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14/08/1989 | CANADA | N°[1989]_2_R.C.S._318

Canada | Fioe c. Alberta government telephones, [1989] 2 R.C.S. 318 (14 août 1989)


FIOE c. Alberta Government Telephones, [1989] 2 R.C.S. 318

Alberta Government Telephones et

le procureur général de l'Alberta Appelants

c.

Conseil canadien des relations du travail et

Fraternité internationale des ouvriers en électricité,

section locale 348 Intimés

et

Le procureur général du Canada,

le procureur général du Québec,

le procureur général de la Nouvelle‑Écosse,

le procureur général du Nouveau‑Brunswick,

le procureur général du Manitoba,

le procureur général de la Colo

mbie‑Britannique,

le procureur général de l'Ile‑du‑Prince‑Édouard,

le procureur général de la Saskatchewan, et

le procureur général de Terre‑Neuve...

FIOE c. Alberta Government Telephones, [1989] 2 R.C.S. 318

Alberta Government Telephones et

le procureur général de l'Alberta Appelants

c.

Conseil canadien des relations du travail et

Fraternité internationale des ouvriers en électricité,

section locale 348 Intimés

et

Le procureur général du Canada,

le procureur général du Québec,

le procureur général de la Nouvelle‑Écosse,

le procureur général du Nouveau‑Brunswick,

le procureur général du Manitoba,

le procureur général de la Colombie‑Britannique,

le procureur général de l'Ile‑du‑Prince‑Édouard,

le procureur général de la Saskatchewan, et

le procureur général de Terre‑Neuve Intervenants

répertorié:fioe c. alberta government telephones

1987: 12, 13 novembre; 1989: 14 août.

No du greffe: 20301.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz*, Estey*, McIntyre, Lamer, Wilson, Le Dain*, La Forest et L'Heureux‑Dubé.

en appel de la cour d'appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, concernant un renvoi présenté en application de la Loi sur la Cour fédérale, qui a confirmé la compétence du Conseil canadien des relations du travail (1986), 13 CLRBR (NS) 313, 66 di 145. Pourvoi accueilli; la première question constitutionnelle reçoit une réponse affirmative et la seconde une réponse négative.

Colin K. Irving, John D. Rooke, Peter Hogg, c.r., et Franklin S. Gertler, pour les appelants.

Eric A. Bowie, c.r., et Donald J. Rennie, pour l'intervenant le procureur général du Canada.

Jean‑Yves Bernard et Alain Gingras, pour l'intervenant le procureur général du Québec.

Reinhold M. Endres, pour l'intervenant le procureur général de la Nouvelle‑Écosse.

Bruce Judah, pour l'intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick.

Glenn McFetridge et Dianne Paskewitz, pour l'intervenant le procureur général du Manitoba.

E. R. A. Edwards, c.r., pour l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.

Roger B. Langille et Charles P. Thompson, pour l'intervenant le procureur général de l'{uIc}le‑du‑Prince‑Édouard.

Robert G. Richards, pour l'intervenant le procureur général de la Saskatchewan.

Ronald Stevenson, pour l'intervenant le procureur général de Terre‑Neuve.

Murray McGown, pour l'intimée la Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 348.

Ian Donald, c.r., et Judah Levinson, pour l'intimé le Conseil canadien des relations du travail.

//Le Juge en chef//

Version française du jugement du juge en chef Dickson et des juges McIntyre, Lamer, La Forest et L'Heureux-Dubé rendu par

LE JUGE EN CHEF —

I. Introduction

Les questions en litige dans le présent pourvoi sont identiques à celles soulevées dans le pourvoi Alberta Government Telephones c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1989] 2 R.C.S. 000 (ci-après AGT c. CRTC). Les deux pourvois ont été entendus ensemble. Ces questions consistent à savoir premièrement si l'Alberta Government Telephones (ci‑après appelée "AGT") est assujettie au pouvoir de réglementation du gouvernement fédéral en tant qu'entreprise interprovinciale au sens de l'al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 et, deuxièmement, si l'AGT en tant que mandataire de la Couronne provinciale est soustraite à l'application des articles pertinents du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L‑1 et ses modifications.

II. Les faits

Ce pourvoi résulte des procédures engagées par l'intimée la Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 348 (ci-après FIOE). En février 1986, la FIOE a présenté au Conseil canadien des relations du travail (ci-après CCRT), conformément à l'art. 124 du Code canadien du travail, deux requêtes en accréditation comme agent négociateur à l'égard de certaines unités d'employés de l'AGT. Cette mesure a été prise après que les divisions de première instance et d'appel de la Cour fédérale eurent rendu leur jugement dans l'affaire connexe.

