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13/02/1992 | CANADA | N°[1992]_1_R.C.S._426

Canada | Québec (Communauté urbaine) c. Services de santé du Québec, [1992] 1 R.C.S. 426 (13 février 1992)


Québec (Communauté urbaine) c. Services de santé du Québec, [1992] 1 R.C.S. 426

Les Services de santé du Québec Appelante

c.

La Communauté urbaine de Québec et

la ville de Sainte‑Foy Intimées

et

Le Bureau de révision de l'évaluation foncière

du Québec Mis en cause

Répertorié: Québec (Communauté urbaine) c. Services de santé du Québec

No du greffe: 21733.

1991: 5 décembre; 1992: 13 février.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier et Cory.

en app

el de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec*, qui a rejeté la requête de l'appelante pour une permission...

Québec (Communauté urbaine) c. Services de santé du Québec, [1992] 1 R.C.S. 426

Les Services de santé du Québec Appelante

c.

La Communauté urbaine de Québec et

la ville de Sainte‑Foy Intimées

et

Le Bureau de révision de l'évaluation foncière

du Québec Mis en cause

Répertorié: Québec (Communauté urbaine) c. Services de santé du Québec

No du greffe: 21733.

1991: 5 décembre; 1992: 13 février.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier et Cory.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec*, qui a rejeté la requête de l'appelante pour une permission spéciale de produire sa comparution et sa déclaration d'appel incident. Pourvoi accueilli.

Pierre Delisle, c.r., et Jacques Flynn, c.r., pour l'appelante.

Viateur Bergeron, c.r., pour les intimées.

//Le juge L'Heureux-Dubé//

Le jugement de la Cour a été rendu par

Le juge L'Heureux‑Dubé -- Dans une affaire d'évaluation municipale, le Bureau de révision de l'évaluation foncière du Québec rendait, le 29 avril 1986, une décision accueillant les plaintes portées par l'appelante contre l'évaluation municipale de ses immeubles, situés dans la ville de Sainte‑Foy, pour les années 1981 à 1984 inclusivement. Les intimées s'étant pourvues en appel devant la Cour provinciale (maintenant la Cour du Québec), celle‑ci rendait jugement le 1er septembre 1987, accueillant l'appel pour partie seulement ([1988] R.J.Q. 184). Les intimées logeaient, le 29 septembre 1987, un appel de plein droit à la Cour d'appel du Québec par dépôt d'une inscription en appel au greffe de la Cour provinciale, conformément à l'art. 495 du Code de procédure civile du Québec, L.R.Q., ch. C‑25. Le 5 octobre 1987, dans les délais prescrits par l'art. 499 C.p.c., l'appelante faisait signifier aux procureurs des intimées une procédure intitulée: "Comparution et appel incident" qu'elle déposait au greffe de la Cour provinciale.

Le 24 août 1989, s'appuyant sur les art. 2 et 502 C.p.c., l'appelante saisissait la Cour d'appel du Québec d'une requête intitulée: "Pour permission spéciale de produire sa "comparution et appel incident"" alléguant, entre autres, le défaut du greffe de la Cour provinciale de transmettre au greffe de la Cour d'appel du Québec la "comparution et appel incident" y déposée le 5 octobre 1987. Le 27 octobre 1989, la Cour d'appel du Québec à la majorité rejetait cette requête, le juge Malouf étant dissident, d'où le présent appel.

La seule question que pose ce pourvoi a trait au pouvoir de la Cour d'appel du Québec de corriger la situation créée par le fait que l'appel incident a été logé au greffe de la Cour provinciale et qu'il n'a pas été transmis à la Cour d'appel du Québec dans le délai prescrit. À cet égard, l'art. 523 C.p.c. est au c{oe}ur du litige:

523. La Cour d'appel peut, si les fins de la justice le requièrent, permettre à une partie d'amender ses actes de procédure, de mettre en cause une personne dont la présence est nécessaire, ou encore, en des circonstances exceptionnelles, de présenter, selon le mode qu'elle indique, une preuve nouvelle indispensable.

Elle a tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de sa juridiction, et peut rendre toutes ordonnances propres à sauvegarder les droits des parties; elle peut même, nonobstant l'expiration du délai prévu à l'article 494, mais pourvu qu'il ne se soit pas écoulé plus de six mois depuis le jugement, accorder une permission spéciale d'appeler à la partie qui démontre qu'elle a été, en fait, dans l'impossibilité d'agir plus tôt. Toutefois, un jugement rendu dans les circonstances prévues à l'article 198.1 ne peut faire l'objet d'une telle permission.

L'appelante avance comme argument principal à l'appui de son pourvoi que, selon les dispositions du Code de procédure civile applicables à l'appel incident, elle était en droit de déposer sa comparution et son avis d'appel incident au greffe de la Cour provinciale et qu'il appartenait au greffier de cette cour de transmettre la procédure au greffe de la Cour d'appel du Québec, ce qu'il a négligé de faire.

La Cour d'appel n'a pas retenu ce moyen, la majorité se contentant simplement d'affirmer à cet égard:

L'intimée a, en temps utile, rédigé et fait signifier une déclaration d'appel incident ainsi qu'une comparution mais les a produites au greffe du mauvais tribunal, soit celui de la Cour provinciale au lieu du greffe de la Cour d'appel (art. 499 et 500 C.p.c.).

. . .

Tout ceci l'intimée le réalise, c'est pourquoi elle cherche appui sur les articles 2 et 502 C.p.c. Ces dispositions permettent une application large des règles de procédure et l'article 502 autorise la correction d'irrégularités dans la procédure d'appel "pourvu, toutefois, que l'inscription ait été dûment signifiée et déposée". [Je souligne.]

et le juge Malouf, dissident:

Il n'y a aucun doute que les procureurs de l'intimée ont fait une erreur en déposant leur comparution et appel incident au greffe de la Cour du Québec au lieu du greffe de la Cour d'appel.

Comme argument subsidiaire, l'appelante nous propose que, s'il y a eu erreur, cette erreur n'est ni matérielle ni juridictionnelle mais de nature purement procédurale. En conséquence, la Cour d'appel, en vertu de la discrétion qui lui est conférée par les art. 2, 502 et 523 C.p.c., avait le pouvoir de corriger cette simple irrégularité.

La majorité de la Cour d'appel n'a pas non plus retenu cet argument, étant d'opinion que:

En l'espèce, il ne s'agit cependant pas d'un vice de procédure, d'une technicalité, d'une irrégularité dans la procédure mais de la perte d'un droit substantif, d'une forclusion, d'une prescription.

