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25/03/1993 | CANADA | N°[1993]_1_R.C.S._1080

Canada | Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1993] 1 R.C.S. 1080 (25 mars 1993)


Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1993] 1 R.C.S. 1080

Le ministre des Finances du Canada,

le ministre de la Santé nationale et

du Bien‑être social du Canada et

le procureur général du Canada Appelants

c.

Robert James Finlay Intimé

et

Le procureur général du Québec,

le procureur général du Manitoba,

le procureur général de l'Alberta et

l'Organisation nationale anti‑pauvreté Intervenants

Répertorié: Finlay c. Canada (Ministre des Finances)

No du greffe: 22162.

*1992: 23 m

ars.

*Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin et Stevenson.

**Nouvelle audition: 1993: 28 janvier...

Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1993] 1 R.C.S. 1080

Le ministre des Finances du Canada,

le ministre de la Santé nationale et

du Bien‑être social du Canada et

le procureur général du Canada Appelants

c.

Robert James Finlay Intimé

et

Le procureur général du Québec,

le procureur général du Manitoba,

le procureur général de l'Alberta et

l'Organisation nationale anti‑pauvreté Intervenants

Répertorié: Finlay c. Canada (Ministre des Finances)

No du greffe: 22162.

*1992: 23 mars.

*Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin et Stevenson.

**Nouvelle audition: 1993: 28 janvier; 1993: 25 mars.

**Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1990] 2 C.F. 790, 71 D.L.R. (4th) 422, 115 N.R. 321, qui a confirmé un jugement de la Cour fédérale, Section de première instance (1989), 57 D.L.R. (4th) 211, 25 F.T.R. 45, déclarant illégale la contribution fédérale au régime d'aide sociale du Manitoba. Pourvoi accueilli, les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Cory et McLachlin sont dissidents.

Eric A. Bowie, c.r., Faye E. Campbell, c.r., et Harry Glinter, pour les appelants.

G. Patrick S. Riley et John A. Myers, pour l'intimé.

Louis Rochette et Dominique Rousseau, pour l'intervenant le procureur général du Québec.

W. Glenn McFetridge, pour l'intervenant le procureur général du Manitoba.

Beverley Bauer, pour l'intervenant le procureur général de l'Alberta.

Arne Peltz, pour l'intervenante l'Organisation nationale anti‑pauvreté.

//Le juge en chef Lamer//

Version française des motifs rendus par

Le juge en chef Lamer — Je souscris aux motifs du juge Sopinka. Je souscris également aux motifs du juge McLachlin et du juge Sopinka pour ce qui est de trancher la deuxième question en litige.

//Le juge La Forest//

Version française des motifs rendus par

Le juge La Forest (dissident) — J'ai pris connaissance des motifs de mes collègues les juges Sopinka et McLachlin. Je suis d'accord avec la façon dont le juge McLachlin tranche les questions 1a) et b) énoncées dans ses motifs, et ce, pour les raisons qu'elle donne, sauf en ce qui a trait à son utilisation des débats législatifs, sur laquelle je n'exprime aucune opinion. Je suis également d'accord avec la façon dont elle tranche la deuxième question en litige, pour les raisons qu'elle-même et le juge Sopinka ont exposées.

En conséquence, je suis d'avis de statuer sur le pourvoi de la même manière qu'elle le fait, sauf que j'accorderais des dépens comme entre parties dans toutes les cours.

//Le juge McLachlin//

Version française des motifs des juges L'Heureux-Dubé, Cory et McLachlin rendus par

Le juge McLachlin (dissidente) — Est soulevée en l'espèce la question de savoir si les régimes provinciaux d'aide sociale doivent pourvoir aux besoins fondamentaux en matière de subsistance des assistés sociaux pour être admissibles à des subventions relatives au partage des frais versées par le gouvernement fédéral dans le cadre du Régime d'assistance publique du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-1 (auparavant S.R.C. 1970, ch. C-1) («RAPC»). Cette question se pose en raison de la pratique de la province du Manitoba consistant à effectuer sur l'allocation de subsistance de base des bénéficiaires des retenues afin de récupérer des sommes qui leur auraient été payées en trop.

Monsieur Finlay est un résident du Manitoba qui est admissible à l'aide sociale sous le régime manitobain parce que l'incapacité permanente dont il souffre, qui comprend une forme aiguë d'épilepsie, ne lui permet pas de travailler pour subvenir à ses besoins. À l'époque en cause, il touchait mensuellement 213,40 $ à titre d'allocation d'aide sociale pour la nourriture, le vêtement et les services répondant aux besoins personnels. De plus, il avait droit à une allocation pour le loyer (jusqu'à concurrence de 45 $ par mois), les services d'utilité publique et le combustible.

En février 1974, le Manitoba a commencé à retenir sur les paiements d'aide sociale de M. Finlay des montants à valoir sur les sommes qui lui auraient été versées en trop. La première de ces sommes, s'élevant à 207,70 $, se rapportait à un logement partagé, la seconde, de l'ordre de 109 $, était pour des frais de déménagement, et la troisième, soit 796 $, résultait du paiement d'une subvention pour la mise sur pied d'une entreprise. Monsieur Finlay n'a tiré de ces prétendus paiements en trop aucun avantage sous forme d'argent supplémentaire pouvant être affecté à l'acquittement de ses frais de subsistance. Le paiement en trop relatif au déménagement, par exemple, venait de ce que la province lui avait demandé de quitter un appartement parce qu'il était trop grand. Monsieur Finlay a accédé à cette demande. Parce que son état de santé ne lui permet pas de conduire, il a engagé quelqu'un pour le déménagement, ce qui lui a coûté 189 $. Après qu'il eut déménagé et que la province en eut payé les frais, cette dernière l'a informé qu'il n'avait droit qu'à une allocation maximale de 80 $ au titre du déménagement. Il était donc réputé avoir touché un paiement en trop d'aide sociale de 109 $.

La province a tenté de récupérer les sommes versées en trop en retenant 5 pour 100 du montant de l'allocation de subsistance de base de M. Finlay, à qui on a fait savoir que cela se poursuivrait pendant dix ans, soit jusqu'au recouvrement intégral des sommes en question. Par suite de ces retenues, M. Finlay se retrouvait avec une somme d'argent moindre que celle dont il avait besoin pour vivre. Pour joindre les deux bouts, il se passait de nourriture trois jours par mois. Il a maigri de soixante livres. C'est alors que les retenues ont cessé, vraisemblablement pour des motifs de compassion.

Monsieur Finlay a tenté en vain d'en appeler de ces retenues au moyen de la procédure d'appel prévue par la Loi sur l'aide sociale du Manitoba, L.R.M. 1987, ch. S160. Il a ensuite engagé les présentes procédures afin d'obtenir, notamment, un jugement déclarant que le Manitoba viole le Régime d'assistance publique du Canada en effectuant des retenues sur les sommes qui, selon sa propre décision, correspondent aux besoins fondamentaux des bénéficiaires.

La situation de M. Finlay n'a rien d'exceptionnel. Il ressort de la preuve produite au cours du procès en 1987 que des retenues semblables se faisaient dans le cas de 11 pour 100 des bénéficiaires d'aide sociale au Manitoba, soit environ 5 000 personnes. La province n'a pas laissé entendre devant nous que la situation s'est améliorée.

Les questions en litige

Le pourvoi soulève les questions suivantes:

1. La retenue des sommes versées en trop contrevient‑elle au RAPC et à l'accord intervenu entre le gouvernement fédéral et le Manitoba conformément au RAPC?

a) Le RAPC (et l'accord conclu conformément à celui‑ci) oblige‑t‑il une province à fournir un niveau minimal d'allocations d'aide sociale équivalant aux besoins fondamentaux de la personne nécessiteuse?

b) Si la réponse à la question a) est affirmative, les retenues présentement en cause violent‑elles la norme minimale d'aide sociale prescrite par le RAPC?

2. La pratique qui consiste, au Manitoba, à permettre aux municipalités de fixer leurs propres taux d'aide sociale sans assujettissement à un contrôle provincial, contrevient‑elle au RAPC?

Le régime

Le Régime d'assistance publique du Canada figure parmi un certain nombre de régimes en vigueur au Canada en vertu desquels le gouvernement fédéral contribue aux frais de services fournis par les provinces. Adopté en 1966, le RAPC prévoit la contribution par le gouvernement fédéral à l'assistance publique et aux services de protection sociale offerts par la province aux personnes nécessiteuses. Le régime énonce les conditions à remplir pour obtenir l'aide fédérale et autorise, à l'art. 4, le ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social à conclure avec les provinces des accords relatifs aux contributions fédérales. Un tel accord est intervenu avec le Manitoba le 20 mars 1967.

Les dispositions pertinentes du RAPC sont les suivantes:

Loi autorisant le Canada à contribuer aux frais des régimes visant

à fournir une assistance publique et des services de protection sociale aux personnes nécessiteuses et à leur égard

Considérant que le Parlement du Canada, reconnaissant que l'instauration de mesures convenables d'assistance publique pour les personnes nécessiteuses et que la prévention et l'élimination des causes de pauvreté et de dépendance de l'assistance publique intéressent tous les Canadiens, désire encourager l'amélioration et l'élargissement des régimes d'assistance publique et des services de protection sociale dans tout le Canada en partageant dans une plus large mesure avec les provinces les frais de ces programme,

Sa Majesté, sur l'avis et avec le consentement du Sénat et de la Chambre des communes du Canada, édicte:

TITRE ABRÉGÉ

1. Régime d'assistance publique du Canada.

DÉFINITIONS

2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

. . .

«assistance publique» Aide sous toutes ses formes aux personnes nécessiteuses ou à leur égard en vue de fournir, ou de prendre les mesures pour que soient fournis, l'ensemble ou l'un quelconque ou plusieurs des services suivants:

a) la nourriture, le logement, le vêtement, le combustible, les services d'utilité publique, les fournitures ménagères et les services répondant aux besoins personnels (ci‑après appelés «besoins fondamentaux»);

b) les articles réglementaires, accessoires à l'exercice d'un métier ou autre emploi, ainsi que les services répondant aux autres besoins spéciaux réglementaires de toute nature;

c) les soins dans un foyer de soins spéciaux;

d) les déplacements et moyens de transport;

e) les obsèques et enterrements;

f) les services de santé;

g) les services réglementaires de protection sociale dont l'acquisition est faite par un organisme approuvé par une province ou à la demande d'un tel organisme;

h) les allocations de menues dépenses et autres services réglementaires répondant aux besoins des résidents ou malades des hôpitaux ou autres établissements réglementaires.

. . .

«autorité provinciale» Le ministre provincial ou une autorité ou un organisme autre spécifié par la province dans un accord conclu en vertu de l'article 4 comme chargé de l'application de la législation provinciale.

. . .

«législation provinciale» Les lois provinciales qui prévoient à des conditions compatibles avec les dispositions de la présente loi et des règlements:

a) soit l'assistance publique;

b) soit des services de protection sociale dans la province.

Est visé par la présente définition tout règlement pris en vertu de ces lois.

«ministre» Le ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social.

. . .

«organisme approuvé par la province» Tout ministère gouvernemental, toute personne ou tout organisme, y compris un organisme privé sans but lucratif, que la législation ou l'autorité provinciale autorise à accepter des demandes d'assistance publique, à déterminer l'admissibilité à une telle assistance, à fournir ou à payer cette assistance ou à fournir des services de protection sociale et qui figure dans la liste d'une annexe à un accord conclu en vertu de l'article 4.

«personne nécessiteuse» Selon le cas:

a) personne qui, par suite de son incapacité d'obtenir un emploi, de la perte de son principal soutien de famille, de sa maladie, de son invalidité, de son âge ou de toute autre cause acceptable pour l'autorité provinciale, est reconnue incapable — sur vérification par l'autorité provinciale qui tient compte des besoins matériels de cette personne et des revenus et ressources dont elle dispose pour satisfaire ces besoins — de subvenir convenablement à ses propres besoins ou à ses propres besoins et à ceux des personnes qui sont à sa charge ou de l'une ou plusieurs d'entre elles;

b) personne âgée de moins de vingt et un ans qui est confiée aux soins ou à la garde d'une autorité chargée de la protection infantile ou placée sous le contrôle ou la surveillance d'une telle autorité, ou personne qui est un enfant placé en foyer nourricier selon la définition des règlements.

Pour l'application de l'alinéa e) de la définition de «assistance publique», est assimilée à une personne nécessiteuse une personne décédée qui était une personne visée par l'alinéa a) ou b) de la présente définition au moment de son décès ou qui, bien qu'elle ne fût pas une telle personne au moment de son décès, aurait été reconnue être une telle personne si une demande d'assistance publique avait été faite pour elle ou à son égard immédiatement avant son décès.

. . .

PARTIE I

ASSISTANCE GÉNÉRALE ET SERVICES

DE PROTECTION SOCIALE

Définitions

3. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.

«accord» Accord conclu en vertu de l'article 4.

«contribution» Montant payable par le Canada en vertu d'un accord.

Accord autorisé

4. Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, avec l'approbation du gouverneur en conseil, conclure avec toute province un accord prévoyant le paiement, par le Canada à la province, de contributions aux frais encourus par la province et des municipalités de la province, au titre:

a) de l'assistance publique fournie, en conformité avec la législation provinciale, par des organismes approuvés par la province ou à la demande de ceux‑ci;

b) des services de protection sociale fournis, en conformité avec la législation provinciale, dans la province par des organismes approuvés par la province.

. . .

Modalités des accords

6. . . .

