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27/01/1995 | CANADA | N°[1995]_1_R.C.S._157

Canada | Société Radio-Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157 (27 janvier 1995)


Société Radio‑Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157

Société Radio‑Canada Appelante

c.

Conseil canadien des relations du travail Intimé

et

Alliance of Canadian Cinema,

Television and Radio Artists Intimée

et

Dale Goldhawk Intimé

Répertorié: Société Radio‑Canada c. Canada (Conseil des relations du travail)

No du greffe: 23142.

1994: 14 mars; 1995: 27 janvier.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McL

achlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1992] 2 C.F. 665, 9...

Société Radio‑Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157

Société Radio‑Canada Appelante

c.

Conseil canadien des relations du travail Intimé

et

Alliance of Canadian Cinema,

Television and Radio Artists Intimée

et

Dale Goldhawk Intimé

Répertorié: Société Radio‑Canada c. Canada (Conseil des relations du travail)

No du greffe: 23142.

1994: 14 mars; 1995: 27 janvier.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1992] 2 C.F. 665, 92 D.L.R. (4th) 316, 141 N.R. 116, 92 C.L.L.C. ¶ 14,035, qui a rejeté une demande de la SRC visant le contrôle et l'annulation d'une décision du Conseil canadien des relations du travail (1990), 83 di 102, 91 C.L.L.C. ¶ 16,007. Pourvoi rejeté, le juge McLachlin est dissidente.

Roy L. Heenan et Tom Brady, pour l'appelante.

Peter C. Engelmann et Johane Tremblay, pour l'intimé le Conseil canadien des relations du travail.

Paul J. Falzone et Aubrey E. Golden, c.r., pour les intimés l'Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists et Dale Goldhawk.

Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges Cory, Iacobucci et Major rendu par

1 Le juge Iacobucci — La Société Radio‑Canada («SRC») demande le contrôle judiciaire de la décision du Conseil canadien des relations du travail voulant que la SRC se soit ingérée dans les activités du syndicat intimé, l'Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists («ACTRA»), contrairement à l'al. 94(1)a) du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L‑2.

I. Les faits

2 Les membres de l'ACTRA se répartissent en trois guildes: celle des auteurs, celle des journalistes et celle des artistes. Comme bien des syndicats, l'ACTRA prend officiellement position sur diverses questions. Elle appuie, par exemple, la règle du contenu canadien applicable aux radiodiffuseurs. Il semble aussi qu'elle s'oppose au libre‑échange. L'ACTRA publie un bulletin officiel, ACTRASCOPE, qui est distribué à ses 10 000 membres partout au Canada.

3 Le règlement intérieur de l'ACTRA prévoit que son président est en même temps son porte‑parole officiel. En 1988, c'était le journaliste Dale Goldhawk qui était président de l'ACTRA. En janvier 1988, la SRC avait engagé Goldhawk comme animateur de Cross Country Checkup, une tribune téléphonique nationale traitant de l'actualité, qui passait hebdomadairement à la radio. La SRC savait, quand elle l'a engagé, qu'il était président de l'ACTRA.

4 À la fin de l'été de 1988, Goldhawk a rédigé un article intitulé «Election brings the trade debate to a boil», qui a paru dans le numéro d'automne d'ACTRASCOPE sous la rubrique «The President Reports». Dans son article, il a pris énergiquement position contre l'accord de libre‑échange que le Canada était alors en train de négocier avec les États‑Unis, attaquant l'accord et invitant les membres de l'ACTRA à faire campagne pour s'y opposer. Au moment de la parution de l'article, le pays se trouvait en plein milieu d'une campagne électorale où l'un des principaux enjeux était justement le libre‑échange.

5 En novembre 1988, le grand public a été mis au courant de l'existence de l'article de Goldhawk grâce à un article de journal de Charles Lynch, journaliste et membre de longue date de l'ACTRA. L'article de Lynch, intitulé «Free trade: foes are alive and well and working for the CBC», a paru dans l'Ottawa Citizen et le Vancouver Province. Selon Lynch, les auditeurs avaient le droit d'être informés sur les ondes du rôle de Goldhawk au sein de l'ACTRA et de la position de celle‑ci relativement au libre‑échange.

6 Le directeur régional des actualités à la radio de la SRC a été informé de l'article de Lynch. Cela a mené à une série de rencontres entre Goldhawk et des représentants de la SRC afin de décider de la ligne de conduite à adopter. Il s'agissait de savoir si Goldhawk, par son article et par ses interventions publiques en tant que président de l'ACTRA, avait violé la politique journalistique de la SRC. Il a été convenu, à titre de mesure provisoire, que Goldhawk cesserait d'animer Cross Country Checkup jusqu'au lendemain des élections. Goldhawk a en même temps mis fin à ses interventions publiques au nom de l'ACTRA.

7 Après les élections, dans une tentative d'apaiser les inquiétudes de la SRC, Goldhawk a offert d'abandonner ses fonctions de porte‑parole de l'ACTRA tout en en conservant la présidence. Cette offre a été rejetée. La SRC a dit à Goldhawk qu'il lui fallait choisir entre son poste d'animateur de Cross Country Checkup et la présidence de l'ACTRA. Goldhawk a donc démissionné de la présidence de l'ACTRA et a repris les fonctions d'animateur de son émission radiophonique.

8 Le syndicat a déposé auprès de l'intimé, le Conseil canadien des relations du travail, une plainte reprochant à la SRC d'avoir violé l'al. 94(1)a), le sous‑al. 94(3)a)(i), les al. 94(3)b) et 94(3)e) ainsi que l'art. 96 du Code. Le Conseil à la majorité a conclu que la SRC avait violé l'al. 94(1)a) du Code canadien du travail et il a fait une déclaration dans ce sens: (1990), 83 di 102, 91 C.L.L.C. ¶ 16,007. La Cour d'appel fédérale a rejeté à l'unanimité la demande de contrôle judiciaire de la SRC, [1992] 2 C.F. 665, 92 D.L.R. (4th) 316, 141 N.R. 116, 92 C.L.L.C. ¶ 14,035, d'où le pourvoi de cette dernière devant notre Cour.

II. Les dispositions législatives pertinentes

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L‑2

8. (1) L'employé est libre d'adhérer au syndicat de son choix et de participer à ses activités licites.

22. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, les ordonnances ou les décisions du Conseil sont définitives et ne sont susceptibles de contestation ou de révision par voie judiciaire que pour les motifs visés aux alinéas 18.1(4)a), b) ou e) de la Loi sur la Cour fédérale et dans le cadre de cette loi.

(2) Sauf exception prévue au paragraphe (1), l'action — décision, ordonnance ou procédure — du Conseil, dans la mesure où elle est censée s'exercer dans le cadre de la présente partie, ne peut, pour quelque motif, y compris celui de l'excès de pouvoir ou de l'incompétence à une étape quelconque de la procédure:

a) être contestée, révisée, empêchée ou limitée;

b) faire l'objet d'un recours judiciaire, notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition, ou de quo warranto.

94. (1) Il est interdit à tout employeur et à quiconque agit pour son compte:

a) de participer à la formation ou à l'administration d'un syndicat ou d'intervenir dans l'une ou l'autre ou dans la représentation des employés par celui‑ci.

. . .

(3) Il est interdit à tout employeur et à quiconque agit pour son compte:

a) de refuser d'employer ou de continuer à employer une personne, ou encore de la suspendre, muter ou mettre à pied, ou de faire à son égard des distinctions injustes en matière d'emploi, de salaire ou d'autres conditions d'emploi, de l'intimider, de la menacer ou de prendre d'autres mesures disciplinaires à son encontre pour l'un ou l'autre des motifs suivants:

(i) elle adhère à un syndicat ou en est un dirigeant ou représentant — ou se propose de le faire ou de le devenir, ou incite une autre personne à le faire ou à le devenir —, ou contribue à la formation, la promotion ou l'administration d'un syndicat,

. . .

b) d'imposer, dans un contrat de travail, une condition visant à empêcher ou ayant pour effet d'empêcher un employé d'exercer un droit que lui reconnaît la présente partie;

. . .

e) de chercher, notamment par intimidation, par menace de congédiement ou par l'imposition de sanctions pécuniaires ou autres, à obliger une personne soit à s'abstenir ou à cesser d'adhérer à un syndicat ou d'occuper un poste de dirigeant ou de représentant syndical . . .

96. Il est interdit à quiconque de chercher, par des menaces ou des mesures coercitives, à obliger une personne à adhérer ou à s'abstenir ou cesser d'adhérer à un syndicat.

98. . . .

(4) Dans toute plainte faisant état d'une violation, par l'employeur ou une personne agissant pour son compte, du paragraphe 94(3), la présentation même d'une plainte écrite constitue une preuve de la violation; il incombe dès lors à la partie qui nie celle‑ci de prouver le contraire.

III. Les juridictions inférieures

Conseil canadien des relations du travail (1990), 83 di 102

Décision majoritaire (le vice‑président Serge Brault et le membre Linda Parsons)

9 Au début de ses longs motifs, le Conseil à la majorité a précisé qu'il s'agissait de décider si la SRC a enfreint le Code canadien du travail en demandant à Goldhawk de choisir entre son poste d'animateur d'émission radiophonique et la présidence du syndicat.

10 En ce qui concerne le fardeau de la preuve, le Conseil à la majorité a noté qu'aux termes du par. 98(4) du Code il incombait à l'employeur à l'égard de toutes les dispositions invoquées, sauf l'al. 94(1)a) et l'art. 96. Le Conseil à la majorité a souligné qu'une distinction pouvait également être faite, relativement à la question de l'intention, entre l'al. 94(1)a) et les autres dispositions invoquées par le syndicat. Il n'était pas nécessaire, pour que le plaignant ait gain de cause en vertu de l'al. 94(1)a), qu'il établisse l'existence d'un sentiment antisyndical chez l'employeur. Au contraire, cet alinéa exigeait l'application d'un critère objectif axé sur l'effet des mesures de l'employeur sur les droits légitimes des employés ou de leurs syndicats.

11 Le Conseil à la majorité a toutefois ajouté que ce ne sont pas toutes les difficultés auxquelles les syndicats peuvent faire face dans leur formation et leur administration qui permettraient de conclure à la violation de l'al. 94(1)a). Le Conseil appliquerait plutôt un critère de l'équilibre des intérêts, consistant à examiner si une «justification suffisante ou légitime pour des motifs administratifs ou commerciaux, ou aux fins de la négociation collective» (p. 128) venait faire contrepoids aux répercussions défavorables sur les activités syndicales. Dans les cas où les intérêts en présence étaient égaux, le mobile serait le facteur déterminant.

12 Pour ce qui était de définir ce qui constituait un «intérêt légitime de la direction», il était évident que la conséquence néfaste pour les intérêts commerciaux de l'employeur devait être réelle et représenter plus qu'un ennui ou un inconvénient mineur. Le Conseil à la majorité résume ainsi, à la p. 131, le critère à appliquer aux fins de l'al. 94(1)a):

Bref, en vertu du Code canadien du travail, tous les gestes d'un employeur qui constituent une ingérence réelle dans les activités syndicales de sollicitation d'adhésions sur les lieux de travail seront jugés selon la règle de l'équilibre des intérêts et considérés illégaux aux termes de l'alinéa 94(1)a), à moins que des circonstances impérieuses et exceptionnelles ne les justifient. En revanche, les autres gestes de l'employeur qui portent effectivement atteinte aux droits protégés en vertu de l'alinéa 94(1)a) seront jugés selon la règle qui veut que le Code l'emporte sur tout règlement établi par l'employeur . . .

13 Le Conseil à la majorité s'est demandé si Goldhawk se livrait à une activité syndicale licite au sens du Code lorsqu'il a signé son article dans ACTRASCOPE. Il a reconnu que l'al. 94(1)a) ne pouvait servir à protéger toutes les activités syndicales. L'activité à laquelle a participé Goldhawk était la signature, en sa qualité de porte‑parole syndical, d'un article paru dans le bulletin du syndicat. Le Conseil était donc appelé à décider si l'ACTRA, en tant que syndicat, et Goldhawk, en tant que dirigeant syndical, avaient droit à la protection du Code dans ces circonstances. Le Conseil à la majorité a répondu à cette question par l'affirmative en faisant les observations suivantes, à la p. 133:

Dans la présente affaire, l'article de M. Goldhawk a été publié dans le bulletin du syndicat, et il était destiné à un auditoire limité, composé des membres du syndicat. Il semble raisonnable de supposer que le Code autorise le président d'un syndicat au moins à dire oralement ou par écrit à ses troupes ce qu'il peut dire au grand public.

14 Il a souligné qu'aux termes de la Loi sur la radiodiffusion, L.R.C. (1985), ch. B-9 (telle qu'elle se lisait à l'époque), Goldhawk n'était pas un fonctionnaire. Ses relations du travail devaient être régies par les mêmes dispositions du Code que celles du personnel des radiodiffuseurs privés. Ayant passé en revue de nombreuses décisions antérieures du Conseil, les membres formant la majorité se réfèrent, à la p. 137, à la décision Société canadienne des postes (1988), 75 di 189, où le Conseil établit les lignes directrices suivantes relativement au droit d'un dirigeant syndical de s'exprimer publiquement:

La déclaration doit se rapporter aux lignes de conduite, aux intérêts et aux préoccupations du syndicat en tant que tel, mais il n'est pas nécessaire qu'elle ait pour ainsi dire été préparée par le syndicat et que le représentant s'y conforme à la lettre. La protection fournie par le Code ne s'étend pas au représentant syndical qui s'est prévalu de sa situation pour faire des commentaires publics au sujet d'un employeur en vue de promouvoir un objectif personnel ou autre qui ne peut pas être relié à l'intérêt de la collectivité.

Les déclarations malveillantes ou celles faites sans se soucier de la vérité ne bénéficieraient pas de la protection du Code.

15 Le Conseil à la majorité a fait remarquer qu'à une seule exception près toutes les décisions citées par les parties portaient sur des déclarations publiques dirigées directement contre l'employeur. Il a précisé que le droit des dirigeants syndicaux de faire de telles déclarations découlait du Code et que les dirigeants qui agissaient de bonne foi pouvaient s'attendre à une protection légale dont tous les employés ne bénéficiaient pas nécessairement. Cette jurisprudence n'avait toutefois qu'une application limitée en l'espèce, étant donné qu'il s'agissait d'un article publié par un dirigeant syndical dans un bulletin syndical et dans le contexte d'une campagne visant à obtenir l'appui des membres pour une position officielle du syndicat. Le Conseil à la majorité statue ceci, aux pp. 144 et 145:

Bref, lorsqu'un syndicat juge qu'une politique économique du gouvernement, comme le libre‑échange, est dangereuse ou avantageuse pour ses membres, la parution dans une publication syndicale d'un article sur ce sujet est bel et bien une activité syndicale licite au sens du Code.

Pour la majorité, le fait pour un syndicat d'artistes et de comédiens qui {oe}uvrent dans un secteur souvent largement subventionné de prendre position sur un accord de libre‑échange est aussi légitime que le serait pour le syndicat des Teamsters le fait de prendre position sur la déréglementation du secteur des transports.

En outre, le fait que le rôle de porte‑parole de M. Goldhawk a été défini par ACTRA dans ses règlements internes est protégé en vertu du droit des syndicats d'adopter leurs propres statuts et autres règles, en vertu de l'alinéa 94(1)a) du Code . . .

16 Le Conseil à la majorité a conclu que ce n'était pas un sentiment antisyndical qui avait poussé la SRC à faire choisir Goldhawk entre son poste au sein de l'ACTRA et son emploi chez la SRC, et qu'aucune violation du sous‑al. 94(3)a)(i), de l'al. 94(3)e) ou de l'art. 96 n'avait pu être établie. Cette conclusion n'est pas contestée par l'ACTRA.

17 Passant ensuite à l'élément justification que comporte le critère de l'al. 94(1)a), le Conseil à la majorité a précisé que la question était non pas de savoir si, comme l'avaient conclu des conseils d'arbitrage dans d'autres situations, la politique journalistique de la SRC était raisonnable, mais bien de savoir si elle pouvait légalement s'appliquer à Goldhawk dans les circonstances. L'application particulière de la politique devait être compatible avec les obligations imposées à la SRC par le Code. Le Conseil à la majorité a examiné si la décision de la SRC était justifiée par des motifs commerciaux impérieux. Si l'unité de négociation représentée par l'ACTRA n'avait été composée que de journalistes de la radio et de la télévision, a‑t‑il fait remarquer, le syndicat aurait été paralysé. En concluant que l'existence d'une violation de l'al. 94(1)a) avait été établie, le Conseil dit, aux pp. 147 et 148:

Dans le passé, la [SRC] a utilisé d'autres moyens, tels qu'une divulgation en ondes, pour garantir le droit du public à l'impartialité de ses journalistes. Surtout, nous ne voyons pas en quoi la démission forcée de M. Goldhawk a pu moindrement le dissocier plus qu'auparavant d'une question controversée. Certains pourraient même soutenir que M. Goldhawk a été sacrifié sur l'autel du libre‑échange, et qu'en ce sens il demeure associé de très près à cette question, sans égard à sa démission comme président du syndicat.

18 Le Conseil à la majorité a conclu que l'article de M. Goldhawk était lié aux intérêts des membres du syndicat dans leur ensemble et qu'il n'était ni téméraire ni malveillant. La décision de la SRC a eu pour effet d'empêcher un de ses journalistes d'être président de l'ACTRA. Cela constituait en soi une violation du Code. De plus, l'application du critère de l'équilibre des intérêts révélait clairement que la SRC n'avait pas tenté de concilier ses intérêts légitimes liés au service avec ceux de Goldhawk en tant que syndiqué. Elle n'a pas prouvé de manière le moindrement convaincante en quoi le fait pour Goldhawk de conserver son poste de président de l'ACTRA portait atteinte à l'image d'impartialité de la SRC. Le Conseil à la majorité a donc conclu à la violation de l'al. 94(1)a) du Code et a fait une déclaration assortie d'une ordonnance de ne pas faire.

