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12/10/1989 | CANADA | N°[1989]_2_R.C.S._941

Canada | R. c. Docherty, [1989] 2 R.C.S. 941 (12 octobre 1989)


R. c. Docherty, [1989] 2 R.C.S. 941

Sa Majesté La Reine Appelante

c.

Robert Frank Docherty Intimé

répertorié: r. c. docherty

No du greffe: 20810.

1989: 15 mars; 1989: 12 octobre.

Présents: Les juges Lamer, Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier et Cory.

en appel de la cour d'appel de terre‑neuve

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de Terre‑Neuve (1988), 69 Nfld. & P.E.I.R. 232, qui a rejeté l'appel d'un verdict d'acquittement prononcé par le juge en chef Scott de la Cour provinciale. Pourvoi

rejeté.

Robert Hyslop, c.r., pour l'appelante.

Evan Kipnis, pour l'intimé.

//Le juge Wilson//

Version française ...

R. c. Docherty, [1989] 2 R.C.S. 941

Sa Majesté La Reine Appelante

c.

Robert Frank Docherty Intimé

répertorié: r. c. docherty

No du greffe: 20810.

1989: 15 mars; 1989: 12 octobre.

Présents: Les juges Lamer, Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier et Cory.

en appel de la cour d'appel de terre‑neuve

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de Terre‑Neuve (1988), 69 Nfld. & P.E.I.R. 232, qui a rejeté l'appel d'un verdict d'acquittement prononcé par le juge en chef Scott de la Cour provinciale. Pourvoi rejeté.

Robert Hyslop, c.r., pour l'appelante.

Evan Kipnis, pour l'intimé.

//Le juge Wilson//

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE WILSON — La seule question qui doit être tranchée dans le présent pourvoi porte sur la mens rea nécessaire à l'infraction d'omission ou de refus volontaire de se conformer à une ordonnance de probation, contrairement au par. 666(1) du Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34 (devenu le par. 740(1), L.R.C. (1985), chap. C‑46). Plus précisément, on demande à notre Cour de déterminer si la perpétration d'une infraction criminelle par une personne tenue aux termes de son ordonnance de probation de "ne pas troubler l'ordre public et d'avoir une bonne conduite" est suffisante pour établir la violation du par. 666(1) peu importe l'élément moral nécessaire pour justifier une déclaration de culpabilité à l'égard de l'infraction sous‑jacente.

1. Les faits

Le 27 octobre 1984, l'intimé a été trouvé assis dans une automobile alors qu'il était apparemment en état d'ébriété. L'intimé a été accusé d'avoir, contrairement à l'art. 236 du Code criminel, eu la garde et le contrôle d'un véhicule à moteur alors que son taux d'alcoolémie dépassait 80 mg d'alcool par 100 ml de sang, et il a plaidé coupable à cette accusation. Le 6 décembre 1984, une dénonciation a été faite sous serment contre l'intimé dans laquelle on alléguait qu'il [TRADUCTION] "avait illégalement et volontairement omis de se conformer" à une ordonnance de probation délivrée contre lui le 23 février 1983 et lui enjoignant de "ne pas troubler l'ordre public et d'avoir une bonne conduite". C'est sur la perpétration de l'infraction visée à l'art. 236 du Code criminel qu'on s'est fondé pour prétendre qu'il y a eu violation du par. 666(1).

2. Les tribunaux d'instance inférieure

Lors de son procès relatif à l'infraction visée au par. 666(1), l'intimé a témoigné devant le juge en chef Scott de la Cour provinciale de Terre‑Neuve qu'au moment où il a commis l'infraction visée à l'art. 236, il ignorait qu'il violait la loi parce qu'il croyait que la voiture ne pouvait être mise en marche. Le juge du procès a souligné qu'il y avait des éléments de preuve à l'appui de cette croyance de l'intimé. Il a acquitté l'intimé pour le motif que celui‑ci n'avait pas la mens rea nécessaire pour justifier une déclaration de culpabilité aux termes du par. 666(1). Dans ses motifs oraux, le juge en chef Scott a déclaré:

[TRADUCTION] Beaucoup de gens, dont vous-même peut-être, croient qu'ils ne violent pas la loi parce qu'un véhicule ne peut démarrer ou peut être défectueux. Pour que cet article s'applique, savoir l'article 666 qui porte sur la violation volontaire de la loi, vous devez entretenir une croyance de façon malhonnête ou agir dans la mauvaise intention de violer la loi. Je crois qu'il faut plus que la simple preuve d'un plaidoyer de culpabilité ou d'une déclaration de culpabilité à l'égard d'une infraction antérieure et je suis plutôt porté à souscrire à la décision de la Cour de comté, contrairement au substitut du procureur général en l'espèce. À mon avis, il y a des cas où la simple preuve de l'acte ou de l'omission antérieurs serait suffisante et certains de ces cas s'inscrivent assez bien dans les domaines du droit les plus simples. Je crois que ce serait faire quelque peu violence à la loi si on disait qu'il est possible de déclarer une personne coupable de violation volontaire des conditions de son ordonnance de probation même si celle‑ci croyait sincèrement, quoique à tort, qu'elle ne faisait rien de mal.

L'appel interjeté par le ministère public par voie d'exposé de cause devant la Cour d'appel de Terre‑Neuve a été rejeté: voir (1988), 69 Nfld. & P.E.I.R. 232. Le juge Mifflin, s'exprimant au nom de la cour (les juges Mifflin, Gushue et Mahoney), a conclu que le genre de preuve qui justifie une déclaration de culpabilité d'infraction criminelle constitue souvent, mais pas toujours, une [TRADUCTION] "preuve suffisante à première vue du caractère volontaire"; toutefois ce n'était pas le cas en ce qui avait trait à la déclaration de culpabilité de l'intimé aux termes de l'art. 236. Voici ce qu'il affirme, à la p. 233:

[TRADUCTION] À mon avis, notre cour ne peut rendre une décision qui aurait pour effet d'empêcher toute défense contre l'accusation de violation des conditions d'une ordonnance de probation lorsque l'existence d'une infraction au Code criminel a été démontrée. Le paragraphe 666(1) n'a pas cet effet. Si on avait voulu qu'il ait cet effet, le par. 666(1) l'aurait prévu. Le paragraphe 666(1) n'établit pas de distinction entre les dispositions de l'ordonnance de probation, qu'elles soient générales ou spécifiques, ni entre les infractions visées ou non par le Code criminel. L'adverbe "volontairement" s'applique à toutes les accusations portées en vertu de ce paragraphe. Notre cour n'entend pas examiner à fond toutes les dispositions du Code criminel afin de déterminer si la mens rea nécessaire pour chaque infraction serait suffisante pour satisfaire aux dispositions du par. 666(1) relatives au caractère "volontaire" dans chaque cas. De plus, il serait malavisé de la part de la cour qu'elle s'interroge sur les moyens de défense dont pourrait disposer un accusé dans chaque cas particulier.