Le droit d'appel est un droit substantif, un droit d'exception qui (sauf pour question d'excès de juridiction de la Cour supérieure, ce qui n'est pas ici le cas, (1982) 1 R.C.S. 589, Goodman c. Rompkey et autre), n'existe que si créé spécifiquement par une disposition législative et que dans la mesure qui y est prévue (1950) R.C.S. 412, à la p. 428, Welch c. R. Le délai pour l'exercer, stipulé à la disposition qui crée le droit d'appel, en constitue une partie intégrante et partant tient du droit substantiel et non de la procédure. Le droit d'appel, assorti d'un délai pour l'exercer, n'a qu'une existence limitée; s'il n'est pas exercé dans le délai prescrit, lorsque le délai est de rigueur comme dans l'espèce (C.p.c. annoté, p. 574, Provencher c. Bélanger; 1986 R.D.J. 137, Les Prévoyants du Canada c. Marcotte), et que les dispositions correctives spécifiques ne s'appliquent plus, il est irrémédiablement perdu, périmé, forclos.

. . .

En l'espèce, la déclaration d'appel incident ayant été déposée au greffe du tribunal de première instance au lieu du greffe de la Cour d'appel et n'ayant pas été transmise à la Cour d'appel par le greffier de la Cour de première instance, la Cour ne peut que constater la nullité, la non‑existence de l'appel incident et la forclusion du droit d'appel de l'intimée. Plus de six mois s'étant écoulés depuis le jour du jugement, vu la limite de six mois imposée à l'article 523 C.p.c., la Cour d'appel ne possède aucun pouvoir lui permettant de proroger le délai d'appel en l'espèce.

C'est d'ailleurs ce que notre Cour a déjà décidé dans un cas portant sur un appel incident, à toutes fins utiles similaire (l'appel incident déposé au greffe de la Cour de première instance fut transmis, mais tardivement au greffe des appels), Hansford c. Létourneau (5 Q.A.C. 193, à la p. 197). Monsieur le juge Paré, avec qui ses collègues furent d'accord, concluait en ces termes:

"Enfin il ne s'agit pas là d'une simple question de délai de procédure, comme le soutient l'appelant incident sur la demande en garantie; il s'agit d'une question de juridiction. C'est l'existence même du droit d'appel qui est en jeu et notre cour ne peut, en dehors des moyens prévus à l'art. 523 C.p., passer outre la déchéance du droit d'appel."

Le juge Malouf, pour sa part, a exprimé l'avis contraire en ces termes:

La partie intimée a agi avec diligence en formulant son appel incident avant l'expiration du délai prévu dans le Code. En l'espèce, le défaut de produire les dites procédures au greffe de la Cour d'appel est dû uniquement à l'erreur des procureurs de l'intimée. Qui plus est, le personnel du greffe de la Cour du Québec, qui savait ou aurait dû savoir que la cause avait été portée en appel aurait pu corriger cette erreur en faisant parvenir au greffe de la Cour d'appel les dites pièces de procédure. Je vois mal comment dans de telles circonstances on peut empêcher l'intimée de plaider sa cause devant nous.

L'appel principal est toujours devant notre Cour. Selon l'intimée, l'appel principal ainsi que l'appel incident soulèvent des questions sérieuses. Les appelantes ne prétendent pas que l'appel incident est futile. Elles n'ont présenté aucune procédure pour rejeter l'appel incident.

Je suis d'avis que le législateur en adoptant les dispositions des articles 2, 502 et 523 a voulu donner à notre Cour le pouvoir de corriger une telle situation. Selon moi, ces dispositions visent à corriger une telle situation. Il serait vraiment tragique de nier à l'intimée l'opportunité de plaider sa cause.

Selon les intimées, la majorité de la Cour d'appel n'a pas commis d'erreur en ce qu'elle a suivi une jurisprudence constante de la Cour d'appel, sur laquelle les intimées appuient leurs prétentions, invoquant en outre les dispositions du Code de procédure civile.

Analyse

Avant d'entrer dans le vif du sujet, il m'apparaît utile de rappeler les principes qui doivent chapeauter un débat de la nature de celui qu'on soulève ici.

Le Code de procédure civile, L.R.Q., c. C‑25 (auparavant S.Q. 1965, ch. 80), est entré en vigueur le 1er septembre 1966. Il procédait à un complet remaniement de l'ancien Code, et donnait suite aux rapports présentés par les commissaires chargés de sa rédaction, qui s'en sont expliqués à la p. IVa du texte annoté du Bill 20: Code de procédure civile (1965):

Le grief le plus souvent formulé contre le Code porte sur la complexité des règles qu'il édicte et sur son formalisme excessif. Sans doute, des formalités sont nécessaires, et pour empêcher que l'administration de la justice ne soit laissée à la fantaisie des plaideurs ou à l'arbitraire du juge, et pour assurer aux parties un débat loyal, à l'abri des surprises de l'adversaire. Mais encore faut‑il que ces formalités soient limitées à celles qui sont nécessaires pour que soient atteintes les fins qui les justifient; autrement, le formalisme pourrait compromettre les droits mêmes que la procédure a pour mission de sauvegarder, et il risquerait de faire du chemin de la justice un véritable labyrinthe. Or, c'est justement ce que l'on reproche au code actuel, qui porte encore la marque d'une époque où la procédure n'était pas encore suffisamment considérée dans son véritable rôle d'auxiliaire du droit substantiel.

L'article 2 C.p.c. est d'ailleurs explicite à cet égard:

2. Les règles de procédure édictées par ce code sont destinées à faire apparaître le droit et en assurer la sanction; et à moins d'une disposition contraire, l'inobservation de celles qui ne sont pas d'ordre public ne pourra affecter le sort d'une demande que s'il n'y a pas été remédié alors qu'il était possible de le faire. Ces dispositions doivent s'interpréter les unes par les autres et, autant que possible, de manière à faciliter la marche normale des procès, plutôt qu'à la retarder ou à y mettre fin prématurément.

et les commissaires l'ont eux‑mêmes signalé dans les commentaires relatifs à l'art. 2 susmentionné (à la p. 1a):

Ce texte exprime formellement dans quel sens les règles du nouveau code devraient être appliquées et interprétées. Cette disposition conforme à l'esprit de la réforme, contribuera, de l'avis des Commissaires, à donner à la procédure l'orientation nouvelle souhaitée.

Notre Cour a eu l'occasion d'appliquer la philosophie "remédiatrice" de ce nouveau code à plusieurs reprises, en particulier par la voix du juge Pigeon dans l'arrêt Hamel c. Brunelle, [1977] 1 R.C.S. 147, aux pp. 153 et 154. De même, dans l'arrêt Duquet c. Ville de Sainte‑Agathe‑des‑Monts, [1977] 2 R.C.S. 1132, où il écrit à la p. 1140:

En effet, la pensée dominante qui a inspiré tout le nouveau Code c'est le désir d'enterrer le vieil adage que "la forme emporte le fond". Ils [les commissaires] l'ont exprimé formellement dans l'art. 2 . . .

