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28/09/1989 | CANADA | N°[1989]_2_R.C.S._510

Canada | R. c. L. (J.E.), [1989] 2 R.C.S. 510 (28 septembre 1989)


R. c. L. (J.E.), [1989] 2 R.C.S. 510

J.E.L. Appelant

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

répertorié: r. c. l. (j.e.)

No du greffe: 20764.

1989: 27 avril; 1989: 28 septembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Lamer, Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d'appel de l'alberta

Droit criminel -- Jeunes contrevenants -- Renvoi à la juridiction normalement compétente — Exigences -- Jeune contrevenant accusé de meurtre au premier degré -- Demande de renvoi à la j

uridiction normalement compétente présentée par le ministère public et rejetée par le juge du tribunal pour adolesce...

R. c. L. (J.E.), [1989] 2 R.C.S. 510

J.E.L. Appelant

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

répertorié: r. c. l. (j.e.)

No du greffe: 20764.

1989: 27 avril; 1989: 28 septembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Lamer, Wilson, La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d'appel de l'alberta

Droit criminel -- Jeunes contrevenants -- Renvoi à la juridiction normalement compétente — Exigences -- Jeune contrevenant accusé de meurtre au premier degré -- Demande de renvoi à la juridiction normalement compétente présentée par le ministère public et rejetée par le juge du tribunal pour adolescents -- Décision du tribunal pour adolescents confirmée par la Cour du Banc de la Reine mais infirmée par la Cour d'appel -- Nature du fardeau de preuve incombant au ministère public quant au renvoi devant la juridiction normalement compétente -- Nature de l'examen en appel -- Critère du renvoi — La Cour d'appel a-t-elle fait erreur en ordonnant le renvoi de l'adolescent devant la juridiction normalement compétente? -- Loi sur les jeunes contrevenants, S.C. 1980‑81-82‑83, chap. 110, art. 16.

J.E.L. et un autre adolescent, S.H.M., ont été accusés de meurtre au premier degré et de possession de biens volés. Le ministère public a demandé leur renvoi devant la juridiction normalement compétente en vertu de l'art. 16 de la Loi sur les jeunes contrevenants. Le ministère public prétend que, le 30 avril 1986, ils ont accompagné un homosexuel jusque chez lui. On a allégué que cet homme a tenté d'avoir des relations sexuelles avec un des adolescents et que ce dernier l'a frappé jusqu'à ce qu'il perde connaissance. Les adolescents ont alors attaché l'homme avec du fil électrique, l'ont étranglé et ont dissimulé son corps dans le sous-sol. Ils sont restés quelques jours dans la maison de la victime et ont essayé de vendre ses appareils stéréo et son ordinateur. J.E.L. avait 17 ans et 6 mois à l'époque des infractions reprochées. Il avait été antérieurement déclaré coupable de vol et de méfait. Le rapport prédécisionnel indique que le comportement de J.E.L. s'est détérioré après la mort de son père en 1983. Depuis 1984, les services sociaux de l'Alberta s'occupent de J.E.L. Les témoignages des psychiatres concernant J.E.L. sont contradictoires. Selon le psychiatre de la défense, il a de fortes chances de pouvoir rétablir des rapports étroits et abandonner ainsi ses comportements antisociaux. Le psychiatre de la poursuite estime que J.E.L. souffre de troubles de la personnalité qui ne peut être traité. Les tests subis par J.E.L. révèlent qu'il a une intelligence supérieure à la moyenne.

Le juge du tribunal pour adolescents a pris en considération les facteurs énumérés au par. 16(2) de la Loi et a refusé d'ordonner le renvoi. La Cour du Banc de la Reine a confirmé cette décision mais la Cour d'appel a infirmé ce jugement. J.E.L. se pourvoit devant cette Cour. Les questions soulevées dans ce pourvoi sont identiques à celles de l'affaire R. c. M. (S.H.), [1989] 2 R.C.S. 000.

Arrêt: (les juges La Forest et L'Heureux-Dubé sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.

Le juge en chef Dickson et les juges Lamer, Wilson, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin: La Cour d'appel n'a pas commis d'erreur quant à la nature du fardeau de preuve incombant au ministère public. Bien que la partie qui demande le renvoi ait le fardeau de convaincre la cour que le renvoi devant la juridiction normalement compétente est approprié, selon les facteurs énumérés au par. 16(2) de la Loi, il n'y a pas lieu de le considérer comme un lourd fardeau. La question est de savoir si le juge est convaincu, après avoir examiné et soupesé tous les éléments pertinents, que l'affaire devrait être renvoyée devant la juridiction normalement compétente.

La Cour d'appel n'a pas commis d'erreur dans l'interprétation de la nature de la procédure d'examen. Bien que la juridiction d'examen doive fonder sa décision sur les conclusions de fait du juge du tribunal pour adolescents et respecter son évaluation de la preuve, les par. 16(9) et (10) de la Loi confèrent aux cours provinciales saisies en révision le pouvoir discrétionnaire de procéder à une évaluation indépendante et de rendre une conclusion distincte à partir des faits.

La Cour d'appel a correctement appliqué les facteurs pertinents au renvoi du tribunal pour adolescents à la juridiction normalement compétente. La cour estimait que la gravité des infractions et leur caractère odieux étaient des facteurs importants mais ses motifs indiquent clairement qu'elle avait également à l'esprit les autres facteurs prévus par la Loi. Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, la cour n'est pas tenue d'accorder le même poids à tous les facteurs; selon la nature de l'affaire, certains peuvent l'emporter sur d'autres.

