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15/12/1988 | CANADA | N°[1988]_2_R.C.S._825

Canada | R. c. Quin, [1988] 2 R.C.S. 825 (15 décembre 1988)


r. c. quin, [1988] 2 R.C.S. 825

Mark Edward Quin Appelant

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

répertorié: r. c. quin

No du greffe: 18144.

1987: 8 décembre; 1988: 15 décembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey*, McIntyre, Lamer, Wilson, Le Dain*, La Forest et L'Heureux‑Dubé.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1983), 9 C.C.C. (3d) 94, qui a accueilli un appel interjeté contre un acquittement prononcé par le juge Pickett de la Cour provinc

iale et inscrit une déclaration de culpabilité. Pourvoi rejeté, le juge en chef Dickson et les juges Lamer et La F...

r. c. quin, [1988] 2 R.C.S. 825

Mark Edward Quin Appelant

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

répertorié: r. c. quin

No du greffe: 18144.

1987: 8 décembre; 1988: 15 décembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey*, McIntyre, Lamer, Wilson, Le Dain*, La Forest et L'Heureux‑Dubé.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1983), 9 C.C.C. (3d) 94, qui a accueilli un appel interjeté contre un acquittement prononcé par le juge Pickett de la Cour provinciale et inscrit une déclaration de culpabilité. Pourvoi rejeté, le juge en chef Dickson et les juges Lamer et La Forest sont dissidents.

1. J. David McCombs, pour l'appelant.

2. Ian A. MacDonnell, pour l'intimée.

Version française des motifs du juge en chef Dickson et des juges Lamer et La Forest rendus par

3. Le Juge en chef (dissident)—Le présent pourvoi ne porte que sur une seule question de droit, savoir:

[TRADUCTION] La Cour d'appel de la province de l'Ontario a‑t‑elle commis une erreur de droit en statuant que l'appelant, Mark Edward Quin, ne pouvait invoquer la "défense" d'ivresse contre l'accusation alléguée dans la dénonciation présentée au juge de la Cour provinciale?

4. Dans la dénonciation, Quin est accusé d'être illégalement entré par effraction dans un endroit, savoir une maison d'habitation située au 20 The Maples, 100, avenue Bain, Toronto (Ontario), et d'y avoir commis l'acte criminel des voies de fait causant des lésions corporelles, prévu au Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34.

I

Les faits

5. La plaignante avait mis fin à sa relation avec l'appelant. Ce dernier, très épris d'elle, était bouleversé. Il est allé boire avec un ami. Ils ont consommé beaucoup d'alcool. Peu après minuit, au matin du 27 octobre 1982, l'appelant est entré par effraction dans l'appartement de la plaignante et l'a agressée. Par la suite, il s'est taillé la gorge. La plaignante et lui‑même ont été traités à l'hôpital pour des blessures relativement mineures et ont reçu leur congé. L'appelant a alors été accusé de l'infraction qui fait l'objet du présent pourvoi, d'avoir causé des lésions corporelles, en infraction à l'al. 306(1)b) du Code. Bien que certains détails factuels soient en cause, il n'est pas contesté que l'appelant soit entré par effraction dans la maison de la plaignante et l'ait agressée.

6. L'absence d'intention en raison de la consommation volontaire d'alcool par l'appelant a été le seul moyen de défense présenté. Il y a eu beaucoup de témoignages de la part des témoins à charge et à décharge selon lesquels l'appelant était en état d'ivresse avancé et qu'il n'était pas vraiment lui‑même lorsqu'il a brisé la vitre de la porte d'entrée, l'a déverrouillée et est entré dans l'appartement. L'appelant a déposé qu'il n'avait pas mangé de la journée, qu'il avait très peu dormi au cours des quatre jours précédents et qu'il avait consommé beaucoup d'alcool entre 20 h le 26 octobre et 0 h 30 le 27 octobre. La défense a également présenté le témoignage d'un expert psychiatre pour démontrer l'effet de la consommation d'alcool par l'appelant sur ses facultés mentales compte tenu de la quantité qu'il avait bue, de son manque de sommeil et du fait qu'il n'avait pas mangé ce jour‑là.