La dissidence (le membre Evelyn Bourassa)

19 Le membre dissident a souscrit aux conclusions de fait du Conseil à la majorité, dont celle concernant l'absence de sentiment antisyndical. Elle n'a toutefois pas souscrit à sa conclusion que la SRC s'était ingérée dans les activités d'un syndicat. La protection accordée par les dispositions du Code relatives aux pratiques déloyales de travail ne s'étendait pas à toutes les activités licites d'un syndicat, et elle aurait qualifié de purement politiques les activités que le syndicat cherchait à faire protéger. Le débat sur le libre‑échange n'était pas inscrit à l'ordre du jour des discussions entre l'ACTRA et la SRC dans le contexte de leur relation de négociation collective, ou dans le contexte global de leurs relations du travail.

20 Le membre dissident a noté que le Conseil canadien des relations du travail a compétence sur les activités des syndicats dans la mesure où celles‑ci sont liées à leur rôle d'agents négociateurs d'employés qui travaillent dans le cadre d'une entreprise fédérale. Les syndicats eux‑mêmes ne sont pas des entreprises fédérales. Par conséquent, une interprétation du Code qui le rendrait applicable à des activités débordant la relation de négociation collective lui paraissait injustifiée étant donné l'incertitude constitutionnelle qui entoure la compétence du Parlement et de l'organisme fédéral sur les syndicats eux‑mêmes.

21 D'après le membre dissident, le Conseil à la majorité n'a pas tenu compte de la réalité des syndicats d'aujourd'hui qui s'impliquent dans bien des domaines qui n'ont rien à voir avec la négociation collective. Quoique légitimes en ce sens qu'elles n'étaient pas entachées d'illégalité, ces activités ne bénéficiaient pas de la protection du Code. Elle a fait des distinctions d'avec les décisions citées par le Conseil à la majorité et a souligné qu'il ressortait même de ces décisions que les déclarations publiques examinées devaient se rapporter à des questions de négociation collective. Pour ce qui est des décisions concernant la Société canadienne des postes ((1987), 71 di 215 et (1988), 75 di 189), elles ne concernaient pas un employeur {oe}uvrant dans les domaines délicats des communications et de la radiodiffusion.

22 Le membre dissident a donc refusé de se pencher sur la question du bien‑fondé de la plainte, mais a tout de même fait remarquer que le souci d'impartialité de la SRC était non seulement un souci légitime, mais bien un souci qu'elle se devait d'avoir. Son rôle unique de radiodiffuseur ayant pour mandat de promouvoir l'unité nationale et son rôle de service de radiodiffusion public financé en grande partie sur les deniers publics exigeaient que la SRC ait les normes d'impartialité les plus strictes qui soient. Le membre dissident aurait rejeté la plainte.

Cour d'appel fédérale, [1992] 2 C.F. 665 (les juges Pratte, Desjardins et Décary)

23 Le juge Desjardins a exposé les conclusions du Conseil et a fait remarquer que, d'après la requérante, celui‑ci avait outrepassé sa compétence en appliquant les dispositions du Code relatives aux pratiques déloyales de travail pour protéger des activités politiques du syndicat qui n'avaient absolument rien à voir avec la négociation collective, en n'appliquant pas ou en interprétant erronément les dispositions de la Loi sur la radiodiffusion et de la politique journalistique de la SRC, et en donnant une interprétation déraisonnable à l'al. 94(1)a).

24 Le juge Desjardins a conclu que le Conseil avait respecté les limites de sa compétence en examinant la question de savoir si la SRC s'était livrée à des pratiques déloyales de travail. Voici ce qu'elle affirme, à la p. 678:

Le fait de forcer le président d'un syndicat à démissionner à cause de déclarations faites en sa qualité de président et de porte‑parole de ce syndicat peut raisonnablement être considéré à première vue comme une intervention dans l'administration d'un syndicat au sens de l'alinéa 94(1)a) du Code canadien du travail.

Il incombait donc à la SRC de démontrer l'existence de motifs impérieux et légitimes liés au service et justifiant la mesure qu'elle avait prise.

25 De l'avis du juge Desjardins, en mettant les choses au mieux, on ne savait pas avec certitude si, telle que formulée, la politique journalistique de la SRC respectait le cadre de la Loi sur la radiodiffusion. Le CRTC n'a jamais assujetti le renouvellement de la licence de la SRC à l'observation de cette politique. Le plus qu'on pût dire au sujet de la politique journalistique était qu'elle représentait une directive que la direction de la SRC donnait à son personnel dans le but de respecter sa mission spéciale.

26 Le juge Desjardins conclut, aux pp. 679 et 680:

Le critère appliqué par le Conseil exige ensuite que l'on établisse l'existence d'un lien de causalité étroit entre le mobile de l'employeur et la mesure qu'il a prise. En l'espèce, les motifs avancés par la [SRC], à savoir la violation de sa politique journalistique, ont été analysés par le Conseil qui a conclu, à la majorité, qu'elle ne justifiait pas la mesure prise par la [SRC]. Que je sois ou non d'accord avec l'opinion de la majorité, j'estime qu'il lui était loisible d'en venir à cette conclusion, qui n'a pas été tirée de façon manifestement déraisonnable.

Elle a distingué la présente affaire d'avec les décisions citées par l'appelante, en faisant valoir que ces dernières portaient sur la question de compétence sous le régime de lois du travail et non la mise en équilibre d'intérêts légitimes divergents, et elle a rejeté l'appel.

IV. Les questions en litige

27 Il y a essentiellement deux questions en litige en l'espèce. La première concerne l'étendue de la compétence du Conseil aux fins de l'application de l'al. 94(1)a) du Code canadien du travail. La seconde est de savoir si le Conseil a commis une erreur de compétence en concluant que les mesures de la SRC constituaient une intervention injustifiée dans l'administration d'un syndicat, contrairement à l'al. 94(1)a). Bien que l'appelante allègue que le Conseil a mal interprété et appliqué la Loi sur la radiodiffusion et la politique journalistique de la SRC, il s'agit là d'un point qui est compris dans ces questions plus générales et qui peut être examiné dans leur contexte.

V. Analyse

A. La norme de contrôle

1. Principes généraux

28 La première étape du contrôle judiciaire de la décision d'un tribunal administratif consiste à déterminer la norme de contrôle appropriée. Comme on l'a souligné dans l'arrêt Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557, aux pp. 589 et 590:

Il existe diverses normes de contrôle applicables à la myriade d'organismes administratifs qui existent au Canada. Dans l'examen de la norme de contrôle applicable, il faut avant tout déterminer quelle était l'intention du législateur lorsqu'il a conféré compétence au tribunal administratif. Pour répondre à cette question, les tribunaux ont examiné divers facteurs, dont le rôle ou la fonction du tribunal. Il est également essentiel de savoir si les décisions de l'organisme sont protégées par une clause privative. Enfin, il est d'une importance fondamentale de savoir si la question touche la compétence du tribunal concerné.

Compte tenu de ces facteurs notamment, les tribunaux ont conçu une gamme de normes de contrôle qui va de celle du caractère manifestement déraisonnable jusqu'à celle du caractère correct. À ce propos, voir, d'une manière générale, H. Wade MacLauchlan, «Reconciling Curial Deference with a Functional Approach in Substantive and Procedural Judicial Review» (1993), 7 C.J.A.L.P. 1.

29 En général, la norme de contrôle applicable à la décision du tribunal qui est protégé par une clause privative générale est celle du caractère manifestement déraisonnable. Toutefois, il en est ainsi seulement dans la mesure où il n'y a pas eu d'erreur de compétence de la part du tribunal en question. Les questions de compétence abordées par le tribunal sont examinées indépendamment selon la norme du caractère correct. Une erreur commise au sujet d'une telle question de compétence entraînera l'annulation de l'ensemble de la décision.

30 En distinguant les questions de compétence des questions de droit relevant de la compétence d'un tribunal administratif, notre Cour a écarté une approche formaliste et a plutôt privilégié une «analyse pragmatique et fonctionnelle», pour reprendre l'expression du juge Beetz dans l'arrêt U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048. À la page 1088 de cet arrêt, le juge Beetz fait remarquer qu'il convient que la cour qui procède au contrôle examine:

. . . non seulement le libellé de la disposition législative qui confère la compétence au tribunal administratif, mais également l'objet de la loi qui crée le tribunal, la raison d'être de ce tribunal, le domaine d'expertise de ses membres, et la nature du problème soumis au tribunal.

Il s'agit de déterminer si le législateur a voulu que ce soit le tribunal administratif ou bien les cours de justice qui tranchent ultimement la question en litige.

2. Application des principes généraux à la présente affaire

31 Notre Cour a appliqué cette méthode dans de nombreux arrêts en matière de relations du travail, dont Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614 («AFPC no 1»), CAIMAW c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983, et Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941 («AFPC no 2»). Le tribunal des relations du travail, qu'on trouve aux niveaux fédéral et provincial, est un exemple classique d'organisme administratif qui est à la fois hautement spécialisé et, dans une très grande mesure, à l'abri de tout contrôle. Les décisions de l'organisme fédéral jouissent de la protection de la clause privative générale que renferme l'art. 22 du Code. Le Conseil canadien des relations du travail doit concevoir un régime cohérent et pratique pour l'application des nombreuses dispositions législatives qui régissent les relations du travail des employeurs et employés dont les activités sont du ressort fédéral. Pour que les différends entre ces travailleurs et leurs employeurs puissent se régler rapidement et d'une manière conciliable avec leurs autres droits et obligations aux termes du Code canadien du travail, les décisions du Conseil ne doivent pas pouvoir être systématiquement annulées par les cours de justice chaque fois que ces dernières désapprouvent la façon dont le Conseil a tranché une question donnée. Ainsi, la norme de contrôle judiciaire applicable est celle du caractère manifestement déraisonnable à moins que le Conseil n'ait commis une erreur de compétence.

32 L'appelante, la SRC, a soutenu devant notre Cour que la décision du Conseil, selon laquelle les restrictions imposées par l'employeur aux propos purement politiques que peut tenir un employé, en sa qualité de dirigeant syndical, pourraient être considérées comme une pratique déloyale de travail au sens de l'al. 94(1)a) du Code, est une décision restrictive de compétence qui devrait faire l'objet d'un contrôle fondé sur la norme du caractère correct. J'estime toutefois que cela revient à caractériser en termes trop stricts la question soumise au Conseil et à la formuler d'une manière qui en prédétermine certains aspects. Le Conseil lui‑même décrit, à la p. 124, de façon beaucoup plus simple et, selon moi, plus exacte la question dont il est saisi:

Il s'agit plutôt de savoir si le Code a été enfreint, le 22 novembre 1988, quand on a demandé à M. Goldhawk de choisir entre son emploi d'animateur de «Cross Country Checkup» et son poste de président d'ACTRA. C'est là la question que nous devons trancher.

33 En tranchant une question fondée sur l'al. 94(1)a), le Conseil devait d'abord déterminer si les activités syndicales visées par l'ultimatum enjoignant Goldhawk de démissionner de la présidence sous peine de perdre son poste d'animateur d'émission radiophonique, faisaient partie de l'administration d'un syndicat ou de la représentation de ses membres par celui‑ci. Il s'agit de savoir non pas si les déclarations purement politiques d'un syndicat constituent ce genre d'administration ou de représentation, mais plutôt si la capacité du syndicat d'élire parmi tous ses membres la personne qui sera à la fois son président et son porte‑parole sur des questions politiques et de négociation collective, fait partie de cette administration ou représentation.

34 Dans cette optique, nous sommes appelés à décider si, compte tenu de l'admission par l'appelante que le Conseil avait compétence, au sens strict, pour examiner si la SRC s'était livrée à une pratique déloyale de travail, l'interprétation et la définition des concepts d'«administration» et de «représentation» étaient des questions de compétence. Pour les fins de cette analyse, il faut reconnaître au départ que, dans le cas d'un tribunal aussi spécialisé que le Conseil canadien des relations du travail, dont le bon fonctionnement requiert un règlement rapide et final des différends, les cours de justice devraient hésiter à qualifier une disposition d'attributive de compétence, à moins que cette qualification ne s'impose clairement: Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227 («SCFP»), à la p. 233.

35 Il est intéressant de comparer la situation en l'espèce à celle devant laquelle se trouvait l'organisme administratif dans l'arrêt AFPC no 1, précité, où se posait directement la question de la norme de contrôle appropriée. Cet arrêt portait sur une décision de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique voulant que certains enseignants travaillant dans un pénitencier fédéral étaient des «employés» de la Fonction publique au sens de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. Le juge Sopinka a conclu, au nom de la Cour à la majorité, que le Parlement a voulu que l'interprétation du terme «employés» figurant à l'art. 33 de cette loi ait pour effet de limiter la compétence de la Commission.

36 Le juge Sopinka a invoqué, à l'appui de cette conclusion, le fait qu'on a expressément défini le terme «employés» dans la Loi plutôt que de laisser à la Commission le soin de l'interpréter par l'application de principes généraux. Le Parlement a, au moyen de cette définition claire, indiqué qu'il ne fallait pas recourir aux compétences spécialisées de la Commission pour interpréter ce terme. En outre, à la différence de plusieurs codes provinciaux du travail, il n'y avait aucune disposition conférant à la Commission une compétence exclusive à cet égard. De plus, le Parlement considérait que les fonctionnaires formaient une catégorie spéciale d'employés; cette distinction était à la base même de la création d'une loi distincte régissant leurs relations du travail.

37 Le juge Sopinka s'est demandé si le Parlement avait voulu conférer à la Commission compétence sur les relations du travail d'employés non membres de la fonction publique. Si on formule la question ici en litige de la façon proposée par l'appelante, à savoir comme en étant une d'activités purement politiques, il est évident que le Parlement n'a pas voulu conférer compétence sur ces activités parce qu'elles ne font pas partie de l'administration d'un syndicat ou de la représentation des employés par celui‑ci.

38 Abordant de façon pragmatique et fonctionnelle la qualification de la question soumise au Conseil en l'espèce, je conclus que le premier volet du critère de l'al. 94(1)a), qui oblige le Conseil à déterminer si les mesures de la SRC constituaient à première vue une intervention dans l'administration d'un syndicat ou dans la représentation des employés par celui‑ci, n'a rien à voir avec la compétence. Cette détermination n'a donc pas à être examinée indépendamment selon la norme du caractère correct et notre Cour ne devrait donc intervenir que si la décision du Conseil est manifestement déraisonnable. Plusieurs motifs m'amènent à cette conclusion.

39 D'abord, si l'on considère comme étant une question de compétence le fait de déterminer si l'employeur s'est à première vue ingéré dans l'administration d'un syndicat, au sens de l'al. 94(1)a), alors presque toutes les plaintes de pratiques déloyales de travail portées en vertu de cet alinéa et, par conséquent, presque toutes les plaintes de pratiques déloyales de travail dans lesquelles n'est allégué aucun sentiment antisyndical, seraient sujettes à un contrôle judiciaire fondé sur la norme du caractère correct de la décision. Fort de son expertise en matière de relations du travail, le Conseil a établi un critère à deux volets pour le règlement des demandes fondées sur l'al. 94(1)a). Le premier volet consiste à qualifier les activités syndicales et à déterminer s'il y a eu intervention de l'employeur dans celles‑ci. Du moment que le syndicat établit l'existence d'une telle intervention, le Conseil passe ensuite au deuxième volet du critère, qui consiste à se demander si cette intervention était justifiée. À mon avis, la réponse à la question de savoir si l'employeur s'est ingéré dans les activités syndicales énumérées à l'al. 94(1)a) touche au c{oe}ur de la compétence du Conseil. Se servir du cadre analytique établi par le Conseil pour isoler le premier volet du critère et pour conclure qu'il se rapporte à la compétence ne tient pas compte du fait que cette question fait partie de l'essence d'une décision fondée sur l'al. 94(1)a) et qu'elle relève donc clairement de la compétence du Conseil. Cela tient également d'une approbation de la théorie des questions préliminaires que notre Cour, dans des arrêts récents, a refusé d'adopter comme critère utile pour délimiter la compétence: voir SCFP, précité, aux pp. 233 et 234; Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du travail, [1984] 2 R.C.S. 412, aux pp. 421 et 422 («SEPQA»); Dayco (Canada) Ltd. c. TCA‑Canada, [1993] 2 R.C.S. 230, à la p. 253. La distinction fondamentale entre une question de droit et une question de compétence ne tient pas à la question à laquelle le tribunal décide de répondre en premier.

40 La conclusion que cette décision n'a rien à voir avec la compétence est appuyée par une analyse fonctionnelle du Code canadien du travail dans son ensemble. Le Code renferme, à son art. 22, une clause privative générale qui restreint le contrôle judiciaire aux seules erreurs qui donnent lieu à une perte ou à un excès de compétence. Il convient de reproduire cet article:

22. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, les ordonnances ou les décisions du Conseil sont définitives et ne sont susceptibles de contestation ou de révision par voie judiciaire que pour les motifs visés aux alinéas 18.1(4)a), b) ou e) de la Loi sur la Cour fédérale et dans le cadre de cette loi.

(2) Sauf exception prévue au paragraphe (1), l'action — décision, ordonnance ou procédure — du Conseil, dans la mesure où elle est censée s'exercer dans le cadre de la présente partie, ne peut, pour quelque motif, y compris celui de l'excès de pouvoir ou de l'incompétence à une étape quelconque de la procédure:

a) être contestée, révisée, empêchée ou limitée;

b) faire l'objet d'un recours judiciaire, notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition, ou de quo warranto.

