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27/08/1992 | CANADA | N°[1992]_2_R.C.S._845

Canada | R. c. Barbeau, [1992] 2 R.C.S. 845 (27 août 1992)


R. c. Barbeau, [1992] 2 R.C.S. 845

Alain Barbeau Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Barbeau

No du greffe: 22341.

1992: 30 avril; 1992: 27 août.

Présents: Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory et Stevenson*.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1991] R.J.Q. 741, 37 C.A. 214, confirmant la déclaration de culpabilité de l'accusé relativement à quatre chefs d'accusation d'attentat à la pudeur. Pourvoi rejeté.

Gratien Du

chesne, pour l'appelant.

Denis Dionne, pour l'intimée.

//Le juge Cory//

Version française du jugement de la Cour rendu par...

R. c. Barbeau, [1992] 2 R.C.S. 845

Alain Barbeau Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Barbeau

No du greffe: 22341.

1992: 30 avril; 1992: 27 août.

Présents: Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory et Stevenson*.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1991] R.J.Q. 741, 37 C.A. 214, confirmant la déclaration de culpabilité de l'accusé relativement à quatre chefs d'accusation d'attentat à la pudeur. Pourvoi rejeté.

Gratien Duchesne, pour l'appelant.

Denis Dionne, pour l'intimée.

//Le juge Cory//

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge Cory — En 1986, l'appelant a fait l'objet de six chefs d'accusation d'agression sexuelle lui reprochant de s'être livré, en juillet et en septembre 1982, à des caresses et à des attouchements sur une fillette de dix ans. Les accusations ont été portées conformément à l'art. 271 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 (auparavant l'art. 246.1), dont voici le texte:

271. (1) Quiconque commet une agression sexuelle est coupable:

a) soit d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de dix ans;

b) soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

Cet article, ajouté au Code criminel par une loi modificatrice, S.C. 1980‑81‑82‑83, ch. 125, art. 19, n'est entré en vigueur que le 4 janvier 1983, soit, de toute évidence, quelques mois après que les actes à l'origine des accusations portées contre l'accusé eurent été commis. L'article 33 de la loi modificatrice du Code criminel, qui prévoyait précisément que les nouvelles dispositions ne s'appliqueraient pas rétroactivement, est ainsi rédigé:

33. La présente loi ne s'applique pas aux infractions commises avant son entrée en vigueur.

Pendant un long moment, personne n'a remarqué l'erreur contenue dans l'acte d'accusation. En temps utile, l'appelant a choisi d'être jugé par un juge et un jury. À la fin de l'enquête préliminaire, l'appelant a été renvoyé à son procès. Il a alors choisi d'être jugé par un juge de la cour provinciale.

L'erreur a finalement été découverte au début du procès en mai 1987. Avant d'inscrire un plaidoyer, l'appelant a présenté une requête en annulation de l'acte d'accusation pour le motif que les infractions dont il était accusé n'existaient pas au moment concerné. L'audition de cette requête a été reportée au lendemain. À la reprise de l'audience, le ministère public a reconnu, avant que le juge du procès ne puisse se prononcer sur la requête, que l'appelant avait été accusé d'un crime qui n'existait pas. Le ministère public a alors immédiatement présenté à la cour un nouvel acte d'accusation inculpant l'appelant de six chefs d'attentat à la pudeur conformément aux dispositions de l'ancien par. 149(1) du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34, dont voici le texte:

149. (1) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement de cinq ans, quiconque attente à la pudeur d'une personne du sexe féminin.

Après avoir annulé le premier acte d'accusation qui contenait six chefs d'agression sexuelle, le juge du procès a admis le nouvel acte d'accusation comportant six chefs d'attentat à la pudeur.