(2) Un accord doit prévoir que la province:

a) fournira l'aide financière ou une autre forme d'assistance publique à toute personne de la province qui est une personne nécessiteuse visée à l'alinéa a) de la définition de «personne nécessiteuse» à l'article 2, ou à l'égard d'une telle personne, dans une mesure ou d'une manière compatibles avec ses besoins fondamentaux;

b) tiendra compte, en décidant si une personne est visée par l'alinéa a) et en déterminant l'assistance publique à fournir à cette personne, de ses besoins matériels et des revenus et ressources dont elle dispose pour les satisfaire;

c) continuera, selon les nécessités et l'occasion, l'amélioration et l'élargissement des services de protection sociale dans la province;

d) n'exigera pas de délai de résidence dans la province comme condition d'admissibilité à l'assistance publique ou à la réception initiale ou continue de prestations;

e) veillera, dans le délai d'un à compter de la date d'entrée en vigueur de l'accord, à prendre des dispositions législatives établissant une procédure d'appel des décisions prises par les organismes approuvés par la province relativement aux demandes d'assistance publique ou à l'octroi ou à la fourniture de cette assistance, par des personnes directement visées par ces décisions;

f) fera tenir et maintenir disponibles pour examen et vérification, par le ministre ou toute personne qu'il a désignée, les registres et comptes relatifs à la fourniture de l'assistance publique et des services de protection sociale dans la province dont l'accord ou les règlements peuvent exiger la tenue;

g) fournira au ministre des exemplaires de toutes les lois provinciales mentionnées dans la définition de «législation provinciale» à l'article 2 et de tous les règlements pris en vertu de ces lois.

. . .

Paiement des contributions

7. Les contributions ou les avances sur ces contributions doivent, dès présentation du certificat du ministre, être payées sur le Trésor aux époques et de la manière réglementaires, mais tous ces paiements sont assujettis aux conditions spécifiées dans la présente partie et dans les règlements et à l'observation des conventions et des engagements contenus dans un accord.

. . .

Les dispositions pertinentes de l'accord de 1967 sont les suivantes:

[traduction] 2. La province convient

a)de fournir une aide financière ou une autre forme d'assistance publique à toute personne de la province du Manitoba qui est une personne nécessiteuse visée au sous‑alinéa 2g)(i) du Régime, ou à l'égard d'une telle personne, dans une mesure ou d'une manière compatibles avec ses besoins fondamentaux;

b)pour ce qui est de décider si une personne est visée par l'alinéa a) et de déterminer l'assistance publique à fournir à cette personne,

(i)sauf avant le 1er avril 1967, d'obtenir de cette personne ou d'une personne autorisée à agir en son nom une demande d'assistance publique dont la forme et le contenu satisferont l'autorité provinciale, et

(ii)de tenir compte de ses besoins matériels, et des revenus et ressources dont elle dispose pour les satisfaire,

à condition que

(iii)la province puisse déterminer les revenus et les ressources dont elle doit tenir compte sur une base quotidienne, hebdomadaire, mensuelle ou sur une autre période que l'autorité provinciale juge acceptable; dans le calcul de ces revenus, elle doit cependant inclure la totalité des sommes versées au titre du maintien du revenu;

Peu après l'adoption du RAPC, on a constaté qu'il n'autorisait pas le gouvernement fédéral à verser des contributions aux provinces lorsque des bénéficiaires de l'assistance publique ou du bien‑être social recevaient des paiements en trop. En mars 1971, le Règlement du Régime d'assistance publique du Canada a été modifié de manière à permettre au gouvernement fédéral de partager les frais lorsque des sommes étaient versées en trop à des personnes jugées par la suite comme n'ayant pas droit à la totalité ou à une partie de cette assistance. Les modifications imposaient en même temps aux provinces l'obligation de constituer un régime de recouvrement des sommes payées en trop. Le 24 novembre 1971, le gouvernement fédéral a approuvé, sous réserve de certaines conditions, les mesures prises par le Manitoba pour empêcher que soient effectués de tels paiements et pour les recouvrer, le cas échéant. Le Manitoba, a, par la suite, informé le gouvernement fédéral que les conditions avaient été remplies et a reçu l'approbation finale de ce dernier le 29 février 1972.

Les dispositions pertinentes du Règlement du Régime d'assistance publique du Canada, C.R.C. 1978, ch. 382, sont les suivantes:

2. . . .

(2) Aux fins de la Loi et du présent règlement,

«besoins matériels» signifie les besoins fondamentaux d'un individu et des personnes à sa charge, s'il en est, et l'un quelconque des articles ou services décrits aux alinéas b) à h) de la définition «assistance publique» de l'article 2 de la Loi qui, de l'avis de l'autorité provinciale, sont essentiels à la santé et au bien‑être de cet individu et de ces personnes, s'il en est;

«besoins personnels» signifie les articles de moindre importance, à l'exclusion des besoins ordinaires en matière de nourriture, de logement, de vêtement, de combustible, de services d'utilité publique et de fournitures ménagères, lesquels articles, dans la vie quotidienne, sont nécessaires à la santé et au bien‑être d'une personne et qui, sans limiter la généralité de ce qui précède, ont trait, entre autres,

a) aux soins personnels, à la propreté et à une mise soignée,

b) à l'observance des devoirs religieux, et

c) aux loisirs;

. . .

Expressions définies aux fins de certaines dispositions de la Loi

3. Aux fins de . . .

b) l'alinéa 5(1)a) de la Loi, «frais encourus par la province et des municipalités de la province», au cours d'une année, désigne les paiements effectués, dans l'année,

(i) par la province, et

(ii) par des municipalités de la province,

et comprend

(iii) les déductions pour amortissement, et

(iv) les paiements effectués à titre d'assistance fournie, par un organisme approuvé par la province ou à sa demande, à des personnes qui étaient considérées comme des personnes nécessiteuses et qui ont par la suite été jugées comme n'ayant pas droit à la totalité ou à une partie de cette assistance, lorsque l'organisme approuvé par la province a mis à exécution un plan pour empêcher que soient effectués de tels paiements et pour en recouvrer le montant, le cas échéant, et que le plan est jugé satisfaisant par le Ministre ou par une personne qu'il désigne . . .

Au Manitoba, les contributions relatives au partage des frais versées par le gouvernement fédéral aux personnes nécessiteuses relèvent de deux lois provinciales, à savoir la Loi sur l'aide sociale et la Loi sur les municipalités, L.R.M. 1988, ch. M225. La Loi sur l'aide sociale permet de venir en aide aux familles monoparentales, aux personnes atteintes d'une incapacité physique ou mentale de longue durée et aux personnes qui sont généralement incapables de subvenir à leurs besoins (en gros, a‑t‑on dit, aux «personnes inaptes au travail»). La Loi sur les municipalités permet de venir en aide aux personnes qui sont aptes au travail mais qui sont incapables d'en trouver, aux personnes atteintes d'une incapacité physique ou mentale de courte durée et aux parents seuls qui vivent séparés de leur conjoint depuis moins de 90 jours.

En juillet 1980, la Loi sur l'aide sociale a été modifiée par l'ajout du par. 20(3) qui autorise la retenue d'un montant pour le recouvrement des paiements en trop. Toutefois, des retenues avaient également été faites avant cette modification, conformément au par. 9(1).

Les dispositions pertinentes de la Loi sur l'aide sociale sont les suivantes:

Définitions

1 Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi:

. . .

«besoins essentiels» Les biens et les services visés à l'article 2.

. . .

«coût des besoins essentiels» Le coût, établi par les règlements, des besoins essentiels concernant lesquels un règlement a été pris en application de l'article 6.

. . .

Fourniture des provisions, services et soins essentiels

2 Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le gouvernement du Manitoba et chacune des municipalités de la province peuvent prendre les mesures nécessaires dans le but d'assurer qu'il ne manque à aucun habitant du Manitoba:

a) les objets, biens et services essentiels à sa santé et à son bien‑être, y compris la nourriture, les vêtements, l'hébergement, et les soins chirurgicaux, médicaux, dentaires et oculaires essentiels, ainsi que les autres traitements ou soins correctifs;

b) un service funéraire convenable à son décès.

Versement d'allocation d'aide sociale mensuelle

3 Aux fins mentionnées à l'article 2, le gouvernement peut, par l'intermédiaire du directeur et à la discrétion de celui‑ci, sur le Trésor et avec les sommes approuvées à cette fin par une loi de la Législature, accorder ou verser à un bénéficiaire ou pour le compte de celui‑ci, mensuellement ou à intervalles plus rapprochés, un montant d'argent suffisant pour couvrir le coût des besoins essentiels du bénéficiaire et des personnes à sa charge.

Calcul du montant

4 Le montant devant être versé à un bénéficiaire ou pour son compte en vertu de l'article 3 est calculé en tenant compte de ses besoins essentiels, et de ceux de ses personnes à charge, le cas échéant.

. . .

Détermination du coût des besoins essentiels

6 Le lieutenant‑gouverneur en conseil peut, par règlement pris par décret, établir, aux fins de la présente loi et à compter de la date de la prise du règlement, le coût des divers besoins essentiels, ou de ceux parmi eux dont le coût devrait, de l'avis du lieutenant‑gouverneur en conseil, être établi à l'occasion.

Fixation du montant par le directeur

7(1) Lorsqu'il estime qu'un requérant devrait recevoir une allocation d'aide sociale, le directeur, conformément aux règlements et sous réserve du paragraphe (2), fixe par ordre écrit le montant de l'allocation d'aide sociale devant être accordée à cette personne.

Montant adéquat

7(2) Le directeur, conformément aux règlements, fixe un montant qui sera adéquat, à son avis, pour fournir au requérant un revenu suffisant pour défrayer le coût de ses besoins essentiels.

. . .

Modifications de l'allocation

9(1) Lorsque, sur la foi de l'information reçue par le directeur, celui‑ci est d'avis que l'allocation d'aide sociale versée à un bénéficiaire devrait, selon le cas:

a) être discontinuée;

b) être diminuée;

c) être suspendue;

d) être augmentée,

il peut ordonner par écrit que l'allocation d'aide sociale soit discontinuée, diminuée, suspendue ou augmentée, en conséquence.

. . .

Droit d'appel

9(3) Le requérant, le bénéficiaire ou la personne qui a présenté une demande d'aide municipale, ou qui reçoit ou recevait une telle aide d'une municipalité, peut interjeter appel à la Commission d'appel lorsqu'il considère qu'il a été traité injustement du fait:

a) qu'on ne lui a pas permis de présenter une demande, ou de présenter une nouvelle demande, d'allocation d'aide sociale ou d'aide municipale;

b) que la décision relative à sa demande d'allocation d'aide sociale ou d'aide municipale, ou relative à sa demande d'augmentation d'allocation d'aide sociale ou d'aide municipale, n'a pas été prise dans un délai raisonnable;

c) que sa demande d'allocation d'aide sociale ou d'aide municipale a été rejetée;

d) que son allocation d'aide sociale ou aide municipale a été annulée, suspendue, modifiée ou retenue;

e) que le montant d'allocation d'aide sociale ou d'aide municipale accordé n'est pas suffisant pour subvenir à ses besoins.

. . .

Recouvrement de versements faits par erreur

20(1) Lorsque le gouvernement a fourni ou versé de l'aide ou une allocation d'aide sociale à une personne ou pour celle‑ci dans un cas où l'aide ou l'allocation d'aide sociale, ou une partie de cette aide ou allocation, n'aurait pas été fournie ou versée si ce n'était:

a) d'une déclaration fausse ou trompeuse faite par cette personne;

b) d'une erreur,

le gouvernement peut recouvrer de la personne, de ses exécuteurs testamentaires ou administrateurs, de son conjoint, des exécuteurs testamentaires ou administrateurs du conjoint et, si la personne en question est un mineur, de son père, de sa mère, de son tuteur ou de toute personne légalement tenue civilement de défrayer les frais relatifs à ce mineur, le montant de cette aide ou allocation d'aide sociale, ou une partie de cette aide ou allocation, à titre de créance de la Couronne envers cette personne.

. . .

Retenue faite sur le montant versé à un bénéficiaire

20(3) Par dérogation à toute autre disposition de la présente loi ou des règlements, lorsqu'une personne est un bénéficiaire alors qu'elle est redevable à la Couronne du chef du Manitoba, en vertu du paragraphe (1) ou (2), d'un montant qui lui fut versé à titre d'allocation d'aide sociale, le directeur peut autoriser la retenue d'un montant dont la privation ne causera pas un préjudice injustifié au bénéficiaire sur chaque versement subséquent d'allocation d'aide sociale versé à cette personne, jusqu'à ce que le montant de la dette de cette personne soit entièrement remboursé.

. . .

L'annexe A (art. 5) du Règlement sur l'aide sociale du Manitoba, S160‑404/88R, précise les coûts relatifs aux besoins essentiels, en fonction du nombre de bénéficiaires adultes, et du nombre d'enfants et de leur âge. Le taux mensuel pour «nourriture, vêtements, besoins particuliers des bénéficiaires adultes et services d'entretien domestique» accordé à un adulte sans personne à charge est fixé à 213,40 $. Ce montant a été cité à maintes reprises au cours des débats car l'intimé entre dans cette catégorie. Le juge de première instance a conclu que la politique de la province relative au recouvrement des paiements en trop consistait à retenir le moindre des deux montants suivants: cinq pour cent de l'allocation totale ou la totalité de la portion de l'allocation destinée à subvenir aux «besoins personnels» ((1989), 57 D.L.R. (4th) 211, à la p. 219).

C'est chaque municipalité qui fixe les taux d'aide sociale relevant de la Loi sur les municipalités.