Les juges La Forest et L'Heureux‑Dubé (dissidents): La Cour d'appel a commis une erreur en ordonnant le renvoi de J.E.L. à la juridiction normalement compétente. Le renvoi d'un adolescent à la juridiction normalement compétente, en vertu du par. 16(1) de la Loi sur les jeunes contrevenants, doit s'imposer au juge du tribunal pour adolescents comme la seule solution appropriée. Le fardeau de preuve repose incontestablement sur le requérant qui doit convaincre le tribunal qu'il n'y a pas d'autre solution appropriée dans les circonstances particulières d'une affaire. En l'espèce, la Cour d'appel a mal interprété le fardeau de preuve exigé pour le renvoi. Cette erreur a faussé l'ensemble de son appréciation de la preuve des éléments à examiner en vertu de l'art. 16.

Le pouvoir discrétionnaire de confirmer ou d'infirmer la décision du tribunal pour adolescents en vertu des par. 16(9) et (10) de la Loi ne peut être exercé que dans les cas où il existe un motif sérieux d'intervention. Les erreurs de fait ainsi que les erreurs de droit constitueraient de tels motifs sérieux, mais le test proposé a pour but de donner une portée un peu plus large à la révision. Dans certains cas, il justifierait l'exercice du pouvoir discrétionnaire s'il existait un écart important entre l'évaluation des facteurs pertinents par le tribunal pour adolescents et celle du tribunal de révision. En l'espèce, la Cour d'appel a commis une erreur en tenant pour acquis qu'elle pouvait substituer sa propre évaluation de la question de savoir s'il y avait lieu d'ordonner le renvoi.

La Cour d'appel n'a pas exprimé de désaccord important avec l'analyse effectuée par le juge du tribunal pour adolescents. La seule divergence entre les deux tribunaux tient à ce que la Cour d'appel a tenu compte du fait que le complice S.H.M. avait été renvoyé devant la juridiction normalement compétente. Bien que le renvoi d'un coaccusé puisse être pertinent, il ne s'agit que d'un seul élément qui doit être évalué à la lumière des autres éléments du par. 16(2). Compte tenu de l'importance des autres éléments énoncés dans cet article, qui n'ont pas été examinés en détail par la Cour d'appel, la cour a simplement substitué son opinion à celle du tribunal pour adolescents dans un domaine qui relève fondamentalement du domaine d'expertise de ce tribunal. La Cour d'appel n'a trouvé aucune erreur de droit ou de fait dans les motifs de la décision du tribunal pour adolescents et n'a pas fait état d'autres motifs sérieux d'intervention. Il s'agissait d'un cas où la plus grande expertise du tribunal pour adolescents et sa situation privilégiée pour évaluer les témoignages d'experts auraient dû prévaloir sur des divergences d'opinions mineures.

Jurisprudence

Citée par le juge McLachlin

Arrêt appliqué: R. c. M. (S.H.), [1989] 2 R.C.S. 000, conf. (1987), 78 A.R. 309.

Citée par le juge L'Heureux-Dubé (dissidente)

R. c. M. (S.H.), [1989] 2 R.C.S. 000, conf. (1987), 78 A.R. 309; R. v. Clements (1983), 5 C.C.C. (3d) 308; R. v. C.R.M. (1986), 46 Man. R. (2d) 317; R. v. Smith (1975), 28 C.C.C. (2d) 368; R. v. E.S.R. (1985), 36 Man. R. (2d) 276.

Lois et règlements cités

Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 294 [abr. & rempl. 1972, chap. 13, art. 23; abr. & rempl. 1974-75-76, chap. 93, art. 25; mod. 1985, chap. 19, art. 44]; 387 [mod. 1972, chap. 13, art. 30; mod. 1985, chap. 19, art. 58].

Loi sur les jeunes contrevenants, S.C. 1980‑81‑82‑83, chap. 110, art. 5, 16.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta (1987), 4 W.C.B. (2d) 97, annulant un jugement du juge Veit rendu le 29 mai 1987 qui confirmait le jugement d'un juge du tribunal pour adolescents, qui avait rejeté une demande de renvoi à la juridiction normalement compétente présentée par le ministère public en vertu de l'art. 16 de la Loi sur les jeunes contrevenants. Pourvoi rejeté, les juges La Forest et L'Heureux-Dubé sont dissidents.

Peter J. Royal, c.r., pour l'appelant.

Michael Watson, pour l'intimée.

//Le juge McLachlin//

Version française du jugement du juge en chef Dickson et des juges Lamer, Wilson, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin rendu par

LE JUGE MCLACHLIN — Ce pourvoi, entendu en même temps que celui de R. c. M. (S.H.), [1989] 2 R.C.S. 000, porte sur les conditions du renvoi de jeunes contrevenants du tribunal pour adolescents à la juridiction normalement compétente, en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, S.C. 1980‑81‑82‑83, chap. 110.

Les faits

Les faits à l'origine des accusations sont relatés dans les motifs que j'ai rédigés dans l'affaire R. c. M. (S.H.) Je n'ai pas à les reprendre. Il suffit de dire que les circonstances alléguées par le ministère public font état d'un crime odieux perpétré sans scrupule. Des accusations distinctes ont été portées contre chacun des jeunes contrevenants et chacune a été traitée de façon indépendante. Dans le cas de J.E.L. comme dans le cas de S.H.M., le juge du tribunal pour adolescents a refusé d'ordonner le renvoi devant la juridiction normalement compétente. La Cour du Banc de la Reine a confirmé cette décision. La Cour d'appel l'a infirmée et a ordonné que J.E.L. subisse son procès devant la juridiction normalement compétente. J.E.L. se pourvoit maintenant devant notre Cour.