Et aux pp. 1141 et 1142:

Comme j'ai déjà eu l'occasion de le signaler, lorsque la décision sur une question de forme a pour conséquence qu'un justiciable est privé d'un droit important, elle cesse d'être vraiment une question de forme et devient une question de droit, (voir Barrette c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 121). C'est pourquoi cette Cour n'a pas hésité à intervenir sur des questions de procédure dans de telles circonstances comme elle l'a fait dans: Frank c. Alpert, Basarsky c. Quinlan, Ladouceur c. Howarth, Witco Chemical Co. c. Oakville, General Foods c. Struthers, Hamel c. Brunelle. [Références omises.]

Dans l'arrêt Bowen c. Ville de Montréal, [1979] 1 R.C.S. 511, le juge Pigeon rappelle de nouveau l'approche libérale avec laquelle il y a lieu d'interpréter le Code de 1965 en ces termes, à la p. 519:

D'un autre côté cette Cour ne saurait approuver l'attitude formaliste de la Cour d'appel. Cela serait contraire à un principe fondamental qui est à l'origine de l'art. 50 de la Loi sur la Cour suprême comme de la réforme de la procédure civile effectuée par le Code de 1965 et qui a été consacré par de nombreux arrêts dont le dernier est Cité de Pont Viau c. Gauthier Mfg. Ltd. Ce principe, c'est qu'une partie ne doit pas être privée de son droit par l'erreur de ses procureurs, lorsqu'il est possible de remédier aux conséquences de cette erreur sans injustice à l'égard de la partie adverse. Dans les circonstances, il me paraît qu'il y a lieu de permettre à l'appelant de faire les procédures nécessaires pour faire adjuger sur ses conclusions en nullité de l'expropriation sur lesquelles les cours d'instance inférieure ne se sont pas prononcées.

Ceci dit, il est évident que, tout formalisme indu écarté, les dispositions impératives du Code de procédure civile doivent être respectées, la procédure judicieusement observée demeurant une garantie additionnelle du respect des droits des justiciables. Ceci est particulièrement vrai en matière d'appel où le droit d'appel est une création statutaire dont l'existence même est soumise à des règles précises, comme le souligne d'ailleurs la majorité de la Cour d'appel. C'est ce que décidait le juge Pratte dans l'arrêt Cité de Pont Viau c. Gauthier Mfg. Ltd., [1978] 2 R.C.S. 516, confirmant la Cour d'appel sur ce point, lorsqu'il écrit à la p. 519:

En ce qui a trait à la requête pour rejet d'appel elle devait nécessairement être accueillie. En effet, un appel n'est formé que si, dans le délai prévu à l'art. 494 C.p.c., l'inscription est déposée au greffe du tribunal de première instance et signifiée à la partie adverse ou à son procureur. Dans l'espèce, l'inscription, si elle a été déposée au greffe de la Cour supérieure, n'a cependant jamais été signifiée à l'intimée ou à ses procureurs. L'un des deux éléments essentiels à la formation de l'appel faisait donc défaut; il ne s'agit pas d'une simple formalité dont la Cour d'appel peut permettre la correction (art. 502 C.p.c.). La Cour d'appel a donc eu raison d'accorder la requête de l'intimée pour rejet de l'appel formé par l'appelante. [Souligné dans l'original.]

Toute la question est donc ici de savoir si, dans le cas qui nous occupe, la Cour d'appel pouvait exercer son pouvoir discrétionnaire pour corriger le défaut dans l'inscription de l'appel incident ou si elle était liée par les dispositions impératives de l'art. 523 C.p.c. qui traitent de l'appel.

Il y a donc lieu d'examiner et l'argument principal et l'argument subsidiaire que nous propose l'appelante à cet égard.

1. Le dépôt de l'appel incident

Selon l'appelante, l'art. 500 C.p.c. étant silencieux quant à l'endroit où doit être formé l'appel incident, la règle prévue à l'art. 495 C.p.c., qui régit le dépôt de l'appel principal, trouve application.

L'article 495 C.p.c. énonce:

495. L'appel est formé par le dépôt au greffe du tribunal de première instance, dans le délai prévu par l'article 494, d'un exemplaire et de deux copies d'une inscription signifiée à la partie adverse ou à son procureur.

L'article 500 C.p.c. pour sa part prescrit:

500. Sans préjudice de son droit d'interjeter lui‑même appel en la manière et dans le délai prévu par les articles 494 et 495, l'intimé peut former appel incident, sans autre formalité qu'une déclaration, signifiée à la partie adverse et produite en même temps que son acte de comparution, qu'il demande la réformation, en sa faveur, du jugement frappé d'appel; cette déclaration doit contenir les conclusions recherchées par l'intimé et un énoncé sommaire des moyens qu'il prévoit utiliser.

Par contre, l'art. 499 C.p.c. prévoit que la comparution en appel doit se faire au greffe des appels. Si, comme le prétend l'appelante, en l'absence d'indication plus précise à l'art. 500, l'appel incident doit suivre les mêmes règles de formation que l'appel principal, on ne voit pas bien pourquoi les règles de comparution seraient différentes pour l'un et l'autre. Et ce, d'autant plus que l'art. 500 suit immédiatement l'art. 499 et tous deux concernent la comparution.

Qui plus est, il semblerait pour le moins incongru que la comparution et l'appel incident, qui doivent selon l'art. 500 C.p.c. être produits en même temps, doivent l'être à deux endroits différents qui, selon les districts judiciaires, peuvent être à des distances considérables l'un de l'autre. Une interprétation qui mènerait à ce résultat ne me semble pas soutenable. Il est à noter, au surplus, qu'ici la comparution et l'appel incident sont rédigés dans un seul et même document, d'où l'on peut présumer que l'appelante elle‑même prenait pour acquis que les deux procédures devaient être déposées au même greffe.

Finalement, la pratique constante au Québec a toujours voulu que le dépôt de l'appel incident se fasse au greffe des appels. La simple logique le mandate en ce que, selon l'art. 498 C.p.c.:

498. Sitôt déposée l'inscription en appel, le protonotaire doit en transmettre une copie au greffe des appels, à Québec ou à Montréal, selon le cas, et une au juge qui a rendu le jugement frappé d'appel. Il doit aussi et sans délai, préparer et certifier, de la manière prescrite par les règles de pratique de la Cour d'appel, le dossier de la cause, un inventaire des pièces qui le composent et une copie des entrées faites aux registres, pour être transmis au greffe des appels aussitôt que possible.

