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30/09/1993 | CANADA | N°[1993]_3_R.C.S._306

Canada | R. c. Harbottle, [1993] 3 R.C.S. 306 (30 septembre 1993)


R. c. Harbottle, [1993] 3 R.C.S. 306

James Harbottle Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Harbottle

No du greffe: 23037.

Audition et jugement: 1993: 25 mai.

Motifs déposés: 1993: 30 septembre.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1992), 8 O.R. (3d) 385, 54 O.A.C. 32, 72 C.C.C. (3d) 257, 14 C.R. (4th) 363, qu

i a rejeté un appel contre une déclaration de culpabilité prononcée par le juge Van Camp siégeant avec jury. Pourvoi r...

R. c. Harbottle, [1993] 3 R.C.S. 306

James Harbottle Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Harbottle

No du greffe: 23037.

Audition et jugement: 1993: 25 mai.

Motifs déposés: 1993: 30 septembre.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1992), 8 O.R. (3d) 385, 54 O.A.C. 32, 72 C.C.C. (3d) 257, 14 C.R. (4th) 363, qui a rejeté un appel contre une déclaration de culpabilité prononcée par le juge Van Camp siégeant avec jury. Pourvoi rejeté.

Clayton Ruby et Paul Burstein, pour l'appelant.

Lucy Cecchetto, pour l'intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge Cory — L'appelant, James Harbottle et son ami, Shawn Ross, ont séquestré Elaine Bown. Pendant qu'elle était toujours séquestrée, les mains attachées, la victime a été étranglée par Shawn Ross tandis que James Harbottle lui tenait les jambes pour l'empêcher de continuer de donner des coups de pied et de résister. Il s'agit en l'espèce de déterminer si la participation de Harbottle a été telle qu'il peut être reconnu coupable de meurtre au premier degré, conformément au par. 214(5) du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34, modifié par S.C. 1980-81-82-83, ch. 125, art. 16 (maintenant L.R.C. (1985), ch. C-46, par. 231(5)) (cité en l'espèce à S.R.C. 1970).

Les faits

Pour statuer sur le présent pourvoi, il est nécessaire d'exposer de manière relativement détaillée les actes sordides qui sont à l'origine de l'affaire. Le cadavre d'Elaine Bown, une élève du niveau secondaire âgée de 17 ans, habitant Font Hill, en Ontario, a été découvert par les pompiers appelés à combattre un incendie qui s'était déclaré au 5, avenue Lowther, à Toronto, aux petites heures du matin, le 12 juillet 1988. Le corps de la victime reposait sur le dos et elle avait les mains attachées au‑dessus de la tête. Elle avait été étranglée et avait autour du cou les restes d'un soutien‑gorge brun. Elle avait une quantité considérable de sperme dans le vagin. Les analyses de son sang n'ont pas révélé la présence d'alcool ou de drogue.

Pour quelque motif obscur, la jeune fille était attirée par la vie dans les rues de Toronto et, les week‑ends, elle faisait de l'auto‑stop à partir de Font Hill pour se rendre en ville. La manière dont elle a connu une fin tragique ressort le mieux des propos à donner le frisson tenus par l'appelant au cours d'une déclaration enregistrée sur bande vidéo qu'il a faite à la police. L'appelant a dit aux agents qu'il n'y avait eu aucune activité sexuelle entre la victime et Ross avant le viol et l'assassinat. Le matin du meurtre, Ross et l'appelant ont réveillé la victime et lui ont demandé si elle voulait les accompagner pour aller chercher de la nourriture. Elle a répondu non. Ils l'ont laissée et se sont rendus à la mission Scott pour obtenir un sac de nourriture. Ils sont ensuite allés se procurer des vêtements au local prévu à cette fin. Puis Ross a fait part de ses intentions à l'appelant.

Dans une déclaration à la police, l'appelant a raconté de manière sinistrement détaillée la suite sordide d'événements comprenant l'agression sexuelle de la victime, sa séquestration et finalement son assassinat. Ces propos révèlent une insensibilité brutale à la souffrance humaine et à la mort. L'appelant a raconté que, pendant qu'ils revenaient de la mission Scott, Ross lui a dit qu'il allait agresser sexuellement la victime. À leur retour à la maison de l'avenue Lowther, Harbottle a remis son couteau à Ross qui s'en est servi pour arracher les vêtements d'Elaine Bown. Harbottle a alors regardé Ross la violer et accomplir sur elle les actes les plus cruels et avilissants.

Dans sa déclaration, l'appelant décrit en ces termes à donner le frisson la séquestration et le meurtre de la victime:

[traduction] Il l'a tailladée, lui a tracé un «X» sur la poitrine et, euh!, avec un rasoir, puis il l'a poignardée au bras. Et, euh!, après ça, et bien, il l'a ligotée et bâillonnée. Puis après ça, il ‑- lui et moi, sommes en fait allés dans une autre pièce et, euh!, j'ai dit qu'est‑ce que tu vas faire maintenant? Tu la découpes, etc. et, euh!, il a dit pourquoi ne pas la tuer? Et, euh!, j'ai dit, bien je ne sais pas, peut‑être. Ensuite, il a dit pourquoi pas. J'ai dit o.k., très bien. Et je l'ai transportée en bas, et quoi d'autre. Puis j'ai dit pourquoi ne pas la tuer en douceur, tu sais. Je ne voulais pas qu'elle souffre ou quoi que ce soit. Alors il a proposé de lui trancher les poignets. Et je lui ai dit que j'étais d'accord. Puis elle a dit qu'elle ne voulait pas mourir. Il a dit qu'il fallait qu'il la tue. Alors il a commencé à lui taillader les poignets, mais elle s'est dégagée et l'a empêché de continuer. Puis il a proposé de l'étrangler. Et j'ai dit d'accord, fais‑le. Et il lui a enlevé son soutien‑gorge avec le couteau et l'a enroulé autour de son cou. J'ai saisi ses jambes parce qu'elle commençait à donner des coups de pied et [Ross] l'a étranglée à mort. Puis nous l'avons placée sous le sofa et nous avons quitté les lieux. Nous avons mendié pour acheter de la colle et nous avons plané un peu. Ensuite, nous sommes retournés au squat -‑ vers trois heures du matin ou à peu près, puis nous avons mis le feu à la baraque . . . [Je souligne.]

