La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/05/1993 | CANADA | N°[1993]_2_R.C.S._398

Canada | R. c. Hasselwander, [1993] 2 R.C.S. 398 (19 mai 1993)


R. c. Hasselwander, [1993] 2 R.C.S. 398

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Bernhard Hasselwander Intimé

Répertorié: R. c. Hasselwander

No du greffe: 22725.

1993: 5 février; 1993: 19 mai.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Gonthier, Cory et Major.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1991), 5 O.R. (3d) 225, 50 O.A.C. 186, 67 C.C.C. (3d) 426, 9 C.R. (4th) 281, qui a accueilli l'appel de l'intimé contre un jugement du juge Higgins de la Cour de dis

trict, qui avait confirmé une décision du juge Payne de la Cour provinciale (1990), 9 W.C.B. (2d) 426, déclar...

R. c. Hasselwander, [1993] 2 R.C.S. 398

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Bernhard Hasselwander Intimé

Répertorié: R. c. Hasselwander

No du greffe: 22725.

1993: 5 février; 1993: 19 mai.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Gonthier, Cory et Major.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1991), 5 O.R. (3d) 225, 50 O.A.C. 186, 67 C.C.C. (3d) 426, 9 C.R. (4th) 281, qui a accueilli l'appel de l'intimé contre un jugement du juge Higgins de la Cour de district, qui avait confirmé une décision du juge Payne de la Cour provinciale (1990), 9 W.C.B. (2d) 426, déclarant qu'une arme était prohibée et ordonnant sa confiscation par le ministère public. Pourvoi accueilli, le juge en chef Lamer et le juge Major sont dissidents.

Brian McNeely, pour l'appelante.

Calvin Martin, c.r., pour l'intimé.

//Le juge Major//

Version française des motifs du juge en chef Lamer et du juge Major rendus par

Le juge Major (dissident) — L'intimé était le propriétaire d'une mitraillette Mini‑Uzi. Le 31 août 1989, il a tenté de la faire enregistrer comme «arme à autorisation restreinte».

Le registraire local a jugé que cette arme à feu était une «arme prohibée» selon le par. 84(1) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, et l'a saisie. Il s'est ensuite adressé à la Cour provinciale de l'Ontario en vertu du par. 102(3) du Code afin que l'arme à feu saisie soit déclarée confisquée. Une telle confiscation n'entraîne que la saisie de l'arme; aucune poursuite n'est intentée contre son propriétaire.

En novembre 1989, le juge Payne de la Cour provinciale a statué que, puisque c'était une arme à feu semi‑automatique qui pouvait être facilement transformée en arme entièrement automatique, elle pouvait tirer rapidement plusieurs balles pendant la durée d'une seule pression sur la détente. Il a conclu qu'il s'agissait d'une «arme prohibée» selon la définition donnée au par. 84(1) du Code et a rendu l'ordonnance suivante:

[traduction] Par conséquent, compte tenu de la preuve, bien que l'arme produite par le fabricant originaire était bien semi‑automatique et que, en fait, une arme semi‑automatique ait été présentée aux autorités en vue de son enregistrement comme arme à autorisation restreinte, je suis convaincu que cette arme tirera des balles de manière entièrement automatique après:

a)le réglage de la plaque de retenue,

b)le remplacement du mécanisme de la détente par des pièces distinctes entièrement automatiques ou

c)le remplacement du mécanisme de la détente par celui d'une réplique de l'arme.

À cause de cette possibilité, il s'agit, de fait, d'une arme prohibée. En conséquence, sa destruction est ordonnée.

La Cour de district de l'Ontario a maintenu l'ordonnance, mais la Cour d'appel de cette province a accueilli l'appel à la majorité: (1991), 5 O.R. (3d) 225, 50 O.A.C. 186, 67 C.C.C. (3d) 426, 9 C.R. (4th) 281. Le juge Carthy a dit au nom de la majorité (à la p. 227 O.R.):

[traduction] Dans l'interprétation d'un document écrit, en l'espèce une loi, les premières impressions peuvent souvent être les plus fiables. C'est la forme la plus simple d'analyse et, à moins que la question elle‑même soit compliquée et exige des recherches plus approfondies quant au sens, elle reflète probablement ce que l'auteur voulait dire. En l'espèce, le législateur a utilisé l'expression «toute chose pouvant être adaptée pour être utilisée comme telle» dans la définition de «arme à feu» et l'expression «pouvant tirer rapidement plusieurs balles» dans la définition de «arme prohibée». [Les italiques sont du juge Carthy.] Il s'agit là d'une différence établie volontairement entre les deux, et la façon la plus simple de marquer cette différence est de dire que «pouvant» signifie «pouvant dans son état actuel» plutôt qu'une possibilité qui peut se réaliser par adaptation.

Dans sa dissidence, le juge Tarnopolsky a conclu qu'une arme à feu facilement transformable en une arme entièrement automatique était une «arme prohibée». Il a adopté la solution retenue par la Cour d'appel de l'Alberta dans l'arrêt R. c. Global Armaments Ltd. (1990), 105 A.R. 260. La cour a décidé dans cet arrêt que les armes à feu en cause, qui étaient entièrement automatiques à l'origine mais avaient été transformées en armes ne tirant qu'un coup à la fois, gardaient leur caractère d'«armes prohibées» parce que le processus de transformation était rapide et facile. Le juge Tarnopolsky a conclu que, si le mot «pouvant» n'était pas interprété dans son sens large de façon à comprendre la possibilité d'adaptation, on pourrait éviter une déclaration de culpabilité simplement en enlevant une partie de l'arme pour la rendre inutilisable.

Le présent pourvoi porte sur l'interprétation du mot «pouvant» figurant à l'al. c) de la définition de «arme prohibée» au par. 84(1) du Code. Sauf indications contraires, tous les renvois subséquents à la loi concernent le par. 84(1) du Code. L'appelante sollicite une interprétation large qui engloberait les armes à feu qui peuvent devenir entièrement automatiques assez facilement et soutient qu'une telle interprétation met en évidence la politique qui sous‑tend la réglementation de l'usage des armes à feu. L'intimé prétend qu'il faut considérer que le législateur a choisi délibérément le mot «pouvant» et sollicite une interprétation stricte qui limite le mot «pouvant» à la capacité actuelle de l'arme à feu.