41 À cette clause privative générale sont conjugués les vastes pouvoirs du Conseil de trancher les questions qu'on lui soumet. La compétence du Conseil pour entendre et régler toutes les plaintes de pratiques déloyales de travail découle des par. 97(1) et 98(1). L'article 99 du Code confère au Conseil de larges pouvoirs de redressement dans le cas où il conclut à une violation du Code. Les pouvoirs du Conseil comportent aussi, en vertu de l'art. 18 du Code, une procédure d'appel interne. En fait, le Conseil a examiné une demande de réexamen de sa décision, présentée par la SRC en vertu de cet article, mais il a conclu que les points qu'elle soulevait n'étaient pas de nature à nécessiter un réexamen par le Conseil siégeant au complet: Société Radio‑Canada (1991), 86 di 92.

42 De plus, contrairement à ce qui était le cas dans l'affaire AFPC no 1, précitée, les termes ici en cause ne sont pas expressément définis dans le Code. En fait, il existe une abondante jurisprudence du Conseil portant sur les critères à appliquer pour déterminer si l'existence d'une violation de l'al. 94(1)a) a été établie. En raison de ses connaissances spécialisées, le Conseil est particulièrement apte à déterminer si un employeur a touché à un droit protégé. Après tout, il s'agit là d'une décision qui exige que les objets et les buts du Code soient considérés dans le contexte plus large des relations du travail.

43 La situation en l'espèce s'apparente à celle dans l'affaire SEPQA, précitée, où le juge Beetz a conclu que la question de savoir si les activités du syndicat équivalaient à une grève relevait de la compétence du Conseil. Elle faisait partie intégrante de la question de savoir s'il y avait eu une grève illégale, le problème principal qu'il appartenait au Conseil seulement de résoudre. Je conclus que la question de savoir si la SRC est intervenue dans l'administration d'un syndicat et dans la représentation des employés par celui‑ci quand elle a demandé à Goldhawk de choisir entre la présidence de l'ACTRA et son poste d'animateur de Cross Country Checkup est une question de droit à laquelle le Parlement a voulu que ce soit le Conseil qui réponde et non pas les cours de justice: voir Domtar Inc. c. Québec (Commission d'appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756, à la p. 772. Cette question représente un aspect fondamental de celle de savoir si l'appelante s'est livrée à une pratique déloyale de travail et constitue en tant que telle un élément de la question qui relève de la compétence exclusive que le Parlement, par le truchement du Code, a conférée au Conseil. Notre Cour devrait donc s'en remettre à cette expertise, à moins que la décision du Conseil ne puisse être qualifiée de manifestement déraisonnable.

44 L'appelante prétend que l'existence de la Loi sur la radiodiffusion et de la politique journalistique de la SRC indique que la norme de contrôle applicable devrait être celle du caractère correct de la décision. L'appelante s'appuie sur le principe voulant que le tribunal administratif qui interprète une loi autre que sa loi constitutive soit soumis à la norme du caractère correct et elle cite, à cet égard, l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario Haldimand‑Norfolk Regional Board of Commissioners of Police c. Ontario Nurses' Association (1990), 41 O.A.C. 148.

45 La proposition voulant que la norme de contrôle applicable à l'interprétation par un tribunal administratif d'une loi autre que sa loi constitutive soit celle du caractère correct semble avoir son origine dans les motifs concordants du juge en chef Laskin dans l'affaire McLeod c. Egan, [1975] 1 R.C.S. 517. Il s'agissait, dans cette affaire, de déterminer si l'employeur pouvait obliger un employé à travailler plus de 48 heures par semaine. L'arbitre a conclu que la convention collective renfermait une clause suffisante pour satisfaire à l'exigence de consentement aux heures supplémentaires imposées par l'employeur, contenue au par. 11(2) de The Employment Standards Act. Le juge en chef Laskin (à l'avis duquel ont souscrit les juges Spence et Beetz) a convenu avec les juges formant la majorité que la convention collective ne comportait pas un tel consentement, faisant remarquer à ce propos, aux pp. 518 et 519:

Bien que la question devant l'arbitre ait été soulevée de par un grief présenté en vertu d'une convention collective, l'arbitre a dû porter son regard au‑delà de la convention collective et interpréter et appliquer une loi qui n'était pas une projection des relations de négociation collective des parties mais un texte législatif général d'intérêt public émanant de la législature provinciale supérieure. Sur une question de ce genre, il ne peut y avoir de politique de respect par les tribunaux de la sentence d'un arbitre . . .

46 Dans l'arrêt subséquent Saskatchewan Joint Board, Retail, Wholesale and Department Store Union c. MacDonalds Consolidated Ltd. (1985), 43 Sask. R. 260, le juge Vancise de la Cour d'appel de la Saskatchewan a conclu que ce principe devrait s'appliquer tout autant à l'interprétation de lois de portée générale par des tribunaux administratifs indépendants, puisque ces derniers ne se trouveraient pas dans une situation différente de celle de l'arbitre. À ce propos, voir également l'arrêt Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d'Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316, à la p. 336, et Peter A. Gall, «Judicial Review of Labour Tribunals: A Functional Approach», dans les Proceedings of the Administrative Law Conference de 1979, 305, aux pp. 333 à 336.

47 L'énoncé du juge en chef Laskin, dans l'arrêt McLeod, précité, a été examiné par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Haldimand‑Norfolk, précitée, où le tribunal administratif avait eu à décider si des policiers étaient des «employés» de la Région. Dans sa décision, le tribunal avait examiné certains articles de la Loi sur la police et de la Loi sur la municipalité régionale de Haldimand‑Norfolk. La Cour d'appel a rejeté l'argument selon lequel le fait que le tribunal administratif avait examiné ces lois devait forcément entraîner l'annulation de sa décision s'il avait commis une erreur en agissant ainsi. La Cour d'appel dit, à la p. 149:

[traduction] Le tribunal à la majorité s'est nécessairement référé à ces lois en analysant le problème qu'il était appelé à régler. À notre avis, l'arrêt McLeod c. Egan établit simplement que l'interprétation, par le tribunal, d'une loi autre que sa loi constitutive ne bénéficierait pas de la retenue judiciaire. Si cette autre loi est déterminante, elle permettra peut‑être de régler la question fondamentale. Mais il faut toujours se demander si la conclusion à laquelle le tribunal est finalement arrivé, compte tenu de l'interprétation donnée aux lois examinées et appliquées, est manifestement déraisonnable. Dans l'affirmative, la décision sera annulée; dans la négative, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

Une approche analogue a été adoptée dans les décisions Wentworth County Board of Education c. Wentworth Women Teachers' Assn. (1991), 80 D.L.R. (4th) 558 (C. div. Ont.), et Ontario Nurses' Assn. c. Etobicoke General Hospital (1993), 14 O.R. (3d) 40 (C. div.).

48 D'une manière générale, je souscris à la proposition selon laquelle la retenue judiciaire ne s'impose pas à l'égard de l'interprétation, par un tribunal administratif, d'une loi générale d'intérêt public qui n'est pas sa loi constitutive, tout en reconnaissant qu'une certaine retenue peut être indiquée dans des cas où la loi non constitutive se rapporte au mandat du tribunal et où celui‑ci est souvent appelé à l'examiner. Cependant, cela ne veut pas dire que chaque fois qu'un tribunal administratif examine une autre loi en rendant sa décision, celle‑ci devient dans l'ensemble sujette à un contrôle fondé sur la norme du caractère correct. S'il en était ainsi, il y aurait un élargissement considérable et injustifié des possibilités de contrôler les décisions administratives. De plus, il y a lieu de souligner que la clause privative n'incluait pas les motifs fondés sur une erreur de droit, dont il est question à l'al. 18.1(4)c) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (modifiée par L.C. 1990, ch. 8, art. 5). Cela tend à indiquer qu'il y a lieu de faire preuve d'une certaine retenue.

49 Bien que le Conseil puisse être soumis à la norme du caractère correct dans l'interprétation isolée d'une loi autre que sa loi constitutive, la norme de contrôle applicable à l'ensemble de la décision, à supposer que celle‑ci soit par ailleurs conforme à la compétence du Conseil, sera celle du caractère manifestement déraisonnable. Évidemment, la justesse de l'interprétation de la loi non constitutive pourra influer sur le caractère raisonnable global de la décision, mais cela tiendra à l'effet de la disposition législative en question sur la décision dans son ensemble.

50 En l'espèce, le Conseil a compétence exclusive pour décider si l'appelante s'est livrée à une pratique déloyale de travail et, en particulier, si elle est intervenue dans l'administration d'un syndicat ou dans la représentation des employés par celui-ci. Voilà une décision à laquelle notre Cour ne touchera que si elle est manifestement déraisonnable. L'appelante fait toutefois valoir qu'aux termes de la Loi sur la radiodiffusion elle était tenue de prendre la mesure qu'elle a prise pour s'acquitter de son obligation d'impartialité.

51 Je ne puis découvrir dans la Loi sur la radiodiffusion aucune disposition qui oblige expressément ou implicitement la SRC à limiter, afin de bien remplir le mandat que lui confie la Loi, la possibilité pour quiconque parmi ses employés d'occuper le poste de président d'un syndicat. Les dispositions les plus pertinentes invoquées par l'appelante sont les suivantes:

3. Il est déclaré que:

. . .

c) les personnes habilitées à exploiter des entreprises de radiodiffusion sont responsables des émissions qu'elles diffusent, le droit à la liberté d'expression ainsi que celui de recevoir des émissions restant incontestés, sous la seule réserve des lois et règlements d'application générale;

d) la programmation du système canadien de radiodiffusion devrait être aussi variée et diversifiée que possible et permettre, de manière raisonnable et équilibrée, l'expression d'opinions divergentes sur des sujets d'intérêt public . . .

. . .

f) il y aurait lieu d'assurer, par l'intermédiaire d'une personne morale créée par le Parlement à cet effet, un service national de radiodiffusion à teneur et de nature principalement canadiennes;

g) le service national de radiodiffusion devrait:

(i) offrir, à l'intention des personnes de tous âges, aux intérêts et aux goûts divers, des services et une programmation équilibrés qui renseignent, éclairent et divertissent. . .

52 L'interprétation qu'il convient de donner à l'obligation d'offrir «des services [. . .] équilibrés qui renseignent», imposée au sous‑al. 3g)(i) de la Loi sur la radiodiffusion, est pertinente relativement au dernier volet du cadre analytique établi par le Conseil et destiné à servir dans le cas de plaintes fondées sur l'al. 94(1)a). Ce volet du critère consiste à déterminer s'il existait pour les mesures prises par la SRC une justification valable et impérieuse liée au service. Le Conseil, apparemment en raison de l'approche qu'ont adoptée les parties, s'est concentré sur la politique journalistique en tant que «corollaire» des dispositions de la Loi, et a conclu que cette politique ne fournissait pas une telle justification.

53 La politique journalistique est un document exhaustif qui traite de nombreux et divers aspects des activités de la SRC dans le domaine de la programmation d'information. S'y trouvent énoncées des lignes directrices concernant notamment le contenu des émissions et la censure, la réalisation d'émissions, les droits des participants aux émissions ainsi que les aspects juridiques de la radiodiffusion. Les parties de la politique les plus pertinentes en l'espèce se trouvent au «Chapitre I -‑ Normes et principes», qui prévoit, aux pp. 8 et 15:

ÉQUILIBRE ET PLURALISME

. . .

Un journaliste a ses propres opinions ou partis pris. Cependant, l'application appropriée des critères professionnels empêchera le journaliste de céder à ses partis pris ou préjugés. Il est capital qu'il fasse son reportage de façon judicieuse et équitable.

. . .

PERSONNEL JOURNALISTIQUE

Le personnel à l'antenne et ceux à qui Radio‑Canada confie le montage, la production ou la gestion de ses émissions, ont un accès privilégié à des médias influents. Par conséquent, leur action est d'une importance capitale pour le maintien des principes journalistiques et pour la politique de la S.R.C. en rapport avec ces principes. Pour que ce personnel reste crédible, il doit éviter de s'identifier publiquement, de quelque façon que ce soit, à des déclarations partisanes ou à des initiatives sur des sujets controversés.

54 L'énoncé suivant du Conseil, à la p. 147, s'applique avec autant de force aux prescriptions de la Loi qu'à la tentative de les mettre en application que représente la politique journalistique:

Supposons, pour les fins du raisonnement, que la [SRC] pourrait — fût‑ce indirectement — décider du contenu d'un bulletin syndical. D'après la jurisprudence du Conseil, la [SRC] devrait quand même justifier ses actes en invoquant des motifs commerciaux impérieux pour échapper à l'alinéa 94(1)a). En outre, il faudrait qu'elle convainque le Conseil que, dans le contexte de la présente affaire, la décision de laisser M. Goldhawk conserver son poste à ACTRA après le 22 novembre tout en continuant à travailler sur les ondes de la [SRC] aurait eu de si terribles répercussions sur l'image de la [SRC] comme service national de radiodiffusion et sur son obligation de fournir une information équilibrée pour justifier l'exigence de la démission de M. Goldhawk d'ACTRA. Enfin, la [SRC] devrait démontrer que les faits ayant entouré sa décision de demander à M. Goldhawk de démissionner de son poste de président d'ACTRA justifiaient pleinement sa décision, compte tenu de ses conséquences.

55 Le Conseil a compétence pour définir ainsi la pertinence d'impératifs d'autres lois pour les fins de son analyse fondée sur l'al. 94(1)a). De même, ne sont pas déraisonnables les conclusions de fait qui ont amené le Conseil à conclure à l'absence de motifs commerciaux impérieux en l'espèce. De plus, la décision du Conseil ne renferme, selon moi, aucune erreur dans son traitement du rapport entre la Loi sur la radiodiffusion (ou la politique journalistique connexe) et les obligations que le Code canadien du travail impose à l'appelante, la SRC.

56 L'obligation générale, imposée à l'al. 3d) et au sous‑al. 3g)(i) de la Loi sur la radiodiffusion, d'offrir des services équilibrés qui renseignent doit s'interpréter d'une manière conciliable avec les obligations précises du Code. Le cadre analytique que le Conseil a lui‑même établi pour l'application de l'al. 94(1)a) prévoit ce genre de conciliation en prescrivant un critère de l'équilibre des intérêts suivant lequel les intérêts légitimes de la direction, comme le respect d'autres exigences légales, autorisent une conduite qui constituerait par ailleurs une ingérence dans un syndicat au sens de l'al. 94(1)a). Je le répète, j'estime que ni le critère appliqué ni le résultat obtenu n'est manifestement déraisonnable.

57 Pour ce qui est de la politique journalistique de la SRC elle‑même, ce document n'est pas un texte législatif. Il s'agit d'une directive de gestion interne établie par la SRC en fonction de sa propre interprétation des obligations que lui impose la Loi sur la radiodiffusion. Cette politique ne saurait éliminer les obligations que le Code canadien du travail impose à la SRC. Il est sans importance que la politique ait été maintenue par des arbitres qui ont attesté de la bonne foi de la SRC. Même la politique la plus admirable ne saurait autoriser un employeur à modifier unilatéralement l'étendue des droits reconnus aux syndicats par un texte législatif. Par conséquent, toute incompatibilité entre les prescriptions de la politique et les directives du Code, telles qu'interprétées par le Conseil, comme nous l'avons vu, doit être résolue en faveur du Code. Comme l'affirme le Conseil à la majorité, à la p. 147:

Il est certainement légitime et légal pour la [SRC] de protéger son intégrité et son impartialité en se dotant d'une politique journalistique. Toutefois, la [SRC] doit démontrer plus qu'une espèce de légitimité globale à avoir une politique journalistique énergique. Son application même de sa politique dans les circonstances de l'espèce doit [. . .] être compatible avec les obligations qui lui sont imposées par le Code.

58 Pour résumer mes conclusions jusqu'à maintenant, la norme qu'il convient d'appliquer au contrôle judiciaire de la décision du Conseil voulant que l'appelante se soit livrée à une pratique déloyale de travail est celle du caractère manifestement déraisonnable. Le Conseil a compétence exclusive pour déterminer s'il y a eu pratique déloyale de travail consistant à intervenir dans l'administration d'un syndicat ou dans la représentation des employés par celui‑ci, contrairement à l'al. 94(1)a). Cette compétence comporte le pouvoir d'établir un critère permettant de déterminer ce qui constitue une telle intervention, et de définir la portée des concepts d'«administration» d'un syndicat et de «représentation» des employés. Ce n'est pas parce que l'employeur en l'espèce est créé et régi par une loi autre que la loi constitutive du Conseil qu'il faut hausser la norme globale de contrôle à celle du caractère correct de la décision, même si aucune retenue ne sera manifestée à l'égard de l'interprétation de cette autre loi par le Conseil. Dans la présente affaire, le Conseil n'a pas commis d'erreur en concluant que le fait que des obligations légales incombaient à l'appelante était pertinent pour déterminer si les mesures de l'appelante étaient justifiées par un motif commercial impérieux. Donc, pour que celle‑ci ait gain de cause, il faut conclure que la décision ultime, selon laquelle on n'a pas établi l'existence d'un tel motif, était déraisonnable d'après les éléments de preuve dont disposait le Conseil. Je passe maintenant à cette question.

B. Caractère raisonnable de la décision

59 La question que doit aborder notre Cour est celle de savoir si la décision du Conseil selon laquelle l'appelante s'était ingérée dans l'administration d'un syndicat ou dans la représentation des employés par celui‑ci était manifestement déraisonnable. La notion du caractère manifestement déraisonnable a été adoptée par le juge Dickson dans l'arrêt SCFP, précité, comme étant la norme qu'il convient d'appliquer en matière de contrôle d'une décision protégée par une clause privative et rendue par un tribunal administratif dans les limites de sa compétence. Le juge Dickson affirme, à la p. 237, que la cour qui procède au contrôle doit se poser la question suivante:

La Commission a‑t‑elle interprété erronément les dispositions législatives de façon à entreprendre une enquête ou à répondre à une question dont elle n'était pas saisie? Autrement dit, l'interprétation de la Commission est‑elle déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire?