On pourrait facilement présumer, en comparant le poids et la taille de Ross avec ceux d'Elaine Bown, qu'il était indispensable que l'appelant intervienne pour que Ross puisse étrangler la victime. Au moment du meurtre, Shawn Ross avait 17 ans, mesurait cinq pieds et sept pouces et ne pesait que 130 livres. Elaine Bown mesurait cinq pieds et quatre pouces et pesait 140 livres. Cela donne une idée de l'importance et de la portée qu'ont eu les actes de Harbottle lorsqu'il a tenu les jambes de la victime. La durée et l'intensité de la résistance opposée par la victime ressortent également des nombreuses contusions constatées sur son cou, lesquelles correspondent aux blessures qui sont habituellement infligées par une empoigne et témoignent d'une strangulation.

La Cour d'appel (1992), 8 O.R. (3d) 385

Le jury a reconnu Harbottle coupable de meurtre au premier degré et l'a condamné à purger la peine obligatoire d'emprisonnement à perpétuité, sans possibilité de bénéficier d'une libération conditionnelle avant 25 ans. Harbottle a interjeté appel de la déclaration de culpabilité.

En Cour d'appel, il a été admis que Harbottle avait été partie au meurtre d'Elaine Bown en participant à la séquestration ou à l'agression sexuelle de la victime. Il s'agissait seulement de savoir si sa participation était telle qu'il pouvait être déclaré coupable de meurtre au premier degré, conformément au par. 214(5) du Code criminel.

Le jugement minoritaire

Dans le jugement minoritaire, on examine en détail l'historique de la mesure législative qui a abouti au par. 214(5). Selon le juge dissident, les mots «cause la mort» que l'on trouve au par. 214(5) indiquent que le ministère public doit prouver que l'accusé a matériellement causé la mort de la victime, c'est‑à‑dire que la mort est attribuable, sur le plan pathologique ou diagnostique, aux actes de l'accusé. En l'espèce, le décès est attribuable à la strangulation commise par Ross. Ainsi, même si Harbottle a, à tout le moins, été partie à l'infraction sous‑jacente de séquestration et a participé au meurtre en tenant les jambes de la victime, il n'a pas provoqué son asphyxie. Il ne pouvait donc pas être reconnu coupable de meurtre au premier degré. Voici comment cette thèse est formulée, à la p. 420:

[traduction] Dans la présente affaire, la preuve a établi que l'asphyxie était la cause du décès. Celui‑ci résulte en totalité de la strangulation commise par Ross seulement. Aucune conséquence matérielle des actes de Harbottle n'a contribué à l'asphyxie de Mme Bown. Ses actes ont empêché la victime de résister à l'agression de Ross, mais ils n'ont pas contribué à son incapacité de respirer.

L'encouragement de Ross par Harbottle a pu inciter Ross à accomplir l'acte qui a causé la mort de Mme Bown. Le fait que Harbottle a immobilisé Mme Bown a pu faciliter son étranglement par Ross ou même le rendre possible. Toutefois, Harbottle n'a pas pris part à l'acte physique qui, selon la preuve, a entraîné la mort de Mme Bown. Ce résultat est entièrement imputable à l'acte accompli par Ross de son propre chef. Harbottle a indubitablement été partie à cet acte et a été légalement responsable de ses conséquences, mais il n'a pas matériellement provoqué ces conséquences.

Le jugement majoritaire

Les juges formant la majorité ont convenu avec le juge dissident que la responsabilité découlant du par. 214(5) était limitée aux personnes qui, de leur propre fait, ont matériellement causé la mort de la victime. Cependant, ils ont conclu que l'expression «cause la mort» ne devrait pas être interprétée restrictivement au point d'exiger que le décès soit imputable, sur le plan pathologique ou diagnostique, à l'acte de l'accusé. Selon eux, le fait que Harbottle a tenu les jambes de la victime pendant que Ross l'étranglait avec le soutien‑gorge est suffisant pour conclure qu'il a causé sa mort au sens du par. 214(5). Ils ont souligné que si Harbottle n'avait pas agi ainsi, la victime aurait pu résister à toute tentative d'étranglement tout comme elle avait réussi à empêcher qu'on lui tranche les poignets. Ils ont donc rejeté l'appel.

Analyse

D'emblée, je précise que je partage entièrement l'avis du juge Gallagan qui a affirmé, au nom de la Cour d'appel à la majorité, qu'il y avait de nombreux éléments de preuve qui auraient permis au jury de conclure que le meurtre d'Elaine Bown a été prémédité à la fois par Harbottle et par Ross. Après l'agression sexuelle, les deux étaient sortis de la pièce et avaient discuté du meurtre de la victime. Ils ont parlé de lui taillader les poignets et Harbottle a proposé de la tuer «en douceur». Plus tard, lorsque la tentative de lui taillader les poignets a échoué, ils ont à nouveau discuté de la meilleure façon de la tuer et ils ont décidé de l'étrangler. Harbottle a ensuite transporté la victime à mi‑chemin en bas, par l'escalier, jusqu'à ce qu'il tombe. Elle a fait le reste du parcours en marchant. Ross et Harbottle ont alors mis à exécution leur projet de strangulation. J'aurais cru qu'il n'aurait fait aucun doute que le verdict du jury déclarant l'appelant coupable de meurtre au premier degré aurait pu se fonder sur la preuve de préméditation.