Le verbe «pouvoir», ses dérivés et équivalents («pouvant», «peut», «susceptible de») sont utilisés dans le Code pour définir les expressions «arme à feu», «arme prohibée» et «arme à autorisation restreinte». Mais le Code utilise également des termes qui comprennent plus clairement une capacité éventuelle, comme «adaptée», «modifiée», «destinée», «conçue», «susceptible», «de par sa construction» et «de par ses modifications».

En l'espèce, les définitions de «arme prohibée» et de «arme à autorisation restreinte» reposent toutes deux sur la définition de «arme à feu». Si un objet donné n'est pas une «arme à feu», nous n'avons pas besoin d'aller plus loin et de le classer comme étant «à autorisation restreinte» ou «prohibé». «Arme à feu» désigne:

Toute arme, y compris une carcasse ou chambre d'une telle arme ainsi que toute chose pouvant être adaptée pour être utilisée comme telle, susceptible, grâce à un canon qui permet de tirer du plomb, des balles ou tout autre projectile, d'infliger des lésions corporelles graves ou la mort à une personne. [Je souligne.]

Pour déterminer ce qu'est une «arme à feu», il faut se reporter à la fois à un critère de possibilité (d'infliger des lésions corporelles graves ou la mort) et à un critère d'adaptabilité (pour utilisation comme arme à feu). L'arrêt R. c. Covin, [1983] 1 R.C.S. 725, énonce les critères à utiliser pour déterminer quand un objet constitue une arme à feu.

La définition de l'expression «arme prohibée» utilise à la fois le verbe «pouvoir» (possibilité) et «modifiée de façon que» (adaptation), mais pas dans le même alinéa:

«arme prohibée»

. . .

c) toute arme à feu, autre qu'une arme à autorisation restreinte décrite à l'alinéa c) de la définition de cette expression au présent paragraphe, pouvant tirer rapidement plusieurs balles pendant la durée d'une pression sur la détente;

d) toute arme à feu sciée, coupée ou modifiée de façon que la longueur du canon soit inférieure à 457 mm ou de façon que la longueur totale de l'arme soit inférieure à 660 mm; [Je souligne.]

Qu'une «arme à feu» soit prohibée ou non en raison de la capacité de tirer rapidement dépend de la possibilité de le faire. Par contre, la prohibition en fonction de la longueur réduite du canon dépend d'une modification effectuée. Les allégations que le terme «pouvant» comprend la capacité éventuelle ou le potentiel perdent de leur solidité en raison du renvoi exprès à la modification d'une arme à feu à l'al. d) de la définition de «arme prohibée».

Le verbe «pouvoir» figure également dans la définition de «arme à autorisation restreinte»:

«arme à autorisation restreinte»

a) Toute arme à feu qui n'est pas une arme prohibée, destinée, de par sa construction ou ses modifications, à permettre de viser et de tirer à l'aide d'une seule main;

b) toute arme à feu qui, selon le cas:

(i) n'est pas une arme prohibée, est munie d'un canon de moins de 470 mm de longueur et peut tirer des munitions à percussion centrale d'une manière semi‑automatique,

(ii) est conçue ou adaptée pour tirer lorsqu'elle est réduite à une longueur de moins de 660 mm par repliement, emboîtement ou autrement;

c) toute arme à feu destinée, de par sa construction ou ses modifications, à permettre de tirer rapidement plusieurs balles pendant la durée d'une pression sur la détente et qui, au 1er janvier 1978, était enregistrée comme arme à autorisation restreinte et faisait partie de la collection, au Canada, d'un véritable collectionneur d'armes à feu; [Je souligne.]

Le verbe «pouvoir» est utilisé indépendamment des termes tels que «adaptée», «modifiée», «destinée», «conçue», «de par sa construction» et «de par ses modifications» — termes qui renvoient plus clairement à une capacité éventuelle. Cela limite le sens de «pouvoir» à la capacité actuelle. Curieusement, la seule fois qu'il est fait mention de la capacité de tirer rapidement en rapport avec l'expression «destinée, de par sa construction ou ses modifications», c'est à l'al. c) de la définition de «arme à autorisation restreinte» (la disposition relative aux droits acquis).

La modification apportée récemment à la définition de «arme prohibée» (L.C. 1991, ch. 40, art. 2) n'a pas clarifié le sens du verbe «pouvoir».

«arme prohibée» désigne

. . .

c) toute arme à feu, autre qu'une arme à autorisation restreinte décrite aux alinéas c) ou c.1) de la définition de «arme à autorisation restreinte» au présent paragraphe, assemblée ou conçue et fabriquée de façon à tirer, ou pouvant tirer, rapidement plusieurs projectiles pendant la durée d'une pression sur la détente, qu'elle ait été ou non modifiée pour ne tirer qu'un seul projectile pendant la durée d'une pression sur la détente; [Je souligne.]

À la suite de cette modification, il existe maintenant deux catégories d'armes dites «prohibées» selon l'al. c):

(i)les armes à feu pouvant tirer rapidement plusieurs projectiles pendant la durée d'une pression sur la détente;

(ii)les armes à feu assemblées ou conçues et fabriquées de façon à tirer rapidement plusieurs projectiles pendant la durée d'une pression sur la détente indépendamment du fait qu'elles aient été modifiées.

L'intimé soutient que la seconde catégorie comprend seulement les armes à feu qui étaient entièrement automatiques à l'origine mais qui maintenant ont été déclassées de façon à tirer un seul coup à la fois. Ces armes sont clairement prohibées par cette modification législative. Par contre, l'appelante prétend que la seconde catégorie s'applique également aux armes à feu semi‑automatiques qui peuvent être transformées en armes entièrement automatiques. Toutefois, une interprétation large du verbe «pouvoir» dans la première catégorie, la seule catégorie existant dans la définition non modifiée, englobe toutes les armes transformables, tant celles qui sont transformées en armes entièrement automatiques que celles qui sont transformables en armes semi‑automatiques. La modification législative est redondante à moins que le verbe «pouvoir» ne se limite à la capacité actuelle de tirer de l'arme à feu.