Les dispositions pertinentes de la Loi sur les municipalités sont les suivantes:

PARTIE VII

AIDE MUNICIPALE

SECTION I

AIDE AUX PERSONNES NÉCESSITEUSES

Loi sur l'aide sociale

449 Chaque municipalité possède les pouvoirs énoncés à l'article 2 de la Loi sur l'aide sociale.

Définitions

450(1) Sous réserve de la règle 1 figurant à l'annexe 7, les définitions qui suivent s'appliquent à la présente section.

«aide» L'aide au sens de la Loi sur l'administration des services sociaux.

«aide municipale» Aide fournie par une municipalité à une personne nécessiteuse qui réside ou se trouve dans la municipalité.

«besoins essentiels» Choses, marchandises et services essentiels à la santé et au bien‑être d'une personne, notamment la nourriture, les vêtements, le logement, les besoins personnels et domestiques, les traitements médicaux, hospitaliers, ophtalmologiques et dentaires et autres traitements thérapeutiques, les autres soins nécessaires et des funérailles décentes en cas de décès.

«personne nécessiteuse» Personne qui ne peut subvenir à ses besoins essentiels et personnes à sa charge.

Obligation de fournir une aide municipale

451(1) Le conseil municipal doit, par arrêté, prendre des dispositions:

a) pour fournir une aide municipale aux personnes nécessiteuses qui résident dans la municipalité ou s'y trouvent, qui ne peuvent subvenir à leurs besoins essentiels et qui n'ont pas droit à l'aide sociale;

b) pour réglementer et fixer les conditions d'octroi de l'aide municipale afin de s'assurer que les besoins essentiels des personnes nécessiteuses sont satisfaits.

Appel en vertu de la Loi sur l'aide sociale

451(4) Lorsqu'une municipalité a adopté un arrêté en application du paragraphe (1), toute personne qui a fait une demande d'aide municipale ou qui reçoit ou recevait une telle aide de la municipalité peut interjeter appel de toute décision concernant sa demande ou modifiant ou supprimant l'aide qui lui est accordée. L'appel se fait conformément à l'article 9 de la Loi sur l'aide sociale, et les dispositions de cet article s'appliquent à la procédure d'appel et à la municipalité.

Défaut de fournir l'assistance

452 Lorsque la municipalité tenue de fournir une aide municipale à une personne nécessiteuse refuse ou néglige de le faire, cette personne peut s'adresser au directeur visé par la Loi sur l'aide sociale. Ce dernier peut, en application de cette loi, lui accorder une aide pour remplacer l'aide municipale. Les montants d'aide versés dans le cadre du présent article constituent une dette de la municipalité envers le gouvernement qui peut la recouvrer en déduisant des subventions qu'il verse à cette municipalité l'équivalent des montants payés en vertu du présent article sous le régime de la Loi sur l'aide sociale.

Les juridictions inférieures

Cour fédérale du Canada, Section de première instance (1989), 57 D.L.R. (4th) 211

Sur la question du niveau d'allocations, s'il en est, que prescrit le RAPC pour qu'il y ait contribution fédérale, le juge Teitelbaum de première instance a conclu qu'aux termes du RAPC et de l'accord avec le Manitoba, le versement de contributions fédérales était soumis à la condition que la province verse des fonds suffisants pour satisfaire les besoins fondamentaux du bénéficiaire. Il a dit en outre que l'autorisation de retenir, au titre des paiements en trop, jusqu'à concurrence de 5 pour 100 du montant des besoins fondamentaux du bénéficiaire allait à l'encontre de cette exigence et constituait un manquement aux obligations de la province stipulées dans l'accord conclu en vertu du RAPC.

Quant à savoir si la province peut, en vertu du RAPC, autoriser les municipalités à fixer le taux d'aide sociale, le juge Teitelbaum a statué que toute différence entre la somme versée aux bénéficiaires sous le régime de la Loi sur l'aide sociale et celle payée en vertu de la Loi sur les municipalités ne contrevenait pas nécessairement au RAPC et était permise.

Le juge Teitelbaum a rendu en faveur du demandeur, relativement à son premier moyen, un jugement déclarant que les exigences du RAPC n'avaient pas été respectées et a enjoint au ministre des Finances de ne pas effectuer de versements au Manitoba en vertu du RAPC tant que la Loi sur l'aide sociale continuera à permettre de réduire une allocation à un montant inférieur au niveau des besoins fondamentaux. Il a toutefois refusé d'accorder des dépens au demandeur parce qu'en touchant les sommes qu'il n'aurait pas dû recevoir, celui‑ci a été «l'auteur de son propre malheur» (p. 231).

Cour d'appel fédérale, [1990] 2 C.F. 790

Au sujet de la première question en litige, la Cour d'appel fédérale a conclu, par l'intermédiaire du juge MacGuigan, que le RAPC et, en particulier, son al. 6(2)a) exigeaient que le régime provincial «remplisse» ou «satisfasse» les besoins fondamentaux du bénéficiaire, ce qui semble englober à la fois les «besoins fondamentaux» et les montants supplémentaires pouvant être visés par l'expression «besoins matériels». Or, la retenue d'un montant allant jusqu'à 5 pour 100 de la somme de 213,40 $, qui représente le niveau des besoins fondamentaux applicable en l'espèce, faisait tomber sous ce seuil la somme payable et contrevenait à l'accord conclu en vertu du RAPC. Le juge MacGuigan affirme, aux pp. 815 et 816:

Il faut cependant reconnaître qu'une province qui n'aurait pas le droit de recouvrer . . . des paiements en trop en vertu . . . [de] dispositions qui ne respectent pas les conditions prévues dans le Régime d'assistance publique du Canada pourrait difficilement recouvrer le trop‑perçu, opération qui est en réalité imposée à la province par le gouvernement fédéral. Bien entendu, une province aura toujours un recours en cas de fraude, ou si le bénéficiaire a d'autres sources de revenu ou d'autres ressources. Il ne faut cependant pas être assez naïf pour croire qu'il est nécessairement dans l'intérêt public de soutirer de l'argent à ceux qui vivent à la limite du seuil de la pauvreté ou sous ce seuil pour assainir la société, même si les sommes retenues sont peu élevés (sic) et réparties sur plusieurs mois. De tels efforts de dissuasion pourraient bien faire autant de tort à la société que la situation qu'on veut corriger. [Renvois omis.]

Au sujet de la seconde question, la Cour d'appel fédérale a jugé que le RAPC exigeait que les taux d'aide sociale soient fixés par la province et que la pratique consistant à déléguer cette fonction aux municipalités était contraire aux exigences du RAPC.

Quant au redressement, la Cour d'appel a estimé que l'injonction du juge de première instance interdisant tout paiement au Manitoba en vertu du RAPC avait une portée excessive en ce qu'elle nuisait à un trop grand nombre de programmes. Elle a donc rejeté l'appel interjeté contre le jugement déclaratoire, mais a accueilli l'appel interjeté contre l'injonction. Elle a également déclaré qu'il incombait à l'autorité provinciale, et non pas aux municipalités, de fixer les taux et a infirmé la décision du juge de première instance relativement aux dépens. La Cour d'appel a décidé qu'il y avait lieu d'accorder à M. Finlay des dépens sur la base procureur‑client, étant donné qu'on avait reconnu qu'il avait qualité pour agir en tant qu'auteur d'une demande d'intérêt public. La Cour d'appel a rejeté la décision du juge de première instance selon laquelle les paiements en trop résultaient des actes délibérés de M. Finlay lui‑même.

Analyse

1. La retenue au titre des paiements en trop contrevient‑elle au RAPC?

a)Quelle somme, s'il en est, la province doit‑elle fournir à une personne nécessiteuse afin de remplir les conditions du partage des frais en vertu du RAPC?

Les parties et les intervenants proposent trois réponses différentes à cette question. L'appelant le ministre fédéral des Finances prétend que la province doit payer une somme égale aux besoins fondamentaux définis dans le RAPC. Les intervenants pour les provinces soutiennent pour leur part que le RAPC ne prescrit aucun minimum, que les provinces sont simplement tenues, dans le calcul de ce montant, de «considérer» les besoins fondamentaux au sens de les «envisager». Selon l'intimé et l'Organisation nationale anti‑pauvreté («ONAP»), la province doit pourvoir à la fois aux besoins fondamentaux et aux besoins matériels.

Toutefois, les parties s'accordent sur un point: les dispositions pertinentes du RAPC et de son règlement d'application sont loin d'être claires. Quoique différentes parties mettent l'accent sur différentes expressions, toutes conviennent que la réponse ne se dégagera pas d'une simple analyse grammaticale et qu'il faut tenir compte de l'objet et du fonctionnement global du régime.

Ce régime, comme la plupart des accords de partage de frais intervenus entre le gouvernement fédéral et les provinces, est essentiellement de nature coopérative. Les provinces peuvent participer; elles ne sont pas tenues de le faire. À l'intérieur de leurs frontières, les provinces ont la responsabilité de l'aide sociale en plus de posséder une compétence exclusive dans ce domaine. Le gouvernement fédéral convient de partager les frais de leurs programmes, pourvu que soient remplies certaines conditions. L'une de ces conditions est que la province conclue un accord avec le gouvernement fédéral. Ces accords reprennent les termes du RAPC et renferment les conditions prescrites par cette loi.

J'ai conclu que l'interprétation la plus sensée de ces dispositions difficiles est celle suivant laquelle les provinces, pour avoir droit à une contribution fédérale aux frais de l'aide sociale, doivent avoir mis en place un régime qui pourvoit aux besoins fondamentaux des personnes nécessiteuses, que sont «la nourriture, le logement, le vêtement, le combustible, les services d'utilité publique, les fournitures ménagères et les services répondant aux besoins personnels». D'autres services, soit ceux énumérés aux al. b) à h) de la définition d'«assistance publique», ne sont pas requis comme condition de l'aide fédérale, mais feront l'objet d'un partage des frais s'ils sont fournis. En tirant ces conclusions, je n'ai pas tenu compte des limites, s'il en est, qu'impose la Constitution au pouvoir fédéral de dépenser. Cette question n'a pas été soulevée devant nous et, à mon avis, il y a lieu d'attendre une autre occasion pour la trancher.

Voici les facteurs qui m'amènent à conclure que les provinces s'engagent, en vertu du RAPC, à subvenir aux besoins essentiels des personnes nécessiteuses:

1. Le texte du RAPC

2. L'objet des dispositions en cause

3. Les débats législatifs

4. Le principe du caractère adéquat.

1. Le texte du RAPC

Je m'arrête d'abord au préambule, où le Parlement reconnaît «que l'instauration de mesures convenables d'assistance publique pour les personnes nécessiteuses et que la prévention et l'élimination des causes de pauvreté et de dépendance de l'assistance publique intéressent tous les Canadiens . . .» Ce passage laisse entendre que le but poursuivi était de fournir aux personnes nécessiteuses partout au pays une assistance publique convenable, c'est‑à‑dire répondre à leurs besoins fondamentaux. La seconde partie du considérant est moins limpide. On y lit que le «Parlement du Canada . . . désire encourager l'amélioration et l'élargissement des régimes d'assistance publique et des services de protection sociale dans tout le Canada en partageant dans une plus large mesure avec les provinces les frais de ces programmes . . .» Cela indique, d'après les provinces, que le RAPC a pour but non pas d'assurer que les besoins fondamentaux soient satisfaits, mais simplement d'«encourager» les provinces à travailler à une assistance publique plus généreuse. Il est cependant possible de concilier ces mots avec le point de vue du gouvernement fédéral qui veut que la province soit tenue, aux termes du RAPC, de pourvoir aux besoins fondamentaux, mais non à des «besoins matériels» supplémentaires. Suivant cette interprétation, le préambule traduit la volonté d'assurer que toutes les personnes nécessiteuses voient combler leurs besoins fondamentaux et, en même temps, d'encourager la prestation d'assistance publique en ce qui concerne les besoins ne relevant pas de cette catégorie. Dans cette optique, les deux parties du préambule ne se contredisent pas.

Cela m'amène aux dispositions clés du RAPC. L'article 2 définit le type d'assistance envisagé par le régime.

«assistance publique» Aide sous toutes ses formes aux personnes

nécessiteuses ou à leur égard en vue de fournir, ou de prendre les mesures pour que soient fournis, l'ensemble ou l'un quelconque ou plusieurs des services suivants:

a) la nourriture, le logement, le vêtement, le combustible, les services d'utilité publique, les fournitures ménagères et les services répondant aux besoins personnels (ci‑après appelés «besoins fondamentaux»);

b) les articles réglementaires, accessoires à l'exercice d'un métier ou autre emploi, ainsi que les services répondant aux autres besoins spéciaux réglementaires de toute nature;

c) les soins dans un foyer de soins spéciaux;

d) les déplacements et moyens de transport;

e) les obsèques et enterrements;

f) les services de santé;

g) les services réglementaires de protection sociale dont l'acquisition est faite par un organisme approuvé par une province ou à la demande d'un tel organisme;

h) les allocations de menues dépenses et autres services réglementaires répondant aux besoins des résidents ou malades des hôpitaux ou autres établissements réglementaires. [Je souligne.]

Il en ressort donc que le régime envisage deux catégories d'allocations, les allocations subvenant aux «besoins fondamentaux» dont il est question à l'al. a), et les allocations accessoires décrites aux al. b) à h).

L'article 4 du RAPC autorise le Ministre à conclure avec les provinces des accords en vue de fournir l'«assistance publique» définie à l'art. 2.

La norme à laquelle la province doit souscrire en matière d'assistance publique est régie par les al. 6(2)a) et b). Compte tenu de leur importance, je les produis intégralement, en français et en anglais.