Cependant, le juge du procès a dit au jury qu'elle avait du mal à distinguer une preuve de préméditation et de propos délibéré. Dans son exposé, elle a donc précisé également que le meurtre aurait pu être commis pendant l'agression sexuelle ou la séquestration de la victime, et qu'il serait, de ce fait, possible de juger qu'il s'agit d'un meurtre au premier degré. Il est impossible de déterminer ce sur quoi le jury s'est fondé pour en arriver à son verdict. Il s'ensuit que si l'exposé au jury concernant le par. 214(5) n'était pas juste, un nouveau procès doit avoir lieu. Il est donc essentiel d'examiner cette question.

L'article 214 a pour objet d'infliger aux personnes qui commettent les meurtres les plus crapuleux la peine d'emprisonnement la plus longue possible, sans possibilité de bénéficier d'une libération conditionnelle. Il vise le tueur à gages, le meurtrier d'un policier ou d'un agent des services correctionnels, celui qui commet un meurtre après l'avoir dûment prémédité et celui qui cause la mort en commettant un crime comportant domination.

À cet égard, voici les parties du par. 214(5) qui sont pertinentes en l'espèce:

214. . . .

(5) Indépendamment de toute préméditation, commet un meurtre au premier degré quiconque cause la mort d'une personne en commettant ou tentant de commettre une infraction prévue à l'un des articles suivants:

. . .

b) article 246.1 (agression sexuelle);

c) article 246.2 (agression sexuelle armée, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles);

d) article 246.3 (agression sexuelle grave); ou

e) article 247 (enlèvement et séquestration). [Je souligne.]

Je dois préciser tout d'abord que je suis d'accord avec le juge Galligan, à la p. 391, pour dire que la question de la causalité au sens du par. 214(5) [traduction] «n'exige pas que l'on détermine qui est un participant à une infraction donnée», au sens de l'art. 21. Les principes de la causalité et de la responsabilité secondaire ne sont certainement pas étrangers l'un à l'autre. Voir Eric Colvin, Principles of Criminal Law (2e éd. 1991), à la p. 349. À cet égard, la jurisprudence britannique a établi des distinctions subtiles entre l'auteur d'un crime au premier degré et l'auteur d'un crime au deuxième degré et entre le complice avant le fait et le complice après le fait. Toutefois, la formulation générale de l'art. 21 rend inutile et inapproprié l'examen de ces distinctions subtiles. Voir R. c. Thatcher, [1987] 1 R.C.S. 652, à la p. 693, citant l'arrêt R. c. Harder, [1956] R.C.S. 489, à la p. 493, ainsi que Alan W. Mewett et Morris Manning, Criminal Law (2e éd. 1985), à la p. 43. Ce qu'il faut déterminer c'est le sens des mots «quiconque cause la mort» employés au par. 214(5).

Historique du par. 214(5) et texte actuel

L'appelant a fait valoir, en s'appuyant sur les motifs du jugement minoritaire en Cour d'appel, que l'historique législatif du par. 214(5) force à interpréter l'expression «cause la mort» de manière extrêmement restrictive. Il prétend que ce paragraphe ne s'applique qu'à la personne qui, sur le plan diagnostique, cause la mort de la victime. Ce raisonnement se fonde sur les modifications apportées par la Loi de 1976 modifiant le droit pénal, no 2, S.C. 1974‑75‑76, ch. 105, art. 4. Cette loi a supprimé, en français, dans le passage pertinent de l'article, les mots «par son propre fait, a causé ou aidé à causer la mort», lesquels sont maintenant remplacés dans la disposition actuelle par les mots «lorsque la mort est causée par cette personne». Partant, on soutient que celui qui n'est qu'un participant au meurtre ne saurait être visé étant donné que le nouveau texte n'emploie pas le mot «aidé». En toute déférence, je ne saurais partager ce point de vue.

Les difficultés que soulève une telle interprétation ressortent mieux lorsqu'on juxtapose l'ancien et le nouveau textes:

L'ancien -- «par son propre fait a causé ou aidé à causer la mort»

Le nouveau -- «lorsque la mort est causée par cette personne»

On peut constater que le Parlement a supprimé les termes «par son propre fait» et «a causé ou aidé à causer» et les a remplacés tout simplement par l'expression «est causée». Cette expression a une portée suffisamment générale, selon moi, pour viser tant l'auteur du meurtre que celui qui aide à le perpétrer et auquel s'applique le critère de la cause substantielle, que je vais énoncer plus loin. Il se peut que l'erreur du juge dissident résulte de ce qu'il a insisté sur la suppression des mots «aidé à causer» tout en conservant, à des fins d'interprétation, l'ancienne expression «par son propre fait». Il s'ensuit qu'on interprète le par. 214(5) comme s'il se lisait «cause la mort par son propre fait», à l'exclusion des actes d'autres parties. De prime abord, l'emploi des mots «par cette personne», dans la dernière version, ne saurait, selon moi, avoir le même effet restrictif que la formulation antérieure «par son propre fait».

Par ailleurs, le ministère public prétend que les mots «quiconque cause la mort», au par. 214(5), ne sont rien de plus que l'adoption par renvoi du texte de l'al. 212a) (maintenant l'al. 229a)), et non une exigence distincte de lien de causalité. Cet alinéa prévoit que l'homicide coupable est un meurtre «lorsque la personne qui cause la mort d'un être humain» a l'intention de causer sa mort. (Je souligne.) Je ne saurais non plus accepter ce point de vue. Si le Parlement avait voulu qu'il en soit ainsi, il aurait pu dire qu'un meurtre est un meurtre au premier degré «lorsque ce meurtre est perpétré par cette personne en commettant» une infraction comportant domination. Il a plutôt réitéré l'exigence d'un lien de causalité au par. 214(5), et il faut mettre à exécution ces mots additionnels.

