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14/08/1989 | CANADA | N°[1989]_2_R.C.S._225

Canada | Alberta government telephones c. (Canada) conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1989] 2 R.C.S. 225 (14 août 1989)


Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225

Alberta Government Telephones Appelante

et

Conseil de la radiodiffusion et des

télécommunications canadiennes

et Télécommunications CNCP Intimés

et

Le procureur général du Canada,

le procureur général du Québec,

le procureur général de la Nouvelle‑Écosse,

le procureur général du Nouveau‑Brunswick,

le procureur général du Manitoba,

le procureur général de la C

olombie‑Britannique,

le procureur général de l'{UIc}le‑du‑Prince‑Édouard,

le procureur général de la Saskatchewan,

le procureur général de l'...

Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225

Alberta Government Telephones Appelante

et

Conseil de la radiodiffusion et des

télécommunications canadiennes

et Télécommunications CNCP Intimés

et

Le procureur général du Canada,

le procureur général du Québec,

le procureur général de la Nouvelle‑Écosse,

le procureur général du Nouveau‑Brunswick,

le procureur général du Manitoba,

le procureur général de la Colombie‑Britannique,

le procureur général de l'{UIc}le‑du‑Prince‑Édouard,

le procureur général de la Saskatchewan,

le procureur général de l'Alberta et

le procureur général de Terre‑Neuve Intervenants

répertorié: alberta government telephones c. (canada) conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes

No du greffe: 19731.

1987: 12, 13 novembre; 1989: 14 août.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz*, Estey*, McIntyre, Lamer, Wilson, Le Dain*, La Forest et L'Heureux‑Dubé.

en appel de la cour d'appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1986] 2 C.F. 179, qui a accueilli un appel d'une décision du juge Reed, [1985] 2 C.F. 472** (1984), 15 D.L.R. (4th) 515. Pourvoi accueilli (le juge Wilson est dissidente); la première question constitutionnelle reçoit une réponse affirmative et la seconde une réponse négative.

Colin K. Irving, John D. Rooke, Peter Hogg, c.r., et Franklin S. Gertler, pour l'appelante et l'intervenant le procureur général de l'Alberta.

Eric A. Bowie, c.r., et Donald J. Rennie, pour l'intervenant le procureur général du Canada.

Jean‑Yves Bernard et Alain Gingras, pour l'intervenant le procureur général du Québec.

Reinhold M. Endres, pour l'intervenant le procureur général de la Nouvelle‑Écosse.

Bruce Judah, pour l'intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick.

Glenn McFetridge et Dianne Paskewitz, pour l'intervenant le procureur général du Manitoba.

E. R. A. Edwards, c.r., pour l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.

Roger B. Langille et Charles P. Thompson, pour l'intervenant le procureur général de l'{UIc}le‑du‑Prince‑Édouard.

Robert G. Richards, pour l'intervenant le procureur général de la Saskatchewan.

Ronald Stevenson, pour l'intervenant le procureur général de Terre‑Neuve.

C. R. O. Munro, c.r., et M. H. Ryan, pour l'intimée Télécommunications CNCP.

Greg Van Koughnett, pour l'intimé Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes.

Version française du jugement du juge en chef Dickson et des juges McIntyre, Lamer, La Forest et L'Heureux-Dubé rendu par

LE JUGE EN CHEF --

I. Introduction

La Cour est appelée à déterminer en l'espèce si l'appelante l'Alberta Government Telephones ("AGT") est assujettie au pouvoir de réglementation de l'intimé le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes ("CRTC"). L'intimée Télécommunications CNCP ("CNCP") prétend que l'AGT relève de la compétence du CRTC. L'AGT prétend le contraire pour deux raisons: premièrement, il ne s'agit pas d'un ouvrage ou d'une entreprise de nature fédérale au sens de l'al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867, et deuxièmement, même s'il en était ainsi, l'AGT est un mandataire de la Couronne provinciale et peut, à ce titre, invoquer l'immunité contre l'application des lois fédérales pertinentes.

a) Historique des procédures

Le 17 septembre 1982, CNCP a présenté au CRTC une requête conformément aux dispositions de la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, chap. R‑2 et ses modifications, de la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, S.C. 1974‑75‑76, chap. 49, et de la Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, chap. N‑17. CNCP sollicitait différentes ordonnances en application de la Loi sur les chemins de fer en vue d'obliger l'AGT à fournir des installations pour l'échange de services de télécommunications entre le système exploité par CNCP et celui exploité par l'AGT. Le 18 octobre 1982, l'AGT a déposé un avis de requête introductif d'instance en application de l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970, (2e supp.), chap. 10 et ses modifications, en vue d'obtenir un bref de prohibition ou un redressement de même nature.

Le 26 octobre 1984, le juge Reed de la Division de première instance de la Cour fédérale a décerné le bref de prohibition demandé par l'AGT dans des motifs rédigés avec beaucoup de soin et maintenant publiés à [1985] 2 C.F. 472*** (1984), 15 D.L.R. (4th) 515. Le juge Reed a conclu que l'AGT était un ouvrage ou une entreprise de nature interprovinciale au sens de l'al. 92(10)a) et qu'elle relevait donc de la compétence législative du Parlement du Canada. Toutefois, le juge Reed a également conclu que le CRTC ne pouvait accorder les ordonnances demandées par CNCP parce que l'AGT était un mandataire de la Couronne provinciale et pouvait donc invoquer l'immunité contre l'application des dispositions de la Loi sur les chemins de fer.

La Cour d'appel fédérale (le juge Pratte, aux motifs duquel ont souscrit les juges Heald et Urie) a annulé l'ordonnance du juge Reed dans des motifs maintenant publiés à [1986] 2 C.F. 179. Elle a toutefois confirmé la conclusion du juge Reed que l'AGT était une entreprise fédérale au sens de l'al. 92(10)a), mais a infirmé sa décision sur la question de l'immunité de la Couronne.

Cette Cour a accordé l'autorisation de pourvoi. Elle a ordonné que le présent pourvoi soit entendu en même temps que le pourvoi FIOE c. Alberta Government Telephones, [1989] 2 R.C.S. 000, dont les motifs sont rendus en même temps que le présent arrêt. Sont intervenus à l'appui des appelants dans les deux instances les procureurs généraux du Québec, de la Nouvelle‑Écosse, du Nouveau‑Brunswick, du Manitoba, de la Colombie‑Britannique, de l'{UIc}le‑du‑Prince‑Édouard, de la Saskatchewan et de Terre‑Neuve. Le procureur général du Canada est intervenu à l'appui des intimés dans les deux pourvois.

b) Les dispositions et les questions constitutionnelles

Loi constitutionnelle de 1867

Voici les dispositions constitutionnelles applicables:

91. Il sera loisible à la Reine, sur l'avis et avec le consentement du Sénat et de la Chambre des communes, de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets exclusivement assignés aux législatures des provinces par la présente loi mais, pour plus de certitude, sans toutefois restreindre la généralité des termes employés plus haut dans le présent article, il est par les présentes déclaré que (nonobstant toute disposition de la présente loi) l'autorité législative exclusive du Parlement du Canada s'étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets énumérés ci‑dessous, à savoir:

. . .

29.les catégories de sujets expressément exceptés dans l'énumération des catégories de sujets exclusivement assignés par la présente loi aux législatures des provinces.

. . .

92. Dans chaque province, la législature pourra exclusivement légiférer relativement aux matières entrant dans les catégories de sujets ci‑dessous énumérés, à savoir:

. . .

10.les ouvrages et entreprises d'une nature locale, autres que ceux qui sont énumérés dans les catégories suivantes:

a) lignes de bateaux à vapeur ou autres navires, chemins de fer, canaux, télégraphes et autres ouvrages et entreprises reliant la province à une autre ou à d'autres provinces, ou s'étendant au‑delà des limites de la province;

b) lignes de bateaux à vapeur entre la province et tout pays britannique ou étranger;

c) les ouvrages qui, bien qu'entièrement situés dans la province, seront avant ou après leur exécution déclarés, par le Parlement du Canada, être à l'avantage général du Canada, ou à l'avantage de deux ou plusieurs provinces;

La Cour a, par ordonnance, formulé les questions constitutionnelles suivantes:

1.L'Alberta Government Telephones est‑elle un ouvrage ou une entreprise qui relève de la compétence législative que possède le Parlement du Canada en vertu de l'al. 92(10)a) ou d'une autre disposition de la Loi constitutionnelle de 1867?

2.En cas de réponse affirmative à la première question, l'Alberta Government Telephones est‑elle liée par les dispositions pertinentes de la Loi sur les chemins de fer?

II. Les faits

L'analyse des faits présentée par le juge Reed concernant l'entreprise de l'AGT s'avère des plus utiles et les avocats des parties reconnaissent qu'elle est à la fois exacte et complète (voir l'arrêt de la Cour d'appel fédérale, précité, à la p. 195). Il est cependant nécessaire de revoir les faits de façon quelque peu détaillée parce qu'ils sont essentiels à la résolution des deux questions constitutionnelles et à la première en particulier.

a) L'historique législatif de l'AGT et le rôle de l'Alberta Public Utilities Board

L'AGT a commencé à exploiter son entreprise en 1906. Selon l'article premier de sa loi constitutive intitulée An Act respecting Government Telephone and Telegraph Systems, S.A. 1908, chap. 14, le gouvernement de l'Alberta avait le pouvoir d'acheter, de construire et d'exploiter [TRADUCTION] "dans la province un seul ou plusieurs systèmes de téléphone ou de télégraphe . . ." À l'article 5, le gouvernement de l'Alberta est défini comme [TRADUCTION] "Sa Majesté du chef de l'Alberta". Cette loi, intitulée The Telephone and Telegraph Act, figure à R.S.A. 1922, chap. 49, R.S.A. 1942, chap. 198, et R.S.A. 1955, chap. 332. Dans An Act to Amend The Telephone and Telegraph Act, S.A. 1956, chap. 53, une loi modificatrice, on mentionne à plusieurs reprises le [TRADUCTION] "Service téléphonique du gouvernement de l'Alberta" -- voir les art. 2 et 4. (On trouve la mention des [TRADUCTION] "Services téléphoniques du gouvernement de l'Alberta" dans une loi antérieure intitulée The Rural Mutual Telephone Companies Act, S.A. 1935, chap. 48.)

The Telephone and Telegraph Act, R.S.A. 1955, chap. 332, a été abrogée par l'art. 34 de The Alberta Government Telephones Act, S.A. 1958, chap. 85. À l'article 3 de cette loi était constituée la [TRADUCTION] "Commission des services téléphoniques du gouvernement de l'Alberta". En vertu du par. 3(3), cette Commission pouvait également être appelée [TRADUCTION] "Services téléphoniques du gouvernement de l'Alberta".

La loi actuelle qui régit les opérations de l'AGT est l'Alberta Government Telephones Act, R.S.A. 1980, chap. A‑23 et ses modifications (ci‑après appelée la "Loi de l'AGT").

Le ministre de la Technologie, de la Recherche et des Télécommunications est responsable de l'application de la Loi de l'AGT et, selon le par. 2(2), il [TRADUCTION] ". . . est autorisé à contrôler tous les services de télécommunications relevant de la compétence de la législature et à fournir ou à ordonner la fourniture de ces services". La Commission de l'AGT est une société dotée du pouvoir d'acquérir, de posséder et d'aliéner des biens immobiliers. Les principaux pouvoirs de la Commission sont énumérés à l'art. 4 qui prévoit:

[TRADUCTION] 4(1) La Commission peut acheter, construire, étendre, entretenir, fabriquer, exploiter et louer d'autres personnes ou à d'autres personnes un seul ou plusieurs systèmes en Alberta, notamment des systèmes privés de communications.

(2) La Commission peut effectuer des recherches et consulter des experts en télécommunications.

(3) Le lieutenant‑gouverneur en conseil peut confier à la Commission

a) l'application de toute autre loi, et

b) l'exécution de toute fonction ou tâche, y compris l'exécution de tout contrat conclu par le gouvernement en vue d'établir, d'entretenir ou d'exploiter un système dans toute autre province ou tout autre territoire du Canada,

et par dérogation à toute autre disposition de la présente loi, la Commission exerce tous les pouvoirs que la présente loi lui confère expressément ou implicitement aux fins de son application ou qui sont nécessaires pour exécuter toute fonction ou tâche qui lui est confiée en vertu du présent paragraphe.

Les termes "système" et "télécommunication" sont définis ainsi aux al. 1c) et d):

1 . . .

[TRADUCTION] c) "système" désigne un système de télécommunications et comprend tous les terrains, installations, fournitures, bâtiments, ouvrages, droits, concessions, servitudes, actifs et biens de quelque nature possédés, détenus, requis ou utilisés pour les fins du système de télécommunications ou relativement à ce système ou pour l'exploitation de ce système;

d) "télécommunication" désigne la télécommunication telle que la définit la Public Utilities Board Act.

En ce qui concerne le terme "télécommunication", la Public Utilities Board Act, R.S.A. 1980, chap. P‑37, modifiée par S.A. 1981, chap. 35, al. 2b), en donne la définition suivante à l'al. 1j):

[TRADUCTION] "télécommunication" désigne toute transmission, l'émission ou la réception de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons, de données, de messages ou d'informations de toute nature par fil, par radiocommunication, par câble, par ondes ou par d'autres systèmes électroniques, électromagnétiques ou optiques, mais ne comprend pas la transmission, l'émission ou la réception d'une radiodiffusion qui constitue une communication par radio dont la transmission est destinée à être captée directement par le public en général;

Je souligne que la définition de télécommunication contenue dans les versions de 1980 de la Loi de l'AGT (al. 1d)) et de la Public Utilities Board Act (al. 1j)) était légèrement différente en ce qu'elle ne mentionnait pas la "radiodiffusion". Elle se lisait ainsi:

[TRADUCTION] j) "télécommunication" désigne la transmission, l'émission ou la réception de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou d'informations de toute nature par fil, par radio ou par d'autres systèmes électromagnétiques ou optiques;

Aux termes du par. 9(1), la Commission a pour fonction notamment de [TRADUCTION] "régir l'installation et l'entretien des services aux abonnés, de déterminer les catégories d'abonnés et de fixer les normes du service à fournir" (al. c)), de "dresser à l'occasion des listes officielles de taux qui seront déposées auprès de la Public Utilities Board ou approuvés par cette dernière" (al. d)), et de "tenir la comptabilité du système et d'en percevoir les revenus" (al. e)). En outre, l'art. 10 prévoit que la Commission doit établir les modalités de la prestation du service qui doivent être publiées dans le tarif général de l'AGT.

Le pouvoir de conclure des accords est prévu à l'art. 24 dont voici le texte:

[TRADUCTION] 24 La Commission peut conclure avec quiconque une entente prévoyant la liaison, l'intercommunication, l'exploitation en commun, l'utilisation réciproque ou la transmission des services entre tous systèmes appartenant aux parties à l'entente ou exploités par ces parties, et prévoyant toute répartition subséquente des recettes, dépenses ou profits ou tous rajustements financiers ou autres pouvant s'avérer opportuns ou nécessaires pour les fins de l'entente.

Enfin, le par. 42(1) de la Loi de l'AGT qui concerne plus particulièrement la deuxième question en litige prévoit:

[TRADUCTION] 42(1) La Commission est mandataire de la Couronne du chef de l'Alberta et ne peut exercer ses pouvoirs qu'à ce titre.

En ce qui concerne le rôle de l'Alberta Public Utilities Board, l'al. 70(1)c) de la Public Utilities Board Act, précitée, confère à cette commission le pouvoir de réglementer:

[TRADUCTION] c) toutes les entreprises d'utilité publique, qu'elles appartiennent à la Couronne ou qu'elles soient exploitées ou dirigées par la Couronne, ou par un mandataire de la Couronne, du chef de l'Alberta;

Le juge Reed a conclu (à la p. 3 des motifs) que "[c]ette commission régit en fait AGT et les sociétés qui l'ont précédée, depuis 1908 . . ." Elle a cependant mis en doute "l'efficacité" de la Commission comme organisme de réglementation de l'AGT, faisant observer (à la p. 14 des motifs):

On peut se demander si l'approbation des activités d'AGT par la Commission ne se révèlera pas pro forma dans bien des cas. Je me dois de rappeler néanmoins qu'aucune preuve au sujet de cette absence de contrôle n'a été rapportée; il s'agit simplement d'une conclusion qu'on est presque irrésistiblement amené à tirer.

Dans un affidavit produit par l'AGT à l'appui de sa demande de bref de prohibition, on affirme que la Commission a exercé ses pouvoirs à l'égard de l'AGT en ce qui concerne son système, ses équipements, ses taux et son raccordement à d'autres systèmes de télécommunications ainsi qu'à l'égard d'autres questions, le tout en vertu de différents articles de la Public Utilities Board Act, précitée. La preuve la plus claire du rôle de la Commission est ressortie dans l'affaire FIOE c. Alberta Government Telephones. En réponse à une question posée par le Conseil canadien des relations du travail, l'AGT a affirmé que la Commission approuve les taux de l'AGT pour les services de base ou non concurrentiels mais que l'approbation de chaque taux en particulier n'est pas demandée pour les services autres que de base ou les services concurrentiels (à la condition que l'AGT respecte certains critères prescrits par la Commission). Les taux pour le service interprovincial sont établis par l'AGT à partir des négociations menées avec les compagnies de téléphone des autres provinces. Le même processus de consultation a lieu avec les parties intéressées en ce qui concerne les taux pour le service d'appel international bien que la décision finale soit prise par l'AGT sous réserve de l'approbation du Public Utilities Board.

Enfin, en ce qui concerne les accords internationaux conclus par l'AGT (et d'autres compagnies de téléphone), il semble que l'Alberta Public Utilities Board n'exerce aucun pouvoir puisqu'il ressort de la preuve que ces accords n'étaient pas habituellement soumis à l'approbation de cette commission.

b) La nature de l'entreprise de l'AGT

Les conclusions de fait auxquelles le juge Reed est parvenue quant à la nature de l'entreprise de l'AGT se divisent en trois catégories: la structure et les installations matérielles de l'AGT, les services de télécommunications fournis par l'AGT et les mécanismes contractuels et organisationnels par lesquels l'AGT offre ses services. Je vais revoir chacun de ces aspects en me rapportant à la description du juge Reed et au dossier.

(i) La structure et les installations de l'AGT

Le juge Reed donne une description complète du système des appels locaux, à la p. 519 (D.L.R.) du jugement précité, et il n'est pas nécessaire de la reprendre ici. Un centre local achemine les appels locaux et les interurbains. Les appels locaux sont reliés aux centres interurbains par des circuits intermédiaires et les centres sont reliés entre eux par des câbles souterrains ou par micro‑ondes pour ainsi offrir un service intercité ou interurbain.

Le système micro‑ondes de l'AGT consiste en une série de tours, distantes de 20 ou 30 milles les unes des autres, sur lesquelles on a érigé une ou plusieurs antennes reliées à l'émetteur et au récepteur placés à leur base. Les tours transmettent et reçoivent des ondes hertziennes et chacune fait l'objet d'un permis délivré en vertu de la Loi sur la radio, S.R.C. 1970, chap. R‑1. Une tour transmet en ligne droite un signal radio au récepteur d'une tour adjacente et cette tour retransmet le signal à la tour suivante. Ce processus est également appelé transmission "poste à poste".

Le juge Reed décrit ainsi le raccordement matériel entre le système de l'AGT et celui d'autres compagnies à l'extérieur de l'Alberta (précité, aux pp. 4 et 5 des motifs):

Le réseau micro‑ondes d'AGT est relié à celui de British Columbia Telephone Company par les signaux que s'échangent les tours situées d'une part à Bay Tree en Alberta et d'autre part à Bear Mountain en Colombie‑Britannique (ce qu'on appelle la voie nord) et par l'échange de signaux entre les tours situées d'une part à Crowsnest Ridge en Alberta et à Fernie en Colombie‑Britannique (la voie sud). AGT est aussi reliée au réseau de Saskatchewan Telecommunications par les signaux que peuvent s'échanger les tours situées respectivement à Blackfoot en Alberta et à Lashburn en Saskatchewan (la voie nord) et celles situées à Pashley en Alberta et à Cummings en Saskatchewan (la voie sud). Le système entre l'Alberta et la Colombie‑Britannique et entre l'Alberta et la Saskatchewan est aussi relié par câble mais le réseau micro‑ondes est le principal mode de transmission.

Le système de télécommunications d'AGT est relié au système des territoires du Nord‑Ouest (du Canadien national) par les signaux que captent et envoient les tours situées respectivement à Indian Cabins en Alberta et à Grumbler Rapids dans les territoires du Nord‑Ouest; il est relié au système d'American Telephone and Telegraph Company (A.T&T), au Montana, par l'envoi et la réception de signaux entre Milk River en Alberta et Santa Rita au Montana. Un câble coaxial relie aussi l'Alberta au Montana, mais la plus grande partie du trafic emprunte la voie du système micro‑ondes.

En outre, les installations matérielles d'AGT sont reliées par câbles à trois stations terrestres pour satellite (deux dans la région d'Edmonton et l'une à Calgary). Deux de ces stations terrestres appartiennent en partie à AGT et en partie à Telesat Canada (AGT est propriétaire de l'immeuble et de la base de l'antenne; Telesat est propriétaire de l'antenne et de l'équipement électronique nécessaire à la constitution des récepteurs et émetteurs pour cette antenne); la troisième station terrestre appartient pleinement à Telesat. Cela donne à AGT accès au système de transmission par satellites.

Le juge Reed décrit ensuite le système des postes mobiles et stationnaires de l'AGT qui permet d'établir des communications en provenance et à destination de véhicules, comme des voitures, ou de structures stationnaires, comme un derrick. Les appels téléphoniques en provenance et à destination de l'équipement mobile sont intégrés au réseau de l'AGT, ce qui rend possibles les appels locaux, interprovinciaux et internationaux. Le poste stationnaire de ce service est une structure fixe qui comprend une antenne dotée d'un émetteur et d'un récepteur. En 1980 et 1981, l'AGT exploitait de 200 à 300 postes stationnaires, chacun ayant un rayon d'action de 20 à 30 milles. Contrairement à la transmission poste à poste que comporte le système des tours micro‑ondes, les postes stationnaires et les postes mobiles émettent leurs signaux horizontalement, dans toutes les directions en même temps. Par conséquent, les postes stationnaires et les véhicules situés à proximité de la frontière albertaine n'ont pas un rayon d'action limité aux confins de la province. Ce système de postes mobiles et stationnaires est également assujetti à des permis délivrés en vertu de la Loi sur la radio.

En terminant sa description des installations matérielles de l'AGT, le juge Reed a souligné que l'AGT fournit des services de télécommunications aux résidents de Lloydminster en Saskatchewan. La localité de Lloydminster chevauche la frontière alberto‑saskatchewannaise et l'AGT dessert tous les résidents de Lloydminster sans égard à leur province de résidence.

Plus loin dans ses motifs, le juge Reed fait un résumé des faits saillants. En ce qui concerne les installations matérielles de l'AGT, elle affirme notamment (à la p. 479 C.F.):

AGT reçoit les signaux émis par les téléphones de ses abonnés et les transmet à l'extérieur de l'Alberta; elle reçoit des signaux en provenance de l'extérieur de l'Alberta et les transmet à leurs destinataires en Alberta et, dans certains cas, elle retransmet à l'extérieur de l'Alberta certaines transmissions provenant elles‑mêmes de l'extérieur.

Les installations matérielles de télécommunications d'AGT sont raccordées aux frontières, et il existe en outre une intégration plus complète. Les mêmes appareils, lignes et réseaux micro‑ondes téléphoniques servent à des fins locales, interprovinciales et même internationales. Il est clair que de nombreux employés d'AGT travaillent à fournir un service autant extra‑provincial qu'intraprovincial, sans distinction.

(ii) Les services de télécommunications de l'AGT

L'AGT offre à ses abonnés des services de communications téléphoniques locales, interprovinciales et internationales (appels locaux et interurbains) et des services de téléinformatique. Le service téléphonique est dit "de base" alors que les services de téléinformatique sont qualifiés de services "autres que de base". L'AGT possède des manuels de tarifs distincts pour chacun des services. Le juge Reed s'est fondée sur les manuels de tarifs comme preuve des aspects interprovinciaux et internationaux des services de télécommunications. En ce qui concerne les services "de base", l'AGT possède une échelle des tarifs pour les appels interurbains entre les centres tarifaires en Alberta et entre l'Alberta et la Colombie‑Britannique, la Saskatchewan et la région du Nord‑Ouest canadien ainsi qu'une autre échelle tarifaire pour les appels ailleurs au Canada et à St‑Pierre‑et‑Miquelon. L'AGT offre des services internationaux et les échelles tarifaires reflètent ce fait puisqu'il existe des tarifs pour les appels entre l'Alberta et l'Alaska, Hawaï, les États‑Unis, les Antilles, le Mexique et les destinations outre‑mer.

En ce qui concerne les services "autres que de base", le juge Reed a encore fait appel aux manuels des tarifs pour décrire les divers services (Envoy 100, Service de téléimprimeur, Service de téléscripteur à commutation automatique, Services Datacom) et pour renseigner sur les endroits où ces services de télécommunications sont offerts. Le juge Reed affirme (à la p. 9 des motifs):

Ces tarifs montrent que les services fournis comprennent la transmission de données informatiques et de messages depuis des centres albertains à des centres extérieurs.

Le tarif est fixé selon la distance entre la station qui transmet les données informatiques et celle qui les reçoit ou par rapport à la zone de rattachement particulière à laquelle le service est fourni. Dans les deux cas, l'échelle tarifaire prévoit que le service est fourni à des localités situées à l'extérieur de l'Alberta.

