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28/02/1991 | CANADA | N°[1991]_1_R.C.S._449

Canada | R. c. Barnes, [1991] 1 R.C.S. 449 (28 février 1991)


R. c. Barnes, [1991] 1 R.C.S. 449

Philip Ben Barnes Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Barnes

No du greffe: 21956.

1990: 31 octobre; 1991: 28 février.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin et Stevenson.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1990), 54 C.C.C. (3d) 368, qui a accueilli un appel, a annulé l'arrêt des procédures pronon

cé par le juge Leggatt de la Cour de comté et a ordonné la tenue d'un nouveau procès. Pourvoi rejeté, le juge L'Heureu...

R. c. Barnes, [1991] 1 R.C.S. 449

Philip Ben Barnes Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Barnes

No du greffe: 21956.

1990: 31 octobre; 1991: 28 février.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin et Stevenson.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1990), 54 C.C.C. (3d) 368, qui a accueilli un appel, a annulé l'arrêt des procédures prononcé par le juge Leggatt de la Cour de comté et a ordonné la tenue d'un nouveau procès. Pourvoi rejeté, le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente en partie, le juge McLachlin est dissidente.

Peter M. Kendall, pour l'appelant.

S. David Frankel, c.r., pour l'intimée.

//Le juge en chef Lamer//

Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges Wilson, La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory et Stevenson rendu par

Le juge en chef Lamer — Le présent pourvoi exige l'examen de la défense de provocation policière que notre Cour a définie dans l'arrêt R. c. Mack, [1988] 2 R.C.S. 903. Il s'agit, en particulier, de déterminer si l'accusé a fait l'objet à Vancouver d'une opération menée par une policière en civil visant à éprouver au hasard la vertu des gens. Est également soulevée la question de savoir si notre Cour a compétence pour modifier, à la demande du ministère public, la décision d'une cour d'appel qui a accueilli l'appel formé par le ministère public contre l'arrêt des procédures prononcé au procès.

Les faits

Le 12 janvier 1989, l'appelant a vendu un gramme de haschisch à une policière en civil près du secteur de Granville Mall, à Vancouver. Les parties ne contestent pas les faits entourant la vente, que voici.

La policière en civil participait à une opération "achat bidon" menée par le service de police de Vancouver. Dans ce genre d'opération, les policiers en civil tentent d'acheter des drogues illicites à des individus qu'ils croient susceptibles d'en vendre. Si la tentative réussit, l'individu est immédiatement arrêté pour trafic de drogues.

L'opération qu'avait entreprise en l'espèce le service de police visait la zone de Granville Mall, à Vancouver, qui couvre six pâtés de maisons de la rue Granville. Le jour de l'arrestation, la policière en civil s'est approchée de l'accusé, Philip Barnes, et de son ami qui marchaient en direction de la rue Granville. Dans son témoignage au procès, la policière a déclaré avoir ainsi abordé l'accusé et son ami parce qu'elle avait [traduction] "l'intuition, le pressentiment qu'ils — avaient peut‑être de la drogue en leur possession". Elle pensait que l'accusé et son ami correspondaient à la description de personnes susceptibles d'avoir de la drogue et de consentir à lui en vendre. [traduction] "J'avais un pressentiment, a‑t‑elle dit, ils correspondaient à mes critères généraux. Je cherchais des individus de sexe masculin en train de rôder, l'air débraillé, qui portent des jeans, une veste en jean ou en cuir, des tennis ou des bottes noires, et qui ont tendance à dévisager les gens." D'après la policière, rien d'autre n'avait éveillé ses soupçons.

La policière a abordé l'accusé en lui demandant s'il avait de [traduction] "l'herbe". Il a répondu que non, sur quoi son ami lui a répété: [traduction] "Elle veut de l'herbe." L'accusé a répondu de nouveau par la négative. Devant l'insistance de la policière, l'accusé a alors accepté de lui vendre une petite quantité de résine de cannabis pour 15 $. Peu après, l'accusé était arrêté par un autre policier et on saisissait sur lui de faibles quantités de résine de cannabis et de marijuana.

Au terme de son procès devant le juge Leggatt de la Cour de comté de Vancouver, l'accusé a été déclaré coupable de trafic de résine de cannabis, de l'infraction comprise de possession de résine de cannabis à des fins de trafic, ainsi que de possession de marijuana. L'accusé a reconnu avoir vendu des drogues illicites à la policière, mais il a fait valoir que la cour devrait prononcer l'arrêt des procédures pour cause de provocation policière. Il a soutenu qu'il n'avait aucunement l'intention de vendre de la drogue ce jour‑là mais qu'il avait eu pitié de la policière en civil; il avait accepté de vendre uniquement parce qu'il croyait que son ami voulait rencontrer une femme et que c'était une façon de faire connaissance. Le juge du procès a conclu que la policière avait cherché à [traduction] "éprouver au hasard la vertu des gens", pratique inacceptable suivant l'arrêt Mack, précité, de notre Cour. Il a en conséquence ordonné l'arrêt des procédures.

La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a accueilli l'appel du ministère public et a ordonné un nouveau procès.

Jugements des juridictions inférieures

Cour de comté de Vancouver (le juge Leggatt)

S'appuyant sur l'arrêt de notre Cour R. c. Mack, précité, le juge Leggatt de la Cour de comté de Vancouver a conclu que la policière en civil avait cherché à "éprouver au hasard la vertu des gens" et il a, en conséquence, ordonné l'arrêt des procédures.

Le juge du procès a fondé sa décision sur deux conclusions principales. Premièrement, il a estimé que l'enquête policière n'avait pas délimité de façon assez précise la zone géographique où l'on pensait que des crimes seraient commis. L'accusé a été abordé à une certaine distance du secteur précis où se déroulait le plus souvent le trafic de stupéfiants. Deuxièmement, le juge du procès a conclu que, d'après les faits, la policière n'avait pas de motifs raisonnables de soupçonner l'accusé de faire le trafic de drogues illicites. Il a déclaré:

[traduction] Granville Mall, réputé pour être une zone où le trafic de drogues est très actif, est également connu à Vancouver sous le nom de "Theatre Row". Situé au centre de la ville de Vancouver, il comprend un fort secteur d'activités commerciales variées, dont une grande partie orientée vers l'industrie du spectacle. Plusieurs cinémas se trouvent dans la zone piétonnière.

Si l'on examine les critères qu'a utilisés la policière en civil pour choisir les personnes qu'elle allait aborder pour essayer de les inciter à se livrer au commerce de la drogue, on s'aperçoit qu'elle décrit ainsi un fort pourcentage de jeunes citoyens dont la présence s'explique par des motifs parfaitement légitimes. Avant l'achat de la drogue, on n'a observé de la part de [l'accusé] ou de son compagnon aucune conduite susceptible de faire raisonnablement soupçonner qu'ils se livraient déjà à une activité criminelle. Le secteur spécifique où s'est effectué l'achat se trouve à une certaine distance de la zone décrite par le sergent d'état‑major comme étant la plus densément fréquentée par les trafiquants de drogues, soit l'entrée du train surélevé donnant sur la rue Granville. Aucune preuve n'indique qu'on ait observé [l'accusé] ou son compagnon en train de se conduire de façon suspecte.

Le juge Leggatt n'a pas cru nécessaire d'examiner s'il y avait eu mauvaise foi de la part de la policière, étant donné sa conclusion qu'elle avait cherché à éprouver au hasard la vertu des gens:

[traduction] Je ne tire aucune conclusion de mauvaise foi, mais il n'est pas raisonnable, d'après les faits de l'espèce, de soupçonner que chacune des personnes correspondant aux critères généraux établis par la policière en civil se livre au trafic de drogues. Vu le caractère très général de ces critères, le fait que l'individu ne se trouvait pas au c{oe}ur même du trafic de drogues, et le fait qu'il n'y a pas eu d'observation antérieure de la conduite pouvant mener à une inférence raisonnable de culpabilité, je suis d'avis que cette policière en civil cherchait à éprouver au hasard la vertu des gens comme l'a expliqué le juge Lamer. Et d'après la jurisprudence, cette pratique est manifestement inacceptable.

La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (le juge Hinkson au nom de la Cour) (1990), 54 C.C.C. (3d) 368

La Cour d'appel a infirmé le jugement de la Cour de comté, décidant qu'en droit, les faits ne donnaient pas ouverture à une inférence raisonnable de provocation policière.

Le juge Hinkson a rejeté la prétention de l'accusé suivant laquelle le service de police était tenu de limiter son enquête aux [traduction] "secteurs cibles spécifiques de la rue piétonnière" les plus susceptibles d'être le foyer de crimes liés à la drogue. À son avis, les policiers étaient en droit de faire porter leur enquête sur tout le territoire de Granville Mall. Il a ainsi déclaré, aux pp. 372 et 373:

[traduction] À mon avis, l'arrêt Mack n'appuie pas cette prétention. La preuve produite au procès a révélé que les ventes de stupéfiants avaient lieu tout le long de la rue piétonnière et c'est pourquoi la policière en civil s'y promenait en abordant certaines personnes et en leur fournissant l'occasion de lui vendre des drogues illicites.

En concluant que l'accusé avait été incité à faire le trafic de la résine de cannabis par suite d'une provocation de la policière en civil, le juge du procès a fondé sa décision sur le fait que l'agent ne pouvait raisonnablement soupçonner que l'accusé vendait de la drogue. Mais il a négligé le fait que la policière en civil menait une véritable enquête sur les activités criminelles se déroulant dans le secteur de Granville Mall et qu'elle était donc en droit d'offrir à l'accusé l'occasion de lui vendre de la drogue. Ce faisant, elle ne cherchait pas à éprouver au hasard la vertu des gens comme l'a expliqué le juge Lamer dans l'arrêt Mack.

La cour a, en conséquence, ordonné la tenue d'un nouveau procès pour déterminer s'il y avait eu provocation policière suivant le second volet du critère de l'arrêt Mack, c'est‑à‑dire [traduction] "pour déterminer si, par sa conduite, l'agent en civil a fait plus que fournir une occasion et a incité à perpétrer l'infraction".

Analyse

La policière cherchait‑elle à éprouver au hasard la vertu des gens?

Pour trancher ce pourvoi, notre Cour doit déterminer si la conduite de la policière en civil était acceptable compte tenu des principes directeurs établis dans l'arrêt Mack, précité. Dans cet arrêt, je me suis efforcé de définir les circonstances dans lesquelles la conduite des policiers, dans l'investigation et la répression du crime, cesse d'être acceptable et devient une provocation inacceptable. La défense de provocation policière est fondée sur l'idée que des restrictions doivent être imposées à la capacité de la police de participer à la perpétration d'une infraction. En règle générale, la société s'attend à ce que la police concentre ses efforts sur l'investigation des activités criminelles qui ont lieu sans sa participation.

