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 254(2), (3).

Un policier a intercepté le véhicule de l'accusé après avoir remarqué qu'il circulait à une vitesse excessive et avoir vu la voiture aller du fond de l'accotement jusqu'au centre de la route, et les feux de freinage s'allumer et s'éteindre. Il a décelé une odeur d'alcool exhalée par l'accusé, qui avait les yeux rouges et vitreux. L'accusé a répondu par l'affirmative au policier qui lui a demandé s'il avait consommé de l'alcool. Le policier lui a alors ordonné de se soumettre à un test ALERT conformément au par. 254(2) du Code criminel, qui permet à un policier qui soupçonne la présence d'alcool dans l'organisme d'un conducteur d'ordonner à celui‑ci de lui fournir «immédiatement» un échantillon d'haleine. L'accusé a obtempéré et l'appareil de détection a enregistré un «échec». Le policier a indiqué que c'est à ce moment qu'il s'est fait l'opinion que la capacité de l'accusé de conduire un véhicule à moteur était affaiblie par l'effet de l'alcool. Il lui a lu l'ordre type de se soumettre à un alcootest et l'a conduit au poste de police, où il a fourni deux échantillons d'haleine, qui ont tous deux indiqué un alcoolémie dépassant de beaucoup la limite prévue de ,08. Au procès, un témoin expert a indiqué que la présence de traces d'alcool dans la bouche d'une personne soumise à un test pouvait faussement élever le résultat sur l'appareil de détection et donner un résultat erroné. Ainsi, les policiers avaient été informés qu'ils devaient déterminer le moment de la dernière consommation et qu'ils devaient, dans le cas où ils n'étaient pas en mesure de le faire, attendre 15 minutes avant de faire subir le test. Le manuel de formation de la GRC concernant l'appareil de détection recommande un délai de 15 minutes afin que toute trace d'alcool dans la bouche puisse s'évaporer. Le manuel du fabricant de l'appareil recommande une période d'attente de 20 minutes avant de faire subir le test ALERT si le sujet a récemment pris une consommation, éructé ou régurgité, afin que toute trace d'alcool dans la bouche puisse s'évaporer. L'accusé soutient que les résultats de l'alcootest devraient être écartés car le policier n'avait pas les motifs raisonnables requis pour lui ordonner de se soumettre à ce test, parce qu'il savait ou aurait dû savoir que l'échec enregistré sur l'appareil de détection pouvait être inexact à cause de la présence de traces d'alcool dans la bouche. Néanmoins, le juge du procès a admis les résultats de l'alcootest et a déclaré l'accusé coupable d'avoir eu la garde ou le contrôle d'un véhicule à moteur avec une alcoolémie de plus de ,08. L'appel de la déclaration de culpabilité par procédure sommaire a été rejeté, mais la Cour d'appel a annulé la déclaration de culpabilité et rendu un verdict d'acquittement.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, McLachlin et Major: Lorsqu'un policier a des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis une infraction à l'art. 253 du Code, il peut lui ordonner de se soumettre à un alcootest. En vertu du par. 254(3) du Code, le policier doit subjectivement croire sincèrement que le suspect a commis l'infraction et, objectivement, cette croyance doit être fondée sur des motifs raisonnables. Le législateur a établi un régime législatif qui permet au policier de faire subir un test de détection lorsqu'il a simplement des raisons de soupçonner la présence d'alcool dans l'organisme d'une personne. Le policier peut tenir compte d'un «échec» ainsi que de tout autre signe d'ébriété pour déterminer qu'il a des motifs raisonnables d'ordonner un alcootest. Toutefois, un «échec» peut ne pas fournir en soi des motifs raisonnables. Lorsqu'il existe une preuve que le policier savait que le suspect avait récemment consommé de l'alcool et que la preuve d'expert démontre que l'on ne peut se fier au test de détection à cause de la présence d'alcool dans la bouche, on ne peut, en droit, affirmer que les critères subjectif et objectif ont été respectés. L'exigence de motifs raisonnables prévue au par. 254(3) est une exigence non seulement légale, mais aussi constitutionnelle, qu'il faut respecter, en vertu de l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, à titre de condition préalable à une fouille, saisie ou perquisition légitime.