L'appelant a présenté un certain nombre de requêtes préliminaires; seule celle visant à annuler le nouvel acte d'accusation est pertinente en l'espèce. On a soutenu qu'en ce qui concernait le nouvel acte d'accusation, le ministère public ne pouvait recourir qu'à un acte d'accusation direct nécessitant la signature du procureur général lui‑même, conformément à l'art. 577 (auparavant l'art. 507) du Code criminel, dont voici le texte:

577. Lors d'une poursuite:

a) si une enquête préliminaire n'a pas été tenue, un acte d'accusation ne peut être présenté;

b) si une enquête préliminaire a été tenue et que le prévenu ait été libéré, un acte d'accusation ne peut être présenté et une nouvelle dénonciation ne peut être faite,

devant aucun tribunal sans:

c) le consentement écrit du procureur général ou du sous‑procureur général si la poursuite en est une qui est menée par le procureur général ou si elle en est une où celui‑ci intervient;

d) le consentement écrit d'un juge de ce tribunal si la poursuite n'est pas menée par le procureur général ou si la poursuite en est une où le procureur général n'intervient pas.

Le juge du procès a rejeté la requête.

Le procès a ensuite été tenu et l'appelant a été déclaré coupable relativement à quatre des six chefs d'accusation. Il a été condamné à huit mois d'emprisonnement suivis d'une période de probation.

La déclaration de culpabilité et la sentence prononcées ont fait l'objet d'un appel et, le 21 février 1991, la Cour d'appel du Québec a rejeté l'appel interjeté contre la déclaration de culpabilité, avec une dissidence de la part du juge Fish. L'appel interjeté contre la sentence a été accueilli et la période d'emprisonnement a été réduite au temps purgé (7 jours). L'appelant se pourvoit de plein droit devant notre Cour, compte tenu de la dissidence du juge Fish.

Les jugements des tribunaux d'instance inférieure

La Cour des sessions de la paix du Québec (le juge Gagnon de la Cour provinciale).

Le juge du procès a conclu que le nouvel acte d'accusation, celui substitué au premier, ne devrait pas être annulé. À son avis, l'art. 577 du Code ne s'appliquait pas à la présente affaire. Aux termes de cet article, l'acte d'accusation ne doit être présenté avec le consentement du procureur général que si aucune enquête préliminaire n'a été tenue ou si l'accusé a été libéré à la suite d'une enquête préliminaire. D'après lui, une enquête préliminaire avait effectivement été tenue en l'espèce. Il a dit:

Il y eut enquête préliminaire et [l'appelant] n'a pas été libéré de cette enquête. Il fut cité à procès pour agressions sexuelles.

. . .

Il est vrai que la citation à procès était pour des offenses autres que celles qui apparaissent maintenant sur l'acte d'accusation. L'article 504(1)(b) du Code criminel édicte que le poursuivant, dans le cas présent le substitut du procureur général, peut présenter un acte d'accusation contre toute personne qui a été renvoyée pour subir son procès à l'égard de "n'importe quel chef d'accusation relié aux infractions dont l'existence a été révélée par la preuve recueillie lors de l'enquête préliminaire, en plus ou en remplacement de toute infraction pour laquelle cette personne a été renvoyée pour subir son procès, que ces chefs d'accusation aient été ou non compris dans une dénonciation".

Le présent Tribunal s'est donc référé à la preuve recueillie lors de l'enquête préliminaire. Après étude de cette preuve, le Tribunal conclut que les infractions d'attentat à la pudeur reprochées à l'accusé sont révélées par cette preuve. [Souligné dans l'original.]

Le juge du procès a donc décidé qu'il n'était pas nécessaire que le procureur général signe l'acte d'accusation qui pouvait être présenté par son substitut.