(2) Un accord doit prévoir que la province:

a) fournira l'aide financière ou une autre forme d'assistance publique à toute personne de la province qui est une personne nécessiteuse visée à l'alinéa a) de la définition de «personne nécessiteuse» à l'article 2, ou à l'égard d'une telle personne, dans une mesure ou d'une manière compatibles avec ses besoins fondamentaux;

(2) An agreement shall provide that the province

(a) will provide financial aid or other assistance to or in respect of any person in the province who is a person in need described in paragraph (a) of the definition of "person in need" in section 2, in an amount or manner that takes into account the basic requirements of that person;

b) tiendra compte, en décidant si une personne est visée par l'alinéa a) et en déterminant l'assistance publique à fournir à cette personne, de ses besoins matériels et des revenus et ressources dont elle dispose pour les satisfaire;

(b) will, in determining whether a person is a person described in paragraph (a) and the assistance to be provided to that person, take into account the budgetary requirements of that person and the income and resources available to that person to meet those requirements;

Je conclus que l'interprétation qui concorde le mieux avec les termes de ces dispositions est la suivante. L'alinéa 6(2)a) énonce les normes minimales auxquelles les provinces doivent souscrire pour obtenir une contribution du gouvernement fédéral. La version anglaise est équivoque puisqu'elle exige simplement de la province qu'elle «take into account» les besoins fondamentaux de la personne nécessiteuse. La version française clarifie la situation. On y trouve en effet, plutôt que «tiendra compte», qui est l'équivalent de «will take into account», le mot «compatible», qui se rapproche davantage du terme anglais «compatible». Or «compatible» évoque la correspondance entre les besoins fondamentaux de la personne nécessiteuse et l'aide fournie. La province n'est pas seulement tenue de considérer ou d'«envisager» les besoins fondamentaux de la personne en déterminant le montant qu'elle versera; elle doit fournir un montant «compatible» avec ces besoins.

Cette conclusion est renforcée par l'emploi de l'expression «tiendra compte» à l'al. 6(2)b). De portée plus large que l'al. 6(2)a), l'al. 6(2)b) parle des «besoins matériels» plutôt que du concept plus restreint des «besoins fondamentaux». En ce qui concerne cette catégorie plus large d'assistance publique, ni la version française ni la version anglaise ne laisse entendre que la province doit subvenir à certains besoins; au contraire, elle n'a qu'à en tenir compte.

Il ressort des al. 6(2)a) et b), pris ensemble, que les provinces doivent subvenir aux besoins fondamentaux des personnes nécessiteuses définies à l'al. 2a). Pour ce qui est des autres besoins, soit ceux mentionnés aux al. 2b) à h), elles n'ont qu'à tenir compte des besoins matériels et des ressources de la personne pour déterminer la somme qu'elle devrait toucher.

Les intervenants provinciaux font valoir que l'emploi de l'expression «takes into account» dans la version anglaise de l'al. 6(2)a) confirme que le régime n'envisage pas un niveau minimal d'aide à fournir par la province, mais exige simplement que les provinces prennent en considération les besoins fondamentaux de la personne nécessiteuse. Toutefois, c'est un argument que n'appuie pas la version française de cet alinéa. Comme les deux versions se valent, il nous faut chercher l'interprétation qui convient le mieux aux deux. «Takes into account» peut signifier soit «considérer», soit «combler». Le mot «compatible» dans la version française, par contre, ne peut vouloir dire que «combler» ou «concorder avec»; il ne peut signifier «tiendra compte». Il s'ensuit que c'est l'idée de «compatible» dans le sens de combler ou de concorder avec qui devrait l'emporter.

2. L'objet des dispositions en cause

Si l'expression anglaise «takes into account» figurant à l'al. 6(2)a) est interprétée comme exigeant simplement que les provinces «envisagent» ou «considèrent» les «besoins fondamentaux», il devient difficile d'attribuer un objet à cet alinéa. Il ne servirait pas à assurer la réalisation des objectifs du gouvernement fédéral. Considérer, sans plus, les besoins fondamentaux ne servirait pas à limiter les contributions fédérales aux dépenses qui méritent d'être subventionnées. Par exemple, une province serait libre d'adopter une loi qui accorderait, sans plus, aux personnes nécessiteuses de généreuses allocations de transport et le gouvernement fédéral serait alors tenu d'en payer la moitié du coût, pourvu que la province affirme avoir «envisagé» ou «considéré» la possibilité de pourvoir à des besoins plus fondamentaux. La contribution ne favoriserait pas non plus nécessairement la réalisation des objectifs d'instauration de mesures convenables d'assistance publique pour les personnes nécessiteuses, de prévention et d'élimination des causes de pauvreté et d'«encourage[ment de] l'amélioration et [de] l'élargissement des régimes d'assistance publique et des services de protection sociale dans tout le Canada», énoncés au préambule du RAPC. Et même s'il était possible de résoudre ces problèmes, le gouvernement fédéral n'en demeurerait pas moins dans l'impossibilité de vérifier si une province avait «considéré» les besoins fondamentaux. Bref, donner à l'al. 6(2)a) l'interprétation proposée par les provinces intervenantes reviendrait en pratique à le dépouiller de tout sens.

On a soutenu que l'al. 6(2)a) devrait s'interpréter comme permettant aux provinces de payer une partie seulement (50 pour 100, par exemple) des «besoins fondamentaux» tout en conservant le droit de réclamer une contribution fédérale. C'est là, a‑t‑on fait valoir, le sens de l'expression anglaise «take into account». Mais s'il était loisible à une province de réduire le taux à 50 pour 100, pourquoi ne pourrait‑elle pas le ramener à 5 pour 100 ou à 1 pour 100? En d'autres termes, d'un point de vue logique et pratique, cette interprétation revient en fait à dire que les provinces n'ont qu'à penser à verser une allocation au titre des besoins fondamentaux pour ensuite verser à ce chapitre l'allocation minimale qu'elles veulent, tout en pouvant réclamer des contributions fédérales notamment pour les programmes de travail et pour le transport au profit des personnes nécessiteuses. L'alinéa 6(2)a) deviendrait alors tout à fait redondant.

L'approche logique consistant à interpréter l'al. 6(2)a) comme imposant à la province l'obligation de subvenir réellement aux besoins fondamentaux est appuyée par l'al. 6(2)b) qui exige qu'en déterminant qui est une personne nécessiteuse et quelle assistance doit lui être fournie, la province «tien[ne] compte . . . [des] besoins matériels [de cette personne] et des revenus et ressources dont elle dispose pour les satisfaire». L'expression «besoins matériels» est plus générale que l'expression «besoins fondamentaux» et peut être considérée comme visant non seulement les besoins fondamentaux, mais aussi les services énumérés aux al. b) à h) de la définition du terme «assistance publique».

Si on donne aux al. 6(2)a) et 6(2)b) une interprétation pratique fondée sur le contexte de l'ensemble de la Loi, il devient possible de donner un sens à chacun de ces alinéas. Ainsi, l'al. 6(2)a) a pour rôle d'assujettir l'obtention de l'aide fédérale à la condition que le régime provincial satisfasse les «besoins fondamentaux» des personnes nécessiteuses tels que définis à l'art. 2. Quant à l'al. 6(2)b), il vise à assurer que les besoins et les moyens du bénéficiaire soient pris en considération pour déterminer qui est une personne nécessiteuse et fixer le montant du paiement, que ce soit au titre des besoins fondamentaux ou au titre des besoins fondamentaux et des autres besoins mentionnés à l'art. 2.

3. Les débats législatifs

Tout en reconnaissant qu'on a parfois dit que le renvoi aux débats législatifs était de peu d'utilité et que c'est le texte de la loi qui doit l'emporter (voir le Renvoi relatif à la Loi de 1979 sur la location résidentielle, [1981] 1 R.C.S. 714, et le Renvoi relatif à la Upper Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1 R.C.S. 297), il reste que ces débats peuvent servir à confirmer la justesse d'une interprétation législative particulière (voir R. c. Sullivan, [1991] 1 R.C.S. 489, le juge en chef Lamer s'exprimant au nom de la majorité, à la p. 503; R. c. Mailloux, [1988] 2 R.C.S. 1029, le juge Lamer s'exprimant au nom de la Cour, à la p. 1042; R. c. Vasil, [1981] 1 R.C.S. 469, le juge Lamer s'exprimant au nom de la majorité, à la p. 487). En l'espèce, les débats parlementaires relatifs à l'adoption du RAPC appuient la conclusion que l'al. 6(2)a) était destiné à assurer que les provinces satisfassent les «besoins fondamentaux» des personnes nécessiteuses. C'est ce que l'honorable Allan MacEachen décrit comme le «principal élément» de l'assistance envisagée par le RAPC, dans un passage où il emploie l'expression «tenir compte» («take into account») en lui prêtant le sens de «viser» («cover») le coût des besoins fondamentaux.

La définition de l'assistance publique que renferme le projet de loi expose la portée des prestations pour les nécessiteux que prévoit le régime. Le principal élément de la définition se trouve dans l'exposé des besoins fondamentaux, c'est‑à‑dire les services essentiels au maintien d'un niveau de vie même minimum. Ce sont la nourriture, le logement, le vêtement, le combustible, les services d'utilité publique, les fournitures ménagères et les services répondant aux besoins personnels. Les régimes d'assistance publique dont les prestations ne visent pas ces services ne sauraient être considérés comme convenables et l'on se propose de demander aux provinces, au moment de la conclusion d'accords en vertu du régime, de dispenser des montants, au titre de l'assistance publique, qui tiennent compte des besoins des particuliers et des familles à l'égard de chacun de ces services.

(Débats de la Chambre des communes, 1re sess., 27e Parl., à la p. 6921.)

Plus tard au cours du débat (aux pp. 7199 et 7200), le Ministre a répété que les provinces devaient tout au moins accepter de répondre à ces «besoins fondamentaux».

Le député de York‑Sud (M. Lewis), dans le discours le plus important des membres de son groupe, a déclaré que le régime d'assistance publique du Canada ne prévoyait pas de normes. Ma foi, cela est inexact, car le bill lui‑même prévoit que les besoins fondamentaux des bénéficiaires, y compris la nourriture, le vêtement, le logement, le combustible, les services d'utilité publique, les fournitures ménagères et les services répondant aux besoins personnels, doivent être satisfaits par la mise en {oe}uvre de ce régime. Les provinces doivent, aux termes de l'accord à signer, accepter de répondre aux besoins fondamentaux des particuliers, et leur fournir l'aide qui s'impose pour satisfaire à ces besoins. Voilà la norme.

Il a ajouté (à la p. 7229):

Sauf erreur, l'assistance signifie l'aide accordée aux personnes qui ont besoin des services suivants énumérés dans le sous‑alinéa (i) de l'alinéa a) de l'article 2, soit la nourriture, le logement, le vêtement, le combustible, les services d'utilité publique, les fournitures ménagères et les services répondant aux besoins personnels. D'un certain point de vue, il s'agit des besoins fondamentaux qui doivent être partagés en vertu de ce régime, et nous espérons que l'accord conclu avec les provinces imposera l'obligation de fournir les services répondant à ces besoins fondamentaux, y compris les besoins personnels.

Plus tard encore au cours du débat, le Ministre a fait une distinction entre les deux catégories d'allocations envisagées par le RAPC, l'une revêtant un caractère obligatoire, l'autre étant de nature facultative (à la p. 7411).

Je crains que je ne me fasse pas assez comprendre. Nous demanderons un accord prévoyant, entre autres choses, les nécessités fondamentales des individus — la nourriture, le vêtement, le logement, le combustible, les services publics, les articles ménagers et les besoins personnels. Mais la valeur individuelle ou globale de ces éléments dépend des provinces. Nous partagerons toutes les dépenses. Bien entendu, il y a l'autre gamme de services dont nous partagerons également les frais: les articles qui se rapportent à l'exercice d'un métier, aux soins dispensés dans un établissement spécial, aux voyages et aux transports, aux soins médicaux, et le reste.

. . .

Les provinces doivent exprimer leur volonté de répondre aux besoins fondamentaux de l'individu comme une des conditions à l'accord. Quant aux suppléments, les services de soins sanitaires, par exemple, une province peut décider de fournir ces services aux personnes nécessiteuses. La province décide et le gouvernement fédéral contribue. Les services facultatifs portent sur les voyages, le transport, les funérailles, la sépulture et les services de soins sanitaires, mais la province s'engage à répondre aux besoins fondamentaux.

Il ressort en outre des débats de la Chambre des communes que l'un des principaux objets du RAPC était de substituer une «évaluation des besoins» à l'«évaluation des ressources» à laquelle on avait eu recours dans trois des quatre programmes distincts que venait remplacer le RAPC. Cette distinction a été expliquée ainsi par le Ministre (à la p. 6408):

L'évaluation des besoins tiendra compte des nécessités essentielles des particuliers et des familles, aussi bien que de leurs ressources, pour déterminer le montant de l'assistance nécessaire. Cette formule est à l'opposé de l'évaluation des ressources qui fait dépendre l'assistance des revenus et des biens.

La préoccupation du Parlement relative à une évaluation des besoins appuie la conclusion que l'al. 6(2)b) visait à incorporer l'évaluation des besoins dans le RAPC en mentionnant les besoins matériels et les revenus et ressources plutôt que simplement les revenus et ressources. Il se dégage donc des débats que l'al. 6(2)a) fixe le niveau minimum d'assistance publique tandis que l'al. 6(2)b) prévoit le recours à une évaluation des besoins pour déterminer qui a droit à cette assistance.