(iii)Les mécanismes contractuels et organisationnels par lesquels l'AGT fournit ses services de télécommunications

L'AGT fait partie d'une organisation non constituée en personne morale qui s'appelle maintenant "Télécom Canada" mais qui était autrefois connue sous le nom de "Réseau téléphonique transcanadien" (RTT). Télécom Canada a été créée, à l'origine, en 1931 par sept des dix membres actuels. En sont actuellement membres: l'AGT, la British Columbia Telephone Company, la Saskatchewan Telecommunications, la Manitoba Telephone System, Bell Canada, The New Brunswick Telephone Company Limited, la Maritime Telegraph and Telephone Company Limited, l'Island Telephone Company Limited, la Newfoundland Telephone Company et Télésat Canada. Sont assujetties au pouvoir de réglementation du CRTC, Bell Canada, la British Columbia Telephone Company et Télésat Canada. Les autres membres de Télécom Canada sont régis par la province dans laquelle ils se trouvent.

Accords

Le dossier révèle que les membres de Télécom Canada ont conclu deux accords: un "accord de raccordement" en date du 31 décembre 1976 et un "accord de représentation" en date du 1er décembre 1978. Je vais revenir à l'accord de raccordement dans un moment. Il ressort du dossier que chacun des membres de Télécom Canada a conclu six accords avec diverses entreprises de télécommunications internationales. L'un des accords a été conclu avec Téléglobe Canada, une entreprise de télécommunications outre‑mer. Cinq des accords ont été conclus avec les compagnies américaines suivantes: l'American Telephone and Telegraph Company, la Telenet Communications Corporation, la Tymnet Inc., l'American Satellite Company et la MCI Telecommunications Corporation.

J'ai déjà mentionné que trois membres de Télécom Canada sont régis par le CRTC. Certains accords conclus par ces organismes doivent être approuvés par le CRTC en application du par. 320(11) de la Loi sur les chemins de fer. Par exemple, Télésat Canada a présenté une requête en vertu de cet article afin de faire approuver par le CRTC son adhésion au réseau Télécom Canada aux termes de l'accord de raccordement. Le gouverneur en conseil a infirmé la décision du CRTC conformément au par. 64(1) de la Loi nationale sur les transports. (Voir la décision Télécom CRTC no 77‑10, inf. par le décret C.P. 1977‑3152). Le CRTC a cependant approuvé, à la demande de Télésat Canada, l'accord de représentation conclu entre les membres de Télécom Canada: voir ordonnance Télécom CRTC no 79‑60. Les six accords susmentionnés qui ont été conclus avec des entreprises de télécommunications internationales ont également été approuvés par le CRTC à la demande de Bell Canada (voir les ordonnances Télécom suivantes: CTC/CRTC nos 79‑25 (Téléglobe), T‑97 (AT&T), 79‑194 (Telenet), 79‑195 (Tymnet Inc.), 83‑446 (American Satellite) et 83‑201 (MCI)).

La dernière série d'accords concerne l'AGT et certaines entreprises de télécommunications canadiennes. Dans les explications qu'elle donne concernant les installations matérielles de l'AGT, le juge Reed souligne que le système de l'AGT est relié aux réseaux exploités par la British Columbia Telephone Company, la Saskatchewan Telecommunications et la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada. Le dossier indique qu'il y a trois accords qui portent sur ces raccordements. Deux accords de raccordement ont été conclus avec des membres de Télécom Canada. L'un est intervenu entre l'AGT et la British Columbia Telephone Company, et l'autre, entre l'AGT et la Saskatchewan Telecommunications.

Ces deux accords sont semblables et les extraits suivants de l'accord conclu entre l'AGT et la British Columbia Telephone Company (BC TEL) en révèlent la nature:

[TRADUCTION] ATTENDU QUE BC TEL exploite un système de télécommunications dans la province de la Colombie‑Britannique;

ET ATTENDU QUE l'AGT exploite un système de télécommunications dans la province de l'Alberta;

ET ATTENDU QUE le système de BC TEL et le système d'AGT sont raccordés en vue d'échanger des services de télécommunications et que les parties désirent par conséquent énoncer les modalités suivant lesquelles doivent être faits ces raccordements;

EN CONSÉQUENCE, en contrepartie des engagements et conventions mutuels ci‑après énoncés, les parties s'entendent sur ce qui suit:

. . .

3. Chaque partie branchera ses installations de télécommunications avec les installations de l'autre partie et utilisera ces installations en vue d'échanger des services de télécommunications entre ses clients et abonnés et ceux de l'autre partie, de même que pour les autres fins sur lesquelles les parties pourront s'entendre.

Le dernier accord que je tiens à mentionner est intervenu entre l'AGT et la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada exploite un système de télécommunications dans le Nord‑Ouest canadien et est assujettie au pouvoir de réglementation du CRTC à cet égard. Le CRTC a approuvé cet accord ainsi que diverses modifications qui y ont été apportées, à la demande de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (voir ordonnances Télécom CTC/CRTC nos T‑180, T‑309, 76‑3 et 77‑258.)

C'est grâce à tous ces accords que l'AGT est en mesure de fournir des services interprovinciaux et internationaux concurrentiels (autres que de base) et non concurrentiels (de base). Il reste à examiner la nature du plus important de ces accords et l'infrastructure organisationnelle mise en place pour faciliter la prestation des services de télécommunications de l'AGT.

L'AGT et Télécom Canada

J'ai déjà mentionné l'accord de raccordement de Télécom Canada. Dans une requête en date du 23 juillet 1981, présentée au gouverneur général en conseil, divers membres de Télécom Canada ont décrit cet accord comme étant (précité, à la p. 10 des motifs):

[TRADUCTION] (. . .) le contrat principal en vertu duquel tous les membres du RTT, y compris Télésat, conviennent d'interconnecter leurs réseaux de télécommunications respectifs et de partager les dépenses et les revenus relatifs à la construction, à l'exploitation et à la maintenance d'un réseau national.

Il est dit dans le préambule de l'accord de raccordement à la p. 11 des motifs:

[TRADUCTION] ATTENDU QUE les parties au présent Accord sont les principaux fournisseurs de services de télécommunications dans leur territoire d'exploitation respectif, et

ATTENDU QUE les parties au présent Accord désirent satisfaire aux besoins en télécommunications des usagers de leur réseau respectif en assurant l'accès aux usagers dans des territoires situés en dehors de leur territoire respectif d'exploitation, y compris les usagers et les territoires desservis par les parties au présent Accord ou par d'autres réseaux exploités à l'extérieur du Canada . . .

ATTENDU QUE, pour offrir aux usagers de leur territoire respectif d'exploitation la gamme nécessaire de services de télécommunications, les parties au présent Accord désirent continuer à raccorder leurs réseaux respectifs et fournir ensemble les services de télécommunications conformément aux termes et conditions énoncées dans le présent document.

Dans ses motifs, le juge Reed a reproduit certains passages de la requête susmentionnée où les membres décrivent ainsi la nature et le rôle premier de Télécom Canada (précité, aux pp. 10 et 11 des motifs):

[TRADUCTION] 3. Le réseau téléphonique transcanadien est un consortium sans structure rigide, formé d'entreprises de télécommunications indépendantes entièrement intégrées, qui travaillent de concert à l'établissement de méthodes de planification, d'exploitation et de construction des installations nécessaires en vue d'assurer des services de télécommunications à l'intérieur du Canada au moyen d'installations canadiennes. Le réseau du RTT permet d'offrir une gamme complète de services de télécommunications à travers tout le Canada, de même qu'une grande diversité d'installations de transmission, dont des liaisons hertziennes transcanadiennes et des voies de transmission par satellite. Le RTT a été créé en 1931 en réponse à un désir de former un réseau téléphonique interurbain intégré entièrement canadien pour desservir le Canada d'un océan à l'autre.

. . .

5. Le RTT poursuit trois buts principaux. D'abord, il fournit les moyens par lesquels chaque membre peut offrir des services de télécommunications nationaux à ses abonnés. Deuxièmement, il établit des règles de planification, d'établissement de normes de coopération qui permettent la construction et l'exploitation, par les dix membres travaillant ensemble, d'un réseau de télécommunications national. Troisièmement, il fournit les moyens par lesquels les membres peuvent unir leurs efforts dans des domaines où il est possible de réaliser des économies et des gains d'efficacité par une action commune, par exemple dans le cas de certains projets de recherche techniques ou commerciaux.

Deux considérants de l'accord de raccordement se lisent ainsi à la p. 11 des motifs:

[TRADUCTION] ATTENDU QUE les parties au présent Accord désirent satisfaire aux besoins en télécommunications des usagers de leur réseau respectif en assurant l'accès aux usagers dans des territoires situés en dehors de leur territoire respectif d'exploitation, y compris les usagers et les territoires desservis par les parties au présent Accord ou par d'autres réseaux exploités à l'extérieur du Canada . . .

. . .

ATTENDU QUE pour offrir aux usagers de leur territoire respectif d'exploitation la gamme nécessaire de services de télécommunications, les parties au présent Accord désirent continuer à raccorder leurs réseaux respectifs et fournir ensemble les services de télécommunications conformément aux modalités énoncées dans le présent document.

Le juge Reed reproduit plusieurs articles de cet accord aux pp. 12 et 13 (C.F.) de ses motifs. À l'article 2 de l'accord, il est dit que les parties [TRADUCTION] "conviennent de raccorder ensemble leurs réseaux respectifs de télécommunications" et, aux termes de l'art. 3, un conseil de gestion est constitué. Le Conseil est formé d'un représentant nommé par chacune des parties et il est prévu en outre que [TRADUCTION] "Toute question présentée au Conseil devra être approuvée à l'unanimité avant d'être adoptée". Les pouvoirs du Conseil sont énumérés à l'art. 4 et celui‑ci peut notamment établir les modalités et tarifs des services transcanadiens (al. 4d)), déterminer la base du règlement et la répartition des recettes réalisées à partir des [TRADUCTION] "services assurés par le RTT" (al. 4e)), et établir et tenir un "Bureau de règlement" pour l'exécution des opérations financières nécessaires (al. 4i)). Le fonctionnement du "Bureau de règlement" relève du personnel administratif que le Conseil peut constituer en vertu de l'al. 4f).

Les parties doivent adopter et respecter les règles, règlements et pratiques que le Conseil peut établir pour la prestation et l'administration des services de télécommunications (art. 6). En ce qui concerne les installations de télécommunications et le raccordement des systèmes, les art. 7, 9 et 10 prévoient:

[TRADUCTION] 7. Que les installations fournies par chaque partie pour la prestation des services du RTT seront conçues et exploitées de la façon la plus économique possible afin d'atteindre les normes de service et la qualité de transmission qui pourront être établies de temps à autre par le Conseil.

. . .

9. Que le système de chaque partie sera réputé comprendre tous les systèmes de télécommunications, autres que ceux qui servent au raccordement de leur système respectif.

10. Que chaque partie devra raccorder ses installations de télécommunications avec les installations des autres parties au présent accord au point ou aux points dont il pourra avoir été convenu mutuellement de temps à autre.

En outre, l'utilisation du système de télécommunications par satellite de Télésat Canada est prévue à l'art. 11 et au protocole d'accord joint comme annexe A à l'accord de raccordement. Comme on l'explique, à la p. 525 du D.L.R.:

[TRADUCTION] L'annexe A fixe les conditions en vertu desquelles les installations de satellite de Télésat Canada seront intégrées aux installations terrestres des autres membres du RTT afin de constituer un réseau de télécommunications transcanadien combinant des installations terrestres et des satellites.

Enfin, selon l'art. 19, chacune des parties doit entretenir et exploiter son système dans le but d'offrir un service efficace et de [TRADUCTION] "fournir suffisamment d'installations pour répondre adéquatement à tous les services de télécommunications" assurés en vertu de l'accord.

Un certain nombre de dispositions de l'accord de raccordement porte sur les mécanismes de détermination, de facturation, de perception et de partage des tarifs des services de télécommunications. L'article 12 prévoit:

[TRADUCTION] 12. Que les services de télécommunications assurés en vertu des présentes seront facturés à des tarifs dont les parties au présent Accord pourront convenir de temps à autre.

En vertu de l'art. 13, chaque partie doit percevoir les redevances payables par ses clients pour [TRADUCTION] "tous les services de télécommunications assurés en vertu des présentes" et rendre compte de la partie des redevances due aux autres parties conformément à la base de règlement convenue par le Conseil.

Le juge Reed a présenté un résumé utile de la structure organisationnelle de Télécom Canada. Le président de l'AGT représente automatiquement la société au conseil d'administration de Télécom. De plus, un ou plusieurs cadres supérieurs de l'AGT sont membres de chacun des onze comités de direction de Télécom: le Comité d'expansion commerciale, le Comité de commercialisation, le Comité du personnel, le Comité des relations publiques et de la publicité, le Comité tarifaire, le Comité du partage des recettes, le Comité de l'ingénierie (développement du réseau), le Comité de planification technique, le Comité de génie technique, le Comité du réseau des centrales et le Groupe des communications informatiques. Près d'une trentaine d'employés de l'AGT font partie du personnel de l'administration centrale de Télécom Canada à Ottawa et à Toronto.

Après avoir examiné la preuve présentée plus haut, le juge Reed conclut (à la p. 14 C.F.):

Les noms et la nature de ces comités, le rôle que jouent les employés d'AGT et les modalités de l'Accord de raccordement démontrent que le RTT est le centre de coordination, de planification et d'organisation du système intégré de télécommunication dont les installations de chaque membre font partie intégrante.

Elle souligne également que Télécom Canada n'a pas d'installations matérielles indépendantes (à la p. 15 C.F.)

Télécom Canada sert de chambre de compensation pour le partage des recettes provenant de la prestation des services de Télécom. Ce partage s'effectue conformément au Plan de partage des recettes. Ces services comprennent les appels interurbains entre les membres (à l'exception des appels entre les membres adjacents, comme l'Alberta et la Saskatchewan), tous les appels internationaux, de même que tous les services "autres que de base" ou les services de téléinformatique, sans égard à la question de savoir si le service est fourni par les installations d'un seul membre.

La raison pour laquelle tous les services autres que de base sont inclus dans les revenus de Télécom Canada est exposée dans la requête du 23 juillet 1981, précitée, où il est dit:

[TRADUCTION] Ces services sont commercialisés et offerts par le RTT en tant que services nationaux. De nombreux abonnés à ces services ont des besoins qui s'étendent à la grandeur du pays, plutôt qu'au seul territoire d'exploitation de l'une ou l'autre des compagnies membres du RTT, et s'attendent donc à un niveau de qualité du service et à des conditions uniformes partout au pays. . . . Pour offrir de tels services à l'échelle nationale, il importe au plus haut point que chaque compagnie membre du RTT soit incitée à fournir ce genre de services et à y prendre part. Pour offrir de tels services à l'échelle nationale, chaque compagnie membre du RTT doit investir de fortes sommes dans son propre territoire d'exploitation afin de fournir les techniques et les installations nécessaires. Le fait de considérer ces services ainsi que d'autres services concurrentiels futurs comme services du RTT sert d'incitatif à toutes les compagnies‑membres et assure que les services sont offerts d'une façon qui optimalise les techniques et l'efficacité du trafic.

Les revenus qui en découlent ne sont pas partagés en proportion de l'utilisation des installations d'un membre particulier mais plutôt, comme l'a souligné le juge Reed (à la p. 17 C.F.): "de manière à subvenir à l'expansion des services de télécommunications dans tout le pays".

Les revenus exclus du plan de partage de Télécom Canada sont ceux déjà mentionnés, c'est‑à‑dire les appels interurbains entre membres adjacents ainsi que les services d'appels locaux et interurbains à l'intérieur de la province d'un membre.

En ce qui concerne le rôle de Télécom Canada à l'égard des arrangements pris entre ses membres et diverses entreprises de télécommunications internationales, le juge Reed affirme (aux pp. 17 et 18 C.F.):

Le RTT a aussi pour fonction de coordonner les opérations avec les entreprises de télécommunications américaines et avec Téléglobe au sujet des services outre‑mer. AGT ne traite pas directement avec ces entreprises qui ne sont pas membres du RTT; ce sont les comités appropriés du RTT qui s'en chargent.

. . .

J'ai précédemment et ailleurs dans les présents motifs appelé ces accords les accords du RTT. Le RTT n'est pas, bien entendu, une personne morale et donc, bien qu'on dise que les accords sont convenus avec le RTT, ses membres sont toujours expressément nommés comme parties contractantes. Par ailleurs, il y a fréquemment dans l'accord une clause qui stipule que le cocontractant, non membre du RTT, peut traiter avec le président du RTT et sa chambre de compensation sans avoir à traiter avec chaque partie contractante individuellement.

Enfin, dans son résumé des faits, le juge Reed a dit à la p. 20, que l'AGT faisait partie intégrante de l'organisation de Télécom Canada tant au niveau du conseil d'administration que, semble‑t‑il, au niveau du personnel.

Cela termine ma revue des faits et j'entreprends maintenant l'examen des deux questions constitutionnelles que j'aborderai successivement.

III. La première question constitutionnelle — La question de la compétence

a) Les décisions de la Cour fédérale

(i)La Division de première instance de la Cour fédérale — Le juge Reed

Le juge Reed a conclu que l'AGT était un ouvrage ou une entreprise de nature fédérale au sens de l'al. 92(10)a). À son avis, la méthode d'analyse appropriée consistait à déterminer si l'entreprise exerçait "une activité extra‑provinciale continue et régulière suffisamment importante" (à la p. 481.) Elle a conclu (à la p. 482 C.F.):

Là où il y a litige, c'est lorsqu'il s'agit de savoir si elle devrait être qualifiée d'entreprise locale ou au contraire d'entreprise "reliant la province à une autre ou à d'autres provinces, ou s'étendant au‑delà des limites de la province".

Les preuves rapportées ne semblent laisser d'autre alternative que de conclure qu'AGT exerce un degré important d'activités interprovinciales continues et régulières et qu'elle doit donc être considérée comme de la seconde espèce.

Le juge Reed a rejeté l'argument de l'AGT qui prétendait ne pas être visée par l'al. 92(10)a) parce qu'elle n'a pas d'installations matérielles à l'extérieur de l'Alberta. Le juge a souligné que le texte de l'al. 92(10)a) exige seulement que l'entreprise "relie" les provinces. À son avis, l'article n'exige pas qu'il y ait des installations matérielles à l'extérieur de la province. De plus, les tribunaux ont donné un sens large au terme "entreprise" et, dans son argumentation, l'AGT a trop insisté sur le lieu et la nature de ses installations matérielles.

Le juge Reed a affirmé, à la p. 484 C.F., que "La caractéristique qui s'avère cruciale donc, c'est la nature de l'entreprise elle‑même, non le matériel qu'elle emploie". Appliquant ce critère aux faits, le juge Reed fait remarquer (à la p. 484 C.F.):

AGT offre à ses abonnés des services de télécommunications locaux, interprovinciaux et internationaux. Ses installations matérielles servent à fournir ces trois services, sans distinction — ils sont totalement intégrés. D'ailleurs on ne pourrait séparer le local de ce qui ne l'est pas sans émasculer l'entreprise qu'est AGT dans son état actuel.

Le juge a cependant reconnu avec l'AGT que le raccordement matériel lui‑même n'était peut‑être pas suffisant pour assujettir une entreprise au pouvoir de réglementation fédéral: "Il faut quelque chose de plus; ce quelque chose, on l'a décrit comme la manière dont le système est exploité" (p. 486 C.F.)

Pour conclure à l'existence d'un "lien organisationnel suffisant", le juge Reed s'est penchée sur le rôle de l'AGT au sein de Télécom Canada et s'est ainsi attaquée à l'argument que Télécom Canada n'est pas une personne morale et que chaque partie exploite son propre système et ne dessert que ses propres clients. Le juge Reed a rejeté ce type d'argument parce que c'est "donner là trop d'importance aux subtilités de la structure juridique en écartant la réalité des faits" (p. 486 C.F.) Elle a conclu que Télécom Canada et le rôle qu'y joue l'AGT démontrent l'existence d'une entreprise commune et conjointe de télécommunications et indiquent que l'AGT n'exploitait pas une entreprise de nature purement locale.

Le fait qu'aux yeux de la loi l'AGT conserve en droit le contrôle de ses installations n'était pas déterminant parce que, selon le juge Reed (à la p. 487 C.F.):

... en pratique, elle [l'AGT] ne peut s'isoler de l'entreprise conjointe qu'est le RTT sans détruire son système de télécommunications tel qu'il existe actuellement. Le fait qu'il faille l'accord unanime des membres du RTT ne saurait masquer les contraintes que l'existence du système intégré et l'interdépendance de ses membres imposent.

Pour conclure, le juge Reed a souligné que le fait que le gouvernement fédéral n'ait pas revendiqué son pouvoir de réglementation pendant les quelque 80 années de croissance des systèmes téléphoniques n'a aucune incidence sur la question de la compétence constitutionnelle et ne donne pas lieu à une "forme de prescription acquisitive" (p. 488 C.F.)

ii)La Cour d'appel fédérale — Le juge Pratte (les juges Heald et Urie)

Le juge Pratte (aux motifs duquel ont souscrit les juges Heald et Urie) s'est dit d'accord avec le raisonnement du juge Reed et avec sa conclusion sur la question constitutionnelle. Il a rejeté l'argument des avocats portant que le juge Reed a confondu la nature de l'entreprise de l'AGT avec celle des services fournis à ses clients, qui ont certes une portée extraprovinciale, et qu'elle a en outre eu tort de tenir compte du rôle joué par d'autres sociétés. Le juge Pratte a répondu à cet argument et a ajouté un autre motif justifiant la conclusion du juge Reed (précité, aux pp. 186 et 187):

À la lecture des motifs du juge Reed, je suis d'avis qu'elle n'a pas fondé sa conclusion sur la nature des services fournis par le RTT mais sur le fait que l'entreprise d'AGT était exploitée en tant que partie intégrante d'un système de télécommunications national. Selon mon opinion, ce fait, qui n'a pas été sérieusement contesté devant nous, appuyait sa conclusion. Mais, même si ce n'était pas le cas, il existerait, selon moi, un autre motif soutenant cette conclusion: dans le cadre de l'exploitation de son entreprise, AGT utilise régulièrement ses tours micro‑ondes pour transmettre des messages à des points situés à l'extérieur de l'Alberta. À mon avis, cela démontre clairement que l'entreprise d'AGT n'est pas purement locale mais est une entreprise reliant l'Alberta à d'autres provinces.

b)Analyse: l'AGT est‑elle un ouvrage ou une entreprise au sens de l'al. 92(10)a)?

Permettez‑moi de dire au départ qu'aucune partie ni aucun intervenant n'ont tenté en l'espèce de faire valoir l'existence d'une compétence partagée où les aspects intraprovinciaux ou locaux des opérations de l'AGT relèveraient de la province alors que les aspects interprovinciaux et internationaux relèveraient du Parlement. C'est une question de tout ou rien.

Il ressort clairement de la jurisprudence que si un ouvrage ou une entreprise relève de l'al. 92(10)a), la province perd compétence à son égard et le Parlement fédéral exerce une compétence exclusive (City of Montreal v. Montreal Street Railway, [1912] A.C. 333 (C.P.) (ci-après Montreal Street Railway), à la p. 342; Attorney-General for Ontario v. Winner, [1954] A.C. 541 (C.P.) (ci-après Winner), à la p. 568).

Dans l'arrêt Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115 (ci-après Northern Telecom, 1980), cette Cour a formulé les principes constitutionnels appropriés pour décider si c'était le gouvernement fédéral ou les provinces qui avaient compétence pour légiférer sur les relations de travail des employés. La question était de savoir si les surveillants des installateurs de matériel de télécommunications étaient assujettis à la compétence du gouvernement fédéral.La Cour a refusé de répondre à la question en raison de l'absence quasi totale de faits décisifs sur le plan constitutionnel. La Cour a cependant formulé le cadre d'analyse approprié dans les cas où une question semblable est soulevée. La Cour a adopté et résumé l'analyse antérieure que le juge Beetz avait faite à ce propos dans l'arrêt Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754. Deux des six principes formulés à la p. 132 de l'arrêt Northern Telecom, 1980, sont pertinents en l'espèce:

(5) La question de savoir si une entreprise, un service ou une affaire relève de la compétence fédérale dépend de la nature de l'exploitation.

(6) Pour déterminer la nature de l'exploitation, il faut considérer les activités normales ou habituelles de l'affaire en tant qu'"entreprise active", sans tenir compte de facteurs exceptionnels ou occasionnels; autrement, la Constitution ne pourrait être appliquée de façon continue et régulière.

Il y a amplement de jurisprudence à l'appui de la proposition selon laquelle la question essentielle dans tous les cas concerne la nature ou le caractère de l'entreprise qui est en fait exploitée: City of Toronto v. Bell Telephone Co. of Canada, [1905] A.C. 52 (C.P.) (ci-après Toronto v. Bell), à la p. 59; Winner, précité, aux pp. 581 et 582; The Queen in the Right of the Province of Ontario v. Board of Transport Commissioners, [1968] R.C.S. 118, à la p. 127 (ci-après l'affaire du "train de banlieue"); Kootenay & Elk Railway Co. c. Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, [1974] R.C.S. 955, aux pp. 979 et 980 (ci-après Kootenay & Elk Railway Co.); Saskatchewan & Power Corp. c. TransCanada Pipelines Ltd., [1979] 1 R.C.S. 297, à la p. 308; Luscar Collieries Ltd. v. McDonald, [1925] R.C.S. 460, à la p. 475 (ci-après Luscar Collieries).

À mon avis, il est impossible de formuler en l'absence de contexte un seul critère qui soit complet et utile dans tous les cas relatifs à l'al. 92(10)a). Le dénominateur commun de ces arrêts est simplement que ce sont les faits particuliers de chaque cas qui doivent guider le tribunal, une méthode dictée par l'arrêt de cette Cour Northern Telecom, 1980, précité. Il est possible de trouver des analogies utiles dans la jurisprudence, mais dans chaque cas, la réponse à cette question constitutionnelle variera selon les faits qui doivent être examinés soigneusement comme l'a fait le juge de première instance en l'espèce.

