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21/01/1993 | CANADA | N°[1993]_1_R.C.S._306

Canada | Engel c. Salyn, [1993] 1 R.C.S. 306 (21 janvier 1993)


Engel c. Salyn, [1993] 1 R.C.S. 306

Sonia Jane Engel Appelante

c.

Kam‑Ppelle Holdings Ltd., York Taxi Service Ltd. et

Allan Salyn Intimés

Répertorié: Engel c. Salyn

No du greffe: 21970.

1992: 14 octobre; 1993: 21 janvier.

Présents: Les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d'appel de la saskatchewan

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Saskatchewan (1990), 81 Sask. R. 153, [1990] 3 W.W.R. 277, qui a accueilli l'appel interjeté contre une décision du juge Maurice (1988

), 68 Sask. R. 312. Pourvoi accueilli.

Kenneth W. Wasylyshen et Daniel Dierker, pour l'appelante.

E. R. Gritzfeld,...

Engel c. Salyn, [1993] 1 R.C.S. 306

Sonia Jane Engel Appelante

c.

Kam‑Ppelle Holdings Ltd., York Taxi Service Ltd. et

Allan Salyn Intimés

Répertorié: Engel c. Salyn

No du greffe: 21970.

1992: 14 octobre; 1993: 21 janvier.

Présents: Les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d'appel de la saskatchewan

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Saskatchewan (1990), 81 Sask. R. 153, [1990] 3 W.W.R. 277, qui a accueilli l'appel interjeté contre une décision du juge Maurice (1988), 68 Sask. R. 312. Pourvoi accueilli.

Kenneth W. Wasylyshen et Daniel Dierker, pour l'appelante.

E. R. Gritzfeld, c.r., pour les intimés.

//Le juge Gonthier//

Version française du jugement de la Court rendu par

Le juge Gonthier — Il s'agit en l'espèce d'une demande en dommages‑intérêts découlant d'un accident de la route. Deux questions principales se posent: (1) Est‑ce à tort que la Cour d'appel de la Saskatchewan a renvoyé la question de l'évaluation des dommages pécuniaires pour qu'elle soit tranchée dans le cadre d'un nouveau procès? (2) Le refus d'une victime d'un délit civil de se soumettre à des tests médicaux pour déterminer la nature et la gravité de ses lésions corporelles emporte‑t‑elle nécessairement manquement à l'obligation de limiter le préjudice?

I. Les faits

L'appelante a subi une blessure à la région lombaire par suite d'un accident d'automobile survenu le 6 février 1982. Kam‑Ppelle Holdings Ltd. et Allan Salyn ont reconnu leur responsabilité et l'appelante a choisi de mettre fin à sa poursuite contre York Taxi Service Ltd. L'unique question en litige au procès était le montant des dommages‑intérêts.

L'appelante, âgée de 29 ans au moment de l'accident, souffre depuis lors d'une lombalgie chronique. Deux semaines après l'accident, elle a perdu son emploi en raison d'un licenciement. En avril 1982, son mari et elle ont fait l'acquisition d'une boulangerie, qui a ouvert ses portes le 1er mai 1982 et qui, depuis, est prospère. L'appelante, qui a été qualifiée par le premier juge de travailleuse intelligente, efficace et très motivée, s'est vue dans l'impossibilité de travailler à la boulangerie entre le 1er mai et le 1er août 1982. Il a donc fallu engager deux suppléants qui travaillaient à eux deux douze heures par jour, soit un employé de bureau, rémunéré au taux de 4,25 $ l'heure, et un boulanger, payé au taux horaire de 8 $.

Depuis le 1er août 1982, l'appelante n'a pu travailler en moyenne que cinq heures par jour à la boulangerie en raison des limites physiques que lui impose son mal de dos. Il lui est impossible de s'adonner à certaines de ses activités préférées comme la danse, la natation et le jardinage.

Les médecins ont dit à l'appelante ne pas être certains si sa douleur était de nature musculaire ou bien si elle résultait d'une protrusion discale susceptible d'être corrigée par une chirurgie. En première instance, deux experts médicaux ont témoigné qu'une scanographie ou un myélogramme pourrait peut‑être révéler la nature précise de la lésion, mais qu'une intervention chirurgicale au dos était déconseillée, à moins que la douleur ne devienne insupportable. Suivant les recommandations des médecins, l'appelante a choisi de ne pas subir de nouveaux tests et de ne pas se faire opérer.