Les antécédents de J.E.L. sont marqués de difficultés. Au moment de la perpétration des infractions qui lui sont reprochées, J.E.L. était âgé de 17 ans et 6 mois. Il avait antérieurement été déclaré coupable d'un vol de plus de 200 $ et de méfait, et avait été condamné à six mois de probation dans chaque cas. Selon le rapport prédécisionnel, J.E.L. entretenait des rapports étroits et stables avec les membres de sa famille jusqu'au décès de son père en février 1983. Il était extrêmement proche de son père qui exerçait apparemment un degré de discipline que sa mère n'a pu exercer par la suite. À la suite du décès de son père, le comportement de J.E.L. s'est détérioré; il a été l'objet de suspensions à l'école et a fait plusieurs fugues. Depuis août 1984, les services sociaux de l'Alberta s'occupent de J.E.L. et l'ont placé dans divers foyers de groupes et dans des appartements partagés.

Les témoignages des psychiatres concernant J.E.L. sont contradictoires. Selon le psychiatre de la défense, il y a de fortes chances que J.E.L. puisse rétablir des rapports étroits et abandonne ainsi ses comportements antisociaux. Selon l'opinion plus pessimiste du psychiatre de la poursuite, J.E.L. souffre de troubles de la personnalité qui ne peut être traité. Les tests révèlent que J.E.L. a une intelligence supérieure à la moyenne; ses problèmes à l'école et son incapacité à garder un emploi semblent découler davantage d'un manque de motivation que d'un manque d'aptitude.

Les dispositions législatives applicables

Les dispositions législatives applicables sont reproduites dans mes motifs de l'arrêt R. c. M. (S.H.)

Les décisions des tribunaux d'instance inférieure

Le tribunal pour adolescents: le juge Hansen

Comme son collègue dans l'affaire R. c. S.H.M. (1986), 17 W.C.B. 322, le juge de la Cour provinciale a examiné les facteurs et principes énumérés à l'art. 16 de la Loi sur les jeunes contrevenants. Elle semble avoir donné la préférence au témoignage du psychiatre de la défense, affirmant qu'elle n'était pas convaincue que J.E.L. souffrait de troubles de la personnalité de type antisocial. Après avoir considéré les différentes peines prévues par les lois, la gravité des infractions, l'âge, le développement et la maturité de l'appelant ainsi que le fait que la Loi sur les jeunes contrevenants vise la réadaptation, le juge a conclu que la longueur de la peine prévue dans la Loi sur les jeunes contrevenants était suffisante pour permettre à l'appelant de bénéficier de la thérapie dont il avait besoin. Elle a souligné que les institutions fédérales ne sont pas conçues pour les jeunes contrevenants et qu' [TRADUCTION] "il existe toujours un risque à long terme que l'emprisonnement dans une institution pour adultes soit préjudiciable au développement et à la réadaptation ultime du jeune contrevenant."

Le juge du tribunal pour adolescents a ensuite examiné le fardeau de preuve qui incombait au ministère public pour justifier le renvoi. Soulignant que le critère du par. 16(1) de la Loi sur les jeunes contrevenants privilégie l'intérêt de la société par rapport aux besoins de l'adolescent, elle a affirmé que l'intérêt de la société va au‑delà de la protection de la société et comprend les principes de responsabilité et de réadaptation des jeunes contrevenants; elle a donc conclu que bien que [TRADUCTION] "le ministère public ne soit pas obligé d'établir hors de tout doute raisonnable que l'adolescent devrait être renvoyé", le fardeau est néanmoins "lourd." Compte tenu du fardeau de preuve, elle a conclu que le renvoi n'était pas justifié, affirmant:

[TRADUCTION] Je ne suis pas convaincue d'après la preuve que le ministère public se soit acquitté du lourd fardeau de preuve. Aucune raison déterminante ne justifie son renvoi dans l'intérêt de la société. En ce qui concerne les besoins de J.E.L., il n'a pas épuisé les ressources du système des jeunes contrevenants et il existe d'ailleurs au sein du système un programme spécifiquement conçu pour répondre à ses besoins en matière de traitement et, espérons‑le, favoriser sa réadaptation; par conséquent, la demande de renvoi présentée pour chacun des chefs d'accusation est rejetée.

La Cour du Banc de la Reine de l'Alberta: le juge Veit

Selon le juge Veit, la procédure de révision prévue au par. 16(9) de la Loi sur les jeunes contrevenants est semblable au contrôle judiciaire en droit administratif. À son avis, la juridiction d'examen ne peut substituer son pouvoir discrétionnaire à celui du juge du tribunal pour adolescents. La compétence de la juridiction d'examen se limite à examiner la compétence et à déterminer si le juge a commis une erreur de droit dans sa décision concernant le renvoi.

Quant à la question du fardeau de preuve, le juge Veit a affirmé que même si l'expression "lourd fardeau" était malheureuse, le juge du tribunal d'instance inférieure avait correctement examiné la question de savoir si l'intérêt de la société serait mieux servi par le renvoi. À son avis, l'expression "lourd fardeau" avait simplement pour but de souligner que les renvois devant les tribunaux pour adultes ne devaient pas être automatiques. Après avoir conclu que le juge de première instance avait utilisé le critère approprié en vertu du par. 16(1) puisqu'elle avait souligné que ce critère privilégiait les intérêts de la société par rapport aux besoins de l'adolescent, et après avoir conclu que le juge de première instance n'avait pas commis d'erreur dans son examen de la preuve, le juge Veit a confirmé la décision du juge du tribunal pour adolescents de refuser le renvoi devant la juridiction normalement compétente.