Presque toute la preuve présentée devant le CCRT provenait d'extraits de la preuve produite par affidavit devant la Cour fédérale dans l'affaire connexe. Le seul autre élément de preuve que je tiens à mentionner est la réponse de l'AGT à une question posée dans une lettre du Conseil. Dans cette lettre, le Conseil demandait notamment des détails sur la façon de fixer les tarifs des appels téléphoniques locaux, interprovinciaux et internationaux. La réponse de l'AGT est claire et peut être reproduite en entier:

[TRADUCTION] L'AGT fixe les tarifs des services qu'elle offre et s'il s'agit de services de base (c.‑à‑d. des services non concurrentiels) ils sont approuvés par le Public Utilities Board de l'Alberta. Les tarifs des services autres que de base (services concurrentiels) sont établis par l'AGT sans que le Public Utilities Board ou toute autre autorité n'approuvent spécifiquement chacun des tarifs (sous réserve du respect par l'AGT de certains critères prescrits par le Public Utilities Board).

L'AGT fixe les tarifs des services interprovinciaux après avoir négocié avec d'autres compagnies de téléphone au Canada et les avoir consultées. Il arrive souvent que les tarifs diffèrent selon les différentes directions en l'absence d'accord ou d'approbation réglementaire.

Les tarifs des services téléphoniques internationaux dépendent des négociations que l'AGT, ou ses représentants au sein de Télécom Canada, mènent avec Téléglobe Canada ou directement avec les entreprises de télécommunications américaines, bien que la décision finale quant aux tarifs soit prise par l'AGT sous réserve de l'approbation du Public Utilities Board de l'Alberta.

Cette Cour a accordé l'autorisation de pourvoi et les questions constitutionnelles ont été formulées de la façon suivante:

1. L'Alberta Government Telephones est‑elle un ouvrage ou une entreprise qui relève de la compétence législative que possède le Parlement du Canada en vertu de l'al. 92(10)a) ou d'une autre disposition de la Loi constitutionnelle de 1867?

2. En cas de réponse affirmative à la première question, l'Alberta Government Telephones est‑elle liée par les dispositions pertinentes du Code canadien du travail?

III. La première question constitutionnelle — La question de la compétence

a)Les décisions des tribunaux d'instance inférieure

(i) Le Conseil canadien des relations du travail

Le Conseil s'est fortement appuyé sur les conclusions de fait que le juge Reed de la Division de première instance de la Cour fédérale a tirées dans les motifs de jugement qu'elle a rédigés relativement à l'affaire connexe et qui sont maintenant publiés à [1985] 2 C.F. 472, (1984), 15 D.L.R. (4th) 515. Les deux parties ont accepté comme exactes les constatations de faits décisifs sur le plan constitutionnel, effectuées par le juge Reed.

Dans la décision FIOE c. Alberta Government Telephones (1986), 13 CLRBR (NS) 313, 66 di 145, le CCRT a conclu que l'AGT relevait de la compétence fédérale, même en faisant abstraction de ses rapports avec Télécom (à la p. 157):

L'entreprise d'AGT ne consiste pas uniquement à raccorder AGT aux provinces voisines mais également à servir de lien de raccordement direct entre d'autres provinces, par exemple entre British Columbia Telephone Company et Saskatchewan Telecommunications . . . Le raccordement direct avec des entreprises situées dans d'autres provinces est une des caractéristiques fondamentales des activités d'AGT. Étant donné qu'il y a plus d'une province en présence, la Constitution prévoit que c'est le gouvernement fédéral qui a compétence.

Le Conseil a expliqué que la simple coordination des activités des entreprises pour, par exemple, acheminer un appel de Calgary à St. John's (Terre‑Neuve), ne serait pas suffisante (à la p. 158):

La compagnie de téléphone ne sera une entreprise fédérale que dans l'un ou l'autre des cas suivants: (1) elle fait elle‑même les raccordements entre les provinces; (2) elle fait partie d'une entreprise plus large qui est extra‑provinciale.

Le Conseil a conclu que l'AGT respectait le premier critère. Le Conseil a refusé de traiter de la participation de l'AGT au sein de Télécom Canada bien qu'il ait partagé l'opinion du juge Reed que le simple fait que Télécom Canada ne soit pas constituée en personne morale "n'a aucune incidence sur le plan constitutionnel" (à la p. 159).

