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07/12/1990 | CANADA | N°[1990]_3_R.C.S._644

Canada | Lester (W.W.) (1978) ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l'industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740, [1990] 3 R.C.S. 644 (7 décembre 1990)


Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l'industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740, [1990] 3 R.C.S. 644

Association unie des compagnons et

apprentis de l'industrie de la plomberie

et de la tuyauterie, section locale 740 Appelante

c.

W.W. Lester (1978) Ltd. et

Planet Development Corporation Ltd. Intimées

et

The Labour Relations Board for

the Province of Newfoundland Intimé

répertorié: lester (w.w.) (1978) ltd. c. association unie des compagnons et apprentis de

l'industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740

No du greffe: 21239.

1990: 26 avril; 1990...

Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l'industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740, [1990] 3 R.C.S. 644

Association unie des compagnons et

apprentis de l'industrie de la plomberie

et de la tuyauterie, section locale 740 Appelante

c.

W.W. Lester (1978) Ltd. et

Planet Development Corporation Ltd. Intimées

et

The Labour Relations Board for

the Province of Newfoundland Intimé

répertorié: lester (w.w.) (1978) ltd. c. association unie des compagnons et apprentis de l'industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740

No du greffe: 21239.

1990: 26 avril; 1990: 7 décembre.

Présents: Le juge en chef Dickson* et le juge en chef Lamer** et les juges Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d'appel de terre‑neuve

Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Compétence — Commission des relations du travail -- La Commission a accordé une déclaration reconnaissant l'application de l'obligation du successeur lorsque la société, qui continue à exploiter une entreprise assujettie à une convention collective, établit une deuxième société parallèle qui fonctionne sans syndicat -- La Commission avait‑elle compétence pour procéder à l'enquête sur la question de savoir s'il y avait application de l'obligation du successeur? -- Le cas échéant, l'exercice par la Commission de sa compétence était‑il manifestement déraisonnable? -- The Labour Relations Act, 1977, S.N. 1977, ch. 64, art. 18.

Relations de travail -- Syndicats -- Droits du successeur -- Une société qui continue à exploiter une entreprise assujettie à une convention collective établit une deuxième société parallèle qui fonctionne sans syndicat ‑- La Commission des relations du travail peut-elle reconnaître l'existence de l'obligation du successeur? -- The Labour Relations Act, 1977, S.N. 1977, ch. 64, art. 89(1).

Les sociétés de construction intimées avaient à peu de chose près les mêmes actionnaires et les mêmes directeurs et étaient exploitées côte à côte. Elles partageaient le même bureau, les services de la même secrétaire, le même numéro de téléphone et les frais de bureau, mais avaient des employés distincts. Même si elles partageaient en se louant entre elles une petite partie du matériel, elles étaient l'une et l'autre propriétaires ou locataires de leur propre matériel. Les ressources financières des sociétés étaient distinctes. L'un des directeurs préparait des soumissions pour les projets de construction pour le compte de l'une ou l'autre société, selon que le chantier de construction en cause était syndiqué ou non syndiqué conformément à la pratique du "double volet" lorsqu'une société, qui continue à exploiter une entreprise assujettie à une convention collective, établit une deuxième société parallèle qui fonctionne sans syndicat.

Le syndicat appelant, qui représentait les employés de Lester, a tenté de mobiliser les employés non syndiqués de Planet mais a retiré sa demande d'accréditation avant l'audience. L'appelant lui a substitué une requête alléguant des pratiques déloyales de travail de la part des sociétés et a demandé une déclaration reconnaissant l'application de l'obligation du successeur en vertu de l'art. 89 de The Labour Relations Act, 1977. Au même moment, les sociétés intimées ont présenté une plainte alléguant des pratiques déloyales de travail de la part du syndicat. La Commission des relations du travail a accordé la déclaration reconnaissant l'application de l'obligation du successeur et a jugé qu'il était inutile de se prononcer sur les autres requêtes. Les sociétés intimées ont alors demandé, sans succès, à la Division de première instance de la Cour suprême de Terre‑Neuve de rendre une ordonnance de certiorari pour casser l'ordonnance de la Commission. La Cour d'appel, dans une décision unanime, a conclu que la décision de la Commission était manifestement déraisonnable et a renvoyé la question des pratiques déloyales de travail à la Commission.

Les questions soulevées dans le présent pourvoi sont les suivantes: (1) la Commission avait‑elle compétence pour procéder à l'enquête sur la question de savoir s'il y avait application de l'obligation du successeur? et (2) Le cas échéant, l'exercice de sa compétence était‑il manifestement déraisonnable?

Arrêt (le juge en chef Dickson et les juges Wilson, L'Heureux‑Dubé et Cory sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.

Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Sopinka, Gonthier et McLachlin: L'adoption de l'article 16.1 de The Labour Relations Act, 1977 rend théorique la question de savoir si la Commission des relations du travail avait le pouvoir de déterminer si un employeur avait aliéné son entreprise ou une partie de son entreprise au sens du par. 89(1) de la Loi, exception faite de son application à l'espèce. On peut supposer, pour les fins du présent jugement, que la Commission avait compétence pour déterminer s'il y avait eu vente, location, transfert ou autre acte d'aliénation.

L'article 18 de la Loi limite le contrôle judiciaire des décisions de la Commission à une erreur dans l'interprétation des dispositions attributives de compétence ou à un excès de compétence en raison d'une erreur de droit manifestement déraisonnable dans l'exercice de sa fonction. La retenue judiciaire doit s'étendre à la constatation des faits et à l'interprétation de la loi. Une cour de justice ne peut intervenir que lorsque les éléments de preuve, perçus de façon raisonnable, ne peuvent étayer les conclusions de fait du tribunal, ou que l'interprétation donnée aux dispositions législatives est manifestement déraisonnable.

Le paragraphe 89(1) établit les conditions dans lesquelles la convention collective entre un syndicat et un employeur peut être imposée à un autre employeur à l'égard du même syndicat. Le but des dispositions sur l'obligation du successeur est d'empêcher que des employés ne perdent leur protection syndicale lorsqu'une entreprise est vendue ou transférée d'une société à une autre. Il faut qu'une partie identifiable de l'entreprise ‑- un instrument économique fonctionnel -- soit aliénée pour établir l'application de l'obligation du successeur aux termes du par. 89(1). Il n'est pas suffisant qu'il y ait un simple transfert d'éléments d'actif parce qu'une entreprise représente plus qu'une simple accumulation d'éléments d'actif. Par conséquent, une conclusion relative à l'existence de l'obligation du successeur ne peut être fondée sur la possession commune d'actions et sur une entreprise commerciale commune ou sur le fait que les mêmes personnes sont propriétaires des deux sociétés ou qu'elles travaillent pour les deux. Les liens intersociétés, sans quelque élément de preuve d'une aliénation ne sont pas suffisants pour entraîner l'application des dispositions sur l'obligation du successeur. La preuve relative à l'antisyndicalisme était faible et même cela ne prouverait pas l'existence du transfert nécessaire.

L'absence de preuve établissant l'existence d'une aliénation au sens de l'art. 89 a rendu la décision de la Commission manifestement déraisonnable et, par conséquent, assujettie au contrôle judiciaire. En interprétant les dispositions relatives à l'obligation du successeur comme si elles étaient des dispositions relatives à l'employeur unique, la Commission allait à l'encontre de la jurisprudence.

Le juge en chef Dickson et les juges Wilson et Cory (dissidents): Une cour ne devrait pas exercer le contrôle judiciaire que si la décision du tribunal est manifestement déraisonnable. Compte tenu des régimes de réglementation de plus en plus complexes et hautement spécialisés, il est irréaliste de s'attendre à ce que les cours de justice possèdent les connaissances et le savoir‑faire nécessaires pour rendre des décisions valables concernant certains de ces régimes.

Le critère du caractère manifestement déraisonnable est sévère. L'interprétation donnée par un tribunal administratif à la loi ne sera jugée manifestement déraisonnable que si elle ne peut rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et qu'elle exige une intervention judiciaire. Le seul désaccord avec la décision du tribunal, fondé sur une interprétation différente du texte législatif pertinent, ne donne pas lieu au contrôle judiciaire. La clause privative à l'art. 18 indique en outre la nature limitée du contrôle judiciaire.

Les modalités d'un transfert dépendent de la nature de ce qui fait l'objet du transfert. En l'espèce, le savoir‑faire des deux directeurs et leur mobilité entre les deux sociétés se trouvaient au c{oe}ur même de l'exploitation à double volet. La Commission a interprété l'expression "aliéner par d'autres moyens" au par. 89(1) de manière à comprendre ce genre de transfert. Cette interprétation, bien qu'elle soit plus large que celle d'autres juridictions, concorde avec l'objet et le but de l'ensemble du plan législatif, compte tenu particulièrement de l'absence de disposition relative à l'employeur unique. Par conséquent, la décision n'était pas manifestement déraisonnable et notre Cour devait se rendre à cette décision.

Le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente): Le juge L'Heureux‑Dubé souscrit au motifs du juge Wilson sur la question du caractère raisonnable. Toutefois, la décision de la Commission en l'espèce n'était pas manifestement déraisonnable.

Jurisprudence

Citée par le juge McLachlin

Examinés: Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; CAIMAW c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983; mentionnés: Pinsent Construction Ltd. v. International Union of Operating Engineers, Local 904 (1985), 55 Nfld. & P.E.I.R. 117; Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 476; Banque Nationale du Canada c. Union internationale des employés de commerce, [1984] 1 R.C.S. 269; Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association, [1975] 1 R.C.S. 382; Kelly Douglas & Co. and W.H. Malkin Ltd., [1974] 1 CLRBR 77; United Steelworkers of America v. Thorco Manufacturing Ltd. (1965), 65 CLLC {PP} 16,052; Lyric Theater Ltd. v. International Alliance of Theatrical Stage Employees, [1980] 2 Can LRBR 331; Canadian Union of Public Employees v. Metropolitan Parking Inc., [1980] 1 Can LRBR 197; International Longshoremen's Assn. v. Terminus Maritime Inc. (1983), 83 CLLC {PP} 16,029; Gibraltar Development Corporation, BCLRB 12 29/82; Rivard Mechanical; Re Plumbers Union, Local 71, [1981] OLRB Rep.mai 550; Frank Browne Acoustics Kamloops (1982) Ltd. v. United Brotherhood of Carpenters and Joiners (1984), 6 CLRBR (NS) 247; United Brotherhood of Carpenters & Joiners of America v. Cana Construction Co. (1984), 9 CLRBR (NS) 175; Doran Construction Ltd., Taggart Construction Ltd. and Taggart General Contractors Ltd.; Re Carpenters Union, Local 93, [1984] OLRB Rep.août 1108; Viandes Seficlo Inc. v. Union des Employés de Commerce (1984), 84 CLLC {PP} 14,047; International Brotherhood of Electrical Workers v. Minas Electric Co. (1976), 77 CLLC {PP} 16,075; Labourers' International Union of North America v. Elmont Construction Ltd., [1974] OLRB Rep.juin 342; Re International Association of Machinists v. Professional Personnel Services Ltd. and C.P. Personnel Ltd. (Newfoundland Labour Relations Board, inédit, sept. 1985); United Brotherhood of Carpenters and Joiners v. N. D. Dobin Ltd. and Bradco Ltd. (Newfoundland Labour Relations Board, inédit sans motifs écrits, mars 1985); United Brotherhood of Carpenters and Joiners v. Robco Ltd. and Brookfield Investments Ltd. (Newfoundland Labour Relations Board, inédit, mai 1985); Brant Erecting and Hoisting; Re Iron Workers' Union, [1980] OLRB Rep.juillet 945; Concerned Contractors Action Group v. British Columbia and Yukon Territory Building and Construction Traders Council (1986), 13 CLRBR (NS) 121; Mackie Bros. Sand & Gravel Ltd. (1974), BCLRB no L107/81; International Association of Bridge, Structural and Ornamental Iron Workers v. Empire Iron Works Ltd. (1986), 86 CLLC {PP} 16,027; Tri Power Construction Ltd. v. United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America (1984), 8 CLRBR (NS) 332; Re N & L Construction Ltd. (1987), 64 Nfld. & P.E.I.R. 271.

Citée par le juge Wilson (dissidente)

National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324; Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 476; CAIMAW c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983; Syndicat des camionneurs, section locale 938 c. Massicotte, [1982] 1 R.C.S. 710.

Citée par le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente)

National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324.

Lois et règlements cités

Code canadien du travail, S.R.C. 1970, ch. L-1, art. 144 [mod. 1972, ch. 18, art. 1].

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L‑2, art. 35, 45.

Industrial Relations Act, R.S.B.C. 1979, ch. 212, art. 37 [mod. 1987, ch. 24, art. 25].

Labour Relations Act, 1977, S.N. 1977, ch. 64, art. 16.1, 17k), 18(1), 24, 25, 28 et 89.

Labour Relations Code, S.A. 1988, ch. L‑1.2, art. 44.

Loi relative aux relations de travail dans les services publiques, L.R.N.-B. 1973, ch. P-25.

Loi sur les relations de travail, R.M. 1987, ch. L‑10, art. 59.

Loi sur les relations de travail, L.R.O. 1980, ch. 228, art. 1(4), 63.

Trade Union Act, R.S.S. 1978, ch. T‑17, art. 37.

Trade Union Act, S.N.S. 1972, ch. 19, art. 20, 29.

Doctrine citée

Adams, George W. Canadian Labour Law. Aurora: Canada Law Book Inc., 1985.

Newfoundland. Construction Industry Advisory Committee. Report of the Construction Industry Advisory Committee. (Gordon G. Easton, Q.C., Chairperson, William A. Alcock and Gonzo Gillingham.) St. John's, Nfld.: 1985.