Dans l'arrêt R. c. Zeolkowski, [1989] 1 R.C.S. 1378, notre Cour a reconnu la politique qui sous‑tend la réglementation de l'usage des armes à feu. Voir les motifs du juge Sopinka, à la p. 1383:

Bien que l'usage des armes à feu ait été dans une certaine mesure réglementé au Canada depuis 1892, les modifications de 1977 visaient à aborder de façon plus globale la protection du public contre l'utilisation abusive des armes à feu (Hawley, Canadian Firearms Law (1988), à la p. 2). À mon avis, le juge Lane de la Cour de comté a correctement énoncé l'objet de la Loi dans l'affaire R. v. Anderson (1981), 59 C.C.C. (2d) 439, à la p. 447:

[traduction] L'intention reconnue de l'art. 98 dans son ensemble est de retirer les armes à feu aux gens qui ont commis des infractions ou dont on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'ils le fassent, ou de les empêcher d'en acquérir.

Une interprétation stricte du verbe «pouvoir» ne s'oppose pas au souci de la protection du public. Les armes qui auraient été classées parmi les armes prohibées en vertu d'une interprétation large du verbe «pouvoir» à l'al. c) font encore l'objet d'une réglementation sévère dans le Code en tant qu'«armes à autorisation restreinte». La personne qui demande un certificat d'enregistrement dans le cas d'une «arme à autorisation restreinte» doit prouver au registraire local des armes à feu que l'usage projeté pour l'arme entre dans les catégories strictes établies au par. 109(3). Si le législateur désire prohiber les armes à feu semi‑automatiques qui se transforment facilement pour tirer de manière entièrement automatique, il est libre de le faire.

Le paragraphe 84(1) prévoit également la classification expresse d'une arme à feu particulière, comme il est mentionné dans le Décret sur les armes à autorisation restreinte, DORS/92‑467, ainsi que dans les divers Décrets sur les armes prohibées. La classification a l'avantage manifeste de particulariser les cas et d'éviter le recours à l'interprétation des tribunaux.

Une interprétation large du verbe «pouvoir» peut être acceptable dans les procédures in rem comme en l'espèce, où la confiscation de l'arme est la seule peine. Cependant, la définition de «arme prohibée» s'applique également dans d'autres cas. L'article 90 du Code prévoit différentes infractions relatives à la possession d'«armes prohibées», punissables d'un emprisonnement maximal de dix ans. L'article 95 rend le commerce des «armes prohibées» punissable d'un emprisonnement maximal de dix ans. La définition de «arme prohibée» est utilisée dans la Loi sur les licences d'exportation et d'importation, L.R.C. (1985), ch. E‑19, dont la violation entraîne à la fois des sanctions pécuniaires et des sanctions pénales.

Une déclaration de culpabilité relative à des «armes prohibées» entraîne des conséquences graves pour l'accusé. Tout critère fondé sur la possibilité que soient éventuellement apportées des modifications, qui peuvent dépasser la connaissance ou la compétence de l'accusé, engendre un niveau non souhaitable d'incertitude. Nul n'est censé ignorer la loi. Cela étant, il incombe au législateur d'être clair dans la rédaction des lois pénales.

Je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

//Le juge Cory//

Version française du jugement des juges La Forest, Gonthier et Cory rendu par

Le juge Cory — J'ai pris connaissance avec beaucoup d'intérêt des excellents motifs du juge Major, avec lesquels je ne puis malheureusement être d'accord.

Dans le présent pourvoi, il s'agit de déterminer si la mitraillette Mini‑Uzi dont il est question en l'espèce doit être classée comme une arme prohibée. Pour ce faire, il faut tenir compte de l'équilibre à établir entre la protection du public contre l'avalanche possible de meurtres pouvant découler de l'utilisation d'armes automatiques et les droits des individus qui, en raison de la possession d'une arme prohibée, peuvent être reconnus coupables d'un acte criminel qui, à l'époque, pouvait entraîner une peine d'emprisonnement de cinq ans ou d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

I ‑ Les faits

À la fin d'août 1989, Bernhard Hasselwander, l'intimé, s'est adressé au registraire local d'armes à feu à Guelph (Ontario) pour faire enregistrer sa mitraillette Mini‑Uzi comme arme à autorisation restreinte. Après avoir examiné l'arme, le registraire a jugé qu'il s'agissait d'une arme prohibée selon la définition du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, et l'a saisie.

Le 26 septembre 1989, le registraire s'est adressé à la Cour provinciale de l'Ontario en vertu du par. 102(3) du Code criminel afin que la Mini‑Uzi soit déclarée confisquée et qu'il en soit disposé ainsi que l'ordonnerait le procureur général.

II ‑ Les juridictions inférieures

La Cour provinciale (le juge Payne)

Le juge de la Cour provinciale a entendu les témoignages d'un expert en armes à feu, d'un collectionneur d'armes et de l'intimé. Compte tenu de cette preuve, il a tiré les importantes conclusions de fait suivantes:

[traduction] Il ressort clairement de la preuve que, grâce à quelques petits travaux effectués sur la plaque, on pourrait faire disparaître l'obstruction; toutefois, je suis davantage influencé par le fait que tout le mécanisme de la détente peut être enlevé et remplacé très facilement par un mécanisme de détente entièrement automatique, et je suis également influencé par le témoignage selon lequel on pourrait équiper l'arme du mécanisme de la détente d'une réplique de l'arme et qu'elle pourrait tirer des balles de manière entièrement automatique. Cet aspect de la question rend le contrôle presque impossible en soi, car aucun contrôle n'est exercé sur la vente des répliques d'armes. Il appert également du témoignage de l'agent Soley qu'il est facile d'obtenir des pièces de rechange de diverses sources et que, malgré un approvisionnement restreint en pièces produites par certains manufacturiers, il semble effectivement que l'adaptation de pièces entièrement automatiques à cette arme reste un exercice facile.