La Cour d'appel du Québec, [1991] R.J.Q. 741, 37 C.A. 214

Le juge Malouf a prononcé les motifs de la majorité. Le juge Monet a déposé ses propres motifs concordants quant au résultat, tandis que le juge Fish était dissident. Le juge Malouf a fait remarquer que, conformément à l'art. 574 du Code criminel, un acte d'accusation peut être présenté à l'égard de n'importe quel chef d'accusation se rapportant aux infractions dont l'existence a été révélée par la preuve recueillie lors de l'enquête préliminaire. L'article 574 se lit ainsi:

574. (1) Sous réserve du paragraphe (3) et de l'article 577, le poursuivant peut présenter un acte d'accusation contre toute personne qui a été renvoyée pour subir son procès à l'égard de:

a) n'importe quel chef d'accusation pour lequel cette personne a été renvoyée pour subir son procès;

b) n'importe quel chef d'accusation se rapportant aux infractions dont l'existence a été révélée par la preuve recueillie lors de l'enquête préliminaire, en plus ou en remplacement de toute infraction pour laquelle cette personne a été renvoyée pour subir son procès,

que ces chefs d'accusation aient été ou non compris dans une dénonciation.

Le juge Malouf a conclu que toutes les exigences de l'art. 574 étaient respectées en l'espèce. La preuve recueillie lors de l'enquête préliminaire avait révélé l'existence d'un attentat à la pudeur. En conséquence, il n'était pas nécessaire que le nouvel acte d'accusation inculpant l'accusé d'attentat à la pudeur soit signé par le procureur général. Après avoir lu les motifs de ses collègues, le juge Malouf a ajouté des commentaires à ses propres motifs. Il a fait observer que l'appelant en l'espèce avait eu la possibilité de produire une défense pleine et entière. Au moment où l'acte d'accusation d'attentat à la pudeur a été substitué au premier acte d'accusation, l'accusé (appelant) était parfaitement au courant de la preuve relative à l'infraction dont il était accusé et il avait bénéficié de tous les avantages que peut procurer une enquête préliminaire. Selon lui, aucun préjudice n'avait résulté de la substitution du nouvel acte d'accusation. Il a également souligné que la question de procédure sur laquelle le juge Fish fondait sa dissidence n'avait pas été soulevée devant le tribunal de première instance ni débattue en Cour d'appel. Les parties n'avaient pas eu la possibilité d'examiner la question et, à son avis, la Cour d'appel devait refuser de la trancher.

Le juge Monet, dans des motifs concordants, a reconnu que l'acte d'accusation initial était entaché d'un vice. En outre, il a reconnu que l'arrêt R. c. Chase, [1987] 2 R.C.S. 293, a établi que les infractions d'attentat à la pudeur et d'agression sexuelle n'étaient pas identiques. Il a toutefois noté que, pour la victime, la terminologie n'avait aucune importance. Pour la société, la réprobation était exactement la même. Pour l'accusé en l'espèce, les actes faisant l'objet d'un examen étaient identifiés, et les circonstances entourant ces actes avaient été examinées à fond lors de l'enquête préliminaire. L'accusé avait été renvoyé à son procès sans qu'il conteste ce renvoi à procès. Il s'ensuivait, selon le juge, que le nouvel acte d'accusation signé par le substitut du procureur général était valide.

Le juge Fish a conclu que, dans les circonstances de la présente affaire, le ministère public devait présenter un acte d'accusation direct. Bien que l'appelant ait insisté sur l'al. 577b), relatif aux actes d'accusation présentés lorsqu'une enquête préliminaire a été tenue, le juge Fish a fondé ses motifs sur l'al. 577a). Il a conclu que l'enquête préliminaire était nulle et qu'en raison de cette nullité on ne pouvait dire qu'il y avait eu une enquête préliminaire de facto entraînant un renvoi à procès.

À son avis, il ne pouvait y avoir de procès légal et valide relativement au premier acte d'accusation parce que celui‑ci ne révélait aucune infraction. Il s'ensuivait qu'aucune enquête légale et valide ne pouvait être tenue suite à une dénonciation rédigée d'une façon qui ne révélait aucune infraction. À son avis, nul n'avait compétence pour tenir une enquête préliminaire fondée sur une dénonciation nulle. En définitive, l'enquête préliminaire et le renvoi à procès étaient nuls ab initio.