Il m'apparaîtrait illogique, en effet, que le dépôt de la comparution et de l'appel incident doivent se faire ailleurs que là où l'inscription en appel et le dossier se retrouvent. Rien, par ailleurs, dans l'art. 498 C.p.c. n'oblige le protonotaire à transmettre au greffe des appels "sitôt déposés la comparution et l'appel incident" contrairement à ce qui est le cas pour l'appel principal. Il aurait, évidemment, pu le faire, mais, sous l'angle des dispositions du Code de procédure civile, le reproche qu'on lui adresse ne saurait remédier au problème auquel l'appelante fait face présentement.

L'obligation faite à un appelant principal d'inscrire son appel au greffe du tribunal de première instance est logique puisque c'est là où le dossier se trouve à ce moment. Tel n'est pas nécessairement le cas, cependant, lors de la comparution et la formation de l'appel incident. La règle contraire est plus conforme à la réalité et c'est ainsi que la pratique courante l'a comprise et appliquée.

On ne saurait, à mon avis, s'inspirer de l'absence de formalisme auquel est soumis l'appel incident depuis le Code de 1965, pour prétendre qu'en l'absence de disposition claire, on doive mettre de côté une pratique établie et qui n'entre pas en conflit, loin de là, avec les nouvelles dispositions. Les commissaires ont d'ailleurs eux‑mêmes indiqué les motifs pour lesquels ils ont suggéré les modifications apportées, motifs qui n'ont rien à voir avec les prétentions de l'appelante à cet égard:

Par ailleurs, l'article 500 prévoit que l'intimé pourra former appel incident sans autre formalité qu'une simple déclaration produite en même temps que son acte de comparution, ce qui aura pour conséquence d'éviter ces appels faits à la dernière heure pour empêcher les contre‑appels.

(Bill 20: Code de procédure civile, à la p. 99a.)

Si tant est qu'il faille s'attarder à l'argument que l'appelante tire de l'art. 494 C.p.c., j'estime qu'il ne saurait résister à l'examen. Les extraits pertinents de l'article se lisent:

494. La demande pour permission d'appeler [. . .] est présentée par requête accompagnée d'une copie du jugement et des pièces de la contestation, si elles ne sont pas produites dans le jugement. Elle doit indiquer la durée de l'enquête et de l'audition en première instance, les conclusions recherchées par l'appelant et un énoncé sommaire des moyens qu'il prévoit utiliser.

La requête doit être signifiée à la partie adverse et produite au greffe dans les 30 jours de la date du jugement; elle doit être présentée à un juge de la Cour d'appel aussitôt que possible.

. . .

Tout autre appel doit être formé dans les trente jours de la date du jugement à moins [qu'. . .] un délai plus court ne soit prévu dans une autre loi.

Ces délais sont de rigueur et emportent déchéance; ils courent contre la couronne et contre toutes personnes, y compris les incapables et les absents dont les représentants ou ceux qui doivent les assister ont été dûment mis en cause. [Je souligne.]

Les mots "tout autre appel" qui, selon l'appelante s'appliqueraient à l'appel incident, me paraissent plutôt s'adresser à l'appel principal lorsqu'il est formé de plein droit (non soumis à une autorisation préalable) ou au contre‑appel (auquel réfère d'ailleurs l'art. 500 C.p.c.). L'interprétation qui voudrait que l'appel incident soit couvert sous ce vocable rendrait inutile la disposition de l'art. 500 qui prévoit un délai de dix jours (délai de comparution prévu à l'art. 499) pour former l'appel incident et non pas le délai de trente jours stipulé à l'art. 494 C.p.c.

Pour tous ces motifs, j'estime que c'est à tort que l'appel incident a été logé au greffe de première instance. En conséquence, l'appelante ne saurait réussir sur son moyen principal.

2. L'article 502 C.p.c.

La requête de l'appelante invoque à son soutien les art. 2 C.p.c. (cité précédemment) et 502 C.p.c. Ce dernier se lit ainsi:

502. En tout état de cause, le tribunal ou, entre les sessions, l'un de ses juges, peut permettre de corriger, dans le délai et aux conditions qu'il détermine, toute irrégularité, quelle qu'elle soit, dans la procédure d'appel, pourvu, toutefois, que l'inscription en appel ait été dûment signifiée et déposée. [Je souligne.]

Si l'appelante avait réussi sur son moyen principal, l'art. 502 C.p.c. aurait pu lui venir en aide. Or, comme ce moyen n'est pas retenu, il faut conclure que l'inscription en appel n'a pas été "dûment signifiée et déposée" et conséquemment l'art. 502 C.p.c. ne trouve pas application.

3. L'article 523 C.p.c.

Cet article a déjà fait couler beaucoup d'encre et suscité nombre d'arrêts tant de la Cour d'appel que de notre Cour (voir, par exemple, Hamel c. Brunelle, précité; Cité de Pont Viau, précité; St‑Hilaire c. Bégin, [1981] 2 R.C.S. 79; Cégep André Laurendeau c. Adanox Ltée, [1982] C.A. 253; Microlab Inc. c. Dauphin, [1983] C.A. 269; Béland c. Scott, [1983] R.D.J. 456 (C.A.); Longmoor Building Co. (Quebec) Ltd. c. Main Plumbing & Heating Supplies Co., [1984] C.A. 82; Nelson International of Canada Ltd. c. Béton Provincial Ltée, [1984] C.A. 260; Saratoga Construction Ltée c. Horne, [1984] R.D.J. 352 (C.A.); Junk c. Schellwald, [1986] R.D.J. 608 (C.A.); Hansford c. Létourneau (1987), 5 Q.A.C. 193; Gersten c. Luxenberg, [1987] R.J.Q. 533 (C.A.)). De cette jurisprudence, il appert qu'en général, la Cour d'appel a eu tendance à adopter une interprétation stricte alors que notre Cour a démontré un penchant pour la tendance contraire.

Il est intéressant, dans un litige qui le met directement en cause, de retracer l'origine de l'art. 523 C.p.c.

L'ancienne règle voulait l'observance stricte et rigoureuse du délai de trente jours pour l'inscription en appel. L'article 1248 du Code de procédure civile de la province de Québec (1897), remplacé dans le nouveau Code par l'art. 523 C.p.c., ne permettait aucune dérogation puisqu'il énumérait les seuls cas où la Cour d'appel pouvait intervenir:

1248. La cour d'appel peut exercer tous les pouvoirs nécessaires à sa juridiction, et rendre les ordonnances qu'elle juge convenables pour suppléer aux défectuosités du dossier, pour arrêter toute procédure en cour inférieure dans une cause portée en appel, pour régler les cas où un cautionnement doit être donné ou renouvelé, et pour prévoir à tous les cas où la loi ne fournit pas un remède spécifique à la partie.