(ii)La Cour d'appel fédérale — Le juge Mahoney (aux motifs duquel ont souscrit les juges Pratte et Heald)

De l'avis de la cour, aucune distinction sérieuse ne pouvait être établie entre les circonstances de ce renvoi effectué par le CCRT et celles sur lesquelles avait statué la Cour d'appel dans l'arrêt AGT c. CRTC. Par conséquent, la cour a conclu que l'AGT était une entreprise interprovinciale.

b)Conclusion quant à la question de la compétence

Pour les motifs rendus dans l'arrêt AGT c. CRTC, l'AGT est une entreprise qui relève du pouvoir législatif du Parlement du Canada en application de l'al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 et la première question constitutionnelle doit recevoir une réponse affirmative.

IV.La seconde question constitutionnelle — La question de l'immunité de la Couronne

a)Les décisions des tribunaux d'instance inférieure

(i) Le Conseil canadien des relations du travail

Après avoir conclu que l'AGT était un ouvrage ou une entreprise de nature fédérale, le Conseil a affirmé que l'AGT serait automatiquement visée par la partie V du Code canadien du travail en vertu de l'art. 108, n'était‑ce de l'argument fondé sur l'immunité de la Couronne. Le Conseil a conclu que la partie V du Code ne serait pas privée d'efficacité si la Couronne du chef d'une province n'était pas liée. Quoi qu'il en soit, en vertu du "deuxième volet" de la théorie de la déduction nécessaire, le Conseil était d'avis que le texte de loi lui‑même pouvait écarter l'immunité de la Couronne même si la Couronne n'était pas mentionnée explicitement. Le Conseil a affirmé que l'art. 109 du Code, selon lequel la Couronne fédérale est partiellement visée et partiellement exclue de la partie V, démontre une intention contraire à l'art. 16 de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, fédérale. Le Conseil a jugé que l'exclusion de la Couronne du chef du Canada à l'art. 109 signifie l'inclusion de la Couronne du chef d'une province à l'art. 108. Le Conseil a donc conclu que l'AGT n'était pas soustraite à l'application du Code canadien du travail.

De façon subsidiaire, le Conseil s'est dit d'accord avec l'analyse de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt AGT c. CRTC selon laquelle, en exploitant une entreprise fédérale, l'AGT a outrepassé ses fins comme mandataire de la Couronne et a ainsi perdu son immunité et est devenue assujettie à la partie V du Code. Le CCRT a donc exercé sa compétence à l'égard de l'AGT. Le Conseil a jugé opportun de renvoyer les deux questions suivantes devant la Cour d'appel fédérale, conformément au par. 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e supp.), chap. 10:

1.Le Conseil canadien des relations du travail a‑t‑il commis une erreur portant sur la compétence lorsqu'il a conclu que Alberta Government Telephones relève de la compétence constitutionnelle fédérale?

2.Le Conseil canadien des relations du travail a‑t‑il commis une erreur portant sur la compétence lorsqu'il a conclu que la revendication de l'immunité de la Couronne de la part de Alberta Government Telephones ne plaçait pas cet organisme au‑delà du champ d'application de la partie V du Code canadien du travail?

(ii)La Cour d'appel fédérale — Le juge Mahoney (aux motifs duquel ont souscrit les juges Pratte et Heald)

En ce qui concerne la seconde question, le juge Mahoney, s'exprimant au nom de la cour, a affirmé qu'aucune distinction sérieuse ne pouvait être établie entre le renvoi adressé par le Conseil canadien des relations du travail et l'arrêt AGT c. C.R.T.C. À son avis, en exploitant une entreprise de nature fédérale, l'AGT avait perdu le droit d'invoquer l'immunité de la Couronne contre l'application du Code canadien du travail et avait donc outrepassé les fins pour lesquelles elle avait été faite mandataire de la Couronne.

b)La Couronne est‑elle liée par le Code canadien du travail?

Après avoir qualifié l'AGT d'ouvrage ou d'entreprise de nature fédérale au sens de l'al. 92(10)a), les intimés ont prétendu qu'elle relevait de la compétence du Conseil canadien des relations du travail en vertu de la partie V du Code canadien du travail, et modifié par S.C. 1972, chap. 18, qui établit un régime complet de réglementation des relations industrielles. L'article 108 qui porte sur le champ d'application général de la partie V prévoit:

108. La présente Partie s'applique aux employés dans le cadre d'une entreprise fédérale, aux patrons de ces employés dans leurs rapports avec ces derniers, ainsi qu'aux organisations patronales groupant ces patrons et aux syndicats groupant ces employés.