L'adverbe "volontairement" dans le par. 666(1) du Code criminel a été interprété dans Shaver v. R., 4 B.C.L.R. 354. À la p. 357, le juge Cashman de la Cour de comté dit:

"À mon avis, l'adverbe "volontairement" doit signifier que l'acte est accompli de façon délibérée et intentionnelle et non par accident ou par inadvertance. En outre, l'acte ou le refus volontaire doit se rapporter à la violation de son engagement de ne pas troubler l'ordre public parce que l'infraction définie au par. 666(1) est essentiellement de caractère volontaire, c'est‑à‑dire qu'il s'agit d'une désobéissance délibérée à une ordonnance de probation."

Nous ne souscrivons pas à la position extrême selon laquelle il doit y avoir, dans l'esprit de l'accusé, l'intention expresse de violer l'ordonnance de probation. L'intention peut être déduite de l'infraction particulière au Code criminel qui a entraîné l'accusation de violation du par. 666(1).

De manière générale, il semblerait que dans un bon nombre de poursuites engagées relativement à une violation du par. 666(1) et découlant d'une violation du Code criminel, il suffirait, pour établir le caractère volontaire, de démontrer l'existence de la déclaration de culpabilité. Le genre de conduite qui justifierait en soi une déclaration de culpabilité à l'égard d'un bon nombre d'infractions constituerait une preuve suffisante à première vue du caractère volontaire et il est difficile de concevoir un moyen de défense opposable à celle‑ci.

Pour répondre à la question soulevée en l'espèce, notre cour ne peut pas dire que le juge du procès a commis une erreur de droit lorsqu'il a conclu sur les faits que l'intimé croyait de manière raisonnable et sincère qu'il ne violait pas la loi lorsqu'il a commis les actes illégaux qui ont entraîné sa déclaration de culpabilité relativement à l'accusation portée en vertu du par. 236(1) et que, par conséquent, il n'a pas volontairement omis de se conformer à l'ordonnance de probation. [Je souligne.]

3. Les dispositions législatives pertinentes

Voici le texte du par. 666(1) du Code criminel:

666. (1) Un accusé qui est soumis à une ordonnance de probation et qui, volontairement, omet ou refuse de se conformer à cette ordonnance, est coupable d'une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité.

Le paragraphe 663(2) du Code criminel (maintenant le par. 737(2)) énonce les conditions obligatoires d'une ordonnance de probation ainsi que celles que la cour peut imposer à sa discrétion:

663. . . .

(2) Les conditions suivantes sont censées être prescrites dans une ordonnance de probation, savoir: que l'accusé ne trouble pas l'ordre public et ait une bonne conduite et qu'il comparaisse devant la cour lorsqu'il en est requis par la cour et, en outre, la cour peut prescrire comme conditions, dans une ordonnance de probation, que l'accusé devra exécuter l'une ou plusieurs des choses ci‑après comme le spécifie l'ordonnance, savoir

a) se présenter à un agent de probation ou autre personne désignée par la cour, et être sous sa surveillance;

b) subvenir aux besoins de son conjoint et de toutes autres personnes qu'il est tenu de faire vivre;

c) s'abstenir, soit absolument, soit selon les conditions que la cour peut spécifier, de consommer de l'alcool;

d) s'abstenir d'être propriétaire, possesseur ou porteur d'une arme;

e) faire restitution ou réparation, à toute personne lésée ou blessée du fait de l'infraction, de la perte ou du dommage véritables soufferts de ce fait par cette personne;

f) rester dans le ressort de la cour et notifier à la cour ou à l'agent de probation ou autre personne désignée en vertu de l'alinéa a) tout changement d'adresse ou d'emploi ou d'occupation;

g) faire des efforts raisonnables en vue de trouver et de conserver un emploi approprié; et

h) observer telles autres conditions raisonnables que la cour considère souhaitables pour assurer la bonne conduite de l'accusé et l'empêcher de commettre de nouveau la même infraction ou de commettre d'autres infractions. [Je souligne.]

Il convient de souligner que l'al. 663(2)c) permet à la cour d'ordonner à un accusé de s'abstenir de consommer de l'alcool. Une telle condition n'était toutefois pas inscrite dans l'ordonnance de probation de l'intimé.

Comme l'art. 663 ne prévoit aucune peine, c'est la disposition du Code criminel qui prescrit une peine générale qui s'applique. Au moment où l'infraction a été commise, cette disposition prévoyait:

722. (1) Sauf lorsque la loi prévoit autrement de façon expresse, toute personne déclarée coupable d'une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité est passible d'une amende d'au plus cinq cents dollars ou d'un emprisonnement de six mois, ou des deux peines à la fois.

L'intimé a plaidé coupable à l'accusation d'avoir eu la garde ou le contrôle d'un véhicule à moteur alors que son taux d'alcoolémie dépassait .08, contrairement au par. 236(1) (maintenant l'art. 253), et il a été déclaré coupable de cette infraction même s'il avait déposé qu'il ne pensait pas faire quelque chose de mal à ce moment‑là parce qu'il croyait que l'automobile n'était pas en état de fonctionner. Le paragraphe 236(1) prévoit:

236. (1) Le conducteur d'un véhicule à moteur ou la personne en ayant la garde à l'arrêt dont le taux d'alcoolémie dépasse 80 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang, est coupable d'un acte criminel ou d'une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité et passible,

a) pour la première infraction, d'une amende de cinquante à deux mille dollars et d'un emprisonnement de six mois, ou de l'une de ces peines;

b) pour la deuxième infraction, d'un emprisonnement de quatorze jours à un an; et

c) pour chaque infraction subséquente, d'un emprisonnement de trois mois à deux ans.