II

Les jugements des tribunaux de l'Ontario

7. Dans ses motifs, le juge de la Cour provinciale a mentionné l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario R. v. Campbell (1974), 17 C.C.C. (2d) 320, où on a conclu que l'infraction d'introduction par effraction avec l'intention de commettre un acte criminel était une infraction qui exigeait la preuve d'une intention spécifique et il a par conséquent conclu qu'on pouvait tenir compte de la preuve de l'intoxication volontaire. Le juge a conclu que, compte tenu de tous les éléments de preuve, y compris celui de l'intoxication volontaire, il y avait un doute raisonnable quant à savoir si l'accusé avait l'intention de commettre l'infraction. Quin a été acquitté.

8. La poursuite a interjeté appel de l'acquittement de Quin et la Cour d'appel de l'Ontario, formée du juge en chef MacKinnon et des juges Martin et Zuber, a infirmé l'acquittement et prononcé une déclaration de culpabilité: voir (1983), 9 C.C.C. (3d) 94. La Cour a conclu que l'arrêt Campbell ne constituait pas un précédent étant donné que l'accusation dans cet arrêt relevait de l'al. 306(1)a) et non de l'al. 306(1)b) comme en l'espèce.

9. Voici le texte du par. 306(1) du Code criminel:

306. (1) Quiconque

a) s'introduit en un endroit par effraction avec l'intention d'y commettre un acte criminel,

b) s'introduit en un endroit par effraction et y commet un acte criminel, ou

c) sort d'un endroit par effraction,

(i) après y avoir commis un acte criminel, ou

(ii) après s'y être introduit avec l'intention d'y commettre un acte criminel,

est coupable d'un acte criminel et passible

d) de l'emprisonnement à perpétuité, si l'infraction est commise relativement à une maison d'habitation, ou

e) d'un emprisonnement de quatorze ans, si l'infraction est commise relativement à un endroit autre qu'une maison d'habitation. [Je souligne.]

10. La Cour a dit qu' [TRADUCTION] "il est bien établi que l'ivresse, suivant ce qui ressort de la preuve, constitue un moyen de défense à l'égard des crimes qui nécessitent une intention spécifique". Comme l'alinéa 306(1)a) traite des accusations d'introduction par effraction en un endroit avec l'intention d'y commettre un acte criminel, il crée, a‑t‑on conclu, un crime nécessitant une intention spécifique. Toutefois, l'accusation en l'espèce est portée aux termes de l'al. 306(1)b) qui vise l'introduction par effraction et la perpétration d'un acte criminel. La Cour a ajouté à la p. 96:

[TRADUCTION] L'avocat de l'intimée n'a pas soutenu avec beaucoup d'insistance que l'infraction de voies de fait causant des lésions corporelles n'était pas un crime requérant une intention fondamentale ou générale: D.P.P. v. Majewski, [1977] A.C. 443; R. c. Janvier (1979), 11 C.R. (3d) 399. Si l'infraction dont on allègue la perpétration dans l'immeuble après l'introduction par effraction requiert une intention spécifique, ce qui ne comporte pas une infraction comprise d'intention générale, alors la défense d'ivresse peut être invoquée à l'égard de cette infraction et par conséquent l'accusation dans de tels cas ne serait pas prouvée. Il est également clair que la défense d'intoxication volontaire qui nie l'intention criminelle requise ne peut être invoquée à l'égard d'accusations portant sur des crimes d'intention générale: R. v. George (1960), 128 C.C.C. 287, [1960] R.C.S. 87, 34 C.R. 1; Leary c. La Reine (1977), 33 C.C.C. (2d) 473, 74 D.L.R. (3d) 103, [1978] 1 R.C.S. 29. Ainsi, en l'espèce, le défendeur ne pouvait invoquer la défense d'ivresse et cette position a un effet sur toute l'accusation, savoir l'introduction par effraction et la perpétration de l'acte criminel de voies de fait causant des lésions corporelles. Par conséquent, l'acquittement doit être infirmé et une déclaration de culpabilité enregistrée.

III

Dispositif

11. Dans l'arrêt R. c. Bernard, [1988] 2 R.C.S. 833, j'ai indiqué qu'il convient d'abandonner la distinction entre l'intention spécifique et générale et que, dans tous les cas, on devrait tenir compte de la preuve de l'intoxication volontaire lorsqu'elle est pertinente relativement à la question de l'intention.