En se fondant sur ces conclusions, le juge Payne a décidé:

[traduction] Par conséquent, compte tenu de la preuve, bien que l'arme produite par le fabricant originaire était bien semi‑automatique et que, en fait, une arme semi‑automatique ait été présentée aux autorités en vue de son enregistrement comme arme à autorisation restreinte, je suis convaincu que cette arme tirera des balles de manière entièrement automatique après:

a)le réglage de la plaque de retenue,

b)le remplacement du mécanisme de la détente par des pièces distinctes entièrement automatiques ou

c)le remplacement du mécanisme de la détente par celui d'une réplique de l'arme.

À cause de cette possibilité, il s'agit, de fait, d'une arme prohibée. En conséquence, sa destruction est ordonnée.

La Cour de district (le juge Higgins)

Le juge de la Cour de district a statué que les conclusions du juge de la Cour provinciale étaient justifiées et étayées par la preuve. Il n'a décelé aucune erreur dans les conclusions du juge du procès et a rejeté l'appel de l'intimé.

La Cour d'appel

La majorité

La Cour d'appel a, à la majorité, comparé la définition d'une arme à feu avec celle d'une arme prohibée. On a remarqué que, dans la définition de «arme à feu», le législateur a utilisé l'expression «toute chose pouvant être adaptée pour être utilisée comme [arme à feu]» tandis que, dans la définition de «arme prohibée», il a utilisé les mots «pouvant tirer rapidement plusieurs balles». Il a été décidé que l'on pouvait déduire du libellé de ces définitions l'existence d'une différence établie volontairement. La cour a donc conclu à la majorité que le mot «pouvant» signifie «pouvant dans son état actuel» plutôt que de renvoyer à une possibilité qui peut se réaliser par adaptation. Les ordonnances des juridictions inférieures ont alors été annulées: (1991), 5 O.R. (3d) 225, 50 O.A.C. 186, 67 C.C.C. (3d) 426, 9 C.R. (4th) 281.

L'opinion minoritaire

Le juge Tarnopolsky a exprimé l'opinion que l'arme à feu qui peut être transformée facilement en une arme entièrement automatique est une arme prohibée au sens de l'al. c) de la définition qui en est donnée au par. 84(1) du Code criminel. Il a cité et adopté la solution retenue par la Cour d'appel de l'Alberta dans R. v. Global Armaments Ltd. (1990), 105 A.R. 260. Il était d'avis de rejeter l'appel.

III ‑ Analyse

En 1989, le par. 84(1) du Code criminel comprenait notamment la définition suivante de «arme prohibée»:

c) toute arme à feu, autre qu'une arme à autorisation restreinte décrite à l'alinéa c) de la définition de cette expression au présent paragraphe, pouvant tirer rapidement plusieurs balles pendant la durée d'une pression sur la détente;

Le même paragraphe définissait ainsi une «arme à feu»:

Toute arme, y compris une carcasse ou chambre d'une telle arme ainsi que toute chose pouvant être adaptée pour être utilisée comme telle, susceptible, grâce à un canon qui permet de tirer du plomb, des balles ou tout autre projectile, d'infliger des lésions corporelles graves ou la mort à une personne.

Le paragraphe 102(3) du Code criminel prévoit le pouvoir de saisir les armes prohibées. Il est libellé ainsi:

(3) L'agent de la paix apporte immédiatement les armes à autorisation restreinte, armes à feu ou armes prohibées, saisies conformément au paragraphe (1) mais non remises conformément au paragraphe (2), à un magistrat qui peut, après avoir donné à la personne qui les détenait lorsqu'elles ont été saisies, ou à leur propriétaire, s'il est connu, l'occasion d'établir qu'ils ont le droit de les posséder, les déclarer confisquées au profit de Sa Majesté et, sur ce, il en est disposé ainsi que l'ordonne le procureur général.

Les alinéas 90(1)a) et b) érigeaient en infraction le fait de posséder une arme prohibée. À l'époque, l'article prévoyait:

90. (1) Est coupable:

a) soit d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans;

b) soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire,

quiconque a en sa possession une arme prohibée.

(2) Est coupable:

a) soit d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans;

b) soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire,

quiconque occupe un véhicule automobile qu'il sait renfermer une arme prohibée.

(3) Le paragraphe (1) ne s'applique pas à une personne qui vient à posséder de par la loi une arme prohibée et qui s'en défait légalement avec diligence raisonnable.

(4) Le paragraphe (2) ne s'applique pas à l'occupant d'un véhicule automobile où se trouve une arme prohibée, lorsque, en vertu du paragraphe (3) ou de l'article 92, le paragraphe (1) ne s'applique pas au possesseur de l'arme.

1.La solution qui devrait être retenue en ce qui concerne l'interprétation de la définition de «arme prohibée»

Nous traitons ici du Code criminel. Dans le passé, il existait un principe fondamental d'interprétation des lois selon lequel les lois pénales devaient recevoir une interprétation restrictive de façon que tout doute sur la signification ou la portée de la loi profite à l'accusé. Voir, par exemple, Cité de Montréal c. Bélec, [1927] R.C.S. 535, et Winnipeg Film Society c. Webster, [1964] R.C.S. 280. Cette règle a été changée et même transformée au cours des cinquante dernières années. Dans son ouvrage intitulé Interprétation des lois (2e éd. 1990), Pierre‑André Côté fournit une analyse historique utile de cette règle. On peut lire à la p. 453:

Historiquement, la règle de l'interprétation restrictive des lois pénales a pu paraître justifiée par la nécessité dans laquelle se sont trouvés les juges de faire contrepoids à une législation pénale extrêmement sévère. Maxwell signale qu'une personne qui coupait un cerisier dans un verger ou que l'on avait vue, pendant un mois, en compagnie des gitans pouvait, pour ces raisons, encourir la peine de mort (Maxwell on the Interpretation of Statutes, 12e éd., Londres, Sweet & Maxwell, 1969, p. 238). L'interprétation restrictive des lois pénales s'avérait donc souvent synonyme d'interprétation in favorem vitae. Le XIXe siècle vit la législation pénale s'adoucir, la peine de mort cesser d'être la principale sanction pénale pour les crimes graves. Cela eut pour effet d'affaiblir l'intensité de la présomption, la faisant passer du rang de présomption renforcée à celui de présomption simple (Livingston HALL, «Strict or Liberal Construction of Penal Statutes», (1935) 48 Harv. L. Rev. 748, 749, 752. Sur l'interprétation des lois pénales, on verra aussi: André JODOUIN, «L'interprétation par le juge des lois pénales», (1978) 13 R.J.T. 49; Stephen KLOEPFER, «The Status of Strict Construction in Canadian Criminal Law», (1983), 15 Ott. L. Rev. 553.