Pour les raisons données dans l'arrêt AGT c. C.R.T.C., l'art. 16 de la Loi d'interprétation s'applique à la Couronne provinciale. Il est évident que l'art. 108 du Code ne mentionne pas expressément que la Couronne est liée par celui‑ci. Il est dit plutôt que la partie V s'applique généralement aux "employés dans le cadre d'une entreprise fédérale . . ." Comme on l'a affirmé dans l'arrêt AGT c. CRTC, c'est précisément contre ce genre de dispositions générales que l'art. 16 de la Loi d'interprétation protège la Couronne.

L'article 109 qui porte aussi sur le champ d'application de la partie V du Code prévoit:

109. (1) La présente Partie s'applique à toute corporation établie pour accomplir quelque fonction pour le compte du gouvernement du Canada ainsi qu'aux employés d'une telle corporation. Elle ne s'applique pas à une corporation de ce genre que le gouverneur en conseil soustrait au régime de la présente Partie, ni à ses employés.

(2) Le gouverneur en conseil ne peut soustraire au régime de la présente Partie que les corporations relativement auxquelles un ministre de la Couronne, le conseil du Trésor ou le gouverneur en conseil est autorisé à établir ou à approuver la totalité ou une partie des conditions d'emploi des personnes qui y sont employées.

(3) Lorsque le gouverneur en conseil soustrait une corporation au régime de la présente Partie, il doit, par décret, ajouter le nom de cette corporation à la Partie I ou à la Partie II de l'annexe I de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique.

(4) Hors les cas prévus au présent article, la présente Partie ne s'applique pas à l'égard des emplois au service de Sa Majesté du chef du Canada.

Les paragraphes 109(1) à (3) étendent l'application de la partie V à certaines sociétés d'État fédérales (à l'exception de celles que le gouverneur en conseil a exclues et qui relèvent plutôt de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-35), peu importe qu'elles exploitent ou non "un ouvrage ou une entreprise de nature fédérale". Le paragraphe 109(4) soustrait à l'application de la partie V ce qui, relativement à la Couronne, n'est pas visé par les par. 109(1) à 109(3). Il est clair que l'art. 109 ne mentionne pas les employés de la Couronne provinciale; au par. 109(1), il est fait mention du "gouvernement du Canada" et l'effet ultime de l'art. 109 est que la Couronne fédérale est en partie incluse et en partie exclue. Par conséquent, à titre de mandataire de la Couronne provinciale, l'AGT ne pourrait être visée que par le texte général de l'art. 108 si elle est liée de quelque manière par la partie V du Code.

À mon avis, l'exclusion expresse d'une partie de la Couronne fédérale en vertu de l'art. 109 du Code offre peu d'appui à l'opinion selon laquelle le Parlement a voulu que les mandataires de la Couronne provinciale soient liés en vertu du texte général de l'art. 108. L'article 16 de la Loi d'interprétation fédérale ne rend les lois fédérales applicables à la Couronne (tant provinciale que fédérale) que dans la mesure où il est "mentionné[. . .] ou prévu[. . .]" qu'elle sera liée. La jurisprudence relative à l'art. 16 a été examinée dans l'arrêt AGT c. CRTC et il n'est pas nécessaire de la reprendre ici. Dans l'arrêt AGT c. CRTC, cette Cour a conclu que les termes "mentionnée ou prévue" contenus à l'art. 16 peuvent comprendre (1) des termes qui lient expressément la Couronne, (2) une intention claire de lier qui ressorte du texte même de la loi (en d'autres termes, une intention qui ressorte lorsque les dispositions sont interprétées dans le contexte d'autres dispositions), et (3) une intention de lier lorsque l'objet de la loi serait privé de toute efficacité si le gouvernement en question n'était pas lié ou, en d'autres termes, s'il donnait lieu à une absurdité (par opposition à un simple résultat non souhaité).