Weiler, Paul. Reconcilable Differences: New Directions in Canadian Labour Law. Toronto: Carswells, 1980.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de Terre‑Neuve (1988), 70 Nfld. & P.E.I.R. 145, 215 A.P.R. 145, qui a infirmé le jugement de la Cour suprême de Terre‑Neuve, Division de première instance, 67 Nfld. & P.E.I.R. 145, 206 A.P.R. 185, qui a rejeté la demande de certiorari des intimées. Pourvoi rejeté, le juge en chef Dickson et les juges Wilson, L'Heureux‑Dubé et Cory sont dissidents.

Randell Earle, c.r., et Stephanie Newell, pour l'appelante.

Barrie Heywood, pour les intimées W. W. Lester (1978) Ltd. et Planet Development Corporation Ltd.

Edward M. Hearn, pour l'intimée The Labour Relations Board de la province de Terre‑Neuve.

//Le juge Wilson//

Version française des motifs du juge en chef Dickson et des juges Wilson et Cory rendus par

LE JUGE WILSON (dissidente) — J'ai eu l'avantage de lire les motifs rédigés par ma collègue le juge McLachlin et, pour la raison que je donne dans les affaires National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, je dois avec égards adopter relativement au contrôle judiciaire de la décision de la Commission un point de vue qui diverge du sien. Dans ces deux affaires, j'ai tenté de souligner une fois de plus l'importance du principe de la retenue à l'égard des décisions de tribunaux administratifs, adopté par notre Cour dans l'arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227. À mon avis, il y a lieu d'appliquer ce principe en l'espèce.

La notion de retenue à l'égard des décisions de tribunaux administratifs repose non seulement sur de solides principes judiciaires, mais aussi sur le gros bon sens. Il est tout à fait irréaliste à cette époque, caractérisée par des régimes de réglementation de plus en plus complexes et hautement spécialisés, de s'attendre à ce que les cours de justice possèdent les connaissances et le savoir‑faire nécessaires pour rendre des décisions valables concernant certains de ces régimes. Ainsi que je le fais remarquer dans l'affaire National Corn Growers, précitée, à la p. 1335, pour assurer le fonctionnement efficace de tous les organes du gouvernement, nous devons reconnaître:

(1) que leurs décisions (celles des tribunaux administratifs) sont rendues par des spécialistes du domaine dans lequel ils sont appelés à statuer et (2) qu'il est utile de limiter la mesure dans laquelle leurs décisions peuvent être contrecarrées par un contrôle judiciaire de grande envergure.

J'ai donc exprimé l'avis dans cette affaire‑là que les cours doivent accorder aux tribunaux administratifs toute latitude pour remplir le mandat que leur a confié le législateur.

La question de savoir ce qui constitue la latitude nécessaire a été abordée par notre Cour dans l'arrêt S.C.F.P., précité, et elle se trouve reflétée dans le critère à appliquer. Ce critère, comme le signale le juge Dickson (plus tard Juge en chef), se fonde sur l'idée du caractère manifestement déraisonnable. La question qu'il convient de se poser, à la p. 237, est la suivante:

La Commission a‑t‑elle interprété erronément les dispositions législatives de façon à entreprendre une enquête ou à répondre à une question dont elle n'était pas saisie? Autrement dit, l'interprétation de la Commission est‑elle déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire? [Je souligne.]

Comme je le dis dans l'affaire National Corn Growers, il y a eu tendance depuis l'arrêt S.C.F.P. à retourner en matière de contrôle judiciaire à un critère moins strict que celui établi dans cet arrêt‑là. Ce recul vient en grande partie de ce que l'on conçoit quelque peu à la façon de Dicey le règne du droit et le rôle devant être joué par les cours dans l'administration gouvernementale. Selon moi, cette façon de voir le contrôle judiciaire dans le contexte administratif n'a plus sa place compte tenu de la complexité du rôle des tribunaux administratifs dans l'État canadien contemporain. Je crois en effet qu'il nous faut effectuer un retour à l'arrêt S.C.F.P. et à l'esprit qu'il traduit.

La décision de la Commission est‑elle manifestement déraisonnable?

L'unique question à aborder dans le présent pourvoi est celle de savoir si la décision de la Labour Relations Board (la "Commission") de Terre‑Neuve est manifestement déraisonnable. Puisque ma collègue le juge McLachlin reproduit les dispositions législatives pertinentes, je ne les reprends pas ici. La disposition clé est l'art. 89 de The Labour Relations Act, 1977, S.N. 1977, ch. 64 et modifications, de Terre‑Neuve. Nous nous trouvons en fait devant une question d'interprétation. Plus précisément, nous devons nous demander si les mots [TRADUCTION] "lorsqu'un employeur vend, loue, transfère ou aliène par d'autres moyens, ou convient de vendre, de louer, de transférer ou d'aliéner par d'autres moyens son entreprise ou l'exploitation de celle‑ci ou toute partie de l'entreprise ou de son exploitation [. . .]", s'appliquent à la pratique d'exploitations à "double volet".

L'article 89 vise à empêcher la perte de leur protection syndicale par les employés d'une société dont l'entreprise est vendue ou transférée à une autre entreprise commerciale. Ce type de disposition, dite dans le langage familier "disposition sur l'obligation du successeur", se retrouve dans d'autres lois en matière de relations du travail, cf., Alberta, Labour Relations Code, S.A. 1988, ch. L‑1.2, art. 44; Manitoba, Loi sur les relations du travail, L.R.M. 1987, ch. L10, art. 59; Nouvelle‑Écosse, Trade Union Act, S.N.S. 1972, ch. 19, art. 29; Ontario, Loi sur les relations de travail, L.R.O. 1980, ch. 228, par. 63; Saskatchewan, The Trade Union Act, R.S.S. 1978, ch. T‑17, art. 37; et Canada, Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L‑2, art. 45. La raison d'être de ces dispositions est de faire en sorte que les conventions collectives ne soient pas vidées de tout sens, notamment par suite de manipulations de la personnalité morale pratiquées par les employeurs. De telles manipulations peuvent se faire de différentes manières, dont, a soutenu l'appelante, les exploitations à "double volet". C'est sur ce dernier cas qu'avait à se pencher la Commission.

Le recours à des exploitations à "double volet" semble être une pratique courante dans l'industrie de la construction à Terre‑Neuve. Une société qui continue à exploiter une entreprise soumise à une convention collective crée une société parallèle dont les employés ne sont pas syndiqués. Cela permet aux propriétaires des deux sociétés de soumissionner tant à l'égard des travaux à effectuer par des ouvriers syndiqués qu'à l'égard de ceux à accomplir par des ouvriers non syndiqués, et de se servir dans l'un et l'autre cas de la compétence et du savoir‑faire de leurs employés clés. Or, si cette pratique échappe à l'application de l'art. 89, la nouvelle société n'est pas liée par la convention collective en vigueur. La Commission a conclu que l'art. 89 visait les exploitations à "double volet".

D'après le juge McLachlin, les rapports entre les sociétés Lester et Planet se caractérisent par la collaboration, le "partage de savoir‑faire", et il ne s'agit pas d'un cas où il y eu aliénation de travaux, de biens ou de savoir‑faire, au sens de l'article 89 de la Loi. Elle dit que, même si le savoir‑faire des directeurs Brent et Wade Lester constituait un bien appartenant à une société, c'en était un que les deux sociétés se partageaient également. Il n'a pas été transféré de l'une à l'autre. Ma collègue arrive à cette caractérisation en dépit de la conclusion de fait de la Commission que savoir‑faire et biens passaient d'une société à l'autre selon les besoins des travaux en cours. Il s'agit là d'un procédé que la Cour d'appel a qualifié de [TRADUCTION] "échange de bons procédés".

Avec égards, je me demande comment la société A peut transférer à la société B la compétence et le savoir‑faire de X autrement qu'en mettant celui‑ci à la disposition de la société B pour qu'il puisse travailler sur les chantiers de cette dernière. Il n'y a pas d'autre moyen. Les modalités du transfert doivent assurément dépendre de ce qui fait l'objet de ce transfert. Pendant que Brent et Wade Lester se servaient de leur compétence et de leur savoir‑faire sur le chantier non syndiqué de Planet, le chantier syndiqué de Lester ne pouvait en bénéficier, et la mobilité de ces deux directeurs se trouvait au c{oe}ur même de l'exploitation à double volet ici en cause.

Ma collègue interprète restrictivement l'expression "aliéner par d'autres moyens". La Commission pour sa part y a donné une interprétation plus libérale en tenant compte de ce qu'elle considérait être l'objet de la disposition. À mon avis, le seul fait que l'interprétation de la Commission soit plus large que celle d'autres juridictions ne rend pas cette interprétation manifestement déraisonnable. De toute évidence, on peut soutenir que l'interprétation de la Commission concorde avec l'objet et le but de l'ensemble du plan législatif, qui sont de faciliter l'établissement de régimes de négociation collective entre syndicats et employeurs et de maintenir ces régimes. Je tiens pour révélateur à cet égard que les lois en matière de relations du travail en vigueur dans d'autres ressorts mentionnés par ma collègue contiennent des dispositions relatives à l'employeur unique, ce qui n'est pas le cas de la loi terre‑neuvienne. Cela étant, je ne vois rien de surprenant à ce qu'on n'ait pas jugé nécessaire dans ces autres ressorts de donner à des dispositions semblables à l'art. 89 une interprétation libérale, comme l'a fait la Commission en l'espèce. L'article 89 doit toutefois s'interpréter dans le seul contexte de la loi présentement en cause. À mon avis, en l'absence d'une disposition relative à l'employeur unique, l'interprétation qu'a donnée la Commission à l'art. 89 ne saurait être qualifiée de manifestement déraisonnable.

Aux fins de l'application du critère du caractère manifestement déraisonnable, il importe de se rappeler qu'il s'agit d'un critère sévère. Ainsi que le fait remarquer le juge Lamer (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 476, à la p. 493:

C'est là un test très sévère et qui marque une approche restrictive en ce qui concerne le contrôle judiciaire. C'est pourtant le test que cette Cour a appliqué et applique encore.

En d'autres termes, le critère du caractère manifestement déraisonnable établit un seuil très élevé, ce qui veut dire que l'interprétation donnée par un tribunal administratif à la loi en question ne sera jugée manifestement déraisonnable que si, comme le dit le juge en chef Dickson, à la p. 237, dans l'arrêt S.C.F.P., elle ne peut "rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et [qu'elle exige] une intervention judiciaire".

Il découle nécessairement du critère énoncé dans l'arrêt S.C.F.P. qu'il incombe aux tribunaux d'"adopter une attitude de retenue à l'égard des décisions du tribunal administratif": voir CAIMAW c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983, à la p. 1003, le juge La Forest. Cette retenue implique notamment que le seul désaccord avec la décision du tribunal, fondé sur une interprétation différente du texte législatif pertinent, ne donne pas lieu au contrôle judiciaire. Sur ce point, je partage et je juge pertinent l'avis exprimé par le juge en chef Laskin dans l'arrêt Syndicat des camionneurs, section locale 938 c. Massicotte, [1982] 1 R.C.S. 710, à la p. 724. Le juge en chef Laskin dit:

. . . qu'un simple doute quant à l'exactitude d'une interprétation donnée par un conseil des relations du travail au sujet des pouvoirs que la loi lui attribue ne constitue pas un motif suffisant pour conclure à une erreur de compétence, spécialement si ce conseil exerce les pouvoirs qui lui sont conférés, en termes généraux, de résoudre des prétentions contradictoires.

Appliquant ces principes à la présente espèce, j'estime que le critère sévère énoncé dans l'arrêt S.C.F.P. n'a pas été respecté. Bien que ma collègue penche pour une certaine interprétation de l'article en cause, ce n'est pas là l'unique interprétation qu'il puisse raisonnablement admettre. De fait, l'interprétation large que lui a donnée la Commission a ceci de méritoire qu'elle tend à la réalisation de l'objet manifeste de la Loi. Il s'agit, en d'autres termes, d'une interprétation qui s'appuie rationnellement sur la législation pertinente et qui mérite, selon moi, que l'on fasse preuve à son égard de la retenue commandée par l'arrêt S.C.F.P. J'ai présente à l'esprit l'observation faite par le juge La Forest dans l'arrêt CAIMAW, précité, à la p. 1003, où il affirme qu'un

. . . tribunal a le droit de commettre des erreurs, même des erreurs graves, pourvu qu'il n'agisse pas de façon "déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire".

La nature limitée du recours au contrôle judiciaire est appuyée, à mon avis, par l'existence dans la Loi d'une clause privative, savoir l'art. 18. La présence d'une telle clause constitue, comme je l'ai fait observer dans l'affaire National Corn Growers, une indication claire de la part du législateur que ce n'est pas aux cours ordinaires de contrôler les décisions de tribunaux spécialisés. Il ne convient pas en effet que les cours entreprennent, comme l'a fait ma collègue en l'espèce, une analyse minutieuse du raisonnement du tribunal administratif, car ce serait là ne faire cas ni de la clause privative que renferme le texte législatif ni de la retenue judiciaire préconisée dans l'arrêt S.C.F.P.

À mon avis, l'application du principe posé dans l'arrêt S.C.F.P. à la présente espèce exige que notre Cour se rende à la décision de la Commission. L'interprétation que cette dernière a donnée à l'art. 89 n'est pas manifestement déraisonnable dans le contexte de la Loi et elle devrait être maintenue. Si la preuve a été en grande partie équivoque en ce qui concerne la nature exacte des rapports entre Lester et Planet, il existait certainement des éléments de preuve sur lesquels la Commission pouvait raisonnablement se fonder pour conclure, comme elle l'a fait, que la compétence et le savoir‑faire des directeurs Brent et Wade Lester ont fait l'objet de transferts entre les deux sociétés afin de permettre à celles‑ci de soumissionner aussi bien relativement aux travaux à exécuter par des ouvriers syndiqués que relativement à ceux à exécuter par des travailleurs non syndiqués, et de mener à bien ces travaux.

Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'infirmer l'arrêt de la Cour d'appel de Terre‑Neuve et de rétablir la décision du juge Russell. J'adjugerais aux intimées leurs dépens en notre Cour et en Cour d'appel.