Dans l'arrêt Ford c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 231, notre Cour à la majorité (le juge en chef Laskin et le juge Dickson étant dissidents) a jugé que l'intention de conduire ne constituait pas un élément nécessaire de l'infraction de garde ou de contrôle. Le juge Ritchie affirme au nom de la majorité, aux pp. 248 et 249:

Il n'est pas non plus nécessaire, à mon avis, que la poursuite fasse la preuve de l'intention de mettre le véhicule en marche pour que soit reconnue coupable une personne accusée, en vertu du par. 236(1), d'avoir eu la garde d'un véhicule à moteur alors que son taux d'alcoolémie dépassait 80 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang. Il peut y avoir garde même en l'absence de cette intention lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, un accusé accomplit un acte ou une série d'actes ayant trait à l'utilisation du véhicule ou de ses accessoires, qui font que le véhicule peut être mis en marche involontairement, créant le danger que l'article vise à prévenir.

Notre Cour a par la suite souscrit à l'opinion du juge Ritchie dans l'arrêt unanime (le juge McIntyre) R. c. Toews, [1985] 2 R.C.S. 119. Étant donné que l'infraction consiste à avoir la garde ou le contrôle et que la garde ou le contrôle se fait simplement par l'accomplissement de certains actes par lesquels un véhicule peut involontairement être mis en marche, il est clair que le niveau d'intention que le ministère public doit démontrer pour justifier une déclaration de culpabilité à l'égard de cette infraction est vraiment minime.

4. Analyse

La présente affaire soulève la question importante de savoir si un accusé peut être déclaré coupable de l'infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité d'omission ou de refus volontaire de se conformer à une ordonnance de probation lorsque, pour reprendre les termes du juge du procès, l'accusé "croyait sincèrement, quoique à tort, qu'[il] ne faisait rien de mal". En d'autres termes, le par. 666(1) du Code criminel doit‑il être interprété comme créant une infraction qui exige sa propre mens rea ou doit‑il être interprété comme créant une infraction qui découle automatiquement d'une déclaration de culpabilité à l'égard de toute infraction visée au Code criminel ou de tout autre acte délibéré qui constitue une violation des conditions d'une ordonnance de probation? Les arguments de l'intimé sont d'autant plus intéressants que l'infraction sous‑jacente, prévue au Code criminel, que constitue la garde ou le contrôle d'un véhicule à moteur "avec plus de 80 mg", a été commise sans preuve ni aveu de mens rea, du moins au sens traditionnel. L'intimé a simplement été trouvé assis en état d'ébriété dans une automobile qu'il croyait (ce à quoi le juge du procès a ajouté foi) ne pas être en état de démarrer. À son procès, l'intimé a témoigné qu'il ne croyait pas qu'il faisait quelque chose de mal, ce que le juge du procès semble avoir tenu pour acquis.

La question soulevée en l'espèce en est une surtout d'interprétation législative.

a) L'interprétation littérale

Le paragraphe 666(1) est clairement rédigé de manière à exiger une connaissance coupable pour qu'il y ait violation. Le paragraphe interdit à un accusé d'omettre ou de refuser volontairement de se conformer à une ordonnance de probation. L'adverbe "volontairement" est sans doute idéal pour indiquer une exigence de mens rea. Il souligne l'intention en relation avec la réalisation d'un objectif. Il peut être opposé à des formes moindres de connaissance coupable comme "négligemment" ou même "de façon téméraire". Bref, l'emploi de l'adverbe "volontairement" indique que la loi exige un niveau relativement élevé de mens rea en vertu duquel ceux qui sont soumis à l'ordonnance de probation doivent avoir formé l'intention d'en violer les conditions et avoir eu cet objectif à l'esprit lorsqu'ils l'ont fait.

L'exigence du "refus" de se conformer à une ordonnance de probation, bien qu'elle comporte un élément de mens rea d'une façon moins évidente que l'exigence de l'omission volontaire de se conformer, indique également une certaine forme de connaissance coupable. Pour "refuser" de vous conformer à quelque chose, il est nécessaire de connaître ce à quoi vous ne vous conformez pas. Vos actes ne peuvent constituer un "refus" que dans ce cas. Vous connaissez les restrictions auxquelles vous êtes assujetti, mais vous vous en moquez délibérément.

Par conséquent, je suis d'avis de conclure que, selon l'interprétation littérale du paragraphe, l'infraction exige un niveau relativement élevé de mens rea.

b) L'interprétation contextuelle

L'exigence d'un niveau de mens rea relativement élevé aux termes du par. 666(1) est‑elle compatible avec le contexte général de la Loi?

Étant donné que le par. 666(1) crée une infraction criminelle, il convient de présumer qu'un certain élément moral est requis en l'absence de termes clairs indiquant le contraire. Dans le cas du par. 666(1), loin d'être rédigé en termes clairs indiquant le contraire, on y trouve des termes clairs qui font ressortir un élément moral. De plus, il semblerait important de souligner, à cet égard, que la disposition qui prescrit une peine générale, l'art. 722 du Code criminel, s'applique dans le cas d'une déclaration de culpabilité en vertu du par. 666(1) et que cette disposition permet d'imposer une peine d'emprisonnement. Étant donné que le par. 666(1) crée une infraction visée au Code à l'égard de laquelle il est permis d'imposer une peine d'emprisonnement, j'estime qu'il est tout à fait logique de l'interpréter comme exigeant un élément moral.