C'est ce qui faisait dire au juge Montgomery de la Cour d'appel (Cité de Pont Viau c. Gauthier Mfg. Ltd., C.A. Montréal, no 500‑09‑000260‑760, 27 mai 1976, non rapporté mais cité par le juge Pratte dans l'arrêt Cité de Pont Viau, précité, à la p. 527):

[traduction] . . . la partie à un litige, qui a eu gain de cause, a le droit de considérer le jugement prononcé en sa faveur comme définitif si aucun avis d'appel ne lui est signifié dans un délai de trente jours.

C'était là, en effet, avant l'entrée en vigueur du Code de 1965, la philosophie sous‑jacente à la rigidité du délai de trente jours.

Les commissaires ont voulu, en adoptant l'art. 523 nouveau, adoucir la règle comme ils l'expriment eux‑mêmes:

3. Les Commissaires proposent le maintien du délai de trente jours pour l'inscription en appel, mais l'article 523 du projet donne à la Cour le pouvoir d'accorder, pendant six mois, une permission spéciale d'appeler, à la partie qui démontre qu'elle a été, en fait, dans l'impossibilité d'agir dans le délai prévu. Cette réserve est la même que celle édictée par l'article 484 du projet pour la requête en rétractation. Ce même article 523 accorde du reste à la Cour d'appel, d'une façon générale, des pouvoirs analogues à ceux que possède la Cour Suprême, ce qui n'est que normal, comme l'ont souligné plus d'une fois les juges de la Cour Suprême eux‑mêmes.

(Bill 20: Code de procédure civile, à la p. 99a.)

Depuis, notre Cour a eu l'occasion d'interpréter l'art. 523 C.p.c. à quelques reprises. Dans l'arrêt Hamel c. Brunelle, précité, le juge Pigeon, commentant l'art. 523 C.p.c. dans le cadre d'une demande d'amendement rejetée par la Cour d'appel du Québec, fait les remarques suivantes aux pp. 153 et 154:

À mon avis, il importe d'intervenir pour faire respecter la volonté du législateur québécois d'abroger le vieil adage que "la forme emporte le fond". Pour ne citer que des arrêts récents, c'est le rejet du formalisme injuste qui a motivé l'intervention de cette Cour sur des questions de procédure dans Frank c. Alpert, [1971] R.C.S. 637, 17 D.L.R. (3d) 491; Basarsky c. Quinlan, [1972] R.C.S. 380, 24 D.L.R. (3d) 720; Ladouceur c. Howarth, [1974] R.C.S. 1111, 41 D.L.R. (3d) 416; Witco Chemical Co. c. Oakville, [1975] 1 R.C.S. 273, 43 D.L.R. (3d) 413. Quand la décision sur une question de forme a pour conséquence qu'un justiciable perd son droit, elle cesse d'être une question de forme et devient une question de droit. Ce n'est une question de forme qu'en autant qu'un remède est possible, non quand cela emporte le droit. C'est pourquoi ici, on ne peut considérer le point comme une simple question de procédure.

Reprenant le même thème dans l'arrêt Duquet, précité, le même juge faisait des observations similaires dans l'extrait que j'ai déjà cité.

Le juge Pratte dans l'arrêt Cité de Pont Viau, précité, pose la question suivante à la p. 522:

La question dans l'espèce est donc de savoir si la Cour d'appel a correctement interprété l'art. 523 C.p.c. lorsqu'elle a décidé que l'erreur de l'avocat n'avait pas entraîné l'impossibilité d'agir de la part de l'appelante.

Une telle interprétation de l'art. 523 C.p.c. est‑elle fondée? C'est ce que nous allons maintenant voir.

L'article 523 C.p.c. est de droit nouveau.

pour y répondre selon l'esprit du nouveau Code (à la p. 528):

L'article 523 C.p.c. permet précisément d'accorder, à certaines conditions, une permission spéciale d'appeler dans les six mois de la date d'un jugement. C'est donc seulement à l'expiration de ce délai de six mois qu'un jugement de la Cour supérieure acquiert, en vertu du nouveau Code, la même force de chose jugée qu'il avait sous l'ancien Code, à l'expiration d'un délai de trente jours.

Je suis donc d'avis que l'appelante a démontré qu'elle avait été "en fait, dans l'impossibilité d'agir plus tôt".

Bref, plus particulièrement en ce qui concerne des requêtes pour amendements et prolongation des délais pour produire un appel dans les six mois de jugement, notre Cour a accordé à une partie, privée de son droit d'appel par l'erreur de son avocat, la permission demandée. Ce faisant, la Cour a élargi la notion "d'impossibilité d'agir". Elle a également signalé que la discrétion conférée à la Cour d'appel par l'art. 523 C.p.c. doit être exercée pour sauvegarder les droits des parties, à moins que l'erreur ou l'omission de la requérante ou de son avocat n'aient des conséquences irréparables pour l'autre partie au litige. Dans l'arrêt le plus récent de notre Cour sur la portée de l'art. 523 C.p.c., St‑Hilaire c. Bégin, précité, où il s'agissait d'une requête pour produire un appel après le délai prévu à l'art. 494, alors que l'avocat de la partie requérante avait été empêché de déposer son avis d'appel dans le délai imparti à cause du transfert du dossier de la Cour supérieure à un autre greffe, le juge Lamer (maintenant Juge en chef) a conclu aux pp. 87 et 88:

En procédant à l'exercice de sa discrétion, [la Cour d'appel] doit de façon générale, comme le veut l'art. 523, chercher "à sauvegarder les droits des parties". Comme nous avons un système où les parties sont adversaires et dont les droits respectifs sont plus souvent qu'autrement en situation de conflit, il va de soi que la Cour devra donner priorité aux droits des uns par rapport et souvent au détriment de ceux des autres. À cette fin la Cour doit s'inspirer des premiers mots de l'art. 523 et choisir, lorsqu'un choix s'impose, la sauvegarde des droits des parties selon que le requièrent "les fins de la justice".

S'inspirant de l'arrêt Cité de Pont Viau, la Cour d'appel du Québec a, pour sa part, accueilli des requêtes sous l'art. 523 pour prorogation du délai pour dépôt de l'avis d'appel principal (voir, par exemple, Microlab Inc. c. Dauphin, précité).

Par ailleurs, dans Prévoyants du Canada, Assurance générale c. Marcotte, [1986] R.D.J. 137, le juge Monet, au nom de la Cour d'appel, a accueilli une requête en rejet de l'appel incident en raison de sa tardiveté. Il écrivait aux pp. 137 et 138:

Un appel incident est un appel.