II. Les décisions des juridictions inférieures

Cour du Banc de la Reine (1988), 68 Sask. R. 312

Les dommages non pécuniaires de l'appelante ont été évalués à 30 000 $. Aux fins de l'évaluation des dommages pécuniaires, le juge de première instance a retenu quatre périodes distinctes. Pour la période du 6 février 1982 au 1er mai 1982, il a accordé à l'appelante une somme correspondant à deux semaines de salaire perdu, soit 464 $. D'après le premier juge, il était peu probable qu'elle aurait trouvé un emploi avant le 1er mai 1982 si elle n'avait pas été victime de l'accident.

La deuxième période envisagée était celle du 1er mai 1982 au 1er août 1982, alors que l'appelante ne pouvait pas travailler du tout. Le juge de première instance a accepté la formule proposée par l'économiste M. Cameron, qui consiste à calculer le coût après impôt du personnel de remplacement, majoré de 10 pour 100 pour tenir compte des avantages sociaux, et à diviser le montant ainsi obtenu par deux de manière à traduire le fait que l'entreprise appartient à 50 pour 100 à l'appelante. Suivant cette formule, les dommages‑intérêts pour la période en question ont été évalués à 1 340,78 $.

Pour la troisième période, celle du 1er août 1982 au 1er juin 1988, pendant laquelle l'appelante a travaillé en moyenne cinq heures par jour, le nombre d'heures de remplacement a été réduit de douze à sept. Selon la formule énoncée ci‑dessus, les dommages‑intérêts pour cette période s'élevaient à 24 746,13 $.

Pour ce qui est de la dernière période, ce sont les pertes futures qui sont en cause. La somme de 82 357,60 $ a été accordée sous cette rubrique. Il s'agit d'un montant déterminé par l'application de la même formule du coût après impôt de la main‑d'{oe}uvre de remplacement, minoré cependant de 3 pour 100. On a calculé les pertes futures jusqu'à l'âge de 65 ans en tenant pour acquis que l'appelante aurait travaillé tous les jours sauf les dimanches, les jours fériés et pendant quatorze jours de vacances par année. Le total a été en outre réduit de 20 pour 100 pour tenir compte des aléas.

Des montants supplémentaires ont été adjugés au double titre du coût des services d'entretien ménager et des dommages spéciaux. Il y a eu déduction des sommes versées en vertu de l'Automobile Accident Insurance Act, R.S.S. 1978, ch. A-35, de sorte que le montant total des dommages‑intérêts était de 144 000 $. Les intimés ont interjeté appel.

Cour d'appel (1990), 81 Sask. R. 153

Selon la Cour d'appel de la Saskatchewan, il y a lieu d'ordonner la tenue d'un nouveau procès à cause de l'inexactitude de la méthode de calcul de la perte qu'a utilisée M. Cameron et parce qu'il convient de réduire le montant des dommages‑intérêts du fait que l'appelante n'a pas pris de mesures pour limiter les dommages.

Le juge Wakeling critique la méthode du coût de remplacement, à la p. 156:

[traduction] Il importe de reconnaître qu'Engel n'est pas une salariée mais bien la propriétaire d'une entreprise et c'est sur ce fondement qu'il faut évaluer la perte de sa capacité de gagner un revenu. Le calcul de la perte ne nécessite donc pas une analyse détaillée des salaires versés à d'autres, mais plutôt une analyse des éléments constituant l'apport de Mme Engel en tant que copropriétaire d'une boulangerie. Cet apport comprenait son énergie physique et intellectuelle, son savoir‑faire commercial, ses compétences administratives, son sens de l'organisation, ses aptitudes en matière de marketing, ainsi que ses autres réalisations qui ont contribué à l'exploitation de la boulangerie, dont elle partageait la gestion à part égale avec son mari. Si l'on tient pour acquis que son rôle dans l'entreprise se définit en fonction de cette qualité de copropriétaire, il est évident qu'elle a pu continuer à y faire un apport raisonnable et important.

Il conclut, à la p. 157, [traduction] «[qu'] une méthode différente de calcul de la perte en question s'impose lorsque la personne frappée d'incapacité n'est pas un salarié».

Sur la question des tests médicaux, la Cour d'appel estime que l'appelante a arbitrairement refusé de subir des tests et, partant, de limiter son préjudice, si bien qu'il y a lieu de réduire en conséquence le montant des dommages‑intérêts. Elle invoque principalement à cet égard l'arrêt de notre Cour Janiak c. Ippolito, [1985] 1 R.C.S. 146.