Si la preuve scientifique établit que l'appareil de détection est loin d'être fiable en présence de certaines conditions et si un policier sait, par exemple à cause de la formation qu'il a reçue, que l'appareil donnera des résultats inexacts dans le cas où un suspect a pris une consommation dans les 15 minutes avant le test, on ne peut, en droit, dire à un policier que sa réponse sincère quant à sa croyance qu'il n'existait aucun motif raisonnable est erronée.

Bien que le test de détection doive être administré dès que possible, le fait qu'il faut tenir compte du délai de deux heures imparti pour l'analyse laisse entendre qu'un délai de 15 minutes n'irait pas à l'encontre du régime prévu à l'art. 254 du Code ni de son objet. Les dispositions législatives doivent accorder suffisamment de temps pour procéder à un test valable. Le paragraphe 254(2) prévoit expressément qu'un policier a le droit d'ordonner à une personne de lui fournir l'échantillon d'haleine nécessaire à l'analyse. Cette démarche souple est conforme à l'objet du régime législatif et garantit qu'un policier a une conviction sincère fondée sur des motifs raisonnables avant d'ordonner un alcootest. Le paragraphe 254(2) du Code permet d'attendre 15 minutes si cela est conforme aux exigences d'utilisation de l'appareil. La démarche permet aussi d'établir l'équilibre approprié entre l'objectif du législateur dans sa lutte contre les méfaits de la conduite en état d'ébriété, d'une part, et les droits des citoyens de ne pas faire l'objet de fouilles, de perquisitions ou de saisies abusives, d'autre part.

Il existait en l'espèce plusieurs autres signes d'ébriété à part la preuve fournie par le test de détection, mais le policier n'a apparemment acquis une croyance fondée sur des motifs raisonnables qu'après avoir fait subir le test de détection. En supposant que ce soit le cas, il avait toutefois le droit de se fier à «l'échec» au test de détection puisqu'il n'existait aucune preuve quant au moment de la dernière consommation de l'accusé. Ce serait donc que pure conjecture que d'affirmer que le résultat de l'appareil de détection n'était pas fiable. Dans le cas où l'appareil de détection utilisé a été approuvé en vertu du régime législatif, le policier peut se fier à l'exactitude de cet appareil, sauf s'il existe une preuve crédible à l'effet contraire.

Le juge en chef Lamer et les juges Cory et Iacobucci: L'ivresse au volant entraîne énormément de décès, de blessures, de peine et de destruction. Pour remédier à ce problème, le législateur a adopté un régime législatif en deux étapes, les par. 254(2) et (3) du Code criminel, comme moyen de vérifier si les facultés des conducteurs sont affaiblies. La première étape offre un moyen de découvrir les conducteurs dont les facultés sont affaiblies et constitue un examen préliminaire visant à déterminer si un conducteur peut constituer un danger pour le public à cause de l'alcool qu'il a consommé. À la seconde étape, il s'agit de déterminer précisément l'alcoolémie du conducteur. C'est seulement à cette seconde étape que l'on examinera si l'alcoolémie est supérieure à la limite établie, auquel cas la personne a commis une infraction criminelle. Les appareils de détection ALERT sont des instruments approuvés pour utilisation au cours de la première étape. Ces appareils offrent un moyen de détection rapide et cause beaucoup moins d'inconvénients à un conducteur que l'alcootest.

