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18/10/1990 | CANADA | N°[1990]_2_R.C.S._1185

Canada | Trust général du canada c. Artisans coopvie, société coopérative d'assurance-vie, [1990] 2 R.C.S. 1185 (18 octobre 1990)


Trust général du Canada c. Artisans Coopvie, Société coopérative d'assurance‑vie, [1990] 2 R.C.S. 1185

Trust général du Canada

et

X. Béton (1977) Ltée Appelantes

c.

Les Artisans Coopvie, Société

coopérative d'assurance‑vie Intimée

répertorié: trust général du canada c. artisans coopvie, société coopérative d'assurance‑vie

No du greffe: 20431.

1990: 27 février; 1990: 18 octobre.

Présents: Le juge en chef Lamer* et les juges Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory et McLachlin.

e

n appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1987] R.R.A. 454, 7 Q.A.C. 304, qui a confirmé un j...

Trust général du Canada c. Artisans Coopvie, Société coopérative d'assurance‑vie, [1990] 2 R.C.S. 1185

Trust général du Canada

et

X. Béton (1977) Ltée Appelantes

c.

Les Artisans Coopvie, Société

coopérative d'assurance‑vie Intimée

répertorié: trust général du canada c. artisans coopvie, société coopérative d'assurance‑vie

No du greffe: 20431.

1990: 27 février; 1990: 18 octobre.

Présents: Le juge en chef Lamer* et les juges Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1987] R.R.A. 454, 7 Q.A.C. 304, qui a confirmé un jugement de la Cour supérieure, [1984] C.S. 24, 5 C.C.L.I. 229. Pourvoi rejeté.

Jean Morin, Yves Lacroix et Pierre de Grandpré, c.r., pour les appelantes.

Claudette H. Blondeau et André Gagnon, c.r., pour l'intimée.

//Le juge Gonthier//

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE GONTHIER -- Ce pourvoi met en cause l'interprétation de l'art. 2516 du Code civil du Bas-Canada qui traite de la prise d'effet de l'assurance sur la vie. Le libellé de cet article porte à une certaine confusion et son application a causé quelques problèmes eu égard à la détermination du moment jusqu'où l'assurabilité du risque doit être maintenue. Les faits de la présente affaire requièrent de notre Cour qu'elle tranche le débat.

1. Les faits et les procédures

Les faits de l'espèce ne sont pas contestés. Ils font l'objet d'un exposé conjoint préparé par les parties en première instance et reproduit dans les motifs du juge Kaufman de la Cour d'appel. Par souci de clarté et en raison de l'importance que revêt ici le facteur temporel, il m'a paru souhaitable de résumer les événements pertinents à l'aide d'un tableau synoptique suivant l'ordre chronologique. Ces événements ont tous eu lieu en 1977:

08 marsAfin de satisfaire aux conditions de financement posées par l'appelante Trust Général du Canada (ci-après Trust Général), feu Roland Couillard signe au nom de l'appelante X. Béton (1977) Ltée (ci-après X. Béton), dont il est le principal actionnaire, une proposition d'assurance sur sa vie au montant de 250 000 $;

09 mars L'assuré Couillard, conformément aux exigences de la proposition, subit un examen médical où rien d'anormal n'est décelé et signe les déclarations d'usage sur son état de santé, déclarations transmises à l'intimée Les Artisans Coopvie, Société coopérative d'assurance-vie;

23 avril L'assuré Couillard commence à se plaindre de névralgie et de maux de tête;

28 avril La première proposition d'assurance est acceptée par l'intimée;

02 au 06 maiL'assuré se soumet à une série de traitements fournis par un chiropracticien;

04 maiLa première police d'assurance est émise au montant de 250 000 $;

06 maiLa première police est délivrée et une déclaration de bonne santé et d'assurabilité est signée par l'assuré Couillard;

Afin de satisfaire aux nouvelles exigences de Trust Général relativement à une nouvelle offre de financement pour X. Béton, une seconde proposition est souscrite par l'assuré Couillard et est acceptée par téléphone, qui porte le capital assuré de 250 000 $ à 450 000 $;

La seconde proposition fait état d'un versement de 1 000 $ de X. Béton à l'assureur;