Déjà, au début de ce siècle‑ci, le juge Lyman Duff, alors membre de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, notait que «la règle d'interprétation stricte dans son application aux lois pénales a été beaucoup assouplie [. . .]» (McGregor c. Canadian Consolidated Mines Ltd., (1906) 12 B.C.R. 116 (B.C. S.C.) 117 (traduction)).

La règle de l'interprétation restrictive des lois pénales semble entrer en conflit avec l'art. 12 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, qui prévoit:

Tout texte est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

C'est en accordant un rôle subsidiaire à la règle de l'interprétation restrictive des lois pénales qu'on a réglé le conflit apparent qui existait entre l'interprétation restrictive d'une loi pénale et l'interprétation fondée sur l'apport d'une solution de droit qu'exige l'art. 12 de la Loi d'interprétation. Dans l'arrêt Bélanger c. La Reine, [1970] R.C.S. 567, le juge en chef Cartwright a harmonisé ces principes opposés. En ce faisant, il a cité et approuvé, à la p. 573, le passage suivant de Maxwell (The Interpretation of Statutes (7e éd. 1929), à la p. 244):

[traduction] Lorsqu'un mot équivoque ou une phrase obscure laisse subsister un doute raisonnable que les règles d'interprétation ne permettent pas d'éclaircir, le bénéfice du doute doit profiter au citoyen et contre le législateur qui ne s'est pas exprimé clairement.

Plus récemment, le juge Martin, s'exprimant au nom de la Cour d'appel de l'Ontario, dans l'arrêt R. c. Goulis (1981), 125 D.L.R. (3d) 137, a utilisé cette méthode pour interpréter le sens d'un mot dans le Code criminel. Il a dit, aux pp. 141 et 142:

[traduction] Notre cour a appliqué à maintes reprises la règle bien connue d'interprétation des lois selon laquelle, si deux interprétations différentes peuvent raisonnablement être données à une disposition pénale, il faut retenir celle qui est la plus favorable à l'accusé: voir, par exemple, R. c. Cheetham (1980), 53 C.C.C. (2d) 109, 17 C.R. (3d) 1; R. c. Negridge (1980), 54 C.C.C. (2d) 304, 17 C.R. (3d) 14, 6 M.V.R. 255. Toutefois, je ne crois pas que, d'après cette règle, il faille toujours donner à un mot qui a deux sens reconnus, le sens le plus restrictif. Lorsqu'un mot utilisé dans une loi a deux sens reconnus, alors l'un ou l'autre ou les deux peuvent s'appliquer. La cour doit d'abord tenter de déterminer, à partir du contexte, le sens dans lequel le législateur l'a utilisé. Ce n'est que lorsqu'une ambiguïté persiste, après l'étude du contexte, quant au sens dans lequel le législateur a utilisé le mot que, selon la règle d'interprétation mentionnée ci‑dessus, il y a lieu d'adopter l'interprétation la plus favorable au défendeur. [Je souligne.]

La règle de l'interprétation restrictive devient donc applicable seulement lorsque les tentatives d'interprétation neutre proposées à l'art. 12 de la Loi d'interprétation laissent subsister un doute raisonnable quant au sens ou à la portée du texte de la loi. Comme l'a signalé le professeur Côté, cela signifie que, même dans le cas des lois pénales, il faut rechercher la véritable intention du législateur et appliquer le sens qui correspond à ses objets. (Voir, par exemple, R. c. Johnston (1977), 37 C.R.N.S. 234 (C.A.T.N.‑O.), conf. par [1978] 2 R.C.S. 391; R. c. Philips Electronics Ltd. (1980), 116 D.L.R. (3d) 298 (C.A. Ont.), conf. par [1981] 2 R.C.S. 264; R. c. Leroux, [1974] C.A. 151, et R. c. Nittolo, [1978] C.A. 146.)

À mon avis, tout doute quant à savoir si le verbe «pouvoir» signifie «pouvant immédiatement» ou «pouvant facilement» disparaît dès que l'on interprète ce mot en tenant compte de l'objet visé par les dispositions du Code relatives aux armes prohibées. Par conséquent, il n'est nullement nécessaire de recourir en l'espèce à la règle de l'interprétation restrictive.

2.L'objet visé par les dispositions relatives aux armes prohibées

Arrêtons‑nous un instant à la nature des armes automatiques, c'est‑à‑dire aux armes pouvant tirer rapidement des salves de coups pendant la durée d'une pression sur la détente. Ces armes sont conçues dans le but de tuer et de mutiler un grand nombre de personnes de façon rapide et efficace. Elles ne servent à rien d'autre. Elles ne sont pas conçues pour chasser des animaux mais des hommes. Elles ne sont pas conçues pour vérifier l'habileté et la précision d'un tireur d'élite. Leur seule fonction est de tuer des gens. Ces armes ne sont d'aucune valeur pour le chasseur ou le tireur d'élite. Elles ne devraient donc être utilisées que par les forces armées et, dans certains cas, par les forces policières. Il ne fait aucun doute qu'elles présentent une menace telle qu'elles constituent un danger réel et actuel pour tous les Canadiens. Il y a une bonne raison d'interdire leur usage compte tenu de la menace qu'elles présentent et de l'usage restreint auquel elles peuvent servir. Leur interdiction assure une plus grande sécurité à la société.

La doctrine et la jurisprudence américaines ne devraient pas être prises en considération en l'espèce. Contrairement à la Constitution américaine, la Constitution canadienne ne garantit pas le droit de porter des armes. En effet, la plupart des Canadiens préfèrent la tranquillité d'esprit et le sens de la sécurité qui découlent du fait de savoir que la possession d'une arme automatique est interdite.