J'ai résumé dans l'arrêt Mack, aux pp. 964 et 965, le critère à deux volets de la provocation policière. Ce moyen de défense peut être invoqué quand:

a) les autorités fournissent à une personne l'occasion de commettre une infraction sans pouvoir raisonnablement soupçonner que cette personne est déjà engagée dans une activité criminelle, ni se fonder sur une véritable enquête;

b) quoiqu'elles aient ce soupçon raisonnable ou qu'elles agissent au cours d'une véritable enquête, les autorités font plus que fournir une occasion et incitent à perpétrer une infraction.

. . .

L'absence de soupçon raisonnable ou de véritable enquête est significative pour évaluer la conduite de la police, en raison du danger que cette dernière n'entraîne des gens, qui autrement n'auraient été impliqués dans aucun crime, et parce qu'on ne doit pas avoir recours à la force policière simplement pour éprouver au hasard la vertu des gens.

Il est manifeste que la policière en l'espèce ne pouvait pas "raisonnablement soupçonner" que l'accusé était déjà engagé dans une activité illégale liée à la drogue. Les facteurs qui ont attiré son attention vers cet accusé en particulier — sa tenue vestimentaire, la longueur de ses cheveux — ne suffisaient pas pour susciter un soupçon raisonnable que des actes criminels étaient commis. De plus, le caractère subjectif de la décision de la policière d'aborder l'accusé, fondée sur une "intuition" ou un "pressentiment" et non sur une preuve extrinsèque, indique aussi que l'accusé n'avait pas, de par son propre comportement, fait naître un soupçon raisonnable.

Par conséquent, la conduite de la policière en l'espèce équivaudra à de la provocation, à moins qu'elle n'ait fourni à l'accusé l'occasion de vendre de la drogue au cours d'une véritable enquête. Or, à mon avis, la policière en question était engagée dans une telle enquête. En premier lieu, il ne fait aucun doute que sa conduite était motivée par l'objectif réel d'enquêter et de réprimer des activités criminelles. Le service de police avait des motifs raisonnables de croire que des crimes liés à la drogue étaient perpétrés dans tout le secteur de Granville Mall. L'accusé n'a donc pas été abordé pour des motifs contestables, non reliés à l'investigation et à la répression du crime.

En second lieu, le service de police a concentré son enquête sur un secteur approprié de la ville de Vancouver. Comme je l'ai souligné dans l'arrêt Mack, précité, la police peut fournir l'occasion de commettre un crime donné à des personnes qui sont associées à un lieu où l'on peut raisonnablement soupçonner que se déroulent des activités criminelles. J'ai dit, à la p. 956:

Bien sûr, dans certains cas, la police peut connaître l'identité d'individus précis, sans connaître certains autres faits, comme un lieu ou une zone particuliers qu'on peut raisonnablement suspecter d'être le théâtre d'une certaine activité criminelle. Dans ces cas, il est tout à fait permis de fournir des occasions à ceux qui sont associés aux lieux suspectés même si ces gens ne sont pas eux‑mêmes soupçonnés.

En l'espèce, le service de police a concentré son enquête sur un secteur de Vancouver, soit une partie de la rue Granville, sur une longueur d'environ six pâtés de maisons, qu'il suspectait raisonnablement d'être le foyer de crimes liés à la drogue. À mon avis, la police n'aurait pu s'attaquer efficacement au problème si elle s'était restreinte à un secteur plus limité. Le trafic de drogues était certes particulièrement actif dans certaines zones de Granville Mall, mais ce commerce se pratiquait généralement, il est vrai, dans tout le secteur. Il est aussi vrai que les trafiquants n'opéraient pas en un seul lieu. Il serait irréaliste que les policiers concentrent leur enquête en un seul endroit particulier de la rue piétonnière étant donné la tendance des trafiquants de modifier leurs techniques en réponse aux enquêtes policières. Le juge du procès a admis que le Mall était [traduction] "connu comme zone où le trafic de drogues est très actif". De même, la Cour d'appel s'est appuyée sur la déposition au procès du sergent d'état‑major de la police municipale de Vancouver. Parlant des activités du service de police en 1988, le sergent Davis a fourni les indications suivantes, à la p. 370:

[traduction]

a)Sur les 2 294 personnes accusées d'infractions liées à la drogue, approximativement 22 pour 100 étaient associées à des incidents survenus dans le secteur de Granville Mall;

b)Sur 506 arrestations effectuées sur la rue piétonnière, il est résulté 659 accusations dont 289 pour trafic, 199 pour possession aux fins de trafic;

c)On a procédé à 315 arrestations à la suite d'opérations "achat bidon", et on a porté 475 accusations.

La Cour d'appel en a conclu, à la p. 372:

[traduction] La preuve produite au procès révélait que les ventes de stupéfiants avaient lieu tout le long de la rue piétonnière et c'est pourquoi la policière en civil se promenait en abordant certaines personnes et en leur fournissant l'occasion de lui vendre des drogues illicites.

Je suis par conséquent d'avis que le service de police était, dans les circonstances, engagé dans une véritable enquête.

Je souligne que dans bien des cas l'étendue du secteur indique qu'il s'agit d'une véritable enquête. Ce sera en particulier le cas quand il existe des motifs de croire que l'activité criminelle visée par l'enquête est concentrée dans une partie du secteur choisi par la police. En l'espèce toutefois, pour les motifs qui précèdent, il était raisonnable de la part des services de police de Vancouver de centrer leur enquête sur Granville Mall.

L'accusé fait valoir que, bien que la policière en civil ait été engagée dans une véritable enquête, elle cherchait néanmoins à éprouver au hasard la vertu des gens, étant donné qu'elle a abordé l'accusé sans raisonnablement soupçonner qu'il était susceptible de commettre une infraction reliée à la drogue. Elle l'a abordé pour la simple raison qu'il marchait près de la rue Granville.

Avec égards, j'estime que cet argument repose sur une interprétation erronée de l'arrêt Mack. Je reconnais que certains de mes propos dans cet arrêt peuvent être à l'origine de cette interprétation erronée. Pour reprendre un passage déjà cité, j'affirme en particulier, à la p. 956:

Dans ces cas [où il y a un lieu particulier qu'on peut raisonnablement suspecter d'être le théâtre d'une certaine activité criminelle], il est tout à fait permis de fournir des occasions à ceux qui sont associés aux lieux suspectés même si ces gens ne sont pas eux‑mêmes soupçonnés. Cette dernière situation n'est seulement justifiée que si la police procède à une véritable enquête et ne cherche pas à éprouver la vertu des gens.

Cet énoncé ne doit pas être interprété comme signifiant que la police ne peut, au cours d'une véritable enquête, aborder les gens au hasard pour leur fournir l'occasion de commettre une infraction. La règle fondamentale qui se dégage de l'arrêt Mack est que la police ne peut fournir l'occasion de commettre un crime donné qu'à un individu dont la conduite fait naître le soupçon qu'il est déjà engagé dans une activité criminelle particulière. Il y a exception à cette règle dans les cas où la police entreprend une véritable enquête dans un secteur dont on peut raisonnablement soupçonner qu'il est le théâtre d'activités criminelles. Lorsque ce secteur est défini avec suffisamment de précision, la police peut fournir à toute personne qui y est associée l'occasion de commettre l'infraction en particulier. Cette façon de procéder au hasard est permise dans le cadre d'une véritable enquête.

À l'inverse, on ne peut dire d'une opération qu'elle vise à éprouver au hasard la vertu des gens que dans les cas où un policier donne à une personne l'occasion de commettre une infraction sans avoir de bonnes raisons de soupçonner:

a) que cette personne est déjà engagée dans une activité criminelle donnée; ou

b) que le lieu physique auquel la personne est associée est susceptible d'être le théâtre de cette activité criminelle.

En l'espèce, l'accusé a été abordé par la policière alors qu'il marchait près de Granville Mall. Pour qu'une personne soit, aux fins en cause, "associée" à un secteur en particulier, il suffit qu'elle y soit présente. Ainsi, l'accusé était associé à un lieu dont on pouvait raisonnablement croire qu'il était le théâtre de crimes liés à la drogue. La conduite de la policière était donc justifiée en vertu du premier volet du critère de la provocation policière énoncé dans l'arrêt Mack.

Pour ces motifs, j'estime que la policière ne cherchait pas, en l'espèce, à éprouver au hasard la vertu des gens. En conséquence, je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de confirmer l'arrêt de la Cour d'appel ordonnant un nouveau procès.

Notre Cour a‑t‑elle compétence, étant donné la conclusion que la policière ne cherchait pas à éprouver au hasard la vertu des gens, pour prononcer des déclarations de culpabilité à l'égard des trois accusations?

Comme je l'ai souligné auparavant, l'accusé a été déclaré coupable au procès de trafic de résine de cannabis, de l'infraction comprise de possession de résine de cannabis à des fins de trafic et de possession de marijuana. Le juge du procès a prononcé l'arrêt des procédures relatif aux trois infractions au motif que l'accusé avait été victime d'une provocation policière. Le ministère public a interjeté appel, faisant valoir que la Cour d'appel devait infirmer la décision du juge du procès et prononcer des déclarations de culpabilité à l'égard des trois accusations. La Cour d'appel a accueilli l'appel du ministère public, mais a ordonné la tenue d'un nouveau procès pour déterminer s'il y avait eu provocation policière en vertu du second volet du critère de l'arrêt Mack. Il y a provocation policière en vertu de ce second volet si le policier fait plus que fournir à une personne l'occasion de commettre une infraction et l'incite à perpétrer cette infraction.

Le ministère public allègue maintenant qu'ayant conclu à l'absence de provocation policière en vertu du premier volet du critère de l'arrêt Mack, notre Cour devrait prononcer des déclarations de culpabilité à l'égard des trois infractions. Cet argument présuppose qu'il ne peut être raisonnablement inféré de la preuve présentée au procès que c'est la policière qui a incité l'accusé à perpétrer l'infraction. L'accusé prétend quant à lui que notre Cour ne devrait pas accéder à la requête du ministère public puisque ce dernier n'a pas formé de pourvoi incident sur cette partie de l'ordonnance de la Cour d'appel visant la tenue d'un nouveau procès.

À mon avis, notre Cour n'a pas compétence pour modifier l'ordonnance de la Cour d'appel à la demande du ministère public, en l'absence d'un pourvoi formé par celui‑ci. Le ministère public n'était pas habilité à interjeter appel en notre Cour, de plein droit ou sur autorisation, contre l'arrêt de la Cour d'appel. Le paragraphe 693(1) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, énonce les cas où le ministère public peut se pourvoir devant notre Cour:

693. (1) Lorsqu'un jugement d'une cour d'appel annule une déclaration de culpabilité par suite d'un appel interjeté aux termes de l'article 675 ou rejette un appel interjeté aux termes de l'alinéa 676(1)a), b) ou c) ou du paragraphe 676(3), le procureur général peut interjeter appel devant la Cour suprême du Canada:

a) sur toute question de droit au sujet de laquelle un juge de la cour d'appel est dissident;

b) sur toute question de droit, si l'autorisation d'appel est accordée par la Cour suprême du Canada.