Le juge Fish a reconnu l'existence d'arguments solides en faveur de la validité de l'acte d'accusation. Il a lui aussi remarqué que les éléments essentiels de l'accusation examinés lors de l'enquête préliminaire étaient, en fait, sensiblement sinon juridiquement identiques à ceux pour lesquels l'appelant a finalement été jugé. Ainsi, ce dernier connaissait parfaitement l'importance de la preuve du ministère public qui pesait contre lui. En outre, certains éléments de preuve présentés justifiaient le renvoi de l'appelant à son procès. Ainsi, toutes les exigences de principe étaient respectées, même si les exigences juridiques ne l'étaient pas. À son avis, il n'y avait pas eu d'enquête préliminaire ni de renvoi à procès et aucun acte d'accusation ne pouvait donc être présenté en vertu de l'al. 574(1)b).

La question en litige

L'unique question en litige soulevée par la dissidence du juge Fish de la Cour d'appel est la suivante:

1. L'acte d'accusation était‑il nul parce qu'il n'était pas conforme à l'art. 577 du Code criminel?

Analyse

Il faut souligner, au départ, que l'appelant invoque un argument très technique. Il n'allègue aucun préjudice. Il s'appuie néanmoins sur le vice contenu dans l'acte d'accusation initial pour prétendre qu'il n'a pas subi une enquête préliminaire valide. Dans ces circonstances, il convient de donner une réponse technique à une objection technique. Pour statuer sur l'argument de l'appelant, il est nécessaire d'examiner encore une fois l'objet de l'enquête préliminaire.

L'enquête préliminaire

Aujourd'hui, le rôle premier de l'enquête préliminaire consiste à déterminer si la preuve est suffisante pour renvoyer l'accusé à son procès. En vertu de l'art. 535 du Code criminel, le "juge de paix" doit "enquêter sur l'accusation ainsi que sur tout autre acte criminel qui découle de la même affaire fondé sur les faits révélés par la preuve . . ." L'enquête préliminaire ne date pas d'hier. Avant la création des corps de police permanents, elle servait autant à enquêter sur un crime qu'à déterminer la culpabilité probable de l'accusé.

Selon l'art. 548, lorsque le juge de paix a recueilli tous les témoignages, il doit renvoyer la personne inculpée à son procès s'il estime que la preuve est suffisante pour la faire passer en jugement à l'égard de l'infraction reprochée ou de tout autre acte criminel relatif à la même opération. Aux termes du par. 2 du même article, lorsque le juge de paix ordonne que le prévenu passe en jugement à l'égard d'un acte criminel différent ou en sus de celui dont il a été accusé, il doit inscrire sur la dénonciation les accusations à l'égard desquelles le prévenu est astreint à passer en jugement.

On ne peut nier que l'enquête préliminaire permet à l'accusé de découvrir l'étendue de la preuve qui pèse contre lui. Il est vrai que, dans l'arrêt Caccamo c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 786, notre Cour a dit clairement que le ministère public peut, à sa discrétion, ne présenter que ce qui constitue une preuve suffisante à première vue. Il n'en demeure pas moins que l'enquête préliminaire permet à la personne inculpée de sonder, dans une certaine mesure, la preuve du ministère public.

Je soulignerais à nouveau qu'en l'espèce, il n'y a eu aucun défaut de communication de la preuve ni aucun préjudice à l'accusé. Il est vrai que l'arrêt Chase, précité, établit une différence entre l'accusation d'agression sexuelle prévue à l'art. 271 du Code et celle d'attentat à la pudeur prévue à l'ancien par. 149(1). Néanmoins, en l'espèce, on a divulgué tous les événements qui constituaient le fondement de la preuve du ministère public contre l'appelant. Les incidents à l'origine des accusations ont été examinés à fond lors de l'enquête préliminaire. Il ne fait pas de doute que la preuve des événements qui se sont produits justifiait les accusations d'agression sexuelle. De même, elle justifiait nettement les accusations d'attentat à la pudeur. Le fait que la démarche adoptée en l'espèce n'ait causé aucun préjudice à l'appelant n'est pas sans conséquence sur le règlement du présent pourvoi.