III. Les questions en litige

(1) Le calcul du premier juge, fondé sur le coût après impôt de la main‑d'{oe}uvre de remplacement, représente‑t‑il une méthode valable d'évaluation des dommages pécuniaires de l'appelante?

(2) L'appelante a‑t‑elle refusé d'une façon arbitraire ou déraisonnable de se soumettre aux tests médicaux, manquant par là à son obligation de limiter son préjudice?

IV. Analyse

(1)L'évaluation des dommages pécuniaires lorsque la partie lésée est établie à son compte

a) Le montant en cause

L'appelante a réclamé des dommages‑intérêts particuliers, c'est‑à‑dire pour les pertes pécuniaires, telles que les médicaments, les services hospitaliers, les frais de transport, les frais d'entretien ménager et la main‑d'{oe}uvre de remplacement, subies antérieurement au procès. L'arrêt de la Cour d'appel ne met pas en doute les montants accordés par le juge de première instance sous cette rubrique et, par conséquent, notre Cour n'est pas saisie de cette question.

En ce qui concerne les dommages‑intérêts généraux, le premier juge a attribué la somme de 30 000 $ pour les dommages non pécuniaires, comme la douleur et les souffrances et la perte de la jouissance de la vie. Cette somme n'est pas contestée elle non plus.

L'appelante n'a pas produit de preuve à l'appui d'une demande d'indemnisation des pertes non pécuniaires résultant de l'incapacité de travailler. Nous devons déterminer si c'est à tort que le juge de première instance a retenu aux fins de l'évaluation des dommages pécuniaires des calculs fondés sur le coût après impôt du remplacement de la main‑d'{oe}uvre.

b)La méthode de calcul employée par la Cour du Banc de la Reine

Le juge de première instance a accepté la méthode d'un économiste expert, qui consistait à calculer le coût après impôt du personnel de remplacement, majoré de 10 pour 100 pour tenir compte des avantages sociaux, puis à diviser par deux le montant ainsi obtenu de manière à traduire le fait que l'entreprise familiale n'appartient à l'appelante qu'à 50 pour 100. Comme l'ont convenu les parties, une réduction de 3 pour 100 a été appliquée. Le total a de plus été réduit de 20 pour 100 pour tenir compte d'aléas, comme la possibilité que l'appelante connaisse avec le temps une diminution de vitalité et d'efficacité, qu'elle meure avant l'âge de 65 ans et que l'entreprise ne subisse des revers. À mon avis, non seulement cette méthode était raisonnable dans les circonstances, mais elle peut même être qualifiée de relativement prudente.

Dans l'évaluation des dommages‑intérêts pour pertes pécuniaires l'objet visé est l'indemnisation intégrale. Il est certes presque impossible d'évaluer avec une parfaite exactitude les pertes futures, mais le juge de première instance doit tenter de mettre la partie lésée dans la situation où elle se serait trouvée n'eût été l'accident (voir Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd., [1978] 2 R.C.S. 229, Arnold c. Teno, [1978] 2 R.C.S. 287, et Thornton c. School District No. 57 (Prince George), [1978] 2 R.C.S. 267). Dans le cas des personnes établies à leur compte, quantifier l'apport de la victime à l'entreprise est une tâche difficile en soi. Ce sont les circonstances particulières qui doivent dicter la meilleure façon d'aborder le calcul des pertes futures. Des témoins experts peuvent aider le juge à décider de la méthode de calcul qui convient le mieux.

Lorsqu'il s'agit de salariés, il est plus facile de fonder les prévisions sur le salaire touché avant la date de l'accident. Toutefois, lorsque la partie lésée est établie à son compte, la baisse de salaire n'est peut‑être pas le critère approprié pour le calcul des dommages‑intérêts si le salaire payé ne reflète pas l'apport réel de la victime à l'entreprise. De même, la méthode des profits perdus pourrait se justifier dans certains cas, mais non dans d'autres. En l'espèce, aucune preuve d'une perte de profits n'a été produite, hormis celle imputable au coût de la main‑d'{oe}uvre de remplacement.