Il convient d'examiner la terminologie employée dans les dispositions du Code criminel relatives à l'homicide. Il n'est pas facile de comprendre la manière dont ces dispositions sont organisées. On constatera qu'elles ne sont pas complètement cohérentes. En les présentant de manière appropriée pour les fins de la présente affaire, en voici le texte:

205. (1) Commet un homicide, quiconque, directement ou indirectement, par quelque moyen, cause la mort d'un être humain.

212. L'homicide coupable est un meurtre

a) lorsque la personne qui cause la mort d'un être humain

(i) a l'intention de causer sa mort . . .

214. . . .

(3) Sans restreindre la généralité du paragraphe (2) [avec préméditation], est assimilé au meurtre au premier degré quant aux parties intéressées, le meurtre commis à la suite d'une entente dont la contrepartie matérielle, notamment financière, était proposée ou promise en vue d'en encourager la perpétration ou la complicité par assistance, incitation ou fourniture de conseils.

. . .

(5) Indépendamment de toute préméditation, commet un meurtre au premier degré quiconque cause la mort d'une personne en commettant ou tentant de commettre une infraction prévue à l'un des articles suivants:

. . .

b) article 246.1 (agression sexuelle);

c) article 246.2 (agression sexuelle armée, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles);

d) article 246.3 (agression sexuelle grave); ou

e) article 247 (enlèvement et séquestration). [Je souligne.]

Ces dispositions semblent énoncer trois niveaux de causalité qui s'ajoutent aux règles particulières en matière de causalité, établies aux art. 204 à 211 (maintenant les art. 224 à 228). Dans la définition générale de l'homicide, les causes indirectes sont expressément incluses. Toutefois, elles disparaissent dans les définitions du meurtre et du meurtre au premier degré figurant à l'al. 212a) et au par. 214(5) (maintenant l'al. 229a) et le par. 231(5)) respectivement. Pourtant, il y a lieu de mettre à exécution les mots «la perpétration ou la complicité par assistance» qui sont employés au par. 214(3).

La place et le rôle de chaque disposition du régime législatif sont donc cruciaux pour déterminer le lien de causalité requis pour chacune des infractions d'homicide.

Jurisprudence relative à la disposition en cause

Il existe une jurisprudence abondante concernant l'interprétation de ce qui constitue maintenant le par. 231(5). Le ministère public a insisté particulièrement sur l'arrêt R. c. Kirkness, [1990] 3 R.C.S. 74, en faisant valoir qu'il n'y avait aucune exigence particulière de causalité pour le par. 214(5).

Effet de l'arrêt Kirkness

Dans l'affaire R. c. Kirkness, les deux accusés s'étaient introduits par effraction dans la maison d'une dame âgée dans le but de la cambrioler. Le coaccusé de Kirkness avait agressé sexuellement la victime et fini par l'assassiner. Les deux hommes ont été accusés de meurtre au premier degré pour le motif que le meurtre avait été prémédité. Kirkness a été acquitté tandis que le coaccusé a été reconnu coupable de meurtre au premier degré. La controverse relative au par. 214(5) a pris naissance lorsque la Cour d'appel du Manitoba a annulé le verdict d'acquittement et ordonné que Kirkness subisse un nouveau procès relativement à une accusation d'homicide involontaire coupable. Elle l'a fait pour le motif que le principe de l'affaire unique, établi par notre Cour dans R. c. Paré, [1987] 2 R.C.S. 618, était pertinent pour examiner si Kirkness pouvait être responsable d'homicide involontaire coupable, et que le jury aurait dû recevoir des directives en ce sens.

Notre Cour a rétabli le verdict d'acquittement de Kirkness et statué que l'analyse fondée sur l'affaire unique, énoncée dans l'arrêt Paré, devait être limitée à la détermination de la responsabilité aux termes du par. 214(5) et ne s'appliquait nullement à l'infraction d'homicide involontaire coupable. Dans les motifs que j'ai rédigés dans cette affaire, j'affirme, aux pp. 86 et 87:

L'arrêt Paré traduit et clarifie cette décision de principe en concluant que, lorsque le décès survient dans le cadre d'une affaire unique continue, au cours de la perpétration de crimes supposant la domination, il sera considéré comme un meurtre au premier degré. L'analyse fondée sur l'affaire unique, utilisée dans l'arrêt Paré, exige que la poursuite démontre d'abord que l'accusé a commis l'infraction sous‑jacente et qu'il a également commis le meurtre. De même en ce qui a trait aux infractions perpétrées à titre de participant, la poursuite doit d'abord établir que l'accusé était partie aux deux infractions avant que le par. 214(5) puisse s'appliquer. Ce n'est qu'après cela que le tribunal peut examiner la question de savoir si les deux infractions étaient suffisamment rapprochées dans le temps pour permettre que le meurtre soit qualifié de meurtre au premier degré. Cette méthode ne peut être utilisée dans le contexte de l'homicide involontaire coupable parce que le Code ne crée pas de catégories à l'égard de cette infraction. Il en découle que l'analyse utilisée dans l'arrêt Paré devrait se limiter à établir la catégorie de meurtre. [Je souligne.]

Le ministère public a soutenu que cette partie des motifs indique qu'un accusé peut être reconnu coupable de meurtre au premier degré dans tous les cas où il est partie, de quelque manière, au meurtre et à l'infraction sous‑jacente. Je ne puis accepter cet argument. L'arrêt Kirkness portait principalement sur le sens des mots «en commettant» qui sont employés au par. 214(5) et sur l'application qu'ils pourraient avoir lorsque l'accusation en serait une d'homicide involontaire coupable et non de meurtre. L'affaire ne portait pas sur l'expression «quiconque cause». En fait, aucun argument n'a été présenté concernant le sens de cette expression. Ainsi, l'arrêt Kirkness n'est d'aucune utilité pour résoudre la question en litige dans la présente affaire.