Dans l'arrêt R. c. Covin, [1983] 1 R.C.S. 725, notre Cour a jugé qu'il fallait adopter une méthode fondée sur l'objet pour interpréter la définition de «arme à feu». Dans cet arrêt, il s'agissait de savoir si un fusil à air comprimé auquel il manquait plusieurs pièces essentielles pouvait être considéré comme une arme à feu au sens de l'art. 83 (maintenant l'art. 85) et de l'art. 82 (maintenant l'art. 84) du Code criminel. La définition de «arme à feu» prévue au par. 84(1) comprend «toute chose pouvant être adaptée pour être utilisée comme [arme à feu]». Pour déterminer si l'instrument en question était visé par la définition de «arme à feu», le juge Lamer, maintenant juge en chef, a utilisé la méthode fondée sur l'objet pour établir le degré acceptable d'adaptation qui est requis pour que quelque chose soit considéré comme une arme à feu. Il a dit, à la p. 729:

À mon avis, pour que quelque chose demeure dans les limites de la définition, le degré acceptable d'adaptation et le temps requis pour la réaliser dépendent de la nature de l'infraction à laquelle la définition s'applique. Il faudra identifier le but de chaque article et déterminer la quantité, la nature de l'adaptation et le temps nécessaire à la réaliser de façon à donner effet à l'intention qu'avait le Parlement lorsqu'il a adopté cet article.

Il convient également d'utiliser la méthode fondée sur l'objet pour déterminer le sens de l'expression «pouvant tirer rapidement plusieurs balles pendant la durée d'une pression sur la détente».

3.L'interprétation appropriée de la définition de «arme prohibée»

Que devrait donc signifier le verbe «pouvoir» employé dans la définition de «arme prohibée» au par. 84(1)? Il ne devrait pas être limité au sens strict de pouvoir immédiatement. Une telle définition signifierait que le simple fait d'enlever une pièce qui pourrait être remplacée en quelques secondes soustrairait l'arme à la définition. Cela n'était certainement pas l'intention du législateur. Si tel avait été le cas, le danger que représentent les armes automatiques continuerait d'exister tout autant qu'avant l'adoption de l'interdiction.

Dans le texte anglais, le mot «capable» à l'al. c) de la définition de "prohibited weapon" comprend, selon l'Oxford English Dictionary (2e éd. 1989), un aspect de la possibilité de subir éventuellement des transformations. Il est défini ainsi:

3. Able or fit to receive and be affected by; open to, susceptible . . .

. . .

5. Having the needful capacity, power, or fitness for (some specified purpose or activity).

Il ressort clairement que le mot «capable» comprend de fait une possibilité de transformation. Il est alors juste et raisonnable d'interpréter la définition de «arme prohibée» comme comprenant une arme qui peut être facilement transformée en une arme entièrement automatique.

En français, comme nous l'avons vu, la définition de «arme prohibée» comprend:

c) toute arme à feu, autre qu'une arme à autorisation restreinte décrite à l'alinéa c) de la définition de cette expression au présent paragraphe, pouvant tirer rapidement plusieurs balles pendant la durée d'une pression sur la détente; [Je souligne.]

Le Grand Robert de la langue française (2e éd. 1986) définit ainsi le verbe «pouvoir»:

1. Avoir la possibilité de, être capable, en mesure de [. . .] (en raison des qualités de la personne ou de la chose, ou en raison des moyens offerts par les circonstances). V. Capable, état (en état de), même (à même de), mesure (en mesure de), situation (en situation de), susceptible.

et

3. (En parlant de ce qui est hypothétique, incertain [. . .]).

Il semble donc que la définition française aussi véhicule clairement l'idée que le mot «pouvant» comme le mot «capable» comprend une possibilité qui doit encore se réaliser, une possibilité à venir par opposition à seulement une capacité immédiate.

Toutefois, il faut apporter une restriction raisonnable à cet aspect de possibilité. C'est le véritable rôle du tribunal de définir le sens du mot «pouvant» utilisé dans la définition de «arme prohibée» au par. 84(1). À mon avis, il devrait signifier pouvant être transformée en une arme automatique dans un laps de temps assez court avec assez de facilité. Il ne fait pas de doute que, selon les conclusions du juge de la Cour provinciale, qui sont bien étayées par la preuve, l'arme en cause en l'espèce est visée par la définition.

Ne peut pas non plus constituer un moyen de défense valable l'allégation selon laquelle un collectionneur tel que M. Hasselwander ne transformerait jamais l'arme. Les collectionneurs sont des cibles attrayantes pour les voleurs qui recherchent ces armes dans le but même de les utiliser ou de les vendre à d'autres personnes qui désirent en faire usage. Les citoyens ont le droit d'être protégés contre l'usage des armes à feu. On peut y arriver en donnant au mot «pouvant» la définition susmentionnée.

Le juge Major note qu'une déclaration de culpabilité pour possession d'une arme prohibée en vertu de l'art. 90 du Code criminel peut maintenant entraîner un emprisonnement maximal de dix ans. (En 1989, la peine maximale était de cinq ans.) À son avis, la possibilité d'une peine d'emprisonnement exige une interprétation restrictive de la loi. Avec égards, je ne suis pas d'accord. Les armes automatiques ou celles qui peuvent être transformées facilement et rapidement en armes automatiques peuvent entraîner tellement de meurtres, et même des tueries, que leur possession peut, à bon droit, avoir pour conséquence l'emprisonnement. C'est à cause du caractère potentiellement létal des armes prohibées que la définition qui en est donnée exige une interprétation raisonnable fondée sur le libellé de l'article et sur le but ou l'objet de la loi. En outre, l'art. 90 permet au ministère public de poursuivre par voie d'acte d'accusation ou de déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Par conséquent, un individu qui est considéré avoir été en possession d'une arme dont il ne s'était peut‑être pas rendu compte qu'elle était prohibée peut être accusé d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et ainsi, s'il est reconnu coupable, être admissible à une absolution inconditionnelle. Je ne crois donc pas qu'il y ait lieu de donner une interprétation restrictive à l'al. c) de la définition de "arme prohibée", selon le libellé qu'il avait à l'époque du procès.