60 Cette formulation a été confirmée à maintes reprises dans des arrêts subséquents. Le juge L'Heureux‑Dubé en a précisé la raison d'être dans l'arrêt récent Domtar Inc., précité, où elle dit, aux pp. 774 et 775:

Le critère de l'erreur manifestement déraisonnable constitue le pivot sur lequel repose la retenue des cours de justice. Dans le cadre des questions relevant de la compétence spécialisée d'un organisme administratif protégé par une clause privative, cette norme de contrôle a une finalité précise: éviter qu'un contrôle de la justesse de l'interprétation administrative ne serve de paravent, comme ce fut le cas dans le passé, à un interventionnisme axé sur le bien‑fondé d'une décision donnée. Le processus par lequel cette norme de contrôle a progressivement trouvé droit de cité chez les cours de justice est indissociable du principe contemporain de la retenue judiciaire, étroitement lié, à son tour, au développement d'une justice administrative à grande échelle . . .

61 Les motifs du juge Cory dans l'affaire AFPC no 2, précitée, contiennent un résumé exhaustif de la jurisprudence de notre Cour en la matière. Sur la question du sens de l'expression «manifestement déraisonnable», le juge Cory affirme, aux pp. 963 et 964:

Le sens de l'expression «manifestement déraisonnable», fait‑on valoir, est difficile à cerner. Ce qui est manifestement déraisonnable pour un juge peut paraître éminemment raisonnable pour un autre. Pourtant, pour définir un critère nous ne disposons que de mots, qui forment, eux, les éléments de base de tous les motifs. Le critère du caractère manifestement déraisonnable représente, de toute évidence, une norme de contrôle sévère. Dans le Grand Larousse de la langue française, l'adjectif manifeste est ainsi défini: «Se dit d'une chose que l'on ne peut contester, qui est tout à fait évidente». On y trouve pour le terme déraisonnable la définition suivante: «Qui n'est pas conforme à la raison; qui est contraire au bon sens». Eu égard donc à ces définitions des mots «manifeste» et «déraisonnable», il appert que si la décision qu'a rendue la Commission, agissant dans le cadre de sa compétence, n'est pas clairement irrationnelle, c'est‑à‑dire, de toute évidence non conforme à la raison, on ne saurait prétendre qu'il y a eu perte de compétence. Visiblement, il s'agit là d'un critère très strict.

62 Pour décider si la décision d'un tribunal administratif est manifestement déraisonnable, on ne touchera pas à l'interprétation qu'il a donnée à sa loi constitutive s'il a procédé de façon raisonnable et si le texte de cette loi se prête raisonnablement au sens qu'on lui a donné. Le texte d'une loi est souvent ambiguë et sujet à des interprétations divergentes. C'est donc à juste titre que les cours de justice s'en remettront à la définition préférée par le tribunal administratif qui peut mettre à profit dans sa décision son expertise ainsi que sa connaissance spécialisée du cadre législatif global dans lequel s'inscrit la disposition en question.

63 Pour déterminer si la décision rendue par le Conseil en l'espèce était manifestement déraisonnable, il faut d'abord cerner assez exactement ce que le Conseil a réellement décidé. Comme je l'ai déjà fait remarquer, la question litigieuse en l'espèce est de savoir si les activités de l'ACTRA intimée auxquelles a nui l'ultimatum lancé à Goldhawk par l'appelante, la SRC, étaient visées par l'al. 94(1)a). L'appelante fait valoir que le Conseil, en accordant une protection aux activités purement politiques, a commis une erreur manifestement déraisonnable.

64 D'une manière générale, la question formulée par le Conseil était de savoir s'il y a eu violation de l'al. 94(1)a) lorsqu'on a demandé à Goldhawk de choisir entre son poste d'animateur d'émission radiophonique et la présidence du syndicat. Cet ultimatum a eu des répercussions sur deux activités syndicales identifiables et distinctes. En premier lieu, la mesure prise par la SRC constituait précisément une réaction à la publication par Goldhawk de son article dans ACTRASCOPE. Dans ce sens, l'ultimatum, s'il demeurait incontesté, venait empêcher le président du syndicat de publier dans le bulletin syndical d'autres articles sur des questions comme le libre‑échange, s'il figurait parmi les membres de l'ACTRA qui étaient journalistes à Radio‑Canada. En deuxième lieu, l'ultimatum influait sur la possibilité pour les membres du syndicat de se choisir comme président un journaliste de la radio ou de la télévision. Il faut se rappeler que le Conseil a conclu que Goldhawk avait proposé à l'appelante un compromis selon lequel il abandonnerait son rôle de porte‑parole tout en demeurant président du syndicat, et que l'appelante a rejeté ce compromis.

65 Bref, les mesures de l'appelante ont eu pour effet de limiter à la fois la capacité du syndicat de choisir comme président un journaliste de la radio ou de la télévision et la possibilité pour le syndicat de se doter d'un président qui fasse également office de porte‑parole. Le Conseil avait à déterminer si ces deux activités faisaient partie de l'administration d'un syndicat ou de la représentation des employés par celui‑ci. Il s'agit pour notre Cour de décider si les conclusions du Conseil sur ce point sont «déraisonnable[s] au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente».

66 Le Conseil a examiné si la signature de l'article d'ACTRASCOPE par Goldhawk, en sa qualité de porte‑parole syndical, constituait une activité syndicale licite envisagée par le Code. Dans un sens plus général, il s'agissait de savoir si l'al. 94(1)a) protégeait la publication par un syndicat et un de ses dirigeants, dans un bulletin syndical, d'un article exprimant l'opinion qu'une politique économique du gouvernement constituait une menace pour les membres du syndicat ou leur était avantageuse. Le Conseil a répondu par l'affirmative à cette question.

67 L'appelante soutient qu'en décidant ainsi, le Conseil a jugé que les activités purement politiques des syndicats avaient droit à la protection de l'al. 94(1)a). Cela constitue toutefois une description trop limitée de la conclusion du Conseil. Ce dernier a examiné dans son contexte la mesure particulière prise par le syndicat en cause. Le Conseil a reconnu que l'al. 94(1)a) a ses limites. Il ressortait nettement de la jurisprudence du Conseil que cet alinéa ne s'appliquait à première vue que si les déclarations publiques de dirigeants syndicaux étaient liées aux intérêts des membres du syndicat dans leur ensemble, et non pas aux préoccupations personnelles du dirigeant syndical. De plus, ces déclarations ne devaient être ni téméraires ni malveillantes.

68 Le Conseil a reconnu que ses décisions antérieures pouvaient en quelque sorte être distinguées d'avec la présente affaire, puisqu'elles portaient sur des déclarations publiques qui visaient directement l'employeur. Dans la présente affaire, il s'agit d'un article publié dans un bulletin syndical et destiné aux membres du syndicat. Il ne s'agit pas du même genre de déclaration publique que celle qui était en cause dans les décisions précédentes. En outre, l'article ne s'adressait pas essentiellement à l'employeur, mais avait plutôt pour but d'obtenir l'appui des membres pour la position officielle du syndicat. Le Conseil a conclu que le Code devrait également s'appliquer dans ces circonstances. À mon avis, dans ce contexte, l'élargissement de la protection accordée au contenu de l'article n'était pas tout à fait injustifié. En déterminant si la décision était déraisonnable, il faut reconnaître ce qui caractérisait cette situation de fait.

69 La décision du Conseil à la majorité était fondée sur des principes et n'était pas irrationnelle. Le Conseil a exposé le cadre analytique établi pour prendre une décision fondée sur l'al. 94(1)a), il a examiné sa propre jurisprudence, il a reconnu les différences entre la présente affaire et celles qu'il avait analysées, et il a expliqué rationnellement pourquoi ces principes pouvaient s'appliquer par analogie en l'espèce. Le Conseil avait le droit d'appliquer à des faits nouveaux et analogues les règles de droit se dégageant de la jurisprudence. Comme le souligne le professeur Philip L. Bryden, à (1992), 71 R. du B. can. 580, à la p. 585, dans son commentaire sur l'arrêt W.W. Lester (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l'industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740, [1990] 3 R.C.S. 644:

[traduction] Sans doute, le Conseil à la majorité cherchait‑il à élargir la portée du raisonnement suivi dans les décisions antérieures, et la question de l'opportunité d'un tel élargissement était controversée même au sein du Conseil lui‑même. Toutefois, si cela était suffisant pour rendre une décision «manifestement déraisonnable», la capacité des tribunaux administratifs de faire évoluer le droit dans les domaines relevant de leur compétence s'en trouverait radicalement réduite, ce qui paraît inconciliable avec les déclarations récentes de la Cour suprême elle‑même sur l'opportunité de faire preuve de retenue à l'égard des tribunaux administratifs spécialisés.

70 Les observations du juge Wilson, dans l'affaire Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211, relatives à la façon de qualifier la participation d'un syndicat à des activités en dehors du lieu de travail constituent, malgré leur caractère d'opinion incidente, une indication de plus de la rationalité de la conclusion du Conseil sur ce point. Dans l'affaire Lavigne, il s'agissait de savoir si un syndiqué avait subi une violation de ses droits garantis par les al. 2b) et d) de la Charte lorsque ses cotisations syndicales obligatoires avaient servi à appuyer des causes, comme la campagne contre la construction du Skydome, qui n'avaient aucun lien direct avec le contexte de son emploi. Même si elle a conclu que ni l'un ni l'autre alinéa n'avait été violé, le juge Wilson (avec l'appui des juges L'Heureux‑Dubé et Cory) a néanmoins examiné, en obiter, si pareilles violations pourraient se justifier en vertu de l'article premier de la Charte. Quant à savoir s'il existait un lien rationnel entre, d'une part, la formule Rand qui prescrivait le versement de cotisations syndicales susceptibles de servir ensuite à appuyer des causes «politiques» tout à fait étrangères à la négociation de conventions collectives, et, d'autre part, l'objectif gouvernemental de promouvoir la paix industrielle par l'encouragement de la libre négociation collective, le juge Wilson affirme, à la p. 291:

Que la négociation collective soit tenue avant tout pour une activité économique ou une entreprise plus expansive, je suis d'avis que la participation du syndicat à des activités et à des causes dépassant le cadre du lieu de travail encourage la négociation collective. Grâce à leur participation, les syndicats sont à même de montrer à leurs commettants que leur mandat consiste à promouvoir consciencieusement et sincèrement les intérêts des travailleurs, d'obtenir ainsi leur appui et de se donner par le fait même les moyens de négocier avec les employeurs davantage sur un pied d'égalité. À mon sens, il est absolument indispensable de permettre aux syndicats d'obtenir et d'accroître cet appui pour assurer la réussite du système de la négociation collective.

71 Tout en concluant que l'on avait établi l'existence d'une violation de l'al. 2d), le juge La Forest (avec l'appui des juges Sopinka et Gonthier) a décidé que cette violation était justifiée en vertu de l'article premier. Au sujet de l'objectif de laisser au syndicat toute latitude pour décider de la façon de dépenser les cotisations qu'il perçoit, le juge La Forest fait remarquer, à la p. 334:

Le premier [objectif] est de faire en sorte que les syndicats aient à la fois les ressources et le mandat nécessaires pour leur permettre d'influer sur le contexte politique, économique et social dans lequel seront négociées des conventions collectives ou se résoudront des conflits de travail. L'équilibre du pouvoir entre la direction et les employés à un moment donné ou dans une industrie ou un milieu de travail donné est le fruit de plusieurs facteurs.

Il ressort de ces observations qu'il n'est pas déraisonnable de conclure à l'existence d'un lien entre la relation de négociation collective et les activités syndicales relatives à des questions sociales extrinsèques qui touchent leurs membres.

72 De plus, même si on peut dire que la décision du Conseil relative à la signature de l'article paru dans le bulletin est manifestement déraisonnable ou encore qu'il s'agit d'une décision erronée qui touche à la compétence, cela ne change rien au résultat. Il faut se rappeler que le Conseil a identifié deux activités syndicales qui étaient touchées par les mesures de l'appelante. Outre sa conclusion concernant la signature de l'article, le Conseil a décidé que les mesures de la SRC avaient pour effet d'empêcher tout journaliste de la radio ou de la télévision de devenir président de l'ACTRA. Il en était ainsi du fait que l'appelante avait rejeté le compromis proposé par Goldhawk, selon lequel ce dernier conserverait la présidence de l'ACTRA, mais quitterait ses fonctions de porte‑parole syndical.

73 Le Conseil a conclu, et il était rationnellement justifié de le faire, que cet acte constituait à lui seul une violation du Code. Peu importe la norme de contrôle retenue, il est évident que le Conseil était en droit de conclure que l'élection de toute personne que les autres membres du syndicat souhaitent avoir comme président est une activité qui ressortit au concept de l'«administration» d'un syndicat ou de la «représentation» des employés par celui‑ci. Cette conclusion n'est entachée d'aucune erreur.

74 En dernier lieu, les deux décisions sur lesquelles l'appelante s'est appuyée le plus devant notre Cour ne sont, à mon avis, tout simplement pas pertinentes. Les employés dont il était question dans l'affaire Almeida c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 1 C.F. 266 (C.A.), avaient été suspendus pour avoir porté sur leur uniforme des macarons fournis par le syndicat sur lesquels figuraient des messages d'opposition à la réduction de l'effectif et d'appui à l'adoption de certaines mesures législatives proposées. Les travailleurs ont demandé le contrôle judiciaire du rejet par l'arbitre de leurs griefs présentés à la suite des suspensions qui leur avaient été imposées. L'article de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique qu'ont invoqué les plaignants protégeait le droit des employés de participer aux activités légitimes du syndicat.

75 Le juge Heald a conclu que l'arbitre n'avait pas commis d'erreur donnant lieu à révision en rejetant les griefs. Quant au juge MacGuigan, dissident, il a décidé que le message inscrit sur le macaron se rapportait manifestement aux affaires syndicales. S'appuyant sur l'arrêt Quan c. Canada (Conseil du Trésor), [1990] 2 C.F. 191 (C.A.), il a conclu que l'employeur n'avait pas démontré l'existence d'une possibilité sérieuse d'effet nuisible sur son entreprise ou sa réputation. Le juge Pratte, qui a souscrit à l'avis du juge Heald, a été le seul à faire une distinction entre les types de messages susceptibles de figurer sur un macaron porté par des employés. Voici ce qu'il affirme, à la p. 270:

. . . un employeur aurait le droit de s'opposer à ce que ses employés portent, pendant les heures de travail, des macarons syndicaux par lesquels ils manifestent leur désaccord à l'encontre d'un projet de loi qui jouit de la faveur de l'employeur, sans que celui‑ci n'ait à prouver que ce geste est nuisible. Autrement, l'employeur serait en quelque sorte contraint de collaborer à la diffusion d'idées avec lesquelles il est en désaccord.

76 Indépendamment de la justesse de la décision majoritaire, le résultat dans l'affaire Almeida peut s'expliquer en partie par le fait que les déclarations étaient adressées au grand public, pendant les heures de travail, dans les locaux de l'employeur. Une telle situation serait analogue à celle où Goldhawk, alors que son émission Cross Country Checkup passerait sur les ondes, exhorterait ses auditeurs à se joindre à l'ACTRA pour s'opposer au libre‑échange. De toute évidence, des considérations différentes s'appliqueraient en pareil cas.

77 De plus, la décision majoritaire dans l'affaire Almeida est axée sur le préjudice causé à l'employeur et sur la question de savoir si les mesures prises par ce dernier étaient justifiées dans les circonstances particulières de l'affaire. Le juge Heald a conclu que l'arbitre était justifié de conclure que le message sur les macarons aurait bien pu entraîner les plaignants dans un vif débat public avec des personnes passant la douane. Voilà des considérations qui s'apparentent à celles qui entrent en ligne de compte à la deuxième étape du critère que l'organisme fédéral a utilisé dans son analyse fondée sur l'al. 94(1)a), laquelle visait à déterminer s'il existait du côté de l'employeur une justification valable. Elles n'ont aucune pertinence relativement à la question de savoir si les activités du syndicat dont l'appelante a limité l'exercice bénéficient de la protection de l'al. 94(1)a).

78 La deuxième décision invoquée par l'appelante est Adams Mine, Cliffs of Canada Ltd. c. United Steelworkers of America (1982), 1 C.L.R.B.R. (N.S.) 384 (Ont.). Il s'agit d'une affaire où le syndicat, qui était affilié au Nouveau Parti Démocratique fédéral («NPD»), avait affiché sur les babillards syndicaux dans les locaux de la société des avis nommant les travailleurs qui étaient solliciteurs pour le NPD en vue d'une élection partielle imminente. Les solliciteurs distribuaient de la documentation aux employés dans les locaux de la société mais en dehors des heures de travail. L'employeur a fait savoir au syndicat qu'il ne devait, à aucun moment, mener une campagne politique dans les locaux de la société.

79 Le syndicat a déposé une plainte de pratique déloyale de travail. L'employeur a fait valoir que la Loi sur les relations de travail ne s'appliquait pas et que la Commission des relations de travail de l'Ontario n'avait donc pas compétence pour entendre la plainte puisque la sollicitation politique servait les intérêts du NPD et non pas les intérêts du syndicat en matière de négociation collective. C'est pourquoi l'art. 3 de la Loi, voulant que chacun soit libre de participer aux activités légitimes d'un syndicat, ne s'appliquait pas.