Affaires antérieures

Dans R. c. Black and Mackie, [1966] 3 C.C.C. 187 (C.A. Ont.), deux accusés étaient inculpés de meurtre qualifié. Ils avaient volé la victime, puis l'avait poussée en bas d'un talus, dans un ruisseau, où elle était morte noyée. La disposition du Code alors en vigueur, le sous-al. 202a(2)b)(i), ajouté par S.C. 1960‑61, ch. 44, art. 1, prévoyait qu'un accusé pouvait être reconnu coupable de meurtre qualifié lorsqu'il avait «par son propre fait, [. . .] causé ou aidé à causer la blessure corporelle et que la mort en [avait] résulté». Dans ses directives au jury, le juge du procès a affirmé que si l'un ou l'autre des accusés avait causé une blessure corporelle, les deux pouvaient alors être déclarés coupables de meurtre qualifié en application des dispositions relatives aux participants à une infraction, contenues à l'art. 21.

En Cour d'appel, les juges formant la majorité se sont inquiétés du fait qu'une personne qui n'avait pas l'intention subjective de tuer la victime pouvait néanmoins être déclarée coupable de meurtre qualifié en vertu de l'effet conjugué des dispositions du Code criminel relatives au meurtre et aux participants à une infraction. Cela leur a paru inadmissible. En recourant aux dispositions relatives aux participants à une infraction, plus particulièrement le par. 21(2), on pouvait déclarer l'accusé coupable de meurtre en se fondant sur la prévision objective seulement. Il n'est donc pas étonnant que, dans R. c. Black and Mackie, on ait fait allusion aux risques liés à l'application du par. 21(2) comme un motif justifiant une interprétation restrictive du lien de causalité dans le cas d'un meurtre qualifié. En conséquence, la cour à la majorité a conclu que la question du meurtre qualifié n'aurait pas dû être laissée à l'appréciation d'un jury. Par contre, la cour à la minorité aurait reconnu les deux accusés coupables de meurtre qualifié parce que ceux‑ci avaient tous deux agressé la victime et étaient donc tous les deux les principaux artisans de sa mort.

Dans R. c. Gourgon and Knowles (No. 1) (1979), 9 C.R. (3d) 313 (C.S.C.‑B.), à la p. 329, le juge Anderson a mentionné, en statuant sur une requête en verdict imposé, la même préoccupation exprimée par la cour à la majorité concernant la possibilité que la disposition relative au meurtre au premier degré vise également les participants. La Cour d'appel (1979), 19 C.R. (3d) 272, a, par la suite, confirmé le verdict d'acquittement prononcé par le jury.

Dans R. c. Dollan and Newstead (1980), 53 C.C.C. (2d) 146 (H.C. Ont.), Newstead était entrée dans une demeure après avoir cogné à la porte. Une fois à l'intérieur, son complice Dollan avait fait feu sur les deux occupants, en blessant un mortellement. Les victimes et leurs petits‑enfants avaient été ligotés par Newstead sur l'ordre de Dollan. Les deux avaient ensuite quitté les lieux. À la suite d'une requête préliminaire, le juge DuPont a décidé qu'en ce qui concernait Newstead la disposition relative au meurtre au premier degré n'aurait pas dû être laissée à l'appréciation du jury. Il a adopté un critère de cause matérielle de la mort et conclu que les dispositions relatives aux participants à une infraction ne s'appliquaient pas du fait que la suppression des mots «aidé à causer», dans le par. 214(5), indiquait que les participants secondaires ne pouvaient être visés par cette disposition. La Cour d'appel a confirmé son point de vue à cet égard. Voir (1982), 65 C.C.C. (2d) 240 (C.A. Ont.).

Le même raisonnement a été adopté dans R. c. Woods and Gruener (1980), 57 C.C.C. (2d) 220 (C.A. Ont.). Étant donné la possibilité de déclarer une personne coupable de meurtre au premier degré même si elle n'a pas eu l'intention de tuer, il n'est pas étonnant que la disposition ait fait l'objet d'une restriction appropriée quant à sa portée. Voir également d'autres décisions ontariennes rendues à l'époque: R. c. Munro and Munro (1983), 8 C.C.C. (3d) 260, et R. c. McGill (1986), 15 O.A.C. 266.

De récents arrêts de notre Cour ont dissipé un bon nombre, voire la totalité, des préoccupations exprimées par les tribunaux dans la jurisprudence antérieure. Dans R. c. Rodney, [1990] 2 R.C.S. 687, et R. c. Logan, [1990] 2 R.C.S. 731, on a dissipé la préoccupation selon laquelle la disposition relative au meurtre au premier degré ne devrait pas s'appliquer aux participants à un meurtre, au sens du par. 21(2), qui n'avaient pas prévu subjectivement que la mort résulterait. Les dispositions relatives à la fin illégale et au meurtre concomitant d'une infraction majeure, qui constituaient une autre source de préoccupation, ont été invalidées ou rendues quasi inapplicables dans R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 633. Ainsi, le risque qu'un accusé fasse l'objet d'une sentence de meurtre au premier degré, malgré l'absence, chez lui, de culpabilité subjective, a effectivement été écarté. Dans les affaires antérieures, on s'inquiétait principalement de la sévérité qui résulterait de l'application d'une règle générale de causalité aux participants à une infraction. Selon moi, cette source de préoccupation n'existe plus.