On a reconnu que l'AGT est une "entreprise" au sens de l'al. 92(10)a) (voir le juge Reed, précité, à la p. 482 C.F.) et la question est de savoir s'il s'agit d'une entreprise de nature "locale" et donc de compétence provinciale ou une entreprise "reliant la province à une autre ou à d'autres provinces, ou s'étendant au‑delà des limites de la province" et donc de compétence fédérale.

L'AGT appelante soutient qu'elle est une entreprise de nature locale et accorde beaucoup d'importance au fait que, sous réserve de Lloydminster (Saskatchewan), toutes les installations matérielles de l'AGT et tous ses abonnés se trouvent uniquement en Alberta. Je reconnais que le cas de Lloydminster n'est pas important sur le plan constitutionnel (voir l'arrêt Northern Telecom, 1980, précité, à la p. 132), mais je n'accepte pas l'argument de l'AGT.

Cette Cour a clairement affirmé que l'emplacement des installations dans une province et le fait que tous les bénéficiaires d'un service se trouvent dans une seule province n'empêchent pas de conclure qu'une entreprise a une portée interprovinciale. Dans l'arrêt Capital Cities Communications Inc. c. Conseil de la Radio‑Télévision canadienne, [1978] 2 R.C.S. 141, (ci-après Capital Cities) le juge en chef Laskin, s'exprimant au nom de la Cour à la majorité, a rejeté un argument semblable à l'égard des sociétés de câblodistribution (à la p. 159):

Il est évident que ces systèmes sont des entreprises qui s'étendent au‑delà des limites de la province où sont situées leurs installations; en outre, bien plus que dans l'affaire Winner, ils constituent chacun une seule entreprise qui traite les signaux lui parvenant par‑delà la frontière et les transmet, quoique après les avoir convertis, à ses abonnés grâce à son réseau de câbles. [Je souligne.]

Dans l'arrêt Régie des services publics c. Dionne, [1978] 2 R.C.S. 191 (ci-après Dionne), la Cour a affirmé que c'était se méprendre sur la question que d'axer l'analyse sur le lieu où se trouvent les abonnés ou sur l'entité distincte que représente la société qui exploite le service. Le juge en chef Laskin affirme, au nom de la Cour à la majorité, à la p. 197:

La question fondamentale n'est pas de savoir si le service de câblodistribution se limite aux abonnés de la province ou s'il est exploité par une entreprise locale, mais plutôt en quoi consiste ce service . . . Dans tous ces cas, il faut rechercher quel est le service fourni et pas simplement quels sont les moyens utilisés.

Je suis d'accord avec le juge Reed pour dire que l'AGT insiste trop sur les installations matérielles qu'elle utilise pour fournir ses services interprovinciaux et internationaux. Il faut se préoccuper principalement non pas des structures matérielles ou de leur emplacement géographique, mais plutôt du service que l'entreprise fournit au moyen de ses installations matérielles. Le fait qu'une société ne possède pas ou n'exploite pas d'installations matérielles à l'extérieur d'une province donnée ne signifie pas que son entreprise est forcément de nature locale (voir: R. v. Toronto Magistrates, Ex Parte Tank Truck Transport Ltd., [1960] O.R. 497, et R. v. Cooksville Magistrate's Court, Ex parte Liquid Cargo Lines Ltd., [1965] 1 O.R. 84 (H.C.), à la p. 89, le juge Haines).

Le fait que l'AGT émette et reçoive des signaux électroniques aux frontières de l'Alberta indique qu'elle exploite une entreprise interprovinciale. J'estime que la remarque déjà citée du juge en chef Laskin dans l'arrêt Capital Cities, est parfaitement applicable en l'espèce. Dans cet arrêt, le Juge en chef a dit des systèmes de câblodistribution qu'il était "évident que ces systèmes sont des entreprises qui s'étendent au‑delà des limites de la province où sont situées leurs installations" (précité, à la p. 159). L'analogie est appropriée puisque le système de télécommunications de l'AGT, dans son ensemble, relie l'Alberta au reste du Canada et aux États‑Unis, ainsi qu'à d'autres parties du monde. Il ne fait pas de doute qu'il s'étend au‑delà de la province de l'Alberta.

L'AGT ne conteste pas qu'un bon nombre de ses services sont de nature interprovinciale et internationale et elle reconnaît que son système est raccordé aux systèmes exploités par des entreprises de télécommunications en Colombie‑Britannique, en Saskatchewan, dans les territoires du Nord‑Ouest et aux États‑Unis. Comme le souligne le juge Reed, les installations matérielles de télécommunications de l'AGT ne sont pas seulement raccordées aux frontières, mais encore il existe une intégration plus complète; les mêmes appareils, lignes et réseaux micro‑ondes téléphoniques servent à des fins locales, interprovinciales et même internationales. L'AGT prétend toutefois que les raccordements aux frontières de l'Alberta ne sont pas suffisants pour qualifier l'AGT d'entreprise interprovinciale plutôt que locale.

Cet argument exige qu'on examine d'anciennes décisions en matière de chemins de fer. Dans l'arrêt Montreal Street Railway, précité, le Conseil privé a conclu qu'une ligne purement locale reliée à un chemin de fer assujetti à la compétence fédérale en raison d'une déclaration en vertu de l'al. 92(10)c) n'était pas du seul fait de ce raccordement assujettie également à la compétence fédérale. Il convient cependant de souligner qu'aucune des lignes de chemin de fer visées ne s'étendait vraiment à l'extérieur de la province ou la reliait à une autre province.

Le Conseil privé n'a pas cité l'arrêt Montreal Street Railway dans l'arrêt Luscar Collieries, précité. Dans ce dernier arrêt, on a décidé qu'une petite ligne de chemin de fer à charbon reliée à celles de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et exploitée par cette dernière compagnie relevait de la compétence fédérale. Selon les arrangements contractuels intervenus entre les parties, le trafic entre les deux lignes se faisait librement et on a donc décidé que l'embranchement, indépendamment du fait qu'il était situé entièrement dans une seule province, constituait une entreprise interprovinciale (voir également l'affaire du train de banlieue, précitée).

Cette Cour a fait une distinction d'avec l'arrêt Luscar Collieries, précité, et a appliqué l'arrêt Montreal Street Railway, précité, dans l'arrêt British Columbia Electric Railway Co. v. Canadian National Railway Co., [1932] R.C.S. 161. Dans cet arrêt, la ligne de chemin de fer de l'appelante était reliée sur un mille à deux autres lignes qui relevaient de la compétence fédérale, l'une en raison d'une déclaration et l'autre parce qu'elle s'étendait au‑delà des limites de la province. Il a été décidé que le simple raccordement d'une ligne de nature locale à un système fédéral ne saurait être suffisant pour assujettir la ligne locale à la compétence fédérale en l'absence d'une intégration fonctionnelle des deux lignes.

Dans l'arrêt Kootenay & Elk Railway Co., précité, cette Cour a décidé, à la majorité, que la province de la Colombie‑Britannique avait le pouvoir de constituer en personne morale une entreprise dont les lignes ferroviaires projetées devaient s'arrêter à un quart de pouce de la frontière américaine. La société devait livrer du charbon au nord de la frontière où il serait pris en charge par une société américaine qui le livrerait à sa destination finale dans l'ouest de la Colombie‑Britannique. La Cour a cependant indiqué que le raccordement et l'exploitation ultérieurs pourraient avoir pour effet d'assujettir la ligne projetée à la compétence fédérale. Le juge Martland (aux motifs duquel ont souscrit les juges Abbot et Ritchie) affirme, à la p. 980:

Il se peut [. . .] qu'une fois les deux lignes jointes, nous soyons en présence d'une seule entreprise de nature internationale. Mais, à mon avis, cette possibilité n'empêchait pas la législature de la Colombie‑Britannique d'autoriser la création d'une compagnie en vue de la construction d'une ligne de chemin de fer entièrement située dans les limites de la province. [Je souligne.]

Le juge Martland ajoute, à la p. 982:

En résumé, je suis d'avis qu'une législature provinciale peut autoriser la construction d'une ligne de chemin de fer qui est entièrement située à l'intérieur des limites de la province. Le fait qu'un tel chemin de fer puisse par la suite, en raison de sa liaison avec un autre chemin de fer ou de sa mise en service, devenir soumis à la réglementation fédérale ne touche pas au pouvoir de la législature provinciale de le créer. [Je souligne.]

Ce bref examen de la jurisprudence indique donc que le simple raccordement d'installations matérielles situées dans une province à celles d'une autre province, territoire ou État voisin peut être insuffisant pour qualifier l'entreprise visée comme étant de nature interprovinciale.

Il est cependant clair qu'en l'espèce les faits révèlent plus que l'existence d'un simple raccordement matériel du système de l'AGT aux frontières provinciales. Il a été établi que l'AGT, en raison des divers arrangements commerciaux de nature bilatérale et multilatérale, est structurée d'une façon qui lui permet de jouer un rôle essentiel dans le système national de télécommunications. C'est par l'intermédiaire des mécanismes organisationnels décrits auparavant que l'AGT peut offrir à ses abonnés locaux des services de nature interprovinciale et internationale.

Les appelants prétendent que l'analyse du juge Reed est viciée du fait qu'elle a d'abord décidé que Télécom Canada est une entreprise interprovinciale, pour ensuite juger que l'AGT faisait partie intégrante de cet organisme et enfin conclure de cela que l'AGT était aussi une entreprise interprovinciale. Les appelants tiennent à ce que la Cour ne perde pas de vue le fait que la question n'est pas de savoir si Télécom Canada est assujettie au pouvoir de réglementation du CRTC, mais bien de savoir si l'AGT est assujettie à ce pouvoir. On soutient que la Cour ne devrait pas tenir compte des rapports de l'AGT avec Télécom Canada qui, comme le souligne l'AGT, n'a pas de personnalité juridique et n'exploite pas sa propre entreprise, en citant l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario Canadian Pacific Ltd. v. Telesat Canada (1982), 36 O.R. (2d) 229, dans lequel on a conclu que l'accord de raccordement de Télécom Canada n'était pas un contrat de société. Les appelants soutiennent enfin que Télécom Canada n'est que la somme de ses membres, dont chacun agit indépendamment des autres et possède et exploite son propre système.

Je suis d'avis que les prétentions de l'AGT quant à ses rapports avec Télécom Canada doivent être rejetées.

Premièrement, je ne suis pas d'accord pour dire que la décision du juge Reed se fonde sur la conclusion que l'AGT est une entreprise interprovinciale en raison de son seul rôle comme partie intégrante dans l'organisation de Télécom Canada qui est également de nature interprovinciale. À mon avis, le juge Reed a conclu que l'AGT elle‑même exploite une entreprise interprovinciale et qu'elle le fait principalement grâce à des contrats bilatéraux, à son rôle au sein de Télécom Canada et au raccordement de son système aux frontières de l'Alberta. Je partage cette conclusion. Le fait que la Cour ne soit pas appelée à évaluer la nature constitutionnelle de Télécom Canada ne rend pas son existence inutile dans l'analyse de l'entreprise de l'AGT. Les appelants souhaiteraient en effet que la Cour ignore l'existence de Télécom Canada et de ses rapports avec l'AGT.

À la base de plusieurs arguments se trouve l'hypothèse injustifiée selon laquelle en choisissant une forme particulière de constitution en personne morale les divers intervenants sont en mesure de prévoir la réponse à la question constitutionnelle. La Cour a clairement affirmé dans ce domaine du droit constitutionnel que ce sont les faits de l'espèce qui sont déterminants et non la structure commerciale que revêtent les entités visées. Dans l'arrêt Northern Telecom, 1980, précité, on a approuvé l'observation suivante formulée par le président du Labour Relations Board de la Colombie‑Britannique dans la décision Arrow Transfer Co., [1974] 1 Can. L.R.B.R. 29, aux pp. 34 et 35, a été approuvée, à la p. 133:

[TRADUCTION] Dans chaque cas, la décision est un jugement à la fois fonctionnel et pratique sur le caractère véritable de l'entreprise active et il ne dépend pas des subtilités juridiques de la structure de la société en cause ou des relations de travail.

Après avoir fait état des divers articles de doctrine portant sur la question générale de la compétence constitutionnelle en matière de télécommunications, la Cour dans l'arrêt Northern Telecom, 1980 fait la remarque appropriée suivante, à la p. 134:

Dans le domaine du transport et des télécommunications, il est évident que les subtilités juridiques des structures des sociétés ne sont pas déterminantes. Comme le fait remarquer McNairn aux pages 380 et 381 de son article précité:

[TRADUCTION] Une entreprise de transport ou de communication peut constituer une activité d'une société et elle peut être séparée de l'entreprise globale, ou ne pas l'être; elle peut même être plus importante que l'entreprise exploitée par une seule société. Pour trancher de telles questions, il peut être utile d'étudier les objets de la société. Mais, dans tous les cas, il est primordial d'examiner l'intégration, en pratique, des diverses activités de la société (y compris ses structures si plus d'une société est impliquée) et leur interdépendance intrinsèque. [Je souligne.]

Bien que les observations qui précèdent aient été faites dans une affaire où il s'agissait de déterminer si une filiale donnée était une partie essentielle d'une entreprise de télécommunications interprovinciale (Bell Canada), la théorie sous‑jacente est parfaitement applicable en l'espèce. La compétence constitutionnelle ne devrait pas varier en fonction de la forme de constitution en personne morale dont il est question.

Je conclus que le rôle de l'AGT et ses rapports avec Télécom Canada sont pertinents pour ce qui est de déterminer la nature constitutionnelle de l'AGT. Les faits ne laissent planer aucun doute, l'AGT est le mécanisme par lequel les résidents de l'Alberta bénéficient de services de télécommunications interprovinciales et internationales. Ces services sont offerts grâce à des arrangements juridiques et matériels qui sont empreints d'une très grande coopération.

L'un des principaux moyens utilisés par l'AGT pour étendre ses services au‑delà de la province et du pays est l'organisation Télécom Canada. Il n'est pas nécessaire de qualifier les rapports juridiques qui existent entre les membres de Télécom Canada. Il s'agit d'une espèce d'entreprise conjointe et d'une caractéristique nécessaire de l'entreprise globale de l'AGT. Je conviens avec le juge Reed que l'AGT ne pourrait se dissocier de Télécom Canada sans modifier sensiblement la nature fondamentale de son entreprise.

Les rapports de l'AGT avec Télécom illustrent également le rôle que joue l'AGT dans la prestation des services de télécommunications à l'ensemble des Canadiens. Le système téléphonique national dans sa forme actuelle résulte en grande partie des arrangements pris avec Télécom Canada. L'AGT est un partenaire actif dans ce système national, ce qui renforce la conclusion que l'AGT n'exploite pas une entreprise entièrement locale.

Je n'accorde pas d'importance au fait que les membres de Télécom Canada soient propriétaires de leurs "ouvrages" respectifs. En l'espèce, le droit de propriété de chacun sur les ouvrages n'a pas pour effet de supprimer le niveau d'intégration qui existe entre le système de chaque membre et le degré de coopération et de coordination qui existe au sein du système téléphonique national; cela n'enlève rien à la nature interprovinciale du système de l'AGT et ne fait pas de Télécom Canada une simple association de parties intéressées dépourvue de toute structure. Le fait d'être propriétaire n'est pas en soi décisif (voir Northern Telecom, 1980, précité, aux pp. 133 et 134; Dionne, précité, à la p. 197; Hogg, Constitutional Law of Canada, 2e éd., à la p. 490).

Plusieurs intervenants ont présenté un argument connexe relativement à l'arrêt de cette Cour Fulton c. Energy Resources Conservation Board, [1981] 1 R.C.S. 153 (ci-après Fulton). On a souligné que l'AGT ne pouvait pas, de son propre chef, fournir des services à l'extérieur de la province et que des accords de coopération devaient être conclus à cette fin. On affirme que lorsqu'un organisme particulier ne peut, de son propre chef, établir un raccordement interprovincial, cette entreprise conserve son caractère local. Cette affirmation ressort d'un passage particulier de l'arrêt Fulton, précité.

Dans l'arrêt Fulton, il s'agissait de déterminer si l'Energy Resources Conservation Board de l'Alberta avait compétence pour instruire la requête présentée par la Calgary Power Ltd. en vue d'obtenir la permission de construire et d'exploiter une ligne de transport d'électricité jusqu'à un endroit situé près de la frontière entre l'Alberta et la Colombie‑Britannique où la ligne serait reliée à une ligne devant être construite en Colombie‑Britannique, conformément à un accord conclu entre la Calgary Power Ltd. et la B.C. Hydro and Power Authority. La Cour a conclu que la Calgary Power Ltd. était une entreprise de nature locale. Dans les motifs qu'il a rédigé au nom de la Cour, le juge en chef Laskin affirme ce qui suit, à la p. 166:

Certaines remarques du Conseil privé dans l'arrêt Winner, par exemple aux pp. 574 et 575 du recueil [1954] A.C. 541, laissent croire que l'intention d'exploiter sur le plan interprovincial peut suffire à exclure des ouvrages ou une entreprise du pouvoir de réglementation provincial ou, sinon la seule intention, le fait de prendre toutes les mesures nécessaires pour exploiter sur le plan interprovincial. Il peut en être ainsi lorsque l'exploitation interprovinciale est confiée à un seul promoteur, comme dans l'affaire Winner et également dans l'affaire Toronto v. Bell Telephone Co., précitée, citée dans l'arrêt Winner et qui, pourtant, reposait sur l'existence d'une loi fédérale. Cependant, en l'espèce, il n'y a pas de promoteur unique qui peut à lui seul faire un raccordement interprovincial et, à mon avis, on peut à bon droit considérer les ouvrages envisagés en Alberta comme des ouvrages de nature locale aux fins de la demande présentée à l'Energy Resources Conservation Board.

On fait valoir que, puisque l'AGT n'est pas un promoteur unique, ce n'est pas une entreprise interprovinciale.

Il me semble que ces remarques sont citées hors contexte. À mon avis, elles ne s'appliquent aucunement à l'espèce. L'argument soulevé dans les arrêts Toronto v. Bell, précité, et Winner, précité, concerne le cas où l'entreprise demeure à l'état de projet. Dans les deux cas, le Conseil privé a rejeté l'argument portant qu'une entreprise n'a pas d'existence tant qu'elle n'est pas mise à exécution (voir: Winner, précité, à la p. 575).

On se souviendra que, dans l'arrêt Fulton, précité, on n'avait pas commencé la construction non plus. De toute évidence, ce n'est pas le cas en l'espèce. Nous ne sommes pas en présence d'un projet, entretenu par une compagnie de téléphone dans une province, de raccorder ses installations à celles d'une compagnie située dans une autre province.

Je suis également d'avis qu'il faut examiner l'arrêt Fulton en fonction de ses faits et de son historique des procédures particuliers. Il existe de nombreux facteurs qui distinguent ce pourvoi de la présente affaire. Premièrement, la demande ne relevait d'aucun pouvoir de réglementation fédéral. Deuxièmement, si le Parlement avait choisi d'agir, Calgary Power n'aurait pas contesté l'exercice du pouvoir fédéral, à tout le moins à l'endroit du raccordement. Troisièmement, l'Alberta Board n'a pas prétendu exercer un pouvoir de réglementation sur les rapports entre les deux sociétés visées par l'accord.

Tout au long du jugement, on a le sentiment que si le gouvernement fédéral avait voulu revendiquer compétence sur le raccordement des lignes de transport d'électricité à la frontière de l'Alberta et de la Colombie‑Britannique, il aurait pu le faire. Le juge en chef Laskin affirme, au nom de la Cour, à la p. 162:

Un pouvoir fédéral non exercé peut laisser une marge de man{oe}uvre au pouvoir provincial relatif aux ouvrages et entreprises d'une nature locale et telle est, à mon avis, la situation en l'espèce.

Quoi qu'il en soit, si j'étais d'avis que le critère d'un promoteur unique était essentiel, je n'hésiterais pas à considérer l'AGT et les autres membres de Télécom Canada comme des "promoteurs uniques" du fait qu'ils agissent ensemble, comme un seul tout, au moyen d'une entreprise conjointe pour réaliser les divers raccordements interprovinciaux qui constituent le pivot du système canadien de télécommunications. Ignorer l'interdépendance des divers membres de Télécom Canada en raison de leur structure juridique distincte reviendrait à sacrifier le fond au dépens de la forme et n'aurait aucune valeur constitutionnelle. Je considère non fondé l'argument selon lequel la participation de l'AGT au trafic interprovincial de signaux commence et prend fin à la frontière albertaine. Cela est aussi irréaliste qu'il était irréaliste de considérer les stations de câblodistribution comme des entités distinctes une fois le signal radio capté par leur antenne. L'AGT, de concert avec les autres membres de Télécom, fournit la structure matérielle pour la prestation de services interprovinciaux et internationaux de télécommunications. C'est l'AGT elle‑même qui fournit le raccordement essentiel aux frontières de l'Alberta.

c) Conclusion quant à la question de la compétence

Par conséquent, compte tenu des faits qu'elle a constatés, je suis d'avis de confirmer la conclusion du juge Reed que l'AGT est une entreprise interprovinciale au sens de l'al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867.

Puisqu'il est possible de répondre à la question de la compétence en fonction de l'al. 92(10)a), il n'est pas nécessaire d'examiner les arguments concernant la paix, l'ordre et le bon gouvernement.

IV.La seconde question constitutionnelle — La question de l'immunité de la Couronne

a) Les décisions de la Cour fédérale

(i)La Division de première instance de la Cour fédérale — Le juge Reed

Tout en concluant que l'AGT relevait de la compétence fédérale en vertu de l'al. 92(10)a), le juge Reed a décidé qu'en sa qualité de mandataire de la Couronne du chef de l'Alberta, l'AGT n'était pas liée par les dispositions applicables de la Loi sur les chemins de fer, précitée, ni assujettie à la compétence du CRTC. Le juge Reed s'est appuyée sur l'arrêt de principe Sa Majesté du chef de la province de l'Alberta c. Commission canadienne des transports, [1978] 1 R.C.S. 61 (ci‑après l'affaire PWA) pour affirmer que la Couronne provinciale n'est pas liée par la législation fédérale en vertu de l'art. 16 de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I‑23, ou de la common law. Le juge Reed n'a trouvé dans la Loi sur les chemins de fer aucune déclaration liant expressément un mandataire de la Couronne provinciale ni quoi que ce soit dans les dispositions législatives applicables qui laisserait croire que le mandataire de la Couronne provinciale devrait être lié par "déduction nécessaire".

Le juge Reed a également rejeté la prétention que l'AGT avait renoncé à son droit d'invoquer l'immunité. Bien que l'AGT ait pu bénéficier de l'approbation par le CRTC des accords du RTT, on ne peut affirmer qu'elle se soit soumise à tous égards à la Loi sur les chemins de fer. L'AGT n'avait jamais cherché à obtenir l'approbation du CRTC et le CRTC ne l'avait jamais obligée à le faire auparavant. Le juge Reed a donc conclu, aux pp. 498 et 499 C.F., précité, qu'il n'y a "aucun lien entre une renonciation à l'immunité relativement aux accords du RTT et à la prétention du CN-CP (qu'il soit ordonné à AGT de lui permettre un raccordement)".

Enfin, le juge Reed a conclu que l'AGT n'avait pas perdu sa qualité de mandataire de la Couronne provinciale en s'engageant dans des activités interprovinciales. Elle a conclu, que puisque la législature provinciale peut constituer en personne morale des entités qui oeuvrent dans des domaines qui relèvent du pouvoir de réglementation fédéral, l'AGT n'a pas perdu sa qualité de mandataire de la Couronne provinciale lorsque ses activités se sont étendues au‑delà de la prestation de services locaux de télécommunications. Par conséquent, le juge Reed a conclu qu'il devrait être interdit au CRTC d'entendre la requête présentée par CNCP.

(ii)La Cour d'appel fédérale — Le juge Pratte (aux motifs duquel ont souscrit les juges Heald et Urie)

Le juge Pratte est parvenu à la conclusion contraire sur la question de l'immunité de la Couronne. Il a accepté le principal argument de CNCP selon lequel l'AGT ne peut invoquer l'immunité de la Couronne si elle exploite un ouvrage ou une entreprise de nature interprovinciale au sens de l'al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 parce que, ce faisant, elle poursuit d'autres fins publiques que celles prévues par la loi. Le juge Pratte a examiné les dispositions applicables de l'Alberta Government Telephones Act et de la Public Utilities Board Act et a conclu ceci à la p. 194, précité:

Il ressort de ces dispositions que la législature de l'Alberta avait, lorsqu'elle a constitué l'AGT, l'intention que cette société établisse et entretienne dans la province un système de télécommunications qui serait régi par la Public Utilities Board Act de cette province. À mon avis, comme cette loi ne peut régir que les entreprises qui ne sont pas décrites aux alinéas 92(10)a),b) et c) de la Loi constitutionnelle de 1867, il s'ensuit que la législature avait l'intention qu'AGT exploite une entreprise de nature locale et qu'AGT, en exploitant une entreprise de nature fédérale, a outrepassé ses pouvoirs en n'agissant pas conformément aux fins pour lesquelles elle a été constituée. En conséquence, elle ne peut invoquer sa qualité de mandataire de la Couronne pour se soustraire à l'application des lois qui régissent les entreprises fédérales.

L'ordonnance du juge Reed a donc été annulée et la demande de bref de prohibition présentée par l'AGT a été rejetée.

b)L'applicabilité de l'art. 16 de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I‑23, à la Couronne provinciale

Il appert qu'en sa qualité de personne morale qui relève de la compétence fédérale au sens de l'al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867, l'AGT sera assujettie au pouvoir de réglementation du CRTC, conformément aux art. 5 et 320 de la Loi sur les chemins de fer, si des règles spéciales relatives à l'immunité de la Couronne ne s'appliquent pas en l'espèce. Toutefois, l'AGT est un mandataire de la Couronne du chef de l'Alberta en raison du par. 42(1) de l'Alberta Government Telephones Act, précitée, qui prévoit comme je l'ai déjà souligné:

[TRADUCTION] 42(1) La Commission est mandataire de la Couronne du chef de l'Alberta et ne peut exercer ses pouvoirs qu'à ce titre.