La Cour d'appel: les juges Lieberman, McClung et Irving

Le juge McClung, s'exprimant au nom de la cour, a conclu que la décision du juge Veit était incompatible avec l'arrêt R. v. S.H.M. (1987), 78 A.R. 309 de la Cour d'appel et qu'elle avait commis une erreur en restreignant le rôle de la juridiction d'examen aux questions de compétence et d'erreurs. De l'avis de la Cour d'appel, la juridiction d'examen peut confirmer ou infirmer la décision qui lui est soumise dans l'exercice de son "pouvoir discrétionnaire", lequel lui permet de rendre la décision qui, à son avis, aurait dû être rendue à l'origine. Ayant examiné la preuve et les facteurs en l'espèce, et souligné que [TRADUCTION] "[c]e meurtre n'est pas un crime qui appartient au monde de l'adolescence", le juge McClung a ordonné le renvoi devant la juridiction normalement compétente.

Les questions en litige

Les questions soulevées dans ce pourvoi sont identiques à celles du pourvoi R. c. M. (S.H.): (1) la nature du fardeau de preuve incombant au requérant pour obtenir le renvoi devant la juridiction normalement compétente; (2) la nature de la procédure d'examen; et (3) la question de savoir si la Cour d'appel a commis une erreur dans l'application du critère concernant le renvoi.

Analyse

1. Le fardeau de preuve du requérant

Dans l'arrêt R. c. M. (S.H.), j'ai conclu que, bien que la partie qui demande le renvoi ait le fardeau de convaincre la cour que le renvoi devant la juridiction normalement compétente est approprié selon les facteurs énumérés au par. 16(2) de la Loi, il n'y avait pas lieu de le considérer comme un lourd fardeau. La question est de savoir si le juge est convaincu, après avoir examiné et soupesé tous les éléments pertinents, que l'affaire devrait être renvoyée devant la juridiction normalement compétente.

La Cour d'appel n'a pas commis d'erreur dans l'examen de ce principe en l'espèce.

2. La nature de la procédure d'examen

Dans l'arrêt R. c. M. (S.H.), j'ai exprimé mon opinion quant à la nature de la procédure d'examen par la Cour du Banc de la Reine et la Cour d'appel. Bien que la juridiction d'examen doive fonder sa décision sur les conclusions de fait du juge du tribunal pour adolescents et respecter son évaluation de la preuve, la Loi sur les jeunes contrevenants confère aux cours provinciales saisies en révision le pouvoir discrétionnaire de procéder à une évaluation indépendante et de rendre une conclusion distincte à partir des faits.

À mon avis, la Cour d'appel n'a pas commis d'erreur dans l'interprétation de la nature de la procédure d'examen.

3.La cour a‑t‑elle commis une erreur dans l'application des facteurs pertinents?

Il ressort de ses motifs en l'espèce, comme de ceux dans l'affaire R. c. M. (S.H.), que la Cour d'appel estimait que la gravité des infractions et leur caractère odieux étaient des facteurs importants pour décider du renvoi de l'affaire devant la juridiction normalement compétente. Par ailleurs, ses motifs indiquent clairement qu'elle avait également à l'esprit les autres facteurs prévus par la Loi. Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, la cour n'est pas tenue d'accorder le même poids à tous les facteurs; selon la nature de l'affaire, certains peuvent l'emporter sur d'autres. J'estime que la Cour d'appel n'a commis aucune erreur dans l'application des principes aux faits de l'espèce.

Conclusion

Je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

//Le juge L'Heureux-Dubé//

Les motifs des juges La Forest et L'Heureux-Dubé ont été rendus par

LE JUGE L'HEUREUX-DUBÉ (dissidente) — J'ai eu l'avantage de prendre connaissance des motifs de ma collègue le juge McLachlin et, en toute déférence, je ne puis souscrire à son opinion ni à la solution qu'elle propose dans le présent pourvoi.

Ce pourvoi a été entendu en même temps que celui de R. c. M. (S.H.), [1989] 2 R.C.S. 000 (jugement rendu simultanément). Il soulève les mêmes questions. Conformément à mon opinion dans l'arrêt R. c. M. (S.H.), je suis d'avis que la Cour d'appel a commis une erreur en ordonnant le renvoi de J.E.L. devant la juridiction normalement compétente.

Compte tenu de ces remarques, je vais maintenant revoir brièvement les conclusions des tribunaux d'instance inférieure quant aux trois questions que soulève ce pourvoi: le fardeau de preuve nécessaire pour justifier le renvoi d'un adolescent en application de l'art. 16 de la Loi sur les jeunes contrevenants, S.C. 1980‑81‑82‑83, chap. 110, l'étendue de la révision prévue aux par. 16(9) et (10) de la Loi et le test approprié au renvoi selon les par. 16(1) et (2) de la Loi.

Avant de ce faire, cependant, il y a lieu de rappeler que J.E.L. a été accusé de meurtre au premier degré, de vol et de possession de biens volés en rapport avec le meurtre de George Dreifus. Bien que S.H.M. et J.E.L. n'aient pas été accusés conjointement, on a allégué qu'ils avaient tous les deux participé au meurtre. On nous a informés que l'accusation a été réduite à celle de meurtre au deuxième degré après une enquête préliminaire tenue malgré l'opposition des adolescents.

I ‑ Le fardeau de preuve

Les versions française et anglaise du par. 16(1) de la Loi doivent être lues ensemble en vue de trouver une interprétation commune qui soit conforme à l'intention du Parlement, à la philosophie sous‑jacente de la loi ainsi qu'à la nature exceptionnelle des renvois. Pour les motifs que j'ai exposés dans l'arrêt R. c. M. (S.H.), et compte tenu de toutes les exigences de l'art. 16, je suis d'avis que, en vertu du par. 16(1) de la Loi sur les jeunes contrevenants, le renvoi d'un adolescent à la juridiction normalement compétente doit s'imposer au juge du tribunal pour adolescents comme la seule solution appropriée.