Pour que la Couronne soit liée, un texte législatif doit normalement mentionner ou prévoir expressément que la Couronne ou "Sa Majesté" y est assujettie. Comme cette Cour l'a décidé dans l'arrêt R. c. Ouellette, [1980] 1 R.C.S. 568, il n'est peut‑être pas nécessaire de déclarer expressément que la Couronne est liée (bien qu'en matière de rédaction législative, cela ne laisserait plus place à aucun doute) dans les rares cas où l'on peut affirmer que "Sa Majesté" peut être "implicitement liée par un texte législatif si telle est l'interprétation que ce texte doit recevoir lorsqu'il est replacé dans son contexte" (à la p. 575, je souligne). Cette Cour a cependant conclu, dans l'arrêt AGT c. C.R.T.C., que l'art. 16 exige que le Parlement exprime clairement son intention de lier la Couronne. Les dispositions pertinentes du texte législatif lorsqu'elles sont situées dans leur contexte doivent "mentionner" la Couronne d'une façon qui comporte clairement une intention de la lier.

L'inclusion partielle expresse des employés fédéraux aux par. 109(1) à (3) permet de réfuter la présomption d'immunité de l'art. 16 quant aux domaines mentionnés. Compte tenu de l'art. 16, il n'était plus nécessaire que le Parlement aille plus loin au par. 109(4) et qu'il exclue expressément la Couronne fédérale de tous les autres domaines. Il faut donc considérer le par. 109(4) comme une disposition prévue par surcroît de précautions, qui peut être destinée à assurer parfaitement que la Couronne fédérale ne soit pas visée par le texte général de l'art. 108. Compte tenu de l'objet du par. 109(4) qui est d'assurer l'immunité de la Couronne fédérale (sous réserve des par. 109(1) à (3)), on peut difficilement s'en servir pour déduire que le Parlement avait clairement l'intention de lier en même temps la Couronne provinciale. Le Parlement aurait pu facilement inclure les employés de la Couronne provinciale tout aussi explicitement qu'il l'a fait pour certains employés de la Couronne fédérale aux par. 109(1) à (3). La Couronne provinciale ne peut subir de préjudice du fait que le Parlement n'a pas fait preuve d'autant de prudence à l'égard des intérêts de la Couronne provinciale qu'à l'égard de ceux de la Couronne fédérale. Le fait que le Parlement a pu être directement intéressé à protéger certains intérêts de la Couronne fédérale (qui intéresse le plus le Parlement) est tout aussi compatible avec le fait qu'il n'ait manifesté aucune intention à l'égard de la Couronne provinciale qu'avec le fait qu'il a voulu la lier. Contrairement à l'arrêt R. c. Ouellette, précité, on ne peut affirmer que cette interprétation contextuelle de l'art. 108 révèle une volonté qui ressort du texte même de la loi. La règle d'interprétation législative selon laquelle la mention de l'un implique l'exclusion de l'autre ne permet pas de déduire que l'art. 108 vise les employés de la Couronne provinciale en regard de la règle expresse d'interprétation des lois contenue à l'art. 16. Une disposition législative qui exclut la Couronne fédérale ou une partie de celle‑ci ne permet pas de déduire, sans indication plus claire du contexte, qu'on avait l'intention que toute autre partie de la Couronne, en l'espèce la Couronne provinciale, soit liée: voir Sa Majesté du chef de la province de l'Alberta c. La Commission canadienne des transports, [1978] 1 R.C.S. 61, à la p. 68.

On a également soutenu que la Couronne provinciale tout entière doit être implicitement "mentionnée ou prévue" à l'article d'application générale, l'art. 108, sinon il y aurait un vide juridique dans la législation en matière de travail. Sur le plan du droit constitutionnel, la réglementation provinciale en matière de travail serait inapplicable aux employés de l'AGT et, sur le plan de l'interprétation législative, la législation fédérale serait inapplicable en raison de l'immunité de la Couronne. La lacune créée par l'omission du Parlement de lier la Couronne provinciale dans le Code peut se révéler peu commode ou même peu souhaitable sur le plan pratique ou théorique, mais en attendant que le Parlement décide de combler le vide par une déclaration expresse qui réponde à cette préoccupation, le rôle des tribunaux judiciaires se limite à déterminer si la Loi serait privée de toute efficacité si la Couronne du chef d'une province était exclue des dispositions pertinentes de cette loi. Il faut rejeter toute idée que les fins de la partie V du Code seraient complètement déjouées si la Couronne provinciale n'était pas liée par celle‑ci. La très grande majorité des employés d'entreprises fédérales continuerait d'être visée par la partie V du Code même si la Couronne du chef des provinces était soustraite à son application.