//Le juge McLachlin//

Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges La Forest, Sopinka, Gonthier et McLachlin rendu par

LE JUGE MCLACHLIN — Le présent pourvoi porte sur l'application des dispositions relatives à l'obligation du successeur de The Labour Relations Act, 1977 de Terre‑Neuve, S.N. 1977, ch. 64, modifiée, à deux sociétés de construction ayant à peu de choses près les mêmes actionnaires et les mêmes directeurs et exploitées côte à côte. Une seule des deux sociétés était liée par une convention collective. Il s'agit de déterminer si, en vertu de la Loi, la convention collective est réputée s'appliquer à la deuxième société.

Les faits

W.W. Lester (1978) Ltd., constituée en 1978, se livre principalement à la pose d'installations sanitaires et de chauffage, et de façon limitée à des activités dans d'autres domaines, notamment ceux de la mécanique, de la construction et de l'immobilier. Les directeurs de Lester sont Walter Lester, actionnaire majoritaire qui détient les actions privilégiées avec droit de vote, et ses deux fils, Brent et Wade, qui détiennent les actions ordinaires. Les employés de Lester sont représentés par l'appelante, "l'Association unie" qui a conclu une convention collective avec Lester.

En 1981, les frères Lester ont décidé de prendre davantage leur affaire en main tout en évitant les domaines de la construction immobilière et des autres travaux de construction dont s'occupait Lester pour se concentrer uniquement sur les travaux mécaniques. Les Lester ont donc constitué une deuxième société, Planet Development Corporation Ltd., dont le père et les deux fils détiennent chacun un tiers du capital‑actions.

Les deux sociétés, de même que deux autres sociétés appartenant à la famille, ont leur siège au même bureau et partagent les services de la même secrétaire, le même numéro de téléphone et les frais de bureau. Exception faite de la secrétaire, les sociétés ont des employés distincts. Même si les deux sociétés Planet et Lester partagent en se louant entre elles une petite partie du matériel, elles sont l'une et l'autre propriétaires ou locataires de leur propre matériel. Les ressources financières des deux sociétés sont distinctes, mais lorsque Planet doit fournir un cautionnement d'exécution, une garantie peut être fournie par Brent, Wade et Walter Lester et par les sociétés apparentées. Wade Lester agit à titre d'estimateur pour les deux sociétés. Brent Lester prépare les soumissions pour les deux sociétés. Dans la plupart des cas, les entrepreneurs de construction invitent Brent Lester à préparer des soumissions pour le compte de Lester ou de Planet, selon que le chantier de construction en cause est syndiqué ou non syndiqué.

Planet a soumissionné avec succès à l'égard de plusieurs projets, y compris l'hôpital de Burin, le Fisheries College, la School of Nursing et une usine de traitement du poisson. Ces projets n'étaient pas accessibles à Lester. Par contre, Lester a soumissionné à l'égard de projets qui n'étaient pas accessibles à Planet. Ainsi, Lester a obtenu un contrat de construction d'un hôpital (à Clarenville) qui était inaccessible à Planet puisque le chantier de construction de l'hôpital de Clarenville était un projet syndiqué.

Avant que la présente cause ne soit entendue, la collectivité de Marystown attendait la construction d'un autre hôpital, l'hôpital de Burin. On a invité Brent Lester à soumissionner à l'égard du projet de Burin pour le compte de Planet, et cette société a obtenu la sous‑traitance des travaux mécaniques. Le projet de Burin a joué le rôle d'un catalyseur dans le différend ouvrier en question.

Le syndicat a tout d'abord tenté de mobiliser les employés qui travaillaient au chantier de Burin et il a déposé une demande d'accréditation syndicale. Il semble que les travailleurs du chantier de Burin n'étaient pas favorables à l'accréditation; le syndicat a donc retiré sa demande peu de temps avant l'audience. Le syndicat lui a substitué une requête alléguant des pratiques déloyales de travail. Dans sa plainte, il a prétendu que Lester avait contrevenu aux art. 24 et 25 de The Labour Relations Act, 1977 en avisant des membres du syndicat que la seule façon pour eux de travailler au chantier de Burin était de se retirer du syndicat. Le syndicat a également demandé une déclaration reconnaissant l'application de l'obligation du successeur en vertu de l'art. 89 de la Loi en vue d'une ordonnance portant que Planet était liée par la convention collective en vigueur entre le syndicat et la Newfoundland Construction Labour Relations Association, l'agent négociateur accrédité de Lester. Au même moment, les sociétés ont présenté une plainte dans laquelle elles prétendaient que le harcèlement, par le syndicat, des employés engagés au chantier de Burin contrevenait à l'art. 28 de la Loi.

Toutes les requêtes ont été entendues en même temps. La Commission a accordé la déclaration reconnaissant l'application de l'obligation du successeur (un membre de la Commission était dissident) et jugé qu'il était inutile de se prononcer sur les autres requêtes.

Les sociétés ont demandé à la section de première instance de la Cour suprême de Terre‑Neuve de décerner un bref de certiorari pour casser l'ordonnance de la Commission. Devant la section de première instance, les sociétés ont prétendu que la Commission n'avait pas compétence pour prononcer une telle déclaration et que, subsidiairement, si elle avait compétence, elle l'avait exercée d'une façon manifestement déraisonnable. Le juge Russell a rejeté la demande. Saisie de l'affaire, la Cour d'appel a, dans une décision unanime, conclu que la décision de la Commission était manifestement déraisonnable. La Cour a renvoyé la question des pratiques déloyales de travail à la Commission. L'autorisation de pourvoi devant notre Cour sur la question de l'obligation du successeur a été accordée le 8 juin 1989.

Les textes législatifs

Le paragraphe 16.1(2), l'al. 17k) et les par. 18(1) et 89(1) de The Labour Relations Act, 1977 de Terre‑Neuve, portent:

[TRADUCTION] 16.1 . . .

(2) Un syndicat, un conseil de syndicats, un employeur ou une association patronale peut demander à la Commission de se prononcer sur toute question visée à l'alinéa k) de l'article 17.

17. Dans le cadre de toute procédure engagée devant elle, ou à l'égard de toute question qui lui est présentée par le ministre ou par voie de requête, la Commission peut

. . .

k) trancher, pour toutes les fins visées par la présente loi, toute question qui peut être posée au cours d'une procédure, ou à l'occasion d'une requête ou d'un renvoi par le ministre, notamment toute question où il s'agit de déterminer si

. . .

(vii)une personne ou un organisme est partie à une convention collective ou est lié par celle‑ci,

(viii)une convention collective est en vigueur . . .

18. (1) Aucune décision, ordonnance, directive ou déclaration de la Commission n'est susceptible de contestation ou de révision devant un tribunal; aucune ordonnance ne peut être rendue, aucune action intentée et aucune procédure entamée devant un tribunal, par voie d'injonction, de jugement déclaratoire, de certiorari, de mandamus, de prohibition, de quo warranto ou autrement, pour contester, réviser, supprimer ou restreindre les pouvoirs de la Commission ou l'une quelconque de ses procédures.

89. (1) Lorsqu'un employeur vend, loue, transfère ou aliène par d'autres moyens, ou convient de vendre, de louer, de transférer ou d'aliéner par d'autres moyens son entreprise ou l'exploitation de celle‑ci ou toute partie de l'entreprise ou de son exploitation, et

a)que l'employeur ou l'acquéreur, le preneur à bail, le cessionnaire ou la personne qui acquiert par d'autres moyens l'entreprise est partie à une convention collective ou est lié par cette convention collective conclue par un agent négociateur au nom d'employés touchés par la vente, la location, le transfert, l'aliénation par d'autres moyens ou par contrat;

b)qu'un ou plusieurs agents négociateurs ont été accrédités comme agent négociateur de ces employés;

c)qu'un ou plusieurs syndicats ou qu'un conseil de syndicats ont demandé à être accrédités comme agent négociateur de ces employés; ou

d)qu'un ou plusieurs agents négociateurs ont donné ou ont le droit de donner l'avis visé à l'article 72 ou à l'article 73 à l'égard de ces employés,

sous réserve d'une directive contraire de la Commission, la convention collective, l'accréditation, la demande, l'avis ou le droit de donner l'avis demeure en vigueur et lie l'acquéreur, le preneur à bail, le cessionnaire ou la personne qui acquiert l'entreprise par d'autres moyens.

(2) Tout employeur, acquéreur, preneur à bail, cessionnaire, agent négociateur, syndicat ou conseil de syndicats ou toute autre personne visée au paragraphe (1) peut demander à la Commission de trancher toute question ou tout problème qui s'est posé ou qui pourrait se poser par suite de la vente, de la location, du transfert ou de l'aliénation, à l'égard de quelque convention collective, accréditation, demande, avis ou droit de donner un avis.

(3) Lorsqu'elle est saisie d'une requête présentée sous le régime du paragraphe (2), la Commission, par voie d'ordonnance, accorde toute réparation, donne toute directive ou prend toute autre mesure qu'à sa discrétion elle estime appropriée pour résoudre toute question ou tout problème pertinent; elle peut notamment, dans cette ordonnance ou dans une ordonnance subséquente,

a)modifier ou annuler toute convention collective de la manière qu'elle estime nécessaire ou appropriée;

b)modifier ou révoquer toute accréditation ou modifier toute demande d'accréditation;

c)modifier tout avis ou tout droit de donner un avis ou en restreindre l'effet;

d)déterminer si les employés visés constituent une ou plusieurs unités de négociation appropriées;

e)dans le cas où plusieurs conventions collectives demeurent en vigueur, désigner les employés visés par chacune;

f)modifier ou restreindre l'application ou l'effet de toute disposition d'une convention collective et définir à l'égard de celle‑ci les droits des employés touchés par la vente, par la location, par le transfert ou par l'aliénation par d'autres moyens;

g)désigner le ou les syndicats ou le conseil de syndicats qui seront le ou les agents négociateurs des employés; et

h)interpréter toute disposition d'une convention collective.

(4) Nonobstant toute disposition contraire de la présente loi, nul acquéreur, preneur à bail, cessionnaire ou personne qui acquiert l'entreprise par d'autres moyens ne sera tenu de négocier avec quelque agent négociateur à l'égard d'employés visés par une requête présentée sous le régime du paragraphe (2), avant que la Commission n'ait tranché la requête.

(5) Lorsqu'une requête est présentée sous le régime du paragraphe (2), la Commission peut entreprendre ou commander tout examen des dossiers ou toute autre enquête, tenir toute audience et prendre tout vote de représentation qu'elle estime nécessaire, et prescrire la nature des éléments de preuve qui doivent être produits.

Les jugements

La Newfoundland Labour Relations Board

Après examen de la preuve, les membres majoritaires ont renvoyé à l'une des décisions antérieures de la Commission dans l'affaire Pinsent Construction Ltd. v. International Union of Operating Engineers, Local 904 (1985), 55 Nfld. & P.E.I.R. 117, qui avait fait droit à une demande de reconnaissance de l'obligation du successeur dans le contexte de la construction. Les membres de la majorité ont ensuite abordé la question de savoir s'il y avait eu aliénation en l'espèce.

La Commission a tout d'abord examiné la relation entre les deux sociétés et souligné que lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a eu vente, transfert ou aliénation, les commissions ne se soucient pas outre mesure de la [TRADUCTION] "forme juridique particulière de l'aliénation de l'entreprise", tout particulièrement dans l'industrie de la construction où il arrive que les seuls éléments d'actif nécessaires à l'exploitation d'une entreprise soient la compétence et le savoir‑faire des directeurs. La Commission a résumé la preuve dans les termes suivants:

[TRADUCTION] Il nous semble clair qu'il y a une continuité perceptible dans l'entreprise ou dans une partie de celle‑ci, et que Planet ne représente pas une exploitation nouvelle ou différente sans aucun lien avec l'ancienne. Lester a été créée en 1978, et Planet en 1981. La nature des travaux effectués par l'une et l'autre est la même. Par exemple, Lester a construit l'hôpital à Clarenville et Planet a construit un hôpital identique à Burin. Les outils du métier sont les mêmes, les habiletés des travailleurs sont les mêmes, les types de projets visés par les soumissions sont les mêmes, les connaissances en matière de planification, d'ingénierie, de fonctionnement technique et d'estimation sont les mêmes. La seule différence importante est que dans un projet, les prix proposés sont calculés en tenant compte des taux syndiqués, tandis que dans l'autre, ils sont calculés en fonction de taux non syndiqués. La seule conclusion à laquelle nous pouvons arriver est que les maîtres d'{oe}uvre (les Lester) désirent être en mesure de fonctionner à l'extérieur des limites et des obligations d'une convention collective chaque fois qu'il leur est économiquement possible de le faire. Bien sûr, le danger de cette façon de procéder, c'est le risque de déroger aux dispositions de l'art. 89 de notre Loi. Dans l'affaire Pinsent, le commissaire McDonald a noté dans ses motifs supplémentaires que [TRADUCTION] "la preuve irréfutée dans l'affaire Pinsent établissait clairement que la seule raison motivant la constitution de N. & L. Construction était d'obtenir des travaux que Pinsent était incapable d'obtenir, grâce à l'avantage de taux non syndiqués". Il déclarait par la suite comprendre la situation critique des entrepreneurs du secteur privé, et la Commission partage ces opinions. Toutefois, pratiquement tous les facteurs qui ont convaincu la Commission dans l'affaire Pinsent se retrouvent en l'espèce. Nous avons déjà examiné le facteur de la "réduction progressive des activités" et nous avons conclu qu'il n'était pas déterminant en l'espèce. Le facteur qui a été souligné par l'avocat des sociétés en l'espèce est qu'aucun employé de Lester n'a travaillé au chantier de Burin. Même si dans certains cas ce facteur peut être très important, dans l'industrie de la construction, il a très peu de poids, s'il en a. Si ce facteur devait être déterminant, il suffirait, à la fin d'un projet, de mettre à pied les employés, puis d'entreprendre un nouveau projet en soumissionnant à des taux non syndiqués et d'engager alors de nouveaux employés pour accomplir les nouveaux travaux.