4. Le principe du caractère adéquat

Une interprétation qui garantit que seront satisfaits au moins les besoins fondamentaux des personnes nécessiteuses est conforme au principe selon lequel un tribunal, face à des termes généraux ou à des interprétations contradictoires résultant d'ambiguïtés dans un texte législatif, doit adopter l'interprétation la plus propre à assurer une assistance publique convenable. Il s'agit là d'un principe qui a été appliqué dans un certain nombre d'affaires en matière de bien‑être social. Dans l'arrêt Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2, notre Cour affirme, à la p. 10:

Puisque le but général de la Loi est de procurer des prestations aux chômeurs, je préfère opter pour une interprétation libérale des dispositions relatives à la réadmissibilité aux prestations. Je crois que tout doute découlant de l'ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du prestataire. [Je souligne.]

Ce principe a été appliqué dans l'arrêt Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513, aux pp. 535 et 559.

Dans l'affaire Kerr c. Metropolitan Toronto (Department of Social Services, General Manager) (1991), 4 O.R. (3d) 430, la Cour divisionnaire de la Cour de l'Ontario (Division générale) affirme, à la p. 445:

[traduction] Le prix à payer pour une ambiguïté dans une loi en matière de bien‑être social est que cette ambiguïté sera résolue en faveur du requérant.

Aux États‑Unis, les tribunaux ont adopté le même principe à l'égard de la Social Security Act. Dans l'affaire Damon c. Secretary of Health, Education and Welfare, 557 F.2d 31 (2d Cir. 1977), à la p. 33, le juge Oakes fait remarquer:

[traduction] Notre cour a statué à maintes reprises que «la Social Security Act est une loi réparatrice qu'il faut interpréter d'une façon large et appliquer de manière libérale», Haberman c. Finch, 418 F.2d 664, 667 (2d Cir. 1969), «en conformité avec ses . . . objets humanitaires», Eisenhauer c. Mathews, 535 F.2d 681, 686 (2d Cir. 1976). Voir, par. ex., Rosenberg c. Richardson, 538 F.2d 487, 490 (2d Cir. 1976), et la jurisprudence y citée . . . Dans la pratique, les principes signifient que chaque fois qu'une disposition de la Social Security Act peut raisonnablement s'interpréter en faveur de la personne qui demande des allocations, elle devrait être interprétée ainsi.

Et dans l'affaire Brown c. Bates, 363 F. Supp. 897 (N.D. Ohio 1973), aux pp. 902 et 903, on affirme:

[traduction] D'après la cour, en mettant sur pied le programme travail‑études, le Congrès n'a pas choisi de resserrer l'étreinte de la pauvreté, mais a plutôt tenté d'en dégager les gens pauvres sans formation. La cour ne permettra pas que les défendeurs contrecarrent ce but salutaire par leur propre interprétation de la loi surtout lorsque cette interprétation, si fidèle soit‑elle à la lettre de la loi, va complètement à l'encontre de son esprit et ne répond qu'à une fin administrative stérile.

En l'espèce, l'interprétation qui s'accorde le mieux avec l'esprit du RAPC est celle voulant que l'aide fédérale tienne à ce que la province pourvoie à tout le moins aux besoins fondamentaux des nécessiteux. C'est la seule interprétation qui puisse assurer l'instauration de «mesures convenables d'assistance publique» pour les personnes nécessiteuses, de même que la «prévention et l'élimination des causes de pauvreté et de dépendance de l'assistance publique», dont il est question dans le préambule du RAPC.

b)Les retenues au titre des paiements en trop violent‑elles les conditions minimales du RAPC pour qu'il y ait contribution fédérale?

J'ai statué qu'il faut, comme condition du financement fédéral en vertu du RAPC, que le régime provincial d'aide sociale pourvoie aux besoins fondamentaux des personnes nécessiteuses, qui sont définis comme étant «la nourriture, le logement, le vêtement, le combustible, les services d'utilité publique, les fournitures ménagères et les services répondant aux besoins personnels». Il s'agit de déterminer si les retenues autorisées par le régime manitobain au titre des paiements en trop violent cette condition.

Bien que la province soit tenue de pourvoir aux «besoins fondamentaux», ce sont les provinces qui, aux termes du RAPC, fixent le niveau d'assistance publique requis pour satisfaire à cette exigence. Au Manitoba, l'allocation pour besoins fondamentaux comprend la nourriture, le vêtement, les services répondant aux besoins personnels, les fournitures ménagères, le logement, les services d'utilité publique et le combustible. Cette liste correspond exactement aux «besoins fondamentaux» énumérés dans le RAPC. La retenue d'une somme quelconque sur l'allocation destinée à pourvoir à ces besoins entraînerait donc des paiements inférieurs au niveau minimal prescrit par le RAPC. Outre les services susmentionnés qui seraient fournis systématiquement, l'allocation manitobaine défraie la nourriture et le logement à l'extérieur du domicile, les «besoins spéciaux» (les dépenses essentielles reliées à un emploi, ou une somme discrétionnaire accordée par le Ministre), les services d'aide ménagère qui sont nécessaires pendant une période de maladie, les soins de santé, les services funéraires et la garde d'enfants dans des circonstances spéciales. Même si ces services vont au‑delà des «besoins fondamentaux» énoncés dans le RAPC et relèvent du domaine plus large des «besoins matériels», il est évident qu'ils ne seraient fournis que dans des circonstances exceptionnelles et qu'ils n'entraîneraient aucune augmentation du pouvoir d'achat du bénéficiaire puisqu'il s'agit dans chaque cas de paiements destinés à rembourser des tierces parties.

Si les assistés sociaux du Manitoba ne touchent jamais personnellement davantage que le montant correspondant à leurs besoins fondamentaux, il s'ensuit que toute retenue sur ce montant les privera nécessairement d'une partie de ce qu'il leur faut pour subvenir à ces besoins, à moins qu'ils ne disposent d'une autre source de fonds, comme un compte bancaire ou un salaire autorisé. D'après la preuve, M. Finlay n'avait ni l'un ni l'autre, si bien que les retenues l'empêchaient de subvenir à ses besoins essentiels.

Tel est l'effet pratique des retenues mentionnées dans la preuve. On laisse entendre cependant que la Loi sur l'aide sociale, telle que modifiée, ne va pas elle‑même à l'encontre du RAPC puisqu'elle n'autorise les retenues que dans la mesure où elles ne causeront pas de «préjudice injustifié» (par. 20(3)). On affirme, ce qui a été accepté par le juge de première instance, que, puisque les retenues qui rendent les allocations insuffisantes pour répondre aux besoins essentiels constitueraient toujours un «préjudice injustifié», la Loi sur l'aide sociale et le RAPC ne sont nullement contradictoires. Subsidiairement, on pourrait soutenir que la détermination cas par cas de l'existence d'un «préjudice injustifié», à la condition d'être faite correctement, ne constituerait que rarement, voire jamais, un manquement à l'obligation de subvenir aux besoins fondamentaux que la province a assumée aux termes du RAPC.

Donc, appliquée correctement, la Loi sur l'aide sociale n'est pas incompatible avec l'exigence du RAPC que la province pourvoie aux besoins fondamentaux des personnes nécessiteuses. Toutefois, vu qu'il ressort de la preuve qu'au moment du procès environ 11 pour 100 des assistés sociaux du Manitoba, soit quelque 5 000 personnes, faisaient l'objet de retenues rendant les allocations insuffisantes pour répondre à leurs besoins fondamentaux, nous devons alors conclure que la politique du gouvernement du Manitoba viole sa propre loi ainsi que l'accord qu'il a conclu avec le gouvernement fédéral en vertu du RAPC, dans lequel le gouvernement provincial s'engage, comme condition de l'obtention d'une contribution, à subvenir aux besoins fondamentaux des personnes nécessiteuses.

On prétend que ce résultat a pour effet de rendre redondantes les dispositions du règlement du RAPC et de la Loi sur l'aide sociale relatives au recouvrement des sommes versées en trop. Il n'en est rien. Le remboursement peut se faire à partir de toutes les sources à l'exception du montant de base dont la personne nécessiteuse a besoin pour vivre. Parmi ces sources figurent les comptes bancaires et d'autres éléments d'actif ainsi que le salaire que le bénéficiaire peut être autorisé à garder aux termes du régime. Dans un cas comme celui de M. Finlay, qui n'a aucun actif ni aucun autre revenu, cela peut rendre impossible le recouvrement des sommes versées en trop. Mais dans d'autres cas, il peut bien être possible de recouvrer les sommes versées en trop. Par exemple, dans le cas d'une personne qui a reçu un paiement en trop en raison d'une erreur ou par suite de sa propre fraude, les sommes qu'elle a touchées ou les biens achetés au moyen de ces sommes pourraient servir au remboursement. Il en serait de même si le bénéficiaire avait des économies ou s'il tirait un revenu d'autres sources.

Il y a lieu d'aborder brièvement deux autres arguments. Certains intervenants provinciaux ont fait valoir qu'il ne convenait pas d'apprécier en fonction d'un seul mois, pris isolément, le caractère suffisant d'allocations d'aide sociale. On a prétendu que, si on le considère sur une période suffisamment longue, le processus de recouvrement n'a pour effet que de reprendre au bénéficiaire de l'aide le montant exact des paiements qu'il a reçus en trop.

Il y a plusieurs raisons de rejeter cet argument. La méthode comptable fondée sur une longue échéance ne tient pas compte de la réalité qu'affrontent les personnes nécessiteuses. Celles‑ci n'ont ni économies ni fonds de réserve. Les priver de l'allocation mensuelle qu'ils touchent pour combler leurs besoins fondamentaux revient en fait à les priver de nourriture, de logement et d'autres choses répondant à des besoins essentiels, ce qui va directement à l'encontre de la philosophie du RAPC. De plus, il est faux que le paiement en trop pouvait être affecté aux besoins fondamentaux en matière de subsistance, ce qui représente l'hypothèse sur laquelle repose l'argument de la méthode comptable fondée sur une longue échéance. La dernière raison de rejeter la méthode comptable fondée sur une longue échéance est qu'il n'est que juste que, puisque le gouvernement du Manitoba a choisi de calculer les allocations d'aide sociale sur une base mensuelle, celui‑ci soit tenu de recourir à la même méthode de calcul pour recouvrer les sommes versées en trop.

L'autre argument qui devrait être abordé est celui, avancé par certains intervenants provinciaux, selon lequel il serait illogique d'interdire à une province de recouvrer les paiements en trop puisqu'elle pourrait arriver au même résultat en réduisant simplement de moitié, ou d'un autre pourcentage, son évaluation des besoins fondamentaux par rapport au niveau actuel.

La première difficulté que soulève cet argument est qu'il suppose que les provinces peuvent arbitrairement abaisser les taux d'aide sociale tout en continuant de réclamer du gouvernement fédéral des contributions en vertu du RAPC. Si l'on accepte, comme je l'ai fait, qu'une province ne peut obtenir des contributions fédérales que si elle pourvoit aux «besoins fondamentaux» que sont la nourriture, le logement et d'autres nécessités de la vie, alors cette province ne saurait allouer moins que la somme y correspondant et réclamer des contributions en vertu du régime. Aux termes du RAPC, c'est la province qui détermine les modalités de l'aide sociale, mais elle doit le faire conformément aux exigences fondamentales du régime, si elle veut réclamer la contribution du gouvernement fédéral. Le second problème que pose cet argument tient à la difficulté à déduire de l'existence d'un droit général de réduction de toutes les allocations (à supposer qu'il y en ait un) l'existence d'un droit de réduire celles d'un bénéficiaire en particulier, sans toucher aux autres.

Je conclus que les retenues au titre des paiements en trop effectuées par le Manitoba dans des cas comme celui qui nous occupe ont pour effet de ramener le montant de l'assistance publique à un niveau inférieur au minimum prescrit par le gouvernement fédéral.

2.Le RAPC permet‑il que les taux d'aide sociale soient fixés par les municipalités?

Au moment du procès, le Manitoba était doté d'un régime d'assistance publique à deux paliers. Un palier est administré par la province et, à ce palier, c'est la province qui fixe les taux. L'autre palier est administré par les municipalités, qui fixent leurs propres taux. Il existe un large écart entre les taux établis par les municipalités. Seule la ville de Brandon fixe pour les besoins fondamentaux un taux aussi élevé que celui de la province.

Il ne s'agit pas de savoir si des taux différents peuvent se justifier dans différentes régions de la province, car il se peut bien que les frais de subsistance varient d'un endroit à l'autre. La question est de portée plus limitée et consiste à déterminer si le RAPC exige que les taux soient fixés par l'autorité provinciale ou s'ils peuvent l'être par les autorités municipales, sans que l'autorité provinciale prenne part au processus ou qu'elle ait à donner son approbation.

Le texte du RAPC appuie le point de vue selon lequel c'est l'autorité provinciale qui doit fixer les taux. L'article 2 prévoit en effet, dans le cas d'une «personne nécessiteuse», une vérification des besoins «par l'autorité provinciale», laquelle expression est définie comme désignant «[l]e ministre provincial ou une autorité ou un organisme autre spécifié par la province» dans l'accord applicable. L'accord de 1967 conclu avec le Manitoba va dans le même sens puisqu'on y lit que [traduction] «[l]e ministre du Bien‑être social est le ministre provincial chargé de l'application de la loi provinciale».