12. Par conséquent, je suis d'avis d'adopter en l'espèce les motifs prononcés dans l'arrêt Bernard, d'accueillir le pourvoi, d'infirmer l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario et de rétablir le verdict d'acquittement. Le juge du procès a entendu les témoignages et a, à bon droit, pris en considération la preuve de l'intoxication volontaire et a conclu à la lumière de tous les éléments de preuve qu'il y avait un doute raisonnable quant à l'intention de l'accusé de commettre l'infraction.

Version française du jugement des juges Beetz et McIntyre rendu par

13. Le juge McIntyre—Les faits de l'espèce et les questions litigieuses qu'elle soulève ont été exposés dans les motifs de jugement du Juge en chef. L'accusation portée contre l'appelant a été formulée en vertu de l'al. 306(1)b) du Code criminel et, comme l'a conclu la Cour d'appel, elle vise une infraction d'intention générale à laquelle la défense d'ivresse ne s'applique pas: voir R. v. George, [1960] R.C.S. 871, et Leary c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 29. Pour les motifs que j'ai exposés dans l'arrêt R. c. Bernard, [1988] 2 R.C.S. 833, je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

Version française du jugement des juges Wilson et L'Heureux‑Dubé rendu par

14. Le juge Wilson—J'ai eu l'avantage de lire les motifs du Juge en chef et ceux de mon collègue le juge McIntyre. Je souscris aux motifs du juge McIntyre portant que l'infraction d'introduction par effraction et de perpétration de l'infraction criminelle de voies de fait causant des lésions corporelles aux termes de l'al. 306(1)b) du Code criminel est une infraction d'intention générale.

15. Le Juge en chef expose les faits de l'espèce. J'ajouterais seulement que, selon l'exposé conjoint des faits, l'appelant a téléphoné à la plaignante à 22 h 30 le soir en question, qu'il s'est ensuite rendu chez elle et qu'en arrivant il a cassé la fenêtre de la porte d'entrée qu'il a déverrouillée et est rentré de force dans son appartement. Il a alors agressé la plaignante, l'a étranglée, insultée et frappée à la tête avec une bouteille de bière. L'appelant reconnaît être rentré de force dans l'appartement, d'avoir poussé la plaignante contre le mur et de s'être glissé sur le sol sur elle. Comme dans l'affaire R. c. Bernard, [1988] 2 R.C.S. 833, nous avons à faire avec un cas d'utilisation intentionnelle de la force.

16. Bien que, comme le Juge en chef le souligne, tant l'appelant lui‑même que le témoin expert aient produit une preuve considérable indiquant que l'appelant était [TRADUCTION] "très soûl et bizarre", il n'y a aucune preuve d'ivresse extrême au point de nier l'existence d'un état d'esprit conscient comme dans le cas de l'aliénation ou de l'automatisme. Par conséquent le juge du procès aurait dû, à mon avis, appliquer la règle énoncée dans l'arrêt Leary c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 29.

17. Dans ses motifs, le Juge en chef souligne que le juge du procès a conclu à la lumière de toute la preuve, y compris celle de l'intoxication volontaire, qu'il existait un doute raisonnable quant à l'intention de l'accusé de commettre l'infraction. À mon avis et pour les motifs donnés par la Cour d'appel de l'Ontario (1983), 9 C.C.C. (3d) 94, le juge du procès s'est donné des directives erronées sur les exigences minimales de l'al. 306(1)b) du Code criminel. Il a jugé en fait comme si l'appelant avait été accusé aux termes de l'al. 306(1)a). Comme la Cour d'appel l'a souligné aux pp. 95 et 96:

[TRADUCTION] Le juge provincial a estimé que l'arrêt de cette Cour R. v. Campbell (1974), 17 C.C.C. (2d) 320, était déterminant sur la question de l'ivresse en tant que défense opposable à l'infraction imputée. Toutefois, comme Me Doherty l'a souligné, l'accusation dans l'affaire R. v. Campbell, précitée, visait une accusation en vertu de l'al. 306(1)a) du Code et non l'al. 306(1)b) comme en l'espèce. L'alinéa 306(1)a) traite d'accusations d'introduction par effraction avec l'intention de commettre une infraction criminelle dans l'endroit en cause, ce qui crée des crimes d'intention spécifique dans toutes les affaires relevant de l'alinéa. Il est bien établi que l'ivresse, selon ce qui ressort de la preuve, constitue une défense aux crimes d'intention spécifique. L'accusation en l'espèce vise l'infraction d'introduction par effraction et la perpétration de l'infraction de voies de fait causant des lésions corporelles.