En l'espèce, la Cour d'appel a accueilli l'appel que le ministère public avait interjeté contre l'arrêt des procédures ordonné au procès. Comme notre Cour l'a souligné dans l'arrêt R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S. 128, à la p. 148, un arrêt des procédures, à toutes fins pratiques, "équivaut à un jugement ou verdict d'acquittement". Par conséquent, le ministère public n'avait, en vertu du par. 693(1), ni le droit d'interjeter appel, ni celui de demander l'autorisation d'en appeler de l'arrêt de la Cour d'appel devant notre Cour. Le ministère public ne pouvait non plus demander l'autorisation de se pourvoir en vertu du par. 40(3) de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. (1985), ch. S‑26.

Le ministère public soutient que la décision de l'accusé d'en appeler devant notre Cour met en jeu l'application du par. 695(1) du Code criminel. Ce paragraphe dispose:

695. (1) La Cour suprême du Canada peut, sur un appel aux termes de la présente partie, rendre toute ordonnance que la cour d'appel aurait pu rendre et peut établir toute règle ou rendre toute ordonnance nécessaire pour donner effet à son jugement.

Selon le ministère public, étant donné que la Cour d'appel avait compétence, en vertu du sous‑al. 686(4)b)(ii), pour prononcer des déclarations de culpabilité à l'égard des trois infractions, le par. 695(1) confère à notre Cour la même compétence. Avec égards, je ne partage pas la prétention du ministère public. Le paragraphe 695(1) n'autorise pas notre Cour à rendre, dans tous les cas, la décision qu'à son avis la Cour d'appel aurait pu et aurait dû rendre. Selon l'arrêt Guillemette c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 356, notre Cour, en vertu du par. 695(1), est compétente pour modifier une ordonnance à la demande du ministère public, lorsqu'une telle demande est faite dans un pourvoi. J'affirme dans cet arrêt, à la p. 364:

En l'absence d'un pourvoi de la Couronne nous le demandant, il ne nous est pas loisible de rendre en place et lieu de la Cour d'appel l'ordonnance que nous serions d'avis qu'elle eût dû rendre . . .

Lorsque le ministère public n'a pas formé de pourvoi, l'accusé ne peut quitter notre Cour avec moins que ce qu'il avait obtenu de la cour d'appel.

En l'absence donc d'un pourvoi du ministère public, notre Cour n'a pas compétence pour accueillir sa requête en modification de l'ordonnance prononcée à l'instance inférieure. Conclure autrement serait permettre au ministère public de se pourvoir devant nous alors que cette faculté ne lui est accordée ni par le Code criminel ni par la Loi sur la Cour suprême. Le ministère public n'est pas, de par la loi, habilité à se pourvoir devant notre Cour contre une décision qui a accueilli l'appel qu'il avait interjeté d'un verdict d'acquittement ou d'un arrêt des procédures, mais qui lui a donné moins que ce qui avait été demandé. Par conséquent, il n'existe aucune disposition législative qui permettrait au ministère public de se pourvoir contre l'arrêt de la Cour d'appel. Sans droit d'appel prévu par la loi, il n'y a pas de droit d'appel.

Dispositif

Pour les motifs susmentionnés, je suis d'avis de rejeter le pourvoi de l'accusé et de confirmer l'arrêt de la Cour d'appel ordonnant un nouveau procès.

//Le juge L'Heureux-Dubé//

Les motifs suivants ont été rendus par

Le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente en partie) — J'ai eu l'avantage de lire les motifs du Juge en chef mais je me dois de conclure différemment quant à la juridiction de notre Cour d'inscrire des déclarations de non culpabilité concernant les trois accusations à l'égard desquelles le juge du procès a prononcé la suspension des procédures. Comme je suis d'accord avec le Juge en chef sur la question de la provocation policière, je n'examinerai que la seconde question soulevée en l'espèce, soit celle de la compétence.

Les procédures

Comme le Juge en chef a exposé les faits et a résumé les jugements des tribunaux d'instance inférieure, il n'est pas nécessaire d'y revenir en détail. Toutefois, par souci de commodité, je résumerai les procédures en l'espèce.

Au procès, l'accusé a été inculpé de: (1) trafic de résine de cannabis, (2) possession de résine de cannabis dans le but d'en faire le trafic, et (3) possession de marijuana. Il a été déclaré coupable à l'égard des chefs d'accusation (1) et (3) et de l'infraction comprise de possession relativement au deuxième chef. La question au procès était de déterminer si la suspension des procédures pouvait être ordonnée parce que l'accusé avait fait l'objet de provocation policière. Le juge du procès a conclu que Barnes avait en fait été victime de provocation policière et a ordonné la suspension des procédures à l'égard des trois chefs d'accusation.

Le ministère public a interjeté appel. La Cour d'appel a accueilli l'appel et a conclu que les faits de l'espèce ne révélaient pas l'existence de provocation policière. Malgré de solides arguments contraires de la part du ministère public, la tenue d'un nouveau procès a été ordonnée sur la question de savoir si le "moyen de défense" de provocation policière, en application du deuxième volet du test établi dans l'arrêt R. c. Mack, [1988] 2 R.C.S. 903, pouvait être fondé dans les faits.

Barnes a interjeté appel "de plein droit", soit en application des dispositions de l'al. 691(2)a) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46. Comme le dit le Juge en chef, "[l]e ministère public n'était pas habilité à interjeter appel en notre Cour, de plein droit ou sur autorisation, contre l'arrêt de la Cour d'appel." Par conséquent, il n'y a pas de pourvoi a considérer comme tel de la part du ministère public en l'espèce.

Analyse

Dès le départ, il doit être clair que l'appel a été interjeté par l'accusé Barnes. Il en appelle de l'arrêt de la Cour d'appel qui a accueilli l'appel du ministère public contre la suspension des procédures et ordonné un nouveau procès. Le ministère public n'en a pas appelé devant notre Cour contre l'ordonnance de nouveau procès étant donné que le Code criminel ne prévoit pas que le ministère public puisse en appeler. Comme, à mon humble avis, le pourvoi de l'accusé devant notre Cour doit échouer sur la question de la provocation policière, il reste à déterminer si l'ordonnance de nouveau procès, prononcée par la Cour d'appel, peut être annulée et des déclarations de culpabilité inscrites, en l'absence d'appel du ministère public.

La règle générale concernant la juridiction d'appel

Comme le Juge en chef le souligne avec justesse, la règle générale est qu'une cour d'appel ne peut modifier un verdict d'acquittement ou, à tous autres égards, modifier une ordonnance, telle l'ordonnance de nouveau procès rendue en l'espèce, lorsque le ministère public ne lui a pas demandé de le faire par inscription en appel. La juridiction d'une cour d'appel est conférée entièrement par un texte de loi. Cette règle générale concernant la compétence d'une cour d'appel a été confirmée dans plusieurs arrêts récents de notre Cour. Les motifs qui justifient une telle règle sont évidents: dans le plupart des cas, procéder autrement exposerait l'accusé à un risque d'injustice ou de préjudice, en raison de l'absence d'avis concernant la portée des procédures d'appel et de l'absence d'avertissement préalable concernant le degré de péril auquel il est exposé.

Dans l'arrêt Rickard c. La Reine, [1970] R.C.S. 1022, le juge Ritchie, au nom de la majorité, a conclu qu'il importe peu que le ministère public puisse ou non interjeter appel dans les circonstances d'une affaire en particulier, mais que le "facteur déterminant" est simplement de savoir si la poursuite a interjeté appel contre l'acquittement ou l'ordonnance.

Le juge Lamer (maintenant Juge en chef) a réitéré la règle générale dans l'arrêt Guillemette c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 356, lorsque, au nom de la majorité, il écrit à la p. 361:

En ordonnant la tenue d'un nouveau procès sur l'accusation originale de meurtre au deuxième degré, la Cour d'appel annulait donc du même souffle l'acquittement implicitement prononcé par le jury sur cette accusation. Accorder ces conclusions que seule la Couronne était en droit de rechercher constitue, en l'absence d'appel par cette dernière, une erreur de droit.

Voir également R. c. Provo, [1989] 2 R.C.S. 3 à la p. 21.

Il est incontestable qu'il s'agit d'une règle d'application générale. Toutefois, il existe des situations où la philosophie sous‑jacente à cette règle est inopérante et ces situations sont traitées de manière différente pour ce qui est de l'application de la règle générale. Une de ces situations qui a déjà été reconnue par notre Cour vise la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples, ou le principe de l'arrêt Kienapple.

La règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples

Avant d'examiner ce qu'on appelle l'exception de l'arrêt Kienapple à la règle générale concernant la compétence d'une cour d'appel, il peut être utile de rappeler brièvement la nature du principe de l'arrêt Kienapple lui‑même. Le principe de la chose jugée, qui a évolué avec d'autres doctrines destinées à empêcher que l'accusé ne subisse une injustice, existe depuis longtemps en droit pénal. Ces doctrines interdisent de juger deux fois un accusé pour la même infraction. Dans l'arrêt Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729, notre Cour a étendu la formulation traditionnelle du principe de l'autorité de la chose jugée pour englober des situations dans lesquelles une personne est accusée d'infractions qui ont un rapport factuel et juridique étroit. En termes simples, la règle contre les déclarations de culpabilité multiples, ou le principe de l'arrêt Kienapple, [traduction] "propose qu'une personne ne devrait pas être soumise à plus d'une déclaration de culpabilité découlant de la même "cause ou chose" ou du même "délit" constitué d'un seul acte criminel commis dans des circonstances dans lesquelles les infractions alléguées comportent les mêmes ou essentiellement les mêmes faits et éléments", (voir Jordan, "Application and Limitations of the Rule Prohibiting Multiple Convictions: Kienapple v. The Queen to R. v. Prince" (1985), 14 Man. L.J. 341).

Comme le juge Laskin (plus tard Juge en chef) l'a fait remarquer au nom de la majorité dans l'arrêt Kienapple c. La Reine, précité, la règle formulée dans cet arrêt est une application logique du principe de l'autorité de la chose jugée. Il a souligné que d'autres concepts, comme ceux de l'autrefois convict ou de l'irrecevabilité à remettre en cause une question, suivant leur interprétation traditionnelle, ne conviennent pas pour traiter les affaires visées par la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples. Le juge Laskin a ainsi formulé la question pertinente à la p. 750:

. . . savoir si la même cause ou chose (plutôt que la même infraction) se trouve comprise dans deux infractions ou plus.