Le test ALERT doit être effectué «immédiatement», terme auquel il faut donner le sens de «tout de suite». Le paragraphe 254(2) ne prévoit, n'exige ni n'inclut un délai de 15 minutes pour que toute trace possible d'alcool dans la bouche puisse s'évaporer, soit avant l'ordre de fournir un échantillon d'haleine soit avant de procéder au test. Il n'y aurait lieu d'attendre 15 minutes que si une personne a une indigestion ou si, ce qui est plus fréquent, elle juge bon de prendre un verre juste avant de prendre le volant. Il semble tout à fait raisonnable d'affirmer que le conducteur qui prend un verre dans ces circonstances devrait être disposé à accepter les conséquences de son acte. Si une personne a un taux résiduel d'alcool inhabituellement élevé dans la bouche parce qu'elle a pris un verre juste avant de prendre le volant, les résultats erronés du test ALERT seront rectifiés par l'alcootest, qui doit être précédé d'une période d'observation de 15 minutes avant d'être effectué. L'exigence de se soumettre immédiatement au test ALERT devrait être considérée comme l'une des obligations qui découlent du droit de conduire. Un conducteur dont les facultés sont affaiblies présente un danger mortel qu'il faut détecter et écarter de la circulation dès que possible. La possibilité de faire subir le test tout de suite aide à protéger le public en détectant les personnes susceptibles de constituer un danger. Dans l'intérêt de la sécurité du public, il faut accepter qu'il y aura des cas relativement rares où le test ALERT pourra donner des résultats erronés du fait que le conducteur a consommé de l'alcool juste avant de partir.

Il n'y a pas lieu d'adopter la démarche souple à l'égard du par. 254(2), selon laquelle un policier peut retarder de 15 minutes l'administration du test s'il est d'avis qu'un échantillon d'haleine risque d'être contaminé par la présence d'alcool dans la bouche. Le policier doit donner à une personne l'ordre de se soumettre à un test ALERT dès qu'il a des motifs raisonnables de soupçonner la présence d'alcool dans l'organisme. Le libellé du Code n'indique pas qu'il faut attendre 15 minutes avant de faire subir au conducteur la procédure en deux étapes de détection et de contrôle visée aux par. 254(2) et (3). L'ensemble du régime se fonde sur une très brève période de détention et sur l'administration immédiate du test de détection. Aussi, un délai de 15 minutes pourrait ne pas se justifier en vertu de l'article premier de la Charte.

Lorsqu'un policier a des raisons de soupçonner la présence d'alcool dans l'organisme, l'utilisation du test ALERT est justifiée et le policier peut se fonder sur les résultats de ce test pour ordonner au conducteur de se soumettre à un alcootest. La simple possibilité que le test ALERT risque de donner des résultats inexacts en raison de la consommation d'alcool juste avant de conduire et dans les 15 minutes précédant le test ne suffit pas à invalider le caractère raisonnable de la croyance du policier fondée sur ces résultats.

Le juge L'Heureux‑Dubé: Le test ALERT, un appareil approuvé par le législateur, peut, s'il est bien administré à la connaissance du policier, lui fournir les motifs suffisants requis pour fonder sa croyance en des motifs raisonnables pour requérir un alcootest. La présente affaire appelle la Cour à adopter, à l'égard des par. 254(2) et (3), une démarche qui vise à contrebalancer dans la mesure du possible les valeurs opposées qui sous‑tendent le par. 8 et l'al. 10b) de la Charte. L'existence de «motifs raisonnables» constitue non seulement une condition préalable prévue dans la loi à une demande d'alcootest, mais aussi une pierre angulaire de la Charte, puisqu'en vertu de l'art. 8, il ne peut être porté atteinte à la vie privée d'une personne de façon déraisonnable. Ces motifs raisonnables ont ordinairement un élément subjectif et un élément objectif. Cependant, la détermination de la sobriété des conducteurs en bordure de la route constitue une activité pour laquelle les attentes raisonnables en matière de vie privée sont moindres tant à cause de la nature de l'activité que de celle des moyens prévus pour la réglementer. Lorsqu'une personne obtient un permis de conduire, elle accepte les nombreuses responsabilités qui accompagnent ce privilège et, par surcroît, s'engage envers les autres à conduire prudemment sur les routes du pays. Par ailleurs, il est de notoriété publique que la conduite avec facultés affaiblies est dangereuse et que l'État doit prendre certaines mesures pour enrayer ce problème urgent. Les attentes raisonnables en matière de vie privée que peuvent avoir à l'intérieur de leur véhicule les personnes qui décident de prendre le volant lorsque leurs facultés sont affaiblies sont en conséquence moindres relativement à la détermination de leur sobriété qu'elles le seraient relativement à la plupart des autres activités qui ne soulèvent pas de considérations similaires. Pour assurer la certitude du régime et compte tenu du contexte très spécial tant du problème de la conduite avec facultés affaiblies que des moyens raisonnables pris pour enrayer ce fléau, il est justifié d'innover dans une certaine mesure relativement à l'élément subjectif de la norme des «motifs raisonnables» de façon à réaliser l'objet que le législateur visait manifestement, c'est‑à‑dire lutter efficacement contre le fléau de la conduite avec facultés affaiblies au moyen des tests de détection.