Le RAPC n'exige cependant pas que ce soit la province qui fixe le montant de l'assistance publique. En effet, pourvu qu'elle vérifie qui est une «personne nécessiteuse», la province peut laisser à ses déléguées, les municipalités, le soin d'appliquer ce critère. C'est le Manitoba qui effectue cette vérification: le par. 450(1) de la Loi sur les municipalités définit la «personne nécessiteuse» et ses «besoins essentiels». Les «besoins essentiels» correspondent exactement aux «besoins fondamentaux» dont il est question dans le RAPC. Chaque municipalité est tenue de venir en aide, par voie de règlement, aux personnes nécessiteuses et de subvenir à leurs «besoins essentiels». Le juge de première instance a conclu qu'il n'y avait aucune preuve que les municipalités ne procédaient pas à une vérification appropriée des besoins, et qu'on avait suffisamment prévu un mécanisme d'appel des décisions municipales qui pourraient violer la norme provinciale. Bref, on a respecté, à la lettre et pour l'essentiel, les exigences du RAPC en matière de fixation des taux d'aide sociale.

Je conclus que la politique du Manitoba consistant à permettre aux municipalités de fixer les taux sans qu'elles ne soient obligées d'obtenir l'approbation de l'autorité provinciale ne contrevient pas au RAPC.

3. La réparation

Je partage l'avis de la Cour d'appel fédérale qu'une interdiction générale des contributions fédérales aux frais de l'aide sociale au Manitoba jusqu'à ce que cette province se conforme aux exigences minimales du RAPC serait à la fois draconienne et peu souhaitable. Une telle mesure priverait d'aide un grand nombre de programmes salutaires, dont la protection de l'enfance, et il n'a pas été démontré qu'elle s'impose pour régler les problèmes à l'origine de la présente instance. Comme l'a dit le juge MacGuigan de Cour d'appel fédérale (à la p. 816):

. . . une telle conséquence serait tout à fait hors de proportion compte tenu de la situation à laquelle l'intimé voudrait que l'on remédie. De plus, comme les gouvernements respectent invariablement les jugements déclaratoires, je ne vois pas l'utilité d'accorder un autre redressement.

À l'instar du juge MacGuigan, je suis confiante que la province prendra des mesures en vue d'assurer la conformité de son programme avec les exigences du RAPC. En fait, si elle ne le faisait pas, elle courrait le risque de perdre toute contribution fédérale, laquelle est assujettie à la condition que le régime provincial respecte les exigences du RAPC: art. 7.

La réparation convenable est un jugement déclarant que le régime manitobain ne respecte pas les conditions, établies par le RAPC, pour qu'il y ait contribution fédérale, dans la mesure où il autorise des retenues qui font tomber les niveaux d'assistance publique au‑dessous du seuil des «besoins fondamentaux». Dans l'hypothèse où une autre réparation serait nécessaire, je donnerais l'autorisation d'en faire la demande.

4. Les dépens

À l'instar de la Cour d'appel, je ne suis pas convaincue que les paiements en trop reçus par l'intimé ont résulté des actes délibérés de ce dernier. De plus, les tribunaux lui ont reconnu la qualité pour agir en tant qu'auteur d'une demande d'intérêt public. Je suis d'avis de confirmer la décision de la Cour d'appel d'accorder à l'intimé ses dépens sur la base avocat‑client, dont la moitié devra être acquittée par les appelants, et l'autre moitié, par le procureur général du Manitoba.

Dispositif

Je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de rendre un jugement déclarant que le régime manitobain ne respecte pas le RAPC dans la mesure où il autorise des retenues qui font tomber les niveaux d'assistance publique au‑dessous du seuil des «besoins fondamentaux». L'intimé a droit à ses dépens dans toutes les cours sur la base avocat‑client. Une autre réparation pourra être demandée, si nécessaire.

//Le juge Sopinka//

Version française du jugement des juges Sopinka, Gonthier, Iacobucci et Major rendu par

Le juge Sopinka — J'ai pris connaissance des motifs rédigés, en l'espèce, par ma collègue le juge McLachlin. Elle conclut que la province du Manitoba manque aux exigences du Régime d'assistance publique du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-1 (auparavant S.R.C. 1970, ch. C-1) («RAPC»), en autorisant, au titre des paiements en trop, des retenues qui rendent l'allocation d'une personne pour un mois donné insuffisante pour combler ses «besoins fondamentaux». En toute déférence, je ne puis souscrire à cette conclusion. Je vais également examiner la violation du RAPC que la province du Manitoba aurait commise en permettant aux municipalités de fixer les taux d'aide sociale. Ma collègue et moi sommes d'accord sur le résultat en ce qui concerne cette question.

Historique

L'intimé, atteint d'une incapacité permanente, reçoit une allocation d'aide sociale du gouvernement du Manitoba. Cette allocation a fait l'objet de retenues visant à récupérer trois sommes versées en trop, dont la première, s'élevant à 207,70 $, se rapportait à un logement partagé, la deuxième, de l'ordre de 109 $, était pour des frais de déménagement excédentaires, et la troisième, soit 796 $, résultait d'une subvention, versée dans le cadre d'un programme d'emploi provincial («PEP»), que l'intimé n'a pas déclarée. Les retenues effectuées en conséquence ont varié entre 6 $ et 8,43 $ par mois. L'intimé a interjeté plusieurs appels contre ces retenues, conformément à la Loi sur l'aide sociale du Manitoba, L.R.M. 1987, ch. S160 (auparavant R.S.M. 1970, ch. S160). Un appel relatif au paiement en trop constitué par la subvention versée dans le cadre du PEP est parvenu devant la Cour d'appel du Manitoba: Re Finlay and Director of Welfare (Winnipeg South/West) (1976), 71 D.L.R. (3d) 597. Chacun de ces appels a été rejeté. La Cour d'appel a rendu son arrêt avant la modification de l'art. 20 de la Loi sur l'aide sociale qui a ajouté le par. 20(3) autorisant la retenue de montants dont la privation ne causera pas un préjudice injustifié.

L'intimé a ensuite intenté la présente action en 1982. Notre Cour a confirmé qu'il avait qualité pour agir dans l'intérêt public: Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607. En première instance, le juge Teitelbaum a statué que le régime manitobain prévoyant des retenues aux fins de recouvrer les paiements en trop violait le RAPC, mais que le RAPC n'interdisait pas la fixation de taux par les municipalités: (1989), 57 D.L.R. (4th) 211, 25 F.T.R. 45. La Cour d'appel fédérale a conclu que le Manitoba violait le RAPC dans les deux cas: [1990] 2 C.F. 790, 71 D.L.R. (4th) 422, 115 N.R. 321.

Le régime

Les dispositions pertinentes du RAPC, du Règlement du Régime d'assistance publique du Canada, de l'accord de 1967 entre le gouvernement du Canada et la province du Manitoba, de la Loi sur l'aide sociale, du Règlement sur l'aide sociale et de la Loi sur les municipalités sont énoncées dans les motifs du juge McLachlin.

Analyse

(1)Les retenues aux fins de recouvrer les paiements en trop violent‑elles le RAPC et l'accord?

Pour répondre à cette question, il faut d'abord examiner la nature et l'objet du RAPC et du régime qu'il établit. Comme le dit son titre complet, le RAPC est une «Loi autorisant le Canada à contribuer aux frais des régimes visant à fournir une assistance publique et des services de protection sociale aux personnes nécessiteuses et à leur égard». Il s'agit d'une loi qui autorise l'engagement de dépenses, ce que vient confirmer d'ailleurs son préambule qui, tout en reconnaissant que «l'instauration de mesures convenables d'assistance publique pour les personnes nécessiteuses et que la prévention et l'élimination des causes de pauvreté et de dépendance de l'assistance publique intéressent tous les Canadiens», énonce le but précis que visait le Parlement en adoptant cette loi: «le Parlement du Canada [. . .] désire encourager l'amélioration et l'élargissement des régimes d'assistance publique et des services de protection sociale dans tout le Canada en partageant dans une plus large mesure avec les provinces les frais de ces programmes» (je souligne). Comme le fait remarquer le juge McLachlin, la participation du gouvernement fédéral repose entièrement sur son pouvoir de dépenser. À mon avis, compte tenu de la nature et des objets du RAPC, les conditions dont est assortie la contribution du gouvernement fédéral ne visent pas à dicter les termes précis de la législation provinciale. Au contraire, ces conditions visent à promouvoir les mesures législatives qui permettent de respecter, pour l'essentiel, les objectifs du RAPC. C'est sous cet angle qu'il y a lieu d'aborder l'interprétation de cette loi et notamment les conditions énoncées à son art. 6. Toute ambiguïté dans le texte législatif devrait, autant que possible, être dissipée au moyen de l'interprétation qui respecte l'objectif global du RAPC.

Voici un bref aperçu du régime établi par le RAPC. L'article 4 permet au gouvernement du Canada de conclure avec les gouvernements provinciaux des accords prévoyant des contributions fédérales aux dépenses engagées par les provinces au titre de l'aide et de la protection sociales. L'article 6 énonce les conditions à inclure dans ces accords. Les conditions prévues aux al. 6(2)a) et 6(2)b) sont particulièrement pertinentes en l'espèce. Suivant l'art. 7, toutes les contributions fédérales sont assujetties à ces conditions et à l'observation des engagements contenus dans un accord. L'article 5 autorise les paiements aux provinces. En gros, les contributions ainsi autorisées représentent la moitié des dépenses admissibles d'une province.

À quoi donc une province est‑elle tenue en vertu des engagements qu'elle doit prendre conformément aux al. 6(2)a) et 6(2)b)? Pour des motifs de commodité, je reproduis ces dispositions:

6. . . .

(2) Un accord doit prévoir que la province:

a) fournira l'aide financière ou une autre forme d'assistance publique à toute personne de la province qui est une personne nécessiteuse visée à l'alinéa a) de la définition de «personne nécessiteuse» à l'article 2, ou à l'égard d'une telle personne, dans une mesure ou d'une manière compatibles avec ses besoins fondamentaux;

b) tiendra compte, en décidant si une personne est visée par l'alinéa a) et en déterminant l'assistance publique à fournir à cette personne, de ses besoins matériels et des revenus et ressources dont elle dispose pour les satisfaire;

Ces dispositions se reflètent aux clauses 2a) et 2b)(ii) de l'accord de 1967 intervenu entre le Canada et le Manitoba. En interprétant ces dispositions, nous devons chercher à leur donner à toutes les deux un sens qui soit compatible avec l'objectif global de la Loi. Les termes doivent être interprétés en fonction de leur contexte et selon leur sens grammatical et courant, de ma manière à concorder avec l'objet de la Loi et le régime qu'elle a établi. L'expression clé «take(s) into account» figure dans la version anglaise des deux alinéas en question. Toutefois, il ressort nettement de leur contexte que ces mots peuvent avoir un sens différent dans chaque cas. Les deux dispositions portent sur des sujets différents. L'alinéa 6(2)a) concerne uniquement le montant de l'assistance à fournir et insiste sur la primauté des «besoins fondamentaux» d'une personne dans l'établissement de ce montant. L'alinéa 6(2)b) énonce les facteurs qui sont pertinents non seulement pour fixer le montant de l'assistance, mais aussi pour déterminer qui est une «personne nécessiteuse». Aux termes de cet alinéa, la province doit, dans ces décisions, «[tenir] compte» des besoins matériels d'une personne ainsi que des revenus et des ressources dont elle dispose. L'hypothèse selon laquelle des sens différents peuvent être attribués à l'expression anglaise «take(s) into account» employée dans les deux alinéas, est appuyée par le texte français qui, à l'al. 6(2)a), oblige une province à fournir l'assistance «dans une mesure ou d'une manière compatibles avec [les] besoins fondamentaux» (je souligne) de la personne. Par contre, l'al. 6(2)b) prévoit que la province «tiendra compte [. . .] [des] besoins matériels et des revenus et ressources» (je souligne) de cette personne.

Selon moi, l'al. 6(2)a) exige que le montant de l'aide fournie soit compatible avec les besoins fondamentaux d'une personne ou conforme à ceux‑ci. Il requiert donc quelque chose de plus que la simple «considération» des besoins fondamentaux d'une personne. Si c'était là tout ce qui est requis, une province pourrait verser à peu près n'importe quel montant d'aide, fût‑il nettement inférieur à celui qui serait compatible avec les besoins fondamentaux, pourvu qu'elle ait considéré ces besoins. Pareille interprétation ne permettrait même pas au gouvernement fédéral de limiter ses contributions aux régimes qui, de manière générale, participaient de ceux qu'il voulait appuyer. Je ne puis accepter que c'était là l'intention du Parlement. L'alinéa 6(2)a) ne requiert toutefois pas une parfaite correspondance au sens d'exiger d'une province qu'elle fournisse un montant d'aide qui «comble» les besoins fondamentaux ou qui soit «équivalent» à ceux‑ci pour chaque période de paiement. Les termes choisis par le Parlement ne laissent pas entrevoir une exigence aussi stricte. De plus, il faut s'attendre à une certaine souplesse quant à la norme imposée aux provinces, compte tenu du contexte du RAPC. Il s'agit après tout d'une loi autorisant l'engagement de dépenses qui est destinée à encourager les provinces à mettre sur pied des programmes conformes à des objectifs nationaux. Comme je l'ai déjà fait remarquer, l'al. 6(2)b) vise à déterminer à la fois qui est une personne nécessiteuse et quel montant d'aide devrait lui être fourni. Quant à ce dernier élément, l'al. 6(2)b) doit être interprété conjointement avec l'al. 6(2)a) qui donne la priorité aux besoins fondamentaux. Je conclus en conséquence qu'il ressort de l'expression «tiendra compte», employée à l'al. 6(2)b), qu'une province doit considérer ces facteurs en prenant ces décisions. Étant donné que je tranche cette question d'interprétation législative en me fondant sur le texte de la disposition, interprété à la lumière de l'économie et de l'objet globaux du RAPC, je ne juge pas nécessaire de recourir à des indications moins sûres en matière d'interprétation législative, telles que les débats législatifs.