Par conséquent, le Parlement n'a pas exprimé clairement, dans le contexte de la partie V et de ses dispositions d'application, l'intention de lier l'AGT à titre de mandataire de la Couronne du chef de l'Alberta. L'AGT est soustraite à la compétence du Conseil canadien des relations du travail sauf si elle a perdu son immunité en raison de sa conduite, une question sur laquelle mon examen va maintenant porter.

c)L'AGT a‑t‑elle perdu le droit d'invoquer l'immunité de la Couronne en raison de sa conduite?

(i)L'AGT a‑t‑elle perdu son immunité en application de la théorie de la renonciation?

Personne n'a laissé entendre devant cette Cour que l'AGT a renoncé à invoquer l'immunité en se prévalant des avantages du Code sans assumer les obligations correspondantes. Quoi qu'il en soit, il est clair qu'il ne peut y avoir de rapport ni de lien entre les activités de l'AGT et les dispositions pertinentes du Code. L'AGT n'a donc pas perdu son immunité en application de la théorie de la renonciation: pour une analyse de cette théorie, voir l'arrêt AGT c. CRTC.

(ii)L'AGT a‑t‑elle perdu son immunité en outrepassant son mandat prévu par la loi ou ses fins comme mandataire de la Couronne?

Le procureur général du Canada et les intimés ont soutenu qu'en exerçant ses pouvoirs d'exploiter une entreprise fédérale l'AGT a perdu son immunité parce qu'elle aurait alors excédé les limites du mandat que lui attribue l'Alberta Government Telephones Act, R.S.A. 1980, chap. A-23.

Cet argument se fonde sur l'hypothèse qu'en créant l'AGT la législature albertaine a voulu établir une entreprise locale qui ne pourrait être régie qu'en vertu de la Public Utilities Board Act de la province, R.S.A. 1980, chap. P‑37. Pour les raisons exposées dans l'arrêt AGT c. CRTC, un mandataire de la Couronne provinciale ne perd pas automatiquement son immunité en s'immisçant dans un domaine de réglementation fédérale dans la mesure où ses activités respectent les limites de son mandat prévu par la loi. Il va sans dire que le mandataire de la Couronne provinciale perdrait son immunité si l'exploitation d'une entreprise de nature fédérale faisait en sorte que la loi qui lui confère ses pouvoirs outrepasserait la compétence de la province. Aucune partie n'a cependant contesté devant cette Cour la constitutionnalité de l'Alberta Government Telephones Act. Cette Cour a jugé, dans l'arrêt AGT c. CRTC, qu'en concluant les divers accords de raccordement comme membre de Télécom, l'AGT a exercé son pouvoir d'une façon compatible avec les objets de l'Alberta Government Telephones Act. Cette conclusion s'applique directement en l'espèce. Par conséquent, on ne peut affirmer que l'AGT a perdu son immunité en excédant les limites de son mandat prévu par la loi.

(iii)L'AGT a‑t‑elle perdu son immunité parce qu'elle est une entreprise commerciale?

Pour les motifs rendus dans l'arrêt AGT c. CRTC, l'art. 16 ne comporte aucune exception applicable aux "activités commerciales".

d)Conclusion quant à la question de l'immunité

Pour tous les motifs qui précèdent, l'AGT est soustraite au pouvoir du Conseil canadien des relations du travail d'examiner les deux requêtes en accréditation relatives à des unités d'employés de l'AGT, présentées en vertu de l'art. 124 du Code canadien du travail.

V. Décision globale quant au pourvoi

Le pourvoi est accueilli et l'arrêt de la Cour d'appel fédérale est infirmé. Les deux questions constitutionnelles reçoivent les réponses suivantes:

1. L'Alberta Government Telephones est‑elle un ouvrage ou une entreprise qui relève de la compétence législative que possède le Parlement du Canada en vertu de l'al. 92(10)a) ou d'une autre disposition de la Loi constitutionnelle de 1867?

Réponse: Oui.

2. En cas de réponse affirmative à la première question, l'Alberta Government Telephones est‑elle liée par les dispositions pertinentes du Code canadien du travail?

Réponse: Non.

Il n'y aura pas d'adjudication de dépens.

//Le juge Wilson//

Version française des motifs rendus par

LE JUGE WILSON — Je souscris entièrement aux raisons qui ont amené le Juge en chef, dans le pourvoi Alberta Government Telephones c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1989], 2 R.C.S. 000 (ci-après AGT c. CRTC), à la conclusion qu'Alberta Government Telephones ("AGT") est une entreprise qui relève de la compétence législative du Parlement du Canada en vertu de l'al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867. Toutefois, comme je l'ai dit dans mes motifs de dissidence dans cette affaire, je ne partage pas l'avis du Juge en chef que l'immunité de la Couronne met AGT à l'abri de tout contrôle exercé par le CRTC. Je dois donc examiner maintenant si l'immunité de la Couronne la soustrait à la compétence du Conseil canadien des relations du travail.