"Début juin"L'assuré Couillard subit des tests et examens médicaux au Centre Hospitalier de l'Université Laval;

09 juin L'assuré Couillard est hospitalisé à l'Hôpital de l'Enfant-Jésus (ce jusqu'au 10 juillet);

X. Béton demande à l'intimée de modifier le contrat quant au paiement de la prime, afin qu'elle soit payable mensuellement plutôt qu'annuellement;

14 juinL'intimée accepte de modifier les modalités de paiement de la prime; la prime annuelle prévue de 8 730,50 $ est convertie en douze primes mensuelles de 772,65 $, de sorte que la première prime s'est trouvée couverte par le versement antérieur de 1 000 $;

05 juillet Les médecins responsables décident de traiter le patient pour un cancer du poumon.

12 novembre L'assuré Couillard décède des suites d'un cancer du poumon.

En demande pour l'exécution du contrat, les appelantes sont déboutées en Cour supérieure et leur appel est rejeté par la Cour d'appel.

2. Les jugements des tribunaux d'instance inférieure

Cour supérieure, [1984] C.S. 24

Selon le juge Letarte, c'est à la date du paiement intégral de la première prime qu'il faut se référer, aux termes de l'art. 2516 C.c.B.-C. afin de déterminer s'il n'y a pas eu de changement dans l'assurabilité du risque depuis la signature de la proposition.

Le juge établit d'abord que le paiement intégral de la première prime a eu lieu le 14 juin 1977, moment où l'assureur a accepté la conversion de la prime annuelle en primes mensuelles. Le versement de 1 000 $ daté du 6 mai ne pouvait faire office de paiement de la première prime puisque le montant de la prime convenue en date de ce versement était supérieur à 8 000 $. De son examen de la preuve, le juge Letarte conclut que l'assurabilité du risque avait changé en date du 14 juin. Ce changement a selon lui empêché la prise d'effet de l'assurance. Il explique que l'assureur ne saurait être tenu responsable de ce que, entre le 6 mai et le 14 juin 1977, la prise d'effet du contrat était retardée par le non paiement de la prime.

Dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, il refuse par ailleurs de conclure à une renonciation de l'assureur relativement à la prise d'effet de l'assurance, vu l'absence d'un consentement formel ou de circonstances suffisamment graves, précises et concordantes en ce sens.

Cour d'appel, [1987] R.R.A. 454

Le juge Kaufman, pour la majorité, partage l'avis du premier juge selon lequel la première prime a été payée le 14 juin 1977 et qu'en raison du changement antérieur dans l'assurabilité du risque dont M. Couillard avait connaissance, la police n'est jamais entrée en vigueur. Selon lui, aucune autre interprétation de l'art. 2516 C.c.B.-C. n'est plausible.

Le juge Dubé partage l'opinion du juge Kaufman en précisant que les appelantes n'ont pas réussi à prouver d'erreur dans les conclusions de faits et de droit auxquelles le juge de première instance est arrivé.

3. Analyse

Selon la Cour d'appel et la Cour supérieure, l'assurance faisant l'objet du présent litige n'a jamais pris effet. C'est ce que les appelantes contestent devant nous. L'article du Code civil du Bas-Canada dont l'interprétation déterminera l'issue de ce débat se lit comme suit:

2516. L'assurance sur la vie prend effet dès l'acceptation de la proposition par l'assureur pour autant que cette dernière ait été acceptée sans modification, que la première prime ait été payée et qu'aucun changement ne soit intervenu dans l'assurabilité du risque depuis la signature de la proposition.

Cet article d'ordre public relatif (art. 2500 C.c.B.-C.) va à l'encontre de dispositions contractuelles en usage au moment de son adoption, qui fixaient la prise d'effet de l'assurance et le moment jusqu'où l'assurabilité devait être maintenue à la date de livraison de la police. Ce système avait le désavantage de laisser à l'entière discrétion de l'assureur la détermination du moment crucial du début de la protection de l'assurance, moment jusqu'où l'assureur prétendait pouvoir discuter l'assurabilité du risque. Il s'agit en somme d'une disposition remédiatrice favorable au preneur qui rétablit un certain équilibre entre les droits des parties en regard du début de la couverture d'assurance.