Je ne peux pas être d'accord non plus avec la thèse du juge Major selon laquelle la toute dernière modification apportée à l'article indique qu'il faudrait donner au verbe «pouvoir» une interprétation stricte ou restrictive. Elle devrait plutôt être considérée comme une réponse au besoin ressenti de supprimer tout doute sur le sens de ce mot.

Le raisonnement suivi dans d'autres arrêts vient étayer la position que j'ai adoptée. Je suis donc d'accord avec les motifs du juge Hart dans R. c. Haines (1981), 45 N.S.R. (2d) 428, à la p. 436, où il a déclaré:

[traduction] Les infractions dont l'appelant a été accusé en l'espèce étaient la possession d'armes prohibées. D'après moi, c'est en appliquant les faits à la définition figurant à l'art. 82 [maintenant l'art. 84] du Code criminel que l'on doit déterminer si un objet particulier constitue ou non une «arme prohibée». Si une arme à feu est démontée en tout ou en partie mais qu'on peut faire en sorte qu'elle «puisse tirer des balles» en rassemblant tout simplement ses pièces ou en apportant quelques petites modifications à son mécanisme, je pense que l'on pourrait conclure qu'il s'agit d'une arme prohibée. Si, par ailleurs, elle se trouve dans une condition telle qu'on ne pourrait pas la rendre opérationnelle en raison de l'absence de toutes les pièces ou en raison de modifications matérielles apportées à sa structure qui seraient difficiles à réparer, elle peut cesser de fait d'être une «arme». Il devrait y avoir au même moment et au même endroit les éléments nécessaires pour qu'une arme à feu puisse fonctionner ainsi que la possibilité de lui donner une forme opérationnelle.

Je suis également d'accord avec la Cour d'appel de l'Alberta dans l'arrêt R. c. Global Armaments, précité. Il s'agissait alors de savoir si les armes automatiques qui avaient été transformées en armes semi‑automatiques devaient encore être considérées comme des armes prohibées. Le juge du procès a conclu que les armes pouvaient être très facilement ramenées à leur possibilité et caractère originaux et que, par conséquent, elles gardaient leur caractère d'armes prohibées. La Cour d'appel de l'Alberta a confirmé la décision du juge du procès et a déclaré:

[traduction] . . . le juge du procès a bien compris l'intention du législateur en interprétant la définition du mot «prohibée» utilisé à l'art. 84 du Code criminel. Les armes modifiées pouvaient être transformées en quelques minutes de façon à tirer rapidement plusieurs balles pendant la durée d'une pression sur la détente. C'est‑à‑dire qu'elles n'ont jamais vraiment perdu la caractéristique d'une arme automatique.

Dans R. c. Ferguson (1985), 20 C.C.C. (3d) 256, la Cour d'appel de l'Ontario a examiné si une carabine à canon tronqué constituait une arme prohibée. Bien que, pour ce faire, la cour devait interpréter une définition différente de celle qui est en cause ici, je crois néanmoins que la solution retenue par la Cour d'appel pour dissiper l'ambiguïté dans cette affaire est pertinente. L'arme n'était pas opérationnelle puisqu'il manquait le «percuteur», sans lequel elle ne pouvait pas tirer de balles. Cependant, le juge Lacourcière a dit (à la p. 262):

[traduction] La possession est une infraction continue. L'article avait manifestement pour but de supprimer la possession d'appareils, de couteaux ou d'armes à feu qui constituent un danger particulier pour le public, par exemple les silencieux, les couteaux à cran d'arrêt ou, dans le cas présent, en vertu de l'al. 82(1)d), une carabine à canon tronqué qui peut facilement être dissimulée en raison de sa longueur réduite. Vu la nature de l'infraction continue de possession d'une arme prohibée en vertu du par. 88(1) et compte tenu de l'objet du paragraphe, nous sommes tous convaincus que le degré acceptable d'adaptation et le temps requis pour rendre l'arme opérationnelle sont supérieurs à ce qui est requis dans le cas d'une infraction prévue à l'art. 83, où l'adaptation doit se faire sur le lieu même afin de venir étayer l'accusation d'utilisation d'une arme à feu durant la perpétration ou la tentative de perpétration d'un acte criminel ou durant la fuite qui s'ensuit.

Selon le témoignage de l'expert, le mécanisme du percuteur pouvait être obtenu facilement et être inséré dans un laps de temps allant de 30 secondes à une minute. En raison de ce témoignage, nous sommes convaincus que l'arme inopérante en l'espèce pouvait être adaptée de manière à être utilisée comme une arme à feu susceptible de tirer des balles, d'infliger des lésions corporelles graves ou la mort et que, du fait qu'elle était une «arme à feu», elle était une «arme prohibée» selon la définition prévue à l'al. 82(1)d).

Il a fait remarquer que ce serait contraire à l'objet de la loi si, en enlevant une partie de l'arme, une personne pouvait la rendre inopérante et ainsi éviter d'être reconnue coupable.

Il semble donc que, dans la majorité des affaires jugées, les tribunaux ont examiné adéquatement l'objet de la loi. Celui‑ci est de protéger le public contre les armes dangereuses qui sont conçues spécialement pour tuer ou mutiler des gens. Lorsqu'une arme peut être transformée rapidement et facilement en une arme automatique, elle doit être visée par la définition de «arme prohibée». En arriver à une autre conclusion ne ferait que miner l'objet même de la loi.

IV ‑ Dispositif

Je suis donc d'avis d'accueillir le pourvoi, d'annuler l'ordonnance de la Cour d'appel et de rétablir celle de la Cour provinciale.

Pourvoi accueilli, le juge en chef Lamer et le juge Major sont dissidents.

Procureur de l'appelante: Le procureur général de l'Ontario, Toronto.

Procureur de l'intimé: Calvin Martin, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : [1993] 2 R.C.S. 398 ?
Date de la décision : 19/05/1993
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit criminel - Armes à feu - Armes prohibées - Arme à feu semi‑automatique pouvant être transformée facilement en arme entièrement automatique - S'agit‑il d'une «arme prohibée»? - Sens du mot «pouvant» employé à l'al. c) de la définition de «arme prohibée» à l'art. 84(1) du Code criminel - Interprétation des lois pénales - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 84(1).