Le droit d'appel est accordé par un texte législatif. L'exercice du droit d'appel est assujetti à différentes conditions prévues par la loi. Certaines conditions sont rigoureuses. Le délai pour faire appel, tant sous le Code actuel que sous son prédécesseur, est de rigueur.

. . .

Dans un cas comme dans l'autre, l'acte d'appel doit contenir les conclusions recherchées et un énoncé sommaire des moyens que l'appelant prévoit utiliser. Essentiellement, la différence entre l'appel prévu à l'article 494 C.P. et l'appel prévu à l'article 500 C.P. est un délai additionnel. Néanmoins, dans un cas comme dans l'autre, les délais sont de rigueur.

De même, dans l'affaire Hansford c. Létourneau, précitée, la Cour d'appel a déterminé qu'un appel incident ne pouvait être logé après le délai de six mois prévu à l'art. 523 C.p.c. vu l'absence de juridiction de la Cour. Selon le juge Paré, à la p. 197:

Enfin, il ne s'agit pas là d'une simple question de délai de procédure, comme le soutient l'appelant incident sur la demande en garantie; il s'agit d'une question de juridiction. C'est l'existence même du droit d'appel qui est en jeu et notre cour ne peut, en dehors des moyens prévus à l'article 523 C.p., passer outre la déchéance du droit d'appel.

C'est sur cette toile de fond qu'il y a lieu de décider si la Cour d'appel a eu raison, en l'espèce, d'interpréter l'art. 523 C.p.c. de manière à priver l'appelante de son droit d'appel incident.

En premier lieu, il y a lieu de souligner la discrétion que confère l'art. 523 C.p.c. à la Cour d'appel, discrétion aussi large que de "rendre toutes ordonnances propres à sauvegarder les droits des parties". C'est la règle générale. L'article 523 ne prévoit que deux exceptions: celle relative à l'art. 494 C.p.c. ainsi que celle qui a trait à l'art. 198.1 C.p.c.

Il va de soi que, compte tenu de ce qui précède, la règle générale doit recevoir une interprétation large et libérale et l'exception, au contraire, une interprétation stricte.

On constate, dès le départ, qu'il n'est fait aucune mention de l'art. 500 C.p.c. à l'art. 523 C.p.c. On serait donc tenté de conclure dès maintenant que la règle générale discrétionnaire doit s'appliquer.

Une analyse plus poussée confirmera, selon moi, ce qui paraissait évident à première vue.

Pour conclure, comme le font les intimées, que l'art. 523 C.p.c. prohibe toute prolongation du délai d'appel incident au‑delà de six mois depuis la date du jugement, on assimile l'appel incident à l'appel principal, tant sur le plan juridictionnel que sur le plan matériel.

L'argument part du principe que l'appel incident est un appel en soi. Personne ne le nie et la Cour d'appel l'a d'ailleurs affirmé à plusieurs reprises (Cousineau c. Le Bihan, [1967] B.R. 945; Emblem Investments Ltd. c. Moretti, [1969] B.R. 977; Frères des Écoles Chrétiennes de Montréal c. DuMesnil, [1973] C.A. 264; Ville de Villeneuve c. Drapeau, [1975] R.P. 309; Sauvé Construction Ltée c. Langsner‑Fuhrer Inc., [1976] R.P. 39; Prévoyants du Canada, Assurance générale, précité; Société immobilière du Canada (Vieux‑Port de Québec) Inc. c. Éole II Inc., [1987] R.D.J. 605) comme l'a fait la majorité de la Cour d'appel dans le présent appel.

À mon avis, le fait que l'appel incident soit un appel véritable, un appel en soi selon la phraséologie de la jurisprudence, appel qui subsiste au cas d'abandon de l'appel principal, n'entraîne pas nécessairement la conclusion que le délai qui prévaut en matière d'appel principal, qu'on a qualifié de délai de rigueur, soit de même nature que celui qui prévaut en matière d'appel incident.

Pour arriver à cette conclusion, la Cour d'appel qualifie le droit d'appel incident de droit substantiel et affirme que le délai pour l'exercer "en constitue une partie intégrante et partant tient du droit substantiel et non de la procédure". Je ne partage pas cette façon de voir.

L'article 494 C.p.c. s'adresse uniquement à l'appel principal et au contre‑appel. Il n'est nullement question de l'appel incident qui, lui, est régi, quant à sa formation, uniquement par l'art. 500 C.p.c.

Si les délais prévus à l'art. 494 C.p.c. "sont de rigueur et emportent déchéance", rien de tel à l'art. 500 C.p.c. Ce dernier ne peut être "un délai plus court" comme le mentionne l'art. 494 parce qu'il ne rencontre pas l'autre condition, soit être "prévu dans une autre loi".

Si l'appel principal formé dans les délais prévus à l'art. 494 C.p.c. confère juridiction à la Cour d'appel et, à moins que ce délai ne soit étendu en vertu du deuxième alinéa de l'art. 523, la prive de sa juridiction lorsque le délai est expiré, une fois cette juridiction acquise, peu importe qu'il y ait ou non appel incident, cette juridiction demeure. Comment peut‑on alors parler de droit substantif, juridictionnel, dans le cas d'un appel incident? En l'absence d'appel principal, aucun appel incident n'est possible et si l'appel incident subsiste une fois l'appel principal abandonné, ce n'est qu'à cause de la juridiction initialement conférée par l'appel principal. Autrement, une partie, qui aurait pu former dans les délais un contre‑appel, juridictionnel, lui, se verrait privée de ses recours du seul fait d'avoir emprunté la voie de l'appel incident.

Il m'apparaît que le législateur, pour ces raisons, n'a jamais voulu assimiler l'appel incident à l'appel principal et n'avait d'ailleurs aucune raison de le faire. Une fois l'appel principal logé dans les délais, la juridiction de la Cour d'appel est préservée envers et contre tous, appelants incidents comme intervenants. L'article 500 C.p.c. ne faisant pas partie des deux exceptions mentionnées à l'art. 523 et la logique ainsi que la philosophie sous‑jacente au système d'appel ne le requérant pas, il n'y a pas lieu d'ajouter au texte de l'art. 500 ni de l'art. 523 dont l'interprétation se veut large, libérale et non formaliste.

Je conclus donc que l'argument subsidiaire de l'appelante doit être accueilli.

Ayant déterminé que le délai prévu pour loger l'appel incident n'étant ni de rigueur ni de déchéance et l'art. 500 C.p.c. ne faisant pas partie des exceptions prévues à l'art. 523, la Cour d'appel avait le pouvoir d'exercer la discrétion que lui confère l'art. 523 C.p.c. de "rendre toutes ordonnances propres à sauvegarder les droits des parties".

4. Exercice de la discrétion prévue à l'art. 523 C.p.c.

Munie du pouvoir de le faire, la Cour d'appel devait‑elle, dans les circonstances de ce pourvoi, exercer cette discrétion en faveur de l'appelante?