L'article 2516 C.c.B.-C. fixe la prise d'effet de l'assurance au moment de l'acceptation de la proposition par l'assureur, sujet à trois conditions. La réalisation de la première, qui veut que la proposition ait été acceptée sans modification, n'est pas en cause. Le moment où la seconde s'est réalisée en l'espèce, savoir le moment du paiement de la première prime, est en revanche contesté. Quant à la dernière condition qui a trait au maintien de l'assurabilité du risque, le problème qui se pose est celui de savoir le moment auquel on doit se référer pour en faire l'évaluation.

L'interprétation des conditions de l'art. 2516 C.c.B.-C. est au c{oe}ur du présent pourvoi et c'est ce que j'entends aborder en premier lieu. Je disposerai ensuite de la question de la renonciation soulevée par les appelantes, qui soutiennent qu'à tout événement l'assureur a en l'espèce renoncé en faveur du preneur à l'application de l'art. 2516 C.c.B.-C.

A. L'interprétation de l'art. 2516 C.c.B.-C.

Le problème soulevé dans l'application de la condition relative au paiement de la première prime est particulier à la présente affaire et il est très simple. La police d'assurance souscrite le 6 mai 1977 fait état d'un dépôt de 1 000 $ remis le même jour par X. Béton à l'intimée. La prime fixée par ce contrat est de 8 730,50 $ payable annuellement. Sur demande de X. Béton, l'intimée accepte le 14 juin suivant de modifier les modalités de paiement en divisant la prime annuelle en 12 primes mensuelles de 772,65 $. Les appelantes soutiennent que cette mensualisation fait en sorte que le paiement de la première prime au sens de l'art. 2516 C.c.B.-C. a eu lieu le 6 mai par l'effet du dépôt de 1 000 $ qui s'est trouvé à couvrir le montant de la première prime selon les nouvelles modalités.

Je ne puis accepter la thèse des appelantes. À mon avis, il ne pouvait y avoir paiement le 6 mai d'une prime mensuelle non encore liquidée. Ce n'est en effet que le 14 juin suivant que le montant de cette prime a été fixé et devenait ainsi susceptible d'être payé. Jusqu'à cette date du 14 juin, la prime était payable annuellement; la première prime s'élevait à 8 730,50 $ et elle n'avait pas été payée.

C'est donc à bon droit que la Cour supérieure et la Cour d'appel ont statué que la condition relative au paiement de la première prime prévue à l'art. 2516 C.c.B.-C. ne s'est réalisée que le 14 juin 1977. J'aborde maintenant le problème relié à l'application de la condition de maintien de l'assurabilité, dont la solution apparaît moins simple et qui est d'intérêt plus général.

Je souligne d'abord que le changement dans l'assurabilité du risque entre le moment où la proposition a été souscrite et celui où la première prime a été payée, soit entre le 6 mai et le 14 juin 1977, n'est pas contesté. Les appelantes admettent que certaines circonstances dont M. Couillard connaissait l'existence modifiaient son assurabilité avant le 14 juin. La question qui se pose est de savoir si l'assurabilité du risque doit demeurer stable jusqu'au moment de l'acceptation de la proposition seulement, ou si elle doit se maintenir jusqu'au moment de la prise d'effet de l'assurance lorsque celui-ci est retardé par le défaut de paiement de la première prime.

Les appelantes font valoir que le maintien de l'assurabilité du risque est au sens de l'art. 2516 C.c.B.-C. une condition de formation du contrat devant être évaluée au moment de l'acceptation de la proposition non modifiée, moment qui scelle la rencontre des volontés. Le paiement de la première prime serait de la nature d'une condition suspensive touchant la prise d'effet et pourrait, soutiennent les appelantes, être effectué en aucun temps par le preneur sans égard au maintien de l'assurabilité du risque à la date du paiement. Je ne puis être d'accord avec cette proposition en ce qui a trait à la question du maintien de l'assurabilité. Une telle interprétation de l'art. 2516 C.c.B.-C. ouvrirait la porte à tous les abus en instaurant un régime de déséquilibre contractuel fondamental entre les parties. L'assureur serait à la merci du preneur qui pourrait retarder impunément le paiement de la première prime et ne le faire que si et lorsque le risque menace de se réaliser. Une telle situation est inconcevable dans un contexte où l'assureur n'a aucun droit d'action pour exiger le paiement des primes échues (art. 2527 C.c.B.-C.).