Compte tenu des valeurs sous‑jacentes de l'al. 10b) de la Charte et du fait que les résultats du test de détection ne sont assortis d'aucune sanction pénale, les policiers devraient généralement faire subir le test ALERT sans délai. Par contre, il peut y avoir des cas où il est non seulement souhaitable mais en fait objectivement nécessaire que le policier attende un certain temps avant d'obtenir un échantillon approprié, par exemple pour ne pas endommager la cellule de détection de l'appareil parce que la personne a fumé, ou parce que le policier a effectivement vu la personne accusée consommer de l'alcool, éructer ou régurgiter.

La police est fortement encouragée à instituer pour l'avenir une procédure type qui permettrait d'administrer les tests de détection avec une facilité et une certitude plus grandes. Plus particulièrement, lorsque le policier croit sincèrement que, dans les 15 minutes précédentes, le conducteur s'est livré à une activité susceptible d'influer sur la fiabilité du test, il devrait lire au conducteur une formule type l'informant de la raison et de la nécessité du délai. Le policier ne devrait pas interroger le conducteur pour savoir s'il a récemment consommé de l'alcool, mais la lecture de cette formule donnera peut-être au conducteur l'occasion de fournir de son plein gré d'autres renseignements qui permettront au policier de faire subir le test immédiatement. De toute façon, le policier pourra alors se fier à la fois raisonnablement et sincèrement au résultat du test de détection pour ordonner au conducteur de se soumettre à un alcootest. Administrer ainsi le test fait en sorte que la procédure porte atteinte de façon minimale aux droits que l'al. 10b) garantit au conducteur, tout en étant aussi compatible que possible avec les valeurs qui sous-tendent l'art. 8 de la Charte.

Dans le cas où un policier attend pendant une période raisonnable pour s'assurer de l'exactitude des résultats du test ALERT, ce délai n'est pas incompatible avec l'exigence que l'échantillon soit fourni «immédiatement», prévue au par. 254(2). Il serait difficile d'affirmer que l'utilisation de la preuve obtenue au moyen d'un alcootest dans de telles circonstances, même en contravention de la Charte, serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

En l'espèce, le policier pouvait se fier à l'échec enregistré par l'appareil de détection puisque l'on n'a présenté aucune preuve établissant que le policier était au courant d'une consommation récente d'alcool ou de l'existence d'autres facteurs qui auraient pu raisonnablement influer sur la fiabilité de l'appareil.