Je ne puis trouver aucune raison comparable à celle existant dans l'affaire AGT c. CRTC qui permettrait de conclure qu'AGT a renoncé à son immunité en ce qui concerne l'assujettissement au pouvoir du Conseil canadien des relations du travail et aucune n'a été avancée en cette Cour. Je ne crois pas que le simple exercice de son pouvoir de s'engager dans une entreprise fédérale lui ait fait perdre son immunité. De plus, je ne suis pas prête à conclure à ce stade qu'elle a perdu cette immunité en exploitant une entreprise purement commerciale, bien que, comme je l'ai signalé dans mes motifs de dissidence dans AGT c. CRTC, j'estime qu'il s'agit là d'une question qui mérite d'être étudiée par la Cour au complet à une occasion future.

Je suis d'avis de trancher le pourvoi et de répondre aux questions constitutionnelles de la manière proposée par le Juge en chef.

Pourvoi accueilli; la première question constitutionnelle reçoit une réponse affirmative, la seconde une réponse négative.

Procureurs des appelants: Burnet, Duckworth & Palmer, Calgary.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Canada: Le sous‑procureur général du Canada, Ottawa.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Québec: Le procureur général du Québec. Ste‑Foy.

Procureur de l'intervenant le procureur général de la Nouvelle‑Écosse: Le procureur général de la Nouvelle‑Écosse, Halifax.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Nouveau-Brunswick: Le sous‑procureur général du Nouveau-Brunswick, Fredericton.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Manitoba: Tanner Elton, Winnipeg.

Procureur de l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique: Le procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.

Procureur de l'intervenant le procureur général de l'{uIc}le‑du‑Prince‑Édouard: Le procureur général de l'{uIc}le‑du‑Prince‑Édouard, Charlottetown.

Procureur de l'intervenant le procureur général de la Saskatchewan: Brian Barrington‑Foote, Regina.

Procureur de l'intervenant le procureur général de Terre‑Neuve: Le procureur général de Terre‑Neuve, St. John's.

Procureurs de l'intimé le Conseil canadien des relations du travail: Rankin and Company, Vancouver.

Procureurs de l'intimée la Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 348: McGown, Johnson, Calgary.

*Les juges Beetz, Estey et Le Dain n'ont pas pris part au jugement.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli. La première question constitutionnelle reçoit une réponse affirmative, la seconde une réponse négative

Analyses

Droit constitutionnel - Partage des compétences - Ouvrage ou entreprise de nature interprovinciale - Relations de travail - Système provincial de télécommunications déclaré entreprise interprovinciale soumise à la compétence fédérale - Les employés de ce système relèvent‑ils du pouvoir de réglementation du Conseil canadien des relations du travail? - Loi constitutionnelle de 1867, art. 92(10)a) - Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L‑1, art. 108, 109(1), (2), (3), (4), 124.

Couronne - Immunité - Mandataire de la Couronne provinciale exploitant un système interprovincial de télécommunications - Les employés de la mandataire de la Couronne provinciale sont‑ils assujettis au Code canadien du travail? - Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I‑23, art. 16.

En février 1986, FIOE a présenté au Conseil canadien des relations du travail (CCRT) deux requêtes en accréditation comme agent négociateur de certaines unités d'employés de l'AGT conformément à l'art. 124 du Code canadien du travail. Cette mesure a été prise après que les divisions de première instance et d'appel de la Cour fédérale eurent jugé l'affaire connexe Alberta Government Telephones c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. Le CCRT a exercé sa compétence à l'égard de l'AGT après avoir conclu que l'AGT était assujettie à la réglementation fédérale, mais qu'elle n'était pas soustraite à l'application du Code canadien du travail. Le CCRT a renvoyé à la Cour d'appel fédérale la question de savoir s'il avait outrepassé sa compétence en arrivant à ces conclusions. La Cour d'appel fédérale a confirmé les décisions du CCRT. Les questions constitutionnelles soumises à la Cour sont les suivantes: (1) AGT est‑elle un ouvrage ou une entreprise qui relève de la compétence législative fédérale en vertu de l'al. 92(10)a) ou d'une autre disposition de la Loi constitutionnelle de 1867? Et (2) si la réponse est affirmative, AGT est‑elle liée par les dispositions pertinentes du Code canadien du travail?