L'article 2476 C.c.B.-C. porte que le contrat d'assurance "est formé dès que l'assureur accepte la proposition du preneur". Il s'agit là d'une codification particulière de la règle générale en droit civil qui veut que le contrat soit formé par l'effet de la rencontre des volontés. Il est incontestable qu'un changement dans l'assurabilité du risque se produisant avant l'acceptation de la proposition empêchera la formation du contrat car le risque participe de l'objet même de la convention et empêche la rencontre des volontés s'il diffère de celui qui a été accepté. C'est ce que j'ai déjà souligné dans l'affaire Neveu c. Services de santé du Québec, C.S. Montréal, no 500-05-012515-811, 11 décembre 1981, à la p. 8:

Si le risque a changé avant que le contrat ne soit conclu c'est-à-dire avant son acceptation par l'assureur, il n'y a plus rencontre de volontés puisque l'objet a changé.

Le consentement donné par les parties ne saurait porter en effet que sur l'objet qu'elles envisagent. Mais la question de la formation du contrat ne nous renseigne guère sur celle de la prise d'effet de l'assurance, qui est et demeure conceptuellement distincte.

C'est l'art. 2516 C.c.B.-C. qui régit la prise d'effet de l'assurance. Cette prise d'effet est fixée au moment de l'acceptation de la proposition sujet aux trois conditions que j'ai mentionnées plus haut. J'ai noté que la première n'est pas ici en litige, la proposition ayant été acceptée par l'assureur sans modification le 6 mai 1977. Les appelantes voudraient faire une distinction entre les deux autres, soit le paiement de la première prime et le maintien de l'assurabilité du risque. Elles voient dans le paiement de la première prime une condition de prise d'effet du contrat et dans le maintien de l'assurabilité une condition de sa formation, de sorte que cette dernière doive être évaluée de façon définitive au moment de la formation du contrat. Cela signifierait en l'espèce que les modifications à l'état de santé de M. Couillard intervenues après l'acceptation le 6 mai de la proposition non modifiée et avant le paiement de la première prime le 14 juin, n'ont pas empêché la prise d'effet de l'assurance lors de ce paiement. Je ne vois aucun fondement dans le texte qui puisse permettre de scinder de la sorte ces deux conditions.

D'une part, l'art. 2516 C.c.B.-C. ne traite que de la prise d'effet de l'assurance et ne prétend en rien régir la formation du contrat. D'autre part, les trois conditions sont posées sur le même pied et doivent donc à mon avis exister concurremment pour déclencher la prise d'effet de l'assurance. L'existence concurrente des trois conditions est susceptible de se produire en tout temps à compter de l'acceptation de la proposition.

Dans les cas où la prime est payée avant ou au moment de l'acceptation de la proposition non modifiée, l'assurance prend effet lors de cette acceptation pour autant "qu'aucun changement ne soit intervenu dans l'assurabilité du risque". Les trois conditions peuvent alors se trouver réunies au moment de la formation du contrat auquel correspondra celui de la prise d'effet de l'assurance. Mais lorsque la première prime est payée après l'acceptation de la proposition non modifiée, ce qui est le cas en l'espèce, ce n'est qu'au moment du paiement que les trois conditions peuvent se trouver réunies et pour qu'elles existent effectivement de façon concurrente à ce moment, il faut bien encore "qu'aucun changement ne soit intervenu dans l'assurabilité du risque". Contrairement aux deux autres, la condition relative au maintien de l'assurabilité est de nature essentiellement passive et ne correspond à aucun moment dans le temps, ce qui la rend en quelque sorte dépendante de la réalisation des deux autres pour ce qui est du moment de son évaluation. En conséquence, c'est au moment où les deux autres conditions existent concurremment qu'il faut évaluer le maintien de l'assurabilité.