Dans l'arrêt R. c. Prince, [1986] 2 R.C.S. 480, à la p. 486, notre Cour a examiné de façon détaillée "la question de la nature et de la portée du principe de l'autorité de la chose jugée énoncé au nom de la majorité par le juge Laskin". Bien que la règle elle‑même soit demeurée intacte, le juge en chef Dickson, au nom de la Cour, a exposé en détail la nature des questions qui doivent être posées pour que la règle s'applique. Pour l'application correcte de la règle, l'examen doit mettre l'accent essentiellement sur le lien factuel et juridique existant entre les infractions.

Afin de donner un effet pratique à la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples, les tribunaux de notre pays ont élaboré une procédure par laquelle la suspension des déclarations de culpabilité est inscrite pour éviter de contrevenir à la règle. Cette question sera analysée de façon plus détaillée plus loin, ainsi que l'effet de cette procédure sur la règle générale concernant la compétence d'appel. La question principale ici est l'effet d'une telle procédure sur la compétence d'appel. Le législateur n'a pas formulé de règle qui tienne compte de cette situation, de sorte que nous devons nous en rapporter aux méthodes auxquelles ont eu recours les tribunaux pour régler les problèmes que crée cette règle.

La procédure d'application de la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples et son effet sur la règle générale concernant la compétence d'appel

En raison de l'application de la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples, une exception à la règle générale concernant les appels du ministère public et la compétence d'appel a été formulée. Cette exception a d'abord été reconnue implicitement dans l'arrêt R. v. Terlecki (1983), 4 C.C.C. (3d) 522 (C.A. Alb.), conf. par [1985] 2 R.C.S. 483, et, par la suite, de façon explicite dans l'arrêt Provo, précité. Cette exception a été reconnue pour tenir "compte des liens particuliers existant entre les infractions qui découlent d'un même délit et qui sont assujetties à un traitement spécial en vertu de la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples" (R. c. Provo, précité, à la p. 21).

Dans l'arrêt Terlecki, précité, la Cour d'appel de l'Alberta a établi la procédure à suivre dans une situation comme celle de l'affaire Kienapple. Elle a également souligné que, dans le contexte de la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples, il fallait prévoir une exception relativement à la nécessité d'un appel du ministère public contre la suspension des accusations ou contre les "acquittements". Selon la Cour d'appel de l'Alberta, la culpabilité ou l'innocence relative aux diverses accusations qui donnent lieu à l'application du principe de l'arrêt Kienapple devrait être déterminée dès le départ. Si l'accusé est reconnu coupable des accusations, la suspension conditionnelle est inscrite relativement à l'accusation la moins grave, pour éviter la violation du principe. Si l'accusé a gain de cause en appel de la déclaration de culpabilité, la cour d'appel peut, en l'absence d'un appel du ministère public, renvoyer l'affaire au juge du procès pour qu'il inscrive une déclaration de culpabilité relativement à l'accusation qui a fait l'objet d'une suspension conditionnelle mais à l'égard de laquelle la culpabilité de l'accusé a déjà été reconnue. En confirmant l'arrêt de la Cour d'appel, notre Cour a approuvé d'une manière générale la procédure établie par la Cour d'appel de l'Alberta.

Dans l'arrêt Provo, précité, le juge Wilson, au nom de la Cour, a analysé les raisons d'ordre pratique et de principe qui justifient l'utilisation d'une suspension conditionnelle dans ces circonstances et a également approuvé de façon explicite l'"exception de l'arrêt Kienapple" à la règle générale concernant la compétence des cours d'appel en raison, comme je l'ai dit précédemment, de la nature du rapport entre les infractions dans une telle situation.

Lorsque la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples s'applique, la règle générale est inopérante. L'"acquittement" à l'égard d'une ou de plusieurs accusations n'est pas un acquittement dans le sens que l'accusé n'a pas été déclaré coupable, c.‑à‑d. "que le ministère public ne se serait acquitté de son obligation de prouver les éléments de l'infraction" (voir Provo, précité, à la p. 17), mais seulement dans le sens où il existe des motifs prépondérants, mentionnés précédemment, de surseoir aux accusations. La règle générale a peu de sens dans une situation où le principe de l'arrêt Kienapple s'applique, car l'accusé est censé être au courant du fait que l'"acquittement" cesse d'avoir un effet continu et que la déclaration de culpabilité reprend tout son effet si le ministère public obtient gain de cause dans sa contestation du sursis, en interjetant appel contre l'application de la règle elle‑même, ou si l'accusé a gain de cause en appel de l'une des déclarations de culpabilité. L'"acquittement", contre lequel le ministère public doit interjeter appel suivant la règle générale, dépend du succès de l'appel du ministère public contre le sursis ou du succès de l'appel par l'accusé contre la déclaration de culpabilité. Il va sans dire que, si un appel du sursis ou de la déclaration de culpabilité est accueilli, l'"acquittement" n'a désormais plus de sens ou d'effet, car la raison initiale de son existence, le principe de l'arrêt Kienapple, a disparu. En réalité, il n'y a pas d'éléments sur lesquels le ministère public peut fonder un appel. Dans de telles circonstances, les arguments relatifs au préjudice causé à l'accusé et à l'équité envers celui‑ci ont peu de mérite.

Comment un cas de provocation policière, comme en l'espèce, se rapporte‑t‑il à la situation visée par l'arrêt Kienapple? Avant de répondre à cette question, j'examinerai la nature et la portée de l'enquête relative à la provocation policière et je déterminerai si les deux volets de cette enquête ont été ici satisfaits. De plus, la Cour d'appel était‑elle justifiée d'ordonner la tenue d'un nouveau procès sur le deuxième volet de l'enquête?

La provocation policière

Bien que l'arrêt Amato c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 418 ait été le premier à examiner véritablement la provocation policière par notre Cour, l'arrêt de principe est l'arrêt Mack, précité, dans lequel le juge Lamer (maintenant Juge en chef), au nom de la Cour, a exposé la raison d'être et les paramètres de ce qui est maintenant connu comme le "moyen de défense" de la provocation policière. C'est dans le cadre de cette analyse qu'il décrit les deux volets de cette enquête, à la p. 959:

Il y a, par conséquent, provocation policière lorsque: a) les autorités fournissent l'occasion de commettre une infraction en l'absence de soupçon raisonnable ou agissent de mauvaise foi, . . . ou b) ayant des soupçons raisonnables ou au cours d'une véritable enquête, elles ne se contentent pas de fournir une occasion de commettre une infraction mais incitent à la commettre.

Comme je l'ai déjà dit, je souscris entièrement à la façon dont le Juge en chef propose de trancher la question de la provocation policière en l'espèce. Toutefois, avant d'examiner la question de juridiction, j'analyserai brièvement le deuxième volet de l'enquête relative à la provocation policière puisqu'elle est au c{oe}ur de l'ordonnance de nouveau procès prononcée par la Cour d'appel.

L'arrêt Mack, précité, établit une distinction entre l'"incitation" à la perpétration d'une infraction et le fait acceptable de fournir une simple occasion, et définit ainsi ce qui constitue une provocation policière selon le deuxième volet du test. La question centrale, dans cette forme de provocation policière, est: "les policiers se sont‑ils contentés de fournir une occasion de commettre une infraction, en employant des techniques conçues pour inciter à la commettre ou sont‑ils allés plus loin?" (voir p. 959). Le juge Lamer souligne qu'en considérant cette question, il faut répondre en se plaçant dans la situation de "l'individu moyen, dans la position de l'inculpé" et dresse une liste non limitative de facteurs susceptibles d'aider à formuler la réponse. Cette liste comprend, notamment, des facteurs tels la persistance de la police, l'utilisation de récompenses, de tromperie ou d'exploitation, l'implication disproportionnée de la police comparée à celle de l'inculpé et l'existence de menaces, voilées ou autres.

Avant d'appliquer ce test, il convient de souligner que le juge du procès en l'espèce a décidé "de rendre une décision à l'égard de tous les chefs d'accusation, ce qui est préférable et prudent" (Provo, précité, p. 17). Il ressort du dossier et du fait que l'accusé n'a pas invoqué d'autre "moyen de défense" que la provocation policière qu'un débat sur la culpabilité de l'accusé ne se posait pas. En ce qui a trait à la provocation policière, le juge du procès n'a pas eu à déterminer si on avait satisfait au deuxième volet du test établi dans l'arrêt Mack, précité, étant donné qu'il a conclu à la provocation policière en se fondant sur le premier volet de ce test. Toutefois, il a clairement énoncé quelle partie de l'opération était pertinente à l'égard de cette question dans le passage suivant de ses motifs:

[traduction] La policière en civil participait à une opération "achat bidon" menée par le service de police de Vancouver. Elle a vu l'accusé arrêté à un feu de circulation à l'angle nord‑ouest des rues Georgia et Granville, attendant le changement du feu . . . La policière en civil s'est approchée du défendeur et lui a demandé, "As‑tu de l'herbe?" Il a répondu par la négative. Son ami lui a alors dit: "Elle veut de l'herbe." Le défendeur a examiné la policière en civil et a encore répondu par la négative. Elle a alors dit: "Allez, qu'est‑ce que tu as?" Il a dit: "Du hash. C'est de l'or." Elle a dit: "Combien?" Il a répondu: "15." "D'accord." Les trois sont allés sous un porche. Il a sorti un petit paquet et en a pris une petite partie. Elle lui a donné un billet de 20 $ identifié, a reçu 4 $ de monnaie et est repartie. Cela représente assez bien le déroulement de l'opération. [Je souligne.]

Je souscris entièrement à la description de cette opération faite par le ministère public comme étant [traduction] "très brève" et [traduction] "fournissant la plus simple occasion pour un individu de participer à une activité criminelle". Une analyse des principes juridiques pertinents applicables à la provocation policière relativement au deuxième volet du test et les conclusions de fait du juge du procès montrent à l'évidence qu'il n'y a pas de litige réel en ce qui concerne le deuxième volet du test de provocation policière. Bien que, de toute évidence, certaines questions, comme celles concernant la culpabilité ou l'innocence d'un accusé soient parsemées de difficultés en ce qui concerne son état d'esprit et, par conséquent, qu'il soit préférable de les laisser au juge du procès, ce n'est clairement pas le cas ici. Dès lors que notre Cour a rejeté les arguments de l'accusé visant le premier volet de l'enquête relative à la provocation policière, il est évident que les arguments de l'accusé sur la provocation policière sont sans fondement. En fait, le principal, voire le seul, moyen invoqué par l'accusé, selon ce qui ressort du procès, consistait à prétendre que les policiers éprouvaient au hasard la vertu des gens, et non pas que l'accusé avait été incité à commettre un crime.