Le juge Pigeon dans l'arrêt Hamel, précité, a écrit au sujet d'un pouvoir discrétionnaire, précisément celui prévu à l'art. 523 C.p.c., à la p. 156:

À mon avis, lorsqu'on lit ensemble toutes les dispositions du nouveau Code de procédure civile touchant les amendements, il devient évident que le législateur a vraiment voulu, comme les commissaires le suggéraient, que l'on permette aussi bien en appel qu'en première instance tout amendement nécessaire pour juger le litige objectivement, autrement dit pour que la procédure reste la servante de la justice et n'en devienne jamais la maîtresse. Il est vrai qu'il s'agit ici d'un pouvoir discrétionnaire mais il ne faut pas oublier que c'est d'une discrétion judiciaire qu'il s'agit. Par conséquent, le tribunal a le devoir de l'exercer et c'est refuser de l'exercer que d'opposer un refus pour un motif mal fondé en droit (Smith & Rhuland Ltd. c. La Reine). D'ailleurs, même sous le régime de l'ancien Code de procédure, la jurisprudence était fixée en ce sens que l'on ne doit pas refuser un amendement nécessaire sans motif valable. [Je souligne.]

Tout comme le juge Pigeon, dans l'arrêt ci‑dessus, qui n'a trouvé aucun motif valable de refuser l'amendement, le juge Pratte dans l'arrêt Cité de Pont Viau, précité, énumère certains critères favorables à l'exercice de la discrétion prévue à l'art. 523 C.p.c., à la p. 528:

Je suis également d'avis qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce d'accorder à l'appelante la permission spéciale d'appeler qu'elle recherche. Aucune faute ou négligence ne lui est reprochée; la requête pour permission a été présentée avec diligence; l'intimée ne prétend pas qu'il s'agit d'un appel futile; la cause qui a été inscrite et jugée en même temps que celle‑ci a elle‑même été portée en appel. Je n'ai aucune hésitation à dire qu'il s'agit bien ici d'un cas où la discrétion prévue à l'art. 523 C.p.c. doit être exercée de façon favorable à la partie forclose.

Appliquant ces guides à l'espèce, il est clair que, sans l'exercice de cette discrétion, l'appelante sera privée de son droit d'appel, d'où le préjudice évident. Par contre, les intimées ne sauraient prétendre à un préjudice quelconque. La comparution et l'avis d'appel incident leur ont été signifiées dans le délai prescrit. Elles étaient au courant dès lors des intentions de l'appelante et de ses prétentions et, en conséquence, n'ont subi dans les faits aucun préjudice du dépôt de cet avis à un endroit plutôt qu'à un autre. Ceci est tellement vrai que les intimées ne se sont jamais rendu compte de cette lacune du dossier ou, du moins, n'ont adopté aucune procédure en rejet de l'appel incident. C'est l'appelante qui a fait les démarches pour rectifier la situation.

Comme c'était le cas dans l'arrêt Bowen, précité, il serait injuste de priver une partie de son droit "lorsqu'il est possible de remédier aux conséquences de cette erreur sans injustice à l'égard de la partie adverse" (p. 519). De même, comme dans l'arrêt Cité de Pont Viau, précité, les intimées ne prétendent pas qu'il s'agit d'un appel incident futile. Finalement, les conclusions du juge Lamer dans l'arrêt St‑Hilaire, précité, me paraissent applicables à l'espèce, à la p. 88:

Dans le cas qui nous occupe, la partie adverse n'a pas subi de préjudice. Elle a reçu copie des procédures dès le 20 mai; elle a même comparu en appel et entamé des pourparlers avec ses adversaires pour la confection du dossier en appel. Je ne vois dans le fait que la production fut faite au dossier plutôt qu'au greffe rien qui puisse causer à l'intimé un préjudice; par contre les conséquences sont drastiques pour les appelants.

Comme le souligne avec justesse le juge Malouf, il n'existe ici, à mon avis, aucun motif de refuser d'exercer la discrétion prévue à l'art. 523 C.p.c. en faveur de l'appelante. La Cour d'appel ne l'ayant pas exercée, il y a lieu pour nous de rendre la décision que la Cour d'appel aurait dû rendre à cet égard.

Je suis donc d'avis d'accueillir le pourvoi, d'infirmer l'arrêt de la Cour d'appel et d'accorder à l'appelante une permission spéciale pour produire au greffe des appels du Québec, district de Québec, sa comparution et son avis d'appel incident dans les dix jours de la date du présent jugement.

Quant aux dépens du présent pourvoi et de ceux de la requête de l'appelante devant la Cour d'appel, ils seront à la charge de l'appelante.

Pourvoi accueilli.

Procureurs de l'appelante: Pothier, Bégin & Associés, Ste‑Foy.

Procureurs des intimées: Alain, Tardif & Associés, Québec.

*C.A. Québec, no 200-09-000569-878, 27 octobre 1989 (les juges Bernier, Malouf et Rothman).


Synthèse
Référence neutre : [1992] 1 R.C.S. 426 ?
Date de la décision : 13/02/1992
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Procédure civile - Appel - Appel incident - Comparution et déclaration de l'appel incident déposées au greffe de la cour de première instance au lieu du greffe des appels - Requête pour permission spéciale de produire la comparution et la déclaration au greffe des appels présentée à la Cour d'appel deux ans après le jugement de première instance - Les articles 2 et 502 C.p.c. sont‑ils applicables en l'espèce? - Dans la négative, la Cour d'appel pouvait‑elle exercer son pouvoir discrétionnaire prévu à l'art. 523 C.p.c. pour corriger le défaut dans l'inscription de l'appel incident? - Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C‑25, art. 494, 499, 500, 502, 523.

En septembre 1987, les intimées ont interjeté appel d'un jugement de la Cour provinciale en déposant, comme le prévoit l'art. 495 C.p.c., un inscription en appel au greffe de cette cour. Quelques jours plus tard, l'appelante a signifié aux intimées une procédure intitulée "Comparution et appel incident" qu'elle a également déposée au greffe de la Cour provinciale. En août 1989, l'appelante a présenté devant la Cour d'appel une requête en vue d'obtenir une permission spéciale pour produire sa comparution et déclaration de l'appel incident alléguant, entre autres, que le greffe de la Cour provinciale avait négligé de transmettre au greffe de la Cour d'appel la comparution et la déclaration déposées en octobre 1987. La Cour d'appel, à la majorité, a rejeté cette requête. La cour a constaté qu'en vertu des art. 499 et 500 C.p.c. la déclaration de l'appel incident et la comparution auraient dû être produites au greffe de la Cour d'appel, et non au greffe du tribunal de première instance. Puisque plus de six mois s'étaient écoulés depuis le jugement de la Cour provinciale, la Cour d'appel a conclu qu'elle ne possédait aucun pouvoir lui permettant de proroger le délai d'appel en vertu de l'art. 523 C.p.c.