En outre, le par. 666(1) a clairement pour but d'assurer le respect des ordonnances de probation. Le paragraphe 663(4) exige non seulement qu'une copie de l'ordonnance de probation soit remise à l'accusé, mais également qu'elle lui soit lue. On doit également informer l'accusé qu'une violation des conditions de cette ordonnance constitue une infraction distincte en vertu du par. 666(1). Les tribunaux d'instance inférieure ont jugé que le ministère public doit démontrer le respect de cette exigence pour qu'une déclaration de culpabilité puisse être obtenue aux termes du paragraphe: R. v. Piche (1976), 31 C.C.C. (2d) 150 (B.R. Sask.), R. v. McNamara (1982), 66 C.C.C. (2d) 24 (C.A. Ont.), R. v. Bara (1981), 58 C.C.C. (2d) 243 (C.A.C.‑B.) En fait, les tribunaux, dans les affaires R. v. Piche et R. v. Bara, ont également jugé qu'un accusé n'est [TRADUCTION] "soumis à une ordonnance de probation" au sens du par. 666(1) que si la cour s'est conformée aux dispositions du par. 663(4). Compte tenu des efforts que le législateur a déployés pour s'assurer que l'accusé connaisse bien les conditions de son ordonnance de probation, il serait curieux qu'un accusé puisse être déclaré coupable en vertu de ce paragraphe sans savoir qu'il y contrevenait.

D'autres considérations semblent être pertinentes relativement à l'interprétation contextuelle du par. 666(1). Par exemple, dans l'arrêt R. c. Sault Ste‑Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299, le juge Dickson a laissé entendre que le raisonnement de l'effet dissuasif présenté à l'appui des infractions de responsabilité absolue est dans la plupart des cas exagéré. Tout simplement, il n'est pas très logique de penser qu'une personne sera dissuadée de commettre un méfait dans des cas où cette personne ne croit pas ou n'est pas consciente qu'elle fait quelque chose de mal. Toutefois, l'appelante a soutenu devant la Cour que le fait de soumettre à une ordonnance de probation une personne déclarée coupable de conduite criminelle a simplement pour but de [TRADUCTION] "lui faire prendre davantage conscience des conséquences des activités criminelles". Je suis convaincue du bien‑fondé de cette affirmation. Toutefois, dans le présent contexte, la déclaration de culpabilité de l'accusé aux termes du par. 666(1) n'aurait que peu ou pas d'effet dissuasif étant donné (comme l'a reconnu le juge du procès) que l'accusé ignorait qu'il faisait quelque chose de mal. J'estime qu'une décision exigeant un élément distinct de mens rea à l'égard de l'infraction visée au par. 666(1) ne diminuerait en rien l'efficacité des ordonnances de probation comme l'allègue l'appelante. L'exigence que les personnes soumises à une ordonnance de probation ne troublent pas l'ordre public et aient une bonne conduite continuerait de s'appliquer à celles qui violeraient volontairement les conditions de leur probation. À mon avis, il est compatible avec le contenu et l'objet global des dispositions du Code criminel en matière de probation que ceux qui inconsciemment ne respectent pas les conditions de leur probation ne soient pas déclarés coupables, et que seuls le soient ceux qui violent volontairement ces conditions ou refusent délibérément de les respecter.

J'estime que les arguments de l'appelante ne visent pas tellement l'élément de l'infraction prévue au par. 666(1), mais qu'ils appuient une interprétation très large de la disposition de l'ordonnance de probation qui exige qu'on ne trouble pas l'ordre public et qu'on ait une bonne conduite. Dans la décision R. v. Stone (1985), 22 C.C.C. (3d) 249, le juge Steele de la Cour suprême de Terre‑Neuve a tenté de définir les expressions "ne trouble pas l'ordre public" et "ait une bonne conduite" utilisées au par. 663(2). Dans cette affaire, l'appelant qui était soumis à une ordonnance de probation a été acquitté par la Cour provinciale relativement à l'accusation, portée en vertu du Code criminel, d'avoir obtenu frauduleusement des aliments, essentiellement parce qu'il était trop ivre pour former l'intention spécifique nécessaire lorsqu'il a commandé le repas qu'il n'a pas payé. Toutefois, il a été déclaré coupable d'avoir violé son ordonnance de probation pour le motif que sa conduite au restaurant constituait une omission volontaire d'avoir une bonne conduite même si elle n'équivalait pas à une infraction criminelle. Dans l'appel interjeté par voie d'exposé de cause devant la Cour suprême de Terre‑Neuve, on a demandé au juge Steele de déterminer si le juge du procès avait commis une erreur lorsqu'il avait jugé que l'expression

[TRADUCTION] "Ne trouble pas l'ordre public et ait une bonne conduite" comprend non seulement la violation de toute disposition législative pénale, fédérale, provinciale ou municipale, mais va plus loin du fait que ces termes doivent être interprétés selon leur sens ordinaire.

Le juge Steele a rejeté l'appel.

Le juge Steele s'est fondé sur l'opinion, exprimée à la p. 255, selon laquelle les deux expressions "ne trouble pas l'ordre public" et "ait une bonne conduite" imposent [TRADUCTION] "des conditions séparées et distinctes qui peuvent cependant se chevaucher dans certaines circonstances". À la page 256, il établit la distinction suivante:

[TRADUCTION] Lorsqu'on examine si on a "troublé l'ordre public", il faut être conscient de l'opinion publique et de sa perception de l'ordre public et de la bonne conduite, et de ce qui porte atteinte ou non à cette norme vague. S'il s'agit de la bonne conduite d'une personne, il faut mettre l'accent sur une analyse plus personnelle de sa conduite. La violation d'un engagement de "ne pas troubler l'ordre public" signifie qu'il y a perturbation de l'ordre public ou atteinte à celui‑ci tandis que la violation d'un engagement "d'avoir une bonne conduite" signifie qu'une personne a accompli un acte ou a exercé une activité qui ne respecte pas la norme de conduite changeante à laquelle sont assujettis tous les citoyens honnêtes et respectueux des lois. Il est fort possible, comme je l'ai déjà mentionné, de ne pas avoir une bonne conduite tout en ne troublant pas l'ordre public. Il s'agit probablement d'une question de degré. C'est seulement le second aspect de la condition prescrite par la loi, c'est-à-dire "avoir une bonne conduite" qui nous intéresse.