Tout ce qui précède indique clairement les raisons pour lesquelles la défense a procédé de cette façon. Il ressort du dossier et de la manière dont l'accusé a mené sa défense que, si le pourvoi de l'accusé devait être rejeté, il ne pouvait s'attendre à avoir gain de cause sur aucun autre moyen ou argument relatif à la provocation policière. Dans cette optique, il est tout aussi irréaliste de prétendre que l'accusé a subi un préjudice en raison des déclarations de culpabilité que d'ordonner la tenue d'un nouveau procès dans de telles circonstances. Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, l'absence de décision de la part du juge du procès sur le deuxième volet du test de provocation policière ne peut ni empêcher l'inscription d'une déclaration de culpabilité ni justifier la tenue d'un nouveau procès sur cette question. Par conséquent, avec égards, je suis d'avis que la Cour d'appel a commis une erreur lorsqu'elle a ordonné la tenue d'un nouveau procès sur ce deuxième volet du test de provocation policière dans les circonstances de l'espèce.

Mes conclusions à cet égard sont appuyées par l'arrêt unanime R. c. Cassidy, [1989] 2 R.C.S. 345, où notre Cour a examiné le pouvoir de la Cour d'appel, aux termes du sous‑al. 613(4)b)(ii) du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34 (maintenant le sous‑al. 686(4)b)(ii)), de prononcer une déclaration de culpabilité plutôt que d'ordonner la tenue d'un nouveau procès. Le juge Lamer (maintenant Juge en chef), au nom de la Cour, a exposé, dans le contexte de l'argumentation présentée par le ministère public, les circonstances dans lesquelles une cour d'appel peut exercer à bon droit un tel pouvoir, aux pp. 354 et 355:

Le ministère public réplique que la Cour d'appel peut accueillir l'appel qu'il a interjeté contre l'acquittement prononcé par le juge du procès et substituer à celui‑ci un verdict de culpabilité, si la poursuite établit qu'une erreur de droit a été commise au procès, si elle convainc la Cour d'appel que, si le droit avait été appliqué correctement, le verdict n'aurait pas été le même, et si elle démontre en outre que l'accusé aurait été déclaré coupable n'eût été de cette erreur de droit. À cet égard, le principe reconnu en common law est que toutes les conclusions nécessaires pour justifier un verdict de culpabilité doivent avoir été tirées explicitement ou implicitement, ou ne pas être en cause. [Souligné dans l'original.]

Il est clair que ces conditions préalables existent ici. Étant donné cette conclusion, il reste à déterminer si, en écartant l'arrêt de la Cour d'appel sur ce point, notre Cour peut ordonner l'inscription de déclarations de culpabilité, en l'absence d'un appel du ministère public contre l'ordonnance de la Cour d'appel.

Situations relevant logiquement de l'exception établie dans l'arrêt Kienapple

Comme je l'ai dit au début, la règle générale concernant la compétence des juridictions d'appel est fondée sur des motifs impérieux, principalement la possibilité de causer un préjudice à l'accusé si le ministère public n'interjette pas appel. Cependant, comme le démontre l'exception de l'arrêt Kienapple, cette règle générale comporte des exceptions légitimes qui ne relèvent pas de ces préoccupations. À mon avis, la présente instance offre des raisons convaincantes de la traiter de la même façon qu'un cas relevant plus directement de cette exception. Je tenterai d'expliquer pourquoi, mais je tiens d'abord à dire clairement qu'il ne s'agit pas de mettre de côté la règle générale. Comme j'espère le démontrer, des situations similaires, comme l'illustre la présente affaire, commandent un traitement similaire. L'examen des facteurs qui m'amènent ici à ce résultat montre aussi, cependant, que cela n'aura pas pour effet de créer un nombre significatif d'inclusions dans cette "exception".

D'abord, la procédure dans un cas où s'applique l'arrêt Kienapple est semblable sous de nombreux aspects à celle d'une situation de provocation policière. Dans les deux cas, il y a une déclaration préliminaire de culpabilité relativement à l'accusation ou aux accusations. Après cette déclaration de culpabilité, le juge du procès doit se demander s'il y a lieu à suspension des procédures pour cause de provocation policière ou en raison de la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples. Si le sursis est ordonné, les accusations suspendues sont considérées comme des "acquittements" aux fins d'un appel: voir R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S. 128. La similitude des procédures dans un cas de provocation policière et de la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples, ainsi que les considérations de principe qui les justifient sont analysées par le juge Wilson, au nom de la Cour, dans l'arrêt Provo, précité, aux pp. 17 et 18:

L'accusé qui, n'eût été de l'application de la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples, serait reconnu coupable d'une infraction, ne mérite pas, à mon avis, un véritable acquittement en ce sens que le ministère public ne se serait acquitté de son obligation de prouver les éléments de l'infraction. Si, comme en l'espèce, le tribunal de première instance décide de rendre une décision à l'égard de tous les chefs d'accusation, ce qui est préférable et prudent, il est clair que tous les éléments de l'infraction auront été établis à l'encontre de l'accusé, même s'il est impossible d'inscrire une déclaration de culpabilité pour les raisons de politique générale qui sous‑tendent le principe de l'arrêt Kienapple. Les considérations de principe en l'espèce sont analogues à celles qui s'appliquent à la suspension d'instance pour cause de provocation policière. Elles visent l'intégrité et l'équité de l'administration de la justice plutôt que la culpabilité de l'accusé. [. . .] Le juge du procès devrait déterminer si l'accusé à droit à un acquittement avant d'appliquer les principes indépendants soit de la règle interdisant la provocation policière soit de celle interdisant les déclarations de culpabilité multiples. [Je souligne.]

On peut voir que, comme dans le contexte visé par l'arrêt Kienapple, la règle générale qui oblige le ministère public à interjeter appel ne s'applique pas avec autant de force dans un cas de provocation policière en raison de la nature même de la procédure et du fondement de l'"acquittement" inscrit dans ces situations dont il est question plus haut. De plus, la situation dans laquelle se trouve le ministère public après un appel interjeté par l'accusé dans un cas de provocation policière est très proche de la situation visée par l'arrêt Kienapple. Dans la plupart des cas, le ministère public n'a pas de vrais motifs d'interjeter appel. Si l'appel du ministère public réussit et si les arguments de l'accusé fondés sur la provocation policière sont rejetés en appel, le sursis est levé ou écarté et les déclarations de culpabilité sont maintenues. Comme dans une situation visée par l'arrêt Kienapple, l'"acquittement" n'a plus de valeur lorsque la question de la provocation policière est écartée et un accusé ne peut pas ignorer ce résultat inévitable. Exiger que le ministère public interjette appel de l'"acquittement" pour donner un caractère formel à cette conséquence inévitable n'est rien de plus qu'une formalité vide de sens, une formalité facilement écartée dans une situation visée par l'arrêt Kienapple. Le même résultat devrait s'imposer dans un cas de provocation policière, car il s'agit aussi d'une situation alternative.

Conclusion

En résumé, le maintien de la règle générale dans des cas de ce genre révèle du pur formalisme. L'analogie avec les cas visés par l'arrêt Kienapple montre que des circonstances similaires faisant appel à une philosophie sous-jacente similaire justifient des conclusions similaires. À mon humble avis, il n'est pas possible dans ce cas particulier de se baser sur les raisons de principe qui sous‑tendent la règle générale pour appuyer la conclusion à laquelle en est arrivé le Juge en chef. La question de l'applicabilité de la règle générale et du préjudice causé à l'accusé étant légitimement écartée, ce qui emporte l'adhésion dans ces circonstances, est l'application de la logique qui a donné lieu à l'exception établie dans l'arrêt Kienapple. Comme, dans les circonstances de l'espèce, la question de la provocation policière n'est plus en litige, il est inutile d'ordonner la tenue d'un nouveau procès, puisque le juge du procès a conclu à la culpabilité sur les trois chefs d'accusation. Par conséquent, la suspension des procédures ordonnée au procès doit être annulée et des déclarations de culpabilité doivent être inscrites, et ce, même en l'absence d'un pourvoi du ministère public devant notre Cour contre l'ordonnance de nouveau procès prononcée par la Cour d'appel sur le deuxième volet de la "défense" de provocation policière.

Dispositif

Je rejetterais le pourvoi de l'appelant, j'annulerais l'ordonnance de la Cour d'appel visant à la tenue d'un nouveau procès et je renverrais l'affaire au juge du procès pour qu'il inscrive des déclarations de culpabilité relativement aux trois chefs d'accusation et détermine la peine.

//Le juge McLachlin//

Version française des motifs rendus par

Le juge McLachlin (dissidente) — Le présent pourvoi soulève la question de savoir quand un agent de police en civil a le droit d'intervenir auprès d'une personne qui n'est soupçonnée d'aucune infraction. Dans l'arrêt R. c. Mack, [1988] 2 R.C.S. 903, notre Cour a énoncé les principes fondamentaux qui gouvernent l'intrusion d'agents d'infiltration dans la vie privée des gens. Le présent pourvoi soulève des questions concernant la portée du critère de l'arrêt Mack et son application. Avec égards, je ne puis accepter l'application du critère de l'arrêt Mack qu'a faite la Cour d'appel en l'espèce et qu'appuie mon collègue le juge en chef Lamer. Accepter cette application équivaut, à mon avis, à approuver une intrusion de l'État dans la vie privée des gens qui se situe à un niveau plus élevé que ce qui a été autorisé jusqu'à maintenant par notre Cour en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés et incompatible avec la philosophie et les principes qui ont fondé les arrêts de notre Cour R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417; R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30; R. c. Kokesch, [1990] 3 R.C.S. 3; et R. c. Wong, [1990] 3 R.C.S. 36.

J'accepte le critère de la provocation policière illégale énoncé dans l'arrêt Mack. Il y a provocation policière quand:

a) les autorités fournissent à une personne l'occasion de commettre une infraction sans pouvoir raisonnablement soupçonner que cette personne est déjà engagée dans une activité criminelle, ni se fonder sur une véritable enquête;

b) quoiqu'elles aient ce soupçon raisonnable ou qu'elles agissent au cours d'une véritable enquête, les autorités font plus que fournir une occasion et incitent à perpétrer une infraction.

En l'espèce, nous n'avons à nous prononcer que sur le dernier aspect du premier volet du critère. La policière en civil qui a accosté l'accusé n'avait pas de motif raisonnable de soupçonner que celui‑ci était engagé dans une activité criminelle. Il s'agissait seulement d'un jeune homme pas très bien mis qui traversait une rue. Il ne reste donc qu'un seul motif par lequel les policiers peuvent justifier leur conduite ‑ ils menaient une véritable enquête.