80 Le président George W. Adams, c.r. (maintenant juge de la Cour de justice de l'Ontario (Division générale)), a rejeté, au nom du Conseil à la majorité, la plainte du syndicat. Tout en reconnaissant que la jurisprudence des commissions des relations de travail ailleurs au Canada ainsi qu'aux États‑Unis n'appuyait pas uniformément une telle distinction, le président Adams conclut tout de même, aux pp. 400 et 401:

[traduction] Dans une économie mixte, il se peut que toute tentative d'établir une ligne de démarcation entre la négociation collective et la politique soit irréaliste sur le plan économique et ne reconnaisse pas suffisamment l'influence des gouvernements sur le milieu de travail. [. . .] Par ailleurs, il existe de nettes différences institutionnelles entre l'activité de la négociation collective et l'action politique. Quel que soit le rapport économique général entre ces deux processus, les principales institutions fonctionnent à des paliers différents et sont distinctes.

81 Le président Adams a souligné que, d'après les faits dont il était saisi, il était important que la sollicitation se fasse de concert avec le NPD, dans le contexte d'une campagne électorale fédérale, et il a conclu, à la p. 406:

[traduction] Vu l'ensemble du dossier, nous sommes arrivés à la conclusion que, dans les circonstances de la présente affaire l'activité a un lien trop ténu avec l'objectif principal de la Loi sur les relations de travail pour fonder le droit revendiqué par le plaignant. À notre avis, les communications dont nous sommes saisis ne se rapportent pas tant aux préoccupations des membres de l'unité de négociation en tant qu'employés qu'à leurs préoccupations en tant qu'électeurs. Le plaignant ne se trouve donc pas à transmettre des renseignements aux employés membres de l'unité de négociation principalement en raison du fait que celle‑ci a qualité de représentante exclusive de ces employés aux fins de la négociation collective; il le fait plutôt à titre de membre ou de partisan d'un parti politique qui brigue les suffrages de certains employés. Dans ce contexte, la sollicitation syndicale ne diffère aucunement de n'importe quelle autre forme de sollicitation politique. Il ne devrait pas être permis à un syndicat de se servir de son statut d'agent négociateur accrédité pour s'emparer d'un auditoire aux fins de ses activités de sollicitation politique.

82 Le membre H. Kobryn, dissident, a dit que, selon une compréhension sensée des relations du travail, il ressortait des dispositions de la Loi que les activités syndicales en question étaient protégées. La véritable question était de savoir si le plaignant avait le droit de distribuer la documentation dans les locaux de l'employeur en dehors des heures de travail.

83 Il est possible d'établir une distinction d'avec la présente affaire sous ce seul rapport, du fait que le lieu de l'expression était le lieu de travail lui‑même. Je signale que c'est sous ce rapport que le juge Wilson a établi une distinction d'avec la décision Adams Mine, à la p. 288 de l'arrêt Lavigne, précité, et qu'elle était d'avis qu'il convenait d'interpréter cette décision comme limitée à la question de la sollicitation syndicale. En outre, l'activité en question dans Adams Mine était plus nettement «politique»; il s'agissait d'un effort conjoint avec le NPD de faire campagne pour un parti particulier dans le cadre d'une élection. Finalement, il ne faut pas oublier que, d'après les faits du pourvoi dont est maintenant saisie notre Cour, le Conseil se trouvait en présence d'une activité syndicale légitime et indépendante: le droit de choisir un président. La Commission des relations de travail de l'Ontario a elle aussi reconnu qu'il s'agit là d'une intervention dans les affaires d'un syndicat: voir McDonnell Douglas Canada Ltd., [1988] O.L.R.B. Rep. May 498.

84 D'une manière générale, la Commission à la majorité, dans l'affaire Adams Mine, donne une large portée à la législation en matière de relations de travail. Quoique le président Adams dise de la Loi qu'elle porte sur [traduction] «un aspect limité mais fondamental des intérêts syndicaux, à savoir le processus de négociation collective», il ajoute, à la p. 399:

[traduction] C'est cet objet dominant de la Loi et toutes les activités connexes qui découlent nécessairement de cet objet qui définissent la compétence de la Commission.

Cette observation relative à la portée et à l'objet fondamentaux de la Loi ne minimise aucunement le rôle de la Commission dans le milieu des relations de travail, et elle n'est pas non plus déterminante en l'espèce. Il existe un grand nombre d'activités connexes qui sont nécessaires à la réalisation de l'objet dominant de la Loi.

En l'espèce, il n'était pas déraisonnable de la part du Conseil de conclure que l'objet dominant du Code canadien du travail comportait le droit du président du syndicat de communiquer avec les membres de celui‑ci, dans une publication syndicale, au sujet de questions qui étaient importantes pour eux en leur qualité de journalistes, d'auteurs et d'artistes, ou que ce droit était nécessairement accessoire audit objet dominant. On peut en dire autant du droit du syndicat de choisir son président parmi tous ses membres et non pas parmi un groupe plus restreint déterminé par l'employeur.

85 L'appelante soutient également que le Conseil a agi de façon manifestement déraisonnable en concluant que, si elle est intervenue dans l'administration du syndicat, elle l'a fait sans justification valable. À ce propos, elle renvoit une fois de plus aux dispositions de la Loi sur la radiodiffusion et à leur interprétation dans la politique journalistique de la SRC. Or, comme je l'ai déjà fait remarquer en traitant de la compétence, j'estime qu'il n'existe aucun motif de toucher à la décision du Conseil à cet égard.

86 Le Conseil a examiné les parties de la politique journalistique qui, d'après l'appelante, étaient prescrites par la Loi sur la radiodiffusion, mais il a conclu qu'elles ne contraignaient pas l'appelante à prendre position comme elle l'a fait. Le Conseil a fait remarquer que, dans le passé, la SRC avait recouru à d'autres méthodes comme la divulgation sur les ondes, pour réagir à l'apparence de parti pris. Le Conseil était également d'avis qu'en obligeant Goldhawk à démissionner, il se peut bien qu'on n'ait fait que l'associer plus étroitement à la question du libre‑échange. Par conséquent, même si la Loi imposait à la SRC des obligations en matière d'impartialité, celles‑ci n'étaient nullement déterminantes étant donné la conclusion du Conseil à l'absence de tout lien de causalité entre cette exigence et le maintien de Goldhawk à la présidence. Le Conseil a conclu que la SRC n'avait pas tenté de concilier ses propres intérêts avec ceux de Goldhawk en tant que membre du syndicat. Pour paraphraser le Conseil (à la p. 151), l'appelante n'a pas prouvé de manière le moindrement convaincante en quoi cela nuirait à son image d'impartialité si Goldhawk continuait à occuper le poste de président. La conclusion du Conseil que l'appelante n'a pas justifié son intervention par des motifs valables et impérieux liés au service n'est pas déraisonnable.

VI. Conclusion et dispositif

87 Pour les motifs qui précèdent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi avec dépens en faveur du syndicat intimé.

Version française des motifs rendus par

88 Le juge La Forest — Si je comprends bien, la présente affaire soulève une question très restreinte et je préfère me limiter à celle-ci. Il suffit donc de dire que je souscris au dernier paragraphe des motifs du juge Sopinka et, en conséquence, je trancherais le pourvoi de la façon proposée par le juge Iacobucci.

Les motifs suivants ont été rendus par

89 Le juge L'Heureux‑Dubé — Je suis d'accord avec mon collègue le juge Iacobucci que cet appel doit être rejeté avec dépens en faveur du syndicat intimé. Je suis aussi substantiellement d'accord avec les motifs de mon collègue à cet égard. Je ne partage toutefois pas ses vues sur la norme de contrôle judiciaire lorsqu'un tribunal administratif interprète une loi autre que sa loi constitutive.

90 Le juge Iacobucci conclut que «la retenue judiciaire ne s'impose pas à l'égard de l'interprétation, par un tribunal administratif, d'une loi générale d'intérêt public qui n'est pas sa loi constitutive» (même s'il laisse ouverte la possibilité qu'une certaine mesure de retenue judiciaire puisse être indiquée «dans des cas où la loi non constitutive se rapporte au mandat du tribunal et où celui‑ci est souvent appelé à l'examiner») (p. 187). Il observe que cette proposition trouve sa source dans les motifs du juge en chef Laskin dans McLeod c. Egan, [1975] 1 R.C.S. 517. Dans McLeod, le juge en chef Laskin s'exprime ainsi, aux pp. 518 et 519:

Bien que la question devant l'arbitre ait été soulevée de par un grief présenté en vertu d'une convention collective, l'arbitre a dû porter son regard au‑delà de la convention collective et interpréter et appliquer une loi qui n'était pas une projection des relations de négociation collective des parties mais un texte législatif général d'intérêt public émanant de la législature provinciale supérieure. Sur une question de ce genre, il ne peut y avoir de politique de respect par les tribunaux de la sentence d'un arbitre . . .

91 Cependant, McLeod a trait à la décision d'un arbitre nommé en vertu d'une convention collective. Un tel arbitre n'était pas protégé par une clause privative générale comme l'est le Conseil canadien des relations du travail sous le Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L‑2 (voir Dayco (Canada) Ltd. c. TCA‑Canada, [1993] 2 R.C.S. 230). Aucune décision de notre Cour depuis McLeod ne semble avoir appliqué le dictum du juge en chef Laskin à un tribunal protégé par une clause privative étanche. De plus, l'interprétation par un tribunal d'une loi qui n'est pas sa loi constitutive ne peut comme telle, à mon avis, être qualifiée de question juridictionnelle. En conséquence, ne pas faire preuve de retenue judiciaire envers les décisions d'un tribunal protégé par une clause privative étanche en ce qui a trait à l'interprétation d'une loi qui n'est pas sa loi constitutive apparaît incompatible avec la jurisprudence de notre Cour en ce qui concerne la norme de contrôle judiciaire des décisions de ces tribunaux (Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, et U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048).

92 Je conclus, en conséquence, que le fait que le tribunal ait interprété une loi qui n'est pas sa loi constitutive n'a absolument aucun effet sur la norme de contrôle judiciaire qui, dans notre cas, est celle du caractère manifestement déraisonnable puisque la décision rendue par le tribunal en est une qui est à l'intérieur de sa compétence.

93 À l'exception de ce commentaire, je suis substantiellement d'accord avec les motifs de mon collègue Iacobucci et, comme lui, je rejetterais ce pourvoi avec dépens en faveur du syndicat intimé.

Version française des motifs rendus par

94 Le juge Sopinka — J'ai lu les motifs de mes collègues les juges McLachlin et Iacobucci. Bien que je souscrive au résultat auquel en arrive le juge Iacobucci, je ne puis accepter que le législateur a confié au Conseil la tâche de déterminer la portée de l'al. 94(1)a) du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L‑2, en ce qui concerne la gamme d'activités syndicales protégées. À mon avis, cela signifierait que le Conseil pourrait élargir la nature des activités qu'on a voulu que l'alinéa protège, de façon à inclure des questions non liées aux relations du travail. En conséquence, la disposition vise à restreindre la compétence et la décision peut donc faire l'objet d'un contrôle fondé sur la norme du caractère correct.

95 La question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si le législateur a voulu laisser au Conseil le soin de déterminer les questions visées par la disposition ou si la disposition visait à restreindre la compétence que le Conseil se devait d'exercer correctement. Il faut se servir de l'analyse pragmatique et fonctionnelle mentionnée dans l'arrêt U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, pour établir quelle était l'intention du législateur qui, une fois déterminée, doit l'emporter. Cela est essentiel à un système fondé sur la primauté du droit.

96 Aux fins de cette détermination, il faut mettre l'accent sur la portée de la disposition en vertu de laquelle la question est soulevée devant le tribunal et non sur la question même. En l'espèce, nous devrions nous concentrer non pas sur la question de savoir si le législateur a voulu que l'activité que l'ACTRA a exercée en s'opposant au libre‑échange soit visée par les mots de l'al. 94(1)a), mais plutôt sur celle de savoir quelle activité le législateur a-t-il voulu viser par cet alinéa et quelle en est la portée possible s'il n'est pas interprété conformément à l'intention du législateur. Formuler étroitement la question précise pour ensuite se demander si le législateur a voulu en confier l'examen au Conseil signifierait que la question de la compétence du Conseil devrait être examinée de nouveau chaque fois qu'il se présente une nouvelle situation factuelle. Il est incontestable que la compétence du Conseil, en vertu de l'al. 94(1)a), doit être établie une fois pour toute. Soit qu'il a compétence pour déterminer quelle activité se trouve visée par l'al. 94(1)a), soit qu'il ne l'a pas. Comme on l'affirme dans l'arrêt Bibeault, précité, à la p. 1086:

On peut je pense résumer en deux propositions les circonstances dans lesquelles un tribunal administratif excède sa compétence à cause d'une erreur:

1. [. . .]

2.Si, par contre, la question en cause porte sur une disposition législative qui limite les pouvoirs du tribunal, une simple erreur fait perdre compétence et donne ouverture à la révision judiciaire. [Je souligne.]

97 Compte tenu de la gamme d'activités syndicales qui sont susceptibles de donner lieu à une plainte fondée sur l'alinéa en question et dont la plupart n'ont rien ou à peu près rien à voir avec les fins du Code, je ne puis accepter que le législateur a voulu laisser au Conseil le soin de déterminer sur laquelle de ces activités il peut avoir compétence de façon à pouvoir imposer des sanctions à un employeur qui s'est livré à des «pratiques déloyales de travail». Mon collègue le juge Iacobucci paraît accepter qu'on n'a pas voulu que l'alinéa vise une activité purement politique et, pourtant, s'il appartient au Conseil d'interpréter les mots clés de cet alinéa, il pourrait alors décider que ce type d'activité est visé, ce qui serait contraire à l'intention du législateur.

98 Cependant, je souscris au motif subsidiaire sur lequel le juge Iacobucci se fonde pour appuyer la décision du Conseil. Je parle des mesures prises par la Société Radio‑Canada lorsqu'elle a refusé d'accepter le compromis proposé par Goldhawk, voulant qu'il conserve la présidence de l'ACTRA, mais qu'il n'en soit plus le porte‑parole. En ce qui concerne ce motif, le juge Iacobucci affirme, aux pp. 198 et 199:

Le Conseil a conclu, et il était rationnellement justifié de le faire, que cet acte constituait à lui seul une violation du Code. Peu importe la norme de contrôle retenue, il est évident que le Conseil était en droit de conclure que l'élection de toute personne que les autres membres du syndicat souhaitent avoir comme président est une activité qui ressortit au concept de l'«administration» d'un syndicat ou de la «représentation» des employés par celui‑ci. Cette conclusion n'est entachée d'aucune erreur.

Je suis d'accord avec cet énoncé et sa conclusion qu'il n'y a aucune raison de modifier la conclusion du Conseil relativement à l'absence de justification. Cela suffit pour trancher le présent pourvoi et j'adopte à cette fin la démarche proposée par le juge Iacobucci.

Version française des motifs rendus par

99 Le juge Gonthier — Je partage l'avis du juge Iacobucci, sous réserve du commentaire du juge L'Heureux‑Dubé.

Version française des motifs rendus par

100 Le juge McLachlin (dissidente) — En 1989, il y a eu une élection fédérale au Canada, dont le principal enjeu était l'accord de libre‑échange avec les États‑Unis. L'Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists ("ACTRA") s'opposait à cet accord. Dans un article paru dans le bulletin du syndicat, son président, Dale Goldhawk, s'est prononcé contre l'accord de libre‑échange et a invité les membres de l'ACTRA à voter contre le parti qui l'appuyait. Monsieur Goldhawk était animateur de Cross Country Checkup, une émission radiophonique d'affaires publiques produite par la Société Radio‑Canada («SRC»). La politique de la SRC exigeait que les animateurs d'émissions d'affaires publiques paraissent neutres et impartiaux. Monsieur Goldhawk a contrevenu à cette politique en faisant, au nom de l'ACTRA, des déclarations sur des questions relatives aux élections. La SRC lui a alors donné le choix d'abandonner la présidence du syndicat et de continuer d'être animateur de Cross Country Checkup, ou encore de demeurer à la présidence du syndicat et d'accomplir d'autres tâches pour la SRC. L'ACTRA a soutenu que cela constituait une intervention injuste dans les activités du syndicat, contrairement au Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, et le Conseil des relations du travail, à la majorité, a partagé cet avis: (1990), 83 di 102.

101 Il s'agit pour notre Cour de déterminer s'il y a lieu de maintenir la décision du Conseil. Il nous faut à cette fin déterminer quelle est la norme de contrôle appropriée et l'appliquer à la décision que le Conseil a rendu sur les questions dont il était saisi: (1) l'activité en question est‑elle visée par l'al. 94(1)a) du Code canadien du travail? (2) Dans l'affirmative, est‑ce que le choix que la SRC a laissé à M. Goldhawk constituait une intervention dans les activités du syndicat? Et (3), dans le cas où l'existence d'une intervention dans les activités du syndicat serait établie, cette intervention était‑elle justifiée? Le juge Iacobucci a appliqué à ces trois questions la norme du caractère manifestement déraisonnable et il conclu que la conclusion du Conseil n'était pas manifestement déraisonnable et qu'il n'y avait donc pas lieu de l'écarter. En toute déférence, je ne suis pas de cet avis. Je conviens que la norme de contrôle applicable aux première et deuxième questions est celle du caractère manifestement déraisonnable; cependant, je considère qu'il était manifestement déraisonnable pour le Conseil de conclure que les activités du syndicat étaient visées par le Code canadien du travail. Quant à la troisième question, j'estime que le Conseil devait donner une réponse non seulement raisonnable, mais correcte, et qu'il a commis une erreur. En définitive, j'accueillerais le pourvoi.