Avec égards, j'estime que la Cour d'appel a commis une erreur en ordonnant pour ce motif la tenue d'un nouveau procès. L'appelante n'a rien demandé d'autre que le paiement du coût de la main‑d'{oe}uvre de remplacement, lequel a visiblement fait baisser les gains qu'elle tirait de l'entreprise. D'où sa réclamation de 50 pour 100 de ce coût. La majoration de 10 pour 100 au titre des avantages sociaux est raisonnable. Compte tenu de la preuve, le taux de 20 pour 100 pour les aléas n'est pas insuffisant. Il y a bien sûr inhérents à la possession d'une entreprise des risques qui peuvent entraîner des aléas importants, mais c'est là un facteur auquel peut faire contrepoids une preuve de l'existence d'un bon potentiel de gains. Or, en l'espèce, la preuve fait état d'un tel potentiel. Je souligne donc encore une fois que la méthode appropriée de calcul tient aux circonstances de l'affaire. À mon avis, rien dans la preuve ne donnait à entendre que la méthode de calcul proposée par l'expert était inadéquate, et l'intervention de la Cour d'appel n'était donc pas justifiée.

c) La méthode de calcul proposée par la Cour d'appel

La Cour d'appel, à la p. 156, indique que l'évaluation des dommages‑intérêts faite par le premier juge est entachée d'erreur en ce qu'elle ne tient pas compte de certains facteurs, tels que l'[traduction] «énergie physique et intellectuelle [de l'appelante], son savoir-faire commercial, ses compétences administratives, son sens de l'organisation, ses aptitudes en matière de marketing, ainsi que ses autres réalisations qui ont contribué à l'exploitation de la boulangerie». Tous ces facteurs peuvent fort bien être pertinents pour déterminer la perte du potentiel de gains ou la valeur de l'apport de l'appelante à l'entreprise. En l'espèce, toutefois, aucune preuve n'a été présentée quant au manque à gagner imputable à la perte de cette participation à l'entreprise. Seuls ont été réclamés les coûts de la main‑d'{oe}uvre de remplacement qui ont résulté de la réduction des heures de travail de l'appelante, de sorte que la démarche du juge de première instance n'était pas erronée. En effet, la méthode de calcul employée ne risquait pas de mettre l'appelante dans une situation plus favorable que celle où elle se serait trouvée s'il n'y avait pas eu d'accident.

2) Le droit de refuser les tests médicaux

a) L'intégrité physique de la personne

L'intégrité physique est un principe de droit fondamental. Comme l'a affirmé notre Cour dans l'arrêt E. (Mme) c. Eve, [1986] 2 R.C.S. 388, aux pp. 437 et 438: «Étant donné que, sauf dans les situations d'urgence, une intervention chirurgicale sans consentement constitue habituellement des voies de fait, il ressort que le fardeau de démontrer la nécessité de l'acte médical incombe à ceux qui en demandent l'exécution». Le même principe s'applique aux tests médicaux. L'appelante avait de toute évidence le droit de refuser de subir des tests médicaux visant à déterminer la nature exacte de ses blessures.

b) Le critère de l'arrêt Janiak

Les intimés soutiennent que le refus de l'appelante de subir des tests médicaux était arbitraire et déraisonnable et qu'il y a lieu d'appliquer en l'espèce notre arrêt Janiak c. Ippolito, précité. Dans cette affaire, le montant des dommages‑intérêts a été sensiblement réduit du fait du manquement à l'obligation de limiter le préjudice.

Notre Cour a statué dans Janiak que la partie lésée qui, étant en pleine possession de la capacité voulue, refuse déraisonnablement et arbitrairement d'accepter des traitements, ne saurait obliger le défendeur à supporter le coût de ce choix.

Je souscris à l'argument selon lequel le principe posé dans l'arrêt Janiak peut être appliqué aux tests médicaux. Bien qu'une partie lésée soit libre de refuser tout test médical, il ne faut pas faire supporter au défendeur le coût du choix de la partie lésée lorsque le refus est déraisonnable et arbitraire. Le refus de se soumettre à des test médicaux visant à déterminer la nature et la gravité des blessures soulève donc la question du manquement à l'obligation de limiter le préjudice.

c) L'application du critère en l'espèce

La Cour d'appel conclut, à la p. 157, que l'appelante a [traduction] «arbitrairement refusé de subir des tests médicaux permettant de diagnostiquer ses blessures», de sorte qu'il y a lieu de réduire en conséquence le montant de ses dommages‑intérêts. Elle critique la décision du juge de première instance dans les termes suivants, à la p. 157:

[traduction] Peut‑être son résumé de la preuve est‑il exact, mais il semble y supposer, à tort, que si les médecins peuvent accepter sa décision de refuser les tests de diagnostic et les traitements médicaux éventuels, les tribunaux devraient en faire autant.

