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14/07/1994 | CANADA | N°[1994]_2_R.C.S._758

Canada | R. c. Clemente, [1994] 2 R.C.S. 758 (14 juillet 1994)


R. c. Clemente, [1994] 2 R.C.S. 758

Victor Francisco Clemente Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Clemente

No du greffe: 23931.

Audition et jugement: 1994: 13 juin.

Motifs déposés: 1994: 14 juillet.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel du manitoba

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba (1993), 92 Man. R. (2d) 51, 61 W.A.C. 51, 86 C.C.C. (3d) 398, 27 C.R. (4th)

281, [1994] 2 W.W.R. 153, qui a rejeté l'appel de la déclaration de culpabilité prononcée par le juge DeGraves. Pourv...

R. c. Clemente, [1994] 2 R.C.S. 758

Victor Francisco Clemente Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Clemente

No du greffe: 23931.

Audition et jugement: 1994: 13 juin.

Motifs déposés: 1994: 14 juillet.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel du manitoba

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Manitoba (1993), 92 Man. R. (2d) 51, 61 W.A.C. 51, 86 C.C.C. (3d) 398, 27 C.R. (4th) 281, [1994] 2 W.W.R. 153, qui a rejeté l'appel de la déclaration de culpabilité prononcée par le juge DeGraves. Pourvoi rejeté.

Harvey J. Slobodzian, pour l'appelant.

Rick Saull, pour l'intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge Cory — L'appelant s'est fait dire par sa travailleuse sociale, Shannon Dennehy, qu'il serait repris en charge par son ancienne travailleuse sociale, Jill Mizak. Il s'est alors emporté, s'écriant d'une voix forte qu'il se rendrait au bureau de cette dernière avec un fusil et qu'il ferait tout sauter. Il a ajouté que s'il se trouvait seule avec elle, il l'étranglerait. Ce disant, il a fait un geste imitant la strangulation.

Quelques jours plus tard, l'appelant a dit à Mme Dennehy que si son dossier était transféré à Mme Mizak, il y aurait un cadavre dans son bureau. Il a de nouveau menacé de tuer Mme Mizak au cours d'un appel téléphonique fait le lendemain.

Il a été accusé d'avoir contrevenu à l'al. 264.1(1)a) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, dont voici le libellé:

264.1 (1) Commet une infraction quiconque sciemment profère, transmet ou fait recevoir par une personne, de quelque façon, une menace:

a) de causer la mort ou des blessures graves à quelqu'un;

L'appelant n'a pas témoigné à son procès. Le juge qui présidait l'instance a estimé que les paroles prononcées par l'appelant visaient à transmettre à Mme Mizak son intention de la tuer ou de lui causer des blessures graves. Le juge du procès a poursuivi en concluant que l'appelant s'attendait que Mme Dennehy transmette le message à Mme Mizak. Se fondant sur ces conclusions, il a déclaré l'appelant coupable.

La déclaration de culpabilité a été confirmée par le juge Philp de la Cour d'appel, dont il a formulé l'opinion majoritaire (1993), 92 Man. R. (2d) 51.

La question en litige porte sur la mens rea requise par l'al. 264.1(1)a). L'appelant allègue qu'il faut établir que les paroles ont été prononcées avec l'intention d'intimider ou de susciter la crainte. L'intimée soutient qu'il suffit de démontrer que la menace a été proférée avec l'intention qu'elle soit prise au sérieux. En Cour d'appel, tant les juges majoritaires que le juge minoritaire ont postulé que les paroles devaient être prononcées avec l'intention d'intimider ou de susciter la crainte. Les juges formant la majorité ont conclu que, de l'avis du juge du procès, la preuve de l'intention requise avait été établie. Selon le juge minoritaire en revanche, les constatations du juge du procès ne lui permettaient pas de conclure à la mens rea requise.

L'intention requise peut être formulée de l'une ou l'autre façon. Le but de l'article est de prévenir les «menaces». Dans Le Nouveau Petit Robert, (1993), le mot «menace» est ainsi défini:

Manifestation par laquelle on marque à qqn sa colère, avec l'intention de lui faire craindre le mal qu'on lui prépare.