Analyse: la norme de contrôle

102 Le présent pourvoi vise essentiellement à déterminer quel est le degré de retenue dont il faut faire preuve à l'égard de la décision du Conseil canadien des relations du travail. La cour qui procède au contrôle doit‑elle faire preuve de retenue envers les opinions du Conseil et intervenir seulement si la décision rendue est manifestement déraisonnable? Ou encore peut‑elle modifier les conclusions du Conseil qu'elle juge incorrectes? Je suis d'accord avec mon collègue le juge Iacobucci pour dire que notre Cour devrait, à cette fin, appliquer le critère de l'analyse fonctionnelle formulé dans l'arrêt U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, qui oblige le tribunal à se demander quelle était l'intention du législateur.

103 Cependant, je ne suis pas d'accord avec la façon dont mon collègue applique ce critère. Il conclut que la même norme de contrôle, celle du caractère manifestement déraisonnable, doit s'appliquer globalement à toutes les questions, sauf à celles qui constituent nettement des questions de compétence. Tout en reconnaissant que les questions qui sont nettement des questions de compétence ou qui comportent l'interprétation d'un texte législatif doivent être jugées en fonction de la norme plus stricte du caractère correct, il ajoute néanmoins que la norme applicable à «l'ensemble de la décision» doit être celle du caractère manifestement déraisonnable. Quant à moi, j'estime plutôt que le critère de l'analyse fonctionnelle s'applique à des questions précises. Une même affaire peut soulever plusieurs questions. Dans certains cas, le législateur peut avoir voulu que les cours de justice fassent preuve de retenue envers le Conseil, mais pas dans d'autres. À mon avis, il faut appliquer le critère de l'analyse fonctionnelle à chaque question examinée par le Conseil, et la norme de contrôle appropriée aux réponses qui lui sont données.

104 Pour ce qui est de la norme de contrôle judiciaire applicable, le fait que le critère de l'analyse fonctionnelle vise des questions précises découle du critère lui‑même. Selon ce critère, la cour qui procède au contrôle doit examiner: (1) la loi habilitante de l'organisme administratif, y compris l'objet de cet organisme, l'étendue de ses pouvoirs, la portée des mots utilisés et l'existence ou l'absence d'une clause privative, (2) l'organisme dont la décision est attaquée, y compris la question de savoir s'il a développé une jurisprudence, comment se fait la sélection des membres et comment ceux‑ci participent à la prise de décisions, et l'expérience ou le contexte qui leur confère une perspicacité ou des avantages spéciaux, et (3) la nature du problème examiné, y compris le point de savoir si la question relève explicitement ou implicitement des pouvoirs de l'organisme, si l'organisme doit avoir des connaissances spécialisées pour y répondre, et s'il s'agit d'une question d'application générale à laquelle une cour de justice pourrait tout aussi bien répondre ou serait mieux placée pour le faire: Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, aux pp. 605 et 606, le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente, mais non sur ce point); voir aussi l'arrêt Bibeault, précité.

a)L'activité en question est‑elle visée par l'al. 94(1)a) du Code canadien du travail?

105 Le Conseil devait tout d'abord déterminer si la conduite en cause était visée par l'al. 94(1)a) du Code canadien du travail, qui prévoit ceci:

94. (1) Il est interdit à tout employeur et à quiconque agit pour son compte:

a) de participer à la formation ou à l'administration d'un syndicat ou d'intervenir dans l'une ou l'autre ou dans la représentation des employés par celui‑ci;

106 Les syndicats se livrent à de nombreuses activités qui ne sont pas toutes protégées par le Code. Cela soulève la question de savoir si les activités syndicales, dont il est question en l'espèce, étaient protégées par le Code. Le Conseil à la majorité a répondu par l'affirmative à cette question.

107 Le juge Iacobucci n'aborde pas ce point comme une question distincte. Il le considère comme une partie inséparable de la grande question de savoir si on a établi l'existence d'une intervention au sens de l'al. 94(1)a). Jugeant que la question de l'intervention est au c{oe}ur de la compétence du Conseil, il conclut que la norme de contrôle applicable est celle du caractère manifestement déraisonnable et qu'il y a lieu de maintenir la conclusion du Conseil à la majorité selon laquelle la SRC est intervenue dans les activités du syndicat. À son avis, il est erroné de considérer comme une question distincte le point de savoir si la conduite du syndicat est protégée par l'al. 94(1)a) du Code canadien du travail parce que cela «ne tient pas compte du fait que cette question fait partie de l'essence d'une décision fondée sur l'al. 94(1)a)» et participe également d'une façon d'aborder le contrôle judiciaire en fonction de la théorie des «questions préliminaires» (p. 183).

108 Je ne puis souscrire à cette analyse. Selon le critère de l'arrêt Bibeault, la cour de justice doit examiner chaque question soulevée pour déterminer la norme de contrôle applicable. Si, d'après les faits, il faut déterminer si l'activité en question est visée par le Code canadien du travail, alors la cour de justice doit examiner quel est le degré de retenue dont le législateur a voulu qu'elle fasse preuve à l'égard de la décision de l'organisme administratif sur ce point. Cette exigence n'est pas écartée du fait qu'une question touche le fond du litige, ni du fait qu'il peut s'agir d'une question de «condition préalable» ou de compétence: Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227 («SCFP»), le juge Dickson, à la p. 236; et Bibeault, précité, le juge Beetz, aux pp. 1086 à 1089.

109 En l'espèce, le Conseil devait tout d'abord examiner si la conduite du syndicat, qui est à l'origine du grief, était protégée par l'al. 94(1)a) du Code canadien du travail. Le Conseil à la majorité a répondu par l'affirmative. Lorsqu'elle examine cette décision, la cour de justice doit la considérer comme une question distincte.

110 Quelle est la norme de contrôle applicable à cette question? Il ressort de la loi applicable, de la nature du Conseil et du problème examiné, que le législateur a voulu que ce soit le Conseil qui la tranche: Bibeault et Mossop, précités. On peut soutenir que le problème de savoir si les déclarations qu'un syndicat fait sur des questions politiques en dehors du contexte de la négociation collective sont protégées par le Code relève de l'expertise du Conseil. La loi applicable, le Code canadien du travail, confère de vastes pouvoirs décisionnels au Conseil et le protège au moyen d'une solide clause privative. Enfin, le tribunal, le Conseil canadien des relations du travail, possède depuis longtemps des pouvoirs de formulation de politiques et il a développé une jurisprudence importante. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, je suis convaincue que l'interprétation de la portée de l'al. 94(1)a) est au c{oe}ur du mandat du Conseil et que le législateur a voulu qu'il assume cette tâche, même si la question touche au pouvoir ou à la «compétence» du Conseil. Je conclus donc que notre Cour ne peut modifier la conclusion du Conseil, selon laquelle les déclarations ici en cause étaient protégées par le Code canadien du travail, que si elle est manifestement déraisonnable.

111 Cela nous amène à la question critique qui est de savoir s'il était manifestement déraisonnable pour le Conseil de conclure que le grief portait sur une activité syndicale protégée relevant de sa compétence? Le Conseil à la majorité a adopté le point de vue voulant que seules les déclarations qui peuvent être qualifiées d'abusives -- les déclarations «extrêmes», «fausses et très injustes», «manifestement fausses», «malveillantes» ou «faites sans se soucier de la vérité» — ne bénéficient pas de la protection du Code et ne puissent donc être examinées par le Conseil. Puisque les déclarations ici en cause n'étaient pas abusives, le Conseil à la majorité a conclu qu'elles étaient protégées. Le membre dissident n'était pas d'accord; selon elle, la protection offerte par le Code et le mandat du Conseil «se limite[nt] aux questions liées au régime de négociation collective prévu par celui‑ci et à la relation globale entre un syndicat, en tant qu'agent négociateur exclusif d'employés, et un employeur» (p. 153).

112 À mon avis, tant du point de vue de l'objet même du Code canadien du travail que de celui de la jurisprudence, il était manifestement déraisonnable pour le Conseil à la majorité de conclure que toutes les déclarations de dirigeants syndicaux sont protégées par le Code, sauf si elles sont abusives.

113 J'examinerai tout d'abord l'objet du Code. Une décision qui étend la protection à des secteurs où elle ne sert à rien peut être déraisonnable, d'où la nécessité d'examiner l'objet du Code. On peut dégager l'objet de l'al. 94(1)a) du préambule de la partie I du Code, intitulée «Relations du travail». Il s'agit d'encourager la «pratique des libres négociations collectives et [le] règlement positif des différends», de soutenir «la liberté syndicale et la pratique des libres négociations collectives [en tant que] fondements de relations du travail fructueuses permettant d'établir de bonnes conditions de travail et de saines relations entre travailleurs et employeurs», et d'aider à établir «de bonnes relations et des méthodes de règlement positif des différends». (Je souligne.)

114 Si la partie I du Code a pour objet de promouvoir et de préserver le système de négociation collective, la protection qu'offre le par. 94(1), notamment, vise à préserver l'intégrité du système de négociation collective en évitant les situations dans lesquelles les employés pourraient être dissuadés de parler franchement de questions de négociation collective par crainte de mesures disciplinaires ou de changements dans leur emploi. Le paragraphe 94(1) confère une protection extraordinaire en ce sens qu'il peut l'emporter sur les droits et politiques habituels de l'employeur. Cela se justifie par le besoin de préserver l'intégrité du processus de négociation collective. Si un employeur pouvait prendre des mesures disciplinaires contre un employé ou le renvoyer en raison de déclarations faites dans le cadre du processus de négociation collective, le processus lui‑même serait menacé. Les syndiqués et les porte‑parole syndicaux pourraient être réduits au silence, ce qui serait contraire aux objets du Code.

115 Les déclarations politiques de représentants syndicaux, qui n'ont aucun rapport avec le processus de négociation collective, ne soulèvent pas les mêmes considérations. Ces déclarations ne touchent pas l'objet du Code qui est de favoriser les négociations collectives fructueuses. Le représentant syndical qui fait une déclaration politique n'ayant aucun rapport avec la négociation collective se trouve à toutes fins pratiques dans la même situation qu'une personne non syndiquée qui ferait une déclaration similaire. Puisque la question ne touche pas des questions de négociation collective, il n'existe aucun motif de traiter différemment le syndiqué. Si la déclaration a pour effet de placer l'employé dans une situation où l'employeur est, en vertu de sa politique, tenu de prendre des mesures, il n'y a alors aucun motif d'empêcher l'employeur de le faire puisque l'activité de l'employé n'est pas visée par la protection de l'al. 94(1)a).

116 Un système rationnel de droit du travail se doit de reconnaître que la protection des lois ouvrières et des codes du travail applicables aux employés agissant comme porte‑parole de syndicats existe seulement aux fins de la réalisation des objets visés par ces lois, soit la préservation de l'intégrité du processus de négociation collective. Les syndicats ont légalement le droit de prendre un certain nombre de mesures et de positions susceptibles de placer les employés qui les adoptent dans une situation de conflit avec les exigences légitimes de leur poste. Si on confirme l'opinion du Conseil à la majorité, toutes les déclarations non abusives, faites par des syndicats et des employés, seront protégées. Le port au bureau de macarons anti‑patronaux, le port d'affiches politiques dans les lieux de travail, les discours favorables ou défavorables à l'euthanasie ou à l'avortement dans les hôpitaux, les slogans apposés sur des uniformes, qui seraient favorables ou défavorables au gouvernement actuel ou à ses politiques, voilà autant d'exemples de déclarations qui seraient réputées protégées dans le cas où elles seraient faites sous l'égide du syndicat. On considérerait que l'employeur qui tente de limiter ces déclarations intervient dans des activités syndicales. L'employeur pourrait alors être contraint de participer à la diffusion d'idées qu'il désapprouve, ce que la Cour d'appel fédérale a rejeté dans l'arrêt Almeida c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 1 C.F. 266, le juge Pratte, à la p. 270. Il incomberait à l'employeur de justifier sa tentative de restreindre de telles déclarations. Comme l'illustre la décision du Conseil en l'espèce, ceci peut être difficile à faire, même dans les cas où il existe un lien apparent entre l'entreprise de l'employeur et le besoin de limiter un certain type de discours syndical.

117 Dans son livre intitulé, Reconcilable Differences (1980), Paul Weiler, ancien président de la Commission des relations du travail de la Colombie‑Britannique et éminent spécialiste des relations ouvrières, examine la distinction entre les activités protégées qui se rapportent à la négociation collective et les autres activités qui ne sont pas protégées. Tout en reconnaissant que les syndicats ont le droit de prendre des mesures politiques, y compris une «journée de protestation» de nature politique, il conclut, à la p. 59, qu' [traduction] «on n'a tout simplement jamais voulu que cette forme exotique d'action politique au travail soit régie par une loi ouvrière et une commission des relations du travail établies pour réglementer les rapports de négociation collective entre l'employeur et le syndicat». (En italique dans l'original.)

118 Je laisse maintenant l'examen de l'objet de l'al. 94(1)a) pour passer à celui de la jurisprudence. La distinction entre les activités syndicales protégées qui se rapportent à la négociation collective et les activités syndicales légitimes mais non protégées, confirmée par notre Cour dans l'arrêt Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211, constitue un précepte fondamental du droit canadien du travail, auquel les cours de justice et les tribunaux administratifs souscrivent souvent.

119 Examinons l'arrêt Almeida, précité, qui soulève des questions semblables à celles dont nous sommes saisis en l'espèce. Dans cette affaire, le litige portait sur le droit de l'employeur de prendre des mesures disciplinaires contre les inspecteurs des douanes qui avaient refusé d'enlever de leurs uniformes des macarons préconisant l'adoption d'un projet de loi controversé dont était alors saisi le Parlement. L'adoption de ce projet de loi aurait pu avoir un effet favorable sur la sécurité d'emploi des travailleurs. La cour a statué que le port de ces macarons ne constituait pas une activité syndicale protégée par l'art. 6 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P‑35, qui ressemble à l'art. 8 du Code canadien du travail, parce que «le message exprimé par le macaron syndical n'a aucun rapport avec le processus de négociation» (p. 270). (Je souligne.)

120 De même, dans l'affaire Adams Mine, Cliffs of Canada Ltd. c. United Steelworkers of America (1982), 1 C.L.R.B.R. (N.S.) 384, la Commission des relations de travail de l'Ontario a statué que le refus de l'employeur de permettre aux représentants syndicaux et aux employés de mener une campagne politique ou de faire de la sollicitation politique sur le bien-fonds de la compagnie ne constituait pas une violation de la Loi sur les relations de travail de l'Ontario, L.R.O. 1980, ch. 228, parce que les objectifs sociaux et politiques d'un syndicat ne constituent pas des droits au sens de la Loi, sauf s'ils sont nécessairement accessoires à la négociation collective. Voir aussi G. W. Adams, Canadian Labour Law (2e éd. 1993), au par. 10‑640, H. W. Arthurs et autres, Labour Law and Industrial Relations in Canada (4e éd. 1993), aux pp. 272 et 297, et Weiler, op. cit., aux pp. 58 à 60.

121 Les cours de justice et les tribunaux administratifs ont établi la même distinction en statuant que les arrêts de travail à des fins entièrement politiques ne constituent pas des «grèves» au sens des lois provinciales en matière de relations ouvrières: voir MacMillan Bloedel Ltd. c. British Columbia Hydro & Power Authority (1992), 72 B.C.L.R. (2d) 273 (C.A.), aux pp. 279 à 282; British Columbia Hydro & Power Authority and Int'l Brotherhood of Electrical Workers, Locals 258 and 213, [1976] 2 C.L.R.B.R. 410 (C.-B.); Re Inco Ltd. and United Steelworkers of America, Local 6166 (1978), 86 D.L.R. (3d) 407 (C.A. Man.), aux pp. 408 à 410, conf. (1977), 81 D.L.R. (3d) 469 (B.R. Man.), aux pp. 478 et 479; Health Labour Relations Association and Hospital Employees' Union, Local No. 180 (1983), 3 C.L.R.B.R. (N.S.) 390 (C.-B.); et Metro Transit Operating Co. c. Independant Canadian Transit Union, Local 3, 83 C.L.L.C. ¶ 16,054 (C.R.T.C.-B.). Il n'en sera autrement que si la loi applicable élargit clairement le sens du mot «grève» pour qu'il signifie davantage qu'un arrêt de travail lié à des relations entre l'employeur et l'employé et au processus de négociation collective: Re United Glass & Ceramic Workers of North America and Domglas Ltd. (1978), 85 D.L.R. (3d) 118 (C. div. Ont.), aux pp. 125 à 128.

122 On applique la même distinction au Royaume‑Uni. Les tribunaux britanniques ont refusé d'étendre aux activités politiques des syndicats la protection que les lois ouvrières offrent en matière délictuelle: British Broadcasting Corp. c. Hearn, [1978] 1 All E.R. 111 (C.A.); Mercury Communications Ltd. c. Scott-Garner, [1984] 1 All E.R. 179 (C.A.), aux pp. 203 et 204, 211 à 213, ainsi que 217 et 218; Associated Newspapers Group Ltd. c. Flynn (1970), 10 K.I.R. 17 (Ch. D.); Luce c. London Borough of Bexley, [1990] I.R.L.R. 422 (E.A.T.), à la p. 425. Les auteurs britanniques partagent cet avis. Dans l'ouvrage intitulé Citrine's Trade Union Law (3e éd. 1967), on affirme qu'une grève [traduction] «générale ou non, ne bénéficie pas de cette protection [immunité en matière délictuelle] si son véritable objet est de nature politique» (p. 620). En outre, dans Sweet & Maxwell's Encyclopedia of Employment Law (1992), vol. 2, on mentionne que [traduction] «[l]es différends considérés comme visant un but «politique» ou un autre but n'ayant rien à voir avec les relations ouvrières ne jouiront pas de l'immunité [en matière délictuelle]» (par. 1‑8419).