Les membres majoritaires ont alors conclu qu'on était en présence d'un successeur et ils ont statué dans une ordonnance que Planet était liée par la convention collective. Compte tenu de cette conclusion, la Commission a estimé qu'il n'était pas nécessaire d'examiner les plaintes relatives aux pratiques déloyales de travail.

Dans ses motifs de dissidence, J. V. McDonald a exprimé vigoureusement son désaccord d'avec les conclusions de la majorité. À son avis, avant qu'on puisse conclure à l'existence de l'obligation du successeur, le syndicat doit établir qu'il y a eu aliénation d'une partie identifiable et séparable de l'entreprise du prédécesseur. McDonald a affirmé qu'à la lumière des faits de l'espèce, il ne pouvait déterminer quelle partie distincte de l'entreprise de Lester avait été transférée ou aliénée par d'autres moyens en faveur de Planet. Il a souligné que dans leur décision, les membres majoritaires n'avaient pas identifié ce qui avait été transféré ou aliéné par d'autres moyens. Selon lui, les membres majoritaires cherchaient plutôt à établir que Lester et Planet étaient une seule et même entité, partant du principe que si l'on pouvait constater que les différences entre les deux n'étaient que superficielles ou fictives, il fallait conclure que l'une était le successeur de l'autre. Voilà pourquoi, à son avis, les membres majoritaires ont conclu erronément qu'en raison d'un lien apparemment étroit entre les deux sociétés en matière de propriété des actions et de contrôle, l'une devait nécessairement être le successeur de l'autre. McDonald a conclu que la preuve n'avait pas réussi à établir qu'une partie cohérente et séparable de l'entreprise de Lester avait été transférée à Planet, et qu'il n'y avait donc pas eu aliénation. Voici la teneur de sa conclusion:

[TRADUCTION] Je me demande comment les membres majoritaires peuvent faire si facilement fi du fait que Lester et Planet sont deux sociétés distinctes et actives; de plus, je ne puis voir clairement, et c'est le moins que je puisse dire, comment il peut y avoir une aliénation comme celle qu'a décrite la Commission en pareil cas. Je crois que le raisonnement qui sous‑tend la décision de la majorité ne peut que conduire à des résultats embarrassants et injustes, à la fois dans la présente affaire et dans celles dont la Commission peut être saisie à l'avenir; plus important encore, cette façon de voir entraîne un résultat qui, selon moi, n'était manifestement pas envisagé par les dispositions actuelles de la Loi.

McDonald a également souligné que la décision de la majorité représentait une modification importante de la loi et laissé entendre qu'à son avis, la décision de la majorité excédait la compétence de la Commission. Il a déclaré ce qui suit:

[TRADUCTION] À mon avis, la décision de la majorité de la Commission en l'espèce représente un écart important par rapport à la pensée antérieure et à la jurisprudence de la Commission. Avec égards, j'irais même jusqu'à dire que la majorité a adopté une conclusion qui est incompatible à la fois avec la disposition pertinente de notre Loi et avec les éléments de preuve produits devant la Commission au cours des audiences sur cette question.

La Cour suprême de Terre‑Neuve, section de première instance (le juge Russell) (1987), 67 Nfld. & P.E.I..R. 185

Le juge Russell a été saisi de deux points en litige: (1) la prétention selon laquelle la Commission n'avait pas compétence pour déterminer si une aliénation avait eu lieu et (2) subsidiairement, advenant que la Commission ait eu compétence, la prétention selon laquelle sa décision ne pouvait pas rationnellement s'appuyer sur la Loi.

Le juge Russell a conclu que la Commission avait compétence en vertu de l'alinéa 17k) de la Loi.

Puis, après avoir noté que la Commission avait étudié la preuve et les observations des parties et fondé sa conclusion qu'un transfert avait eu lieu en vertu de la Loi sur une interprétation qui pourrait rationnellement s'appuyer sur la législation, le juge Russell a rejeté sur le fond la demande de certiorari présentée par Lester.

La Cour d'appel de Terre‑Neuve (le juge en chef Goodridge, pour la Cour) (1988), 70 Nfld. & P.E.I.R. 145

La Cour d'appel a conclu que le doute que laissait planer le libellé du par. 89(1) et de l'al. 17k) quant à la question de savoir si la Commission avait en principe la compétence invoquée était dissipé par le par. 16.1(2).

Après avoir conclu que la Commission avait compétence en première instance pour trancher le point en litige, la cour a étudié la portée de l'art. 89. À son avis, à la p. 149, cette disposition ne visait que les cas où il y a clairement transfert:

[TRADUCTION] Au cours des dernières années, la question des exploitations à double volet n'a cessé d'être controversée dans l'industrie de la construction. L'article 89 n'a pas été adopté dans le but de trancher cette question. Le libellé de l'article montre clairement que le législateur songeait à un transfert dont l'existence ne serait pas controversée. Il envisageait une situation où l'entreprise ou l'exploitation d'une personne était transmise, en tout ou en partie, à une autre personne. À l'origine, il n'a inclus aucune disposition expresse permettant de déterminer si un transfert avait eu lieu, mais, présumant que celui‑ci avait eu lieu, il en a prévu les conséquences. En l'espèce, la conséquence essentielle est que la convention collective lierait le cessionnaire. [Je souligne.]

La cour a déclaré qu'elle avait pour tâche de déterminer si la Commission avait commis une erreur de droit dans son interprétation des mots [TRADUCTION] "transfert ou autre acte d'aliénation" ou si elle avait commis une erreur de fait en concluant que ce qui avait eu lieu était un [TRADUCTION] "transfert ou autre acte d'aliénation". Toutefois, compte tenu de la décision de notre Cour dans l'affaire Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 476, il n'y avait pas lieu d'établir une distinction puisque de toute façon le critère applicable est celui du caractère raisonnable. La cour a alors procédé à l'examen de la preuve déposée devant la Commission et conclu que celle‑ci n'étayait pas la conclusion arrêtée par la Commission et, partant, que la décision était manifestement déraisonnable. Elle a dégagé les conclusions suivantes, à la p. 153:

[TRADUCTION]

[1.]Lester n'a pas transféré à Planet le savoir‑faire et la connaissance de Brent et de Wade Lester. Brent et Wade Lester étaient au nombre des trois propriétaires des deux sociétés. C'était leur décision et non celle de Lester qui déterminait comment leurs talents devaient être utilisés.

[2.]Lester, Planet et deux autres sociétés occupaient le même immeuble et partageaient les coûts d'occupation.

[3.]Il n'y avait aucun échange d'employés entre Planet et Lester. Le seul cas établi par la preuve visait l'employée qui répondait au téléphone. La Commission a appris qu'elle travaillait pour Lester. Puisque Planet avait le même numéro de téléphone, c'est elle qui répondait au téléphone pour Planet. De plus, elle a été chargée de la feuille de paye de Planet durant une certaine période, mais cette tâche a par la suite été confiée à un comptable agréé.

[4.]Planet avait son propre matériel et ses outils. Toutefois, chacune des deux sociétés pouvait louer du matériel de l'autre, avec bail à l'appui.

[5.]En ce qui a trait au sens des affaires et à la responsabilité financière, la seule preuve présentée a établi que lorsque Planet était tenue de fournir un cautionnement d'exécution, Lester pouvait donner une garantie personnelle.

La Cour d'appel a conclu, à la p. 153, qu'en dépit de l'existence possible d'un [TRADUCTION] "échange de bons procédés" entre Lester et Planet, la vue d'ensemble ne révélait aucun transfert d'entreprise ou d'exploitation; en fait, c'est la conclusion contraire qui était étayée par la preuve. Les affaires entreprises par Planet à titre de société non syndiquée n'étaient pas et ne seraient jamais accessibles à Lester. Par conséquent, la conclusion de la Commission selon laquelle il y avait eu aliénation de l'entreprise au sens de l'art. 89 ne pouvait être étayée par la preuve et était donc manifestement déraisonnable.

La Cour d'appel a accueilli l'appel et statué que le juge Russell avait commis une erreur en rejetant la requête visant à casser la décision de la Commission portant que Planet était successeur d'une partie de l'entreprise de Lester au sens de l'art. 89 de la Loi.

Les questions en litige

Deux questions ont été soulevées devant nous:

I.La Commission avait‑elle compétence pour procéder à l'enquête sur la question de savoir s'il y avait application de l'obligation du successeur?

II.Le cas échéant, l'exercice de sa compétence était‑il manifestement déraisonnable?

Analyse

I. Compétence de la Commission

L'article 89 prévoit que s'il y a vente, location, transfert ou autre acte d'aliénation par un employeur en faveur d'un autre, la convention collective de l'employeur cédant est imposée au deuxième employeur. Puisqu'en l'espèce il n'y avait aucune reconnaissance du fait qu'une aliénation de quelque nature ait eu lieu, la Commission a été appelée à déterminer au préalable si une aliénation avait eu lieu. Il s'agissait de savoir si la Loi donnait à la Commission le pouvoir de déterminer si un employeur avait aliéné son entreprise ou une partie de son entreprise au sens du par. 89(1).

Le problème découle du fait qu'aucune des dispositions de la Loi en vigueur à l'époque pertinente n'habilitait la Commission à se demander si un transfert avait eu lieu. Le par. 89(1) ne donne pas expressément à la Commission la compétence pour déterminer si un tel transfert a eu lieu; il prévoit seulement que la convention collective liera automatiquement l'acquéreur si un tel transfert a eu lieu. Le par. 89(2) n'apporte lui non plus aucune aide à l'égard de la question de compétence. En ce qui a trait au sous‑al. 17k)(vii), s'il donne à la Commission la compétence pour trancher des questions comme celle de savoir si une personne ou un organisme est partie à une convention collective ou est lié par celle‑ci, il ne s'applique que lorsque la question à trancher se rattache à une procédure en instance devant la Commission. Dans l'arrêt Banque Nationale du Canada c. Union internationale des employés de commerce, [1984] 1 R.C.S. 269, notre Cour a conclu qu'un conseil des relations du travail avait compétence pour procéder à une enquête préliminaire en ce qui a trait au transfert. La disposition législative en cause était toutefois l'article 144 du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, ch. L-1, qui prévoit que "lorsqu'une question se pose en vertu du présent article, soit de savoir si une entreprise a été vendue ou non, soit quant à l'identité de l'acheteur, elle doit être tranchée par le Conseil." En l'absence d'une disposition équivalente dans la Loi de Terre‑Neuve, on peut soutenir que la Commission n'avait été saisie d'aucune question lui permettant de se fonder sur l'art. 17 pour imposer une convention collective.

Cette lacune apparente de la Loi a été comblée par l'adoption de l'art. 16.1 qui permet à un syndicat de demander à la Commission de se prononcer sur toute question visée à l'art. 17. En l'espèce, la Cour d'appel a conclu que tout doute quant à la compétence de la Commission est dissipé par l'art. 16.1. Cela n'est toutefois pas exact en l'espèce puisque l'art. 16.1 n'était pas en vigueur au moment où la Commission a été saisie de cette requête.

Puisque l'adoption de l'art. 16.1 rend théorique la présente question en litige, exception faite de son application à l'espèce, et compte tenu de ma conclusion sur la question de fond portée devant la Cour, je suis prête à supposer, pour les fins du présent jugement, que la Commission des relations du travail avait compétence pour déterminer s'il y avait eu vente, location, transfert ou autre acte d'aliénation.

II.La Commission a‑t‑elle exercé sa compétence de façon manifestement déraisonnable?

En supposant que le tribunal avait la compétence de première instance pour établir si une vente, une location, un transfert ou un autre acte d'aliénation a eu lieu, il faut se demander si sa décision, portant qu'il y avait eu effectivement aliénation, était manifestement déraisonnable et constituait un excès de compétence. Ce principe fondamental a été expliqué par le juge Dickson, alors juge puîné de notre Cour, dans l'arrêt Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association, [1975] 1 R.C.S. 382, à la p. 389:

Un tribunal peut, d'une part, avoir compétence dans le sens strict du pouvoir de procéder à une enquête mais, au cours de cette enquête, faire quelque chose qui retire l'exercice de ce pouvoir de la sauvegarde de la clause privative ou limitative de recours. Des exemples de ce genre d'erreur seraient le fait d'agir de mauvaise foi, de fonder la décision sur des données étrangères à la question, d'omettre de tenir compte de facteurs pertinents, d'enfreindre les règles de la justice naturelle ou d'interpréter erronément les dispositions du texte législatif de façon à entreprendre une enquête ou répondre à une question dont il n'est pas saisi.

En dernière analyse, la question à résoudre dans les cas de prétendue application fautive de dispositions législatives, énoncée par notre Cour dans l'arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, à la p. 237, est la suivante:

. . . l'interprétation de la Commission est‑elle déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire?

Le critère de contrôle est un "test. . . sévère": Blanchard c. Control Data Canada Ltée, précité, à la p. 493.

L'article 18 de la loi de Terre‑Neuve contient une clause privative en vertu de laquelle la cour n'a compétence pour entreprendre un examen de la décision du tribunal administratif que si celui‑ci a commis une erreur en interprétant les dispositions attributives de compétence ou s'il a excédé sa compétence en commettant une erreur de droit manifestement déraisonnable dans l'exercice de sa fonction: CAIMAW c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983.