La position à adopter par les tribunaux dépend effectivement, dans une large mesure, de celle des médecins. Comme l'affirme le juge Wilson dans l'arrêt Janiak, à la p. 162:

Il semblerait, d'après la jurisprudence, que dans la mesure où un demandeur suit l'une ou l'autre des différentes formes de traitement recommandées par les médecins qu'il a consultés, on ne puisse pas dire qu'il a agi déraisonnablement.

Aux pages 162 et 163, elle mentionne trois autres facteurs qui sont pertinents aux fins de l'analyse:

En déterminant le caractère raisonnable ou déraisonnable du refus de subir un traitement médical, il va de soi que le juge des faits doit également tenir compte du risque auquel l'intervention chirurgicale expose le demandeur (Taylor v. Addems and Addems, [1932] 1 W.W.R. 505 (C.A. Sask.)), de la gravité des conséquences du refus de la subir (Masny v. Carter‑Hall‑Aldinger Co., [1929] 3 W.W.R. 741 (B.R. Sask.)) et des avantages qui peuvent en découler (Matters v. Baker and Fawcett, [1951] S.A.S.R. 91 (C.S.)).

Ainsi en est‑il également des tests médicaux. En effet, le juge des faits est en meilleure position pour prendre la décision quant au caractère raisonnable du refus de la victime d'un délit civil de subir des tests ou des traitements médicaux, car c'est lui qui peut apprécier la preuve de première main. En l'espèce, la conclusion du premier juge que l'appelante n'a agi ni arbitrairement ni déraisonnablement est solidement étayée par la preuve. Le Dr Jowsey, l'expert de l'appelante, a témoigné que les symptômes de cette dernière ne justifiaient pas une intervention chirurgicale:

[traduction] . . . d'ailleurs, ses symptômes ne sont pas tels que, même s'il s'agissait d'une protrusion discale, j'envisagerais très volontiers une intervention chirurgicale.

Le Dr Ekong, l'expert des défendeurs, était du même avis:

[traduction] Si elle croyait ses troubles suffisamment graves pour justifier la prise de mesures pour y remédier, la façon prudente de procéder aurait été de pratiquer une scanographie et, éventuellement, une myélographie, si cela était indiqué. J'ai dit toutefois que dans son cas — que, l'ayant examinée, je n'étais vraiment pas très convaincu que c'est ce qu'il fallait faire. Il convenait plutôt, dans les circonstances, d'essayer un traitement conservateur.

Tout comme le juge de première instance, à la p. 314, j'estime qu'il découle de ces opinions qu'[traduction] «il ne servirait [servait] à rien qu'elle subisse d'autres tests» et que le refus de l'appelante était en conséquence tout à fait justifié.

Comme l'a indiqué la Cour d'appel, c'est aux intimés qu'il incombait de prouver que l'appelante a manqué à son obligation de limiter son préjudice. Cependant, aucune preuve établissant que le test ne présentait aucun risque n'a été produite. On n'a pas établi la gravité des conséquences du refus de le subir, car même l'expert des intimés a indiqué que la douleur éprouvée par l'appelante ne justifiait pas une intervention chirurgicale.

Des éléments de preuve des avantages possibles d'une intervention chirurgicale ont été présentés. Toutefois, compte tenu de la recommandation que l'appelante ne se fasse opérer que si son état empirait, le juge de première instance a décidé à bon droit de ne pas attacher d'importance à cette considération.

V. Conclusion

Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi avec dépens dans toutes les cours et de rétablir la décision de la Cour du Banc de la Reine.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de l'appelante: Wasylyshen & Stephaniuk, Yorkton.

Procureurs des intimés: Gritzfeld & Associates, Regina.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Responsabilité délictuelle - Dommages‑intérêts - Calcul - Personne établie à son compte - Calcul fondé sur le coût après impôt de la main‑d'{oe}uvre de remplacement - S'agit‑il là d'une méthode valable d'évaluation des dommages pécuniaires de l'appelante?.

Responsabilité délictuelle - Dommages‑intérêts - Limitation du préjudice - Victime d'un délit civil refusant de subir de nouveaux tests - Traitement conservateur recommandé par des experts médicaux - Le refus de l'appelante de subir des traitements médicaux était‑il arbitraire ou déraisonnable constituant ainsi un manquement à l'obligation de limiter le préjudice?.