Le juge en chef Lamer conclut qu'il y avait une véritable enquête en cours, en raison de deux facteurs; (1) les actes de la policière avaient comme objet réel d'enquêter sur une activité criminelle pour la réprimer; et (2) le service de police menait son enquête à un endroit où il était raisonnable de soupçonner qu'il se déroulait des activités illégales. Il poursuit en disant que, bien que l'arrêt Mack semble affirmer le contraire, l'existence d'une véritable enquête écarte toute possibilité qu'il s'agisse d'éprouver au hasard la vertu des gens. Pour ma part, je suis d'avis que, pour décider si les policiers menaient une véritable enquête, il faut tenir compte d'autre chose que des deux facteurs mentionnés par le juge en chef Lamer. Plus précisément, il faut se demander si l'intérêt de l'État à réprimer l'activité criminelle dans un cas donné l'emporte sur l'intérêt des particuliers à pouvoir mener leur vie quotidienne sans s'exposer au risque d'être soumis à des techniques clandestines d'enquête de la part des agents de l'État. Je fonde mon point de vue sur les considérations qui justifient le concept de provocation policière illégale et sur les termes utilisés dans l'arrêt Mack.

Le raisonnement de l'arrêt Mack reconnaît que le droit relatif à la provocation policière procède d'un équilibre entre des intérêts opposés. D'une part, il y a l'intérêt du particulier, c'est‑à‑dire celui de ne pas être importuné par l'intrusion de l'État et celui de ne pas être incité par l'État à commettre une infraction (Mack, à la p. 941). D'autre part, il y a l'intérêt opposé de l'État dans la protection de la société contre la criminalité. Le juge Lamer (alors juge puîné) s'exprime ainsi dans l'arrêt Mack (aux pp. 941 et 942):

La répression de l'activité criminelle est l'intérêt social concurrent. En outre, il faut reconnaître que nous nous en remettons à la police pour qu'elle nous protège activement de l'immense coût social et personnel que représente le crime. On différera d'avis sur l'équilibre approprié à établir entre les notions d'équité et de justice et la nécessité d'une protection contre le crime, mais je suis d'avis qu'il est universellement reconnu qu'un certain équilibre est absolument essentiel dans notre conception d'une société civilisée. Pour décider où cet équilibre réside dans un cas donné, il est nécessaire de rappeler les éléments‑clés de notre modèle d'équité et de justice, puisque c'est‑là la seule manière qui nous permette de juger de la légitimité d'une technique particulière utilisée pour faire respecter la loi. [Je souligne.]

L'arrêt Mack affirme donc que, pour déterminer s'il y a provocation policière, il faut établir un équilibre entre l'intérêt du particulier à être laissé tranquille et l'intérêt de l'État à réprimer la criminalité. Les agissements de la police qui empiètent sur les intérêts des particuliers ne seront tenus pour acceptables que si des considérations d'équité, de justice et de protection contre la criminalité font pencher la balance du côté de l'État.

Il ne faut pas sous‑estimer l'importance de l'intérêt individuel en jeu en l'espèce, ni l'effet pernicieux que les techniques d'enquête policières peuvent avoir sur cet intérêt. À plusieurs reprises, notre Cour a affirmé qu'il faut imposer des limites à la capacité de l'État de s'immiscer dans la vie quotidienne des citoyens. Comme le dit le juge La Forest dans l'arrêt R. c. Dyment, précité, aux pp. 427 et 428, dans un passage approuvé par le juge Sopinka, au nom de la majorité, dans l'arrêt R. c. Kokesch, précité, "L'interdiction qui est faite au gouvernement de s'intéresser de trop près à la vie des citoyens touche à l'essence même de l'État démocratique". De plus, dans l'arrêt R. c. Wong, à la p. 53, le juge La Forest, reconnaît, pour la majorité, que notre société "privilégie le fait d'être laissé tranquille".

Pour reprendre les termes du juge La Forest dans l'arrêt Wong, précité, il s'agit pour les particuliers d'être libres de vaquer à leurs affaires ‑ faire des emplettes, aller au cinéma ou se rendre au travail ‑ pour ne citer que trois exemples, sans courir le risque d'être exposés aux techniques clandestines d'enquête des agents de l'État. Un autre risque que comportent des opérations clandestines trop étendues est celui de la discrimination dans le travail de la police, c'est‑à‑dire que des personnes sont interpellées non pas à cause de soupçons raisonnables, mais à cause de la couleur de leur peau ou, comme en l'espèce, à cause de leur tenue vestimentaire et de leur âge.

Parce que la notion de provocation illégale dépend de l'équilibre entre des intérêts opposés, il s'ensuit que le critère de la provocation doit aussi permettre d'apprécier les atteintes relatives à ces intérêts. Un critère qui ne permet pas d'évaluer l'atteinte à la liberté et à la vie privée des personnes pour déterminer s'il y a eu provocation est, dans cette mesure, insuffisant. Comme le dit le juge Lamer dans le passage cité de l'arrêt Mack, ce qu'il faut déterminer "dans un cas donné" c'est où se situe l'équilibre.

Quoique les propos du juge Lamer dans l'arrêt Mack sur ce qui constitue une véritable enquête permettent de tenir compte du droit des personnes d'être laissées tranquilles et de ne pas être incitées au crime, l'application de l'arrêt Mack qu'il propose en l'espèce ne permet pas ou presque pas de tenir compte de l'intérêt de l'individu à être laissé tranquille. Tout ce qui est exigé c'est que les policiers agissent pour un motif approprié et que l'on soupçonne l'existence d'une activité criminelle dans le secteur général visé par la police. Une fois ces conditions réalisées, il n'est pas prévu d'examiner certains facteurs essentiels pour établir l'équilibre, tels, par exemple, l'étendue de la zone visée, le nombre de personnes innocentes vaquant à des activités légitimes qui pourraient être importunées par l'opération et la gravité de l'infraction en cause.

Je propose un critère d'enquête véritable plus élaboré que celui énoncé par le juge en chef Lamer, en raison de l'inquiétude que suscitent chez moi les conséquences du critère qu'il propose. Ce critère permettrait à la police d'étendre l'opération qu'elle a menée dans Granville Mall à toute la ville de Vancouver s'il était possible de trouver des statistiques indiquant qu'il se commet des infractions relatives aux drogues dans tout Vancouver. L'exemple est excessif, mais il révèle la lacune que je vois au critère énoncé par le juge en chef Lamer. À mon avis, il faut un critère plus sensible que celui que propose le juge en chef Lamer, un critère qui permette de tenir compte de tous les facteurs pertinents.

Je conclus que, pour décider si les policiers menaient une véritable enquête au sens de l'arrêt Mack, la Cour doit tenir compte non seulement du but poursuivi par la police et de ce qu'il y a ou non une activité criminelle dans le secteur, mais aussi d'autres facteurs utiles pour déterminer l'équilibre, comme la probabilité que des infractions soient commises à l'endroit particulier visé, la gravité de l'infraction en cause, le nombre de personnes et d'activités légitimes qui peuvent être touchées et l'existence de techniques d'enquête moins envahissantes. En fin de compte, il s'agit de se demander si l'interception qui s'est produite à l'endroit précis en cause était raisonnable eu égard aux intérêts opposés, celui des particuliers d'être laissés tranquilles, d'une part, et celui de l'État de combattre la criminalité, d'autre part. Si la réponse à cette question est affirmative, il s'agit alors d'une enquête véritable.

En proposant un critère comportant la mise en balance d'intérêts opposés, je ne suis pas insensible aux critiques parfois formulées selon lesquelles les formules d'équilibration peuvent manquer de certitude et de prévisibilité et conférer aux juges un pouvoir discrétionnaire trop grand. Malgré ces critiques, une méthode d'équilibration est la seule manière logique de trouver une solution à des problèmes comme celui soulevé par l'espèce. Les formules d'équilibration permettent de faire intervenir de nombreux renseignements dans l'analyse qui, tout en étant moins que précise, est cependant de beaucoup supérieure à une décision fondée sur l'intuition. Un processus d'équilibration dans lequel des intérêts opposés sont définis et évalués les uns en regard des autres nous force à envisager carrément les véritables questions de principe mises en cause dans l'affaire, à rendre explicite ce qui autrement pourrait, à tort ou à raison, rester implicite. Notre droit constitutionnel est fondé sur la notion de définition et d'équilibration d'intérêts opposés auxquels la société attache une grande valeur. Les règles qui définissent ce droit doivent répondre aux même soucis.

En réalité, le critère que je propose fournit, selon moi, suffisamment d'indications aux policiers. Il est raisonnablement possible de prédire par exemple que, lorsque rien n'indique une probabilité que des infractions sont commises à l'endroit où l'agent d'infiltration est posté, l'interception n'est vraisemblablement pas faite de bonne foi en l'absence d'un intérêt impérieux de l'État qui la justifierait.

Ayant ainsi énoncé les considérations qui doivent servir à déterminer si une enquête est véritable, j'analyse maintenant les faits de l'espèce. À mon avis, les facteurs que j'ai mentionnés contredisent la conclusion du juge en chef Lamer selon lequel tout Granville Mall constitue un secteur approprié, dans la ville de Vancouver, où tenir une véritable enquête de police. Granville Mall, situé au centre‑ville de Vancouver, occupe six pâtés de maisons de la rue Granville, une grande artère qui traverse la ville du nord au sud. La diversité des établissements du secteur de Granville Mall — qui comprend des cinémas, des restaurants, des grands magasins, des tours de bureaux et qui se situe à la distance d'un coin de rue du musée d'art de Vancouver, d'un centre de congrès et du palais de justice — fait que quotidiennement des milliers de personnes circulent dans la rue piétonnière et sont donc exposées aux techniques clandestines d'enquête de la police, si l'on applique les règles proposées en l'espèce.

Le juge en chef Lamer conclut que choisir l'ensemble de Granville Mall comme endroit des opérations d'infiltration constituait une véritable enquête de police en se fondant sur l'absence de motif répréhensible et sur le fait qu'on soupçonnait raisonnablement que des infractions liées à la drogue étaient commises dans la rue piétonnière. Il cite l'observation du juge du procès que Granville Mall est [traduction] "réputé pour être une zone où le trafic de drogues est très actif". Avec égards, je ne peux souscrire à la conclusion du juge en chef Lamer à la p. 000 selon laquelle "[i]l serait irréaliste que les policiers concentrent leur enquête en un seul endroit particulier de la rue piétonnière". Rien ne prouve que l'on faisait du trafic de drogues à l'endroit choisi pour l'intervention de l'agent de police. Rien ne prouve non plus que les trafiquants changeaient systématiquement d'endroit pour éviter d'être découverts. Le juge de première instance, au moment d'ordonner l'arrêt des procédures, a souligné le caractère légitime de la plupart des activités qui se déroulent dans la rue piétonnière et a conclu que l'accusé [traduction] "ne se trouvait pas au c{oe}ur même du trafic de drogues". La preuve dont on dispose établit que la station du Skytrain est connue par la police comme le "centre" des activités liées à la drogue dans Granville Mall. Les renseignements fournis permettent de penser qu'il serait tout à fait réaliste de la part de la police de centrer leur enquête sur un secteur précis de cette rue - en l'occurrence le centre même de ces activités, la station du Skytrain.