Je passe maintenant aux mesures législatives manitobaines. Suivant la Loi sur l'aide sociale et le Règlement sur l'aide sociale, le Manitoba verse des allocations pour les «besoins essentiels». Ceux‑ci comprennent la nourriture, le vêtement, le logement, les services d'utilité publique, le combustible, les services répondant aux besoins personnels, les services répondant aux besoins spéciaux (les dépenses essentielles liées à un emploi ou une somme discrétionnaire accordée par le Ministre), les services d'aide ménagère pendant une maladie, les soins médicaux essentiels, les funérailles et la garde d'enfants dans des circonstances spéciales. Je conviens avec le juge McLachlin qu'à l'exception des articles et services fournis seulement dans des circonstances exceptionnelles, cette liste correspond essentiellement aux «besoins fondamentaux» du RAPC. Cependant, le Manitoba prévoit aussi des retenues sur ce montant de base afin de permettre le recouvrement des sommes versées en trop. Le paragraphe 20(3) de la Loi sur l'aide sociale prévoit:

20(3) Par dérogation à toute autre disposition de la présente loi ou des règlements, lorsqu'une personne est un bénéficiaire alors qu'elle est redevable à la Couronne du chef du Manitoba, en vertu du paragraphe (1) ou (2), d'un montant qui lui fut versé à titre d'allocation d'aide sociale, le directeur peut autoriser la retenue d'un montant dont la privation ne causera pas un préjudice injustifié au bénéficiaire sur chaque versement subséquent d'allocation d'aide sociale versé à cette personne, jusqu'à ce que le montant de la dette de cette personne soit entièrement remboursé.

Cette disposition ne s'applique que s'il est déterminé qu'une personne a précédemment touché une somme supérieure à celle qu'elle a le droit de recevoir en vertu des mesures législatives provinciales, en d'autres termes, une somme dépassant ce qu'il faut pour répondre aux «besoins essentiels» qui correspondent généralement aux «besoins fondamentaux» définis dans le RAPC. Cette disposition a pour effet de permettre le recouvrement progressif d'une somme qui n'aurait jamais dû être versée. La politique suivie au Manitoba consiste à retenir soit 5 pour 100 de l'allocation totale, soit la partie de l'allocation destinée à répondre aux «besoins personnels». Lorsque les sommes versées en trop auront été récupérées au complet, la personne en question aura reçu exactement ce à quoi elle avait droit, si on considère les paiements qui lui auront été faits pendant toute la période visée. Elle aura donc touché une somme correspondant à ses besoins fondamentaux. Il n'est nullement incompatible avec le régime établi par le RAPC qu'une personne nécessiteuse ayant reçu des paiements en trop soit tenue de rembourser les sommes excédentaires. Seules des ressources limitées sont disponibles. Si certaines personnes reçoivent des paiements en trop qui ne peuvent être recouvrés, d'autres en souffriront à long terme.

De plus, le RAPC et son règlement d'application prévoient le recouvrement des sommes versées en trop. En 1971, le Règlement du Régime d'assistance publique du Canada, maintenant C.R.C. 1978, ch. 382, a été modifié de manière à inclure les paiements en trop dans les frais à partager en vertu de l'art. 5 du RAPC. Il n'est pas étonnant qu'en acceptant de partager le coût des paiements en trop, le gouvernement fédéral ait voulu s'assurer que l'on prendrait des dispositions pour recouvrer ces paiements qui, par définition, sont supérieurs à ce qui aurait dû être versé. Le sous‑alinéa 3b)(iv) du Règlement du Régime d'assistance publique du Canada est ainsi conçu:

3. Aux fins de . . .

b) l'alinéa 5(1)a) de la Loi, «frais encourus par la province et des municipalités de la province», au cours d'une année, désigne les paiements effectués, dans l'année,

. . .

(iv) les paiements effectués à titre d'assistance fournie, par un organisme approuvé par la province ou à sa demande, à des personnes qui étaient considérées comme des personnes nécessiteuses et qui ont par la suite été jugées comme n'ayant pas droit à la totalité ou à une partie de cette assistance, lorsque l'organisme approuvé par la province a mis à exécution un plan pour empêcher que soient effectués de tels paiements et pour en recouvrer le montant, le cas échéant, et que le plan est jugé satisfaisant par le Ministre ou par une personne qu'il désigne.

Le plan manitobain visant à empêcher les paiements en trop et à en recouvrer le montant, le cas échéant, a reçu l'approbation fédérale le 29 février 1972. À ce moment‑là, les retenues sur l'allocation d'aide sociale d'une personne se faisaient en vertu de ce qui constitue maintenant le par. 9(1) de la Loi sur l'aide sociale, sous réserve du droit d'en appeler à la commission d'appel, un organisme provincial, pour l'une quelconque des causes de traitement injuste énumérées dans ce qui constitue maintenant le par. 9(3): Re Finlay and Director of Welfare (Winnipeg South/West), précité. En 1980, on a ajouté le par. 20(3) de la Loi sur l'aide sociale, qui limite expressément à un montant qui «ne causera pas un préjudice injustifié au bénéficiaire» les retenues destinées à recouvrer les sommes versées en trop. Le droit d'appel prévu à l'art. 9 subsiste, y compris le moyen d'appel énoncé à l'al. 9(3)e), à savoir que le montant d'allocation d'aide sociale ou d'aide municipale accordé n'est pas suffisant pour subvenir aux besoins de la personne en question. La norme du préjudice injustifié et ce droit d'appel répondent aux inquiétudes, exprimées par le juge McLachlin, que les sommes reçues en trop aient déjà été dépensées. Cependant, l'intimé soutient que, dans le passé, la commission n'a pas appliqué, sur une base individuelle, le critère du par. 20(3) dans un appel interjeté en vertu du par. 9(3), mais a plutôt appliqué une formule préétablie quant au montant pouvant être retenu. De plus, il prétend qu'un appel devant la Cour d'appel a été vain. Un examen de la preuve sur ce point n'appuie pas cet argument. Les paiements en trop et les retenues ont tous précédé l'adoption du par. 20(3). Ils ne peuvent donc avoir fait l'objet d'un appel devant la commission, fondé sur le par. 20(3). L'appel devant la Cour d'appel qui a abouti à l'arrêt de 1976 Re Finlay and Director of Welfare, précité, ne portait pas sur le par. 20(3) puisque ce dernier n'était pas en vigueur. En fait, la question en litige dans cet appel était de savoir si la loi de l'époque habilitait le directeur de l'aide sociale (Director of Welfare) à effectuer des retenues pour des sommes versées en trop. La Cour d'appel a décidé que oui. Par la suite, on a ajouté le par. 20(3) qui est venu clarifier le pouvoir du directeur et l'assujettir à une limite. Les procédures devant la commission et la Cour d'appel, auxquelle l'intimé a participé dans le passé, ne limitent aucunement la portée du par. 20(3) en tant que critère conçu pour être appliqué sur une base individuelle afin d'empêcher qu'un préjudice injustifié ne résulte des retenues effectuées dans un cas particulier.

Je conclus donc que les retenues effectuées sur l'allocation d'aide sociale d'une personne afin de recouvrer des sommes versées en trop ne violent ni le RAPC ni l'accord intervenu entre le Manitoba et le gouvernement fédéral.

2.La fixation des taux d'assistance par les municipalités viole‑t‑elle le RAPC?

Le second aspect du régime manitobain que contestent les intimés est la fixation des montants ou des taux d'assistance par les municipalités en vertu de la Loi sur les municipalités. Comme le fait remarquer ma collègue, ce qui est en cause, ce ne sont pas les différences dans les taux qui constituent les sommes accordées pour la liste d'éléments qui composent ce qu'on appelle les «besoins essentiels». Il s'agit plutôt de savoir si [traduction] «le RAPC exige que les taux soient fixés par l'autorité provinciale» ou s'ils peuvent l'être par voie de règlements adoptés par les municipalités conformément à des critères qui respectent les exigences du RAPC.

À mon avis, rien dans le RAPC ou dans l'accord n'exige que ces taux soient fixés par l'autorité provinciale ni n'interdit le régime adopté par le Manitoba. Aux termes du RAPC, le rôle de la province ou de l'autorité provinciale, qui est, dans le cas du Manitoba, le ministre du Bien‑être social, consiste à établir le test ou les critères applicables à la prestation d'assistance. L'article 2 du RAPC impose à l'autorité provinciale l'obligation d'établir le test applicable pour déterminer qui est une «personne nécessiteuse» et, suivant les al. 6(2)a) et 6(2)b), la province doit accepter de fournir de l'assistance aux personnes nécessiteuses en fonction de leurs «besoins fondamentaux», de leurs «besoins matériels», de leurs revenus et de leurs ressources. Le paragraphe 2(2) du Règlement du Régime d'assistance publique du Canada définit les «besoins matériels» comme comprenant la liste de besoins fondamentaux ainsi que d'autres articles ou services jugés essentiels. Il n'y a cependant rien dans le RAPC qui exige que les montants réels de l'assistance soient fixés par l'autorité provinciale. Cela cadre d'ailleurs avec le fait que ces montants peuvent légitimement varier sensiblement d'une municipalité à l'autre et même d'un endroit à l'autre dans une municipalité, suivant les conditions locales. Ces conditions seraient connues du conseil municipal qui est beaucoup mieux placé que le Ministre pour fixer ces montants. Il faudrait en effet à ce dernier une vaste quantité de données pour qu'il puisse fixer ou même approuver des taux pour différentes municipalités.

De toute évidence, le régime instauré par le RAPC et par l'accord fait participer les municipalités à d'importantes décisions touchant l'administration de la protection sociale dans la province. L'article 2 du RAPC définit l'«organisme approuvé par la province» comme tout ministère gouvernemental, toute personne ou tout organisme que la législation ou l'autorité provinciale autorise à «accepter des demandes d'assistance publique, à déterminer l'admissibilité à une telle assistance, à fournir ou à payer cette assistance ou à fournir des services de protection sociale», et qui figure sur la liste d'une annexe de l'accord. Les représentants des diverses municipalités sont inscrits à l'annexe B de l'accord conclu avec le Manitoba à titre d'organismes approuvés par la province. Conformément à l'art. 4 du RAPC, l'accord conclu avec une province peut prévoir le paiement de contributions à l'égard de l'assistance fournie par un organisme approuvé par la province.

Il suffit donc que la province ait établi des critères appropriés, conformes au RAPC, pour l'identification des personnes nécessiteuses et pour la détermination du montant de l'assistance à fournir. C'est ce qu'a fait le Manitoba dans la Loi sur les municipalités. Au paragraphe 450(1) de cette loi, le Manitoba a défini la «personne nécessiteuse» comme celle qui ne peut subvenir à ses «besoins essentiels» ou une personne à sa charge. La définition des «besoins essentiels» reprend les mêmes termes que dans la Loi sur l'aide sociale qui, comme je l'ai déjà fait remarquer, vise au moins les mêmes éléments que les «besoins fondamentaux» définis dans le RAPC. Le conseil de chaque municipalité est tenu de prendre, par voie de règlement, des dispositions pour fournir de l'aide aux «personnes nécessiteuses» dans la municipalité qui ne peuvent subvenir à leurs «besoins essentiels» et qui n'ont pas droit à l'aide sociale, et pour réglementer et fixer les conditions d'octroi de l'aide municipale afin de s'assurer que les «besoins essentiels» de ces personnes sont satisfaits (par. 451(1)). Les conseils municipaux prennent donc des mesures pour fournir de l'assistance conformément aux critères adoptés par la province en application du RAPC. En première instance, le juge Teitelbaum a conclu, à la p. 228, que «[l]a preuve ne tend nullement à démontrer que les municipalités n'appliquent pas un test approprié [concernant les besoins]». Il n'y a aucune raison d'écarter cette conclusion. Compte tenu de celle‑ci, il s'ensuit que les différentes municipalités recourent essentiellement à la même liste de services et d'articles pour satisfaire les besoins essentiels, mais que les taux varient soit en raison d'une différence de coût réel de ces services ou articles, soit en raison d'une variation des chiffres utilisés pour en calculer le coût.

La personne lésée par cette variation a le droit d'interjeter appel devant la commission d'appel en vertu de l'art. 9 de la Loi sur l'aide sociale. Le paragraphe 451(4) de la Loi sur les municipalités prévoit que pareil appel peut être interjeté à l'égard de toute décision concernant la demande d'aide d'une personne nécessiteuse. La commission d'appel est le Comité consultatif des services sociaux constitué en vertu de la Loi sur l'administration des services sociaux, L.R.M. 1987, ch. S165, et est un organisme provincial. Il existe donc un mécanisme qui permet de réaliser, autant que faire se peut, l'uniformité quant aux montants affectés aux éléments composant les besoins essentiels d'une personne nécessiteuse. Une certaine variation est inévitable en raison des conditions locales. L'existence de variations peut s'expliquer par l'exercice insuffisant du droit d'appel ou par d'autres facteurs. Ce serait de la pure conjecture de sa part si notre Cour cherchait à donner une explication précise de ces variations. Mais, quoi qu'il en soit, telle n'est pas la question en litige ici.

Dispositif

En conséquence, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'infirmer les jugements des juridictions inférieures et de rejeter les actions. Vu l'importance que revêtent pour le public les questions soulevées par l'intimé, je suis d'avis de ne pas accorder à l'appelant ses dépens devant les tribunaux d'instance inférieure. Conformément à l'ordonnance accordant l'autorisation de pourvoi en l'espèce, l'intimé a droit à des dépens comme entre parties relativement au pourvoi devant notre Cour. Vu la façon dont je trancherais les questions en litige, je suis d'avis de ne pas accorder de dépens selon un barème plus élevé.