Le juge Gonthier: Les propositions du juge L'Heureux-Dubé quant à certaines procédures policières qui seraient souhaitables dans les circonstances décrites sont acceptées à titre indicatif et non obligatoire.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Bernshaw

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Sopinka
Arrêt approuvé: R. c. Pierman
R. c. Dewald (1994), 19 O.R. (3d) 704
arrêts mentionnés: R. c. Callaghan, [1974] 3 W.W.R. 70
R. c. Belnavis, [1993] O.J. No. 637 (QL)
R. c. Richard (1993), 12 O.R. (3d) 260
R. c. Storrey, [1990] 1 R.C.S. 241
R. c. Richardson, Div. prov. Ont., 31 octobre 1990
R. c. Thomsen, [1988] 1 R.C.S. 640
R. c. Grant, [1991] 3 R.C.S. 139
R. c. Seo (1986), 54 O.R. (2d) 293
R. c. Wonnacott (1990), 23 M.V.R. (2d) 248 (C. dist. Ont.), conf. par (1991), 5 O.R. (3d) 300 (C.A.)
R. c. Kaczmarek (1994), 16 O.R. (3d) 510
R. c. Jackson (1993), 147 A.R. 173
R. c. Linttell (1991), 64 C.C.C. (3d) 507.
Citée par le juge Cory
Arrêt non suivi: R. c. Pierman
R. c. Dewald (1994), 19 O.R. (3d) 704
arrêts approuvés: R. c. McNulty (1991), 35 M.V.R. (2d) 27
R. c. Linttell (1991), 64 C.C.C. (3d) 507
R. c. Dwernychuk (1992), 77 C.C.C. (3d) 385, autorisation de pourvoi refusée, [1993] 2 R.C.S. vii
R. c. Marshall (1989), 91 N.S.R. (2d) 211
R. c. Langdon (1992), 74 C.C.C. (3d) 570
R. c. Leneal (1990), 68 Man. R. (2d) 127
arrêts mentionnés: R. c. Grant, [1991] 3 R.C.S. 139
R. c. Thomsen, [1988] 1 R.C.S. 640
R. c. Gartrell (1992), 72 C.C.C. (3d) 51
Rilling c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 183
R. c. Deruelle, [1992] 2 R.C.S. 663
R. c. Schmautz, [1990] 1 R.C.S. 398
Severn c. The Queen (1878), 2 R.C.S. 70
McKay c. The Queen, [1965] R.C.S. 798
Galaske c. O'Donnell, [1994] 1 R.C.S. 670.
Citée par le juge L'Heureux‑Dubé
Arrêts mentionnés: Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513
Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038
R. c. Grant, [1991] 3 R.C.S. 139
Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145
Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416
R. c. Debot, [1989] 2 R.C.S. 1140
R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627
R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495
R. c. Wise, [1992] 1 R.C.S. 527
R. c. Hundal, [1993] 1 R.C.S. 867
R. c. Whyte, [1988] 2 R.C.S. 3
R. c. Hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621
R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257
R. c. Thomsen, [1988] 1 R.C.S. 640
R. c. Dedman, [1985] 2 R.C.S. 2
R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615
R. c. Kaczmarek (1994), 16 O.R. (3d) 510
R. c. Jackson (1993), 147 A.R. 173.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 8, 10b), 24(2).
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46 [mod. ch. 27 (1er suppl.)], art. 253 [abr. et rempl. ch. 32 (4e suppl.), art. 59], 254 [mod. ch. 32 (4e suppl.), art. 60], 258.
Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 234.1(1).
Doctrine citée
Statistique Canada. Centre canadien de la statistique juridique. «Conduite avec facultés affaiblies — Canada, 1991» (1992), 12:17 Juristat 1.
Statistique Canada. Centre canadien de la statistique juridique. «Conduite avec facultés affaiblies — Canada, 1992» (1994), 14:5 Juristat 1.
Statistique Canada. Division des statistiques sur la santé. Causes de décès 1992. Ottawa: Statistique Canada, 1994.
Statistique Canada. Division des statistiques sociales, du logement et des familles. Accidents au Canada. Ottawa: Statistique Canada, 1991.

Proposition de citation de la décision: R. c. Bernshaw, [1995] 1 R.C.S. 254 (27 janvier 1995)


Origine de la décision
Date de la décision : 27/01/1995
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1995] 1 R.C.S. 254 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1995-01-27;.1995..1.r.c.s..254 ?
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