Le juge Steele affirme ensuite, à la p. 257, qu'une déclaration de culpabilité de violation d'une disposition législative fédérale, provinciale et municipale [TRADUCTION] "peut être — et est sans doute généralement — mais pas nécessairement" une omission d'avoir une bonne conduite. Inversement, la conduite qui ne viole aucune disposition législative peut néanmoins porter atteinte à la condition de ne pas troubler l'ordre public et d'avoir une bonne conduite. Dans cette affaire, on a jugé que l'accusé n'avait pas eu l'intention nécessaire relativement à l'infraction sous‑jacente c'est‑à‑dire celle consistant à obtenir frauduleusement des aliments. Néanmoins, on a jugé que son comportement au restaurant ne constituait pas une "bonne conduite". Dans l'exposé de cause, on n'a pas soulevé la question de la mens rea nécessaire relativement à une omission volontaire de respecter la condition "d'avoir une bonne conduite" dont était assortie la probation, et le juge Steele ne l'a pas examinée. Toutefois, en maintenant la déclaration de culpabilité aux termes du par. 666(1), il a implicitement confirmé la conclusion du juge du procès selon laquelle l'appelant avait la mens rea nécessaire pour commettre cette infraction.

c) La jurisprudence relative au par. 666(1)

Dans l'affaire Butkans v. The Queen, [1972] 4 W.W.R. 262, le juge Hewak, alors de la Cour de comté, a examiné l'importance du terme "volontaire" dans le contexte du par. 666(1) lorsqu'un accusé a omis de faire restitution contrairement aux conditions de son ordonnance de probation. Voici ce qu'il dit, à la p. 271:

[TRADUCTION] En appliquant ces principes et ce raisonnement à l'espèce, la question aurait été différente si l'art. 666 du Code avait éliminé le terme "volontaire" pour faire en sorte que l'omission de se conformer à une ordonnance de probation constitue une infraction de responsabilité absolue sans qu'il ne soit nécessaire de prouver la mens rea. À mon avis, on peut déduire à bon droit de l'utilisation du terme "volontaire" et du sens ordinaire de ce terme que le législateur a voulu que l'on démontre quelque chose de plus que la simple omission pour qu'un accusé puisse être déclaré coupable aux termes de cet article du Code.

Dans l'arrêt R. v. Sugg (1986), 28 C.C.C. (3d) 569, la Division d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse a également examiné le sens du terme "volontaire" au par. 666(1). L'appelant dans cette affaire n'avait pas payé le plein montant de la restitution qu'il devait faire selon les conditions de son ordonnance de probation. Le juge du procès a tenu pour acquis que l'accusé n'était pas en mesure financièrement de payer le plein montant même s'il aurait pu faire un plus gros versement que celui qu'il a fait. Néanmoins, le juge du procès l'a déclaré coupable d'avoir volontairement omis de payer le montant total de la restitution et l'a déclaré coupable de violation des conditions de son ordonnance de probation contrairement au par. 666(1). La Division d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse a infirmé la déclaration de culpabilité. Le juge Macdonald, s'exprimant au nom de la cour, a fait les observations suivantes au sujet de l'élément moral contenu au par. 666(1), à la p. 572:

[TRADUCTION] Le paragraphe (1) de l'art. 666 du Code criminel crée une infraction exigeant une mens rea complète. Le juge MacDonald a tenu pour acquis que l'appelant n'était pas en mesure financièrement d'acquitter le montant de 3 500 $ le 1er mai 1985, comme l'exigeait l'ordonnance de probation. Je conviens avec l'avocat de l'appelant qu'une telle conclusion n'est pas compatible avec une omission volontaire d'effectuer un tel paiement.

En concluant que l'appelant a volontairement omis de se conformer à la disposition de l'ordonnance de probation prévoyant la restitution, le juge du procès a de toute évidence été influencé par le fait qu'à son avis l'appelant n'avait pas fait de son mieux pour payer plus qu'il ne l'a fait. Toutefois, l'appelant a été accusé d'avoir volontairement omis de payer 3 500 $ le 1er mai 1985 comme l'exigeait l'ordonnance de probation et non de ne pas avoir fait un paiement plus important que celui qu'il a fait. Comme le juge MacDonald a conclu que l'appelant ne pouvait simplement pas payer 3 500 $ le 1er mai 1985, alors, à mon avis, on ne peut dire que l'appelant a volontairement omis de payer un tel montant. Il manque l'intention criminelle nécessaire.

Ces affaires portaient sur des violations de dispositions précises d'une ordonnance de probation, dans lesquelles l'actus reus de la violation était évident et n'était pas contesté mais où l'existence de la mens rea nécessaire l'était. En l'absence de la mens rea nécessaire, une déclaration de culpabilité ne pouvait être prononcée. Il convient de souligner que le juge Steele, dans son analyse générale du par. 666(1) dans l'affaire R. v. Stone, a convenu qu'un élément moral était nécessaire pour qu'il y ait infraction à ce paragraphe. Il a dit, aux pp. 254 et 255:

[TRADUCTION] L'élément vital d'une infraction au par. 666(1) est que le non‑respect et la violation d'une ordonnance de probation ou la désobéissance à celle‑ci doit être volontaire. Le terme "volontaire" est utilisé dans le sens que l'omission ou le refus de se conformer à l'ordonnance de probation était planifié, intentionnel et non accidentel ou involontaire, que le non‑respect était délibéré et avait pour but illicite soit de désobéir à l'ordonnance soit de ne pas en tenir compte, qu'il n'y a aucune justification, que l'omission ou le refus de se conformer à l'ordonnance de probation doit être accompagné d'une mauvaise intention, d'un mauvais motif ou de l'indifférence quant aux conséquences: voir Black's Law Dictionary, 5e éd, p. 1434. Le terme "volontairement" que contient le paragraphe signifie que le fait de traiter à la légère ou de simplement négliger une condition dans une ordonnance de probation, sans plus, ne constitue pas le crime, car l'élément du caractère volontaire doit s'ajouter pour qu'il y ait l'infraction.