En l'espèce, le tribunal pour adolescents a jugé que le fardeau du requérant en application du par. 16(1) de la Loi était "lourd", comme l'exprime le juge Hansen de la Cour provinciale:

[TRADUCTION] Bien que le ministère public ne soit pas obligé d'établir hors de tout doute raisonnable que l'adolescent devrait être renvoyé, le fardeau de la poursuite est néanmoins lourd.

Le juge Veit de la Cour du Banc de la Reine a commenté la notion de [TRADUCTION] "lourd fardeau", qu'elle ne semble toutefois pas endosser. Elle affirme:

[TRADUCTION] Il est peut‑être malheureux que l'expression "lourd fardeau" se soit glissée dans le langage judiciaire en ce qui concerne le fardeau imposé au requérant qui demande un renvoi. On aurait pu croire que l'un des critères traditionnels aurait suffi: établir hors de tout doute raisonnable ou selon la prépondérance des probabilités. En adoptant un troisième critère, probablement intermédiaire, la jurisprudence existante a certainement voulu faire ressortir seulement que le Parlement a décidé qu'il faut traiter les adolescents d'une façon particulière; le Parlement n'a pas prévu le renvoi automatique devant les juridictions normalement compétentes pour les adolescents d'une certaine catégorie d'âge ou pour certains types d'infractions. Il ressort de la jurisprudence que le juge qui entend une demande de renvoi doit reconnaître cette intention générale du Parlement quant à l'obligation de se conformer aux critères établis au par. 16(1).

En Cour d'appel, le juge McClung ne s'est pas prononcé expressément sur le fardeau de preuve mais il est clair qu'il a suivi la décision du juge en chef Laycraft dans l'arrêt R. v. S.H.M. (1987), 78 A.R. 309. Le juge en chef Laycraft a décidé qu'il était suffisant que [TRADUCTION] "les facteurs à considérer militent en faveur du renvoi" (p. 316).

À mon avis, et pour les motifs plus élaborés que j'ai exposés dans l'arrêt R. c. M. (S.H.), ce fardeau repose incontestablement sur le requérant qui doit convaincre le tribunal pour adolescents qu'il n'y a pas d'autre solution appropriée que le renvoi, compte tenu des circonstances particulières d'une affaire. Dans la mesure où elle s'est appuyée sur le critère moins sévère des "éléments militant en faveur du renvoi", la Cour d'appel a commis une erreur et cette erreur a faussé l'ensemble de son appréciation de la preuve des éléments à examiner en vertu de l'art. 16.

II ‑ La portée de la révision

En Cour du Banc de la Reine, le juge Veit a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon restrictive. Commentant la portée de la révision, elle écrit:

[TRADUCTION] Bien que les options expressément prévues quant à la confirmation ou à la révision de la décision de la cour provinciale indiquent clairement qu'on s'attend à davantage qu'un simple contrôle de compétence en l'espèce, l'étendue de la compétence d'examen de la cour n'est certainement pas de réexaminer l'affaire de novo et elle n'est vraisemblablement pas assez étendue pour permettre au tribunal de révision de substituer son pouvoir discrétionnaire à celui du tribunal d'instance inférieure. Si l'on tient pour acquis que la compétence du tribunal qui a entendu la demande de renvoi n'est pas contestée, je suis d'avis que le tribunal de révision ne devrait intervenir que s'il y a eu erreur de droit ou un résultat manifestement déraisonnable.

La Cour d'appel de l'Alberta a cependant estimé qu'elle était [TRADUCTION] "tenue d'appliquer les principes [. . .] formulés dans l'arrêt Regina v. S.H.M." Au nom de la cour, le juge McClung a ajouté qu'il était [TRADUCTION] "tout à fait d'accord" avec ces principes:

[TRADUCTION] En raison de leur libellé explicite, ces dispositions [par. 16(9) et (10)] ont reformulé la norme habituelle applicable à la révision par un tribunal d'appel des ordonnances interlocutoires de cette nature. Le tribunal d'appel doit rendre la décision qui, à son avis, aurait dû être rendue. [Référence omise.]

J'estime qu'il s'agit là d'une interprétation trop large de la portée de l'appel. Pour les motifs exposés dans l'arrêt R. c. M. (S.H.), le pouvoir discrétionnaire conféré par les par. 16(9) et (10) de la Loi ne doit pas être exercé dans un vacuum. Compte tenu de l'art. 5, de l'économie générale de la Loi et de la création d'un tribunal spécialisé, ainsi que de la retenue judiciaire envers le tribunal pour adolescents dans son domaine d'expertise, le pouvoir discrétionnaire de confirmer ou d'infirmer la décision du tribunal pour adolescents ne peut être exercé que dans les cas où il existe un motif sérieux d'intervention. Les erreurs de fait ainsi que les erreurs de droit constitueraient de tels motifs sérieux, mais le test proposé a pour but de donner une portée un peu plus large à la révision. Dans certains cas, il justifierait l'exercice du pouvoir discrétionnaire s'il existait un écart important entre l'évaluation des facteurs pertinents par le tribunal pour adolescents et celle du tribunal de révision.

Je me propose maintenant d'examiner le test applicable au renvoi pour déterminer si, en l'espèce, un motif sérieux d'intervention existait.