L'appelant soutient que même si aucun préjudice pratique n'a été causé, il existe un préjudice juridique. Cet argument ne saurait être accepté. Après avoir découvert l'erreur dans l'accusation initiale, l'appelant a présenté une requête visant à annuler l'acte d'accusation pour le motif que les infractions dont il était accusé n'existaient pas au moment où il les aurait commises. Dans l'arrêt R. c. Chabot, [1980] 2 R.C.S. 985, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a conclu que dès qu'un acte d'accusation est présenté, il n'est plus possible d'attaquer un renvoi à procès par des moyens de procédure. Il a écrit (à la p. 990):

La Cour d'appel a conclu, à bon droit à mon avis, qu'à un certain moment, l'acte d'accusation devient le document opérant dans la procédure criminelle. À ce moment, l'acte d'accusation offre un "nouveau point de départ". En effet, l'acte d'accusation devient la base sur laquelle s'édifient les procédures subséquentes. Après le dépôt de l'acte d'accusation, l'accusé peut, par requête présentée devant la cour de première instance, demander l'annulation de l'acte d'accusation, mais il ne peut plus contester par certiorari la régularité du renvoi à procès.

Il importe de remarquer que rien dans la requête en annulation du premier acte d'accusation n'indique que l'appelant contestait la validité d'une des procédures antérieures. C'est à ce moment seulement que l'appelant a réalisé, nécessairement pour la première fois, que les accusations initiales ne révélaient pas des crimes existant au moment des présumées infractions. Pourtant, l'appelant n'a attaqué ni l'enquête préliminaire pour absence de compétence, ni le renvoi à procès pour cause de nullité. On a simplement demandé au juge du procès d'annuler un acte d'accusation en raison d'un vice manifeste à première vue. Par conséquent, à ce stade, l'enquête préliminaire n'avait absolument pas été attaquée ni critiquée. L'appelant a par la suite présenté sa requête en annulation du nouvel acte d'accusation en soutenant que l'enquête préliminaire avait été tenue et qu'il avait été libéré. Selon l'avocat de la défense, ce concours de circonstances exigeait, conformément à l'al. 577b), que tout acte d'accusation subséquent soit présenté directement. Je ne suis pas d'accord.

L'acte d'accusation initial comportant des chefs d'agression sexuelle plutôt que d'attentat à la pudeur était valide en tous points, à l'exception de la terminologie utilisée pour identifier l'infraction. Les parties ont participé à l'enquête préliminaire en tenant pour acquis qu'il était valide. La preuve a identifié les actes qui constituaient une agression sexuelle ou un attentat à la pudeur, selon l'expression utilisée pour décrire les attouchements ou les caresses. Les actes étaient les mêmes, la preuve également. Les témoignages à l'enquête préliminaire constituaient une preuve suffisante à première vue que l'accusé avait commis une infraction décrite comme un attentat à la pudeur avant le 4 janvier 1983 et comme une agression sexuelle depuis cette date.

Dans les circonstances, l'erreur dans la désignation ou le nom de l'infraction en était une qui rendait l'acte d'accusation annulable et non pas nul. La situation pourrait être différente si une infraction tout à fait nouvelle avait été créée par la loi du 4 janvier 1983. Par exemple, si on avait fait de la "piraterie de l'air" une infraction à compter de cette date seulement, alors un acte d'accusation alléguant que l'accusé a commis un acte de piraterie de l'air avant cette date serait nul puisqu'il ne révélerait pas un crime connu en droit à l'époque pertinente. De même, en l'espèce, si le témoignage à l'enquête préliminaire avait établi une preuve suffisante à première vue d'agression sexuelle et non d'attentat à la pudeur, l'acte d'accusation aurait alors été nul puisqu'il n'aurait pas révélé une infraction connue en droit au moment pertinent. Par conséquent, dans les circonstances de la présente affaire, il convenait que le ministère public présente un nouvel acte d'accusation conforme à la preuve produite lors de l'enquête préliminaire dont la validité n'avait pas été contestée. À ce moment‑là, le ministère public a agi conformément au par. 574(1) du Code criminel. Voir les arrêts McKibbon c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 131; R. c. Copeland (1986), 27 C.C.C. (3d) 186 (C.A.C.‑B.).