Aux termes de la disposition, il doit s'agir d'une menace de mort ou de blessures graves. Or, il est inconcevable qu'une personne qui proférerait des menaces de mort ou de blessures graves avec l'intention qu'elles soient prises au sérieux n'ait pas également l'intention d'intimider ou de susciter la crainte. En d'autres termes, une menace sérieuse de tuer ou d'infliger des blessures graves a dû être proférée avec l'intention d'intimider ou de susciter la crainte. Inversement, une menace proférée avec l'intention d'intimider ou de susciter la crainte a dû l'être avec l'intention qu'elle soit prise au sérieux. Ces deux formulations de la mens rea expriment l'intention de menacer et sont conformes au but visé par la disposition.

L'alinéa 264.1(1)a) vise des mots qui suscitent la crainte ou l'intimidation. Il a pour objet de protéger l'exercice de la liberté de choix en empêchant l'intimidation. Pour constituer un acte criminel au sens de cet alinéa, la menace n'a pas besoin d'être suivie d'un acte. C'est donc le sens des mots qui importe. Des paroles prononcées à la blague, toutefois, ne sauraient être visées par cet aliéna.

Notre Cour a examiné les dispositions de l'al. 264.1(1)a) dans l'arrêt R. c. McCraw, [1991] 3 R.C.S. 72. Elle a défini en ces termes, aux pp. 82 et 83, la manière dont le tribunal devrait aborder les accusations de menace:

Alors, de quelle façon un tribunal devrait‑il aborder cette question? La structure et le libellé de l'al. 264.1(1)a) indiquent que la nature de la menace doit être examinée de façon objective; c'est‑à‑dire, comme le ferait une personne raisonnable ordinaire. Les termes qui constitueraient une menace doivent être examinés en fonction de divers facteurs. Ils doivent être examinés de façon objective et dans le contexte de l'ensemble du texte ou de la conversation dans lesquels ils s'inscrivent. De même, il faut tenir compte de la situation dans laquelle se trouve le destinataire de la menace.

La question à trancher peut être énoncée de la manière suivante. Considérés de façon objective, dans le contexte de tous les mots écrits ou énoncés et compte tenu de la personne à qui ils s'adressent, les termes visés constituent‑ils une menace de blessures graves pour une personne raisonnable?

Par conséquent, la question de savoir si l'accusé avait l'intention d'intimider ou si les termes qu'il a employés visaient à être pris au sérieux sera habituellement tranchée, en l'absence d'explication de la part de l'accusé, en fonction des mots utilisés, du contexte dans lequel ils s'inscrivent et de la personne à qui ils étaient destinés.

En l'espèce, considérées objectivement dans le contexte ou les circonstances dans lesquels elles ont été utilisées, les paroles qu'a prononcées l'appelant constituaient «une menace de blessures graves pour une personne raisonnable». Le juge du procès a conclu que ces paroles visaient à transmettre à Mme Mizak l'intention de l'appelant de la tuer ou de lui causer des blessures graves. Manifestement, ces paroles, qui ont troublé et intimidé Mme Dennehy, auraient eu le même effet sur Mme Mizak si elles lui avaient été rapportées. Cette conclusion du juge du procès suffisait à justifier la déclaration de culpabilité de l'appelant.

Le juge du procès a semblé croire qu'on devait nécessairement conclure que les menaces avaient été proférées avec l'intention qu'elles soient transmises à la victime potentielle. Il s'est fondé à cet égard sur l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario Henry c. R. (1981), 24 C.R. (3d) 261. En toute déférence, cet arrêt n'était pas pertinent en l'espèce. Le jugement était fondé sur l'ancien art. 331 (Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34), version antérieure de l'art. 264.1, qui ne s'appliquait qu'aux menaces transmises par certains moyens. La question de savoir si les menaces visaient à être transmises à la victime potentielle était, dans cet arrêt, pertinente quant aux moyens utilisés pour transmettre les menaces suivant l'ancien art. 331. Or il appert de la modification apportée à cet article ainsi que de l'arrêt de notre Cour R. c. McCraw, précité, que le fait que la victime visée soit au courant de la menace ne constitue pas un élément essentiel de l'infraction.

Sous le régime de la présente disposition, l'actus reus de l'infraction est le fait de proférer des menaces de mort ou de blessures graves. La mens rea est l'intention de faire en sorte que les paroles prononcées ou les mots écrits soient perçus comme une menace de causer la mort ou des blessures graves, c'est‑à‑dire comme visant à intimider ou à être pris au sérieux.

Pour décider si une personne raisonnable aurait considéré les paroles prononcées comme une menace, le tribunal doit les examiner objectivement, en tenant compte des circonstances dans lesquelles elles s'inscrivent, de la manière dont elles ont été prononcées et de la personne à qui elles étaient destinées.