Les cours de justice devraient faire preuve de circonspection et de retenue dans l'examen des décisions de tribunaux administratifs spécialisés comme la Commission en l'espèce. Cette retenue s'étend à la fois à la constatation des faits et à l'interprétation de la loi. Ce n'est que lorsque les éléments de preuve, perçus de façon raisonnable, ne peuvent étayer les conclusions de fait du tribunal, ou que l'interprétation donnée aux dispositions législatives est manifestement déraisonnable que la cour de justice peut intervenir. Comme l'a dit le juge Dickson, alors juge puîné, dans l'arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, précité, aux pp. 235 et 236, en se référant à la clause privative de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics, L.R.N.-B. 1973, ch. P-25:

[la clause] révèle clairement la volonté du législateur que les différends du travail dans le secteur public soient réglés promptement et en dernier ressort par la Commission. Des clauses privatives de ce genre sont typiques dans les lois sur les relations de travail. On veut protéger les décisions d'une commission des relations de travail, lorsqu'elles relèvent de sa compétence, pour des raisons simples et impérieuses. La commission est un tribunal spécialisé chargé d'appliquer une loi régissant l'ensemble des relations de travail. Aux fins de l'administration de ce régime, une commission n'est pas seulement appelée à constater des faits et à trancher des questions de droit, mais également à recourir à sa compréhension du corps jurisprudentiel qui s'est développé à partir du système de négociation collective, tel qu'il est envisagé au Canada, et à sa perception des relations de travail acquise par une longue expérience dans ce domaine.

En même temps, la cour de justice ne saurait faire preuve de retenue à l'égard de décisions manifestement déraisonnables. Comme l'a récemment noté le juge Wilson dans l'arrêt Paccar, précité, à la p. 1021:

. . . s'il s'agissait simplement de décider du caractère juste, voire raisonnable, de l'interprétation donnée au Code par la Commission, il n'appartiendrait pas aux cours de justice de se prononcer. Dans les circonstances, le principe de la retenue judiciaire exigerait qu'on respecte la décision de la Commission. Mais les tribunaux ne sauraient faire preuve de retenue à l'égard de décisions manifestement déraisonnables. Pareilles décisions ne sauraient être considérées comme résultant de l'exercice de compétences particulières ou comme, selon ce que prétend l'appelant, des "choix de politique" non susceptibles de contrôle par les tribunaux. On ne peut les traiter que comme des décisions que la Commission n'avait pas compétence pour rendre. [Je souligne.]

La question à résoudre est donc de savoir s'il existe des erreurs établissant que la Commission a excédé sa compétence en l'espèce. La contestation n'a allégué ni la mauvaise foi de la part de la Commission ni la violation des règles procédurales de la justice naturelle. Elle porte plutôt sur le fondement de la décision de la Commission. En premier lieu, on prétend que la Commission a mal interprété les dispositions de la Loi. En deuxième lieu, on affirme qu'il n'existe aucun élément de preuve pouvant étayer la conclusion de la Commission qu'un transfert a eu lieu. Les deux points sont liés. La première question porte sur l'interprétation de l'art. 89. Quels arrangements et quelles relations celui‑ci embrasse‑t‑il? La réponse qui sera donnée à cette question déterminera la nature des moyens de preuve nécessaires pour entraîner l'application de l'article.

A. L'interprétation de l'art. 89

Le paragraphe 89(1) de la Loi établit les conditions dans lesquelles la convention collective entre un syndicat et un employeur peut être imposée à un autre employeur à l'égard du même syndicat. Cela se produit [TRADUCTION] "Lorsqu'un employeur vend, loue, transfère ou aliène par d'autres moyens, ou convient de vendre, de louer, de transférer ou d'aliéner par d'autres moyens son entreprise ou l'exploitation de celle‑ci ou toute partie de l'entreprise ou de son exploitation . . ."

La question est de savoir si ces mots embrassent des sociétés parallèles exploitées côte à côte de façon indépendante mais non sans quelque lien, ou si, au contraire, ils se limitent aux situations de transfert véritable.

(1) Le problème

Pour comprendre le par. 89(1), il est nécessaire d'examiner le problème que cette disposition et diverses dispositions semblables à l'échelle du pays visent à résoudre.

Le but fondamental de ces dispositions est d'empêcher que des employés ne perdent leur protection syndicale lorsqu'une entreprise est vendue ou transférée ou lorsque des modifications sont apportées à la structure d'une entreprise. Le problème peut se poser de deux façons.

La situation classique, la première qui a été visée dans la plupart des provinces, se produit lorsqu'une entreprise ou une partie d'une entreprise est transférée d'une société à une autre. Le transfert peut avoir lieu pour des motifs légitimes ou comme moyen d'évincer un syndicat; il peut se produire entre des sociétés sans aucun lien ou résulter de la réorganisation d'une société. L'effet est le même. À défaut de mesure législative, l'effet du transfert est de mettre un terme à la relation entre le syndicat et l'employeur, de sorte que les employés perdent leurs droits de négociation. C'est pour résoudre ce problème que des dispositions sur l'obligation du successeur, comme l'art. 89 de The Labour Relations Act, 1977 de Terre‑Neuve, ont été adoptées.

La deuxième situation dans laquelle le problème peut se poser n'implique pas, à première vue, un transfert de l'entreprise ou d'une partie de l'entreprise d'une société à une autre. Le problème se pose lorsqu'une société, qui continue à exploiter une entreprise assujettie à une convention collective, établit une deuxième société parallèle qui fonctionne sans syndicat. Cette pratique, dite du "double volet", est un moyen auquel on peut facilement recourir dans l'industrie de la construction où les employés sont habituellement embauchés pour des travaux précis. En passant par une nouvelle société non syndiquée pour obtenir un nouveau projet, l'employeur peut éviter un contrat régi par la convention collective. S'ils veulent travailler, les employés de la première société peuvent être forcés de travailler sur un chantier non syndiqué pour la deuxième société. S'il y a transfert de travaux ou d'employés en faveur de la société non syndiquée, les dispositions sur l'obligation du successeur peuvent être invoquées par les employés touchés. Toutefois, à défaut d'une certaine forme d'aliénation, ces dispositions n'empêcheront pas le recours à des exploitations à double volet.

Puisque, en l'absence d'aliénation, les structures de sociétés apparentées ne provoqueront pas l'application des dispositions sur l'obligation du successeur, le Parlement et six provinces ont adopté des dispositions relatives à l'employeur unique: Alberta, Labour Relations Code, S.A. 1988, ch. L‑1.2, art. 45; Colombie‑Britannique, Industrial Relations Act, R.S.B.C. 1979, ch. 212, art. 37; Manitoba, Loi sur les relations du travail, L.R.M. 1987, ch. L10, art. 59; Nouvelle‑Écosse, Trade Union Act, S.N.S. 1972, ch. 19, art. 20; Ontario, Loi sur les relations de travail, L.R.O. 1980, ch. 228, par. 1(4); Canada, Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L‑2, art. 35. Dans le contexte de l'industrie de la construction, les dispositions relatives à l'employeur unique permettent aux commissions du travail d'imposer une convention collective dans les cas d'exploitations à double volet lorsque cela sert les fins visées en matière de relations du travail.

Terre‑Neuve n'a pas adopté de dispositions législatives relatives à l'employeur unique. Dans un rapport sur l'industrie de la construction, le Comité consultatif du Ministre du Travail de la province de Terre‑Neuve a étudié puis rejeté la possibilité d'adopter de telles dispositions. Après avoir entendu les observations de syndicats et d'employeurs de la construction, et tenu compte à la fois du besoin de permettre aux sociétés de demeurer compétitives et des intérêts des syndicats, le Comité a conclu que les dispositions législatives existantes offraient suffisamment de protection.

En l'espèce, il ne s'agit pas d'une situation qui commande l'application de l'obligation du successeur au sens classique du transfert d'une entreprise ou d'une partie d'entreprise d'une société à une autre. Il s'agit plutôt d'une situation qui appartient à la deuxième catégorie, celle d'une société auxiliaire, apparentée. Compte tenu de l'absence, à Terre‑Neuve, de dispositions législatives visant l'employeur unique, la question est de savoir si les dispositions sur l'obligation du successeur, à l'art. 89 de la Loi, peuvent être interprétées comme embrassant l'espèce.

(2)Recours judiciaires pour résoudre le problème des exploitations à double volet

a)Recours aux dispositions sur l'obligation du successeur et limites de celles‑ci

Des dispositions sur l'obligation du successeur semblables à l'art. 89 de la Loi existent dans toutes les lois provinciales sur le travail et dans le Code canadien du travail. Même si le libellé peut varier quelque peu, le but visé par ces dispositions est toujours le même. L'une des citations fréquemment reprises pour expliquer la raison qui sous‑tend les dispositions sur l'obligation du successeur est extraite d'une décision de la Labour Relations Board de la Colombie‑Britannique dans l'affaire Kelly Douglas & Co. and W.H. Malkin Ltd., [1974] 1 CLRBR 77, aux pp. 81 et 82:

[TRADUCTION] L'exercice par un employeur de son droit de disposer librement de son entreprise peut entraîner de graves conséquences pour la situation de ses employés. Il se peut que ceux‑ci aient lutté pour s'organiser, pour négocier et pour obtenir une convention collective. Une fois cette convention signée, les employés s'attendent naturellement à ce qu'elle soit respectée dans l'exploitation de l'entreprise. Le problème, c'est que ces attentes pourraient être réduites à néant du seul fait d'un simple changement de propriétaire de la société. Les employées peuvent toujours travailler à la même usine, sur le même appareil, en vertu des mêmes conditions de travail, sous la même supervision, à faire exactement le même travail qu'avant, mais pour un employeur différent. Le résultat de la vente de l'entreprise, vente dont les employés ne sont peut‑être même pas au courant, c'est que les droits de la convention collective des employés peuvent avoir disparu.

On ne peut s'attendre de façon réaliste que ces intérêts des employés et de leur syndicat figurent au premier rang des négociations commerciales que les employeurs sont libres d'engager. Par conséquent, le législateur a adopté une protection très simple. L'accréditation et les autres ordonnances prévues au Code suivent l'entreprise et lient le cessionnaire. Le législateur est même allé jusqu'à imposer la convention collective à une personne qui ne l'a pas signée. C'est à l'acquéreur éventuel qu'il incombe de s'enquérir des termes de l'entente négociée entre son prédécesseur et le syndicat et de s'assurer qu'il en est tenu compte dans le prix d'achat de la prise de contrôle avant que l'acquéreur ne se substitue à l'ancien employeur.

Dans ce contexte, il importe que la Commission donne une interprétation entière et libérale à la notion d'obligation du successeur. Plus précisément, on ne devrait accorder que peu d'importance à la forme juridique particulière que revêt une aliénation d'entreprise entre l'ancien employeur et son successeur. Du point de vue du droit en matière de conventions collectives, le facteur important en jeu est la relation entre le successeur, les employés et l'entreprise.

Dix des lois sur les relations du travail contiennent des dispositions dont la formulation s'apparente à celle de l'art. 89 de la Loi de Terre‑Neuve, et mentionnent des opérations comme la vente, la location, le transfert et l'aliénation. (La loi équivalente du Québec contient également une disposition sur l'obligation du successeur, dans laquelle est utilisée l'expression "l'aliénation ou la concession"). Même si les expressions "vente" et "location" peuvent avoir des sens restreints, les mots "transfert" et "autre acte d'aliénation" font l'objet d'une interprétation large et embrassent plusieurs types d'opérations, y compris l'échange, le don, la fiducie, la prise de contrôle, l'absorption et la fusion.

En accord avec la fin visée par les dispositions sur l'obligation du successeur -‑ protéger la permanence des droits de négociation -‑ les commissions du travail ont donné à l'expression "aliénation" une interprétation large embrassant pratiquement tout mode de transfert, sans se fonder sur la forme juridique particulière des opérations commerciales. Comme l'a expliqué la Commission de l'Ontario dans l'affaire United Steelworkers of America v. Thorco Manufacturing Ltd. (1965), 65 CLLC {PP} 16,052, une définition extensive correspond au but de la disposition ‑ conserver les droits de négociation peu importe la forme juridique de l'opération qui les met en péril.

Dans l'arrêt Banque Nationale du Canada c. l'Union internationale des employés de commerce, précité, notre Cour a affirmé que la forme juridique particulière d'une aliénation n'est pas concluante et elle a confirmé la conclusion de la Cour d'appel fédérale qui avait jugé que l'interprétation donnée par une commission du travail au mot "aliénation", portant qu'il englobait la fusion, n'était pas manifestement déraisonnable.

Malgré le vaste pouvoir discrétionnaire des commissions du travail lorsqu'elles sont appelées à déterminer si le mode d'aliénation constitue une succession, il n'en demeure pas moins que dans pratiquement tous les ressorts, il doit y avoir d'une part abandon de quelque chose par l'entreprise prédécesseur et d'autre part obtention de quelque chose par le successeur pour que l'espèce soit visée par la disposition législative.

L'association appelante nous a proposé les définitions suivantes du mot "aliénation":

[TRADUCTION] . . .`transmettre ou confier la propriété d'un bien par voie testamentaire; exercice final, de quelque manière, de son pouvoir de contrôle sur un bien; faire passer sous le contrôle de quelqu'un d'autre; céder, renoncer, se détacher de, se défaire de; sortir, en finir avec quelque chose; perdre quelque chose en marchandant; transférer quelque chose en de nouvelles mains ou sous le contrôle de quelqu'un d'autre (notamment par la vente ou le marchandage); abandonner la totalité; (disposer d'un bien en faveur de quelqu'un qui ne demande qu'à l'acheter)'.

Il ressort clairement de chacune de ces définitions que l'aliénation signifie nécessairement que, d'une façon quelconque, la première société ne possède plus l'entreprise ou la partie de l'entreprise visée, qui a été transmise à la deuxième société.

La jurisprudence de tous les ressorts au Canada va dans le même sens. Même s'il existe de légères différences d'une province à l'autre en ce qui a trait à la portée (certaines lois ne mentionnent que l'aliénation d'une entreprise tandis que d'autres prévoient l'aliénation d'une partie d'une entreprise), le principe commun à tous les ressorts est qu'il doit y avoir abandon de quelque chose de la première entreprise en faveur de la deuxième.