Pourvoi accueilli, les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Cory et McLachlin sont dissidents.

Procureur des appelants: John C. Tait, Ottawa.

Procureurs de l'intimé: Taylor, McCaffrey, Chapman, Winnipeg.

Procureurs de l'intervenant le procureur général du Québec: Dominique Rousseau, André Gaudreau et Louis Rochette, Ste‑Foy.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Manitoba: Le sous‑procureur général du Manitoba, Winnipeg.

Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Alberta: Beverley Bauer, Calgary.

Procureur de l'intervenante l'Organisation nationale anti‑pauvreté: Arne Peltz, Winnipeg.


Synthèse
Référence neutre : [1993] 1 R.C.S. 1080 ?
Date de la décision : 25/03/1993
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Bien-être social - Aide sociale - Paiements en trop - Retenues effectuées par le Manitoba sur des paiements d'aide sociale afin de récupérer des sommes versées en trop - Provinces tenues de fournir une aide qui soit «compatible» avec les «besoins fondamentaux» des personnes nécessiteuses pour avoir droit au partage des frais par le gouvernement fédéral - Les retenues contreviennent‑elles au Régime d'assistance publique du Canada ou à l'accord intervenu entre le Manitoba et le gouvernement fédéral? - Régime d'assistance publique du Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑1, art. 6(2)a), b) - Loi sur l'aide sociale, L.R.M. 1987, ch. S160, art. 20(3).

Bien-être social - Aide sociale - Taux - Manitoba permettant aux municipalités de fixer leurs propres taux d'assistance - Cette pratique contrevient‑elle au Régime d'assistance publique du Canada? - Régime d'assistance publique du Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑1, art. 4.

L'intimé, atteint d'une incapacité permanente, reçoit une allocation d'aide sociale du gouvernement manitobain. La province a commencé à effectuer sur cette allocation des retenues visant à récupérer des sommes qu'elle avait versées en trop. L'intimé a intenté, à titre de partie ayant qualité pour agir dans l'intérêt public, une action en vue d'obtenir un jugement déclarant que la contribution fédérale au régime d'aide sociale du Manitoba, faite conformément au Régime d'assistance publique du Canada (RAPC), sera illégale tant que la Loi sur l'aide sociale du Manitoba continuera à autoriser des retenues qui rendent l'allocation d'une personne insuffisante pour combler ses besoins fondamentaux ou tant que le Manitoba permettra à ses municipalités de fixer leurs propres taux d'assistance. Aux termes du RAPC, pour avoir droit à la contribution fédérale, une province doit fournir l'aide financière dans une mesure ou d'une manière «compatibles avec [les] besoins fondamentaux» de la personne nécessiteuse. Le juge de première instance a conclu que le régime manitobain prévoyant des retenues aux fins de recouvrer les paiements en trop violait le RAPC, mais que le RAPC n'interdisait pas la fixation de taux d'aide sociale par les municipalités. La Cour d'appel fédérale a conclu que le Manitoba violait le RAPC dans les deux cas. Le présent pourvoi vise à déterminer (1) si les retenues effectuées sur l'allocation d'aide sociale d'une personne afin de récupérer des sommes versées en trop contreviennent au RAPC ou à l'accord intervenu entre le Manitoba et le gouvernement fédéral conformément au RAPC, et (2) si la pratique qui consiste, au Manitoba, à permettre aux municipalités de fixer leurs propres taux d'aide sociale sans assujettissement à un contrôle provincial contrevient au RAPC.

Arrêt (les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Cory et McLachlin sont dissidents): Le pourvoi est accueilli.

(1) Le recouvrement des paiements en trop

Le juge en chef Lamer et les juges Sopinka, Gonthier, Iacobucci et Major: Compte tenu de la nature et des objets du RAPC, qui est une loi qui autorise l'engagement de dépenses, les conditions dont est assortie la contribution du gouvernement fédéral visent non pas à dicter les termes précis de la législation provinciale, mais plutôt à promouvoir les mesures législatives qui permettent de respecter, pour l'essentiel, les objectifs du RAPC. En exigeant que la province tienne compte («take(s) into account») des besoins fondamentaux de la personne nécessiteuse, l'al. 6(2)a) exige que le montant de l'aide fournie soit compatible avec les besoins fondamentaux d'une personne et requiert donc quelque chose de plus que la simple «considération» de ces besoins. Il n'exige toutefois pas d'une province qu'elle fournisse un montant d'aide qui «comble» les besoins fondamentaux ou qui soit «équivalent» à ceux‑ci pour chaque période de paiement. Les termes employés ne laissent pas entrevoir une exigence aussi stricte et il faut s'attendre à une certaine souplesse quant à la norme imposée aux provinces, compte tenu du contexte du RAPC. À l'alinéa 6(2)b), l'expression «tiendra compte» a un sens différent et indique qu'une province doit considérer les facteurs énumérés pour déterminer qui est une personne nécessiteuse et quel montant d'aide devrait lui être fourni.

Suivant la Loi sur l'aide sociale et le Règlement sur l'aide sociale, le Manitoba verse des allocations pour les «besoins essentiels», lesquels correspondent essentiellement aux «besoins fondamentaux» du RAPC, mais il prévoit aussi, au par. 20(3) de la Loi sur l'aide sociale, des retenues sur ce montant de base afin de permettre le recouvrement des sommes versées en trop. Cette disposition a pour effet de permettre le recouvrement progressif d'une somme qui n'aurait jamais dû être versée. Lorsque les sommes versées en trop auront été récupérées au complet, la personne en question aura reçu exactement ce à quoi elle avait droit, si on considère les paiements qui lui auront été faits pendant toute la période visée, et elle aura donc touché une somme correspondant à ses besoins fondamentaux. Le RAPC et son règlement d'application prévoient un tel recouvrement des sommes versées en trop et le plan manitobain visant à empêcher les paiements en trop et à en recouvrer le montant, le cas échéant, a reçu l'approbation fédérale. Le paragraphe 20(3) de la Loi sur l'aide sociale, ajouté en 1980, limite expressément à un montant qui «ne causera pas un préjudice injustifié au bénéficiaire» les retenues destinées à recouvrer les sommes versées en trop, et le droit d'appel prévu à l'art. 9 subsiste, y compris le moyen d'appel selon lequel le montant d'allocation d'aide sociale ou d'aide municipale accordé n'est pas suffisant pour subvenir aux besoins de la personne en question. Les retenues effectuées sur l'allocation d'aide sociale d'une personne afin de recouvrer des sommes versées en trop ne violent donc ni le RAPC ni l'accord intervenu entre le Manitoba et le gouvernement fédéral.

Les juges L'Heureux‑Dubé, Cory et McLachlin (dissidents): Pour avoir droit à une contribution fédérale aux frais de l'aide sociale, les provinces doivent avoir mis en place un régime qui pourvoit aux besoins fondamentaux des personnes nécessiteuses. D'autres services ne sont pas requis comme condition de l'aide fédérale, mais feront l'objet d'un partage des frais s'ils sont fournis. La version anglaise de l'al. 6(2)a) du RAPC exige que la province tienne compte («take(s) into account») des besoins fondamentaux de la personne nécessiteuse. La version française précise clairement que la province n'est pas seulement tenue de considérer ou d'«envisager» les besoins fondamentaux de la personne en déterminant le montant qu'elle versera, mais elle doit fournir un montant «compatible» avec ces besoins. De portée plus large, l'al. 6(2)b) parle des «besoins matériels» plutôt que du concept plus restreint des «besoins fondamentaux». Il vise à assurer que les besoins et les moyens du bénéficiaire soient pris en considération pour déterminer qui est une personne nécessiteuse et fixer le montant du paiement. Les débats parlementaires relatifs à l'adoption du RAPC appuient la conclusion que l'al. 6(2)a) était destiné à assurer que les provinces satisfassent les «besoins fondamentaux» des personnes nécessiteuses. Il s'en dégage que l'al. 6(2)a) fixe le niveau minimum d'assistance publique tandis que l'al. 6(2)b) prévoit le recours à une évaluation des besoins pour déterminer qui a droit à cette assistance. Une interprétation qui garantit que seront satisfaits au moins les besoins fondamentaux des personnes nécessiteuses est également conforme au principe selon lequel un tribunal, face à des termes généraux ou à des interprétations contradictoires résultant d'ambiguïtés dans un texte législatif, doit adopter l'interprétation la plus propre à assurer une assistance publique convenable.

Les retenues au titre des paiements en trop effectuées par le Manitoba violent les conditions minimales du RAPC pour qu'il y ait contribution fédérale. Au Manitoba, l'allocation pour besoins fondamentaux comprend la nourriture, le vêtement, les services répondant aux besoins personnels, les fournitures ménagères, le logement, les services d'utilité publique et le combustible. Cette liste correspond exactement aux «besoins fondamentaux» énumérés dans le RAPC. La retenue d'une somme quelconque sur l'allocation destinée à pourvoir à ces besoins entraînerait donc des paiements inférieurs au niveau minimal prescrit par le RAPC. Même si l'allocation manitobaine englobe également certains services qui vont au‑delà des «besoins fondamentaux», il est évident qu'ils ne seraient fournis que dans des circonstances exceptionnelles et qu'ils n'entraîneraient aucune augmentation du pouvoir d'achat du bénéficiaire puisqu'il s'agit dans chaque cas de paiements destinés à rembourser des tierces parties. Comme les assistés sociaux du Manitoba ne touchent ainsi jamais personnellement davantage que le montant correspondant à leurs besoins fondamentaux, il s'ensuit que toute retenue sur ce montant les privera nécessairement d'une partie de ce qu'il leur faut pour subvenir à ces besoins, à moins qu'ils ne disposent d'une autre source de fonds. D'après la preuve, l'intimé en l'espèce n'en disposait pas, si bien que les retenues l'empêchaient de subvenir à ses besoins essentiels.

Le juge La Forest (dissident): L'opinion du juge McLachlin sur la première question est acceptée, sauf en ce qui a trait à son utilisation des débats législatifs, sur laquelle aucune opinion n'est exprimée.

(2) La fixation des taux par les municipalités

Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Iacobucci et Major: Rien dans le RAPC ou dans l'accord entre le Manitoba et le gouvernement fédéral n'exige que les taux d'assistance soient fixés par l'autorité provinciale plutôt que par les municipalités. Aux termes du RAPC, le rôle de la province ou de l'autorité provinciale consiste à établir les critères applicables à la prestation d'assistance; il n'y a rien dans le RAPC qui exige que les montants réels de l'assistance soient fixés par l'autorité provinciale. Cela cadre avec le fait que ces montants peuvent légitimement varier sensiblement d'une municipalité à l'autre et d'un endroit à l'autre dans une municipalité, suivant les conditions locales. Conformément à l'art. 4 du RAPC, l'accord conclu avec une province peut prévoir le paiement de contributions à l'égard de l'assistance fournie par un organisme approuvé par la province, et les représentants des diverses municipalités sont inscrits à l'annexe B de l'accord conclu avec le Manitoba à titre d'organismes approuvés par la province. Il suffit donc que la province ait établi des critères appropriés, conformes au RAPC, pour l'identification des personnes nécessiteuses et pour la détermination du montant de l'assistance à fournir, et c'est ce qu'a fait le Manitoba dans la Loi sur les municipalités.

Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Cory et McLachlin: Le RAPC permet que les taux d'aide sociale soient fixés par les municipalités. Pourvu qu'elle établisse le critère applicable pour déterminer qui est une «personne nécessiteuse», comme l'a fait le Manitoba dans la Loi sur les municipalités, la province peut laisser à ses déléguées, les municipalités, le soin d'appliquer ce critère.


Parties
Demandeurs : Finlay
Défendeurs : Canada (Ministre des Finances)

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Sopinka
Arrêts mentionnés: Re Finlay and Director of Welfare (Winnipeg South/West) (1976), 71 D.L.R. (3d) 597
Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607.
Citée par le juge McLachlin (dissidente)
Renvoi relatif à la Loi de 1979 sur la location résidentielle, [1981] 1 R.C.S. 714
Renvoi relatif à la Upper Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1 R.C.S. 297
R. c. Sullivan, [1991] 1 R.C.S. 489
R. c. Mailloux, [1988] 2 R.C.S. 1029
R. c. Vasil, [1981] 1 R.C.S. 469
Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2
Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513
Kerr c. Metropolitan Toronto (Department of Social Services, General Manager) (1991), 4 O.R. (3d) 430
Damon c. Secretary of Health, Education and Welfare, 557 F.2d 31 (1977)
Brown c. Bates, 363 F. Supp. 897 (1973).
Lois et règlements cités
Loi sur l'administration des services sociaux, L.R.M. 1987, ch. S165.
Loi sur l'aide sociale, L.R.M. 1987, ch. S160, art. 1, 2, 3, 4, 6, 7(1), (2), 9(1), (3), 20(1), (3).
Loi sur les municipalités, L.R.M. 1988, ch. M225, art. 449, 450(1), 451(1), (4), 452.
Régime d'assistance publique du Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑1, art. 1, 2, 3, 4, 6(1)a), (2)a), b), 7.
Règlement du Régime d'assistance publique du Canada, C.R.C. 1978, ch. 382, art. 2(2), 3b).
Règlement sur l'aide sociale, S160-404/88R, art. 5, ann. A.

Proposition de citation de la décision: Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1993] 1 R.C.S. 1080 (25 mars 1993)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1993-03-25;.1993..1.r.c.s..1080 ?
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