L'immunité de la Couronne, telle qu'elle existe au Royaume‑Uni dans un régime unitaire qui vise une seule Couronne, soulève de nouveaux aspects lorsqu'elle s'applique à un État fédéral. Lorsque les pouvoirs législatif et exécutif sont séparés et ne peuvent exercer que des compétences définies, il faut répondre à la question suivante: la présomption selon laquelle la Couronne ne doit pas être liée par les termes généraux d'une loi s'applique‑t‑elle seulement en faveur de la Couronne du chef du gouvernement qui légifère ou bénéficie‑t‑elle à la Couronne dans toutes ses émanations, fédérales et provinciales?

Au cours de la première session de la première Législature canadienne, l'immunité de la Couronne contre l'application des lois fédérales avait été prévue (voir Acte concernant les Statuts du Canada, S.C. 1867, chap. 1, art. 7). À toutes fins pratiques, cette disposition est restée la même jusqu'à ce qu'elle soit modifiée par la Loi d'interprétation, S.C. 1967‑68, chap. 7, et elle prévoyait ce qui suit: (Loi d'interprétation, S.R.C. 1952, chap. 158, art. 16):

16. Nulle prescription ou disposition d'une loi n'atteint de quelque façon les droits de Sa Majesté, de ses héritiers ou de ses successeurs, à moins qu'il n'y soit formellement stipulé que Sa Majesté y est soumise.

L'article 16 actuel de la Loi d'interprétation provient de la modification apportée en 1967‑68:

16. Nul texte législatif de quelque façon que ce soit ne lie Sa Majesté ni n'a d'effet à l'égard de Sa Majesté ou sur les droits et prérogatives de Sa Majesté, sauf dans la mesure y mentionnée ou prévue.

Il s'agit donc de savoir si la mention de "Sa Majesté" dans une loi fédérale visant à faciliter l'interprétation d'autres lois fédérales doit s'entendre de la Couronne du chef du Canada seulement ou de la Couronne du chef d'une province également. La définition de "Sa Majesté" que l'on trouve à l'art. 28 de la Loi d'interprétation et qui est rendue applicable à l'interprétation de l'art. 16 en vertu du par 3(2) de la même loi ne nous éclaire pas beaucoup quant à savoir si elle vise la Couronne du chef d'une province. L'article 28 prévoit notamment ceci:

28. Dans chaque texte législatif

. . .

"royaumes et territoires de Sa Majesté" désigne tous les royaumes et territoires sous la souveraineté de Sa Majesté;

"Sa Majesté", "la Reine", "le Roi" ou "la Couronne" désigne le souverain du Royaume‑Uni, du Canada et de Ses autres royaumes et territoires, et chef du Commonwealth;

Dans l'affaire PWA, le juge en chef Laskin fait la remarque suivante au sujet de la définition de "Sa Majesté" contenue à l'art. 28 (aux pp. 70 et 71):

Bien que la définition précitée se réfère au "Canada", il faut la replacer dans le contexte des termes employés dans la Loi sur la désignation et les titres royaux, S.R.C. 1970, c. R‑12. Je ne crois pas que la définition elle‑même limite l'expression "Sa Majesté" à la seule Couronne du chef du Canada. Si c'était le cas, ce serait en raison de l'organisation constitutionnelle de notre système fédéral. [Je souligne.]

Le juge en chef Laskin conclut ceci (aux pp. 75 et 76):

J'estime inutile en l'espèce de décider si la définition des termes "Sa Majesté" à l'art. 28 de la Loi d'interprétation fédérale ne devrait désigner, pour des motifs d'ordre constitutionnel, que la Couronne du chef du Canada. Je me contenterai de suivre l'opinion traditionnelle selon laquelle la définition s'applique à la Couronne dans tous les domaines où elle peut être assujettie à une loi fédérale. [Je souligne.]

Même si le juge en chef Laskin n'a pas voulu se prononcer sur la portée précise de l'art. 16, la Cour a cependant décidé que le mandataire de la Couronne provinciale, PWA dans cette affaire, n'était pas lié par la loi fédérale en cause. Bien que le fondement précis de l'immunité du mandataire de la Couronne provinciale soit loin d'être clair dans l'affaire PWA, il ressort clairement de la dite affaire que cette immunité existe, à la p. 76:

À mon sens, si le gouvernement de l'Alberta ne peut se prévaloir de la protection prévue à l'art. 16 de la Loi d'interprétation fédérale, il peut à juste titre invoquer le principe de common law . . .

Les décisions anglo‑canadiennes qui ont porté sur cette question semblent avoir tenu pour acquis que l'immunité n'est pas restreinte à la Couronne du chef du Canada: outre l'affaire PWA, précitée, voir, par exemple, In re Silver Bros., Ld., [1932] A.C. 514, et l'affaire du train de banlieue. Plus récemment, la Cour a rendu l'arrêt Sparling c. Québec (Caisse de dépôt et placement du Québec), [1988] 2 R.C.S. 1015 (ci-après Sparling c. Québec), dans lequel on a tenu pour acquise l'applicabilité de l'art. 16 à un mandataire de la Couronne provinciale sans en traiter expressément.

Bien que, dans aucune de ces décisions, on n'ait examiné sérieusement le fondement de l'hypothèse selon laquelle l'immunité légale contre l'application des lois fédérales à la Couronne du chef d'une province, il reste qu'il existe une jurisprudence abondante et uniforme qui appuie ce point de vue. Je ne suis pas convaincu qu'il serait approprié de s'écarter de ce courant de jurisprudence en l'espèce. En effet, de nombreux arguments militent en faveur de cette interprétation.

Dans un article portant sur l'affaire PWA, précitée, intitulé "Comment" (1978), 56 R. du B. can. 145, à la p. 150, Colin McNairn expose brièvement les raisons pour lesquelles chaque palier de gouvernement devrait posséder une certaine marge de man{oe}uvre, même à l'intérieur de la sphère de compétence de l'autre palier:

[TRADUCTION] Dans un régime fédéral, il est logique d'imposer à une législature l'obligation d'inclure expressément l'autre palier de gouvernement dans ses lois si elles doivent s'y appliquer de façon restrictive. Cela permet aux différentes unités politiques de la fédération de conserver une certaine liberté qui soit conforme à leur indépendance respective. Cette dernière considération mène à une conclusion fort différente quant au sens approprié des expressions "Couronne" et "Sa Majesté" qui peuvent se retrouver dans des dispositions législatives qui accordent une immunité générale ou une exemption particulière à cette entité. Ces expressions, dans ce contexte, peuvent être interprétées à juste titre comme visant l'autre palier de gouvernement si on considère que le régime fédéral présuppose un degré important d'indépendance entre les provinces et l'autorité centrale.

Bien que, dans l'affaire PWA, précitée, il ait exprimé la crainte que l'application de l'art. 16 à la Couronne provinciale soit incompatible avec le concept de la divisibilité, le juge en chef Laskin s'est appuyé en partie sur un raisonnement très semblable à celui de McNairn pour conclure que la common law accorde à la Couronne provinciale l'immunité contre l'application des lois fédérales (à la p. 76):

On peut se demander pourquoi cette règle, élaborée dans le régime unitaire anglais, devrait s'appliquer dans un état fédéral? À mon avis, deux réponses sont possibles. Premièrement, si la Couronne du chef d'une province ne peut invoquer son immunité, à moins d'être liée expressément ou par déduction nécessaire, il en résulte un assujettissement automatique du gouvernement provincial à la législation fédérale, ce qui porterait atteinte à l'indépendance respective de la Couronne du chef du Canada et de la Couronne du chef d'une province que confère, en l'absence d'une législation valide à l'effet contraire, notre système constitutionnel. Deuxièmement, la règle de common law fait partie de ce qu'il convient d'appeler le droit de la Couronne et constitue un principe historique faisant partie du droit de notre pays depuis son origine; elle fait partie de notre droit en vertu du régime fédéral entré en vigueur en 1867, à l'avantage à la fois de la Couronne du chef du Canada et de la Couronne du chef d'une province.

On peut faire appel au même raisonnement pour appuyer l'interprétation constamment retenue par les tribunaux, selon laquelle l'art. 16, au même titre que la common law, vise les deux paliers de gouvernement. À mon avis, on n'a pas encore expliqué pourquoi il serait justifié de s'éloigner de l'opinion retenue antérieurement par cette Cour et le Conseil privé, selon laquelle la mention générale de "Sa Majesté" à l'art. 16 de la Loi d'interprétation vise la Couronne du chef d'une province ainsi que la Couronne du chef du Canada.

Dans son article intitulé "Federalism and Provincial Government Immunity" (1979), 29 U. of T. Law Journal 1, le professeur Katherine Swinton s'est dite d'avis qu'il existe des raisons sérieuses de protéger encore davantage les mandataires de la Couronne provinciale contre l'application des lois fédérales. Le professeur Swinton préconise le recours à un critère d'évaluation qui va au‑delà de l'analyse habituelle du partage des pouvoirs: voir particulièrement à la p. 19. Elle a soutenu que les tribunaux devraient soupeser les intérêts provinciaux et nationaux afin de déterminer dans quels cas l'immunité provinciale devrait être accordée à l'encontre des lois fédérales. À son avis, même si le Parlement a légitimement agi à l'intérieur de son champ de compétence législative, les intérêts qu'a la province dans le rôle d'intérêt public que joue son mandataire de la Couronne peuvent être suffisamment importants pour justifier les tribunaux d'accorder l'immunité à l'encontre de lois par ailleurs applicables. Le professeur Swinton préconise donc une forme d'immunité constitutionnelle et propose que l'art. 16 soit interprété de façon à ce que la Couronne provinciale ne soit ni totalement incluse ni totalement exclue. À son avis, l'art. 16 devrait être interprété différemment selon la question de savoir si le Parlement pourrait, dans une situation donnée, assujettir à ses lois un mandataire provincial après avoir soupesé les intérêts pertinents; voir à la p. 35, précité.

À mon avis, on aurait tort d'accepter une théorie de l'immunité constitutionnelle intergouvernementale. Si le Parlement a le pouvoir de légiférer ou de réglementer dans un domaine, les émanations de la Couronne provinciale devraient être liées si le Parlement en décide ainsi. Je suis d'accord avec l'observation que fait le juge en chef Laskin dans l'affaire PWA, précitée, à la p. 72:

Il est bien évident que le Parlement fédéral peut rendre la législation relevant de sa compétence applicable à la Couronne provinciale s'il en décide ainsi . . .

Il faut se rappeler que l'un des aspects de la théorie du caractère véritable est qu'une loi relative à un chef de compétence d'un palier de gouvernement peut validement toucher un chef de compétence de l'autre palier. Le fédéralisme canadien a évolué de façon à tolérer à plusieurs égards le chevauchement des lois fédérales et provinciales et, à mon avis, une théorie de l'immunité constitutionnelle n'est ni souhaitable ni nécessaire à la réalisation d'objectifs provinciaux réguliers.

c) La Loi sur les chemins de fer lie‑t‑elle la Couronne?

La Loi sur les chemins de fer ne saurait lier l'AGT que dans la mesure où la Couronne provinciale est "mentionnée ou prévue" dans cette loi. Peut‑on affirmer que la Couronne provinciale a été "mentionnée ou prévue" dans les dispositions applicables de la Loi sur les chemins de fer? Les intimés ont soutenu devant cette Cour que les art. 320 et 5 de la Loi sur les chemins de fer indiquent que le législateur a voulu lier la Couronne. Le paragraphe 320(12) prévoit que la compétence du CRTC s'étend

320. . . .

(12) . . . à toutes les compagnies définies au présent article, et à tous les réseaux de télégraphe et de téléphone, lignes et opérations de ces compagnies relevant de l'autorité législative du Parlement du Canada; . . .

Le terme "compagnie" est défini au par. 320(1):

320. (1) Dans le présent article

"compagnie" signifie une compagnie de chemin de fer ou une personne autorisée à construire ou à tenir en service un chemin de fer, qui a le pouvoir de construire ou de tenir en service une ligne ou un réseau de télégraphe ou de téléphone, et d'en exiger des taxes; et comprend aussi les compagnies de télégraphe et de téléphone, et toute compagnie et toute personne, relevant de l'autorité législative du Parlement du Canada, qui ont le pouvoir de construire ou de tenir en service une ligne ou un réseau de télégraphe ou de téléphone et d'en exiger des taxes; [Je souligne.]

Enfin, l'art. 5 prévoit ce qui suit:

5. Sous réserve des dispositions ci‑incluses, la présente loi s'applique à toutes les personnes, les compagnies de chemin de fer et à tous les chemins de fer, qui relèvent de l'autorité législative du Parlement du Canada, constitués en corporations ou autorisés, soit dans le passé, soit à l'avenir, et de quelque manière que ce soit, sauf les chemins de fer de l'État auxquels cependant elle doit s'appliquer dans la mesure spécifiée dans toute loi s'y rapportant ou s'y rattachant. [Je souligne.]

L'intimé a soutenu que l'exception concernant les "chemins de fer de l'État" contenue à l'art. 5 aurait été inutile si le terme "personnes" ne comprenait pas la Couronne. Je suis d'accord avec le juge Reed et avec la Cour d'appel fédérale pour dire que ces dispositions n'ont pas pour but de lier expressément l'AGT comme mandataire de la Couronne du chef de l'Alberta.

Comme je l'ai déjà souligné, l'art. 16 de la Loi d'interprétation a été modifié en 1967‑68. Selon la version antérieure, il fallait qu'il "soit formellement stipulé" que la Couronne serait liée. Selon la nouvelle version, la Couronne ne sera pas liée par la loi "sauf dans la mesure y mentionnée ou prévue". La question porte ici sur le caractère explicite que le nouveau texte de l'art. 16 exige pour lier la Couronne.

C'est Lord du Parcq, dans l'arrêt du Conseil privé Province of Bombay v. City of Bombay, [1947] A.C. 58 (C.P.), à la p. 61 (ci-après Bombay), qui a formulé la règle de common law:

[TRADUCTION] Le principe général à appliquer en examinant si la Couronne est liée par les dispositions générales d'une loi est bien connu. Selon l'ancienne maxime juridique, aucune loi ne lie la Couronne à moins que celle‑ci n'y soit expressément mentionnée . . . Mais cette règle souffre au moins une exception. La Couronne, comme on l'a souvent dit, peut être liée "par déduction nécessaire", c'est‑à‑dire que, s'il ressort du texte même de la Loi que le législateur entendait lier la Couronne, le résultat est le même que si cette dernière était expressément mentionnée. Il faut donc en déduire que la Couronne, en acquiesçant à la loi, a accepté d'être liée par ses dispositions. [Je souligne.]

Lord du Parcq a ensuite formulé de la façon suivante le critère de l'absence de toute efficacité de loi (à la p. 63):

[TRADUCTION] Leurs Seigneuries préfèrent dire que l'objet apparent de la loi constitue un élément, et peut être un élément important, à examiner lorsque l'on prétend que l'intention était de lier la Couronne. Si l'on peut affirmer qu'au moment où la Loi a été adoptée et a reçu la sanction royale, il ressortait clairement de son texte qu'elle serait privée de toute efficacité si elle ne liait pas la Couronne, on peut déduire que la Couronne a accepté d'être liée. Leurs Seigneuries ajoutent toutefois que lorsqu'on demande aux tribunaux de faire cette déduction, il faut se rappeler que si l'intention du législateur est de lier la Couronne, rien de plus facile que de le dire en toutes lettres. [Je souligne.]

Le Conseil privé a indiqué clairement que toute exception par déduction nécessaire à la règle habituelle de l'immunité de la Couronne devrait être de portée très restreinte. Par conséquent, l'intention de lier la Couronne ne peut être déduite du seul fait que les dispositions d'une loi ne pourront être appliquées facilement ou efficacement si la Couronne n'est pas liée, ni du fait que si la Couronne n'est pas liée, la loi n'aura qu'une application limitée. Dans quelle mesure une exception de la "déduction nécessaire" fait‑elle partie de l'art. 16 actuellement en vigueur?

Cette Cour a récemment examiné le sens de l'art. 16 dans trois arrêts: l'affaire PWA, précitée, R. c. Ouellette, [1980] 1 R.C.S. 568 (ci-après Ouellette), et R. c. Eldorado Nucléaire Ltée, [1983] 2 R.C.S. 551 (ci-après Eldorado). Dans l'affaire PWA et l'arrêt Eldorado, la Cour s'est dite d'avis que l'exception de la déduction nécessaire ne fait pas partie de l'art. 16, tandis que dans l'arrêt Ouellette, la Cour semble avoir appliqué une forme de critère de la déduction nécessaire.

Dans l'affaire PWA, précitée, les dispositions pertinentes de la Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, chap. A‑3, n'avaient pas expressément pour effet de lier la Couronne. La question était donc de savoir si le gouvernement de l'Alberta (Pacific Western Airlines étant un mandataire de la Couronne) était une "personne" visée par la formulation et l'application générales de cette loi. Le juge en chef Laskin a conclu, au nom de la Cour à la majorité, que le gouvernement albertain n'était pas visé par le Règlement sur les transporteurs aériens. Le juge en chef Laskin a rejeté l'argument selon lequel l'art. 16 devrait être interprété de façon compatible avec la théorie de common law de la déduction nécessaire formulée dans l'arrêt Bombay, à la p. 75:

Je ne puis souscrire à la conclusion de la Cour d'appel fédérale selon laquelle la substitution de l'expression "sauf dans la mesure y mentionnée ou prévue" pour "à moins que l'intention n'y soit formellement exprimée d'y atteindre Sa Majesté" rétablit la doctrine de la "déduction nécessaire". Il me semble au contraire que la "déduction nécessaire" est exclue s'il faut que la Couronne soit mentionnée ou prévue dans le texte législatif pour y être assujettie.

Le juge en chef Laskin a affirmé qu'à son avis le nouvel art. 16 offrait plus de protection à la Couronne que l'ancien:

. . . l'actuel art. 16 [. . . ] protège mieux la Couronne que l'ancienne disposition d'un assujettissement à un texte législatif qui ne la mentionne pas expressément. Alors que [l'ancien art. 16] [. . .] parlait d'une atteinte aux droits de la Couronne [. . .] l'actuel art. 16 ne se limite pas aux "droits", mais spécifie en outre que "nul texte législatif . . . ne lie Sa Majesté ni n'a d'effet à l'égard de Sa Majesté . . . sauf dans la mesure y mentionnée ou prévue."

En raison de la plus grande protection accordée à la Couronne, il semblerait que le juge en chef Laskin a cru qu'il ne serait pas logique d'atténuer la protection en interprétant de manière large l'exception de la "déduction nécessaire".

Dans l'arrêt Eldorado, précité, la Cour a affirmé aux pp. 558 à 562 que l'art. 16 de la Loi d'interprétation requiert une disposition expresse pour qu'une loi fédérale lie la Couronne:

Le Parlement a suivi l'exemple de la common law et est allé encore plus loin. L'article 16 de la Loi d'interprétation supprime même l'exception de la déduction nécessaire . . .

. . .

La Cour doit mettre à exécution la directive légale portant que l'État n'est pas lié à moins que ce ne soit "mentionné ou prévu" dans la loi. . . . L'article 16 de la Loi d'interprétation requiert une disposition expresse pour qu'une loi lie l'État.

. . .

En prévoyant que "Nul texte législatif . . . ne lie Sa Majesté . . . sauf dans la mesure y mentionnée ou prévue", le Parlement a exempté l'État, souvent appelé la Couronne, de l'assujettissement aux lois du Parlement qui ne prévoient pas de façon expresse qu'elles s'appliquent à l'État. [Je souligne.]

Il convient de souligner que cette Cour n'a pas examiné l'arrêt Ouellette, précité, dans ses motifs de l'arrêt Eldorado, précité, mais j'estime qu'on n'a pas à mettre en doute l'exactitude de l'interprétation de l'art. 16 et de son application aux faits de l'arrêt Ouellette. Dans ce dernier arrêt, il s'agissait de déterminer si une cour supérieure qui siégeait en appel d'une décision d'une cour des poursuites sommaires et si une cour d'appel qui entendait l'appel d'une décision d'une cour supérieure pouvaient ordonner à Sa Majesté de payer des frais. Cette Cour a jugé que Sa Majesté pouvait être liée sur le plan de l'interprétation de la loi. Le juge Beetz s'est exprimé ainsi au sujet de l'effet de la modification apportée à l'art. 16 en 1967, aux pp. 574 et 575:

Quoi qu'il en soit, les dispositions pertinentes du Code criminel permettent à elles seules de trancher la question. Il faut cependant noter en premier lieu que l'art. 16 de la Loi d'interprétation, précité, ne comporte plus comme autrefois le mot "expressément". Cet article n'exclut pas la règle selon laquelle les diverses dispositions d'une loi s'interprètent les unes à la lumière des autres, et il est possible que Sa Majesté soit implicitement liée par un texte législatif si telle est l'interprétation que ce texte doit recevoir lorsqu'il est replacé dans son contexte. Or, à mon avis, telle est l'interprétation que doivent recevoir les art. 758 et 771(3) du Code criminel lorsqu'ils sont lus non pas isolément mais dans le cadre de la Partie XXIV relative aux déclarations sommaires de culpabilité. [Je souligne.]

Les deux dispositions en cause, savoir l'art. 758 et le par. 771(3), prévoyaient chacune de façon générale que les tribunaux respectifs pouvaient ordonner le paiement de frais. Le juge Beetz a interprété ces deux dispositions en fonction de toute la partie XXIV relative aux déclarations sommaires de culpabilité et en tenant compte notamment du fait qu'il était clair que le terme "appelant" (contre qui l'ordonnance de paiement de frais pouvait être rendue) comprenait le procureur général. Toutefois, le juge Beetz estimait également clairement que chaque disposition serait pratiquement dépourvue de sens si seul l'accusé et non Sa Majesté pouvait être condamné à payer des frais. De plus, l'intention du législateur d'inclure le procureur général ressortait du fait que ce dernier avait été expressément exclu dans au moins un genre de situation donné. Par conséquent, malgré l'absence d'une déclaration expresse liant Sa Majesté, la Cour a, dans l'arrêt Ouellette, conclu à l'unanimité que, dans ce contexte légal particulier, "Sa Majesté" était mentionnée ou prévue.

L'article 16 exige que le Parlement exprime clairement son intention de lier Sa Majesté. Ce qui ne veut pas nécessairement dire qu'une loi fédérale doit comporter un article qui prévoit "La présente loi lie Sa Majesté" (bien qu'en matière de rédaction législative une telle disposition ne laisserait plus place à aucun doute).

En réalité, le passage déjà reproduit de l'arrêt Eldorado doit être interprété en fonction des arguments présentés dans cette affaire. La Cour a souligné expressément que le procureur général n'invoquait pas la théorie de la déduction nécessaire: voir p. 558, précité.) Dans l'arrêt Eldorado, on a avancé deux arguments différents pour affirmer que la définition du terme "quiconque" contenue à l'art. 2 du Code criminel (qui comprend "Sa Majesté") avait été incorporée dans la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23. La Cour a conclu que l'un des arguments à l'appui de l'incorporation par déduction reposait sur "une mention beaucoup trop vague et indirecte pour produire l'effet que fait valoir le procureur général" (p. 560) et que l'autre reposait sur une disposition de la Loi d'interprétation, par. 27(2), dont l'effet irait "directement à l'encontre" de l'art. 16 de la même loi. Cependant, même si la Cour a rejeté les arguments en question dans cette affaire, elle s'est dite prête à reconnaître qu'une loi pouvait être interprétée dans le cadre du texte d'une autre loi pourvu que le texte de la première soit suffisamment clair pour le justifier.

De même, on considérerait normalement qu'une loi dont l'objet premier est de protéger les citoyens contre l'action de l'État, mais dans laquelle la Couronne n'est pas déclarée expressément liée, a "mentionné [. . .] ou prévu [. . .]" que Sa Majesté serait liée selon une interprétation fondée sur le contexte: voir Hogg, Constitutional Law of Canada, 2e éd., précité, à la p. 234. L'article 16 comme disposition interprétative ne doit pas s'interpréter comme une extension excessive de l'immunité de l'État, compte tenu particulièrement du par. 3(1) de la Loi d'interprétation qui prévoit:

3. (1) À moins qu'une intention contraire n'apparaisse, chacune des dispositions de la présente loi s'étend et s'applique à tout texte législatif, que celui‑ci soit édicté avant ou après l'entrée en vigueur de la présente loi.

À mon avis, compte tenu des affaires PWA et Eldorado, la portée des termes "mentionnée ou prévue" doit s'interpréter indépendamment de la règle de common law supplantée. Toutefois, les réserves exprimées dans l'arrêt Bombay, précité, sont fondées sur de bons principes d'interprétation que le temps n'a pas complètement effacés. Il me semble que les termes "mentionnée ou prévue" contenus à l'art. 16 peuvent comprendre: (1) des termes qui lient expressément la Couronne ("Sa Majesté est liée"); (2) une intention claire de lier qui, selon les termes de l'arrêt Bombay, "ressort du texte même de la loi", en d'autres termes, une intention qui ressorte lorsque les dispositions sont interprétées dans le contexte d'autres dispositions, comme dans l'arrêt Ouellette, précité, et (3) une intention de lier lorsque l'objet de la loi serait "privé [. . .] de toute efficacité" si l'État n'était pas lié ou, en d'autres termes, s'il donnait lieu à une absurdité (par opposition à un simple résultat non souhaité). Ces trois éléments devraient servir de guide lorsqu'une loi comporte clairement une intention de lier la Couronne.