En 1989, un juge de la Cour provinciale a ordonné la confiscation d'une mitraillette Mini‑Uzi appartenant à l'intimé. Le juge a statué que, puisque c'était une arme à feu semi‑automatique qui pouvait être facilement transformée en arme entièrement automatique, elle «pouva[i]t tirer rapidement plusieurs balles pendant la durée d'une seule pression sur la détente», et il a conclu qu'il s'agissait d'une «arme prohibée» au sens du par. 84(1) du Code criminel. La Cour de district de l'Ontario a maintenu l'ordonnance de confiscation, mais la Cour d'appel a accueilli à la majorité l'appel de l'intimé et a conclu que le mot «pouvant» signifie «pouvant dans son état actuel» plutôt que de renvoyer à une possibilité qui peut se réaliser par adaptation, et elle a annulé l'ordonnance de confiscation.

Arrêt (le juge en chef Lamer et le juge Major sont dissidents): Le pourvoi est accueilli.

Les juges La Forest, Gonthier et Cory: L'arme de l'intimé doit être classée comme une arme prohibée. Tout doute sur le sens du mot «pouvant» employé à l'al. c) de la définition de «arme prohibée» au par. 84(1) du Code disparaît dès que l'on interprète ce mot en tenant compte de l'objet visé par les dispositions du Code relatives aux armes prohibées. Il n'est donc nullement nécessaire de recourir en l'espèce à la règle de l'interprétation restrictive. L'objet de ces dispositions est de protéger le public contre les armes dangereuses qui sont conçues spécialement pour tuer ou mutiler des gens. Le mot «pouvant» figurant à l'al. c) comprend un aspect de la possibilité de subir éventuellement des transformations et, si on lui donne une interprétation raisonnable, il devrait signifier pouvant être transformée en une arme automatique dans un laps de temps assez court avec assez de facilité. En arriver à une autre conclusion ne ferait que miner l'objet même de la loi. Par conséquent, lorsqu'une arme peut être transformée rapidement et facilement en une arme automatique, elle est visée par la définition de «arme prohibée». La modification apportée à l'al. c) en 1991 n'indique pas qu'il faudrait donner au mot «pouvant» une interprétation stricte ou restrictive. Elle devrait plutôt être considérée comme une réponse au besoin ressenti de supprimer tout doute sur le sens de ce mot.

Le juge en chef Lamer et le juge Major (dissidents): Le mot «pouvant» employé à l'al. c) de la définition de «arme prohibée» au par. 84(1) du Code renvoie à la capacité actuelle de l'arme à feu. Il n'est pas utilisé avec des termes tels que «adaptée», «modifiée», «destinée», «conçue», «susceptible», «de par sa construction» et «de par ses modifications», que l'on peut trouver à d'autres alinéas du par. 84(1) et qui renvoient plus clairement à une capacité éventuelle. De plus, la modification apportée à l'al. c) en 1991 est redondante à moins que le verbe «pouvoir» ne se limite à la capacité actuelle de tirer de l'arme à feu. Une interprétation stricte de ce mot ne s'oppose pas au souci de la protection du public. Les armes qui auraient été classées parmi les armes prohibées en vertu d'une interprétation large du verbe «pouvoir» à l'al. c) font encore l'objet d'une réglementation sévère dans le Code en tant qu'«armes à autorisation restreinte». Le paragraphe 84(1) prévoit également la classification d'une arme à feu particulière comme «arme prohibée». Enfin, une déclaration de culpabilité relative à une «arme prohibée» entraîne des conséquences graves pour l'accusé. Tout critère fondé sur la possibilité que soient éventuellement apportées des modifications, qui peuvent dépasser la connaissance ou la compétence de l'accusé, engendre un niveau non souhaitable d'incertitude.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Hasselwander

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Cory
Arrêts approuvés: R. c. Haines (1981), 45 N.S.R. (2d) 428
R. c. Global Armaments Ltd. (1990), 105 A.R. 260
arrêts mentionnés: R. c. Ferguson (1985), 20 C.C.C. (3d) 256
Cité de Montréal c. Bélec, [1927] R.C.S. 535
Winnipeg Film Society c. Webster, [1964] R.C.S. 280
Bélanger c. La Reine, [1970] R.C.S. 567
R. c. Goulis (1981), 125 D.L.R. (3d) 137
R. c. Johnston (1977), 37 C.R.N.S. 234 (C.A.T.N.‑O.), conf. par [1978] 2 R.C.S. 391
R. c. Philips Electronics Ltd. (1980), 116 D.L.R. (3d) 298 (C.A. Ont.), conf. par [1981] 2 R.C.S. 264
R. c. Leroux, [1974] C.A. 151
R. c. Nittolo, [1978] C.A. 146
R. c. Covin, [1983] 1 R.C.S. 725.
Citée par le juge Major (dissident)
R. c. Global Armaments Ltd. (1990), 105 A.R. 260
R. c. Covin, [1983] 1 R.C.S. 725
R. c. Zeolkowski, [1989] 1 R.C.S. 1378.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 84(1) «arme à feu», «arme prohibée» [mod. ch. 27 (1er suppl.), art. 186 (ann. IV, no 2)], «arme à autorisation restreinte» [idem], 90, 95, 102(3) [mod. idem, art. 203], 109(3) [abr. & rempl. idem, art. 185 (ann. III, no 3)].
Décret sur les armes à autorisation restreinte, DORS/92‑467.
Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, art. 12.
Loi modifiant le Code criminel et le Tarif des douanes en conséquence, L.C. 1991, ch. 40, art. 2(2).
Loi sur les licences d'exportation et d'importation, L.R.C. (1985), ch. E‑19 [mod. 1991, ch. 28].
Doctrine citée
Côté, Pierre‑André. Interprétation des lois, 2e éd. Cowansville: Yvon Blais, 1990.
Grand Robert de la langue française, 2e éd. Paris: Le Robert, 1986, «pouvoir».
Oxford English Dictionary, 2nd ed. Oxford: Clarendon Press, 1989, «capable».

Proposition de citation de la décision: R. c. Hasselwander, [1993] 2 R.C.S. 398 (19 mai 1993)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1993-05-19;.1993..2.r.c.s..398 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award