18. J'aurais été d'accord avec le raisonnement du Juge en chef et le résultat qu'il propose si l'appelant avait été inculpé de l'infraction d'intention spécifique aux termes de l'al. 306(1)a) du Code criminel. Toutefois il a été accusé de l'infraction d'intention générale aux termes de l'al. 306(1)b). Étant donné que la preuve ne permet pas de nier en l'espèce l'existence de l'intention minimale requise aux termes de l'al. 306(1)b), je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi rejeté, le juge en chef Dickson et les juges Lamer et La Forest sont dissidents.

Procureur de l'appelant: J. David McCombs, Toronto.

Procureur de l'intimée: Le procureur général de l'Ontario, Toronto.

* Les juges Estey et Le Dain n'ont pas pris part au jugement.


Synthèse
Référence neutre : [1988] 2 R.C.S. 825 ?
Date de la décision : 15/12/1988
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Mens rea - Intention générale et spécifique - Ivresse - Introduction par effraction et perpétration d'un acte criminel - La preuve de l'intoxication volontaire doit‑elle être prise en considération pour déterminer si la mens rea a été prouvée hors de tout doute raisonnable? - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 306(1)b).

L'appelant a été accusé et acquitté de l'infraction d'introduction par effraction et d'avoir commis l'acte criminel de voies de fait causant des lésions corporelles prévu à l'al. 306(1)b) du Code criminel. La preuve indique nettement qu'il était très ivre quand il s'est introduit dans l'appartement de la plaignante et l'a agressée, et qu'il était très bizarre. La seule défense avancée par l'appelant est l'absence d'intention due à sa consommation volontaire d'alcool. Au procès, il a été décidé qu'il s'agissait d'une infraction nécessitant la preuve d'une intention spécifique et, par conséquent, on a tenu compte de la preuve de l'intoxication volontaire. La Cour d'appel a infirmé l'acquittement et a inscrit une déclaration de culpabilité. Le pourvoi vise à déterminer si on peut invoquer la "défense" d'ivresse.

Arrêt (le juge en chef Dickson et les juges Lamer et La Forest sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.

Les juges Beetz et McIntyre: L'accusation portée contre l'appelant qui a été formulée en vertu de l'al. 306(1)b) du Code criminel vise une infraction d'intention générale à laquelle la défense d'ivresse ne s'applique pas.

Les juges Wilson et L'Heureux‑Dubé: L'infraction d'introduction par effraction et de perpétration de l'infraction criminelle de voies de fait causant des lésions corporelles aux termes de l'al. 306(1)b) du Code criminel est une infraction d'intention générale. La preuve de l'ivresse ne permet pas de nier en l'espèce l'existence de l'intention minimale requise aux termes de l'al. 306(1)b) ni de soulever un doute raisonnable. La règle énoncée dans l'arrêt Leary doit être appliquée.

Le juge en chef Dickson et les juges Lamer et La Forest (dissidents): Il convient d'abandonner la distinction entre l'intention spécifique et générale et on devrait tenir compte de la preuve de l'intoxication volontaire lorsqu'elle est pertinente relativement à la question de l'intention. Le juge du procès a entendu les témoignages et a, à bon droit, pris en considération la preuve de l'intoxication volontaire et a conclu à la lumière de tous les éléments de preuve qu'il y avait un doute raisonnable quant à l'intention de l'accusé de commettre l'infraction.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Quin

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge McIntyre
Arrêts appliqués: R. v. George, [1960] R.C.S. 871
Leary c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 29
R. c. Bernard, [1988] 2 R.C.S. 833.
Citée par le juge Wilson
Arrêts appliqués: R. c. Bernard, [1988] 2 R.C.S. 833
Leary c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 29.
Citée par le juge en chef Dickson (dissident)
R. v. Campbell (1974), 17 C.C.C. (2d) 320
R. c. Bernard, [1988] 2 R.C.S. 833.
Lois et règlements cités
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 306(1)a), b), c), d), e).

Proposition de citation de la décision: R. c. Quin, [1988] 2 R.C.S. 825 (15 décembre 1988)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1988-12-15;.1988..2.r.c.s..825 ?
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