Si on applique cette norme à la présente affaire, j'estime que la loi fédérale en cause ne mentionne pas et ne prévoit pas que la Couronne est liée par celle‑ci. Les articles 320 et 5 de la Loi sur les chemins de fer ne contiennent pas de termes qui lient la Couronne expressément. Rien, dans le cadre de ces dispositions, n'indique que le Parlement avait clairement l'intention de lier la Couronne. L'article 320 de la Loi sur les chemins de fer, qui accorde compétence au CRTC, contient lui‑même une définition de "compagnie" qui parle seulement de façon générale d'"une personne autorisée à . . . tenir en service . . . un réseau de . . . téléphone". C'est précisément contre ce genre de dispositions générales que l'art. 16 protège la Couronne. Dans les art. 320 et 5, l'expression "qui relèvent [ou relevant] de l'autorité législative du Parlement du Canada" ne vient rien préciser et est d'ailleurs superflue parce qu'elle ne constitue qu'une condition constitutionnelle préalable à l'application de la Loi sur les chemins de fer.

En outre, peu importe que l'exclusion des "chemins de fer de l'État" de l'application de l'art. 5 soit ajoutée par surcroît de précautions, comme l'a affirmé le juge Pratte en Cour d'appel fédérale, ou comme précédent historique, ainsi que l'a conclu le juge Reed en première instance, ou pour une autre raison, elle n'indique pas assez clairement que le Parlement avait l'intention de lier la Couronne au sens du terme général "personnes" contenu à l'art. 5. Le fait que les explications fournies par les juges Pratte et Reed soient tout aussi plausibles l'une que l'autre démontre suffisamment qu'il n'y avait pas d'intention de lier la Couronne. Quant au point de vue du surcroît de précautions, je tiens simplement à souligner qu'il trouve appui dans les motifs rédigés par le juge en chef Laskin dans l'affaire PWA, précitée, à la p. 68, où il a fait peu de cas d'une exclusion des avions militaires pour déterminer si les lignes aériennes civiles appartenant à l'État étaient liées par la Loi sur l'aéronautique. Quant à l'opinion du juge Reed sur la question, elle déclare, à la p. 495 C.F., précité, qu'on peut raisonnablement supposer que les "chemins de fer de l'État" ont été exclus au départ parce qu'ils étaient déjà régis par l'Acte des chemins de fer de l'État, S.R.C. 1886, chap. 38, pour ensuite faire remarquer que cette loi était toujours en vigueur sous l'intitulé Loi sur les chemins de fer de l'État, S.R.C. 1970, chap. G‑11 (maintenant L.R.C. 1985, chap. G‑7). À supposer que cette hypothèse soit exacte, je ne vois pas, à l'instar du juge Reed, comment une exclusion expresse des chemins de fer de l'État de l'application de la Loi, soit à une époque où il n'y avait pas d'entreprises de télécommunications possédées par l'État, soit actuellement, peut engendrer l'intention claire et nécessaire que les entreprises gouvernementales de télécommunications soient liées par la Loi sur les chemins de fer, compte tenu particulièrement du fait que c'est le par. 320(1), et non l'art. 5, qui traite explicitement de l'applicabilité de la Loi aux entreprises de télécommunications, par opposition aux chemins de fer. L'exclusion des chemins de fer de l'État est tout aussi compatible avec l'absence complète de prévisions quant à savoir si les entreprises gouvernementales de télécommunications seront liées, qu'avec l'intention qu'elles le soient. Conclure que cette exception suffit à lier la Couronne serait agir en présence d'un doute considérable et incompatible avec une expression d'intention claire.

Le fait que l'attribution de l'immunité entraîne un vide réglementaire à l'égard de l'AGT est insuffisant et ne revient pas à priver d'efficacité l'application de la Loi sur les chemins de fer dans son ensemble. Même si l'attribution de l'immunité jusqu'à ce que le Parlement décide de modifier la loi entraînera un vide dans l'application éventuelle de la Loi sur les chemins de fer, la Loi peut continuer à s'appliquer tout comme c'était le cas avant que cette Cour décide que l'AGT est une entreprise fédérale.

d)L'AGT a‑t‑elle perdu le droit d'invoquer l'immunité de la Couronne en raison de sa conduite?

On a soutenu devant cette Cour que, même si l'AGT a le droit à première vue de bénéficier de l'immunité de la Couronne en vertu de l'art. 16 de la Loi d'interprétation, elle a renoncé à cette immunité par sa conduite. Cet argument comporte deux aspects qu'il faut examiner. Premièrement, on a prétendu que l'AGT renonce à son immunité à l'égard des obligations qu'impose la Loi sur les chemins de fer si elle cherche à profiter des avantages qui en découlent. Deuxièmement, on a prétendu que l'AGT a perdu son immunité parce qu'en exploitant un ouvrage ou une entreprise de nature fédérale, elle a excédé les limites du mandat que lui confère la loi. Nous examinerons également une troisième hypothèse, une exception relative aux activités commerciales.

(i)L'AGT a‑t‑elle perdu son immunité en raison de la théorie de la renonciation?

En common law, il est bien établi que, même si elle n'est pas liée par une loi, la Couronne peut tirer avantage de ses dispositions, à moins d'une interdiction expresse ou implicite de le faire (Halsbury's Laws of England, 4e éd., vol. 44, par. 931, et voir Crown Proceedings Act, 1947 (R.-U.), 10 & 11 Geo. 6, chap. 44, par. 31(1)). La présomption d'immunité joue seulement lorsque les dispositions de la loi, si elles étaient appliquées à la Couronne, lui porteraient préjudice: voir Hogg, Liability of the Crown, à la p. 181. Toutefois, il y a aussi des précédents qui reconnaissent que la Couronne ne peut bénéficier des droits conférés par la loi sans être assujettie aux restrictions que la loi impose. Dans Crooke's Case (1691), 1 Show. K.B. 208, 89 E.R. 540, la Cour paraît avoir retenu l'argument de l'avocat, aux pp. 210 et 211 Show. K.B., à la p. 542 E.R.:

[TRADUCTION] Le Roi tire avantage de cette disposition; il est clair qu'il est lié, car autrement il ne pourrait s'adresser à cette église; et s'il veut en tirer avantage, il doit le faire en respectant les modalités fixées par la Loi . . . il semble difficile d'affirmer que le Roi n'est pas lié parce que non visé ou désigné mais qu'il puisse être visé quant aux avantages. S'il a quelque droit, le Roi ne peut l'avoir que de par cette Loi du Parlement, et il ne peut l'avoir que selon les termes de cette Loi du Parlement.

La théorie de la renonciation a été appliquée par cette Cour à au moins deux reprises, sans faire l'objet d'une analyse explicite (Toronto Transportation Commission v. The King, [1949] R.C.S. 510 (ci-après Toronto Transportation Commission), et R. v. Murray, [1967] R.C.S. 262 (ci-après Murray)) et elle a été sanctionnée dans une opinion incidente dans un cas (l'affaire PWA, précitée). Plus récemment, elle a été expliquée en détail et approuvée dans l'arrêt Sparling c. Québec, précité, aux pp. 1021 et suiv.

Dans l'arrêt Toronto Transportation Commission, la Couronne fédérale, qui n'avait aucun recours en common law, a invoqué une loi provinciale pour réclamer des dommages‑intérêts à un tiers par suite d'un accident dans lequel elle était impliquée. Cette Cour a décidé que la Couronne ne pouvait réclamer des dommages‑intérêts d'un montant supérieur à ce que la loi prévoyait. La Couronne [TRADUCTION] "ne pouvait exercer un recours que sur la base du droit applicable aux particuliers à moins que le droit général relatif à la matière ne soumette la Couronne à un régime différent" (à la p. 515). Dans l'arrêt Murray, précité, on a décidé que la Couronne fédérale était liée par une disposition législative sur la négligence de la victime après avoir intenté une action en dommages‑intérêts (pour la perte des services d'un membre des forces armées), action que la Couronne ne pouvait intenter qu'en vertu d'une disposition d'une autre loi; ainsi, dans cette affaire, tirer profit d'une loi signifiait assumer les obligations imposées par l'autre. Il y a, dans l'arrêt Murray et même dans l'arrêt Toronto Transportation Commission, une certaine ambiguïté quant à savoir si la Cour voulait dire que la Couronne ne jouissait pas de l'immunité parce qu'aucun de ses droits inhérents ou de prérogative n'étaient touchés (et que, par conséquent, cette immunité de la Couronne ne jouait pas au départ selon la version de l'art. 16 alors en vigueur), ou plutôt, que la Couronne doit assumer les obligations imposées par les lois si elle veut en tirer avantage. À l'instar du juge La Forest dans l'arrêt Sparling c. Québec, précité, plus particulièrement à la p. 1027, je considère que ces affaires, ainsi que l'arrêt Gartland Steamship Co. v. The Queen, [1960] R.C.S. 315 (ci-après Gartland Steamship), à la p. 345, qui est invoqué à la p. 267 de l'arrêt Murray, précité, constituent des exemples de renonciation par la Couronne à toute immunité du fait qu'elle a intenté une action en dommages‑intérêts assortie de certaines restrictions. Dans la mesure où cette Cour a, dans les arrêts Murray et Gartland Steamship, utilisé des termes qui laissent entendre que le texte législatif n'a pas cherché à imposer une responsabilité à la Couronne et n'a pas non plus dérogé à des droits de prérogative, je considère que ces propos se fondent sur le fait même qu'on ne saurait tirer un avantage (comme, par exemple, le droit d'intenter une action) sans accepter les obligations qui s'y rattachent: en fait, des droits n'ont pas été touchés parce que c'est la Couronne qui a intenté l'action. Si le texte législatif avait cherché à imposer une responsabilité indépendante de l'avantage tiré, cela aurait eu pour résultat que les droits de la Couronne auraient bien pu être touchés et l'immunité s'en serait suivie. Je tiens également à souligner que, dans l'affaire du train de banlieue, précitée, la conclusion à l'absence d'immunité de la Couronne se fondait très nettement sur une interprétation de l'ancien art. 16 de la Loi d'interprétation, selon laquelle les droits acquis de Sa Majesté ne pouvaient être touchés à moins que cela ne soit expressément prévu. Cependant, même dans ce cas, on peut soutenir que la décision qu'aucun droit garanti n'a été touché se fonde simplement sur le raisonnement des avantages et des obligations qui ressort de l'affirmation, à la p. 124, que [TRADUCTION] "[d]es droits comme ceux que l'Ontario possède découlent soit d'un tel accord soit de la Loi sur les chemins de fer et sont donc assujettis aux conditions prescrites dans cette loi, dont l'une porte que les tarifs relèvent de la compétence de la Commission des Transports." Enfin, dans l'affaire PWA, précitée, aux pp. 72 et 73, le juge en chef Laskin a conclu à l'existence de la théorie de la renonciation en ces termes:

. . . une législature provinciale ne peut, dans l'exercice de ses pouvoirs législatifs, assujettir la Couronne du chef du Canada à une réglementation obligatoire. Cela ne signifie pas pour autant que la Couronne fédérale ne peut se trouver assujettie à la législation provinciale lorsqu'elle cherche à s'en prévaloir: voir Toronto Transportation Commission c. Le Roi; La Reine c. Murray.

Je tiens à souligner qu'il n'est pas nécessaire en l'espèce d'analyser le bien‑fondé d'une supposée théorie de l'immunité constitutionnelle de la Couronne fédérale.

L'arrêt Sparling c. Québec, précité, représente le premier cas où on a appliqué la théorie de la renonciation dans le contexte du nouvel art. 16 et où on a expliqué en détail de manière claire et péremptoire la possibilité d'invoquer cette théorie. Le juge La Forest a conclu que la Caisse de dépôt et placement du Québec (un mandataire de la Couronne du Québec) ne pouvait invoquer l'art. 16 pour se soustraire à l'obligation de produire un rapport d'initié en vertu de la Loi sur les sociétés commerciales canadiennes, S.C. 1974‑75‑76, chap. 33 (ci‑après la L.S.C.C.) La Caisse avait acheté plus de 10 pour 100 des actions d'une société à charte fédérale ce qui faisait d'elle un initié au sens des art. 121 et 122 de la L.S.C.C. La Caisse n'a pas directement tenté de tirer avantage d'une disposition de la L.S.C.C. ou d'une autre loi fédérale, mais le juge La Forest a conclu que le fait même d'acheter une action constituait une acceptation implicite des avantages du régime de la L.S.C.C. Le fait de détenir une action d'une société à charte fédérale n'a aucun sens en l'absence de la L.S.C.C. et de l'ensemble complet de droits et de responsabilités créé par la L.S.C.C. Tous les avantages conférés au propriétaire d'une action étant inextricablement liés aux obligations correspondantes, la Caisse était obligée de présenter un rapport d'initié.

Dans son ouvrage intitulé Liability of the Crown, précité, Peter Hogg résume ainsi la théorie de la renonciation (à la p. 183):

[TRADUCTION] Les restrictions [touchant un droit prévu par une loi] sont considérées comme des restrictions imposées au droit lui‑même, et si la Couronne pouvait n'en faire aucun cas, elle jouirait d'un droit plus considérable que celui que le texte de loi accorde effectivement. En d'autres termes, toutes les dispositions de la loi qui touchent un droit et dont la Couronne veut se prévaloir sont interprétées comme si elles étaient à l'avantage de la Couronne parce que le résultat final est (par hypothèse, puisque la Couronne décide d'invoquer un droit prévu par la loi) à l'avantage de la Couronne: il n'y a pas de place pour la règle qui prescrit l'existence de mots exprès ou d'une déduction nécessaire. [Italique dans le texte original.]

Dans son ouvrage intitulé Governmental and Intergovernmental Immunity in Australia and Canada (1977), Colin McNairn parvient à la même conclusion, à la p. 10:

[TRADUCTION] Lorsqu'elle se prévaut des avantages d'une loi, il sera présumé que la Couronne en assume également les obligations, bien que le texte de loi ne soit pas rédigé de façon à lier la Couronne expressément ou par déduction nécessaire. La règle de l'immunité de la Couronne se trouve sans effet en raison des actes particuliers de cette dernière et de la totalité des dispositions législatives pertinentes, avantageuses et désavantageuses.

Peut‑on affirmer que l'AGT a tenté de profiter des avantages de la réglementation fédérale sur les télécommunications établie en vertu de la Loi sur les chemins de fer sans se préoccuper et sans tenir compte des obligations correspondantes de manière à renoncer à son immunité et à se soumettre à la compétence du CRTC? Le juge Reed a conclu que le lien était insuffisant en l'espèce pour conclure que l'AGT avait renoncé à invoquer l'immunité de la Couronne. C'est à bon droit que le juge Reed a appliqué le critère du lien. Comme le juge La Forest l'a affirmé dans l'arrêt Sparling c. Québec, précité, à la p. 1025:

Il est tout à fait correct de conclure que lorsque se soulève la question de l'application de l'exception fondée sur les avantages et les obligations, il ne faut pas décider si les avantages et les obligations découlent du même texte législatif, mais plutôt s'il existe un lien suffisant entre les avantages et les obligations. Comme le dit McNairn, op. cit., à la p. 11:

[TRADUCTION] Il n'est pas essentiel [. . .] à l'applicabilité du principe de l'assujettissement de la Couronne que l'avantage conféré et la restriction qui s'y attache découlent de la même loi. La question cruciale consiste plutôt à savoir si les deux éléments sont suffisamment liés de sorte qu'il ait été prévu que l'avantage conféré était conditionnel au respect de la restriction imposée. [Je souligne.]

La Loi de l'AGT lui confère la capacité et les pouvoirs de participer aux avantages d'un réseau de télécommunications unifié et réglementé par le fédéral dans la prestation de ses services de télécommunications aux abonnés locaux. L'article 24 de cette loi, reproduit encore ici pour en faciliter la consultation, prévoit:

[TRADUCTION] 24 La Commission peut conclure avec quiconque une entente prévoyant la liaison, l'intercommunication, l'exploitation en commun, l'utilisation réciproque ou la transmission des services entre tous systèmes appartenant aux parties à l'entente ou exploités par ces parties, et prévoyant toute répartition subséquente des recettes, dépenses ou profits ou tous rajustements financiers ou autres pouvant s'avérer opportuns ou nécessaires pour les fins de l'entente.

En vertu de ces pouvoirs, l'AGT a décidé de se joindre à l'accord du RTT (Télécom) dont certains membres sont régis par le fédéral. Plusieurs des accords conclus par le RTT doivent être approuvés par le fédéral mais l'AGT n'a jamais, de son propre chef, demandé l'approbation de l'un ou l'autre des accords du RTT. L'AGT soutient en fait qu'elle a droit à tous les avantages d'un réseau unifié de télécommunications interprovinciales et internationales sans être assujettie à la réglementation fédérale. Existe‑t‑il un lien suffisant entre les avantages que tire l'AGT du système réglementé par le fédéral et l'obligation de se soumettre à la compétence du CRTC? Par exemple, un lien entre l'AGT et l'administration fédérale s'est créé lorsque le CRTC a approuvé une série d'accords entre la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) (qui est de toute évidence assujettie à la réglementation fédérale), comme entreprise de télécommunications dans les territoires du Nord‑Ouest et le Yukon, et l'AGT. Bien que ce soit le CN, et non l'AGT, qui a demandé l'approbation du CRTC, l'accord ne pouvait être légalement conclu sans cette approbation. Dans un autre cas, l'AGT a présenté directement au gouverneur en conseil une requête en vue de faire infirmer le refus du CRTC d'approuver les modifications tarifaires du RTT.

Les avantages dont l'AGT a bénéficié en vertu de la Loi sur les chemins de fer sont de nature générale et découlent de sa participation aux accords du RTT. Il ne s'agit pas d'un cas où l'AGT invoque ou a invoqué la Loi sur les chemins de fer à l'égard de certains avantages pour soutenir ensuite que les restrictions que la Loi apporte à ces avantages ne s'appliquent pas à la Couronne. Comme je l'ai déjà dit, en common law, la Couronne peut bénéficier des avantages d'une loi sans pour autant renoncer à l'immunité à l'égard de celle‑ci. La renonciation ne se produit que lorsque la Couronne bénéficie des avantages d'une loi indépendamment des restrictions qui y sont énumérées. L'arrêt Sparling c. Québec, précité, indique clairement que la Couronne n'a pas à invoquer expressément la loi qui confère l'avantage pour être liée par les obligations qui s'y rattachent, mais aucun des actes que l'AGT a accomplis par l'intermédiaire du RTT ne peut s'interpréter comme un assujettissement implicite général à l'ensemble du régime des avantages et des obligations prévu par la loi. L'arrêt Sparling c. Québec, précité, à la p. 1027, fait ressortir que "L'application de l'exception fondée sur les avantages et les obligations ne signifie pas que la Couronne se trouve visée par tous les régimes de réglementation qui se trouvent à s'appliquer à un état de choses particulier". Pour être assujettie à l'application générale de la Loi sur les chemins de fer, l'AGT n'a rien fait qui soit semblable à l'achat d'une action qui comporte un lien précis avec le régime de la L.S.C.C. Aucun élément de preuve n'indique que l'AGT invoque maintenant ou a invoqué dans le passé des avantages particuliers de la Loi sur les chemins de fer ou de la réglementation du CRTC à l'égard desquels le raccordement avec CNCP constitue une obligation concomitante.

CNCP ne fait pas partie de l'accord du RTT et ne demande pas non plus un raccordement conformément à un accord existant entre elle et l'AGT. Par conséquent, je partage l'opinion exprimée par le juge Reed en première instance, selon laquelle les avantages obtenus par l'AGT en vertu de la Loi sur les chemins de fer sont insuffisants pour la lier à la compétence du CRTC en application de la théorie de la renonciation à l'immunité de la Couronne. Je fais mienne la conclusion suivante du juge Reed (aux pp. 498 et 499 C.F.):

Il n'y a aucun lien entre une renonciation à l'immunité relativement aux accords du RTT et la prétention de CN‑CP (qu'il soit ordonné à AGT de lui permettre un raccordement). On peut sans doute considérer qu'AGT a renoncé à son immunité pour les désavantages liés à l'exécution des accords du RTT et autres. Ainsi, si CN‑CP était membre du RTT, ce serait une tout autre question; si le raccordement demandé avait un rapport avec un accord en vigueur entre AGT et CN‑CP, on pourrait y voir un lien suffisant. Mais je crois que c'est pousser la théorie de la renonciation trop loin que de tenir qu'AGT, par sa participation aux avantages des accords du RTT, a accepté la compétence générale du CRTC.

Cette conclusion au sujet de l'applicabilité de l'exception fondée sur les avantages et les obligations pourrait choquer notre sens de l'équité fondamentale. À première vue, il peut sembler inopportun que l'AGT puisse s'arranger pour tirer certains avantages du système réglementé par le CRTC, tout en se soustrayant à d'autres obligations de la réglementation du CRTC. Cependant, cette préoccupation n'est, en réalité, qu'une simple façon de mettre en doute la théorie même de l'immunité de la Couronne. Comme je l'ai affirmé à la p. 558 de l'arrêt Eldorado, précité:

Il semble y avoir une contradiction . . . [entre la théorie de l'immunité de la Couronne et] les notions fondamentales de l'égalité devant la loi. Plus le gouvernement intervient dans les activités que l'on considérait autrefois réservées au secteur privé, plus il est difficile de comprendre pourquoi l'État doit être ou devrait être dans une situation différente de celle des citoyens. Cependant, il n'appartient pas à cette Cour de mettre en question le concept fondamental de l'immunité de l'État, puisque le Parlement a adopté d'une manière non équivoque le principe que l'État jouit à première vue de l'immunité. La Cour doit mettre à exécution la directive légale portant que l'État n'est pas lié à moins que ce ne soit "mentionné ou prévu" dans la loi.

L'arrêt Sparling c. Québec, précité, établit un critère qui requiert l'existence d'un lien assez étroit entre l'avantage et l'obligation. Si on fait abstraction de sa valeur comme précédent, il est conforme à la nature même de la théorie de l'immunité de la Couronne. À mon avis, la portée de l'exception fondée sur les avantages et les inconvénients doit être façonnée en se servant de la théorie sous‑jacente comme point de référence. En raison de la retenue dont doivent nécessairement faire preuve les tribunaux en abordant les questions d'immunité de la Couronne, compte tenu de l'art. 16 et du critère établi antérieurement dans les présents motifs sur ce qu'il faut faire pour que la Couronne soit mentionnée ou prévue, il ne serait pas conforme à la présomption d'immunité de concevoir une exception générale à cette présomption. Une exception ne peut être la règle et c'est ce qui se produirait, me semble‑t‑il, si la théorie des avantages et des obligations était élargie de sorte que la Couronne serait liée par toutes les obligations d'une loi réglementante peu importe leur absence plus ou moins grande de lien avec les avantages qu'elle tirerait de cette loi. En d'autres termes, un critère assez serré (du lien suffisant) applicable à l'exception fondée sur les avantages et les obligations découle du critère strict de la constatation d'une intention du législateur de lier la Couronne. Un critère général des avantages et des obligations serait trop de nature législative face à la formulation actuelle de l'art. 16. À regret peut‑être, mais certes indéniablement, la théorie de l'immunité de la Couronne contre l'application des lois ne se prête pas à des exceptions fantaisistes. Cependant, un bon nombre de ces exceptions peuvent être compatibles avec notre sens inné de l'équité.

(ii)L'AGT a‑t‑elle perdu son immunité en outrepassant son mandat prévu par la loi ou ses fins comme mandataire de la Couronne?

Le deuxième aspect des arguments des intimés sur la perte d'immunité porte qu'en établissant dans une loi le mandat confié à l'AGT comme mandataire de la Couronne, la législature albertaine voulait que l'AGT exploite seulement une entreprise qui serait assujettie au pouvoir de réglementation provincial. On a prétendu qu'à partir du moment où elle est devenue un ouvrage ou une entreprise de nature interprovinciale au sens de l'al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867, l'AGT a outrepassé son mandat et n'agissait plus comme mandataire de la Couronne. Si je comprends bien, on prétend non pas que l'exploitation d'une entreprise fédérale prive automatiquement la Couronne provinciale de son immunité, mais que sur le plan de l'interprétation législative, l'AGT a outrepassé ses fins prévues par la loi et donc perdu son immunité.

Les intimés et le procureur général du Canada n'ont pas prétendu que la législature de l'Alberta n'avait pas la compétence constitutionnelle pour créer une société dotée de pouvoirs dont l'exercice pourrait, en fin de compte, avoir pour effet d'assujettir la société à la législation fédérale. Ils n'ont pas non plus mis en doute la constitutionnalité des dispositions de la Loi de l'AGT qui confèrent à la société le pouvoir de conclure des accords de raccordement. Une fois créée régulièrement, une société de la Couronne provinciale peut obtenir des droits, y compris l'immunité, d'une autre législature provinciale ou du Parlement fédéral: Bonanza Creek Gold Mining Co. v. The King, [1916] 1 A.C. 566 (C.P.) Par conséquent, l'AGT peut exercer légitimement des pouvoirs et des droits de nature extraprovinciale (par exemple, en concluant des accords interprovinciaux comme en l'espèce) sans nécessairement outrepasser son mandat prévu par la loi. (Voir W. R. Lederman, "Telecommunications and the Federal Constitution of Canada", dans H. Edward English, ed., Telecommunications for Canada: An Interface of Business and Government, à la p. 348, et Hogg, Constitutional Law of Canada, 2e éd., aux pp. 511 à 519.

Un mandataire de la Couronne provinciale qui s'immisce dans un domaine de réglementation fédérale en devenant un ouvrage ou une entreprise de nature interprovinciale ne perd pas l'immunité dont il bénéficierait par ailleurs. Si le seul exercice d'une activité dans un domaine de compétence fédérale suffisait à empêcher le mandataire d'invoquer son immunité, l'art. 16 de la Loi d'interprétation deviendrait lettre morte vis‑à‑vis de la Couronne du chef d'une province. Le Parlement pourrait viser un mandataire de la Couronne provinciale par une formulation législative générale sans qu'il soit nécessaire de prévoir ou de mentionner que la province est liée.