La question qui se pose est précisément de savoir quel effet causal requiert l'expression «quiconque cause la mort». En toute déférence, je crois que le critère de la cause matérielle, préconisé par la Cour d'appel à la majorité, est trop restrictif. Il tendrait à soulever les mêmes distinctions peu pratiques contre lesquelles le juge Wilson met en garde dans l'arrêt R. c. Paré, précité, à la p. 631, lorsqu'elle examine le mot «concomitant». Elle a conclu qu'il n'y avait aucune différence appréciable entre l'accusé qui étrangle sa victime pendant l'agression sexuelle et celui qui agresse sexuellement sa victime puis l'étrangle peu après. Dans la présente affaire, il serait déraisonnable de laisser entendre que, pour que sa responsabilité soit engagée en vertu du par. 214(5), Harbottle doit avoir, sur le plan pathologique, causé la mort de la victime en tirant une extrémité de la bande du soutien‑gorge tandis que le coaccusé tirait l'autre. Il me semble impossible d'établir une distinction entre la culpabilité d'un accusé qui tient les jambes de la victime, permettant ainsi au coaccusé de l'étrangler, et celle de l'accusé qui procède à la strangulation.

Objet de la disposition

Pour faire les distinctions qui conviennent quant au lien de causalité qui doit exister dans le cas des différentes infractions d'homicide, il est nécessaire d'examiner les dispositions dans leur contexte tout en tenant compte de l'objet qu'elles visent.

Tout d'abord, il importe de se rappeler que, lorsque le par. 214(5) entre en jeu, il s'agit essentiellement d'une disposition relative au prononcé de la sentence. Le meurtre au premier degré est une forme grave de meurtre et non une infraction matérielle précise distincte. Voir R. c. Farrant, [1983] 1 R.C.S. 124. Cette disposition ne doit être prise en considération qu'après que le jury a reconnu l'accusé coupable de meurtre pour avoir causé la mort de la victime. L'accusé déclaré coupable de meurtre au deuxième degré se voit imposer une peine obligatoire d'emprisonnement à perpétuité. Ce que le jury doit alors décider c'est s'il existe des circonstances aggravantes justifiant l'impossibilité de bénéficier de la libération conditionnelle avant un quart de siècle. C'est alors qu'entre en jeu l'exigence d'un lien de causalité énoncée au par. 214(5). La gravité du crime et la sévérité de la sentence indiquent tous les deux qu'il faut établir l'existence d'un degré substantiel et élevé de culpabilité, outre celle de meurtre, pour que l'accusé soit déclaré coupable de meurtre au premier degré.

Critère de la cause substantielle

J'estime donc qu'il y a lieu d'appliquer un critère restrictif de cause substantielle aux fins du par. 214(5). Ce critère tiendra compte des conséquences d'une déclaration de culpabilité, du texte actuel de la disposition, de son historique et de son objectif de protéger la société contre les meurtriers les plus odieux.

Les conséquences d'une déclaration de culpabilité de meurtre au premier degré et le texte de la disposition sont tels que le critère de causalité applicable aux fins du par. 214(5) doit être strict. À mon avis, un accusé ne peut être déclaré coupable, en vertu de ce paragraphe, que si le ministère public prouve qu'il a accompli un acte ou une série d'actes d'une telle nature qu'ils doivent être considérés comme une cause substantielle et essentielle du décès. Dans la décision R. c. Hallett, [1969] S.A.S.R. 141 (C.S. in banco), on pris en considération et appliqué un critère australien de la cause substantielle. Dans cette affaire, la victime, après avoir été battue, avait été abandonnée inconsciente au bord de la mer et avait péri noyée à la marée montante. La cour formule, à la p. 149, le critère de causalité suivant que je juge pertinent:

[traduction] La question à se poser est de savoir si un acte ou une série d'actes (exceptionnellement, une omission ou une série d'omissions) consciemment accomplis par l'accusé sont tellement liés à l'événement qu'ils doivent être considérés comme ayant un effet causal suffisamment substantiel qui a subsisté jusqu'à ce que l'événement survienne, sans qu'il y soit mis fin ou qu'il soit suffisamment interrompu, aux yeux de la loi, par quelque autre acte ou événement.

Le critère de la cause substantielle exige que l'accusé joue un rôle très actif -- habituellement un rôle de nature physique -- dans le meurtre. Aux fins du par. 214(5), les actes de l'accusé doivent constituer un élément essentiel et substantiel du meurtre de la victime. De toute évidence, cette exigence est plus grande que celle décrite dans Smithers c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 506, où il était question d'homicide involontaire coupable. Dans cet arrêt, on a conclu, à la p. 519, qu'il existe un lien de causalité suffisant lorsque les actes de l'accusé ont «contribué à la mort, de façon plus que mineure». Cette affaire illustre les distinctions qui existent quant au lien de causalité requis pour les différentes infractions d'homicide.

En l'espèce, la Cour d'appel à la majorité s'est dite d'avis que les actes de l'accusé devaient avoir matériellement entraîné la mort. Dans la plupart des cas, il sera indubitablement nécessaire que l'accusé ait matériellement causé la mort de la victime pour qu'il soit déclaré coupable en vertu du par. 214(5). Toutefois, même si l'intervention d'une autre personne signifiera souvent que l'accusé n'est plus la cause substantielle du décès aux fins du par. 214(5), il y aura des cas où un accusé pourrait bien être la cause substantielle de la mort sans l'avoir matériellement causée. Par exemple, si un accusé ayant l'intention de tuer avait enfermé la victime dans un placard pendant qu'une autre personne y mettait le feu, il serait possible de conclure que l'accusé qui a enfermé la victime a causé la mort de celle‑ci, conformément au par. 214(5). De même, un accusé qui a repoussé les personnes qui voulaient secourir la victime, afin de permettre à son complice de finir de l'étrangler pourrait également être considéré comme ayant été une cause substantielle du décès.