Si la disposition législative en cause permet l'application de l'obligation du successeur dès qu'il y a aliénation d'une partie d'entreprise (comme le fait la Loi de Terre‑Neuve), la Commission a davantage de latitude pour conclure à l'existence d'une succession puisque celle‑ci peut avoir lieu par exemple lorsqu'une entreprise ne transfère qu'une partie de son opération. Toutefois, même lorsque la Loi prévoit les cas d'aliénation d'une partie d'entreprise, il se peut que le transfert d'éléments d'actif ne suffise pas à lui seul pour établir l'application de l'obligation du successeur. Il faut plutôt qu'une partie identifiable de l'entreprise soit aliénée. Comme l'a écrit l'auteur Adams dans son ouvrage Canadian Labour Law (1985), à la p. 414, au terme d'un examen du droit applicable dans divers ressorts: [TRADUCTION] "Dans pratiquement tous les cas où l'on a conclu à la vente d'une partie d'une entreprise, il y a eu transfert d'une partie distincte et identifiable des opérations du prédécesseur". L'auteur poursuit, à la p. 415:

[TRADUCTION] Il ressort clairement de toutes ces affaires que ce qui doit être transféré, c'est une partie de l'entreprise qui peut être définie et identifiée comme une entité fonctionnelle qui est viable par elle‑même ou qui peut suffisamment être distinguée pour pouvoir être retranchée de l'ensemble.

Afin de déterminer si l'entreprise ou une partie de l'entreprise a été aliénée, la plupart des commissions examinent la nature de l'entreprise du prédécesseur ainsi que la nature de l'entreprise du successeur, de façon à établir si l'entreprise du prédécesseur est exploitée par le successeur. La plupart des commissions abordent la question en examinant des facteurs comme la nature des travaux visés par la convention collective, la sorte d'actif qui a été transféré, la question de savoir si de l'achalandage a été transféré, si des employés ont été transférés, si l'entreprise est exploitée au même endroit, s'il y a continuité de gestion et s'il y a continuité des travaux accomplis: Lyric Theater Ltd. v. International Alliance of Theatrical Stage Employees, [1980] 2 Can LRBR 331 (C.‑B.); Canadian Union of Public Employees v. Metropolitan Parking Inc., [1980] 1 Can LRBR 197 (Ont.). Aucun facteur particulier n'est déterminant puisque certains facteurs qui permettent de conclure à l'application de l'obligation du successeur dans un secteur industriel peuvent être insuffisants dans un autre: International Longshoremen's Assn. v. Terminus Maritime Inc. (1983), 83 CLLC {PP} 16,029. Dans chaque cas, la Commission doit déterminer si, dans le contexte commercial où s'est produit l'opération, on peut raisonnablement affirmer, compte tenu des facteurs en jeu, que l'entreprise ou une partie de l'entreprise a été transférée du prédécesseur au successeur. Puisqu'une entreprise représente plus que la seule accumulation d'éléments d'actif, la question essentielle à poser [TRADUCTION] "est de savoir si le cessionnaire a acquis du cédant un instrument économique fonctionnel": Metropolitan Parking Inc., précité, à la p. 209.

Après avoir passé en revue les principes généraux régissant l'interprétation des dispositions sur l'obligation du successeur, j'aborde l'interprétation de ces dispositions dans le contexte de l'industrie de la construction. En raison de la nature particulière de cette industrie, bon nombre des facteurs qui ont été examinés dans d'autres contextes afin de déterminer s'il y avait application de l'obligation du successeur peuvent ne pas être pertinents. Comme l'explique Paul Weiler dans son ouvrage Reconcilable Differences: New Directions in Canadian Labour Law (1980), à la p. 183:

[TRADUCTION] Le caractère des relations de travail dans l'industrie de la construction est très différent de celui qui existe dans le secteur industriel typique. Il n'y a aucune place pour la sorte de statut protégé dont jouissent maintenant les employés en vertu de la plupart des conventions collectives. De même, il n'y a aucun fondement pour la sorte d'association permanente qu'un groupe d'employés peut élaborer dans une unité de négociation industrielle. L'employé de la construction doit toujours s'attendre à un emploi court et passager, et il doit être prêt à assumer une très grande mobilité, passant d'un projet à un autre à l'intérieur d'un grand territoire géographique.

C'est le syndicat de la construction qui comble le vide, qui fournit la continuité et la structure dans la carrière des hommes de métier.

En bref, l'application des facteurs traditionnels à l'industrie de la construction peut aider certains entrepreneurs à miner la protection des droits de négociation visée par les dispositions sur l'obligation du successeur. Les sociétés de construction, qui ont souvent très peu d'éléments d'actif corporels, pourraient se soustraire à leurs obligations syndicales en ayant simplement recours à la technique consistant à établir une nouvelle société pour présenter des soumissions à l'égard d'un nouveau projet.

C'est en réponse à ce type de tactique que les commissions du travail ont entrepris d'appliquer des critères différents lorsqu'elles doivent étudier des dispositions sur l'obligation du successeur dans le contexte de la construction. Le traitement différent réservé à l'obligation du successeur dans cette industrie est expliqué ainsi dans la décision Gibraltar Development Corporation, BCLRB 12 29/82, à la p. 607:

[TRADUCTION] Bien que la notion de transfert d'une entreprise au moyen du transfert d'éléments d'actif soit une notion valable dans bon nombre de contextes, il se peut qu'elle soit totalement inapplicable dans certaines situations de l'industrie de la construction. Dans cette industrie, le seul élément "d'actif" nécessaire pour exploiter une entreprise peut fort bien se limiter aux connaissances et au savoir‑ faire de ses directeurs, de même qu'à la réputation et à la crédibilité qui en découlent. Le déplacement de ce savoir‑faire et de cette réputation par la "liquidation" d'une entreprise et "l'établissement" d'une autre est différent du transfert d'éléments d'actif corporels d'une entreprise.

Dans les cas où l'exploitation d'une entreprise nécessite peu d'éléments d'actif corporels, voire aucun de ces éléments, les directeurs peuvent être le seul "trait" distinctif d'une entreprise. Il serait alors beaucoup plus significatif de les décrire comme étant ou constituant l'entreprise plutôt que comme des "éléments d'actif" de l'entreprise. [Je souligne.]

Par conséquent, certaines commissions saisies de cette question dans le contexte de l'industrie de la construction ont élaboré ce qui a parfois été décrit comme la notion de "la personne clé". On a parfois fait droit à des demandes d'application de l'obligation du successeur lorsque le directeur d'une petite société de construction syndiquée avait quitté la société pour fonder une société non syndiquée, pourvu toutefois que la personne en cause ait réellement été une personne clé ou l'actif principal de la première entreprise: voir par exemple Rivard Mechanical; Re Plumbers Union, Local 71, [1981] OLRB Rep.mai 550; Frank Browne Acoustics Kamloops (1982) Ltd. v. United Brotherhood of Carpenters and Joiners (1984), 6 CLRBR (NS) 247 (C.‑B.). En l'espèce, aucun des directeurs en cause n'a quitté la société syndiquée. Les deux sociétés continuent à fonctionner dans la situation classique d'exploitation à double volet.

On a également fait droit à des demandes relatives à l'obligation du successeur dans des cas où il a été établi qu'en raison de la présence de la société non syndiquée, la société syndiquée perdait des travaux, ou réduisait progressivement ses activités: voir par exemple United Brotherhood of Carpenters & Joiners of America v. Cana Construction Co. (1984), 9 CLRBR (NS) 175 (Sask.); Doran Construction Ltd., Taggart Construction Ltd. and Taggart General Contractors Ltd.; Re Carpenters Union, Local 93, [1984] OLRB Rep.août 1108 (Ont.); Gibraltar Development, précité, à la p. 1108; Pinsent Construction Ltd. v. International Union of Operating Engineers, Local 904, précité.

Il ressort clairement d'un examen de nombreuses décisions touchant l'industrie de la construction que dans tous les cas où l'obligation du successeur a été établie, il se trouvait soit qu'un directeur principal avait quitté la première société (de telle sorte que même si la première société demeurait opérationnelle, une partie de l'entreprise pouvait avoir été aliénée) soit que la première société avait réduit progressivement ses activités ou avait à tout le moins subi une baisse d'affaire en raison de la présence de la société non syndiquée. Toutefois, lorsque les deux sociétés demeuraient totalement opérationnelles et que les directeurs continuaient à travailler pour les deux sociétés, les commissions n'ont pas conclu à l'existence de l'obligation du successeur puisqu'il n'y avait pas d'aliénation identifiable: voir par exemple Viandes Seficlo Inc. v. Union des Employés de Commerce (1984), 84 CLLC {PP} 14,047 (Qué.); International Brotherhood of Electrical Workers v. Minas Electric Co. (1976), 77 CLLC {PP} 16,075 (N.-É.); Labourers' International Union of North America v. Elmont Construction Ltd., [1974] OLRB Rep.juin 342. En d'autres termes, rien dans les dispositions sur l'obligation du successeur n'interdit à une personne d'être propriétaire de plus d'une société ou de travailler pour plus d'une société, ni n'empêche une société d'exploiter un volet syndiqué et un volet non syndiqué.

Cela ne veut pas dire qu'en l'absence d'une disposition visant l'employeur unique, la propriété en commun soit toujours dépourvue de pertinence. Un lien intersociétés étroit peut parfois appuyer la conclusion qu'une opération a été conçue de façon à contourner les droits de négociation et qu'elle est par conséquent contraire à l'objectif visé par les dispositions relatives à l'obligation du successeur. Comme l'a déclaré la Commission de l'Ontario dans l'affaire Metropolitan Parking Inc., précitée, aux pp. 211 et 212:

[TRADUCTION] Lorsqu'elle est appelée à évaluer les faits permettant de conclure à l'existence d'un transfert d'entreprise, la Commission porte depuis toujours une attention spéciale à toute relation intersociétés, commerciale ou familiale préexistante entre le prédécesseur et le prétendu successeur . . . Si les deux entreprises sont exploitées "dans le même secteur" (si par exemple elles fournissent le même produit, d'une façon à peu près semblable et au même marché ou aux mêmes clients potentiels), il se peut qu'un transfert d'entreprise ait eu lieu, bien qu'il soit très difficile à déceler. En pareilles circonstances, il peut être important d'étudier attentivement les liens préexistants ou les liens de contrôle commun auxquels sont assujettis à la fois le prétendu prédécesseur et le prétendu successeur. C'est cette analyse qui est précisément engagée par la Commission à l'égard d'une requête présentée sous le régime du paragraphe 1(4) [la disposition relative à l'employeur unique en Ontario] mais celle‑ci s'applique également aux requérants présentées en vertu de l'article 55 et c'est pour cette raison que les requêtes invoquent habituellement le paragraphe 1(4) de façon subsidiaire. Il ne serait pas approprié de voir dans cet examen un "critère" concluant à l'égard de l'obligation du successeur; lorsqu'il existe un lien intersociétés préexistant entre le prédécesseur et le successeur, la Commission est prête à conclure à l'existence d'un "transfert" dès qu'il y a la moindre preuve d'une telle opération. [Je souligne.]

Voir aussi: United Brotherhood of Carpenters & Joiners of America v. Cana Construction Co., précité.

Toutefois, même si l'existence de sociétés apparentées peut justifier l'adoption d'une attitude moins stricte à l'égard de la question de savoir si l'obligation du successeur s'applique, il n'en demeure pas moins que des liens intersociétés sans quelque élément de preuve d'une aliénation ne suffiront pas à entraîner l'application des dispositions sur l'obligation du successeur.

Jusqu'à l'affaire qui nous occupe, la Newfoundland Labour Relations Board avait suivi la même attitude que d'autres commissions lorsqu'elle était saisie de questions portant sur l'obligation du successeur dans l'industrie de la construction. Par exemple, dans l'affaire Re International Association of Machinists v. Professional Personnel Services Ltd. and C.P. Personnel Ltd. (Newfoundland Labour Relations Board, décision inédite, sept. 1985), une société syndiquée détenait un contrat de sécurité aéroportuaire qui a par la suite été confié à une société non syndiquée. Les deux sociétés étaient contrôlées et gérées par la même personne. La Commission a conclu qu'il n'y avait pas eu aliénation et elle a refusé d'ordonner l'application de l'obligation du successeur. Elle a jugé que le fait de la propriété commune de la majorité des actions et d'un lien possible entre les deux sociétés était insuffisant pour donner lieu à l'application de l'art. 89 puisqu'il fallait de fait une vente ou un autre acte d'aliénation.

Dans l'affaire United Brotherhood of Carpenters and Joiners v. N. D. Dobin Ltd. and Bradco Ltd. (Newfoundland Labour Relations Board, décision inédite, sans motifs écrits, mars 1985, citée dans l'opinion dissidente de la Commission), deux sociétés, l'une syndiquée et l'autre non syndiquée, appartenaient aux mêmes personnes, étaient dirigées par celles‑ci et partageaient des aires de bureau, du personnel et des dépenses. Les sociétés partageaient également du matériel au moyen de contrats de location intersociétés. La Commission n'a pas accueilli la requête présentée par le syndicat sous le régime de l'art. 89 parce qu'elle a conclu qu'il n'y avait pas aliénation. L'un des motifs de cette conclusion était le fait que les deux sociétés étaient toujours des entreprises actives et fonctionnelles.

À l'inverse, dans United Brotherhood of Carpenters and Joiners v. Robco Ltd. and Brookfield Investments Ltd. (Newfoundland Labour Relations Board, décision inédite, mai 1985) et dans Pinsent, précitée, des décisions déclaratoires reconnaissant l'obligation du successeur ont été rendues lorsque la société originale a cessé d'exister et que la deuxième société a accru ses opérations.

Il ressort de ces affaires que, jusqu'à cette décision, la Commission de Terre‑Neuve avait suivi la jurisprudence traditionnellement acceptée à l'égard des dispositions relatives à l'obligation du successeur dans l'industrie de la construction. Si un directeur a quitté la société syndiquée, ou si la première société a perdu des travaux ou qu'elle a réduit progressivement ses activités, l'obligation du successeur peut être reconnue. Lorsqu'aucun de ces facteurs n'est présent, le seul fait d'avoir recours à une exploitation à double volet ne suffit pas à établir l'existence d'une obligation du successeur puisque rien n'a été transféré, au sens classique d'une perte pour la société syndiquée accompagnée d'un gain correspondant pour la société non syndiquée.