L'appelante a subi une blessure au dos dans un accident d'automobile. L'unique question en litige au procès était le montant des dommages‑intérêts. Le juge de première instance a adopté une formule consistant à calculer le coût après impôt du personnel de remplacement, majoré de 10 pour 100 pour tenir compte des avantages sociaux, et à diviser le montant ainsi obtenu par deux de manière à traduire le fait que l'entreprise appartenait à 50 pour 100 à l'appelante. Au cours du procès, des experts médicaux ont témoigné que de nouveaux tests pourraient révéler la nature précise de la lésion, mais qu'une intervention chirurgicale au dos était déconseillée, à moins que la douleur ne devienne insupportable. Suivant ce conseil, l'appelante a refusé de subir de nouveaux tests ou de se faire opérer. La Cour d'appel a ordonné la tenue d'un nouveau procès parce qu'elle considérait comme inexacte la méthode de calcul de la perte. Elle a en outre jugé trop élevé le montant des dommages‑intérêts puisque l'appelante a décidé de refuser de se soumettre à de nouveaux tests, manquant ainsi à son obligation de limiter son préjudice. Les questions en litige en l'espèce sont de savoir (1) si la formule adoptée par le premier juge représente une méthode valable d'évaluation des dommages pécuniaires de l'appelante et (2) si l'appelante a refusé d'une façon arbitraire ou déraisonnable de se soumettre aux tests médicaux, manquant par là à son obligation de limiter son préjudice.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Le juge de première instance doit tenter de mettre la partie lésée dans la situation où elle se serait trouvée n'eût été l'accident. Dans le cas des personnes établies à leur compte, quantifier l'apport de la victime à l'entreprise est une tâche difficile en soi. Ce sont les circonstances particulières qui dictent la meilleure façon d'aborder le calcul des pertes futures. Des témoins experts peuvent aider le juge à décider de la méthode qui convient le mieux. En l'espèce, la méthode du juge de première instance était raisonnable dans les circonstances, voire plutôt prudente.

Lorsque la partie lésée est établie à son compte, la baisse de salaire n'est peut‑être pas le critère approprié pour le calcul des dommages‑intérêts si le salaire payé ne reflète pas l'apport réel de la victime à l'entreprise. De même, la méthode des profits perdus pourrait se justifier dans certains cas, mais non dans d'autres. Les risques inhérents à la possession d'une entreprise peuvent entraîner des aléas importants, mais c'est là un facteur auquel peut faire contrepoids une preuve de l'existence d'un bon potentiel de gains. En l'espèce, aucune preuve d'une perte de profits n'a été produite (hormis celle imputable au coût de la main‑d'{oe}uvre de remplacement). Comme il n'y a rien dans la preuve qui donne à entendre que la méthode de l'expert était inadéquate, l'intervention de la Cour d'appel n'était pas justifiée.

L'intégrité physique de la personne est un principe de droit fondamental et, sauf dans les situations d'urgence, le fardeau de démontrer la nécessité de tests médicaux incombe à ceux qui en demandent l'exécution. Bien que l'appelante fût en droit de refuser de subir des tests médicaux visant à déterminer la nature exacte de ses blessures, il ne faut pas faire supporter au défendeur le coût du choix de la partie lésée lorsque le refus est déraisonnable et arbitraire. C'est le juge des faits qui est en meilleure position pour prendre la décision quant au caractère raisonnable, car c'est lui qui peut apprécier la preuve de première main. En l'espèce, on n'a produit aucune preuve établissant que le test ne présentait pas de risque ni aucune preuve quant à la gravité des conséquences du refus de le subir. La conclusion du premier juge que l'appelante n'a agi ni arbitrairement ni déraisonnablement est solidement étayée par la preuve.


Parties
Demandeurs : Engel
Défendeurs : Salyn

Références :

Jurisprudence
Arrêt examiné: Janiak c. Ippolito, [1985] 1 R.C.S. 146
arrêts mentionnés: Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd., [1978] 2 R.C.S. 229
Arnold c. Teno, [1978] 2 R.C.S. 287
Thornton c. School District No. 57 (Prince George), [1978] 2 R.C.S. 267
E. (Mme) c. Eve, [1986] 2 R.C.S. 388.
Lois et règlements cités
Automobile Accident Insurance Act, R.S.S. 1978, ch. A‑35.

Proposition de citation de la décision: Engel c. Salyn, [1993] 1 R.C.S. 306 (21 janvier 1993)


Origine de la décision
Date de la décision : 21/01/1993
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1993] 1 R.C.S. 306 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1993-01-21;.1993..1.r.c.s..306 ?
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