Par conséquent, un accusé peut être reconnu coupable de meurtre au premier degré, conformément au par. 214(5), lorsque le ministère public établit hors de tout doute raisonnable que:

(1) l'accusé est coupable du crime sous‑jacent comportant domination, ou d'une tentative de commettre ce crime,

(2) l'accusé est coupable du meurtre de la victime,

(3) l'accusé a participé au meurtre d'une telle manière qu'il a été une cause substantielle du décès de la victime,

(4) il n'y a pas eu d'intervention d'une autre personne qui fait en sorte que l'accusé n'est plus substantiellement lié au décès de la victime, et

(5) le crime comportant domination et le meurtre faisaient partie de la même opération, c'est‑à‑dire qu'on a causé la mort en commettant l'infraction comportant domination, dans le cadre de la même série d'événements.

Il serait opportun que les directives au jury soient données en ces termes.

Application de ces principes à la présente affaire

Il ressort clairement des faits de la présente espèce que Harbottle a été une cause substantielle et essentielle du décès d'Elaine Bown. On se souviendra que Ross, celui qui a effectivement étranglé la victime, ne pesait que 130 livres et mesurait environ cinq pieds et sept pouces. Elaine Bown mesurait trois pouces de moins et pesait 10 livres de plus. Les analyses n'ont pas révélé la présence de drogue ou d'alcool dans le sang de la victime de sorte qu'on peut déduire que ses facultés n'étaient pas affaiblies. Les contusions relevées sur le cou de la victime indiquent plutôt que cette dernière a opposé une résistance farouche. En fait, il appert que même si ses mains étaient attachées, elle a résisté avec succès aux tentatives de Ross et Harbottle de lui trancher les poignets. Il y a tout lieu de croire que, si Harbottle n'avait pas tenu les jambes de la victime, celle‑ci aurait pu résister aux tentatives d'étranglement. Dans ces circonstances, il est difficile de croire que Ross aurait pu étrangler la victime sans l'aide de Harbottle.

Les éléments de preuve produits établissent clairement l'existence de tous les éléments du critère applicable. L'appelant était coupable 1) d'au moins une des infractions énumérées comportant domination (séquestration), 2) il a participé au meurtre dont il a par la suite été déclaré coupable, 3) sa participation au meurtre a été telle qu'il a été une cause substantielle et essentielle du décès de la victime, 4) il n'y a pas eu d'intervention d'une autre personne qui a fait en sorte que l'accusé n'était plus substantiellement lié au décès de la victime, et 5) le crime comportant domination et le meurtre faisaient partie de la même série d'actes ou de la même affaire.

En outre, après avoir examiné attentivement l'exposé au jury, je partage l'opinion de la Cour d'appel à la majorité selon laquelle les directives données au jury par le juge du procès étaient éminemment justes et ont porté adéquatement sur tous les éléments requis des infractions comportant domination, du meurtre et du meurtre au premier degré.

Dispositif

Comme la Cour l'a indiqué à la fin de l'audience, le pourvoi doit être rejeté.

Pourvoi rejeté.

Procureurs de l'appelant: Ruby & Edwardh, Toronto, et Burstein & Paine, Toronto.

Procureur de l'intimée: Le procureur général de l'Ontario, Toronto.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Meurtre - Meurtre au premier degré - Mort causée pendant la perpétration d'une infraction énumérée - Femme séquestrée, agressée sexuellement, mutilée et étranglée - L'accusé a empêché la victime de résister pendant que son compagnon l'étranglait - Est‑il coupable de meurtre au premier degré? - Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 214(5), mod. S.C. 1980‑81‑82‑83, ch. 125, art. 16 (maintenant L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 231(5)).

L'appelant et un compagnon ont séquestré une jeune femme. Après que son compagnon eut brutalement agressé sexuellement la victime et lui eut infligé de multiples atrocités sous ses yeux, l'appelant et son compagnon ont discuté de manières de la tuer en "douceur". Se voyant incapables de lui taillader les poignets en raison de la résistance qu'elle opposait, ils ont décidé de l'étrangler. L'appelant a saisi les jambes de la victime, qui avait les mains liées, pour l'empêcher de continuer de donner des coups de pied et de résister pendant que son compagnon l'étranglait. Le juge du procès a dit au jury qu'elle avait du mal à distinguer une preuve de préméditation et de propos délibéré et, dans son exposé, elle a également précisé qu'un meurtre au premier degré aurait pu être commis pendant l'agression sexuelle ou la séquestration de la victime. Étant donné qu'il était impossible de déterminer ce sur quoi le jury s'était fondé pour en arriver à son verdict de culpabilité, l'exposé au jury concernant le par. 214(5) (maintenant le par. 231(5)) du Code criminel devait être juste afin d'éviter la tenue d'un nouveau procès. La déclaration de culpabilité a été maintenue en Cour d'appel où il a été admis que l'appelant avait été partie au meurtre en participant à la séquestration ou à l'agression sexuelle de la victime. Il s'agit en l'espèce de déterminer si la participation de l'appelant a été telle qu'il peut être déclaré coupable de meurtre au premier degré, conformément au par. 214(5).

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Étant donné que l'appelant et son compagnon ont discuté de manières de tuer «en douceur» leur victime, il y avait de nombreux éléments de preuve qui auraient permis au jury de conclure que le meurtre a été prémédité à la fois par l'appelant et par son compagnon.

La question de la causalité au sens du par. 214(5) «n'exige pas que l'on détermine qui est un participant à une infraction donnée» au sens de l'art. 21. La formulation générale de l'art. 21 rend inutile et inapproprié l'examen des distinctions subtiles entre l'auteur d'un crime au premier et l'auteur d'un crime au deuxième degré et entre le complice avant le fait et le complice après le fait.