III ‑ Le test du renvoi

En considérant les éléments énumérés au par. 16(2) en l'espèce, le juge Hansen de la Cour provinciale a d'abord étudié l'élément de gravité de l'infraction. Elle a souligné que [TRADUCTION] "[l]'infraction de meurtre au premier degré constitue une des infractions les plus graves prévues au Code criminel". Le juge Hansen a alors cité avec approbation un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario dans lequel on a considéré comme un [TRADUCTION] "facteur important" la perpétration du meurtre reproché (R. v. Clements (1983), 5 C.C.C. (3d) 308, à la p. 311). Elle a également tenu compte des circonstances, en particulier du degré de violence et d'insensibilité du meurtre. Bien que le ministère public l'ait invitée à conclure que les actes de J.E.L. étaient prémédités, elle a jugé qu'il n'y avait aucune preuve à cet égard:

[TRADUCTION] Le ministère public a cependant soutenu que, puisque la strangulation avait eu lieu quand la victime était inconsciente ou incapable de se protéger, la Cour devrait conclure que le meurtre était prémédité.

Il n'y a cependant aucune preuve de la participation ni du degré de participation de J.E.L. à la strangulation et, par conséquent la Cour ne peut tirer aucune conclusion quant au degré de préméditation et de violence de la part de J.E.L.

En Cour du Banc de la Reine, le juge Veit a fait un examen détaillé de l'élément de gravité de l'infraction. Elle a pris note de la conclusion du juge du tribunal pour adolescents qu'il n'y avait aucune preuve de préméditation. À cet égard, elle a semblé approuver la proposition selon laquelle "[l]a préméditation est une question qui doit être tranchée par le juge des faits à l'audience et non par le juge qui entend la demande de renvoi" (R. v. C.R.M. (1986), 46 Man. R. (2d) 317, à la p. 318). Le juge Veit a conclu de la façon suivante:

[TRADUCTION] En résumé sur ce point, le savant juge de première instance a reconnu explicitement l'importance du seul fait d'une accusation de meurtre au premier degré. Quant aux circonstances du meurtre, elle pouvait considérer la preuve présentée, tenir compte de l'absence de toute preuve quant à la préméditation, évaluer la faiblesse de la preuve par ouï‑dire sur la question cruciale de la participation de [J.E.L.] à l'acte cruel de la strangulation par opposition à sa participation au coup initial porté à la tête de la victime, et prendre en considération l'existence d'une provocation possible, afin d'examiner la question du danger que représente [J.E.L.] pour la société dans son ensemble.

La Cour d'appel a porté la même attention à cet élément de l'examen, comme l'a souligné le juge McClung:

[TRADUCTION] Monsieur Davies a soutenu que le rôle de J.E.L. dans l'homicide est accessoire à celui de S.H.M. Quoi qu'il en soit, le moins que l'on puisse dire sur le plan criminel, c'est que les actes reprochés à J.E.L. démontrent qu'il a participé à un homicide volontaire qui était brutal, organisé et intéressé. Des éléments de preuve indiquent qu'il n'a manifesté aucun regret.

. . .

Ce meurtre n'est pas un crime qui appartient au monde de l'adolescence.

Indépendamment du langage plus énergique employé par la Cour d'appel, il semble que tous les tribunaux d'instance inférieure aient conclu que l'élément de gravité de l'infraction ainsi que les circonstances militaient en faveur du renvoi.

En ce qui concerne l'al. 16(2)b), le juge Hansen a constaté que J.E.L. était âgé de 17 ans et six mois à l'époque de l'infraction qui lui est reprochée. Elle a accepté le témoignage du Dr Brooks qui, cette fois‑ci, avait préparé un rapport d'évaluation psychiatrique à la demande de l'adolescent, rapport qui démontre que J.E.L. est d'intelligence moyenne et que ses tests de personnalité s'inscrivent dans les limites normales. Le juge Hansen a cité un extrait du rapport du Dr Brooks qui indique [TRADUCTION] "un type légèrement antisocial avec une tendance à avoir une attitude négative face à l'autorité".

Le ministère public a présenté le témoignage d'un autre psychiatre, le Dr Blashko, qui a exprimé l'avis que J.E.L. souffre de troubles de la personnalité. Cependant, le juge Hansen a rejeté ce témoignage:

[TRADUCTION] Le Dr Blashko, en réponse à une longue question théorique, a exprimé l'avis que J.E.L. souffre de troubles de la personnalité de type antisocial pour lequel le pronostic est peu encourageant. Bien que, pour formuler son opinion, le Dr Blashko ait disposé d'une grande quantité de renseignements sur ses antécédents, il n'a pas eu l'avantage de pouvoir mener une entrevue clinique.

Le Dr Blashko a indiqué que pour arriver à sa conclusion il a examiné des modèles de comportement antisocial dans le passé de J.E.L., mais il n'a pas relié précisément le début de ce comportement antisocial à la mort de son père.

Je ne suis pas convaincue d'après la preuve que J.E.L. fait partie de la catégorie de ceux qui souffrent de troubles de la personnalité de type antisocial comme le décrit le Dr Blashko. [Je souligne.]

En ce qui concerne les déclarations de culpabilité antérieures, le rapport prédécisionnel indique que J.E.L. a déjà été déclaré coupable d'un vol de plus de 200 $, en contravention de l'art. 294 du Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, et de méfait, en contravention de l'art. 387 du Code.

Ces déclarations de culpabilité antérieures n'ont pas été examinées dans les jugements des tribunaux d'instance inférieure. Il n'a pas été question non plus en Cour du Banc de la Reine ni en Cour d'appel de l'âge, du caractère et des antécédents de l'adolescent. Par conséquent, il faut tenir pour acquis que la Cour d'appel n'était pas en désaccord avec l'analyse du juge Hansen quant aux éléments de l'al. 16(2)b) en l'espèce.