Pour les fins de ce pourvoi, il n'est pas nécessaire de déterminer s'il existe des limites au pouvoir de la province de créer des sociétés d'État qui, dès le départ, exercent des activités qui relèvent du champ de réglementation fédérale. En l'espèce, la question est de savoir si en exerçant ses pouvoirs dans le but d'exploiter un ouvrage ou une entreprise de nature interprovinciale, l'AGT a outrepassé le pouvoir que la province lui a conféré par voie législative.

La Cour d'appel fédérale a conclu que l'AGT avait outrepassé les fins pour lesquelles elle avait été créée. Le juge Pratte a conclu à la p. 194, que, parce qu'elle a outrepassé les fins pour lesquelles elle avait été faite mandataire de la Couronne, l'AGT ne pouvait se soustraire à l'application de la réglementation fédérale:

Il ressort de ces dispositions que la législature de l'Alberta avait, lorsqu'elle a constitué l'AGT, l'intention que cette société établisse et entretienne dans la province un système de télécommunications qui serait régi par la Public Utilities Board Act de cette province. À mon avis, comme cette loi ne peut régir que les entreprises qui ne sont pas décrites aux alinéas 92(10)a),b) et c) de la Loi constitutionnelle de 1867, il s'ensuit que la législature avait l'intention qu'AGT exploite une entreprise de nature locale et qu'AGT, en exploitant une entreprise de nature fédérale, a outrepassé ses pouvoirs en n'agissant pas conformément aux fins pour lesquelles elle a été constituée. En conséquence, elle ne peut invoquer sa qualité de mandataire de la Couronne pour se soustraire à l'application des lois qui régissent les entreprises fédérales.

L'idée que l'immunité de la Couronne est perdue lorsqu'un mandataire de la Couronne excède les limites du mandat que lui confère la loi est tout à fait logique dans un État unitaire où l'autorité responsable de la réglementation et le mandataire de la Couronne relèvent du même ressort. On peut présumer que le Parlement ou la législature, selon le cas, n'a accordé l'immunité à l'égard de sa propre réglementation que pour des fins précises; lorsque la Couronne poursuit une autre fin, il n'y a plus de raison d'accorder l'immunité. La théorie s'applique moins bien dans un régime fédéral où la Couronne du chef d'un ressort réclame l'immunité à l'égard d'une loi adoptée par la Couronne du chef d'un autre ressort. De façon générale, dans les arrêts où cette Cour a reconnu cette exception à l'immunité, la Couronne réclamait l'immunité à l'égard de lois adoptées par le ressort que représentait le mandataire de la Couronne.

Cette théorie a été appliquée à l'égard de mandataires de la Couronne fédérale dans les deux arrêts récents invoqués par la Cour d'appel fédérale. Dans l'arrêt Société Radio‑Canada c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 339 (ci-après Radio-Canada), une société d'État créée en vertu de la Loi sur la radiodiffusion a été accusée en vertu du Code criminel d'avoir diffusé un film obscène. Un règlement pris en application de la Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, chap. B-11 interdisait expressément la diffusion de films obscènes. Cette Cour (le juge Estey) a conclu que Radio‑Canada ne pouvait se voir attribuer l'immunité de l'État lorsqu'elle exerçait ses pouvoirs d'une façon incompatible avec les objectifs de la Loi sur la radiodiffusion.

Dans l'arrêt Eldorado, précité, la question était de savoir si les mandataires de la Couronne fédérale bénéficiaient de l'immunité contre la responsabilité criminelle prévue à l'al. 32(1)c) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions en vertu de l'art. 16 de la Loi d'interprétation. La Cour, à la majorité, a décidé aux pp. 565 et 566:

La loi crée des organismes comme Uranium Canada et Eldorado à des fins précises. Lorsqu'un mandataire de l'État agit conformément aux fins publiques qu'il est autorisé légalement à poursuivre, il a le droit de se prévaloir de l'immunité de l'État à l'encontre de l'application des lois parce qu'il agit pour le compte de l'État. Cependant, lorsque le mandataire outrepasse les fins de l'État, il agit personnellement et non pour le compte de l'État, et il ne peut invoquer l'immunité dont bénéficie le mandataire de l'État. Cela découle du fait que l'art. 16 de la Loi d'interprétation s'applique à l'avantage de l'État et non à l'avantage du mandataire personnellement. Seul l'État, par l'intermédiaire de ses mandataires et pour ses propres fins, ne peut être poursuivi en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions.

(à la p. 568):

Ainsi, l'arrêt Radio‑Canada de 1983 fait ressortir la même chose qu'en l'espèce: un mandataire de l'État ne peut bénéficier de l'immunité prévue à l'art. 16 de la Loi d'interprétation que lorsqu'il agit conformément aux fins de l'État qu'il est autorisé à poursuivre.

J'estime qu'il est également important de faire la distinction entre (i) les actes accomplis au cours de la réalisation des fins de l'État mais qui ne visent aucunement à réaliser les fins de l'État et (ii) les actes qui visent à réaliser les fins de l'État. Alors que dans ce dernier cas, l'immunité de l'État peut être invoquée, elle ne peut l'être dans le premier cas.

Dans l'arrêt Eldorado, la Cour à la majorité a conclu qu'Eldorado avait en fait agi conformément à ses fins comme mandataire de la Couronne.

À mon avis, cette théorie peut s'appliquer lorsqu'un palier de gouvernement tente d'invoquer l'immunité de la Couronne à l'encontre d'une loi d'un autre palier. La distinction formulée dans l'arrêt Eldorado entre un mandataire qui agit pour réaliser les fins de l'État et celui qui agit personnellement est applicable en l'espèce. Il s'ensuit que si l'AGT agit "conformément aux fins publiques qu'[elle] est autorisé[e] légalement à poursuivre [en concluant des accords de raccordement], [elle] a le droit de se prévaloir de l'immunité de l'État à l'encontre de l'application des lois parce qu'[elle] agit pour le compte de l'État" (Eldorado, précité, aux pp. 565 et 566).

J'estime qu'une analyse des dispositions pertinentes de la Loi de l'AGT révèle qu'en devenant une entreprise qui ne relevait plus de la portée constitutionnelle de la Public Utilities Board de l'Alberta (qui, a‑t‑on prétendu, devait régir l'AGT en tant qu'ouvrage ou entreprise de nature locale), l'AGT n'a pas outrepassé les fins pour lesquelles elle a été créée. Les pouvoirs que la Loi confère à l'AGT lui permettent clairement de conclure des accords interprovinciaux en vue de fournir à ses abonnés un service unifié de télécommunications. Le paragraphe 4(1) de l'Alberta Government Telephones Act permet expressément à l'AGT d'acheter, de construire ou d'exploiter un seul ou plusieurs systèmes de télécommunications en Alberta. Cependant, la Loi prévoit aussi que la Commission a le pouvoir d'exécuter tout contrat ou toute obligation que le gouvernement albertain lui confie en vue d'établir ou d'exploiter un tel système dans toute autre province ou tout autre territoire du Canada (al. 4(3)b)). Ces dispositions, que je reproduis à nouveau, se lisent ainsi:

[TRADUCTION] 4(1) La Commission peut acheter, construire, étendre, entretenir, fabriquer, exploiter et louer d'autres personnes ou à d'autres personnes un seul ou plusieurs systèmes en Alberta, notamment des systèmes privés de communications.

. . .

(3) Le lieutenant‑gouverneur en conseil peut confier à la Commission

. . .

b) l'exécution de toute fonction ou tâche, y compris l'exécution de tout contrat conclu par le gouvernement en vue d'établir, d'entretenir ou d'exploiter un système dans toute autre province ou tout autre territoire du Canada,

et par dérogation à toute autre disposition de la présente loi, la Commission exerce tous les pouvoirs que la présente loi lui confère expressément ou implicitement aux fins de son application ou qui sont nécessaires pour exécuter toute fonction ou tâche qui lui est confiée en vertu du présent paragraphe. [Je souligne.]

D'autres pouvoirs, auxquels j'ai déjà fait allusion, sont conférés à l'AGT par l'art. 24 de sa loi constitutive qui lui permet de conclure des ententes avec toute personne qui possède un système de télécommunications pour "la liaison, l'intercommunication, l'exploitation en commun, l'utilisation réciproque ou la transmission des services entre tous systèmes appartenant aux parties à l'entente ou exploités par ces parties . . ." En vertu de ce pouvoir, l'AGT a conclu des accords, comme l'accord de Télécom Canada, qui l'oblige forcément à franchir les frontières de l'Alberta pour répondre à son objectif légal de desservir les Albertains. À mon avis, ce type d'accord est précisément du genre de ceux envisagés aux art. 4 et 24 de la Loi de l'AGT.

Cette affaire est donc tout à fait différente des situations envisagées dans les arrêts Eldorado et Radio‑Canada, précités, où l'immunité peut être perdue. L'AGT paraît exercer ses pouvoirs légalement et conformément aux objectifs de sa loi constitutive et poursuit donc ses fins comme mandataire de la Couronne. Comme je l'ai déjà souligné, l'AGT ne peut perdre son immunité du seul fait que l'exercice de ses pouvoirs a entraîné un changement de compétence législative. Contrairement à la situation que l'on trouve dans l'arrêt Radio‑Canada, précité, l'AGT n'a commis aucun acte illégitime ou illégal en exploitant un ouvrage ou une entreprise de nature interprovinciale. Elle a été constituée pour mettre sur pied un système unifié de télécommunications et pas seulement un système local.

En toute déférence pour l'opinion contraire exprimée par la Cour d'appel fédérale, je n'interprète pas la Loi de l'AGT comme si elle devait viser les mêmes fins que le pouvoir réglementaire de la Public Utilities Board Act. Il y a une distinction entre le pouvoir de la province de constituer une société qui peut exercer une activité dans un champ de réglementation fédérale et le pouvoir de la province de régir cette société. Dans le présent pourvoi, on ne conteste pas que l'AGT se soit appuyée sur les dispositions de sa loi constitutive se rapportant à la Public Utilities Board ni que cette commission ait exercé les pouvoirs qu'elle prétend avoir à l'égard de l'AGT. La seule question est de savoir si le CRTC peut rendre une ordonnance qui lie l'AGT. Ce n'est pas parce que la commission provinciale a, dans le passé, exercé son pouvoir de réglementation sur ce qui se révèle maintenant une entreprise fédérale que l'AGT est soustraite à l'application de la réglementation fédérale.

Si l'AGT n'a pas outrepassé le mandat que lui confère la loi ou les fins publiques pour lesquelles elle a été créée, mais a simplement pénétré dans un domaine de réglementation fédérale dans l'exploitation quotidienne de ses services de télécommunications, on ne peut affirmer qu'elle a perdu son droit d'invoquer l'immunité de la Couronne. Le fait de pénétrer dans l'un ou l'autre des domaines de compétence fédérale ne peut en soi avoir pour effet de dépouiller automatiquement l'AGT de sa qualité de mandataire de la Couronne et de lui faire perdre son immunité.

À mon avis, l'AGT n'a pas outrepassé son mandat légal ni les fins de l'État qu'elle poursuivait au sens des arrêts Radio‑Canada ou Eldorado, précités. Au contraire, comme mandataire de la Couronne provinciale, la réalisation des objectifs que lui attribue la Loi et les progrès continuels de la technologie ont fini par l'obliger à fonctionner comme une entreprise fédérale pour desservir ses abonnés, ce qui a entraîné l'application de la réglementation fédérale.

(iii)L'AGT a‑t‑elle perdu son immunité parce qu'elle est une entreprise commerciale?

Bien qu'elle n'ait pas fait l'objet de longues discussions, la question de savoir si la Couronne devrait pouvoir invoquer l'immunité lorsqu'elle exploite une entreprise commerciale a été soulevée pendant les plaidoiries. Celle de savoir pourquoi l'AGT ou d'autres sociétés d'État qui s'engagent dans une entreprise qui relève de leur capacité commerciale ordinaire devraient être soustraites à l'application de lois fédérales par ailleurs valides est une question à laquelle seul le Parlement peut répondre.

Toutefois, cette Cour n'a jamais reconnu l'existence d'une exception à l'art. 16 de la Loi d'interprétation, fondée sur la notion "d'activités commerciales", et le juge en chef Laskin l'a expressément rejetée dans l'arrêt PWA, précité, à la 69:

Le principal argument à l'appui de la thèse voulant que la Couronne du chef de la province est liée, malgré l'absence de disposition expresse à cet effet, est fondé sur l'assertion que la Loi sur l'aéronautique et le Règlement sur les transporteurs aériens s'appliquent à tous ceux qui s'engagent dans une entreprise de transport aérien commercial, ou acquièrent le contrôle financier ou une participation au contrôle de pareilles entreprises ou projettent de le faire. Cependant cet argument qui vaut pour toute législation de portée générale est trop large, à moins qu'il ne signifie que lorsque la Couronne s'engage dans une activité commerciale ordinaire, elle est également assujettie à la réglementation régissant ces activités. Cela n'a pas été la règle suivie par les tribunaux jusqu'ici et elle ne trouve aucun appui dans l'énoncé de principe relatif à l'assujettissement de la Couronne aux textes législatifs exposé à l'art. 16 de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I‑23.

Voir également le passage de l'arrêt Eldorado déjà reproduit à la p. 00.

Certes, on pourrait faire une analogie entre l'immunité absolue en droit international public et l'immunité de la Couronne. Il semble que la tendance générale sur le plan international consiste à reconnaître une théorie de l'immunité restrictive où l'immunité est accordée à l'égard des activités "gouvernementales", mais non commerciales: voir McLeod, The Conflict of Laws, aux pp. 72 à 74; Swinton, précité, à la p. 28; mais voir Brownlie, Principles of Public International Law, 3e éd. (attention à la prétention que la théorie de l'immunité restrictive est dictée par le droit international public).

Avant que le Parlement intervienne, cette Cour n'avait jamais adopté de distinction fondée sur les activités commerciales: voir Gouvernement de la République démocratique du Congo c. Venne, [1971] R.C.S. 997 (ci-après Venne). Mais la Loi sur l'immunité des États, L.R.C. (1985), chap. S‑18, art. 5, prévoit maintenant que les États étrangers ne bénéficient pas de l'immunité absolue en ce qui concerne leurs activités commerciales. Le Parlement du Royaume‑Uni avait conclu de la même façon quatre ans plus tôt qu'il était souhaitable de distinguer les actes iure imperii des actes iure gestionis: State Immunity Act, 1978 (R.-U), 1978, chap. 33, art. 3.

Il est loin d'être sûr que toute analogie avec l'immunité absolue en droit international soit directement applicable. Le juge Laskin (alors juge puîné), dissident dans l'arrêt Venne, a préconisé une règle restrictive de l'immunité absolue qui permettrait aux tribunaux d'être saisis de litiges portant notamment sur les activités commerciales d'États étrangers. Cependant, sept ans plus tard, le juge en chef Laskin, dans l'arrêt PWA, précité, s'est dit fermement d'avis qu'il n'y avait aucune exception fondée sur l'activité commerciale à l'immunité de la Couronne. Mais cela n'est peut‑être pas surprenant. Les mêmes considérations à l'origine du respect mutuel des activités des deux paliers de gouvernement à l'intérieur d'un seul et même État fédéral, examinées auparavant, ne se présentent pas nécessairement dans le domaine international. Si un État veut exercer des activités commerciales à l'étranger comme élément de sa politique nationale ou officielle, il ne peut s'attendre à être exempté de l'application des lois et du processus judiciaire étrangers. (D'autres considérations de principe peuvent certes entrer en jeu lorsqu'une société du secteur public est poursuivie à l'étranger pour des activités exercées sur le territoire du pays d'origine de la société.) Mais comme l'explique clairement le professeur Swinton dans "Federalism and Provincial Government Immunity," précité, aux pp. 28 et 29, la dimension de la politique officielle applicable aux activités commerciales de l'État à l'intérieur du Canada bénéficie d'une présomption de respect:

[TRADUCTION] Il ne fait pas de doute que lorsque le gouvernement provincial agit, que ce soit par l'intermédiaire d'un organisme gouvernemental, d'une société d'État ou d'une société commerciale, il le fait dans l'intérêt public de la province et il s'engage dans des activités gouvernementales. La situation est évidemment des plus claires lorsque l'activité est exercée par un ministère ou un mandataire de l'État, mais elle l'est tout autant lorsque la province a recours à une société commerciale. La raison première d'agir ainsi peut être de générer des revenus pour les coffres de l'État et, bien que les activités de la société puissent sembler étrangères à l'intérêt public, il existe un lien gouvernemental entre l'entreprise et le gouvernement. Un gouvernement provincial aura habituellement d'autres raisons qui s'ajouteront à celle de vouloir réaliser des bénéfices pour s'intéresser aux activités des sociétés. En décidant de participer à plusieurs de ces activités, comme le transport ou le développement des ressources, l'État poursuit des objectifs précis d'intérêt public, la réalisation de bénéfices étant tout au plus un motif secondaire.

Celui qui tente de tracer la ligne de démarcation entre ce qui est public et ce qui est privé s'embourbe rapidement dans des distinctions de nature politique et économique sans espoir d'établir logiquement cette ligne de démarcation.

Quoi qu'il en soit il appartient au Parlement, si cela le tente, de juger du caractère souhaitable d'une exception fondée sur les activités commerciales, comme il l'a fait dans la Loi sur l'immunité des États, précitée, relativement à l'immunité absolue.

e) Conclusion quant à la question de l'immunité

Pour tous les motifs qui précèdent, je suis d'avis, compte tenu du texte actuel de la Loi, que l'AGT est soustraite à la compétence qu'exerce le CRTC en vertu de l'art. 320 de la Loi sur les chemins de fer.

Il ne fait cependant aucun doute que si la Loi sur les chemins de fer avait prévu expressément que la Couronne serait liée, l'AGT serait assujettie à ses dispositions sur le plan constitutionnel. De même, il appert que le Parlement et les provinces ont le pouvoir constitutionnel de modifier la common law et la présomption légale d'immunité pour adopter une règle légale d'interprétation portant que la Couronne sera liée par les lois sauf disposition contraire contenues dans celles‑ci (voir Interpretation Act, R.S.B.C. 1979, chap. 206, art. 14 et Interpretation Act, S.P.E.I. 1981, chap. 18, art. 14).

V. Conclusion

Le pourvoi est accueilli et l'arrêt de la Cour d'appel fédérale infirmé. Les deux questions constitutionnelles reçoivent les réponses suivantes:

1.L'Alberta Government Telephones est‑elle un ouvrage ou une entreprise qui relève de la compétence législative que possède le Parlement du Canada en vertu de l'al. 92(10)a) ou d'une autre disposition de la Loi constitutionnelle de 1867?

Réponse: Oui.

2.En cas de réponse affirmative à la première question, l'Alberta Government Telephones est‑elle liée par les dispositions pertinentes de la Loi sur les chemins de fer?

Réponse: Non.

Il n'y aura pas d'adjudication de dépens.

Version française des motifs rendus par

LE JUGE WILSON (dissidente) — J'ai eu l'avantage de lire les motifs très fouillés du Juge en chef et j'y souscris en grande partie. Mon opinion diffère de la sienne seulement dans la mesure où je ne crois pas, compte tenu des faits de l'espèce et de la nature de la demande présentée au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes ("CRTC"), qu'Alberta Government Telephones ("AGT") puisse invoquer l'art. 16 de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I‑23. Simplement dit, j'estime que, comme AGT a choisi de recevoir les avantages découlant de sa participation à un réseau national de télécommunications réglementé par le CRTC, elle doit également accepter les obligations qu'entraîne cette participation. En d'autres termes, la conduite d'AGT constitue une renonciation à la protection de l'art. 16 de la Loi d'interprétation, dont voici le texte:

16. Nul texte législatif de quelque façon que ce soit ne lie Sa Majesté ni n'a d'effet à l'égard de Sa Majesté ou sur les droits et prérogatives de Sa Majesté, sauf dans la mesure y mentionnée ou prévue.

La théorie dite de "la complémentarité des avantages et des obligations" a récemment été reconnue et approuvée par cette Cour dans l'arrêt Sparling c. Québec (Caisse de dépôt et placement du Québec), [1988] 2 R.C.S. 1015 (ci-après Sparling c. Québec). Dans cette affaire, la Caisse de dépôt et placement du Québec, une mandataire de la Couronne provinciale, possédait un nombre suffisant d'actions d'une compagnie ouverte pour avoir la qualité d'initié au sens de la Loi sur les sociétés commerciales canadiennes, S.C. 1974‑75‑76, chap. 33. La Caisse toutefois, alléguant que l'art. 16 de la Loi d'interprétation l'exemptait de l'application de la loi en cause, a refusé de déposer un rapport d'initié auprès du directeur nommé en vertu de cette loi. Le directeur a fait valoir devant notre Cour qu'en se portant acquéreur des actions, la Caisse avait tiré avantage de la Loi sur les sociétés commerciales canadiennes et qu'elle devait en conséquence en assumer les obligations en dépit de l'art. 16 de la Loi d'interprétation.

L'argument du directeur a été retenu par cette Cour. Le juge La Forest, parlant au nom de tous ses collègues, a conclu que la théorie de la complémentarité des avantages et des obligations était une exception reconnue à l'immunité de la Couronne. Il dit, à la p. 1021:

Je suis d'accord avec le juge Tyndale pour dire que l'exception à l'immunité de la Couronne fondée sur les avantages et les obligations existe et, qu'elle a pour effet en l'espèce de rendre les dispositions de la Loi sur les sociétés commerciales canadiennes visant les rapports d'initié applicables à la Caisse.

On ne peut mettre en doute l'existence de l'exception fondée sur les avantages et les obligations (parfois appelée l'exception de "renonciation") en matière d'immunité de la Couronne. Cette exception est ancienne; voir l'arrêt Crooke (1691), 1 Show. K.B. 208, aux pp. 210 et 211, 89 E.R. 540, à la p. 542, où l'on peut lire:

[TRADUCTION] S'il a quelque droit, le Roi ne peut l'avoir que de par cette Loi du Parlement, et il ne peut l'avoir que selon les termes de cette Loi du Parlement.

L'exception en cause a été appliquée par cette Cour aussi récemment que dans les arrêts The Queen v. Board of Transport Commissioners, [1968] R.C.S. 118, et The Queen v. Murray, [[1967] R.C.S. 309]; voir aussi Toronto Transportation Commission v. The King, [1949] R.C.S. 510.

Ayant établi l'existence de l'exception, le juge La Forest énonce les principes généraux devant présider à son application. Il dit à ce propos, à la p. 1025:

Il est tout à fait correct de conclure que lorsque se soulève la question de l'application de l'exception fondée sur les avantages et les obligations, il ne faut pas décider si les avantages et les obligations découlent du même texte législatif, mais plutôt s'il existe un lien suffisant entre les avantages et les obligations. Comme le dit McNairn, op. cit., à la p. 11:

[TRADUCTION] Il n'est pas essentiel [...] à l'applicabilité du principe de l'assujettissement de la Couronne que l'avantage conféré et la restriction qui s'y attache découlent de la même loi. La question cruciale consiste plutôt à savoir si les deux éléments sont suffisamment liés de sorte qu'il ait été prévu que l'avantage conféré était conditionnel au respect de la restriction imposée.

Le juge La Forest a conclu à l'existence d'un lien suffisant entre la possession des actions et le rapport exigé par la Loi sur les sociétés commerciales canadiennes, conclusion à laquelle il est arrivé malgré le fait que la Caisse ne cherchait pas activement à tirer avantage de la Loi. Elle s'était simplement portée acquéreur d'actions d'une société régie par cette loi. Cela, estimait‑il, représentait un lien suffisant. Le juge La Forest n'est cependant pas allé jusqu'à dire que dès lors qu'un mandataire de la Couronne se livre à des activités dans un domaine réglementé, il est réputé se soumettre à cette réglementation. Il affirme, aux pp. 1027 et 1028:

L'application de l'exception fondée sur les avantages et les obligations ne signifie pas que la Couronne se trouve visée par tous les régimes de réglementation qui se trouvent à s'appliquer à un état de choses particulier. Quoique d'aucuns aient cru que certains anciens arrêts (voir, par exemple, Bank of Montreal v. Bay Bus Terminal (North Bay), Ltd. (1971), 24 D.L.R. (3d) 13 (H.C. Ont.), à la p. 20, conf. (1972), 30 D.L.R. (3d) 24 (C.A. Ont.)) appuyaient la thèse selon laquelle la Couronne est liée par tout régime réglementaire d'une portée suffisamment large, le juge en chef Laskin a rejeté ce point de vue dans l'arrêt P.W.A. (p. 69). L'exception n'a pas une portée aussi grande. Son application ne dépend pas de l'existence ou de la portée d'un régime législatif régissant une branche du commerce ou une autre activité, mais, comme je l'ai déjà noté, elle dépend plutôt du rapport ou du lien entre l'avantage que l'on veut tirer d'une disposition légale ou réglementaire, et les obligations afférentes à ces avantages. On ne met pas l'accent sur la source des droits et des obligations, mais sur leur contenu, sur les rapports qui existent entre eux. Comme l'a dit McNairn, op. cit., aux pp. 11 et 12:

[TRADUCTION] Le recours à une loi peut [...] viser une fin si limitée qu'il ne devrait pas, en conséquence, être présumé que la Couronne a assumé les obligations imposées par cette loi. Tel est le cas lorsque la Couronne recourt à une loi simplement pour se protéger, par exemple pour donner avis, en application d'un régime d'enregistrement, de l'existence d'une réclamation de la Couronne. Un tel recours à une loi peut se distinguer d'un recours actif visant l'obtention de droits positifs, l'imposition des obligations inhérentes à la loi étant une conséquence possible seulement dans le second cas.