Je ne puis conclure mon examen de la portée du par. 89(2) de la Loi sans mentionner les trois décisions sur lesquelles se fonde l'appelante pour faire valoir que la disposition pourrait embrasser des circonstances où il ne s'agit pas clairement d'un transfert d'une société à une autre. L'appelante a cité les décisions Kelly Douglas & Co., précité; Frank Browne Acoustics, précitée, et Pinsent Construction Ltd. v. International Union of Operating Engineers, Local 904, précitée, à l'appui de sa prétention selon laquelle la relation entre Lester et Planet de même que la présence des Lester dans la présentation de soumissions pour les deux sociétés pouvaient clairement être visées par le sens donné à l'expression "tout autre acte d'aliénation." Même s'il est vrai que dans ces affaires, les commissions du travail en cause ont conclu qu'on ne peut employer de simples moyens légaux comme la constitution d'une société pour porter atteinte à des droits de négociation durement gagnés, ces décisions peuvent se distinguer de l'espèce. Dans toutes ces affaires, la preuve à l'appui de l'obligation du successeur allait bien au‑delà de la seule existence de sociétés apparentées.

Dans l'affaire Kelly Douglas & Co., à la suite d'une réorganisation de la société, des travaux auparavant accomplis par certaines succursales de la société avaient été transférés à d'autres succursales, entraînant de la sorte la fermeture de certains points de vente. Des travaux avaient, de fait, été transférés. Dans l'affaire Frank Brown Accoustics, l'un des deux directeurs avait quitté la société syndiquée. Par conséquent, il y avait eu transfert de l'actif (le savoir‑faire, la connaissance etc. du directeur). Dans l'affaire Pinsent, la preuve a montré que les sociétés syndiquées avaient perdu des travaux en raison de la création de l'exploitation à double volet non syndiquée. Encore une fois, il y avait eu transfert de travaux.

En résumé, dans aucune de ces affaires la présence de deux sociétés fonctionnant côte à côte n'a suffi à elle seule à entraîner l'application de l'obligation du successeur. Il en faut plus pour indiquer un transfert ou une aliénation. Dans Re N & L Construction Ltd. (1987), 64 Nfld. & P.E.I.R. 271, la Cour d'appel de Terre‑Neuve a été saisie de nouveau de la question de savoir s'il y avait transfert au sens de l'art. 89 de la Loi. La preuve avait établi que la société syndiquée avait fait très peu de travaux ou de soumissions après la création de la société non‑syndiquée. Le juge Gushue a donc maintenu la décision de première instance qui avait confirmé la décision initiale de la Commission. Ce faisant, il a insisté sur l'importance de cet élément additionnel et a déclaré ceci à la p. 275:

[TRADUCTION] Il y a lieu de maintenir la décision de la Commission. J'aimerais ajouter que cette conclusion est fondée sur les faits déterminants de cette affaire à l'appui du transfert ou de l'aliénation. Je ne partage pas l'opinion de la Commission selon laquelle l'art. 89 est, de façon générale, un moyen adéquat pour régler des exploitations "à double volet" et je n'accepte certainement pas la proposition selon laquelle des personnes qui détiennent suffisamment d'actions pour contrôler des sociétés syndiquées ne peuvent jamais s'engager dans d'autres entreprises non syndiquées, constituées en société ou autrement. [Je souligne.]

Je conclus qu'en vertu de la jurisprudence établie, il ne suffit pas de fonder l'existence de l'obligation du successeur sur la possession commune d'actions et une entreprise commerciale commune pour que l'affaire soit assujettie à l'application de l'art. 89 de la Loi. Il ne suffit pas non plus de démontrer que les mêmes personnes sont propriétaires des deux sociétés ou qu'elles travaillent pour les deux. Il faut établir que la première société a transmis un aspect de l'entreprise à la deuxième société.

b) L'adoption de dispositions relatives à l'employeur unique

Il peut être difficile pour l'Association de s'acquitter du fardeau d'établir l'existence du transfert nécessaire à l'application des dispositions relatives à l'obligation du successeur dans le contexte de l'industrie de la construction. Comme l'a dit la Commission de l'Ontario dans l'affaire Brant Erecting and Hoisting; Re Iron Workers' Union, [1980] OLRB Rep.juillet 945, aux pp. 948 et 949:

[TRADUCTION] Un seul directeur peut disposer de plusieurs sociétés qu'il utilise de façon plus ou moins interchangeable, choisissant dans chaque cas celle qui est la plus appropriée pour présenter des soumissions et accomplir des travaux. En pareilles circonstances, il peut effectivement y avoir transfert d'entreprise entre des entreprises apparentées, sans aliénation apparente d'actif, de stock, de marque de commerce, d'achalandage, d'employés, etc. De même, lorsque les besoins en capital sont peu importants et les liens d'entreprise transitoires, il est relativement facile de liquider une entreprise pour en créer une autre qui se livre essentiellement à la même activité qu'auparavant. En fait, il existe souvent de bonnes raisons commerciales pour procéder ainsi, sans qu'on cherche expressément à miner les droits de négociation du syndicat . . . Encore une fois, on peut fort bien procéder ainsi sans qu'il n'y ait entre les deux entreprises une aliénation claire et réelle susceptible d'entraîner l'application de l'article 55 [les dispositions relatives à l'obligation du successeur].

C'est pour cette raison que les syndicats recherchent depuis longtemps une meilleure protection que celle qui découle des dispositions relatives à l'obligation du successeur. Les entrepreneurs ont également demandé des modifications en faisant valoir que, dans une économie faible tout particulièrement, ils ne peuvent être concurrentiels s'il ne leur est pas loisible de présenter des soumissions à des taux non syndiqués. (Pour un bon résumé des divers arguments soulevés à l'égard des exploitations à double volet, voir Concerned Contractors Action Group v. British Columbia and Yukon Territory Building and Construction Traders Council (1986), 13 CLRBR (NS) 121 (C.‑B.).)

Les divers législateurs provinciaux ont répondu de diverses façons à ces demandes des syndicats et des entrepreneurs. En Colombie‑Britannique par exemple, des modifications récentes apportées aux dispositions relatives à l'obligation du successeur prévoient que le transfert d'un directeur seulement ne suffit pas à entraîner l'application de l'obligation du successeur. Par conséquent, dans le contexte de l'industrie de la construction, le déplacement d'une personne clé ne suffirait plus à établir l'application de l'obligation du successeur. Toutefois, la loi de la Colombie‑Britannique, comme la loi fédérale et celle de bon nombre d'autres provinces, contient aussi une disposition relative à "l'employeur unique", qui est la réponse généralement apportée aux préoccupations soulevées dans l'industrie de la construction.

Comme je l'ai dit plus tôt, les dispositions relatives à l'employeur unique existent à l'heure actuelle dans la loi fédérale de même que dans les lois de la Colombie‑Britannique, de l'Alberta, du Manitoba, de la Nouvelle‑Écosse, de l'Ontario et de la Saskatchewan. Ces dispositions habilitent les commissions saisies de questions relatives à des exploitations à double volet, le cas échéant, à déclarer que deux employeurs sont des employeurs communs et à les traiter comme un employeur unique pour les fins de la loi. Ceci permet à la commission d'imposer la convention collective d'une société syndiquée à une société non syndiquée et, partant, de contrôler la pratique du double volet. Toutefois, contrairement aux dispositions relatives à l'obligation du successeur qui, dans la plupart des ressorts, s'appliquent de façon automatique (si l'aliénation est établie, il y a imposition de la convention collective), les dispositions relatives à l'employeur unique sont discrétionnaires. La Commission ne rendra une décision déclaratoire en ce sens que si cela permet de réaliser des objectifs valides en matière de relations du travail: Mackie Bros. Sand & Gravel Ltd. (1974), BCLRB no L107/81; International Association of Bridge, Structural and Ornamental Iron Workers v. Empire Iron Works Ltd. (1986), 86 CLLC {PP} 16,027 (Alb.). De plus, les commissions du travail ont souligné qu'elles ne feraient pas droit à une telle demande lorsqu'il est évident que le syndicat sollicite une déclaration relative à l'employeur unique dans des circonstances où il est incapable d'obtenir une accréditation: Tri Power Construction Ltd. v. United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America (1984), 8 CLRBR (NS) 332 (C.‑B.); International Brotherhood of Electrical Workers v. Minas Electric Co., précité; International Association of Bridge, Structural and Ornamental Iron Workers v. Empire Iron Works Ltd., précité.

Comme partout ailleurs, les syndicats de Terre‑Neuve ont demandé une meilleure protection contre la pratique du double volet que celle qui est traditionnellement assurée par les dispositions relatives à l'obligation du successeur. Les syndicats de la construction de Terre‑Neuve ont appuyé leur demande de modification en soulignant que l'art. 89, dans son libellé actuel, ne traite pas de la question des exploitations à double volet. Les entreprises ont répondu en faisant valoir la nécessité de demeurer compétitives. Le Construction Industry Advisory Committee de Terre‑Neuve a recommandé de n'apporter aucune modification. Dans Report of the Construction Industry Advisory Committee, le Comité a fait les observations suivantes:

[TRADUCTION] Les représentants syndicaux qui se sont présentés devant le comité ont fait valoir avec force que le libellé actuel de l'article 89 de la Labour Relations Act ne protège pas adéquatement les droits des syndicats ou de leurs membres. Selon eux, ce n'est que dans les cas les plus flagrants que la Labour Relations Board est en mesure de trouver suffisamment de preuve pour conclure qu'une société a effectivement transféré . . . vendu ou aliéné par d'autres moyens son entreprise en faveur d'une autre. La situation est d'autant plus compliquée que dans ces affaires, le fardeau de la preuve incombe aux syndicats et que notre Loi actuelle ne comporte aucune disposition relative à l'employeur unique. De plus, nous n'avons dans notre province aucune disposition semblable à celle qui figure dans la Loi sur les relations de travail de l'Ontario, en vertu de laquelle les intimés dans une requête présentée par un syndicat en vertu du pendant de notre art. 89 sont tenus d'exposer tous les faits à leur connaissance qui sont pertinents ou qui peuvent ne pas être disponibles pour le requérant.

À ce jour, aucune disposition relative à l'employeur unique n'a été adoptée à Terre‑Neuve.

c)Sommaire des recours judiciaires à l'égard des exploitations à double volet

Il ressort de l'examen qui précède que les dispositions relatives à l'obligation du successeur comme le par. 89(1) ne permettent de résoudre le problème des exploitations à double volet au moyen d'une ordonnance déclaratoire que lorsqu'il est possible d'établir qu'un transfert a eu lieu. S'il est impossible d'établir la preuve d'un transfert, le syndicat peut obtenir gain de cause en invoquant les dispositions relatives à l'employeur unique, s'il en est. En pratique, dans les ressorts où les lois contiennent des dispositions visant à la fois l'obligation du successeur et l'employeur unique, les syndicats présentent souvent des requêtes fondées sur les deux dispositions.

L'absence de dispositions relatives à l'employeur unique à Terre‑Neuve ne laisse donc qu'une seule question: existe‑t‑il des éléments de preuve sur lesquels la majorité de la Commission des relations du travail aurait pu se fonder pour conclure qu'un transfert, une location, une vente ou un autre acte d'aliénation a eu lieu sous la forme d'une cession identifiable d'actif, de travaux ou d'autres aspects de l'entreprise de la société syndiquée, Lester, en faveur de la société non syndiquée, Planet?

B.Y avait‑il des éléments de preuve pour appuyer la conclusion de la majorité?

Comme je l'ai dit au début, lorsqu'elle examine des décisions en matière de relations du travail, la Cour ne s'interroge pas sur la "justesse" de la décision mais plutôt sur son caractère "manifestement déraisonnable". S'il existe un élément de preuve susceptible d'appuyer une conclusion reconnaissant l'existence de l'obligation du successeur, la Cour maintiendra la décision de la Commission même si cette décision ne correspond pas à la conclusion qu'aurait tirée la Cour. Par contre, en l'absence de tels éléments de preuve, la décision doit être annulée.

Même si les dépositions faites devant la Commission étaient parfois contradictoires, il ressort de mon examen de la transcription qu'il n'y avait aucun élément de preuve pour appuyer la conclusion de la Commission portant qu'un transfert ou "un autre acte d'aliénation" avait eu lieu.

1. Transfert d'employés

Aucun élément de preuve n'établit que des employés ont été transférés de Lester à Planet. Des dépositions contradictoires ont été présentées quant à l'intention de transférer des employés. Dan Whalen et Ben McCann ont déclaré avoir appris de Brent Lester que ce dernier prévoyait transférer certains employés — Dave Goodyear, Wally Coady et Joe Fitzpatrick — du chantier de Clarenville (chantier de Lester) au chantier de Burin s'ils consentaient à se retirer du syndicat. Ces dépositions ont été contredites:

a) Brent Lester a nié avoir fait cette déclaration;

b) Au cours du contre‑interrogatoire, McCann a admis qu'aucun employé de Lester Ltd. n'avait été engagé par Planet;

c) Même s'il n'a fait aucune déclaration quant à la question de savoir s'il avait déjà travaillé pour Lester, Wally Coady a déclaré ne s'être syndiqué qu'au moment du chantier de Burin, de sorte qu'il aurait difficilement pu travailler pour Lester, entrepreneur syndiqué.

d) Selon Brent Lester, Joe Fitzpatrick n'a jamais été embauché sur le chantier de Burin.

e) Aucun autre élément de preuve n'a été produit quant à l'identité et aux activités de l'employé Dave Goodyear.

La majorité de la Commission semble avoir reconnu qu'il n'y avait aucun élément de preuve établissant que des employés avaient été transférés, mais elle a minimisé l'importance de ce fait en invoquant le principe selon lequel [TRADUCTION] "dans l'industrie de la construction, ce fait n'a que peu d'importance, s'il en a".