Toutefois, comme je l'ai mentionné précédemment, il n'a pas expressément abordé la question de savoir si la mens rea nécessaire relativement au par. 666(1) était présente d'après les faits de l'affaire R. v. Stone. Par conséquent, on ne voit pas clairement de quelle manière il est parvenu à la conclusion que l'appelant violait volontairement son ordonnance de probation lorsqu'en état d'ébriété il a commandé le repas qu'il n'a pas payé. Toutefois, il semble assez évident qu'il s'agit de déterminer, d'une part, si une conduite en particulier n'a pas satisfait à la norme de la bonne conduite et, d'autre part, si l'accusé n'a pas satisfait de façon intentionnelle à cette norme aux fins du par. 666(1). À mon avis, ces deux questions ne peuvent être fondues en une seule de manière à supprimer l'exigence de mens rea de l'infraction définie au par. 666(1).

Je suis d'avis que la décision du juge Cashman de la Cour de comté, dans Shaver v. The Queen (1977), 4 B.C.L.R. 354, illustre ce point. Dans cette affaire, la cour devait déterminer si la conduite d'une personne accusée d'avoir fait du tapage constituait une violation volontaire de son engagement de ne pas troubler l'ordre public alors que des éléments de preuve indiquaient qu'elle était [TRADUCTION] "hystérique" et qu'elle n'était "plus maître de ses actes" au moment de l'incident. À la page 357, le juge écrit:

[TRADUCTION] À mon avis, l'adverbe "volontairement" doit signifier que l'acte est accompli de façon délibérée et intentionnelle et non par accident ou par inadvertance. En outre, l'acte ou le refus volontaire doit se rapporter à la violation de son engagement de ne pas troubler l'ordre public parce que l'infraction définie au par. 666(1) est essentiellement de caractère volontaire, c'est‑à‑dire qu'il s'agit d'une désobéissance délibérée à une ordonnance de probation.

En d'autres termes, la cour ne peut prononcer une déclaration de culpabilité aux termes du par. 666(1) en se fondant uniquement sur la preuve de l'actus reus. Il se peut que par sa conduite l'accusé n'ait pas respecté une norme objective quelconque qu'il est tenu de respecter afin de ne pas troubler l'ordre public, mais cela n'est pas suffisant en soi. Il faut démontrer une intention réelle de violer la condition de l'ordonnance de probation pour pouvoir prononcer une déclaration de culpabilité en application du par. 666(1).

Il semble qu'en l'espèce la Cour d'appel de Terre‑Neuve ait rejeté cette interprétation du par. 666(1). Le juge Mifflin, après avoir cité un passage de la décision du juge Cashman de la Cour de comté dans Shaver v. The Queen, affirme à la p. 234:

[TRADUCTION] Nous ne souscrivons pas à la position extrême selon laquelle il doit y avoir, dans l'esprit de l'accusé, l'intention expresse de violer l'ordonnance de probation. L'intention peut être déduite de l'infraction particulière au Code criminel qui a entraîné l'accusation de violation du par. 666(1).

De manière générale, il semblerait que dans un bon nombre de poursuites engagées relativement à une violation du par. 666(1) et découlant d'une violation du Code criminel, il suffirait, pour établir le caractère volontaire, de démontrer l'existence de la déclaration de culpabilité. Le genre de conduite qui justifierait en soi une déclaration de culpabilité à l'égard d'un bon nombre d'infractions constituerait une preuve suffisante a première vue du caractère volontaire et il est difficile de concevoir un moyen de défense opposable à celle‑ci. [Je souligne.]

En toute déférence, je ne saurais être d'accord avec la Cour d'appel de Terre‑Neuve sur ce point. À mon avis, la mens rea d'une infraction sous‑jacente ne peut être traitée comme l'intention requise en vertu du par. 666(1). Comme je l'ai dit précédemment, la mens rea visée au par. 666(1) exige qu'un accusé ait l'intention de violer son ordonnance de probation. Il faut au moins prouver que l'accusé savait qu'il était soumis à l'ordonnance de probation et que celle‑ci contenait une condition à laquelle il dérogerait s'il adoptait une certaine conduite. Il faut démontrer que l'accusé est allé de l'avant et a adopté la conduite sans se soucier des conséquences. Il va sans dire qu'il incombe au ministère public de prouver que l'accusé avait la mens rea nécessaire. Dans la mesure où il est presque toujours difficile de prouver directement l'existence de l'intention, le ministère public peut demander à la cour, en l'absence d'un élément de preuve contraire, de déduire l'existence de l'intention de la conduite adoptée. Cependant, tout doute quant à savoir si l'accusé a voulu faire ce qu'il a fait doit bénéficier à l'accusé. L'important c'est que l'intention de commettre l'infraction sous‑jacente ne permet pas de déduire l'existence d'une intention totalement différente, c.‑à‑d. celle de violer les conditions de son ordonnance de probation.

Quelle est alors l'importance de la déclaration de culpabilité relative à l'infraction sous‑jacente en rapport avec l'engagement d'avoir une bonne conduite contenu dans l'ordonnance de probation? Il me semble qu'elle constitue l'actus reus aux termes du par. 666(1). Elle prouve que l'accusé a violé les conditions de son ordonnance de probation par la perpétration d'une infraction criminelle. Toutefois, il ne s'agit pas à mon avis d'une preuve suffisante à première vue de l'intention de faire cela, encore moins de l'intention expresse de le faire. Il s'agit d'une intention différente de celle de commettre l'actus reus de l'infraction sous‑jacente.