En l'espèce, plusieurs voies s'offraient à la défense. Si l'avocat de la défense avait présenté une requête avant ou pendant l'enquête préliminaire afin de contester la compétence du magistrat, il en aurait sûrement résulté une nouvelle dénonciation et une enquête préliminaire sur les accusations d'attentat à la pudeur. Si l'avocat de la défense avait présenté une requête à tout moment après l'enquête préliminaire et le renvoi à procès subséquent, mais avant la présentation d'un acte d'accusation dans le sens où on l'entendait dans l'arrêt Chabot, encore une fois, le résultat aurait probablement été positif. Après la présentation de l'acte d'accusation d'agression sexuelle, l'avocat de la défense aurait pu contester tant cet acte d'accusation que la compétence du magistrat ayant présidé à l'enquête préliminaire. Rien n'aurait alors pu justifier le deuxième acte d'accusation du substitut du procureur général. Ce ne sont là que des exemples de recours que la défense aurait pu utiliser. Aucun n'a été examiné.

En résumé, l'erreur contenue dans l'acte d'accusation initial portait sur le nom ou la désignation des infractions. Les actes de l'appelant constituaient un attentat à la pudeur avant le 4 janvier 1983, et une agression sexuelle après cette date. L'enquête préliminaire a révélé l'existence d'une preuve suffisante à première vue contre l'appelant. On pouvait donner aux incidents décrits dans le témoignage le nom d'attentat à la pudeur avant le 4 janvier 1983. Les mêmes incidents pouvaient être décrits comme une agression sexuelle après le 4 janvier 1983. L'annulation de l'acte d'accusation initial et la présentation du deuxième acte d'accusation n'ont causé aucun préjudice à l'accusé. Seul le nom de l'infraction a changé. Compte tenu des circonstances particulières de l'espèce et de l'enquête préliminaire non contestée, il convenait que le ministère public présente immédiatement un nouvel acte d'accusation conformément au par. 574(1). Il existait ainsi un fondement approprié au procès et à la déclaration de culpabilité qui se sont ensuivis.

En conséquence, je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de confirmer la déclaration de culpabilité de l'appelant pour attentat à la pudeur.

Pourvoi rejeté.

Procureur de l'appelant: Gratien Duchesne, Alma, Québec.

Procureur de l'intimée: Denis Dionne, Alma, Québec.

*Le juge Stevenson n'a pas pris part au jugement.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Procédure - Acte d'accusation - Enquête préliminaire - Accusé inculpé d'une infraction qui n'existait pas au moment visé et renvoyé à son procès après l'enquête préliminaire - Découverte de l'erreur au début du procès et présentation d'un nouvel acte d'accusation - Le ministère public ne pouvait-il recourir qu'à un acte d'accusation direct nécessitant le consentement du procureur général? - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 577.