Dans les motifs qu'il a rédigés en l'espèce, le Juge en chef a interprété l'arrêt Sparling c. Québec comme exigeant un lien étroit entre l'avantage reçu et l'obligation qu'on veut imposer, sans quoi l'exception fondée sur les avantages et les obligations ne joue pas. S'appuyant sur cette interprétation, il a conclu que l'exception ne s'applique pas à AGT. Je suis d'accord qu'il doit y avoir un lien étroit, mais je n'irais pas jusqu'à conclure, ainsi que semble le faire le Juge en chef, que l'exception fondée sur les avantages et les obligations n'est applicable que si les obligations constituent des restrictions précises apportées à un avantage précis, comme, par exemple, lorsqu'un délai particulier est prescrit pour faire valoir un droit particulier d'action conféré par la loi. J'estime plutôt que cette exception peut s'appliquer également lorsque le mandataire de la Couronne s'est livré volontairement et d'une manière soutenue à une conduite qui l'a fait bénéficier d'une ou de plusieurs dispositions d'une loi. En pareil cas, le mandataire de la Couronne ne peut choisir les situations dans lesquelles il veut que la loi s'applique. Au contraire, ayant consciemment décidé de recevoir les avantages découlant de la loi, il doit également assumer les obligations corrélatives.

Je ne crois pas que les motifs du juge La Forest dans l'affaire Sparling c. Québec excluent cette interprétation plus large de l'exception fondée sur les avantages et les obligations. Au contraire, le juge La Forest a expressément écarté un argument avancé par la Caisse, selon lequel il aurait fallu qu'elle bénéficie d'une disposition précise de la Loi pour qu'une obligation quelconque puisse lui être imposée; voir la p. 1024. D'autre part, je ne vois pas non plus de restriction à mon interprétation dans l'affirmation du juge La Forest que l'exception fondée sur les avantages et les obligations "ne signifie pas que la Couronne se trouve visée par tous les régimes de réglementation qui se trouvent à s'appliquer à un état de choses particulier". Visiblement, le fait que la Couronne s'est prévalue d'une disposition particulière d'une loi de réglementation complexe ne veut pas dire qu'elle devient assujettie à la loi au complet, surtout si un bon nombre des autres dispositions n'ont absolument aucun rapport avec l'avantage obtenu par la Couronne. Ainsi que le souligne le juge La Forest, ce qui importe n'est pas la portée du régime législatif, mais bien le "lien entre l'avantage que l'on veut tirer d'une disposition légale ou réglementaire, et les obligations afférentes à ces avantages". C'est là, selon moi, le sens des motifs du juge La Forest dans l'affaire Sparling c. Québec, sens que je crois parfaitement compatible avec le point de vue que j'adopte aux fins du présent pourvoi.

Je suis en outre d'avis que ma position est appuyée par la jurisprudence antérieure à l'arrêt Sparling c. Québec, quoique je doive convenir que l'exception fondée sur les avantages et les obligations n'avait pas été clairement formulée et définie avant cet arrêt.

Dans l'arrêt Attorney General for British Columbia v. Royal Bank of Canada and Island Amusement Co., [1937] 1 W.W.R. 273, conf. pour d'autres motifs par [1937] R.C.S. 459, la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a examiné les circonstances dans lesquelles une société avait été radiée du registre des sociétés, puis réinscrite, en vertu de The Companies Act, 1929, S.A. 1929, chap. 14 de la province. Il en résultait, aux termes de la loi, que la radiation était réputée n'avoir jamais eu lieu. Toutefois, pendant le temps que la société était en fait radiée, la Couronne, invoquant le principe des biens vacants, avait réclamé des fonds déposés par la société dans un compte en banque. La Couronne soutenait qu'elle n'était pas liée par les dispositions de The Companies Act, 1929 prévoyant la réinscription et que, par conséquent, elle avait droit aux fonds. La cour en rejetant cet argument a dit que tout droit que pouvait avoir la Couronne sur ces fonds ne lui revenait qu'en vertu de la Loi. La Couronne était donc liée par les dispositions de la Loi qui autorisaient la réinscription de la société et qui énonçaient les conséquences de cette réinscription. Le juge Macdonald, parlant au nom de la majorité en Cour d'appel, dit, à la p. 294:

[TRADUCTION] C'est uniquement par suite d'une mesure prise en vertu de l'art. 167 de la Companies Act que les fonds ont fait retour à la Couronne. Si les art. 199 et 200 de la même loi doivent s'interpréter comme prévoyant, expressément ou implicitement, la restitution des fonds à la société qui a été reconstituée, il n'y aucune atteinte à quelque droit que ce soit. La Couronne doit invoquer la Loi (c.‑à‑d., elle doit prendre une mesure sous son régime) pour obtenir un droit quelconque sur les fonds. Elle ne saurait se prévaloir de la partie de la Loi qui est attributive du droit et en même temps faire abstraction de la partie qui (si cela est justifié d'après son sens véritable) éteint un droit dont on a eu temporairement la jouissance. La nature et la portée du droit dépendent du libellé de tous les articles pertinents de la Loi. [Je souligne.]

Dans Reid v. Canadian Farm Loan Board, [1937] 4 D.L.R. 248 (B.R. Man.), Reid avait consenti deux hypothèques à la mandataire de la Couronne fédérale. Il y a eu par la suite défaut de paiement. La mandataire de la Couronne a tenté de procéder à la forclusion, s'appuyant dans le cas d'une des hypothèques sur The Real Property Act, S.M. 1934, chap. 38, et s'adressant aux tribunaux dans le cas de l'autre parce qu'elle avait été consentie antérieurement à l'adoption de la loi. Or, la mandataire de la Couronne fédérale ne s'était pas conformée à The Debt Adjustment Act, 1932, S.M. 1932, chap. 8, qui imposait au créancier hypothécaire l'obligation d'obtenir un certificat afin de pouvoir aller de l'avant avec la forclusion. La cour a statué que la mandataire de la Couronne était tenue à l'observation de The Debt Adjustment Act, 1932. Dans ses motifs, le juge Dysart affirme, aux pp. 252 et 253:

[TRADUCTION] Si la Commission échappe à l'application des lois provinciales en matière hypothécaire, pourquoi reconnaît‑elle celles‑ci à quelque fin que ce soit? Si elle détient le pouvoir de choisir ce qu'elle acceptera comme garantie de ses prêts, pourquoi ne se sert‑elle pas de ce même pouvoir pour faire exécuter ces garanties sans avoir recours aux lois provinciales? La réponse est évidente. Et si la Commission doit recourir aux lois provinciales pour faire exécuter ses garanties, qu'est‑ce qui justifie qu'elle essaye de rejeter une partie de ces lois tout en prétendant bénéficier d'autres parties? Rien, à ce que je peux voir.

L'argument selon lequel les restrictions prévues par The Debt Adjustment Act du Manitoba ne s'appliquent pas à la Couronne (fédérale) parce qu'elle n'est pas expressément assujettie à cette loi et ne peut être soulevé par la Commission. Le principe d'interprétation invoquée ici s'applique uniquement à la Couronne du chef du gouvernement qui a adopté la loi en question — en l'occurrence, du chef du Manitoba. Dans ce champ d'activité législative, la Couronne du chef du Canada ne se trouve pas en meilleure position au Manitoba que la Couronne du chef d'une autre province — dans le champ législatif manitobain, la Couronne fédérale et la Couronne du chef des autres provinces sont des "étrangères".

Dans les faits, la Commission s'est toujours conformée aux règles de droit provinciales en matière hypothécaire. En l'espèce, elle s'est constituée une garantie sous la forme d'hypothèques qui respectaient toutes les exigences essentielles posées par les lois, les règlements et la pratique du Manitoba relativement à la forme et à l'enregistrement des hypothèques. Quand elle a essayé de faire exécuter ces hypothèques, elle a rempli jusqu'à un certain point chacune des exigences provinciales en ce qui concerne la pratique et la procédure et, en exerçant d'autres recours, elle a continué à respecter les exigences du bureau d'enregistrement des droits immobiliers et celles de la cour jusqu'à ce qu'elle se heurte à l'exigence de l'obtention d'un certificat de la Debt Adjustment Commission. Puis, tout en refusant de se conformer sous ce seul aspect à nos règles de droit, elle a demandé à en bénéficier à tous les autres égards aux fins de faire exécuter ses garanties. À mon avis, rien ne justifiait que la Commission agisse de la sorte. Elle ne peut pas jouer sur les deux tableaux. Il ne devrait pas lui être permis de revendiquer le bénéfice des parties avantageuses et de rejeter les parties désavantageuses de nos règles de droit, mais elle doit les prendre telles quelles et dans leur ensemble.

Quoique je doute de la justesse du deuxième paragraphe de ce passage, l'autre fondement de la conclusion du juge Dysart que la Couronne était assujettie à la Loi n'est pas moins valable pour autant. Ce fondement paraît fort semblable à la position que je prends dans le présent pourvoi, savoir que la Couronne ne peut "jouer sur les deux tableaux". Du moment que la Couronne adopte consciemment une certaine conduite et qu'elle persiste dans cette conduite afin de tirer un avantage d'un texte législatif donné, elle doit également accepter les obligations qui se rattachent à cet avantage.

Dans l'affaire The Queen in the Right of the Province of Ontario v. Board of Transport Commissioners, [1968] R.C.S. 118, le gouvernement de l'Ontario avait décidé d'offrir un service ferroviaire de banlieue près de Toronto sur une partie des voies du Canadien national. Le Canadien national a demandé aux commissaires l'autorisation d'interrompre quatre de ses services ferroviaires en prévision d'un accord avec le gouvernement. Les commissaires ont accédé à la demande mais ont dit avoir compétence relativement aux tarifs exigés par le gouvernement pour le service de banlieue. La Couronne a fait valoir en cette Cour que les dispositions de la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, chap. R-2, sur lesquelles les commissaires avaient fondé leur revendication de compétence ne s'appliquaient pas à elle en raison de l'ancien art. 16 de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1952, chap. 158, art. 16, qui portait:

16. Nulle prescription ou disposition d'une loi n'atteint de quelque façon les droits de Sa Majesté, de ses héritiers ou de ses successeurs, à moins qu'il n'y soit formellement stipulé que Sa Majesté y est soumise.

La Cour a jugé que les dispositions particulières de la Loi sur les chemins de fer attributives de compétence aux commissaires ne touchaient pas les droits de Sa Majesté et qu'en conséquence l'art. 16 était inapplicable. Cette conclusion de la Cour a toutefois été exprimée en des termes analogues à ceux employés plus tard relativement à la théorie de la complémentarité des avantages et des obligations. La Cour dit, à la p. 124:

[TRADUCTION] Sa Majesté du chef de l'Ontario n'a, si ce n'est en vertu d'un accord de principe avec le Canadien national, pas le droit d'exploiter un service de trains de banlieue ni, en conséquence, de percevoir un prix pour le transport de passagers sur une portion des lignes de chemins de fer du Canadien national. Les droits de l'Ontario découlent soit de cet accord, soit de la Loi sur les chemins de fer et il s'ensuit qu'ils sont soumis aux conditions qu'impose cette loi, dont l'une est que ce prix relève de la compétence de la Commission des transports.

En d'autres termes, comme la Couronne avait obtenu du Canadien national des avantages ou des droits en vertu de la loi, elle devait supporter les obligations qui les accompagnaient, y compris l'assujettissement à l'autorité des commissaires.

La décision Bank of Montreal v. Bay Bus Terminal (North Bay) Ltd. (1971), 24 D.L.R. (3d) 13 (H.C. Ont.), conf. sur ce point par (1972), 30 D.L.R. (3d) 24 (C.A. Ont.), est un cas où l'on peut dire que la cour est allée trop loin pour appliquer la théorie de la complémentarité des avantages et des obligations. (Cette décision a par la suite été critiquée dans l'arrêt Sparling c. Québec, à la p. 1027.) Dans cette affaire, la Banque de Montréal avait subi une perte quand un grand nombre de billets de la Banque du Canada transportés par une autre partie défenderesse avaient été détruits par le feu. La Banque de Montréal a intenté à la Banque du Canada une action fondée sur certaines dispositions de la Loi sur les lettres de change, S.R.C. 1952, chap. 15. La Banque du Canada pour sa part a invoqué l'art. 16 de la Loi d'interprétation. Le juge en chambre a statué que la Banque du Canada, dans les circonstances, n'avait pas la qualité de mandataire de la Couronne. Il a ajouté toutefois, à la p. 20:

[TRADUCTION] De plus, les dispositions de la Loi sur la Banque du Canada elle‑même ainsi que la nature même des activités quotidiennes de la Banque fournissent probablement une raison plus valable pour laquelle il est impossible de conclure que l'art. 16 de la Loi d'interprétation rend la Loi sur les lettres de change inapplicable à la Banque du Canada.

Sauf certaines restrictions quant aux montants, aux types et aux échéances, la Banque peut, parmi la foule d'activités que l'art. 18 [abr. & rempl. 1953‑54, chap. 33, art. 7; 1966‑67, chap. 88, art. 9] l'autorise expressément à exercer, acheter et vendre des titres, des billets à ordre et des lettres de change, consentir des prêts à différentes banques et institutions bancaires, aux gouvernements provinciaux ainsi qu'au gouvernement fédéral et vendre et acheter à toute personne, sur le marché libre, au Canada ou à l'étranger, des valeurs mobilières, des acceptations de banquiers, des lettres de change et d'autres effets de commerce, avec ou sans l'endossement d'une banque à charte.

Il serait tout à fait illogique de conclure qu'une institution qui doit souvent dans le courant d'une journée se prévaloir des dispositions de la Loi sur les lettres de change et qui a des relations commerciales aussi bien avec le public qu'avec les institutions bancaires, échappe à l'application de cette loi. Cela susciterait chaos et confusion et la Banque du Canada se verrait dans l'impossibilité de bien remplir ses fonctions. Selon moi, les dispositions de l'art. 18 de la Loi sur la Banque du Canada assujettissent bien la Banque à la Loi sur les lettres de change et, dans l'hypothèse où l'art. 16 de la Loi d'interprétation serait applicable, ces dispositions l'emporteraient sur l'art. 16.

À mon avis, ce n'est pas à tort que le juge en chambre dans cette affaire a procédé à une sorte d'analyse fondée sur les avantages et obligations. Il a toutefois commis une erreur en poussant trop loin cette analyse. En effet, il n'avait pas le droit d'examiner les activités quotidiennes non connexes de la Banque du Canada et d'en conclure que celle‑ci devait être liée par la totalité des dispositions de la Loi sur les lettres de change. Il aurait fallu plutôt qu'il tienne compte des dispositions de la Loi dont la Banque du Canada a cherché consciemment et d'une manière soutenue à tirer avantage et qu'il détermine s'il y avait des obligations imposées par ladite loi qui se rapportaient aux avantages obtenus ou qui se rattachaient à ceux‑ci.

Cette étude plutôt sommaire de la jurisprudence antérieure à l'arrêt Sparling c. Québec ne se veut pas un examen exhaustif des décisions relatives à la théorie de la complémentarité des avantages et des obligations. Elle sert cependant à illustrer la disposition des tribunaux, avant que cet arrêt ne soit rendu, à imposer, si les circonstances le justifiaient, des obligations légales aux mandataires de la Couronne lorsque ces obligations se rapportaient à des avantages que la Couronne avait tirés d'une loi par suite d'une conduite délibérée. À l'exception de l'affaire Bank of Montreal, toutes les décisions susmentionnées sont parfaitement compatibles avec l'arrêt Sparling c. Québec de cette Cour. Reste donc à appliquer aux faits de la présente instance les principes qui se dégagent de cette jurisprudence.

La demande qu'a présentée CNCP au CRTC reposait en partie sur le par. 320(7) de la Loi sur les chemins de fer, qui est ainsi conçu:

320. . . .

(7) Chaque fois qu'une compagnie, une province, une municipalité ou une corporation qui a le pouvoir de construire et tenir en service, ou simplement de tenir en service un réseau ou une ligne téléphonique, et d'en exiger des taxes, que ce pouvoir lui vienne du Parlement du Canada ou d'ailleurs, désire utiliser quelque réseau ou ligne téléphonique possédée, contrôlée ou exploitée par la compagnie, afin de relier ce réseau ou cette ligne téléphonique au réseau ou à la ligne de téléphone exploité ou à exploiter par la compagnie en premier lieu mentionnée ou par cette province, municipalité ou corporation, de façon à obtenir une communication directe, au besoin, entre un téléphone ou un bureau central sur un réseau ou une ligne téléphonique, et un téléphone ou un bureau central sur l'autre réseau ou ligne téléphonique et qu'elle ne peut s'entendre avec cette compagnie pour obtenir ce privilège d'usage, ce raccordement ou cette communication, la compagnie en premier lieu mentionnée ou la province, municipalité ou corporation susdite peut s'adresser à la Commission pour qu'il soit remédié à son grief; et la Commission peut ordonner à cette compagnie de fournir ce raccordement, cette communication ou ce privilège d'usage à la condition, y compris une indemnité, s'il y a lieu, que la Commission juge juste et convenable, et peut ordonner de quelle manière, à quelle époque, à quel endroit, par qui et à quelles conditions ce privilège doit s'exercer, ou ce raccordement ou cette communication doit s'effectuer, s'installer, être utilisé et maintenu. [Je souligne.]

Ce paragraphe a essentiellement pour effet d'attribuer au CRTC compétence pour réglementer le raccordement de réseaux téléphoniques dans le cas où une partie refuse de s'entendre avec une autre partie qui désire le raccordement. De toute évidence, cette disposition confère un avantage à la partie qui cherche à obtenir le raccordement et impose une obligation à la partie qui s'y oppose parce que, du moment que les parties sont incapables d'en venir à une entente, le CRTC est saisi de l'affaire. Étant donné l'art. 16 de la Loi d'interprétation, AGT, une mandataire de la Couronne provinciale, ne peut être liée par la disposition en question que si elle a, par une conduite volontaire et soutenue, tiré un avantage de l'application de la loi, lequel avantage a un lien avec l'obligation qu'on veut lui imposer.

Quel avantage AGT a‑t‑elle reçu de la Loi sur les chemins de fer? AGT a décidé de son plein gré de participer avec plusieurs organismes des secteurs public et privé à un réseau national de télécommunications, dont les activités s'exercent également dans le domaine des télécommunications internationales. Ce réseau était d'abord connu sous le nom de "Réseau téléphonique transcanadien" mais s'appelle maintenant "Télécom Canada". Il ne faut cependant pas oublier que le réseau, étant une association non constituée en personne morale, n'est rien de plus que la somme de ses composantes. Donc, bien que Télécom conclue des accords avec d'autres parties et se livre en fait à des opérations commerciales, elle le fait en tant que mandataire de ses composantes, dont AGT. Suivant le par. 320(11) de la Loi sur les chemins de fer, Télécom était tenu d'obtenir l'approbation du CRTC pour plusieurs accords. Le paragraphe 320(11) dispose:

320. . . .

(11) Tous les contrats, marchés et arrangements conclus entre la compagnie et une autre compagnie, ou une province, municipalité ou corporation qui possède le pouvoir de construire ou de tenir en service un réseau ou une ligne de téléphone ou de télégraphe, que ce pouvoir lui vienne du Parlement du Canada ou d'ailleurs, et visant la réglementation et l'échange de communications et de services télégraphiques ou téléphoniques entre leurs réseaux et lignes télégraphiques ou téléphoniques respectifs, ou la division ou répartition des taxes de télégraphe ou de téléphone, ou se rapportant d'une manière générale à l'administration, à l'exploitation ou à la mise en service de l'un ou de plusieurs de leurs réseaux ou de l'une ou de plusieurs de leurs lignes de télégraphe ou de téléphone respectives, en totalité ou en partie, ou d'autres réseaux ou lignes exploités en liaison avec les réseaux ou lignes susdits ou l'un ou l'autre desdits réseaux ou lignes, sont subordonnés à l'agrément de la Commission et doivent lui être soumis et être agréés par elle avant que lesdits contrats, marchés ou arrangements deviennent exécutoires. [Je souligne.]

Le juge Reed a dressé une liste des accords auxquels AGT était partie en raison de son association avec le Réseau téléphonique transcanadien ou Télécom Canada, [1985] 2 C.F. 472, aux pp. 496 et 497, (1984), 15 D.L.R. (4th) 515, aux pp. 545 et 546. Le juge Reed s'exprime ainsi:

Voici les accords impliquant AGT que le CRTC a approuvés: l'accord de service et de raccordement du RTT avec American Telephone and Telegraph Company (AT&T) de 1971; l'accord de raccordement de 1972 entre AGT et le Canadien national, modifié en 1973, 1976 et 1977; l'accord d'exploitation et de raccordement du RTT de 1975 avec Téléglobe; un contrat de mandat de 1979 intervenu entre tous les membres du RTT; l'accord du RTT de 1978 avec Telenet; l'accord du RTT de 1979 avec Tymnet; l'approbation provisoire en 1983 de l'accord du RTT avec American Satellite Company; l'approbation provisoire, en 1983 aussi, de l'accord du RTT avec MCI Telecommunications Corporation.

L'accord de raccordement du RTT de 1976 lui‑même ne fut pas approuvé dans un premier temps. En 1977, le CRTC rejeta la demande d'approbation de cet accord présentée par Télésat (Décision Telecom, CRTC 77‑10). La décision du CRTC reposait sur la conclusion que cette approbation aurait dangereusement porté atteinte au contrôle réglementaire de l'autonomie de Télésat et créé une situation de non‑concurrence, laquelle n'était pas dans l'intérêt public. Le gouverneur en conseil modifia la décision du CRTC dans son décret C.P. 1977‑3152, approuvant en substance l'accord de raccordement tel qu'initialement proposé par les membres du RTT. À nouveau, en 1981, le CRTC refusa d'approuver certains aspects d'une demande concernant certaines hausses et réductions des tarifs du RTT. (Décision Telecom, CRTC 81‑13.) C'est ce refus qui donna lieu à la requête au gouverneur en conseil [présentée le 23 juillet 1981]. Cette requête fut signée par tous les membres du RTT. Le gouverneur en conseil révisa la décision initiale du CRTC dans son décret C.P. 1981‑3456.

Bien qu'AGT n'ait pas été l'auteur des demandes, sauf dans le cadre de celle adressée au gouverneur en conseil relativement aux tarifs, Télécom les a présentées en son nom et au nom de tous les autres participants. Je vois mal dans ces circonstances comment AGT peut prétendre ne pas avoir toujours bénéficié, avec les autres, de l'approbation que le CRTC a donnée à ces accords. Je suis d'avis que les demandes faites en vertu du par. 320(11) doivent être considérées comme l'ayant été par les parties participantes, par l'intermédiaire de leur mandataire Télécom.

De plus, l'accord intervenu entre AGT et les Chemins de fer nationaux du Canada en vue du raccordement de réseaux entre l'Alberta et les Territoires du Nord‑Ouest devait également être approuvé par le CRTC conformément au par. 320(11) et cette approbation a été accordée. Dans ce cas aussi, bien que ce ne soit pas AGT qui a présenté la demande, le même raisonnement me semble applicable.

AGT a certainement tiré de nombreux avantages de l'approbation que le CRTC a donnée aux accords susmentionnés. AGT désirait manifestement rester membre du réseau et faire partie des relations commerciales résultant de ce statut. Un exemple des avantages que rapportent à AGT sa participation au réseau est qu'elle se trouve en mesure d'offrir à ses clients un service complet de télécommunications nationales et internationales. Cela a sans aucun doute amené une augmentation des recettes d'AGT. Le système de distribution adopté par les membres de Télécom a également produit des gains. Qui plus est, AGT a pu participer avec les autres membres de Télécom au développement de nouvelles technologies et à l'élaboration de nouvelles stratégies commerciales. Voilà quelques‑uns seulement des avantages qu'AGT a tirés de l'approbation donnée par le CRTC aux accords conclus par les participants.

J'estime en conséquence qu'AGT s'est livrée d'une manière soutenue à une conduite qui lui a permis de jouir et de continuer à jouir des avantages découlant du fait que les accords ont été soumis à l'approbation du CRTC en vertu du par. 320(11) de la Loi sur les chemins de fer et que cette approbation a été accordée. L'avantage principal pour AGT vient du raccordement de son réseau à plusieurs autres réseaux pour former un réseau national et international de télécommunications. Or, cet avantage et les autres qu'a reçus AGT présentent‑ils un lien suffisant avec les obligations que CNCP cherche à lui imposer? Je crois que oui. Il ne conviendrait guère, à mon avis, de permettre à AGT et à d'autres mandataires de la Couronne de choisir à leur gré les circonstances dans lesquelles ils accepteront que le CRTC règlemente les raccordements entre eux et d'autres entités exerçant des activités dans le domaine des télécommunications, surtout lorsque ces autres entités ne peuvent faire de tels choix. Ce serait là permettre à AGT de "jouer sur les deux tableaux". Ayant accepté la compétence du CRTC relativement aux raccordements afin d'obtenir les avantages résultant de ceux‑ci, AGT doit accepter sa compétence relativement aux obligations rattachées à ces raccordements.

Le juge Reed de la Division de première instance de la Cour fédérale semble avoir reculé devant l'application de l'exception fondée sur les avantages et les obligations à AGT parce que CNCP n'a été partie à aucun des accords de raccordement conclus par AGT. Je n'ai pas la même réticence. Le désir d'AGT de bénéficier de l'application du par. 320(11) ne se bornait pas à un incident isolé survenu dans le cadre d'une opération précise. Au contraire, AGT s'est livrée volontairement et d'une manière soutenue à une conduite par laquelle elle a tenté de profiter des accords de raccordement qui, aux termes de la loi, devaient recevoir l'approbation du CRTC. Il ne s'agit pas ici d'un cas tout à fait isolé où l'on s'est prévalu de la loi. En essayant de se ménager des avantages de large portée, AGT, selon moi, s'est soumise aux obligations de large portée imposées par la loi. Elle relève en conséquence du contrôle du CRTC au même titre que les autres membres de Télécom.