Comme je l'ai mentionné, je ne puis accepter qu'il suffit de pouvoir dire que des infractions sont généralement commises à l'intérieur d'un secteur donné pour prouver l'existence d'une véritable enquête, même si les motifs de la police sont appropriés. Il y a d'autres facteurs à prendre en considération. Le premier est la probabilité que soient commises des infractions dans le secteur visé. Aucune preuve n'indiquait que l'on faisait probablement du trafic de drogues à l'intersection où l'accusé a été interpellé — intersection située entre un grand hôtel, une tour de bureaux et deux grands magasins. Au contraire, selon les constatations du juge du procès, le centre du trafic de drogues se trouvait ailleurs dans la rue piétonnière. Le fait que du trafic de drogues se faisait à différents endroits des six pâtés de maisons qui forment la rue piétonnière ne prouve pas qu'il était vraisemblable qu'il y ait du trafic de drogues à l'intersection où l'accusé a été intercepté.

Les éléments de preuve au sujet du trafic de drogues dans Granville Mall proviennent de la déposition du sergent d'état major Kenneth Michael Davies qui, il faut le souligner, a été cité comme [traduction] "expert du domaine des pratiques d'application des lois par la police et des techniques de répression du trafic de drogues dans le secteur de Granville Mall et dans le centre‑ville de Vancouver et, en particulier, de l'exécution d'opérations d'infiltration". Le sergent d'état‑major Davies a souligné que le centre d'activités du trafic de drogues dans Granville Mall s'était déplacé au nord, du restaurant McDonald vers la station du Skytrain. Il a aussi mentionné que, ces derniers temps, une partie plus importante du trafic de drogues se faisait à l'intérieur, dans les bars et les restaurants de la rue piétonnière. Il n'a soumis aucun élément de preuve au sujet de l'intersection précisément en cause ici, à l'angle des rues Granville et Georgia, comme lieu connu de trafic de drogues. De plus, en contre‑interrogatoire, il semble avoir désapprouvé expressément la conduite de la policière en civil;

[traduction]

Q.[Les suspects] ont été vus traversant la rue à l'intersection, n'est‑ce pas?, ils ne s'étaient pas arrêtés — ils ne se tenaient pas avec un groupe de gens qui étaient arrêtés? Ils ne venaient pas d'un endroit qu'on soupçonne être un lieu de trafic de drogues. Ils traversaient simplement la rue?

R.S'il n'y avait rien d'autre, personnellement je n'aurais pas demandé à mon agent d'infiltration d'accoster ces gens, vu le peu de renseignements que vous me fournissez.

Les statistiques fournies par le sergent d'état‑major Davies ont toutes trait à l'ensemble de la rue piétonnière sans tentative de distinction des temps ou des lieux où les infractions ont été commises. Il est dangereux de se fier à ces chiffres pour étayer l'affirmation que les policiers étaient justifiés d'étendre leurs opérations à l'ensemble des six pâtés de maisons de la rue piétonnière. Les statistiques ne valent que ce que valent les questions qui ont servi à les obtenir. Nous n'avons absolument aucune idée des questions posées pour obtenir les chiffres que le ministère public invoque. Il est tout à fait possible que la très grande majorité des infractions relatives aux drogues qui se sont produites dans Granville Mall aient eu lieu près de la station du Skytrain, le centre d'activité reconnu du trafic de drogues dans Granville Mall. Il est tout aussi possible qu'aucune des infractions n'ait été commise à l'intersection où les accusés ont été accostés. De même, il est possible que la grande majorité des infractions relatives aux drogues qui se produisent dans Granville Mall aient lieu certains jours, à certaines heures — durant les week‑ends et tard la nuit, par exemple, et non à 18 h un jour de semaine, comme l'opération en cause en l'espèce. Je conclus que les statistiques invoquées en l'espèce sont bien loin de suffire pour justifier l'octroi à la police d'une liberté totale de mener son opération n'importe où dans un secteur de six pâtés de maisons, au centre‑ville de Vancouver, sans restriction quant aux lieux et aux heures visés. En bref, il n'est pas prouvé que la police pouvait raisonnablement soupçonner qu'il se faisait du trafic de drogues à l'endroit et au moment où l'accusé a été accosté.

Un deuxième facteur pertinent pour décider de l'opportunité d'une enquête est celui des conséquences de cette enquête sur les citoyens respectueux des lois qui poursuivent des activités légitimes. En l'espèce, la possibilité que cette opération d'infiltration gêne des activités légitimes était grande. J'ai déjà fait remarquer que l'intersection en cause est située entre des grands magasins, une tour de bureaux et un grand hôtel. Des cinémas, le musée d'art et le palais de justice sont situés à proximité. Même s'il n'est pas déterminant, ce facteur milite contre le droit des agents d'infiltration d'agir à leur guise.

Dans l'autre plateau de la balance, il faut mettre la gravité de l'activité criminelle que la police vise à réprimer. Il est clair que l'intérêt de l'État à la répression de la criminalité compte davantage quand l'intervention des policiers vise des infractions criminelles graves. Même s'il n'est pas question de l'approuver, l'infraction en cause ici ne peut être tenue pour grave. Dans l'arrêt Kokesch, précité, le juge Sopinka, pour la majorité, a pris connaissance d'office du fait que les infractions relatives aux stupéfiants comme la marijuana sont en général considérées moins graves que celles qui visent des drogues dures comme la cocaïne et l'héroïne. On pourrait dire la même chose des infractions relatives au haschisch, la substance en cause en l'espèce. De plus, la quantité en cause était petite. En bref, il ne s'agit pas du genre d'infraction grave en matière de drogues qui serait de nature à faire pencher la balance en faveur de l'État.

Je mentionnerai enfin l'existence d'autres techniques d'enquête pour déceler le genre d'activité criminelle en cause. Il y avait d'autres façons d'appréhender des vendeurs de drogues comme l'appelant. La simple surveillance par un agent d'infiltration (par opposition à l'interception) en est une. Je ne suis pas du tout certaine que l'arrestation des trafiquants de drogues dans Granville Mall exige que l'on donne à la police toute latitude pour intercepter un grand nombre de citoyens respectueux des lois lorsque ces citoyens vont au cinéma, ou sortent des tours de bureaux ou des grands magasins.

Je conclus donc qu'en l'espèce l'intérêt des particuliers à être laissés tranquilles et à vaquer à leurs occupations quotidiennes sans être importunés par des agents d'infiltration l'emporte largement sur l'intérêt de l'État à réprimer la criminalité. Il s'ensuit qu'on ne peut dire que la policière a agi dans le cadre d'une véritable enquête. Toute autre conclusion ne conviendrait pas, à mon avis, dans une société qui proclame la protection constitutionnelle des libertés individuelles et privilégie le droit d'être laissé tranquille.

Je suis donc d'avis d'accueillir le pourvoi et de rétablir l'arrêt des procédures.

Pourvoi rejeté, le juge L'Heureux‑Dubé dissidente en partie, le juge McLachlin dissidente.

Procureur de l'appelant: Peter M. Kendall, Vancouver.

Procureur de l'intimée: Le ministère de la Justice, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : [1991] 1 R.C.S. 449 ?
Date de la décision : 28/02/1991
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Défenses - Provocation policière - Trafic de drogues - Programme "achat bidon" dans un secteur urbain connu comme lieu de trafic de drogues - L'accusé se trouvait dans ce secteur - Une policière en civil a abordé l'accusé parce qu'elle avait l'intuition qu'il avait de la drogue en sa possession - Y a‑t‑il eu provocation policière dans le cadre d'une opération visant à éprouver au hasard la vertu des gens?.

Tribunaux - Pourvoi - Compétence - Appel du ministère public de la conclusion qu'il y a eu provocation policière donnant lieu à un arrêt des procédures mais non des déclarations de culpabilité - Appel accueilli par la Cour d'appel et nouveau procès ordonné - Notre Cour conclut que les conditions de la provocation policière ne sont pas présentes - Le ministère public demande l'inscription de déclarations de culpabilité à la place de l'ordonnance de nouveau procès - Notre Cour a‑t‑elle compétence pour remplacer l'ordonnance de nouveau procès par des déclarations de culpabilité? - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 686(4)b)(ii), 695(1).

La police de Vancouver menait une opération "achat bidon" dans un secteur — Granville Mall — considéré comme un lieu de trafic de drogues. Dans une opération "achat bidon" des policiers en civil tentent d'acheter des drogues illicites à des individus qu'ils croient susceptibles d'en vendre. L'appelant qui, selon la policière en civil, avait une tenue "débraillée", se trouvait dans le secteur de Granville Mall lorsque la policière, suivant son intuition, l'a abordé. La policière lui a demandé s'il avait de l'"herbe". Malgré une réponse négative, la policière a répété la question avec persistance jusqu'à ce que l'appelant accepte de lui vendre une petite quantité de résine de cannabis. Un autre policier a arrêté l'appelant peu après.

L'appelant a été déclaré coupable de trafic de résine de cannabis, de l'infraction comprise de possession de résine de cannabis à des fins de trafic, ainsi que de possession de marijuana. Le juge du procès a conclu cependant que la policière avait cherché à "éprouver au hasard la vertu des gens" et il a ordonné un arrêt des procédures pour cause de provocation policière. La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a accueilli l'appel du ministère public contre la conclusion qu'il y avait eu provocation policière et a ordonné la tenue d'un nouveau procès. Notre Cour est saisie des questions suivantes: (1) l'appelant a‑t‑il fait l'objet d'une mesure visant à éprouver au hasard la vertu des gens? et (2) notre Cour a‑t‑elle compétence, en l'absence de pourvoi incident présenté par le ministère public, pour modifier la décision d'une cour d'appel, accueillant l'appel du ministère public contre un arrêt des procédures, et pour y substituer trois déclarations de culpabilité?

Arrêt (le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente en partie, le juge McLachlin est dissidente): Le pourvoi est rejeté.

Le juge en chef Lamer et les juges Wilson, La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory et Stevenson: La police peut seulement fournir l'occasion de commettre un crime donné à un individu dont la conduite fait raisonnablement soupçonner qu'il est déjà engagé dans une activité criminelle particulière. Il y a exception à cette règle dans les cas où la police entreprend une véritable enquête dans un secteur où l'on peut raisonnablement soupçonner que se déroulent des activités criminelles. Lorsque le secteur est défini avec suffisamment de précision, la police peut fournir à toute personne associée à ce secteur l'occasion de commettre l'infraction en particulier. Pour qu'une personne soit, aux fins en cause, "associée" à un secteur en particulier, il suffit qu'elle y soit présente. Cette façon de procéder au hasard est permise dans le cadre d'une véritable enquête.

On ne peut dire d'une opération qu'elle vise à éprouver au hasard la vertu des gens que dans les cas où un policier donne à une personne l'occasion de commettre une infraction sans avoir de bonnes raisons de soupçonner que: a) cette personne est déjà engagée dans une activité criminelle donnée; ou b) le lieu physique auquel la personne est associée est susceptible d'être le théâtre de cette activité criminelle.