En 1986, l'accusé a fait l'objet de six chefs d'accusation d'agression sexuelle pour des actes qu'il aurait commis en juillet et en septembre 1982. Les accusations ont été portées conformément à l'art. 271 (auparavant l'art. 246.1) du Code criminel, qui n'est entré en vigueur que le 4 janvier 1983, soit quelques mois après que les actes en question eurent été commis. La loi modificatrice prévoyait précisément que les nouvelles dispositions ne s'appliqueraient pas rétroactivement. L'accusé a choisi d'être jugé par un juge et un jury. À la fin de l'enquête préliminaire, l'accusé a été renvoyé à son procès. Au début du procès, l'accusé, qui avait découvert l'erreur, a présenté une requête en annulation de l'acte d'accusation. Le ministère public a reconnu que l'accusé avait été inculpé d'un crime qui n'existait pas et a alors immédiatement présenté à la cour un nouvel acte d'accusation l'inculpant de six chefs d'attentat à la pudeur conformément aux dispositions de l'ancien par. 149(1) du Code criminel. Le juge du procès a annulé le premier acte d'accusation et a admis le nouveau. L'accusé a présenté une requête en annulation du nouvel acte d'accusation, soutenant que le ministère public ne pouvait recourir qu'à un acte d'accusation direct nécessitant la signature du procureur général lui‑même. L'article 577 du Code prévoit que si une enquête préliminaire n'a pas été tenue ou si une enquête préliminaire a été tenue et que le prévenu a été libéré, un acte d'accusation ne peut être présenté sans le consentement du procureur général ou du sous‑procureur général. La requête a été rejetée, le procès a été tenu et l'accusé a été déclaré coupable relativement à quatre des six chefs d'accusation. La Cour d'appel, à la majorité, a rejeté l'appel interjeté contre la déclaration de culpabilité.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Si l'arrêt Chase de notre Cour établit une différence entre l'accusation d'agression sexuelle prévue à l'art. 271 du Code et celle d'attentat à la pudeur prévue à l'ancien par. 149(1), on a néanmoins, en l'espèce, divulgué tous les événements qui constituaient le fondement de la preuve du ministère public contre l'accusé. Les incidents à l'origine des accusations ont été examinés à fond lors de l'enquête préliminaire. Il ne fait pas de doute que la preuve des événements qui se sont produits justifiait les accusations d'agression sexuelle; de même, elle justifiait nettement les accusations d'attentat à la pudeur. L'annulation de l'acte d'accusation initial et la présentation du deuxième acte d'accusation n'ont causé aucun préjudice à l'accusé. L'acte d'accusation initial était valide en tous points, à l'exception de la terminologie utilisée pour identifier l'infraction. Les parties ont participé à l'enquête préliminaire en tenant pour acquis qu'il était valide. La preuve a identifié les actes qui constituaient une agression sexuelle ou un attentat à la pudeur, selon l'expression utilisée. Les actes étaient les mêmes, la preuve également. Les témoignages à l'enquête préliminaire constituaient une preuve suffisante à première vue que l'accusé avait commis une infraction décrite comme un attentat à la pudeur avant le 4 janvier 1983 et comme une agression sexuelle depuis cette date. Dans les circonstances, l'erreur dans la désignation ou le nom de l'infraction en était une qui rendait l'acte d'accusation annulable et non pas nul. Par conséquent, il convenait que le ministère public présente un nouvel acte d'accusation conforme à la preuve produite lors de l'enquête préliminaire dont la validité n'avait pas été contestée.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Barbeau

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés: R. c. Chase, [1987] 2 R.C.S. 293
Caccamo c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 786
R. c. Chabot, [1980] 2 R.C.S. 985
McKibbon c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 131
R. c. Copeland (1986), 27 C.C.C. (3d) 186.
Lois et règlements cités
Loi modifiant le Code criminel en matière d'infractions sexuelles et d'autres infractions contre la personne et apportant des modifications corrélatives à d'autres lois, S.C. 1980‑81‑82‑83, ch. 125, art. 19, 33.
Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 149 [mod. 1972, ch. 13, art. 70], 246.1 [aj. 1980‑81‑82‑83, ch. 125, art. 19], 507.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 271, 535, 548, 574 [abr. & rempl. ch. 27 (1er suppl.), art. 113], 577 [abr. & rempl. idem, art. 115].

Proposition de citation de la décision: R. c. Barbeau, [1992] 2 R.C.S. 845 (27 août 1992)


Origine de la décision
Date de la décision : 27/08/1992
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1992] 2 R.C.S. 845 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1992-08-27;.1992..2.r.c.s..845 ?
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