Si, comme en l'espèce, la première prime n'est payée qu'après l'acceptation de la proposition (ce qui implique que la réunion des trois conditions n'est susceptible de se produire qu'après la formation du contrat), l'art. 2516 C.c.B.-C. produit l'effet d'une condition suspensive à deux facettes dont la réalisation déclenche la prise d'effet du contrat préalablement formé: cette condition se réalise par le paiement de la prime si aucun changement n'est intervenu dans l'assurabilité du risque au moment du paiement. Comme c'est en général le cas en droit civil, la réalisation de la condition suspensive opère de façon rétroactive et fait en sorte que le contrat est réputé avoir pris effet au moment de sa formation. Ici, le texte prévoit expressément cette rétroactivité en précisant que l'assurance prend effet dès l'acceptation de la proposition.

Les appelantes opposent à l'idée d'un tel système que l'assureur se trouve à toucher des primes pour une période où il n'assume aucun risque, possibilité écartée par notre Cour dans certaines affaires provenant des provinces de common law: Blanchette c. C.I.S. Ltd., [1973] R.C.S. 833; Duplisea c. Compagnie d'assurance-vie T. Eaton, [1980] 1 R.C.S. 144; Zurich du Canada Compagnie d'assurance-vie c. Davies, [1981] 2 R.C.S. 670. Cette proposition est inexacte en raison de la rétroactivité de la prise d'effet de l'assurance; lorsque la condition suspensive se réalise, le contrat est réputé être entré en vigueur au moment de l'acceptation de la proposition. Cette rétroactivité explique que l'assureur puisse toucher des primes pour la période allant de l'acceptation de la proposition au paiement de la première prime. S'il est vrai qu'en pratique l'assureur n'aura pas à payer le montant d'assurance si le risque se réalise au cours de cette période, il reste qu'il assume au cours de cette période le vieillissement de l'assuré et demeure lié par son engagement préalable, en particulier par le montant de la prime établi en fonction des circonstances existant à l'époque de la formation du contrat, montant susceptible d'être acquitté dès ce moment. La situation est analogue à celle qui est prévue par l'art. 2524 C.c.B.-C., où le preneur peut exiger le rétablissement d'une assurance résiliée pour défaut de paiement de la prime, s'il paie les primes en souffrance, rembourse les avances reçues sur la police et s'il établit que l'assuré remplit encore les conditions requises pour être assurable au titre du contrat résilié. Cela n'a rien d'exceptionnel. Au reste, le preneur n'a qu'à s'en prendre à lui-même si la réunion des trois conditions requises pour déclencher la prise d'effet de l'assurance est retardée par son défaut d'acquitter la première prime.

En l'espèce, sujet à la question de la renonciation, je suis donc d'avis que les changements intervenus dans l'assurabilité du risque avant le paiement de la première prime ont rendu caduc le contrat préalablement formé en rendant impossible l'existence concurrente des trois conditions et partant, la prise d'effet de l'assurance. Je ne puis qu'être en accord avec la Cour supérieure et la Cour d'appel pour affirmer que l'assurance dont le montant est ici réclamé n'a jamais pris effet.

Les appelantes opposent à cette conclusion qu'aux termes de l'art. 2485 C.c.B.-C., l'assuré n'a l'obligation de divulguer que dans la mesure où l'assureur le lui demande. Je cite cet article tel qu'il apparaissait à l'époque:

2485. Le preneur, de même que l'assuré si l'assureur le demande, doit déclarer toutes les circonstances connues de lui qui sont de nature à influencer sensiblement un assureur raisonnable dans l'établissement de la prime, l'appréciation du risque ou la décision de l'accepter. [Je souligne.]

Dans notre affaire, l'assureur n'a aucunement questionné l'assuré sur son état de santé lorsque la première prime a été payée. L'assureur, soutiennent les appelantes, ne pourrait donc mettre aujourd'hui en question l'assurabilité du risque pour cette période.

À cela il faut répondre que la condition de maintien de l'assurabilité posée à l'art. 2516 C.c.B.-C. est objective et indépendante de l'obligation générale de divulgation par ailleurs prévue par l'art. 2485 C.c.B.‑C. Il est entendu que le preneur qui retarde le paiement de la première prime au point où l'assurabilité du risque s'en trouve modifiée a tout avantage à en aviser l'assureur, car son contrat devient caduc par le fait objectif du changement dans l'assurabilité du risque. Mais cela ne signifie aucunement que l'assuré ait quelque obligation supplémentaire de divulguer ou l'assureur de questionner. Je ne vois donc aucun mérite à cette objection.