La policière en l'espèce ne pouvait pas "raisonnablement soupçonner" que l'appelant était déjà engagé dans une activité illégale liée à la drogue. Les facteurs qui ont attiré son attention vers l'appelant — sa tenue vestimentaire, la longueur de ses cheveux — ne suffisaient pas pour susciter un soupçon raisonnable que des actes criminels étaient commis. Le caractère subjectif de sa décision d'aborder l'appelant, fondée sur une "intuition" ou un "pressentiment" et non sur une preuve extrinsèque, indique aussi que l'appelant n'avait pas, de par son propre comportement, fait naître un soupçon raisonnable. Toutefois on a fourni à l'appelant l'occasion de vendre de la drogue au cours d'une véritable enquête. La conduite de la policière était motivée par l'objectif réel d'enquêter et de réprimer des activités criminelles, et l'enquête avait pour cible un secteur approprié de Vancouver. Si l'étendue du secteur lui‑même peut indiquer qu'il ne s'agit pas d'une enquête véritable, il était raisonnable de la part des services de police de Vancouver de centrer leur enquête sur Granville Mall.

L'appelant, lorsqu'il était dans Granville Mall, se trouvait dans un endroit que l'on croyait raisonnablement être le théâtre de crimes liés à la drogue. La conduite de la policière était donc justifiée.

Le paragraphe 695(1) n'autorise pas notre Cour à rendre, dans tous les cas, la décision qu'à son avis la Cour d'appel aurait pu et aurait dû rendre. Notre Cour, en vertu du par. 695(1), est compétente pour modifier une ordonnance à la demande du ministère public, lorsqu'une telle demande est faite dans un pourvoi. Lorsque le ministère public n'a pas formé de pourvoi, l'accusé ne peut quitter notre Cour avec moins que ce qu'il avait obtenu de la Cour d'appel.

En l'absence donc de pourvoi du ministère public, notre Cour n'a pas compétence pour accueillir sa requête en modification de l'ordonnance prononcée à l'instance inférieure. Conclure autrement serait permettre au ministère public de se pourvoir devant nous alors que cette faculté ne lui est accordée ni par le Code criminel ni par la Loi sur la Cour suprême. Le ministère public n'est pas, de par la loi, habilité à se pourvoir devant notre Cour contre une décision qui a accueilli l'appel qu'il avait interjeté d'un verdict d'acquittement ou d'un arrêt des procédures, mais qui lui a donné moins que ce qui avait été demandé. Par conséquent, il n'existe aucune disposition législative qui permettrait au ministère public de se pourvoir contre l'arrêt de la Cour d'appel. Sans droit d'appel prévu par la loi, il n'y a pas de droit d'appel.

Le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente en partie): Le pourvoi sur la question de la provocation policière devrait être rejeté pour les motifs donnés par le juge en chef Lamer.

La règle générale est qu'une cour d'appel ne peut modifier un verdict d'acquittement ou modifier une ordonnance de nouveau procès, quand le ministère public ne lui a pas demandé de le faire par voie d'appel. La juridiction d'appel est attribuée entièrement par un texte de loi. Il existe des situations où la philosophie sous‑jacente à cette règle devient inopérante par exemple lorsque s'applique le principe de l'arrêt Kienapple.

En raison de l'application de la règle interdisant les déclarations de culpabilité multiples, une exception à la règle générale concernant les appels du ministère public et la compétence d'appel a été formulée. La règle générale a peu de sens dans une situation où le principe de l'arrêt Kienapple s'applique. L'acquittement cesse d'avoir un effet continu et la déclaration de culpabilité reprend tout son effet si le ministère public obtient gain de cause dans sa contestation du sursis, en interjetant appel contre l'application de la règle elle‑même, ou si l'accusé a gain de cause en appel de l'une des déclarations de culpabilité. Il n'y a pas d'éléments sur lesquels le ministère public peut fonder son appel.

Il n'y a pas de litige réel concernant le deuxième volet du test de provocation policière. Dans cette optique, il est tout aussi irréaliste de prétendre que l'accusé a subi un préjudice en raison des déclarations de culpabilité que d'ordonner un nouveau procès dans de telles circonstances. L'absence de décision de la part du juge du procès sur le deuxième volet du test de la provocation policière ne peut ni empêcher l'inscription d'une déclaration de culpabilité ni justifier la tenue d'un nouveau procès sur cette question. Par conséquent, la Cour d'appel a commis une erreur lorsqu'elle a ordonné la tenue d'un nouveau procès sur ce deuxième volet du test de la provocation policière.

S'il ne s'agit pas d'écarter la règle générale, l'espèce offre des raisons convaincantes de la traiter de la même façon qu'un cas relevant plus directement de l'exception Kienapple. Comme dans le contexte visé par l'arrêt Kienapple, la règle générale qui oblige le ministère public à interjeter appel ne s'applique pas avec autant de force dans un cas de provocation policière en raison de la nature même de la procédure et du fondement de l'"acquittement" inscrit dans ces situations. La situation dans laquelle se trouve le ministère public après un appel interjeté par l'accusé dans un cas de provocation policière est très proche de la situation visée par l'arrêt Kienapple: le ministère public n'a pas de vrais motifs d'interjeter appel. Si l'appel du ministère public réussit et si les arguments de l'accusé fondés sur la provocation policière sont rejetés en appel, le sursis est levé ou écarté et les déclarations de culpabilité sont maintenues. Comme dans une situation visée par l'arrêt Kienapple, l'"acquittement" n'a plus de valeur lorsque la question de la provocation policière est écartée et un accusé ne peut pas ignorer ce résultat inévitable. Exiger que le ministère public interjette appel de l'"acquittement" pour donner un caractère formel à cette conséquence inévitable n'est rien de plus qu'une formalité vide de sens, une formalité facilement écartée dans une situation visée par l'arrêt Kienapple. Le même résultat devrait s'imposer dans un cas de provocation policière.

Le juge McLachlin (dissidente): Pour déterminer s'il y a provocation policière, il faut établir un équilibre entre l'intérêt du particulier à être laissé tranquille et l'intérêt de l'État à réprimer la criminalité. Les agissements de la police qui empiètent sur les intérêts des particuliers ne seront tenus pour acceptables que si des considérations d'équité, de justice et de protection contre la criminalité font pencher la balance du côté de l'État.

Il ne faut pas sous‑estimer l'importance de l'intérêt individuel en jeu en l'espèce, ni l'effet pernicieux que les techniques d'enquête policières peuvent avoir sur cet intérêt. Il faut imposer des limites à la capacité de l'État de s'immiscer dans la vie quotidienne des citoyens. Un autre risque que comportent des opérations clandestines trop étendues est celui de discrimination dans le travail de la police, c'est‑à‑dire que des personnes sont interpellées non pas à cause de soupçons raisonnables, mais à cause de la couleur de leur peau ou de leur tenue vestimentaire et de leur âge.

Le critère de la provocation policière doit permettre d'apprécier les atteintes relatives aux intérêts en jeu. Lorsqu'elle détermine s'il y a une enquête véritable, la cour doit tenir compte non seulement du but poursuivi par la police et de ce qu'il y a ou non une activité criminelle dans le secteur mais aussi d'autres facteurs utiles pour établir l'équilibre recherché, comme la probabilité que des infractions soient commises à l'endroit particulier visé, la gravité de l'infraction en cause, le nombre de personnes et d'activités légitimes qui peuvent être touchées et l'existence de techniques d'enquête moins envahissantes. Il s'agit de se demander si l'interception qui s'est produite à l'endroit précis en cause était raisonnable eu égard aux intérêts opposés, celui des particuliers d'être laissés tranquilles et celui de l'État de combattre la criminalité. Si la réponse à cette question est affirmative, alors l'enquête est véritable. Le critère fournit suffisamment d'indications aux policiers.

Il ne suffit pas de pouvoir dire que des infractions sont généralement commises à l'intérieur d'un secteur donné pour prouver l'existence d'une véritable enquête, même si les motifs de la police sont appropriés. Il y a d'autres facteurs à prendre en considération. Le premier est la probabilité que soient commises des infractions dans le secteur visé. Le fait que du trafic de drogues se faisait à différents endroits de l'ensemble de six pâtés de maisons de la rue piétonnière ne prouve pas qu'il était probable qu'il y ait du trafic de drogues au moment et à l'endroit où l'appelant a été intercepté. Le second facteur est celui des conséquences possibles de l'opération d'infiltration sur des activités légitimes de citoyens respectueux des lois. Même s'il n'est pas déterminant, ce facteur milite contre le droit des agents d'infiltration d'agir à leur guise. De l'autre côté, il faut mettre la gravité de l'activité criminelle que la police vise à réprimer. Même s'il n'est pas question de l'approuver, l'infraction en cause ici ne peut être considérée comme une des plus graves, et d'autres techniques d'enquête permettaient de déceler ce genre d'activité criminelle.

L'intérêt des particuliers à être laissés tranquilles et à vaquer à leurs occupations quotidiennes sans être importunés par des agents d'infiltration l'emporte largement sur l'intérêt de l'État à réprimer la criminalité. Il s'ensuit que la policière n'agissait pas dans le cadre d'une véritable enquête.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Barnes

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge en chef Lamer
Arrêt appliqué: R. c. Mack, [1988] 2 R.C.S. 903
arrêts mentionnés: R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S. 128
Guillemette c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 356.
Citée par le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente en partie)
R. c. Mack, [1988] 2 R.C.S. 903
Rickard c. La Reine, [1970] R.C.S. 1022
Guillemette c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 356
R. c. Provo, [1989] 2 R.C.S. 3
Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729
R. c. Prince, [1986] 2 R.C.S. 480
R. c. Terlecki (1983), 4 C.C.C. (3d) 522 (C.A. Alta.), conf. par [1985] 2 R.C.S. 483
Amato c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 418
R. c. Cassidy, [1989] 2 R.C.S. 345
R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S. 128.
Citée par le juge McLachlin (dissidente)
R. c. Mack, [1988] 2 R.C.S. 903
R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417
R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30
R. c. Kokesch, [1990] 3 R.C.S. 3
R. c. Wong, [1990] 3 S.C.R. 36.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 686(4)b)(ii), 691(2)a), 693(1)a), b), 695(1).
Loi sur la Cour suprême, L.R.C. (1985), ch. S‑26, art. 40(3).
Doctrine citée
Jordan, James C. "Application and Limitations of the Rule Prohibiting Multiple Convictions: Kienapple v. The Queen to R. v. Prince" (1985), 14 Man. L.J. 341.

Proposition de citation de la décision: R. c. Barnes, [1991] 1 R.C.S. 449 (28 février 1991)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1991-02-28;.1991..1.r.c.s..449 ?
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