Le Parlement a inclus une exigence de lien de causalité au par. 214(5) en utilisant les termes «quiconque cause la mort». Cette expression représente plus que l'adoption par renvoi de l'expression (que l'on trouve à l'al. 212a), maintenant l'al. 229a)) «lorsque la personne qui cause la mort d'un être humain» a l'intention de causer sa mort. Les termes du par. 214(1) n'obligent pas à donner l'interprétation extrêmement restrictive selon laquelle ce paragraphe ne s'applique qu'à la personne qui, sur le plan diagnostique, a causé la mort de la victime. L'expression «est causée», que l'on trouve dans la disposition actuelle, a une portée suffisamment générale pour viser tant l'auteur du meurtre que celui qui aide à le perpétrer et auquel s'applique le critère de la cause substantielle.

Le meurtre au premier degré est une forme grave de meurtre et non une infraction matérielle précise distincte. Le paragraphe 214(5) est une disposition relative au prononcé de la sentence qui doit être prise en considération après que le jury a reconnu l'accusé coupable de meurtre. La gravité du crime et la sévérité de la peine indiquent tous les deux qu'il faut établir l'existence d'un degré substantiel et élevé de culpabilité, outre celle de meurtre, pour que l'accusé soit déclaré coupable de meurtre au premier degré.

Le critère de causalité applicable aux fins du par. 214(5) doit être strict, étant donné les conséquences d'une déclaration de culpabilité de meurtre au premier degré et le texte de la disposition. Un accusé ne peut être déclaré coupable, en vertu de ce paragraphe, que si le ministère public prouve qu'il a accompli un acte ou une série d'actes d'une telle nature qu'ils doivent être considérés comme une cause substantielle et essentielle du décès.

Il y a lien de causalité lorsqu'un acte ou une série d'actes (exceptionnellement, une omission ou une série d'omissions) consciemment accomplis par l'accusé sont tellement liés à l'événement qu'ils doivent être considérés comme ayant un effet causal suffisamment substantiel qui a subsisté jusqu'à ce que l'événement survienne, sans qu'il y soit mis fin ou qu'il soit suffisamment interrompu, aux yeux de la loi, par quelque autre acte ou événement. L'accusé doit avoir joué un rôle très actif — habituellement un rôle de nature physique — dans le meurtre. Aux fins du par. 214(5), les actes de l'accusé doivent constituer un élément essentiel et substantiel du meurtre de la victime. De toute évidence, cette exigence est plus grande que celle applicable à l'homicide involontaire coupable.

Dans la plupart des cas, il sera nécessaire que l'accusé ait matériellement causé la mort de la victime pour qu'il soit déclaré coupable en vertu du par. 214(5). Toutefois, même si l'intervention d'une autre personne signifiera souvent que l'accusé n'est plus la cause substantielle du décès aux fins du par. 214(5), il y aura des cas où un accusé pourrait bien être la cause substantielle de la mort sans l'avoir matériellement causée.

Un accusé peut être reconnu coupable de meurtre au premier degré, conformément au par. 214(5), lorsque le ministère public établit hors de tout doute raisonnable que: (1) l'accusé est coupable du crime sous‑jacent comportant domination ou d'une tentative de commettre ce crime, (2) l'accusé est coupable du meurtre de la victime, (3) l'accusé a participé au meurtre d'une telle manière qu'il a été une cause substantielle du décès de la victime, (4) il n'y a pas eu d'intervention d'une autre personne qui fait en sorte que l'accusé n'est plus substantiellement lié au décès de la victime, et (5) le crime comportant domination et le meurtre faisaient partie de la même série d'événements. Il serait opportun que les directives au jury soient données en ces termes.

La preuve a établi l'existence de tous les éléments du critère applicable. Si l'appelant n'avait pas tenu les jambes de la victime, elle aurait probablement pu résister aux tentatives d'étranglement.

Les directives données au jury par le juge du procès étaient éminemment justes et ont porté sur tous les éléments requis des infractions comportant domination, du meurtre et du meurtre au premier degré.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Harbottle

Références :

Jurisprudence
Arrêts examinés: R. c. Kirkness, [1990] 3 R.C.S. 74
R. c. Paré, [1987] 2 R.C.S. 618
R. c. Black and Mackie, [1966] 3 C.C.C. 187
R. c. Gourgon and Knowles (No. 1) (1979), 9 C.R. (3d) 313
R. c. Dollan and Newstead (1982), 65 C.C.C. (2d) 240, conf. (1980), 53 C.C.C. (2d) 146
R. c. Woods and Gruener (1980), 57 C.C.C. (2d) 220
arrêts mentionnés: R. c. Thatcher, [1987] 1 R.C.S. 652
R. c. Harder, [1956] R.C.S. 489
R. c. Munro and Munro (1983), 8 C.C.C. (3d) 260
R. c. McGill (1986), 15 O.A.C. 266
R. c. Rodney, [1990] 2 R.C.S.. 687
R. c. Logan, [1990] 2 R.C.S. 731
R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 633
R. c. Farrant, [1983] 1 R.C.S. 124
R. c. Hallett, [1969] S.A.S.R. 141
Smithers c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 506.
Lois et règlements cités
Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 21, 205(1), 204 à 211, 212a), 214(3), (5) (maintenant L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 21, 222(1), 224 à 228, 229a), 231(3), (5)).
Loi de 1976 modifiant le droit pénal, no 2, S.C. 1974‑75‑76, ch. 105, art. 4.
Doctrine citée
Colvin, Eric. Principles of Criminal Law, 2nd ed. Toronto: Carswell, 1991.
Mewett, Alan W., and Morris Manning. Criminal Law, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1985.

Proposition de citation de la décision: R. c. Harbottle, [1993] 3 R.C.S. 306 (30 septembre 1993)


Origine de la décision
Date de la décision : 30/09/1993
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1993] 3 R.C.S. 306 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1993-09-30;.1993..3.r.c.s..306 ?
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