Dans le cas d'une infraction exigeant la mens rea complète aux termes du Code criminel, l'accusé doit avoir l'intention d'accomplir les actes qui constituent l'actus reus de l'infraction. Le paragraphe 666(1) ne fait pas exception. Dans les circonstances de l'espèce, l'actus reus de l'infraction visée au par. 666(1) est la perpétration de l'infraction criminelle visée à l'art. 236. Par conséquent, pour prouver la mens rea il faut que l'intimé ait eu l'intention de commettre l'infraction criminelle visée à l'art. 236 lorsqu'il a pris place au volant en état d'ébriété. L'intimé a témoigné qu'il croyait que l'automobile n'était pas en état de fonctionner et que, pour cette raison, il croyait sincèrement qu'il ne commettait pas d'infraction en s'assoyant au volant alors qu'il était en état d'ébriété. Ce témoignage a été accepté par le juge du procès. À mon avis, lorsque l'actus reus du par. 666(1) est constitué par la perpétration d'une infraction criminelle, la croyance sincère de la part de l'accusé qu'il ne commettait pas cette infraction signifie que l'accusé ne peut avoir volontairement omis ou refusé de se conformer à l'ordonnance de probation. Dans ces circonstances, il n'avait pas la mens rea nécessaire pour commettre l'infraction visée au par. 666(1).

Ayant conclu que la déclaration de culpabilité relative à l'infraction sous‑jacente constitue l'actus reus de l'infraction visée au par. 666(1), je souligne qu'il n'est pas loisible à l'accusé de contester les éléments composant l'actus reus et la mens rea de l'infraction sous‑jacente pour se défendre contre l'accusation portée en vertu du par. 666(1). Par exemple, si un accusé est déclaré coupable d'agression sexuelle en vertu de l'art. 265 du Code criminel, le juge qui préside son procès pour violation des conditions de son ordonnance de probation doit tenir pour acquis que l'accusé avait la mens rea requise lorsqu'il a commis l'actus reus de l'infraction visée à l'art. 265. Cela comprendrait l'intention de commettre l'agression sans le consentement de la victime. Lorsque le moyen de défense fondé sur la croyance sincère mais erronée au consentement est rejeté explicitement ou implicitement au procès relatif à l'infraction d'agression sexuelle (comme ce doit être le cas si l'accusé est déclaré coupable), l'accusé ne peut faire valoir à son procès pour violation des conditions de son ordonnance de probation qu'il n'a pas voulu commettre l'infraction visée à l'art. 265 puisqu'il croyait sincèrement que la victime était consentante.

L'article 19 du Code criminel empêche‑t‑il l'intimé d'invoquer sa croyance sincère pour nier la mens rea exigée au par. 666(1)? Voici le texte de cet article:

19. L'ignorance de la loi chez une personne qui commet une infraction n'excuse pas la perpétration de cette infraction.

L'intimé a témoigné qu'il ne croyait pas qu'il faisait quelque chose de mal lorsqu'il s'est assis au volant de la voiture alors qu'il était en état d'ébriété. Le juge du procès a reconnu que l'intimé croyait cela sincèrement et a souligné l'existence d'une preuve objective à l'appui de son argument.

Il est incontestable que l'intimé ne pourrait échapper à une déclaration de culpabilité pour violation de l'art. 236 du Code criminel pour le motif qu'il ignorait que le fait d'avoir la garde et le contrôle d'un véhicule à moteur avec un taux d'alcoolémie supérieur à .08 était contraire à la loi. Cette connaissance n'est pas une composante de la mens rea de l'art. 236. L'intimé ne pourrait pas non plus prétendre qu'il ignorait que l'omission volontaire d'avoir une bonne conduite constituait une violation des conditions de son ordonnance de probation, étant donné particulièrement que le par. 663(4) (maintenant le par. 737(3)) du Code criminel oblige la cour qui délivre une ordonnance de probation à s'assurer que l'accusé soit au courant des conditions de l'ordonnance, de la conduite qui constituerait une violation et des conséquences d'une telle violation, et l'intimé n'a pas allégué que cela n'a pas été fait.

Mewett et Manning dans leur ouvrage, Criminal Law (2e éd. 1985) analysent, à la p. 320, la signification de la maxime portant que nul n'est censé ignorer la loi:

[TRADUCTION] On dit souvent que nul n'est censé ignorer la loi et qu'à titre de maxime générale — qui fait maintenant partie de l'art. 19 du Code — il s'agit d'un cliché anodin. Toutefois, il est plus précis de dire que le fait de savoir qu'un acte est contraire à la loi n'est pas un des éléments de la mens rea nécessaire et, ainsi, une erreur sur ce que prescrit la loi ne constitue pas un moyen de défense. En d'autres termes, quelle que soit son importance à l'égard de la peine, la croyance qu'un acte est légitime n'influe pas sur la responsabilité.

Bien que je souscrive à la proposition générale des auteurs, je suis d'avis que lorsqu'on fait valoir que la perpétration d'une infraction criminelle constitue l'actus reus de l'infraction visée au par. 666(1) (comme en l'espèce), le fait de savoir que l'acte qu'on a accompli est contraire à la loi (en l'espèce, la disposition législative contenue à l'art. 236 du Code criminel) constitue un élément de la mens rea nécessaire en ce qui a trait à l'omission volontaire de se conformer à une ordonnance de probation. En d'autres termes, je suis d'avis que le par. 666(1) constitue une exception à la règle générale exprimée à l'art. 19 dans un cas où la perpétration d'une infraction criminelle est invoquée comme étant l'actus reus visé à l'article. Un accusé ne peut avoir volontairement violé les conditions de son ordonnance de probation par la perpétration d'une infraction criminelle à moins qu'il n'ait su que ce qu'il faisait constituait une infraction criminelle. Cependant, la déclaration de culpabilité ne constitue une preuve de la mens rea visée au par. 666(1) que dans la mesure où l'existence du caractère volontaire peut se déduire de l'actus reus, tel qu'indiqué plus haut. Cette mens rea doit être prouvée et l'art. 19 du Code criminel n'empêche pas l'intimé d'invoquer sa croyance sincère qu'il ne faisait rien de mal pour nier son existence. Lorsque la connaissance constitue elle‑même une composante de la mens rea nécessaire, l'absence de cette connaissance fournit un moyen de défense valable.

Je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi rejeté.

Procureur de l'appelante: Le procureur général de Terre‑Neuve, St. John's.

Procureurs de l'intimé: Chalker, Green & Rowe, St. John's.