Arrêt: Le pourvoi est accueilli. La première question constitutionnelle reçoit une réponse affirmative, la seconde une réponse négative.

Le juge en chef Dickson et les juges McIntyre, Lamer, La Forest et l'Heureux‑Dubé: Pour les motifs énoncés dans l'arrêt Alberta Government Telephones c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1989] 2 R.C.S. 000, AGT est une entreprise assujettie à la compétence législative du Parlement du Canada en vertu de l'al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 et la première question constitutionnelle reçoit une réponse affirmative.

Le régime complet de réglementation des relations industrielles établi par le Conseil canadien des relations du travail en application de la partie V du Code canadien du travail ne s'applique pas à l'AGT, même si cette dernière est un ouvrage ou une entreprise de nature fédérale au sens de l'al. 92(10)a). L'article 16 de la Loi d'interprétation s'applique à la Couronne provinciale et il exige que le législateur exprime clairement son intention de lier la Couronne. Le Parlement n'a pas exprimé clairement, dans le contexte de la Partie V et de ses dispositions d'application l'intention de lier l'AGT à titre de mandataire de la Couronne du chef de l'Alberta. Le fait que la Partie V exclut expressément une partie de la Couronne fédérale ne permet pas de déduire que le Parlement avait clairement l'intention de lier la Couronne provinciale. La possibilité d'un vide juridique dans la législation du travail parce que, sur le plan constitutionnel, la législation provinciale est inapplicable à un ouvrage ou entreprise de nature fédérale et parce que la Couronne provinciale est soustraite à l'application du Code canadien du travail peut se révéler peu commode ou même peu souhaitable sur la plan pratique ou théorique. Toutefois en attendant que le Parlement décide de combler ce vide par une déclaration expresse qui réponde à cette préoccupation, le rôle des tribunaux judiciaires se limite à déterminer si la Loi serait privée de toute efficacité si la Couronne du chef d'une province était exclue des dispositions pertinentes de cette loi. Les fins de la Partie V du Code ne seraient pas complètement déjouées si la Couronne provinciale n'était pas liée par celle-ci.

L'AGT n'a pas renoncé à invoquer l'immunité en se prévalant des avantages du Code sans assumer les obligations correspondantes. Il ne peut y avoir de rapport ni de lien entre les activités de l'AGT et les dispositions pertinentes du Code. L'AGT a exercé son pouvoir d'une façon compatible avec les objets de l'Alberta Government Telephones Act en concluant les divers accords de raccordement comme membre de Télécom Canada. L'AGT n'a pas perdu son immunité en excédant les limites de son mandat prévu par la loi.

Le juge Wilson: L'Alberta Government Telephones est une entreprise qui relève de la compétence législative du Parlement du Canada en vertu de l'al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867. Toutefois l'AGT n'a pas renoncé à son immunité en ce qui concerne la compétence du Conseil canadien des relations du travail par le simple exercice de son pouvoir de s'engager dans une entreprise fédérale. Rien dans la conduite de l'appelante ne peut être interprété comme une renonciation à son immunité.


Parties
Demandeurs : Fioe
Défendeurs : Alberta government telephones

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge en chef Dickson
Arrêt suivi: Alberta Government Telephones c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1989] 2 R.C.S. 000, Arrêts mentionnés: R. c. Ouellette, [1980] 1 R.C.S. 568
Sa Majesté du chef de la province de l'Alberta c. La Commission canadienne des transports, [1978] 1 R.C.S. 61.
Citée par le juge Wilson
Arrêt suivi: Alberta Government Telephones c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1989] 2 R.C.S. 000.
Lois et règlements cités
Alberta Government Telephones Act, R.S.A. 1980, chap. A-23.
Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L‑1, art. 108, 109(1), (2), (3), (4), 124.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 92(10)a).
Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I‑23, art. 16.
Loi sur la Cour fédérale, R.C.S. 1970 (2e supp.), chap 10, art. 28(4).
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, R.S.C. 1970, chap. P‑35.
Public Utilities Board Act, R.S.A. 1980, chap. P-37.

Proposition de citation de la décision: Fioe c. Alberta government telephones, [1989] 2 R.C.S. 318 (14 août 1989)


Origine de la décision
Date de la décision : 14/08/1989
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1989] 2 R.C.S. 318 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1989-08-14;.1989..2.r.c.s..318 ?
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