En conséquence, je suis d'avis que l'art. 2516 C.c.B.-C. force à conclure que le contrat d'assurance n'a jamais pris effet. Cette disposition n'étant cependant que d'ordre public relatif (art. 2500 C.c.B.-C.), il était loisible à l'assureur de renoncer à son application en faveur du preneur ou du bénéficiaire. Les appelantes soutiennent que l'intimée y a effectivement renoncé en l'espèce.

B. La question de la renonciation

Les appelantes avancent que l'assureur a ici renoncé à l'application de l'art. 2516 C.c.B.-C. en faveur du preneur par son comportement et par l'effet des stipulations du contrat. Selon elles, le fait que l'assureur ait accepté le versement de 1 000 $ et l'ait affecté au paiement d'une prime qu'il considérait comme payable à compter du 6 mai, de même que le fait de la livraison, sans mise en garde, de la police dont l'assureur savait qu'elle allait être cédée en garantie, devraient équivaloir à une renonciation par l'assureur de son droit d'exiger le maintien de l'assurabilité au delà du 6 mai 1977. Au surplus, la police est datée du 6 mai, ce qui devrait, disent-elles, correspondre au moment à partir duquel le risque est assuré. Encore ici, je ne puis souscrire à cette proposition.

Je précise d'abord que la date du 6 mai est qualifiée dans le contrat de "date de référence". Il s'agit de la date de référence d'un contrat à durée déterminée de cinq ans; elle signifie que le contrat se terminera le 6 mai 1982. En outre, elle correspond ici au moment de l'acceptation de la proposition et indique en conséquence celui de la prise d'effet de l'assurance tel qu'il est fixé par l'art. 2516 C.c.B.-C. Mais cette date ne détermine pas à elle seule la mise en vigueur du contrat; il faut lire également le passage pertinent de la proposition d'assurance comprise dans la police, qui est le suivant:

. . . la police n'entrera en vigueur que lorsqu'elle aura été livrée et la première prime payée en entier du vivant du candidat et sauf s'il s'agit de rente viagère alors que l'état de santé de ce dernier est encore le même que celui décrit dans la proposition.

Comme le soulignent les appelantes, cette clause est sans effet dans toute la mesure où elle est moins favorable au preneur que l'application de l'art. 2516 C.c.B.-C. Personne ne conteste, par exemple, que la référence à la livraison de la police ne saurait avoir ici quelque effet. Mais pour le reste, le libellé semble poser en substance les mêmes conditions que l'art. 2516 C.c.B.-C. et si les termes en sont quelque peu différents, ils devraient recevoir une interprétation assujettie aux prescriptions de cet article.

Quoi qu'il en soit, il n'est pas nécessaire ici de déterminer avec précision la portée effective de la clause. Cette clause du contrat indique en effet l'intention des parties même si elle peut à certains égards être privée de son effet obligatoire; cette intention est bien sûr déterminante sur la question de la renonciation. Or le contenu de cette clause s'oppose catégoriquement à toute volonté de renonciation.

4. Dispositif

Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de confirmer la décision de la Cour d'appel, avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs des appelantes: Grondin, Poudrier, Bernier, Québec; de Grandpré, Godin, Montréal.

Procureurs de l'intimée: Leduc, LeBel, Montréal; André Gagnon, Québec.

* Juge en chef à la date du jugement.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Assurance - Assurance‑vie - Prise d'effet de l'assurance‑vie - Interprétation des conditions de l'art. 2516 C.c.B.‑C.