Passant aux facteurs concernant l'"opportunité" selon l'al. 16(2)c) et l'existence de ressources selon l'al. 16(2)d), le juge Hansen a souligné:

[TRADUCTION] La peine maximale prévue par la Loi sur les jeunes contrevenants est trois ans de détention en garde fermée. En vertu du Code criminel, la peine minimale pour une infraction de meurtre au premier degré est l'emprisonnement à vie. Pour déterminer l'opportunité de soumettre l'adolescent à la Loi sur les jeunes contrevenants, il faut tenir compte du degré de responsabilité auquel on s'attend, en gardant à l'esprit l'âge, le degré de maturité et de développement de l'adolescent ainsi que la gravité de l'infraction reprochée et les circonstances qui l'entourent.

Il faut également considérer que le but premier du traitement d'un jeune contrevenant est la réadaptation. La Cour doit déterminer si une plus longue période que celle prévue par la Loi sur les jeunes contrevenants est nécessaire pour la réadaptation de l'adolescent, compte tenu de la protection de la société.

Le Dr Brooks était d'avis que J.E.L. avait besoin d'une période assez longue, d'environ un an, de psychothérapie individuelle et de groupe, ce qui s'inscrit très bien dans les limites de l'article 20 de la Loi sur les jeunes contrevenants. [Je souligne.]

Le juge Hansen a indiqué qu'elle était convaincue que J.E.L. répondrait au traitement, lorsqu'elle a cité l'extrait suivant du rapport du Dr Brooks:

[TRADUCTION] Il y a de fortes chances que J.E.L. puisse rétablir des rapports étroits avec quelqu'un et si cela se produit il pourra abandonner son comportement antisocial. Si l'on tient compte de cela, une période assez longue de psychothérapie individuelle et de groupe, environ un an, permettrait d'arriver à ce résultat.

Le juge Hansen a laissé entendre que J.E.L. ne se verrait pas offrir les mêmes chances de réadaptation dans le système pour adultes:

[TRADUCTION] Les institutions pour jeunes contrevenants sont spécifiquement conçues et équipées pour répondre aux besoins des jeunes contrevenants. De plus, à l'intérieur du système pour jeunes contrevenants, il existe une unité spéciale à l'Alberta Hospital qui a été créée pour répondre aux besoins de traitement des jeunes contrevenants. Les institutions fédérales ne sont pas conçues pour traiter des jeunes contrevenants. Bien que les programmes de formation professionnelle offerts aux détenus dans les institutions pour adultes puissent être supérieurs à ceux qui sont offerts dans les institutions pour jeunes contrevenants, il n'existe pas d'unité spéciale de traitement ni de programme individualisé pour les jeunes.

De plus, en ce qui concerne le milieu carcéral dans les institutions provinciales et fédérales, il existe toujours un risque à long terme que l'emprisonnement dans une institution pour adultes soit préjudiciable au développement et à la réadaptation ultime du jeune contrevenant.

Plus loin, le juge Hansen a ajouté: [TRADUCTION] "il [J.E.L.] n'a pas épuisé les ressources du système des jeunes contrevenants et il existe d'ailleurs au sein du système un programme spécifiquement conçu pour répondre à ses besoins en matière de traitement et, espérons‑le, favoriser sa réadaptation . . ."

En Cour du Banc de la Reine, le juge Veit a également souligné l'existence de services conçus pour répondre aux besoins de J.E.L. en matière de traitement, insistant sur [TRADUCTION] "la preuve psychiatrique qui indique expressément que [J.E.L. . . .] répondrait au traitement et qu'un programme existe pour le traiter". Elle a conclu:

[TRADUCTION] Compte tenu de l'appui explicitement donné par le psychiatre à ce programme pour cet adolescent, le savant juge de première instance n'a certainement pas commis d'erreur dans l'évaluation de la preuve.

La Cour d'appel n'a pas examiné cet élément. Par conséquent, il faut tenir pour acquis que la cour a conclu qu'elle n'avait aucune raison d'être en désaccord avec l'examen qu'en avait fait le juge Hansen, compte tenu des circonstances de l'espèce.

Conformément à l'al. 16(2)e), le juge Hansen a alors examiné deux autres éléments que le ministère public estimait pertinents. Premièrement, le ministère public a présenté une preuve selon laquelle J.E.L. s'était évadé du centre de développement pour adolescents alors qu'il était détenu relativement à l'accusation de meurtre. Le ministère public a invité la cour à conclure que le système de sécurité n'était pas adéquat pour détenir J.E.L. Le juge Hansen avait rejeté cet argument, soulignant que: [TRADUCTION] "Le risque qu'une personne s'évade est une préoccupation dans tous les centres correctionnels". Cet argument n'a pas davantage été examiné devant les tribunaux d'instance inférieure. Bien que la preuve de cette évasion puisse être pertinente dans l'évaluation globale, parce qu'elle concerne en fin de compte l'intérêt de la société à être protégée des criminels dangereux et qu'elle indique peut‑être également que l'adolescent ne répondra pas au traitement, il est permis au juge du tribunal pour adolescents de tenir compte de cette preuve en fonction de tous les autres éléments de preuve présentés à la cour. Le deuxième argument concernait une lettre que l'on prétend avoir été écrite par J.E.L. et qui démontre son insensibilité et son absence de remords. Cette preuve a été rejetée par le juge du tribunal pour adolescents:

[TRADUCTION] Cependant, comme l'a affirmé le Dr Brooks, il n'y a aucun moyen de savoir si cette lettre constitue une véritable affirmation de l'absence de remords ou une vantardise, ou s'il s'agit d'un moyen de jouer les durs devant ses pairs.