Devant la Cour, l'appelante a soutenu principalement qu'en vertu des dispositions du Code de procédure civile applicables à l'appel incident, elle avait le droit de déposer sa comparution et la déclaration de l'appel incident au greffe de la Cour provinciale et qu'il appartenait au greffier de cette cour de transmettre la procédure au greffe de la Cour d'appel. Comme argument subsidiaire, l'appelante a prétendu que, s'il y avait eu erreur, cette erreur n'était ni matérielle ni juridictionnelle mais de nature purement procédurale. La Cour d'appel avait donc le pouvoir de corriger cette simple irrégularité en vertu des art. 2, 502 et 523 C.p.c.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

La comparution et la déclaration de l'appel incident auraient dû être déposées au greffe de la Cour d'appel. Bien que l'art. 500 C.p.c. soit silencieux quant à l'endroit où doit être formé l'appel incident, l'art. 499 C.p.c. prévoit que la comparution en appel doit se faire au "greffe des appels". Il serait étrange que la comparution et la déclaration, qui doivent selon l'art. 500 être produites "en même temps", le soient à deux endroits différents. La pratique constante au Québec a toujours voulu que la déclaration de l'appel incident soit déposée au greffe des appels. En effet, la simple logique demande que la comparution et la déclaration soient produites là où l'inscription en appel et le dossier se retrouvent. C'est donc à tort que l'appelante a déposé sa comparution et sa déclaration au greffe de la cour de première instance. Puisque l'inscription en appel n'a pas été "dûment signifiée et déposée", l'art. 502 C.p.c. est inapplicable en l'espèce.

La Cour d'appel a erré en interprétant l'art. 523 C.p.c. de manière à priver l'appelante de son droit d'appel incident. Cet article confère à la Cour d'appel un large pouvoir discrétionnaire qui lui permet de "rendre toutes ordonnances propres à sauvegarder les droits des parties". Sauf les exceptions relatives aux art. 494 et 198.1, cette règle générale doit recevoir une interprétation large et libérale. Puisque l'art. 500 C.p.c., qui régit la formation de l'appel incident, ne fait pas partie des exceptions prévues à l'art. 523, la Cour d'appel avait donc le pouvoir d'exercer sa discrétion pour corriger l'erreur procédurale commise par l'appelante, même si plus de six mois s'étaient écoulés depuis la date du jugement de la Cour provinciale. Bien qu'un appel incident soit un appel, les règles applicables ne sont toutefois pas identiques à celles de l'appel principal. Contrairement aux délais prévus à l'art. 494 C.p.c. pour l'appel principal, le délai pour interjeter un appel incident n'est ni de rigueur ni de déchéance. Une fois l'appel principal interjeté dans les délais, la juridiction de la Cour d'appel est acquise, peu importe qu'il y ait ou non un appel incident.

En l'espèce, il n'existe aucun motif valable de refuser d'exercer la discrétion prévue à l'art. 523 en faveur de l'appelante. Il est clair que, sans l'exercice de cette discrétion, l'appelante sera privée de son droit d'appel et subira un préjudice. Par contre, les intimées ne sauraient prétendre à un préjudice quelconque. La comparution et la déclaration de l'appel incident leur ont été signifiées dans le délai prescrit. Elles étaient au courant dès lors des intentions de l'appelante et de ses prétentions. Il serait donc injuste de priver une partie de son droit lorsqu'il est possible de remédier aux conséquences d'une erreur sans injustice à l'égard de la partie adverse. De plus, les intimées ne prétendent pas qu'il s'agit d'un appel incident futile.


Parties
Demandeurs : Québec (Communauté urbaine)
Défendeurs : Services de santé du Québec

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés: Hamel c. Brunelle, [1977] 1 R.C.S. 147
Duquet c. Ville de Sainte‑Agathe‑des‑Monts, [1977] 2 R.C.S. 1132
Bowen c. Ville de Montréal, [1979] 1 R.C.S. 511
Cité de Pont Viau c. Gauthier Mfg. Ltd., [1978] 2 R.C.S. 516
St‑Hilaire c. Bégin, [1981] 2 R.C.S. 79
Cégep André Laurendeau c. Adanox Ltée, [1982] C.A. 253
Microlab Inc. c. Dauphin, [1983] C.A. 269
Béland c. Scott, [1983] R.D.J. 456
Longmoor Building Co. (Quebec) Ltd. c. Main Plumbing & Heating Supplies Co., [1984] C.A. 82
Nelson International of Canada Ltd. c. Béton Provincial Ltée, [1984] C.A. 260
Saratoga Construction Ltée c. Horne, [1984] R.D.J. 352
Junk c. Schellwald, [1986] R.D.J. 608
Hansford c. Létourneau (1987), 5 Q.A.C. 193
Gersten c. Luxenberg, [1987] R.J.Q. 533
Prévoyants du Canada, Assurance générale c. Marcotte, [1986] R.D.J. 137
Cousineau c. Le Bihan, [1967] B.R. 945
Emblem Investments Ltd. c. Moretti, [1969] B.R. 977
Frères des Écoles Chrétiennes de Montréal c. DuMesnil, [1973] C.A. 264
Ville de Villeneuve c. Drapeau, [1975] R.P. 309
Sauvé Construction Ltée c. Langsner‑Fuhrer Inc., [1976] R.P. 39
Société immobilière du Canada (Vieux‑Port de Québec) Inc. c. Éole II Inc., [1987] R.D.J. 605.
Lois et règlements cités
Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25, art. 2, 198.1 [aj. 1985, ch. 29, art. 9], 494 [mod. 1982, ch. 32, art. 35
mod. 1983, ch. 28, art. 19
mod. 1989, ch. 41, art. 1], 495 [mod. 1979, ch. 37, art. 16], 498 [rempl. idem, art. 19], 499 [rempl. 1982, ch. 32, art. 37
mod. 1989, ch. 41, art. 2], 500 [rempl. 1979, ch. 37, art. 20], 502, 523 [mod. 1985, ch. 29, art. 11].
Code de procédure civile de la province de Québec (1897), art. 1248.
Doctrine citée
Québec. Assemblée législative de Québec. Bill 20: Code de procédure civile. Québec: Imprimeur de la Reine, 1965.

Proposition de citation de la décision: Québec (Communauté urbaine) c. Services de santé du Québec, [1992] 1 R.C.S. 426 (13 février 1992)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1992-02-13;.1992..1.r.c.s..426 ?
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