Quant à l'argument voulant que si, en raison de sa qualité de mandataire de la Couronne provinciale, AGT échappe à toute réglementation de la part du CRTC, elle puisse alors faire échouer le réseau, je n'en traite pas parce que, compte tenu de la conclusion que j'ai tirée, cela n'est pas nécessaire. Je tiens toutefois à signaler qu'à mon avis cet argument étaye dans une grande mesure ma position. Je n'ai pas abordé non plus l'argument suivant lequel, si AGT échappe à toute réglementation de la part du CRTC à l'égard de sa participation au réseau, elle n'est donc soumise à aucune réglementation étant donné qu'il a été décidé que le réseau est une entreprise interprovinciale. Il est évident que c'est là une considération d'ordre pratique plutôt que juridique en ce qui concerne la question de l'assujettissement d'AGT à la réglementation imposée par le CRTC.

Je n'ai pas abordé non plus la question de savoir s'il serait souhaitable d'avoir une exception au principe de l'immunité de la Couronne qui serait fondée sur les "activités commerciales". Il me semble toutefois que la justification d'une telle exception au niveau international s'applique tout autant au niveau national. Je doute fort que la théorie de l'immunité de la Couronne, élaborée à une époque où le rôle du gouvernement était considéré comme très limité, ait jamais été destinée à protéger la Couronne quand elle agissait, non pas en sa qualité particulière de Couronne, mais en tant que concurrente d'autres entités commerciales sur le marché. Je remets à une autre occasion l'examen de cette question.

Je conclus que, dans les circonstances de la présente affaire, la conduite d'AGT vient l'empêcher d'invoquer l'art. 16 de la Loi d'interprétation. Il s'ensuit que c'est à tort que le juge Reed a accordé à AGT un bref de prohibition. Je suis d'avis de renvoyer l'affaire au CRTC pour qu'il statue au fond sur la demande fondée sur le par. 320(7). Je suis en outre d'avis de ne pas adjuger de dépens.

Pourvoi accueilli, le juge WILSON est dissidente; la première question constitutionnelle reçoit une réponse affirmative, la seconde une réponse négative.

Procureurs de l'appelante et de l'intervenant le procureur général de l'Alberta: Burnet, Duckworth & Palmer, Calgary.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Canada: Le sous‑procureur général, Ottawa.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Québec: Le procureur général du Québec, Ste‑Foy.

Procureur de l'intervenant le procureur général de la Nouvelle‑Écosse: Le procureur général de la Nouvelle‑Écosse, Halifax.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick: Le sous‑procureur général, Fredericton.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Manitoba: Tanner Elton, Winnipeg.

Procureur de l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique: Le procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.

Procureur de l'intervenant le procureur général de l'{UIc}le‑du‑Prince‑Édouard: Le procureur général de l'{UIc}le‑du‑Prince‑Édouard, Charlottetown.

Procureur de l'intervenant le procureur de la Saskatchewan: Brian Barrington‑Foote, Regina.

Procureur de l'intervenant le procureur général de Terre‑Neuve: Le procureur général de Terre‑Neuve, St. John's.

Procureur de l'intimée Télécommunications CNCP: Le contentieux du Pacifique canadien, Montréal.

Procureur de l'intimé Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes: Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, Hull.

*Les juges Beetz, Estey et Le Dain n'ont pas pris part au jugement.

** Voir Erratum, [1989] 2 R.C.S. iv

**Faits résumés par l'éditeur.

***Faits résumés par l'éditeur. Référence sera faite aux pages des motifs de jugement pour les extraits des faits cités par le juge et non publiés au R.C.F.


Synthèse
Référence neutre : [1989] 2 R.C.S. 225 ?
Date de la décision : 14/08/1989
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli. La première question constitutionnelle reçoit une réponse affirmative, la seconde une réponse négative

Analyses

Droit constitutionnel - Partage des compétences - Ouvrage ou entreprise de nature interprovinciale - Système de télécommunications provincial - Installations et abonnés situés à l'intérieur de la province - Appartenance à une organisation non constituée en personne morale qui fournit un service national et international - Accords soumis à la réglementation fédérale - S'agit‑il d'un ouvrage ou d'une entreprise relevant de la compétence fédérale? - Dans l'affirmative, s'agit‑il d'une mandataire de la Couronne provinciale assujettie à la réglementation fédérale? - Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(29), 92(10)a) - Alberta Government Telephones Act, R.S.A. 1980, chap. A‑23, art. 1c), d), 4, 42(1) - Public Utilities Board Act, R.S.A. 1980, chap. P‑37, art. 1j), 70(1)c) - Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, chap. R‑2, art. 5, 320(1), (11), (12).

Couronne - Immunité - Mandataire de la Couronne provinciale exploitant un système provincial de télécommunications - Si le système est assujetti à la réglementation fédérale, la Couronne provinciale est‑elle soumise aux dispositions fédérales de réglementation? - Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I‑23, art. 16, 28.

Alberta Government Telephones (AGT) a été constituée par la province de l'Alberta en vertu d'une loi pour fournir des services de téléphone et de télécommunications dans la province. Les activités de l'entreprise tombaient sous le contrôle d'une commission provinciale. Les installations de l'AGT sont raccordées aux câbles et à l'équipement de communications par micro‑ondes d'autres entreprises à la frontière de l'Alberta. L'AGT appartient aussi à Télécom Canada, une organisation non constituée en personne morale d'entreprises de télécommunications qui fournit un réseau de télécommunications dans l'ensemble du Canada. Les accords auxquels l'AGT est partie sont soumis à la réglementation fédérale édictée par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), mais les demandes d'approbation de ces accords ont toujours été faites par Télécom Canada et non par l'AGT. CNCP n'appartient pas à Télécom Canada et n'est pas partie aux accords conclus par l'AGT.

Le 17 septembre 1982, CNCP a présenté au CRTC une requête conformément à la Loi sur les chemins de fer, par laquelle elle sollicitait diverses ordonnances en vue d'obliger l'AGT à fournir des installations pour l'échange de services de télécommunications entre le système exploité par CNCP et celui exploité par l'AGT. D'autre part, l'AGT a demandé et obtenu la délivrance d'un bref de prohibition par la Division de première instance de la Cour fédérale qui a conclu que l'AGT était une entreprise fédérale au sens de l'al. 92(10)a) mais, en tant que mandataire de la Couronne provinciale, pouvait invoquer l'immunité de la Couronne. La Cour d'appel fédérale a confirmé la conclusion que l'AGT était une entreprise fédérale mais a conclu que l'AGT avait excédé son mandat en vertu de la loi et ne pouvait donc se prévaloir de l'immunité de la Couronne. L'ordonnance de prohibition a été annulée.

Cette Cour a formulé les questions constitutionnelles suivantes: (1) l'AGT est‑elle un ouvrage ou une entreprise qui relève de la compétence législative fédérale en vertu de l'al. 92(10)a) ou d'une autre disposition de la Loi constitutionnelle de 1867 et (2), si la réponse est affirmative, l'AGT est‑elle liée par les dispositions pertinentes de la Loi sur les chemins de fer?

Arrêt (le juge Wilson est dissidente): Le pourvoi est accueilli. La première question constitutionnelle reçoit une réponse affirmative, la seconde une réponse négative.

Le juge en chef Dickson et les juges McIntyre, Lamer, La Forest et l'Heureux‑Dubé: L'AGT est une entreprise interprovinciale au sens de l'al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867; en conséquence, elle relève entièrement de la compétence fédérale. Toutefois, comme mandataire de la Couronne provinciale, l'AGT peut invoquer l'immunité de la Couronne ce qui fait qu'elle n'est pas assujettie au pouvoir de réglementation conféré au CRTC en vertu des art. 5 et 320 de la Loi sur les chemins de fer. Si la Loi sur les chemins de fer avait été rédigée de façon à lier la Couronne, l'AGT serait assujettie à ses dispositions, sur le plan constitutionnel.

La question de savoir si une entreprise, un service ou une affaire relève de la compétence fédérale dépend de la nature de l'exploitation et pour la déterminer il faut considérer les activités normales ou habituelles de l'affaire en tant qu'"entreprise active" sans tenir compte des facteurs exceptionnels ou occasionnels. Il est impossible de formuler sans contexte un seul critère qui soit complet; les faits particuliers de chaque affaire doivent guider le tribunal.

L'emplacement des installations dans une province et le fait que tous les bénéficiaires d'un service se trouvent dans une seule province n'empêchent pas qu'une entreprise soit de nature interprovinciale. Il faut se préoccuper principalement non pas des structures matérielles ou de leur emplacement géographique, mais plutôt du service que l'entreprise fournit au moyen de ses installations matérielles.

Le fait que l'AGT émette et reçoive des signaux électroniques aux frontières de l'Alberta indique que l'AGT est une entreprise interprovinciale plutôt qu'une entreprise locale. Bien que le simple raccordement d'installations matérielles d'une province à celles d'une autre province ne suffise pas pour la qualifier comme une entreprise interprovinciale, il y a beaucoup plus en l'espèce que le simple raccordement matériel du système de l'AGT aux frontières provinciales. Grâce à divers arrangements commerciaux de nature bilatérale et multilatérale, l'AGT est en mesure de jouer un rôle essentiel dans le système national de télécommunications et d'offrir à ses abonnés locaux des services de nature interprovinciale et internationale.

La réponse à une question constitutionnelle dépend plus des faits de l'espèce que de la forme particulière de constitution en personne morale. Le rôle et les rapports de l'AGT avec Télécom Canada sont pertinents quant à la nature constitutionnelle de l'AGT. L'AGT est le mécanisme par lequel les résidents de l'Alberta établissent et reçoivent des communications téléphoniques interprovinciales et internationales. Les services sont offerts grâce à des arrangements juridiques et matériels qui sont empreints d'une très grande coopération. Télécom Canada est l'un des principaux moyens utilisés par l'AGT pour étendre ses services au‑delà de la province et du pays. Il n'est pas nécessaire de qualifier les rapports juridiques qui existent entre les membres de Télécom Canada. Il s'agit d'une espèce d'entreprise commune et d'une caractéristique nécessaire de l'entreprise globale de l'AGT. L'AGT ne pourrait se dissocier de Télécom Canada sans modifier considérablement la nature de son entreprise.

Le fait que les membres de Télécom Canada soient propriétaires de leurs "ouvrages" respectifs n'a pas d'importance. En l'espèce, le droit de propriété de chacun sur les ouvrages n'a pas pour effet de supprimer le niveau d'intégration qui existe entre le système de chaque membre et le degré de coopération et coordination qui existe au sein du système téléphonique national. Cela n'enlève rien à la nature interprovinciale du système de l'AGT et ne fait pas de Télécom Canada une simple association de parties intéressées. Le fait d'être propriétaire n'est pas en soi décisif.

Un organisme distinct ne conserve pas nécessairement son caractère local parce qu'il ne peut, de son propre chef, établir un raccordement interprovincial. Le critère du promoteur unique n'est pas essentiel pour conclure qu'il s'agit d'une exploitation interprovinciale. Même s'il l'était, l'AGT et les autres membres de Télécom seraient considérés comme des "promoteurs uniques" du fait qu'ils agissent ensemble, comme un seul tout, au moyen d'une entreprise conjointe pour réaliser les divers raccordements interprovinciaux qui constituent le pivot du système canadien de télécommunications. Ignorer l'interdépendance des divers membres de Télécom Canada en raison de leur structure juridique distincte reviendrait à sacrifier le fond au dépens de la forme et n'aurait aucune valeur constitutionnelle.

La participation de l'AGT au trafic interprovincial de signaux ne commence ni ne finit à la frontière albertaine. L'AGT, de concert avec les autres membres de Télécom, fournit la structure matérielle pour la prestation de services interprovinciaux et internationaux de télécommunications. C'est l'AGT elle‑même qui fournit le raccordement essentiel aux frontières de l'Alberta.

La mention de "Sa Majesté" à l'art. 16 de la Loi d'interprétation s'entend non seulement de la Couronne du chef du Canada, mais également de la Couronne du chef d'une province. La portée des termes "mentionnée ou prévue" doit s'interpréter indépendamment de la règle de common law supplantée en ce qui concerne l'immunité de la Couronne. Ces termes peuvent comprendre (1) des termes qui lient expressément la Couronne; (2) une intention qui ressort lorsque les dispositions sont interprétées dans le contexte d'autres dispositions; et (3) une intention de lier lorsqu'il résulterait une absurdité, par opposition à un résultat non souhaité, si l'État n'était pas lié. Toute exception par déduction nécessaire à la règle habituelle de l'immunité de la Couronne devrait être de portée très restreinte.

La Loi sur les chemins de fer ne peut lier l'AGT que dans la mesure où la Couronne provinciale est "mentionnée ou prévue" dans la loi. Les articles 320 et 5 de la Loi sur les chemins de fer ne comportent pas de termes qui lient la Couronne expressément et rien dans le contexte de ces dispositions n'indique que le Parlement avait clairement l'intention de lier la Couronne. Le fait que l'attribution de l'immunité entraîne un vide réglementaire à l'égard de l'AGT ne prive pas d'efficacité l'application de la Loi sur les chemins de fer dans son ensemble. Même si l'attribution de l'immunité jusqu'à ce que le Parlement décide de modifier la loi entraîne un vide dans l'application éventuelle de la Loi sur les chemins de fer, la Loi peut continuer à s'appliquer tout comme elle s'appliquait avant que cette Cour décide que l'AGT est une entreprise fédérale.

L'AGT n'a pas renoncé à son immunité en profitant des avantages de la réglementation fédérale sur les télécommunications établie en vertu de la Loi sur les chemins de fer. Pour qu'il y ait renonciation à l'immunité, il faut démontrer qu'il existe un lien indiquant que l'avantage conféré à la Couronne est conditionnel au respect de la restriction imposée. L'exigence d'un lien assez étroit entre l'avantage et l'obligation respecte la jurisprudence, la nature même de la théorie de l'immunité de la Couronne et le critère strict de la constatation d'une intention du législateur de lier la Couronne. Un critère général des avantages et des obligations serait trop de nature législative face à la formulation actuelle de l'art. 16. de la Loi d'interprétation.

L'Alberta Government Telephones Act (Loi de l'AGT) lui confère la capacité et les pouvoirs de participer aux avantages d'un réseau de télécommunications intégré et réglementé par le fédéral dans la prestation de ses services de télécommunications aux abonnés locaux. Aucun des actes que l'AGT a accomplis par l'intermédiaire du Réseau téléphonique transcanadien (RTT) ne peut s'interpréter comme un assujettissement implicite général à l'ensemble des avantages et des obligations. L'AGT n'invoque pas, ni n'a invoqué dans le passé, des avantages particuliers de la Loi sur les chemins de fer ou de la réglementation du CRTC à l'égard desquels le raccordement avec CNCP constitue une obligation concomitante. CNCP ne fait pas partie de l'accord du RTT et ne demande pas un raccordement conformément à un accord entre elle et l'AGT. Les avantages obtenus par l'AGT en vertu de la Loi sur les chemins de fer sont insuffisants pour la lier à la compétence du CRTC en application de la théorie de la renonciation à l'immunité de la Couronne. On ne peut donc considérer que l'AGT a renoncé à son immunité en ce qui concerne les obligations liées à l'exécution des accords du RTT et des autres accords. Si CNCP était membre du RTT, ce serait une toute autre question. Si le raccordement demandé avait un rapport avec un accord en vigueur entre l'AGT et CNCP il existerait un lien suffisant. Ce serait pousser trop loin la théorie de la renonciation que de tenir que l'AGT, par sa participation aux avantages des accords du RTT, a accepté la compétence générale du CRTC.

Un mandataire de la Couronne provinciale qui s'immisce dans un domaine de réglementation fédérale en devenant un ouvrage ou entreprise de nature interprovinciale ne perd pas l'immunité dont il bénéficierait par ailleurs. Si l'exercice d'une activité dans un domaine de compétence fédérale suffisait à empêcher le mandataire d'invoquer son immunité, l'art. 16 de la Loi d'interprétation serait lettre morte vis‑à‑vis de la Couronne du chef d'une province. Le fait de pénétrer dans l'un ou l'autre des domaines de compétence fédérale ne peut avoir en soi pour effet de dépouiller automatiquement l'AGT de sa qualité de mandataire de la Couronne et de son immunité.

L'idée que l'immunité de la Couronne est perdue lorsqu'un mandataire de la Couronne excède les limites du mandat prévu par la loi est tout à fait logique dans un État unitaire où l'autorité responsable de la réglementation et le mandataire de la Couronne relèvent du même ressort. On peut présumer que le Parlement ou la législature n'a accordé l'immunité à l'égard de sa propre réglementation que pour des fins précises; lorsque la Couronne poursuit une autre fin, il n'y a plus de raison d'accorder l'immunité. Cette théorie peut aussi s'appliquer lorsqu'un palier de gouvernement tente d'invoquer l'immunité de la Couronne à l'encontre d'une loi d'un autre palier. La distinction entre un mandataire qui agit pour les fins de l'État et celui qui agit personnellement est applicable.

Toutefois l'AGT n'a pas outrepassé ni son mandat légal, ni les fins de l'État. Au contraire, comme mandataire de la Couronne provinciale, la réalisation des objectifs que lui attribue la loi et les progrès continuels de la technologie l'ont obligée à fonctionner comme une entreprise fédérale pour desservir ses abonnés, ce qui a entraîné l'application de la réglementation fédérale.

Le juge Wilson (dissidente): L'AGT a renoncé à l'immunité de la Couronne lorsqu'elle a choisi de recevoir les avantages découlant de sa participation à un réseau national de télécommunications réglementé par le CRTC car, en le faisant, elle a dû également accepter les obligations qu'entraîne cette participation. La théorie fondée sur les avantages et les obligations exige un lien étroit entre l'avantage reçu et l'obligation qu'on veut imposer mais n'exige pas que ce lien existe entre une restriction précise et un avantage précis. La théorie fondée sur les avantages et les obligations s'applique lorsque le mandataire de la Couronne a adopté volontairement et de manière soutenue une conduite qui l'a fait bénéficier d'une ou de plusieurs dispositions d'une loi. Le mandataire de la Couronne ne peut choisir les situations dans lesquelles il veut que la loi s'applique.

Le paragraphe 320(7) de la Loi sur les chemins de fer attribue au CRTC compétence pour réglementer le raccordement de réseaux téléphoniques dans le cas où une partie refuse de s'entendre avec une autre partie qui désire le raccordement. Cette disposition confère clairement un avantage à la partie qui cherche un raccordement et entraîne une obligation pour la partie qui s'y oppose parce que, du moment que les parties sont incapables de parvenir à une entente, le CRTC est saisi de l'affaire. En conséquence, l'AGT sera liée par le par. 320(7) si elle a adopté délibérément et de façon soutenue une conduite justifiant l'application de l'exception fondée sur les avantages et les obligations.

Les demandes présentées au CRTC en vertu du par. 320(11) doivent être considérées comme l'ayant été par les parties participantes. Télécom Canada, une association non constituée en personne morale, n'est rien de plus que la somme de ses composantes et les demandes ont été adressées au CRTC par Télécom Canada au nom de tous les participants. L'AGT s'est donc livrée d'une manière soutenue à une conduite qui lui a permis de jouir des avantages résultant de l'approbation des accords par le CRTC en vertu du par. 320(11) de la Loi sur les chemins de fer. Le lien entre les avantages de large portée que l'AGT a reçus et les obligations de large portée que le CRTC cherche à lui imposer est assez étroit pour justifier l'application de l'exception fondée sur les avantages et les obligations. Le fait que CNCP n'a été partie à aucun des accords de raccordement conclus par l'AGT n'a aucun effet sur ce lien et n'empêche pas l'application à l'AGT de l'exception fondée sur les avantages et les obligations.


Parties
Demandeurs : Alberta government telephones
Défendeurs : (Canada) conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge en chef Dickson
Arrêts examinés: City of Montreal v. Montreal Street Railway, [1912] A.C. 333
Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] R.C.S. 115
The Queen in the Right of the Province of Ontario v. Board of Transport Commissioners, [1968] R.C.S. 118
Kootenay & Elk Railway Co. c. Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, [1974] R.C.S. 955
Luscar Collieries Ltd. v. McDonald, [1925] R.C.S. 460
British Columbia Electric Railway Co. v. Canadian National Railway Co., [1932] R.C.S. 161
Sa Majesté du chef de la province de l'Alberta c. Commission canadienne des transports, [1978] 1 R.C.S. 61
Sparling c. Québec (Caisse de dépôt et placement du Québec), [1988] 2 R.C.S. 1015
Province of Bombay v. City of Bombay, [1947] A.C. 58
R. c. Ouellette, [1980] 1 R.C.S. 568
Toronto Transportation Commission v. The King, [1949] R.C.S. 510
R. v. Murray, [1967] R.C.S. 262
distinction d'avec les arrêts: Attorney‑General for Ontario v. Winner, [1954] A.C. 541
City of Toronto v. Bell Telephone Co. of Canada, [1905] A.C. 52
Fulton c. Energy Resources Conservation Board, [1981] 1 R.C.S. 153
R. c. Eldorado Nucléaire Ltée, [1983] 2 R.C.S. 551
Société Radio‑Canada c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 339
arrêts mentionnés: FIOE c. Alberta Government Telephones, [1989] 2 R.C.S. 000
Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754
Saskatchewan Power Corp. c. TransCanada Pipelines Ltd., [1979] 1 R.C.S. 297
Capital Cities Communications Inc. c. Conseil de la Radio‑Télévision canadienne, [1978] 2 R.C.S. 141
Régie des services publics c. Dionne, [1978] 2 R.C.S. 191
R. v. Toronto Magistrates, Ex Parte Tank Truck Transport Ltd., [1960] O.R. 497
R. v. Cooksville Magistrate's Court, Ex parte Liquid Cargo Lines Ltd., [1965] 1 O.R. 84
Canadian Pacific Ltd. v. Telesat Canada (1982), 36 O.R. (2d) 229
Arrow Transfer Co., [1974] 1 Can. L.R.B.R. 29
In re Silver Bros., Ld., [1932] A.C. 514
Crooke's Case (1691), 1 Show. K.B. 208, 89 E.R. 540
Gartland Steamship Co. v. The Queen, [1960] R.C.S. 315
Bonanza Creek Gold Mining Co. v. The King, [1916] 1 A.C. 566
Gouvernement de la République démocratique du Congo c. Venne, [1971] R.C.S. 997.
Citée par le juge Wilson (dissidente)
Sparling c. Québec (Caisse de dépôt et placement du Québec), [1988] 2 R.C.S. 1015
Attorney‑General for British Columbia v. Royal Bank of Canada and Island Amusement Co., [1937] 1 W.W.R. 273, conf. pour d'autres motifs par [1937] R.C.S. 459
Reid v. Canadian Farm Loan Board, [1937] 4 D.L.R. 248
The Queen in the Right of the Province of Ontario v. Board of Transport Commissioners, [1968] R.C.S. 118
Bank of Montreal v. Bay Bus Terminal (North Bay) Ltd. (1971), 24 D.L.R. (3d) 13 (H.C. Ont.), conf. quant à l'application étendue de la théorie des avantages et obligations par (1972), 30 D.L.R. (3d) 24 (C.A. Ont.)
Lois et règlements cités
Act respecting Government Telephone and Telegraph Systems, S.A. 1908, chap. 14, art. 1, 5.
Act to Amend The Telephone and Telegraph Act, S.A. 1956, chap. 53, art. 2, 4.
Acte concernant les Statuts du Canada, S.C. 1867, chap. 1, art. 7.
Acte des chemins de fer de l'État, S.R.C. 1886, chap. 38 (S.R.C. 1970, chap. G-11).
Alberta Government Telephones Act, R.S.A. 1980, chap. A‑23, art. 1c), d), 2(2), 4(1), (2), (3), 9(1)c), d), e), 10, 24, 42(1).
Alberta Government Telephones Act, S.A. 1958, chap. 85, art. 3, 34.
Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, art. 2, 758, 771(3).
Companies Act, 1929, S.A. 1929, chap. 14.
Crown Proceedings Act, 1947 (R.-U.), 10 & 11 Geo. 6., chap. 44, art. 31(1).
Debt Adjustment Act, 1932, S.M. 1932, chap. 8.
Interpretation Act, R.S.B.C. 1979, chap. 206, art. 14.
Interpretation Act, S.P.E.I. 1981, chap. 18, art. 14.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(29), 92(10)a), b), c).
Loi d'interprétation, S.C. 1967-68, chap. 7.
Loi d'interprétation, S.R.C. 1952, chap. 158, art. 3(1), 16, 27(2).
Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I‑23, art. 3(2), 16, 28.
Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, chap. N‑17, art. 64(1).
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 32(1)c).
Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, chap. A‑3.
Loi sur l'immunité des États, L.R.C. (1985), chap. S‑18, art. 5.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e supp.), chap. 10, art. 18.
Loi sur la radio, S.R.C. 1970, chap. R‑1.
Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, chap. B‑11.
Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, S.C. 1974‑75‑76, chap. 49.
Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, chap. R‑2, art. 5, 320(1), (7), (11), (12).
Loi sur les lettres de change, S.R.C. 1952, chap. 15.
Loi sur les sociétés commerciales canadiennes, S.C. du 76 1974, chap. 33, art. 121, 122.
Public Utilities Board Act, R.S.A. 1980, chap. P‑37, art. 1j), 70(1)c).
Real Property Act, S.M. 1934, chap. 38.
Rural Mutual Telephone Companies Act, S.A. 1935, chap. 48.
State Immunity Act, 1978 (R.-U.), 1978, chap. 33, art. 3.
State Immunity Act, L.R.C. (1985), c. S-18, s. 5.
Telephone and Telegraph Act, R.S.A. 1922, chap. 49.
Telephone and Telegraph Act, R.S.A. 1942, chap. 198.
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Doctrine citée
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Proposition de citation de la décision: Alberta government telephones c. (Canada) conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1989] 2 R.C.S. 225 (14 août 1989)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1989-08-14;.1989..2.r.c.s..225 ?
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