De toute évidence, des paroles prononcées à la blague ou de manière telle qu'elles ne pouvaient être prises au sérieux ne pourraient mener une personne raisonnable à conclure qu'elles constituaient une menace.

En l'espèce, l'infraction a été établie et la déclaration de culpabilité de l'appelant doit être maintenue. Le pourvoi est donc rejeté.

Pourvoi rejeté.

Procureurs de l'appelant: Pullan, Guld, Kammerloch, Winnipeg.

Procureur de l'intimée: Le Procureur général du Manitoba, Winnipeg.


Synthèse
Référence neutre : [1994] 2 R.C.S. 758 ?
Date de la décision : 14/07/1994
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Menaces de mort - Mens rea - Les paroles doivent‑elles être prononcées avec l'intention d'intimider ou de susciter la crainte ou suffit‑il de démontrer que la menace a été proférée avec l'intention qu'elle soit prise au sérieux? - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 264.1(1)a).

L'appelant a proféré à sa travailleuse sociale des menaces qui visaient la collègue de cette dernière (son ancienne travailleuse sociale), à qui son dossier devait être transféré. Il s'est écrié à une occasion qu'il ferait sauter son bureau et qu'il l'étranglerait, et à une autre occasion que, si son dossier était transféré, il y aurait un cadavre dans son bureau. Il a par ailleurs menacé de la tuer. L'appelant a été déclaré coupable d'avoir voulu transmettre à son ancienne travailleuse sociale son intention de la tuer ou de lui causer des blessures graves, en contravention de l'al. 264.1(1)a) du Code criminel. Le juge du procès a poursuivi en concluant que l'appelant entendait que sa travailleuse sociale actuelle transmette le message à la victime visée. La déclaration de culpabilité a été confirmée en appel. La question en litige porte sur la mens rea requise par l'al. 264.1(1)a). L'appelant allègue qu'il faut établir que les paroles ont été prononcées avec l'intention d'intimider ou de susciter la crainte. L'intimée soutient qu'il suffit de démontrer que la menace a été proférée avec l'intention qu'elle soit prise au sérieux.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

L'intention requise à l'al. 264.1(1)a), dont le but est de prévenir les «menaces», peut être formulée de l'une ou l'autre façon avancées. Premièrement, une menace sérieuse de tuer ou d'infliger des blessures graves doit avoir été proférée avec l'intention d'intimider ou de susciter la crainte. Par ailleurs, une menace proférée avec l'intention d'intimider ou de susciter la crainte doit l'avoir été avec l'intention qu'elle soit prise au sérieux.

L'alinéa 264.1(1)a) vise des mots qui suscitent la crainte ou l'intimidation. La menace n'a pas besoin d'être suivie d'un acte. C'est le sens des mots qui importe. La question de savoir si l'accusé avait l'intention d'intimider ou si les termes qu'il a employés visaient à être pris au sérieux sera habituellement tranchée, en l'absence d'explication de la part de l'accusé, en fonction des mots utilisés, du contexte dans lequel ils s'inscrivent et de la personne à qui ils étaient destinés. Le fait que la victime visée soit au courant de la menace ne constitue pas un élément essentiel de l'infraction. L'actus reus de l'infraction est le fait de proférer des menaces de mort ou de blessures graves. La mens rea est l'intention de faire en sorte que les paroles prononcées ou les mots écrits soient perçus comme visant à intimider ou à être pris au sérieux. Des paroles prononcées à la blague ou de manière telle qu'elles ne pouvaient être prises au sérieux ne pourraient mener une personne raisonnable à conclure qu'elles constituaient une menace.

Considérés objectivement dans le contexte ou les circonstances dans lesquels elles ont été utilisées, les paroles qu'a prononcées l'appelant constituaient «une menace de blessures graves pour une personne raisonnable».


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Clemente

Références :

Jurisprudence
Arrêt appliqué: R. c. McCraw, [1991] 3 R.C.S. 72
distinction d'avec l'arrêt: Henry c. R. (1981), 24 C.R. (3d) 261.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 264.1(1)a) [aj. ch. 27 (1er suppl.), art. 38].
Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 331.
Doctrine citée
Nouveau Petit Robert, Paris: Le Robert, 1993, «menace».
Shorter Oxford English Dictionary, 3rd ed., vol. 2. Oxford: Clarendon Press, 1987, «threat».

Proposition de citation de la décision: R. c. Clemente, [1994] 2 R.C.S. 758 (14 juillet 1994)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1994-07-14;.1994..2.r.c.s..758 ?
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