Le principal actionnaire de X. Béton a signé au nom de la compagnie une proposition d'assurance sur sa vie pour satisfaire aux conditions de financement imposées par Trust Général. Une proposition modifiée a été acceptée par l'assureur intimé le 6 mai 1977 et la police a été délivrée le même jour. La proposition indique que X. Béton a alors versé à l'assureur un dépôt de 1 000 $. Par la même occasion, l'assuré a signé une déclaration de bonne santé et d'assurabilité. À la demande de X. Béton, l'assureur a accepté le 14 juin de modifier les modalités de paiement en divisant la prime annuelle supérieure à 8 000 $ en primes mensuelles de sorte que la première prime s'est trouvée couverte par le paiement antérieur de 1 000 $. Quelques jours auparavant, l'assuré avait été hospitalisé. Ce dernier se plaignait depuis la fin avril de névralgie et de maux de tête mais ce n'est que le 5 juillet que les médecins ont décidé de le traiter pour un cancer du poumon. À la suite du décès de l'assuré en novembre, l'assureur a refusé de payer le produit de l'assurance. Devant ce refus, les appelantes ont intenté une action contre l'assureur en Cour supérieure. La cour a rejeté l'action et son jugement a été confirmé par la Cour d'appel. Les deux cours ont conclu que la première prime avait été payée le 14 juin, et non le 6 mai, et qu'en raison du changement antérieur dans l'assurabilité du risque, la police n'était jamais entrée en vigueur. Le présent pourvoi demande à préciser l'interprétation de l'art. 2516 C.c.B.‑C.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

L'article 2516 C.c.B.‑C. prévoit que l'assurance sur la vie prend effet dès l'acceptation de la proposition par l'assureur pour autant (1) que cette dernière ait été acceptée sans modification, (2) que la première prime ait été payée, et (3) qu'aucun changement ne soit intervenu dans l'assurabilité du risque depuis la signature de la proposition. Ces trois conditions sont posées sur un même pied et doivent exister concurremment pour déclencher la prise d'effet de l'assurance. Puisque la troisième condition est de nature essentiellement passive et ne correspond à aucun moment dans le temps, c'est donc au moment où les deux autres conditions existent concurremment qu'il faut évaluer le maintien de l'assurabilité. L'existence concurrente des trois conditions est susceptible de se produire en tout temps à compter de l'acceptation de la proposition. Si la première prime n'est payée qu'après l'acceptation de la proposition, l'art. 2516 C.c.B.-C. produit l'effet d'une condition suspensive à deux facettes dont la réalisation déclenche la prise d'effet du contrat d'assurance. En l'espèce, l'assurance sur la vie n'a jamais pris effet. La proposition a été acceptée par l'assureur sans modification le 6 mai 1977 mais la première prime n'a été payée que le 14 juin. Il ne pouvait y avoir paiement le 6 mai d'une prime mensuelle non encore liquidée. Or ce n'est que le 14 juin que le montant de cette prime a été fixé. Jusqu'à cette dernière date, la prime était donc payable annuellement et elle n'avait pas été payée. Les changements intervenus dans l'assurabilité du risque avant le paiement de la première prime ont donc rendu caduc le contrat préalablement formé en rendant impossible l'existence concurrente des trois conditions et partant, la prise d'effet de l'assurance.

L'assureur n'a pas renoncé à l'application de l'art. 2516 C.c.B.‑C. en faveur du preneur. Le contrat d'assurance, et en particulier la clause qui reprend substantiellement les conditions prévues à l'art. 2516, indique l'intention des parties et s'oppose catégoriquement à toute volonté de renonciation.


Parties
Demandeurs : Trust général du canada
Défendeurs : Artisans coopvie, société coopérative d'assurance-vie

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés: Blanchette c. C.I.S. Ltd., [1973] R.C.S. 833
Duplisea c. Compagnie d'assurance‑vie T. Eaton, [1980] 1 R.C.S. 144
Zurich du Canada Compagnie d'assurance‑vie c. Davies, [1981] 2 R.C.S. 670
Neveu c. Services de santé du Québec, C.S. Montréal, no 500‑05‑012515‑811, 11 décembre 1981.
Lois et règlements cités
Code civil du Bas‑Canada [mod. 1974, ch. 70, art. 2], art. 2476, 2485, 2500, 2516, 2524, 2527.

Proposition de citation de la décision: Trust général du canada c. Artisans coopvie, société coopérative d'assurance-vie, [1990] 2 R.C.S. 1185 (18 octobre 1990)


Origine de la décision
Date de la décision : 18/10/1990
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1990] 2 R.C.S. 1185 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1990-10-18;.1990..2.r.c.s..1185 ?
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