2. Usage commun du matériel et des services financiers

Jimmy Cheeseman a déclaré que Brent Lester lui a dit de prendre une soudeuse du chantier Burin pour l'utiliser à Cow Head. Sa déposition a été contredite par Brent Lester qui a expliqué que cela n'était pas possible puisqu'une soudeuse électrique ne pouvait être employée à Cow Head étant donné qu'il n'y avait aucune source d'électricité à cet endroit. En ce qui a trait aux autres questions, Brent Lester a déclaré ce qui suit:

a) Il se peut que des matériaux expédiés par des fournisseurs au chantier de Burin aient été adressés par inadvertance à Lester Ltd. plutôt qu'à Planet, mais il s'agirait alors d'une erreur du fournisseur; les matériaux ont été achetés sur des commandes de Planet;

b) À au moins une occasion, Brent Lester a fourni des avances aux employés de Planet sur des chèques de Lester Ltd. lorsque le système de paye de Planet était en panne;

c) Le cautionnement de Planet était appuyé par des garanties de la famille Lester, de Regent Enterprises Ltd. et de Lester Holdings Ltd.;

d) Planet et Lester possédaient ou louaient leur propre matériel, mais elles pouvaient à l'occasion se louer du matériel entre elles.

Ces éléments de preuve, qui pourraient être pertinents si la requête invoquait une disposition relative à l'employeur unique, n'établissent pas toutefois qu'il y a eu transfert ou aliénation d'entreprise. De façon plus précise, la preuve n'établit pas que du matériel, de l'argent ou des services financiers ont été cédés par Lester et obtenus subséquemment par Planet.

3. Antisyndicalisme

Les éléments de preuve à ce sujet ne sont pratiquement d'aucune utilité puisque même si l'on réussissait à établir la présence d'antisyndicalisme, cela ne prouverait pas qu'un transfert a eu lieu au sens de l'art. 89 de la Loi, selon les critères jurisprudentiels déjà mentionnés.

Toutefois, puisque la Commission a mentionné ce point dans les motifs de sa décision, il peut être opportun de procéder à un examen rapide de la preuve. Au mieux, la preuve relative à l'antisyndicalisme doit être jugée faible.

Dan Whalen, agent d'affaires syndical, et Ben McCann, directeur syndical, ont déclaré que Brent Lester leur a dit qu'il procédait aux travaux de Burin par l'intermédiaire de Planet de façon à éviter de traiter avec le syndicat. Bill Cheeseman, membre du syndicat, a déclaré que lorsqu'il visitait le chantier de Burin, un employé du chantier, nommé Keating, lui a dit que s'il voulait du travail au chantier de l'hôpital de Burin: [TRADUCTION] "il te faudra déchirer ta carte syndicale comme nous avons dû le faire". Cheeseman a également déclaré que Brent Lester lui avait offert un emploi syndiqué à des taux non syndiqués.

Ces témoignages sont réfutés par les éléments de preuve suivants:

a) Aucun élément de preuve n'a été produit pour étayer les prétentions de Whalen et de McCann selon lesquelles Brent a présenté des soumissions pour le projet de Burin par l'intermédiaire de Planet de façon à éviter de traiter avec le syndicat;

b) Brent Lester a déclaré que Cheeseman n'avait pas été embauché parce qu'il n'était pas en possession du document nécessaire. La personne qui a été embauchée pour accomplir le travail qui, au dire de Cheeseman, lui aurait d'abord été offert par Brent Lester à un taux inférieur au taux syndical, a en fait été rémunérée au taux syndical;

c) Brent Lester a déclaré qu'il aurait préféré confier à Lester le projet de Burin puisque les employés de Lester avaient acquis de l'expérience en travaillant sur un projet de construction d'un hôpital semblable, à Clarenville, de sorte qu'il aurait été plus facile d'accomplir le travail par l'intermédiaire de Lester que par celui de Planet;

d) Keith Keating et Wally Coady ont été engagés pour travailler au chantier de Burin. Coady a déclaré ne pas avoir été avisé qu'il lui faudrait déchirer sa carte pour pouvoir travailler sur ce chantier. Keating et lui étaient tous deux membres du syndicat, et Brent Lester savait qu'ils étaient syndiqués. Keith Keating nie avoir été avisé de la nécessité de cesser d'être membre du syndicat pour pouvoir travailler sur le chantier. Il nie également avoir affirmé à Cheeseman qu'il lui faudrait déchirer sa carte pour travailler sur le chantier. Il a plutôt déclaré que lorsque Whalen (l'agent d'affaires syndical) et Cheeseman se sont présentés sur le chantier, ils ont menacé de [TRADUCTION] "le fermer", après quoi Keating a répondu à Whalen que si ce dernier voulait sa carte, il était prêt à la déchirer devant lui.

4. Directeurs/savoir‑faire

Il s'agit de l'élément crucial en l'espèce. La preuve produite devant la Commission a établi clairement que Brent et Wade Lester exécutaient des travaux pour les deux sociétés et que Brent Lester présentait des soumissions au nom des deux sociétés. La Cour d'appel n'a pas tenu compte de ce facteur parce que, selon elle, Lester n'a pas transféré le savoir‑faire à Planet et que c'était plutôt Brent et Wade Lester qui décidaient, dans le cadre de leurs fonctions auprès des sociétés respectives, comment leurs talents devaient être utilisés. L'appelante prétend que cette interprétation fausse fondamentalement la position des employés, cadres et directeurs à l'égard des sociétés pour lesquelles ils travaillent.

Étant donné l'interrelation entre les deux sociétés en cause, je reconnais qu'il n'est peut‑être pas approprié d'établir une distinction entre les directeurs de la société et la société elle‑même, comme l'a fait la Cour d'appel. Toutefois, il demeure difficile de voir comment on peut fonder la prétention qu'un transfert ou une aliénation de savoir‑faire a eu lieu. Les deux sociétés ont le droit d'employer le savoir‑faire des frères Lester. Le fait que Planet y ait eu recours ne peut être interprété comme une renonciation de Lester aux services de Brent et de Wade. La preuve montre que les deux sociétés, par l'intermédiaire de leurs employés communs, s'aidaient l'une l'autre — par un "échange de bons procédés" comme l'a expressivement décrit la Cour d'appel. En ce qui a trait aux travaux de Cow Head, Lester a reçu de Planet les renseignements et les prix qui lui ont permis d'obtenir le contrat. Inversement, en travaillant sur le chantier de Burin, Planet a profité des connaissances obtenues antérieurement par Lester sur le chantier de Clarenville. La relation entre les deux sociétés s'apparente davantage à un partage de savoir‑faire qu'à une aliénation par Lester en faveur de Planet.

De plus, il est impossible d'affirmer que le savoir‑faire de Brent et de Wade est un savoir‑faire qui appartient à Lester. Comme l'a prétendu l'intimée, l'expression "savoir‑faire" se définit comme la compréhension globale d'un procédé, etc., obtenue par la compétence, l'expérience et l'habileté. Le savoir‑faire d'une personne est un atout qui s'élabore ou qui s'acquiert avec le temps. Lester a été constituée en société en 1978, et Planet en 1981. Au moment de l'audience, le savoir‑faire de Brent et de Wade était un savoir‑faire qui avait été acquis pendant des années de travail auprès des deux sociétés. En supposant que leur savoir‑faire constituait un actif des sociétés, c'était autant l'actif de Lester que celui de Planet.

Enfin, il ressort clairement que la présence de Brent Lester au sein des deux sociétés n'a pas entraîné la perte de travaux pour Lester. Les travaux dont pouvait se prévaloir Planet parce qu'elle n'était pas syndiquée n'étaient tout simplement pas disponibles pour la société syndiquée, Lester. La preuve irréfutée produite lors de l'audience établit que la présence de Planet n'a pas entraîné de perte de travaux pour Lester. Si Brent Lester avait travaillé pour une société non apparentée dans les mêmes circonstances, une demande de reconnaissance de l'obligation du successeur n'aurait pas été accueillie. Le fait que Brent Lester détient des actions des deux sociétés ne peut changer le fait qu'il n'y a aucune preuve d'aliénation.

5. Résumé de la preuve

Même si la preuve montre qu'il y avait un certain degré de collaboration entre les deux sociétés, je conclus qu'il n'existe aucune preuve de quelque acte d'aliénation de Lester en faveur de Planet, qu'il s'agisse de travaux, d'actif ou de savoir‑faire. La preuve ne peut appuyer la conclusion de la Commission portant qu'il y a eu aliénation au sens de l'art. 89 de la Loi.

Les deux sociétés étaient exploitées dans le même bureau, essentiellement par les mêmes directeurs. L'un des directeurs soumissionnait des travaux syndiqués pour l'une des sociétés et des travaux non syndiqués pour l'autre. Toutefois, les deux sociétés étaient exploitées de façon indépendante et aucune preuve n'a été produite pour établir que des travaux qui auraient été confiés à la société syndiquée ont été transférés à la société non syndiquée. En fait, la preuve allait dans le sens contraire. Si la société syndiquée avait mis fin à son exploitation (ou que son exploitation avait été réduite de façon importante), la Commission aurait pu être fondée à conclure à l'application de l'obligation du successeur. Toutefois, puisque l'exploitation des deux sociétés se poursuivait, il n'y avait aucune aliénation identifiable et, partant, aucune application de l'obligation du successeur. Le seul élément d'actif qui aurait pu être "vendu, loué, cédé ou aliéné par d'autres moyens" au sens de l'art. 89 était le savoir‑faire des directeurs qui soumissionnaient des travaux puisque, à tous autres égards, les entreprises étaient exploitées comme des entités distinctes. Mais ce savoir‑faire n'a manifestement pas été "vendu" ni "loué". Il n'a pas non plus été "transféré", puisque la première société a continué à fonctionner et à retenir les services des directeurs en cause. La même logique doit s'appliquer à l'expression "aliéné par d'autres moyens"; quelle que soit la portée de cette expression, elle doit indiquer que d'une façon quelconque, la première société ne possède plus un élément d'actif parce qu'elle en a disposé en faveur de la deuxième.

C.La décision de la Commission était‑elle manifestement déraisonnable?

L'absence de preuve établissant l'existence d'un transfert ou d'une aliénation au sens de l'art. 89 de la Loi rend la décision de la Commission manifestement déraisonnable. La Commission ne pouvait en arriver à cette conclusion qu'en interprétant la Loi d'une façon injustifiée et non fondée sur les précédents.

Compte tenu des faits de l'espèce, où les deux sociétés étaient exploitées côte à côte, on aurait normalement dû demander une décision déclaratoire établissant l'existence d'un employeur unique. En l'absence d'une disposition relative à l'employeur unique dans The Labour Relations Act, 1977 de Terre‑Neuve, il semble que la majorité des membres de la Commission ait tenté d'interpréter la disposition relative à l'obligation du successeur comme si elle comprenait une telle disposition. Le législateur de Terre‑Neuve a, pour une raison quelconque, choisi de ne pas adopter une telle disposition (malgré les pressions clairement exercées en ce sens). L'obtention du résultat contraire en interprétant les dispositions relatives à l'obligation du successeur en vigueur à Terre‑Neuve comme si elles étaient des dispositions relatives à l'employeur unique va à l'encontre de la jurisprudence et est manifestement déraisonnable. Une telle interprétation ne peut tout simplement pas s'appuyer rationnellement sur la législation pertinente.

Puisque j'ai conclu qu'il n'y avait aucune preuve suffisante de transfert ou d'aliénation pour satisfaire aux exigences de l'art. 89 de la Loi, et que la décision de la majorité de la Commission était par conséquent manifestement déraisonnable, j'estime qu'il n'est pas nécessaire d'examiner l'argument supplémentaire selon lequel aucun employé n'a été touché par la prétendue aliénation.

Dispositif

Je conclus que la Cour d'appel de Terre‑Neuve était fondée à statuer que la décision de la majorité de la Newfoundland Labour Relations Board était manifestement déraisonnable. Par conséquent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

//Le juge L'Heureux-Dubé//

Les motifs suivants ont été rendus par

LE JUGE L'HEUREUX‑DUBÉ (dissidente) — Ayant eu le bénéfice des motifs des juges Wilson et McLachlin et, bien que j'aie été d'accord et le sois encore avec l'approche de mon collègue le juge Gonthier dans l'arrêt National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, en ce qui concerne la déférence envers les tribunaux spécialisés, je partage ici l'opinion de ma collègue le juge Wilson sur la question du caractère raisonnable de la décision du Labour Relations Board (la "Commission") de Terre‑Neuve. Comme elle et pour les mêmes motifs, je conclus que la décision de la Commission n'était pas manifestement déraisonnable dans le contexte de la loi ici en cause.

J'accueillerais donc le pourvoi et j'en disposerais comme le propose ma collègue le juge Wilson.

Pourvoi rejeté avec dépens, le juge en chef DICKSON et les juges WILSON, L'HEUREUX‑DUBÉ et CORY sont dissidents.

Procureurs de l'appelante: O'Dea, Strong, Earle, St. John's.

Procureurs des intimées W.W. Lester (1978) Ltd. et Planet Development Corporation Ltd.: Heywood, Parsons, Mount Pearl, Terre‑Neuve.

Procureurs de l'intimée The Labour Relations Board for the Province of Newfoundland: Miller & Hearn, Labrador City, Terre‑Neuve.

* Juge en chef à la date de l'audition.

**Juge en chef à la date du jugement.



Parties
Demandeurs : Lester (W.W.) (1978) ltd.
Défendeurs : Association unie des compagnons et apprentis de l'industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740

Références :
Proposition de citation de la décision: Lester (W.W.) (1978) ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l'industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740, [1990] 3 R.C.S. 644 (7 décembre 1990)


Origine de la décision
Date de la décision : 07/12/1990
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1990] 3 R.C.S. 644 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1990-12-07;.1990..3.r.c.s..644 ?
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