123 Cette jurisprudence et cette doctrine démontre qu'en droit du travail, tant au Canada qu'à l'étranger, on s'accorde nettement pour dire que les syndicats bénéficient de la protection spéciale qui leur est accordée pour s'acquitter de leur rôle de représentants en matière de négociation collective seulement lorsqu'ils agissent en cette capacité. Les syndicats ont pleinement le droit de participer à des activités purement politiques. Cependant, ces activités ne bénéficient pas de la protection spéciale des lois ouvrières qui vise à garantir l'intégrité du processus de négociation collective.

124 Le Conseil à la majorité n'a fait allusion ni à l'objet de la protection accordée par l'al. 94(1)a) ni à la distinction juridique bien établie qui existe entre les activités de négociation collective d'un syndicat et les déclarations politiques du syndicat même ou de ses membres. Il a plutôt mentionné quatre de ses propres décisions à l'appui de la proposition que les déclarations faites aux médias par un dirigeant syndical font partie de l'administration et de la représentation du syndicat (p. 133 et suiv.). En toute déférence, ces décisions ne dérogent pas à la règle générale voulant que les déclarations politiques d'un syndicat et de ses membres ne soient pas protégées par le Code. Il n'était pas question de déclarations politiques dans ces décisions. Dans les trois cas où les plaintes ont été accueillies, il s'agissait d'activités directement reliées à la négociation collective, à des grèves ou à des conditions de travail soulevées dans le cadre de la négociation collective. Dans Société canadienne des postes (1987), 71 di 215, il s'agissait de déclarations faites pendant des négociations collectives, dans lesquelles on critiquait le plan de la Société concernant les services ruraux et les pertes d'emploi qui pourraient en résulter. Dans Québecair/Air Québec (1987), 72 di 44, un porte‑parole syndical avait été renvoyé pour des déclarations qu'il avait faites pendant une grève légale. Dans Société canadienne des postes (1988), 75 di 189, le chef d'une section locale du syndicat avait été suspendu parce qu'il avait fait, pendant une campagne syndicale, des critiques en vue de persuader le public que les «superboîtes aux lettres» entraîneraient l'interruption de la livraison du courrier à domicile, un enjeu dans les négociations collectives en cours entre la Société canadienne des postes et son syndicat. Dans ces affaires, il s'agissait non pas de savoir si le Code canadien du travail protégeait l'activité en question, mais plutôt de savoir si la protection reconnue avait été perdue parce que l'activité dépassait les bornes. Dans la quatrième décision, Wardair Canada Inc. (1988), 76 di 103, le Conseil a rejeté la plainte pour le motif que «la plaignante n'avait pas agi à l'extérieur du cadre de la négociation collective, et que ses actes n'étaient pas liés à une grève» (83 di 102, à la p. 139). Enfin, le Conseil à la majorité a cité l'affaire Cadillac Fairview Corp. c. R.W.D.S.U. (1989), 71 O.R. (2d) 206 (C.A.), qui portait sur des événements survenus pendant une campagne d'accréditation, une activité qui est au c{oe}ur même de la fonction de négociation collective du syndicat.

125 En résumé, les décisions citées par le Conseil à la majorité sont compatibles avec le principe selon lequel un employé ne bénéficie de la protection spéciale du Code que lorsqu'il fait des déclarations en rapport avec le processus de négociation collective. Aucune de ces décisions n'appuie l'idée que les déclarations faites à des fins personnelles ou politiques, dans le contexte syndical, sont protégées. Lorsqu'il s'est fondé sur ces décisions pour conclure que de telles déclarations étaient protégées, le Conseil à la majorité n'a pas abordé la véritable question en litige et a sauté de façon erronée et irrationnelle à une conclusion insoutenable. Le nouveau principe formulé par le Conseil à la majorité — voulant que toutes les déclarations syndicales non abusives soient protégées — constitue non pas une extension rationnelle du droit à des domaines analogues, mais une tentative d'appliquer la protection à des domaines où il n'existe ni précédent, ni motif pratique de le faire. Pour reprendre les propos du juge Dickson, à la p. 237 de l'arrêt SCFP, précité, le Conseil a «entrepr[is] une enquête» et «répond[u] à une question dont [il] n'était pas saisi[. . .]» — celle de savoir si les mots utilisés étaient abusifs ou non. «[L]'interprétation [du Conseil] est [. . .] déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire».

b) Intervention dans une activité syndicale

126 Si les activités du syndicat étaient protégées par le Code canadien du travail, il faudrait alors déterminer si la conduite adoptée par la SRC, lorsqu'elle a dit à M. Goldhawk qu'il lui fallait choisir entre la présidence du syndicat et son poste d'animateur de Cross Country Checkup, constituait une intervention dans des activités syndicales. Je reconnais facilement que ce serait le cas. Si la SRC s'était trouvée à réagir à une déclaration que M. Goldhawk aurait faite pendant des négociations collectives, par exemple, il y aurait clairement eu intervention dans les activités du syndicat au sens de l'al. 94(1)a). En fait, l'appelante n'a pas contesté cette proposition.

c) Justification des mesures de la SRC

127 Enfin, en supposant que les activités du syndicat étaient protégées par le Code canadien du travail et que la conduite de la SRC pouvait être considérée comme une intervention dans une activité syndicale, il nous reste à examiner si le Conseil a commis une erreur lorsqu'il a conclu que la loi, la politique et le processus de contrôle administratif régissant la SRC ne justifiaient pas cette intervention de sa part.

128 Le juge Iacobucci reconnaît que la SRC est régie par un autre régime législatif et que la norme de contrôle applicable à l'interprétation par un tribunal administratif d'une loi ou d'un régime autre que sa loi constitutive est celle du caractère correct et non pas celle du caractère manifestement déraisonnable: McLeod c. Egan, [1975] 1 R.C.S. 517, Saskatchewan Joint Board, Retail, Wholesale and Department Store Union c. MacDonalds Consolidated Ltd. (1985), 43 Sask. R. 260 (C.A.), et Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d'Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316, à la p. 336. Cependant, après avoir accepté que, dans ces cas, le Conseil n'a pas droit à ce que l'on fasse preuve de retenue à son égard, il ajoute que «[b]ien que le Conseil puisse être soumis à la norme du caractère correct dans l'interprétation isolée d'une loi autre que sa loi constitutive, la norme de contrôle applicable à l'ensemble de la décision, à supposer que celle‑ci soit par ailleurs conforme à la compétence du Conseil, sera celle du caractère manifestement déraisonnable» (pp. 187 et 188). Mon collègue semble appliquer le critère de l'analyse fonctionnelle à la question de l'interprétation d'une loi non constitutive du fait qu'il conclue que la norme de contrôle applicable est celle du caractère correct, mais, en fait, il rejette ensuite ce résultat pour appliquer la norme du caractère manifestement déraisonnable à la décision du Conseil prise globalement.

129 C'est ici que je ne suis plus d'accord avec mon collègue. À mon avis, il n'y a qu'une norme de contrôle applicable à la question de l'obligation qui incombe à la SRC en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, L.R.C. (1985), ch. B‑9, et c'est celle du caractère correct. Ma première difficulté tient au fait que, même si la question de l'interprétation d'une loi non constitutive serait ordinairement examinée en fonction de la norme du caractère correct, selon l'analyse de mon collègue, la norme applicable serait effectivement abaissée, dans un sens global, à celle du caractère manifestement déraisonnable. Les erreurs sur des questions hors de la compétence d'un tribunal administratif seraient subsumées et ignorées selon une telle approche.

130 Ma deuxième difficulté tient à une question de logique. Si le Conseil a rendu une décision incorrecte quant aux obligations que la SRC a en vertu de sa loi constitutive, il s'ensuit qu'il doit avoir agi de façon manifestement déraisonnable en concluant que la SRC s'était livrée à une pratique déloyale de travail, et la décision du Conseil à ce sujet ne saurait être maintenue. Il ne peut être raisonnable d'affirmer qu'un organisme s'est livré à une pratique déloyale de travail si sa conduite est en fait justifiée en vertu d'une autre loi. Une telle conclusion, qui repose sur une prémisse fausse, ne serait ni fondée sur des principes ni rationnelle. Pour conclure à une intervention, il faut nécessairement avoir conclu que les mesures de la SRC n'étaient pas justifiées. Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu, en l'espèce, de corriger l'erreur sur la question des obligations légales de la SRC au moyen d'une sorte d'examen ultime ou global du caractère manifestement déraisonnable.

131 Le critère de l'analyse fonctionnelle veut que le Conseil décide correctement si la conduite de la SRC est justifiable selon le régime législatif auquel elle est assujettie. La question ne relève pas de la compétence spéciale du Conseil. En examinant les obligations qui incombaient à la SRC en vertu de la Loi sur la radiodiffusion et de son régime de réglementation, le Conseil n'était pas appelé à se prononcer sur une question au c{oe}ur de son mandat. Le Conseil n'a pas de connaissances spécialisées en matière de radiodiffusion. Il n'a aucune expertise dans l'interprétation de la Loi sur la radiodiffusion ou de son règlement d'application. La question des normes de conduite de la SRC est une question d'importance publique générale qui transcende de beaucoup l'intérêt ou l'expertise du Conseil canadien des relations du travail. Une erreur dans l'interprétation des obligations qui incombent à la SRC en vertu de sa loi constitutive et de son régime administratif pourrait avoir des conséquences importantes dans bien d'autres domaines que celui du droit du travail. Si le Conseil commet une erreur dans cet important domaine qui excède son champ d'expertise, les cours de justice devraient être en mesure de la corriger. On ne saurait présumer que le législateur a voulu autre chose.

132 Enfin, il reste à déterminer si le Conseil à la majorité a eu raison de conclure que la SRC n'était pas justifiée de demander à M. Goldhawk de choisir entre la présidence du syndicat et son poste d'animateur de Cross Country Checkup, conformément à sa politique. Le Conseil à la majorité n'a pas examiné l'étendue précise de l'obligation d'impartialité qui incombe à la SRC. Il semble avoir été d'avis, premièrement, que les exigences du Code canadien du travail doivent toujours l'emporter sur l'obligation de la SRC et, deuxièmement, que, même si ce n'était pas le cas, il y avait lieu d'offrir un meilleur compromis que ce qui a été offert en l'espèce. Bien que le texte du jugement majoritaire soit quelque peu obscur, il ressort des motifs exposés et de la conclusion tirée que le Conseil a considéré l'obligation de la SRC comme une simple directive interne — un droit de la direction ou un code de déontologie d'entreprise sur lequel le Code canadien du travail a préséance aux fins de l'application de l'al. 94(1)a) du Code. Bref, on n'a accordé aucune importance aux obligations légales ou réglementaires de la SRC (voir pp. 148 à 151). On a plutôt astreint la SRC à la norme applicable à une entreprise privée.

133 À mon avis, le Conseil a commis une erreur en ne tenant pas compte de l'obligation spéciale que la loi impose à la SRC. La loi constitutive de la SRC n'impose pas expressément à la SRC une obligation d'impartialité. Cependant, le besoin d'impartialité peut se déduire de l'art. 3 de la Loi sur la radiodiffusion et, notamment, des exigences que la SRC «offr[e] [. . .] des services et une programmation équilibrés qui renseignent, éclairent et divertissent» (sous‑al. 3g)(i)) et «contribue[. . .] au développement de l'unité nationale» (sous‑al. 3g)(iv)). Le législateur a confié au CRTC le devoir de superviser la SRC. En 1979, lors du renouvellement de la licence de la SRC, le CRTC a dissipé tout doute quant à l'obligation qu'a la SRC d'être une source d'information impartiale, dans les faits et en apparence, lorsqu'il a affirmé que «[l]e public doit pouvoir compter sur son service national de radiodiffusion pour une présentation complète et impartiale des événements nationaux et internationaux, grâce à un service d'émissions d'affaires publiques et d'information diversifié et objectif, aussi bien à la radio qu'à la télévision» (décision CRTC 79-320: Renouvellement des licences de réseaux de télévision et de radio de la Société Radio-Canada, 30 avril 1979, à la p. 43).

134 L'obligation que la SRC a d'être impartiale dans ses émissions d'affaires publiques a été confirmée dans l'affaire Re Canadian Broadcasting Corp. and National Association of Broadcast Employees and Technicians (1973), 4 L.A.C. (2d) 263, aux pp. 270 et 271. Faisant remarquer que la position de la SRC est tout à fait différente [traduction] «de celle d'une usine de fabrication normale», le conseil d'arbitrage a souligné que [traduction] «lorsqu'elle présente un bulletin d'information, que ce soit à la radio ou à la télévision, la SRC doit être consciente de son impartialité, et il est en conséquence légitime de se soucier que le présentateur maintienne une intégrité qui n'entrave pas les tentatives d'impartialité de la SRC ni son apparence d'impartialité». (Je souligne.) Citant le cas hypothétique d'un présentateur de nouvelles qui devient candidat pour un parti politique, le conseil d'arbitrage affirme que [traduction] «[m]ême en supposant que cette personne puisse présenter un bulletin d'information objectif relativement à l'élection dans laquelle elle était candidate, il serait loisible à l'employeur de prendre des mesures relativement à cet employé particulier parce que la confiance du public dans l'intégrité de cette personne serait diminuée». (Je souligne.) Cela vaut également dans le cas d'un programme d'actualité comme Cross Country Checkup.

135 Compte tenu de l'obligation que la SRC a de maintenir une apparence d'impartialité dans ses émissions d'affaires publiques, il s'ensuit que le Conseil à la majorité a commis une erreur en la traitant comme une entreprise privée régie seulement par une directive de gestion souple qui doit céder le pas aux exigences supérieures du par. 94(1) du Code. Contrairement à la conclusion que le Conseil à la majorité a tirée sur ce point, la politique de la SRC pouvait constituer un «motif impérieux» d'intervenir dans les activités du syndicat et de M. Goldhawk, en supposant que ces activités étaient protégées par le Code.

Dispositif

136 Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et d'annuler la décision du Conseil canadien des relations du travail à la majorité.

Pourvoi rejeté avec dépens en faveur du syndicat intimé, le juge McLachlin est dissidente.

Procureurs de l'appelante: Heenan Blaikie, Montréal.

Procureurs de l'intimé le Conseil canadien des relations du travail: Caroline, Engelmann, Gottheil & Lynk, Ottawa.

Procureurs des intimés l'Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists et Dale Goldhawk: Pollit, Arnold, MacLean, Toronto; Golden, Green & Chercover, Toronto.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Relations de travail - Pratiques déloyales - Intervention - Justification - SRC forçant un journaliste à choisir entre son poste d'animateur d'une émission radiophonique et la présidence d'un syndicat à la suite de la parution dans un bulletin du syndicat d'un article qu'il avait rédigé contre le libre‑échange - Conseil canadien des relations du travail décidant que la mesure prise par la SRC constituait une pratique déloyale de travail en vertu de l'art. 94(1)a) du Code canadien du travail et rejetant la politique journalistique de la SRC à titre de justification de cette mesure - La décision du Conseil devrait‑elle être annulée? - Norme de contrôle applicable à la décision du Conseil.

Contrôle judiciaire - Norme de contrôle - Interprétation d'une loi autre qu'une loi constitutive - Norme de contrôle applicable à l'interprétation par un tribunal administratif d'une loi autre que sa loi constitutive - Le tribunal administratif a-t‑il droit à la retenue judiciaire?.

L'intimé G était animateur à la SRC d'une tribune téléphonique nationale traitant de l'actualité et président du syndicat qui représente les auteurs, les journalistes et les artistes. Le règlement intérieur du syndicat prévoit que son président est en même temps son porte‑parole officiel. En plein milieu d'une campagne électorale où l'un des principaux enjeux était le libre‑échange, G a rédigé un article contre le libre‑échange qui a paru dans le bulletin du syndicat. La SRC craignait que G, par son article et par ses interventions publiques en tant que président du syndicat, n'ait violé la politique journalistique de la SRC, qui exigeait l'impartialité des journalistes. Il a été convenu, à titre de mesure provisoire, que G cesserait d'animer son émission jusqu'au lendemain des élections. Après les élections, dans une tentative d'apaiser les inquiétudes de la SRC, G a offert d'abandonner ses fonctions de porte‑parole du syndicat, tout en en conservant la présidence. La SRC a rejeté cette offre et l'a forcé à choisir entre son poste d'animateur à la radio et la présidence du syndicat. G a démissionné de la présidence du syndicat et a repris ses fonctions d'animateur d'émission radiophonique. Le syndicat a déposé auprès du Conseil canadien des relations du travail une plainte reprochant à la SRC de s'être ingérée dans les activités d'un syndicat, contrairement à l'al. 94(1)a) du Code canadien du travail. Le Conseil à la majorité a accueilli la plainte. Les membres formant la majorité ont conclu que l'article de G était une activité syndicale protégée par l'al. 94(1)a), que la SRC s'était livrée à une pratique déloyale de travail en le forçant à choisir entre les deux postes, et que la politique journalistique de la SRC ne justifiait pas la mesure qu'elle a prise. La Cour d'appel fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la SRC.

Arrêt (le juge McLachlin est dissidente): Le pourvoi est rejeté.