Synthèse
Référence neutre : [1989] 2 R.C.S. 941 ?
Date de la décision : 12/10/1989
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Mens rea - Non‑respect volontaire d'une ordonnance de probation - Omission de ne pas troubler l'ordre public et d'avoir une bonne conduite - Accusation découlant d'une déclaration de culpabilité d'avoir eu, en état d'ébriété, la garde et le contrôle d'un véhicule - Croyance de l'accusé que le véhicule ne pouvait être mis en marche - Le paragraphe 666(1) crée‑t‑il une infraction qui exige sa propre mens rea ou une infraction qui découle automatiquement d'une déclaration de culpabilité d'une infraction au Code criminel? - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 19, 236(1), 663(2), 666(1), 722(1).

L'intimé, qui avait été trouvé assis dans une automobile alors qu'il était apparemment en état d'ébriété a plaidé coupable à l'accusation d'avoir eu la garde et le contrôle d'un véhicule à moteur alors qu'il était en état d'ébriété contrairement à l'art. 236 du Code criminel. Une dénonciation a été faite sous serment contre l'intimé dans laquelle on alléguait qu'il "avait illégalement et volontairement omis de se conformer" à une ordonnance de probation lui enjoignant de "ne pas troubler l'ordre public et d'avoir une bonne conduite". C'est sur la perpétration de l'infraction visée à l'art. 236 du Code criminel qu'on s'est fondé pour prétendre qu'il y a eu violation du par. 666(1).

Lors de son procès relatif à l'infraction visée au par. 666(1), l'intimé a témoigné qu'au moment où il a commis l'infraction visée à l'art. 236, il ignorait qu'il violait la loi parce qu'il croyait que la voiture ne pouvait être mise en marche. Le juge du procès a souligné qu'il y avait des éléments de preuve à l'appui de cette croyance de l'intimé et il l'a acquitté de l'infraction visée au par. 666(1) pour le motif qu'il n'avait pas la mens rea nécessaire. L'appel interjeté par le ministère public par voie d'exposé de cause devant la Cour d'appel de Terre‑Neuve a été rejeté. Il s'agit en l'espèce de savoir si le par. 666(1) du Code criminel doit être interprété comme créant une infraction qui exige sa propre mens rea ou comme créant une infraction qui découle automatiquement d'une déclaration de culpabilité à l'égard de toute infraction visée au Code criminel ou de tout autre acte délibéré qui constitue une violation des conditions d'une ordonnance de probation.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Le paragraphe 666 exige un niveau relativement élevé de mens rea. L'adverbe "volontairement" indique un niveau relativement élevé de mens rea en vertu duquel ceux qui sont soumis à l'ordonnance de probation doivent avoir formé l'intention d'en violer les conditions et avoir eu cet objectif à l'esprit lorsqu'ils l'ont fait. L'exigence du "refus" de se conformer à une ordonnance de probation indique également une certaine forme de connaissance coupable car il est nécessaire de connaître ce à quoi on ne se conforme pas. Le fait qu'une peine d'emprisonnement peut être imposée en vertu de l'art. 722 du Code pour une déclaration de culpabilité en vertu du par. 666(1) indique également un niveau plus élevé de mens rea.

Le paragraphe 666(1) a clairement pour but d'assurer le respect des ordonnances de probation et le Code traduit les efforts que le législateur a déployés pour s'assurer que l'accusé connaisse bien les conditions de son ordonnance de probation. Une personne peut difficilement être dissuadée de commettre un méfait quant elle ignore qu'elle fait quelque chose de mal. Les personnes qui, inconsciemment, violent les conditions de leur probation ne devraient pas être reconnues coupables.

La mens rea visée au par. 666(1) exige qu'un accusé ait l'intention de violer son ordonnance de probation: il doit avoir su qu'il était soumis à l'ordonnance de probation et que celle‑ci contenait une condition à laquelle il dérogerait s'il adoptait une certaine conduite. La mens rea de l'infraction sous‑jacente ne peut être traitée comme l'intention requise en vertu du par. 666(1). La déclaration de culpabilité relative à l'infraction sous‑jacente constitue l'actus reus aux termes du par. 666(1) et prouve que l'accusé a violé les conditions de son ordonnance de probation. Cette déclaration de culpabilité ne constitue pas une preuve suffisance à première vue de l'intention de violer l'ordonnance de probation, qui est tout à fait différente de l'intention de commettre l'actus reus de l'infraction sous‑jacente. Parce qu'il est presque toujours difficile d'obtenir une preuve directe, le ministère public peut demander à la cour, en l'absence d'un élément de preuve contraire, de déduire l'existence de l'intention de la conduite adoptée, mais tout doute doit bénéficier à l'accusé.

L'article 19 du Code criminel prévoit que l'ignorance de la loi n'excuse pas la perpétration d'une infraction. Le paragraphe 666(1) constitue cependant une exception à la règle générale exprimée à l'art. 19 dans un cas où la perpétration d'une infraction criminelle est invoquée comme étant l'actus reus visé à l'article. Lorsque la connaissance constitue elle‑même une composante de la mens rea nécessaire, l'absence de cette connaissance fournit un moyen de défense valable.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Docherty

Références :

Jurisprudence
Arrêts appliqués: Ford c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 231
R. c. Toews, [1985] 2 R.C.S. 119
arrêt examiné: R. v. Stone (1985), 22 C.C.C. (3d) 249
arrêts mentionnés: R. v. Piche (1976), 31 C.C.C. (2d) 150
R. v. McNamara (1982), 66 C.C.C. (2d) 24
R. v. Bara (1981), 58 C.C.C. (2d) 243
R. c. Sault Ste‑Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299
Butkans v. The Queen, [1972] 4 W.W.R. 262
R. v. Sugg (1986), 28 C.C.C. (3d) 569
Shaver v. The Queen (1977), 4 B.C.L.R. 354.
Lois et règlements cités
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 19, 236(1), 663(2), (4), 666(1), 772(1).
Doctrine citée
Mewett, Alan W. and Morris Manning. Criminal Law, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1985.

Proposition de citation de la décision: R. c. Docherty, [1989] 2 R.C.S. 941 (12 octobre 1989)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1989-10-12;.1989..2.r.c.s..941 ?
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