La preuve de l'auteur de la lettre n'a pas été établie et, même si elle l'avait été, le juge du tribunal pour adolescents a tiré la conclusion de fait que la lettre ne pouvait pas être retenue comme preuve de l'absence de remords. Quoi qu'il en soit, en Cour d'appel, le juge McClung a fait remarquer: [TRADUCTION] "Des éléments de preuve indiquent qu'il n'a manifesté aucun regret". Il est difficile de voir comment, en l'absence d'erreur manifeste du tribunal d'instance inférieure et sans avoir eu l'avantage d'entendre de vive voix le témoignage du Dr Brooks, la Cour d'appel pouvait infirmer les conclusions du tribunal pour adolescents relativement à cette lettre.

La Cour d'appel a discuté d'un autre élément pertinent qui n'avait pas été examiné par les tribunaux d'instance inférieure. Le juge McClung a invoqué le principe que des coaccusés devraient subir leur procès conjointement. Il a dit:

[TRADUCTION] Il s'agit d'un facteur qui ne peut priver un jeune contrevenant d'une évaluation personnelle des moyens justifiant son renvoi devant la juridiction normalement compétente mais il s'agit néanmoins d'un facteur qui n'est pas étranger aux questions soumises à la cour. Des cas semblables devraient être traités de la même façon.

Les tribunaux ont quelquefois considéré le traitement de coaccusés comme un facteur pertinent dans une demande de renvoi. Par exemple, sous le régime de la Loi sur les jeunes délinquants, S.R.C. 1970, chap. J‑3, le juge Hall a écrit dans l'arrêt R. v. Smith (1975), 28 C.C.C. (2d) 368 (C.A. Man.), à la p. 371:

[TRADUCTION] Il s'agissait d'une entreprise commune de l'accusé et de son complice adulte. S'ils subissent leur procès devant deux tribunaux différents ‑- l'un devant le tribunal pour adolescents, l'autre devant le tribunal pour adultes ‑ on risque d'arriver à des conclusions divergentes et il est certain que le degré de sévérité des peines sera extrêmement différent si des verdicts de culpabilité sont rendus.

Dans l'arrêt plus récent de R. v. E.S.R. (1985), 36 Man. R. (2d) 276 (C.A.), le juge Hall a eu l'occasion d'expliciter ses propos dans l'arrêt Smith (à la p. 279):

[TRADUCTION] À mon avis, les décisions de renvoyer E. et de retenir W. ne [sont] pas nécessairement incompatibles. Chaque accusé doit être considéré séparément. Les deux devraient être traités de la même façon si les circonstances le justifient, mais cela n'est pas obligatoire. La décision de cette Cour dans l'arrêt R. v. Smith (1975), 28 C.C.C. (2d) 368 n'avait pas pour but d'affirmer que le renvoi doit toujours être ordonné lorsque le coaccusé d'un jeune contrevenant doit subir son procès devant un tribunal pour adultes. Il s'agit seulement d'un facteur à prendre en considération. Il s'agissait d'un facteur particulièrement important dans l'arrêt R. v. Smith, précité, mais seulement en raison des faits de cette affaire.

Je partage cette opinion. Chaque cas doit être jugé selon ses faits particuliers. Des différences mineures dans les faits dans un cas donné peuvent donner lieu à des conclusions différentes quant à l'opportunité du renvoi. Bien que le renvoi d'un coaccusé puisse être pertinent, il ne s'agit que d'un seul élément qui doit être évalué à la lumière des autres éléments du par. 16(2).

Il est donc clair que la Cour d'appel n'a pas exprimé de désaccord important avec l'analyse effectuée par le juge du tribunal pour adolescents. La seule divergence entre les deux tribunaux tient à ce que la Cour d'appel a tenu compte du fait que le complice S.H.M. avait été renvoyé devant la juridiction normalement compétente. Vu l'importance des autres éléments du par. 16(2), que le juge McClung n'a pas examinés en détail dans ses motifs, la Cour d'appel, sans aucune raison apparente, a simplement substitué son opinion à celle du tribunal pour adolescents dans un domaine qui relève fondamentalement du domaine d'expertise de ce tribunal.

Compte tenu de l'examen superficiel des facteurs à soupeser et des remarques du juge McClung qui a adopté les principes formulés dans l'arrêt R. v. S.H.M., précité, il nous faut conclure qu'en définitive, on s'est appuyé largement sur ce jugement antérieur de la Cour d'appel. À mon avis, il ne s'agit pas là de l'exercice du pouvoir discrétionnaire nouveau envisagé par la loi.

IV ‑ Conclusion

Comme dans l'arrêt R. c. S.H.M., la Cour d'appel a conclu que le tribunal pour adolescents n'avait commis aucune erreur de droit ou de fait. À mon avis, la Cour d'appel n'a pas non plus fait état d'autres motifs sérieux d'intervention. Il s'agissait d'un cas où la plus grande expertise du tribunal pour adolescents et sa situation privilégiée pour évaluer les témoignages d'experts auraient dû prévaloir sur les divergences d'opinions mineures de la Cour d'appel.

Pour ces motifs, j'accueillerais le pourvoi et j'annulerais l'ordonnance de renvoi de J.E.L. devant la juridiction normalement compétente. Je rétablirais le jugement de la Cour du Banc de la Reine qui a rejeté l'appel de la décision du tribunal pour adolescents.

Pourvoi rejeté, les juges LA FOREST et L'HEUREUX-DUBÉ sont dissidents.

Procureurs de l'appelant: Freeland, Royal & McCrum, Edmonton.

Procureur de l'intimée: Michael Watson, Edmonton.


Synthèse
Référence neutre : [1989] 2 R.C.S. 510 ?
Date de la décision : 28/09/1989

Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : L. (J.E.)
Proposition de citation de la décision: R. c. L. (J.E.), [1989] 2 R.C.S. 510 (28 septembre 1989)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1989-09-28;.1989..2.r.c.s..510 ?
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