Le juge en chef Lamer et les juges Cory, Iacobucci et Major: La norme qu'il convient d'appliquer au contrôle judiciaire de la décision du Conseil voulant que la SRC se soit livrée à une pratique déloyale de travail est celle du caractère manifestement déraisonnable. La question de savoir si la SRC est intervenue dans l'administration d'un syndicat et dans la représentation des employés par celui‑ci quand elle a demandé à G de choisir entre la présidence du syndicat et son poste d'animateur d'émission radiophonique est une question de droit à laquelle le Parlement a voulu que ce soit le Conseil qui réponde et non pas les cours de justice. Cette question représente un aspect fondamental de celle de savoir s'il y a eu une pratique déloyale de travail et constitue en tant que telle un élément de la question qui relève de la compétence exclusive que le Parlement, par le truchement du Code, a conférée au Conseil. Cette compétence comporte le pouvoir d'établir un critère permettant de déterminer ce qui constitue une telle intervention, et de définir la portée des concepts d'«administration» d'un syndicat et de «représentation» des employés. Le critère établi par le Conseil pour le règlement des demandes fondées sur l'al. 94(1)a) consiste (1) à qualifier les activités syndicales et à déterminer s'il y a eu intervention de l'employeur dans celles‑ci, et (2), du moment que le syndicat établit l'existence d'une telle intervention, à se demander si cette intervention était justifiée. Se servir de ce cadre analytique pour isoler le premier volet du critère et pour conclure qu'il se rapporte à la compétence ne tient pas compte du fait que cette question fait partie de l'essence d'une décision fondée sur l'al. 94(1)a). Cela tient également d'une approbation de la théorie des questions préliminaires que notre Cour, dans des arrêts récents, a refusé d'adopter comme critère utile pour délimiter la compétence. La conclusion que cette décision n'a rien à voir avec la compétence est appuyée par une analyse fonctionnelle du Code canadien du travail dans son ensemble. À une clause privative générale sont conjugués les vastes pouvoirs du Conseil de trancher les questions qu'on lui soumet. De plus, les termes ici en cause ne sont pas expressément définis dans le Code et une abondante jurisprudence du Conseil s'applique pour déterminer si l'existence d'une violation de l'al. 94(1)a) a été établie. En raison de ses connaissances spécialisées, le Conseil est particulièrement apte à déterminer cela et les tribunaux devraient s'en remettre à cette expertise, à moins que la décision du Conseil ne puisse être qualifiée de manifestement déraisonnable.

D'une manière générale, la retenue judiciaire ne s'impose pas à l'égard de l'interprétation, par un tribunal administratif, d'une loi générale d'intérêt public qui n'est pas sa loi constitutive, bien qu'une certaine retenue puisse être indiquée dans des cas où la loi non constitutive se rapporte au mandat du tribunal et où celui‑ci est souvent appelé à l'examiner. Cependant, cela ne veut pas dire que chaque fois qu'un tribunal administratif examine une autre loi en rendant sa décision, celle‑ci devient dans l'ensemble sujette à un contrôle fondé sur la norme du caractère correct. Le tribunal peut être soumis à la norme du caractère correct dans l'interprétation isolée d'une loi autre que sa loi constitutive, mais la norme de contrôle applicable à l'ensemble de la décision, à supposer que celle‑ci soit par ailleurs conforme à la compétence du Conseil, sera celle du caractère manifestement déraisonnable. La justesse de l'interprétation de la loi non constitutive pourra influer sur le caractère raisonnable global de la décision, mais cela tiendra à l'effet de la disposition législative en question sur la décision dans son ensemble. Ce n'est pas parce que la SRC, en l'espèce, est créée et régie par une loi autre que la loi constitutive du Conseil — la Loi sur la radiodiffusion — qu'il faut hausser la norme globale de contrôle à celle du caractère correct de la décision, même si aucune retenue ne sera manifestée à l'égard de l'interprétation de cette autre loi par le Conseil.

Le Conseil a compétence pour définir la pertinence d'impératifs d'autres lois pour les fins de son analyse fondée sur l'al. 94(1)a). Par ailleurs, le Conseil n'a commis aucune erreur dans son traitement du rapport entre la Loi sur la radiodiffusion ou la politique journalistique connexe et les obligations que le Code canadien du travail impose à la SRC. L'obligation générale, imposée dans la Loi sur la radiodiffusion, d'offrir des services équilibrés qui renseignent doit s'interpréter d'une manière conciliable avec les obligations précises du Code. Le cadre analytique que le Conseil a lui‑même établi pour l'application de l'al. 94(1)a) prévoit ce genre de conciliation. Cependant, la politique journalistique même n'est pas un texte législatif. Il s'agit d'une directive de gestion interne établie par la SRC en fonction de sa propre interprétation des obligations que lui impose la Loi sur la radiodiffusion. Cette politique ne saurait éliminer les obligations que le Code canadien du travail impose à la SRC.

La décision du Conseil selon laquelle la SRC s'est ingérée dans l'administration d'un syndicat ou dans la représentation des employés par celui‑ci n'est pas manifestement déraisonnable. Tout en reconnaissant que l'al. 94(1)a) a ses limites, le Conseil a conclu que cette disposition protégeait la publication par un syndicat et un de ses dirigeants, dans un bulletin syndical, d'un article exprimant l'opinion qu'une politique économique du gouvernement constituait une menace pour les membres du syndicat ou leur était avantageuse. Dans ce contexte, l'élargissement de la protection accordée au contenu de l'article n'était pas tout à fait injustifié. L'article ne s'adressait pas essentiellement à l'employeur, mais avait plutôt pour but d'obtenir l'appui des membres pour la position officielle du syndicat. De plus, la décision du Conseil à la majorité était fondée sur des principes et n'était pas irrationnelle. Le Conseil avait le droit d'appliquer à des faits nouveaux et analogues les règles de droit se dégageant de la jurisprudence. Il n'est pas déraisonnable de conclure à l'existence d'un lien entre la relation de négociation collective et les activités syndicales relatives à des questions sociales extrinsèques qui touchent leurs membres.

Subsidiairement, le Conseil a aussi décidé que la mesure de la SRC, lorsqu'elle a refusé d'accepter l'offre, par G, de conserver la présidence du syndicat, mais de ne plus en être le porte‑parole, avait pour effet d'empêcher tout journaliste de la radio ou de la télévision de devenir président du syndicat et ainsi de porter atteinte au droit du syndicat de choisir son président parmi tous ses membres. Cet acte constituait à lui seul une violation du Code. Peu importe la norme de contrôle retenue, le Conseil était en droit de conclure que l'élection de toute personne que les membres du syndicat souhaitent avoir comme président est une activité qui ressortit au concept de l'«administration» d'un syndicat ou de la «représentation» des employés par celui‑ci.

Enfin, la conclusion du Conseil que la SRC n'a pas justifié son intervention par des motifs valables et impérieux liés au service n'est pas déraisonnable. Le Conseil a examiné la politique journalistique, mais il a conclu qu'elle ne contraignait pas la SRC à prendre la mesure qu'elle a prise pour s'acquitter de son obligation d'impartialité. Même si la Loi sur la radiodiffusion imposait à la SRC des obligations en matière d'impartialité, celles‑ci n'étaient nullement déterminantes étant donné la conclusion du Conseil à l'absence de tout lien de causalité entre cette exigence et le maintien de G à la présidence.

Le juge Gonthier: Les motifs du juge Iacobucci sont acceptés, sous réserve du commentaire du juge L'Heureux‑Dubé.

Le juge L'Heureux‑Dubé: Sous réserve du commentaire ci‑après, les motifs du juge Iacobucci sont acceptés pour l'essentiel. Un tribunal administratif protégé par une clause privative étanche, comme l'est le Conseil, a droit à la retenue judiciaire dans son interprétation d'une loi autre que sa loi constitutive. L'interprétation par un tribunal d'une loi qui n'est pas sa loi constitutive ne peut comme telle être qualifiée de question juridictionnelle. En conséquence, ne pas faire preuve de retenue judiciaire envers les décisions d'un tel tribunal à cet égard apparaît incompatible avec la jurisprudence de notre Cour en ce qui concerne la norme de contrôle judiciaire des décisions de ces tribunaux. Ainsi, le fait que le Conseil ait interprété une loi qui n'est pas sa loi constitutive n'a absolument aucun effet sur la norme de contrôle judiciaire qui, dans notre cas, est celle du caractère manifestement déraisonnable puisque la décision qu'il a rendue en est une qui est à l'intérieur de sa compétence.

Le juge La Forest: La présente affaire soulève une question très restreinte. Le motif subsidiaire sur lequel le juge Iacobucci se fonde pour appuyer la décision du Conseil est accepté et il n'y a aucune raison de modifier la conclusion du Conseil relativement à l'absence de justification.

Le juge Sopinka: Il faut se servir de l'analyse pragmatique et fonctionnelle pour établir si le législateur a voulu laisser au Conseil le soin de déterminer les questions visées par l'al. 94(1)a) du Code canadien du travail ou si cette disposition visait à restreindre la compétence du Conseil. Aux fins de cette détermination, il faut mettre l'accent non pas sur la question de savoir si le législateur a voulu que l'activité que le syndicat a exercée en s'opposant au libre‑échange soit visée par l'al. 94(1)a), mais plutôt sur celle de savoir quelle activité le législateur a‑t‑il voulu viser par cet alinéa et quelle en est la portée possible s'il n'est pas interprété conformément à l'intention du législateur. Compte tenu de la gamme d'activités syndicales qui sont susceptibles de donner lieu à une plainte fondée sur l'al. 94(1)a) et dont la plupart n'ont rien ou à peu près rien à voir avec les fins du Code, le législateur ne peut avoir voulu laisser au Conseil le soin de déterminer sur laquelle de ces activités il peut avoir compétence de façon à pouvoir imposer des sanctions à un employeur qui s'est livré à des «pratiques déloyales de travail». En conséquence, l'al. 94(1)a) vise à restreindre la compétence du Conseil et la norme de contrôle applicable à sa décision est celle du caractère correct.

Cependant, le motif subsidiaire sur lequel le juge Iacobucci se fonde pour appuyer la décision du Conseil est accepté et il n'y a aucune raison de modifier la conclusion du Conseil relativement à l'absence de justification.

Le juge McLachlin (dissidente): Le critère de l'analyse fonctionnelle s'applique à des questions précises et il faut appliquer ce critère à chaque question examinée par le Conseil, et la norme de contrôle appropriée doit alors être appliquée aux réponses qui lui sont données. Cette exigence n'est pas écartée du fait qu'une question touche le fond du litige, ni du fait qu'il peut s'agir d'une question de «condition préalable» ou de compétence.

Le Conseil devait tout d'abord examiner si les déclarations du syndicat sur des questions politiques en dehors du contexte de la négociation collective étaient protégées par l'al. 94(1)a) du Code canadien du travail. Une analyse fonctionnelle établit clairement que l'interprétation de la portée de l'al. 94(1)a) est au c{oe}ur du mandat du Conseil et que le législateur a voulu qu'il assume cette tâche, même si la question touche au pouvoir ou à la «compétence» du Conseil. Une cour de justice ne peut donc modifier la conclusion du Conseil, selon laquelle les déclarations de G étaient protégées par le Code, que si elle est manifestement déraisonnable. Cette conclusion est manifestement déraisonnable, tant du point de vue de l'objet même du Code que de celui de la jurisprudence. Le Code a pour objet de promouvoir et de préserver le système de négociation collective, et la protection qu'offre l'al. 94(1)a) aux employés qui font des déclarations se limite à cet objet. En conséquence, seules les déclarations du syndicat relatives au processus de négociation collective sont visées par la protection de l'al. 94(1)a); les déclarations faites à des fins personnelles ou politiques ne sont pas protégées. Les cours de justice ont établi la même distinction. Lorsqu'il est arrivé à la conclusion que toutes les déclarations de dirigeants syndicaux sont protégées par le Code, sauf si elles sont abusives, le Conseil à la majorité n'a pas abordé la véritable question en litige et a tiré une conclusion insoutenable. Soutenir que toutes les déclarations syndicales non abusives sont protégées par l'al. 94(1)a) constitue non pas une extension rationnelle du droit à des domaines analogues, mais une tentative d'appliquer la protection à des domaines où il n'existe ni précédent, ni motif pratique de le faire.

En ce qui concerne la question de l'intervention dans une activité syndicale, la norme de contrôle applicable est également celle du caractère manifestement déraisonnable. Si, lorsqu'elle a demandé à G de choisir entre la présidence du syndicat et son poste d'animateur, la SRC s'était trouvée à réagir à une déclaration que G aurait faite pendant des négociations collectives, il y aurait clairement eu intervention dans les activités du syndicat au sens de l'al. 94(1)a).

Enfin, en supposant que la SRC est intervenue dans une activité syndicale protégée par le Code, la norme de contrôle applicable à la conclusion du Conseil sur la question de savoir si la conduite de la SRC est justifiable selon le régime législatif auquel elle est assujettie est celle du caractère correct. La question ne relève pas de la compétence spéciale du Conseil qui n'a aucune expertise dans l'interprétation de la Loi sur la radiodiffusion ou de son régime de réglementation. Compte tenu de l'obligation que la SRC a, en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, de maintenir une apparence d'impartialité dans ses émissions d'affaires publiques, le Conseil à la majorité a commis une erreur lorsqu'il a conclu que la loi, la politique et le processus de contrôle administratif régissant la SRC ne justifiaient pas cette intervention de sa part. En traitant la SRC comme une entreprise privée régie seulement par une directive de gestion souple qui doit céder le pas aux exigences supérieures de l'al. 94(1)a) du Code, le Conseil n'a pas tenu compte de l'obligation spéciale que la loi impose à la SRC. La politique de la SRC pouvait constituer un «motif impérieux» d'intervenir dans les activités du syndicat.


Parties
Demandeurs : Société Radio-Canada
Défendeurs : Canada (Conseil des relations du travail)

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Iacobucci
Distinction d'avec les arrêts: Almeida c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 1 C.F. 266
Adams Mine, Cliffs of Canada Ltd. c. United Steelworkers of America (1982), 1 C.L.R.B.R. (N.S.) 384
arrêts mentionnés: U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048
Pezim c. Colombie‑Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557
Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614
CAIMAW c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983
Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941
Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227
Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du travail, [1984] 2 R.C.S. 412
Dayco (Canada) Ltd. c. TCA‑Canada, [1993] 2 R.C.S. 230
Société Radio-Canada (1991), 86 di 92
Domtar Inc. c. Québec (Commission d'appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756
Haldimand‑Norfolk Regional Board of Commissioners of Police c. Ontario Nurses' Association (1990), 41 O.A.C. 148
McLeod c. Egan, [1975] 1 R.C.S. 517
Saskatchewan Joint Board, Retail, Wholesale and Department Store Union c. MacDonalds Consolidated Ltd. (1985), 43 Sask. R. 260
Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d'Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316
Wentworth County Board of Education c. Wentworth Women Teachers' Assn. (1991), 80 D.L.R. (4th) 558
Ontario Nurses' Assn. c. Etobicoke General Hospital (1993), 14 O.R. (3d) 40
Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211
Quan c. Canada (Conseil du Trésor), [1990] 2 C.F. 191
McDonnell Douglas Canada Ltd., [1988] O.L.R.B. Rep. May 498
Société canadienne des postes (1987), 71 di 215
Société canadienne des postes (1988), 75 di 189.
Citée par le juge L'Heureux‑Dubé
Distinction d'avec l'arrêt: McLeod c. Egan, [1975] 1 R.C.S. 517
arrêts mentionnés: Dayco (Canada) Ltd. c. TCA‑Canada, [1993] 2 R.C.S. 230
Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227
U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048.
Citée par le juge Sopinka
Arrêt mentionné: U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048.
Citée par le juge McLachlin (dissidente)
U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048
Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554
Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227
Almeida c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 1 C.F. 266
Lavigne c. Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario, [1991] 2 R.C.S. 211
Adams Mine, Cliffs of Canada Ltd. c. United Steelworkers of America (1982), 1 C.L.R.B.R. (N.S.) 384
MacMillan Bloedel Ltd. c. British Columbia Hydro & Power Authority (1992), 72 B.C.L.R. (2d) 273
British Columbia Hydro & Power Authority and Int'l Brotherhood of Electrical Workers, Locals 258 and 213, [1976] 2 C.L.R.B.R. 410
Re Inco Ltd. and United Steelworkers of America, Local 6166 (1978), 86 D.L.R. (3d) 407 (C.A. Man.), conf. (1977), 81 D.L.R. (3d) 469 (B.R. Man.)
Health Labour Relations Association and Hospital Employees' Union, Local No. 180 (1983), 3 C.L.R.B.R. (N.S.) 390
Metro Transit Operating Co. c. Independant Canadian Transit Union, Local 3, 83 C.L.L.C. ¶ 16,054
Re United Glass & Ceramic Workers of North America and Domglas Ltd. (1978), 85 D.L.R. (3d) 118
British Broadcasting Corp. c. Hearn, [1978] 1 All E.R. 111
Mercury Communications Ltd. c. Scott‑Garner, [1984] 1 All E.R. 179 (C.A.)
Associated Newspapers Group Ltd. c. Flynn (1970), 10 K.I.R. 17
Luce c. London Borough of Bexley, [1990] I.R.L.R. 422
Société canadienne des postes (1987), 71 di 215
Québecair/Air Québec (1987), 72 di 44
Société canadienne des postes (1988), 75 di 189
Wardair Canada Inc. (1988), 76 di 103
Cadillac Fairview Corp. c. R.W.D.S.U. (1989), 71 O.R. (2d) 206
McLeod c. Egan, [1975] 1 R.C.S. 517
Saskatchewan Joint Board, Retail, Wholesale and Department Store Union c. MacDonalds Consolidated Ltd. (1985), 43 Sask. R. 260
Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d'Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316
Re Canadian Broadcasting Corp. and National Association of Broadcast Employees and Technicians (1973), 4 L.A.C. (2d) 263.
Lois et règlements cités
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L‑2, partie I «préambule», art. 8(1), 18, 22 [mod. 1990, ch. 8, art. 56], 94(1)a), (3), 96, 97(1), 98(1), (4), 99.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 18.1(4)c) [aj. 1990, ch. 8, art. 5].
Loi sur la radiodiffusion, L.R.C. (1985), ch. B‑9, art. 3.
Doctrine citée
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Proposition de citation de la décision: Société Radio-Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157 (27 janvier 1995)


Origine de la décision
Date de la décision : 27/01/1995
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1995] 1 R.C.S. 157 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1995-01-27;.1995..1.r.c.s..157 ?
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