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08/12/1988 | CANADA | N°[1988]_2_R.C.S._564

Canada | STT c. British Columbia Telephone Co., [1988] 2 R.C.S. 564 (8 décembre 1988)


stt c. british columbia telephone co., [1988] 2 R.C.S. 564

Syndicat des travailleurs en télécommunications Appelant

c.

British Columbia Telephone Company Intimée

répertorié: stt c. british columbia telephone co.

No du greffe: 19905.

1988: 29 mars; 1988: 8 décembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Estey*, Lamer, Wilson, Le Dain*, La Forest et L'Heureux‑Dubé.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1985), 65 B.C.L.R. 14

5, qui a rejeté un appel contre un jugement du juge Esson en son cabinet (1981), 127 D.L.R. (3d) 697, qui avait annu...

stt c. british columbia telephone co., [1988] 2 R.C.S. 564

Syndicat des travailleurs en télécommunications Appelant

c.

British Columbia Telephone Company Intimée

répertorié: stt c. british columbia telephone co.

No du greffe: 19905.

1988: 29 mars; 1988: 8 décembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Estey*, Lamer, Wilson, Le Dain*, La Forest et L'Heureux‑Dubé.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1985), 65 B.C.L.R. 145, qui a rejeté un appel contre un jugement du juge Esson en son cabinet (1981), 127 D.L.R. (3d) 697, qui avait annulé un arbitrage de H. A. Hope et l'avait renvoyé pour qu'il soit examiné de nouveau. Pourvoi accueilli, le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente.

1. Morley Shortt, c.r., et Shona Moore, pour l'appelant.

2. Jack Giles, c.r., et Alison Narod, pour l'intimée.

Version française du jugement rendu par

3. Le Juge en chef et les juges Lamer, Wilson et La Forest—Nous sommes d'avis d'accueillir ce pourvoi. Les deux questions en litige devant cette Cour sont de savoir

(1) si l'arbitre a commis une erreur de droit lorsqu'il a conclu qu'un employeur n'a pas le pouvoir d'imposer des mesures disciplinaires pendant une grève légale, et

(2) si cette erreur de droit porte atteinte à la compétence de l'arbitre et si, de ce fait, elle est sujette au contrôle judiciaire.

4. Le juge Lambert de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a partagé l'opinion de la majorité et répondu par l'affirmative à la première question, mais, dans sa dissidence, il aurait accueilli l'appel car il était d'avis que l'erreur commise ne touchait pas à la compétence.

5. Tenant pour acquis, sans toutefois trancher la question, que l'arbitre a effectivement commis une erreur de droit, nous sommes d'accord avec le juge Lambert pour dire que l'erreur ne touchait en aucune façon à la compétence et qu'elle n'était donc pas sujette au contrôle judiciaire.

6. À cet égard, nous adoptons ses motifs de jugement (publiés sous l'intitulé British Columbia Telephone Co. v. Telecommunication Workers Union (1985), 65 B.C.L.R. 145, aux pp. 146 à 159) puisque nous estimons que nous ne sommes pas en mesure de leur ajouter quoi que ce soit d'utile. À l'instar du juge Lambert, nous considérons qu'il est significatif que l'affaire ait été soumise à l'arbitre en des termes très imprécis. Il n'est pas possible de conclure du mandat confié que le syndicat et l'employeur s'accordaient pour dire que l'employeur avait le droit d'imposer des mesures disciplinaires aux employés en grève et que la seule question qu'avait à trancher l'arbitre était celle des mesures disciplinaires à imposer. Il ressort nettement des arguments avancés par le syndicat pendant toutes les procédures qu'il contestait effectivement le droit de l'employeur d'imposer des mesures disciplinaires. Compte tenu du mandat qui lui avait été confié, l'arbitre avait nettement compétence pour déterminer si l'employeur avait le droit d'imposer des mesures disciplinaires aux travailleurs participant à une grève légale, et dans l'affirmative, pour décider lesquelles devaient être imposées dans les circonstances.

7. Nous sommes donc d'avis d'accueillir le pourvoi et de rétablir la sentence arbitrale, avec dépens dans toutes les cours.

Version française des motifs rendu par

8. Le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente)—Ce pourvoi soulève deux questions principales qui découlent d'une décision arbitrale rendue pendant un conflit de travail opposant les deux parties devant nous:

1. L'arbitre a‑t‑il commis une erreur de droit lorsqu'il a conclu qu'un employeur n'a pas le pouvoir d'imposer des mesures disciplinaires pendant une grève légale?

2. Dans l'affirmative, cette erreur de droit porte‑t‑elle atteinte à la compétence de l'arbitre et de ce fait, est‑elle sujette au contrôle judiciaire?

9. Une réponse à ces questions implique nécessairement un examen de la portée du par. 107(2) du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L‑1, modifié par S.C. 1972, chap. 18, S.C. 1977‑78, chap. 27, S.C. 1980‑81‑82‑83, chap. 47 et 121, S.C. 1984, chap. 39 et 40, dont voici le texte:

107. . . .

(2) Aucune personne ne cesse d'être un employé au sens où l'entend la présente Partie du seul fait qu'elle cesse de travailler par suite d'un lock‑out ou d'une grève ni du seul fait qu'elle a été congédiée en violation de la présente Partie.

10. Se pose également la question de l'étendue du contrôle judiciaire en matière d'arbitrage consensuel.

11. Cette Cour à la majorité a présumé, sans pour autant en décider, que l'arbitre avait commis une erreur de droit. Répondant par la négative à la seconde question, elle accueille le pourvoi. Je ne suis pas d'accord. Je suis par ailleurs d'avis que les questions soulevées méritent une discussion plus poussée.

Les faits

12. Les parties au présent pourvoi ont été mêlées, de septembre 1980 à mars 1981, à un conflit de travail long et acharné. La convention collective qu'elles avaient négociée avait pris fin en 1979. Les négociations n'ayant pas abouti, le syndicat a déclenché une grève limitée touchant plusieurs centaines d'employés de la compagnie. Le conflit a rapidement dégénéré en grève générale de tous les employés, au nombre de 10 000 environ, faisant partie de l'unité de négociation. Les surveillants et d'autres employés exclus des unités de négociation ont assuré le fonctionnement quotidien de la compagnie pendant la grève. L'arbitre a qualifié la grève d'hostile. Il a fait ces commentaires:

[TRADUCTION] D'après les éléments de preuve qui m'ont été présentés, tous les employés visés ont commis des actes qui entraîneraient des mesures disciplinaires dans le cadre d'une relation normale entre employeur et employé. Les actes allaient d'actes mineurs de sabotage, comme le dégonflage de pneus, à des actes criminels stupides, comme des menaces de blessures faites à l'endroit des surveillants et de leurs familles.

13. Pendant la grève, l'employeur a congédié 24 grévistes pour inconduite. Le 2 mars 1981, les parties en sont venues à une entente sur les termes d'une nouvelle convention collective. Elles n'ont toutefois pas pu régler la grève en raison d'un désaccord sur le sort des 24 grévistes congédiés. Le 14 mars, il a été convenu que la question serait soumise à l'arbitrage. La sentence arbitrale, rendue le 2 avril, ordonne le retour au travail immédiat des 24 employés sans aucune pénalité. C'est cette sentence arbitrale qui fait l'objet du présent pourvoi.

Décisions de l'arbitre et des tribunaux d'instance inférieure

1. La sentence arbitrale

14. L'arbitre H. A. Hope a fait l'historique du conflit et résumé les positions des parties. Il a ensuite examiné ce qu'il considérait comme l'"essentiel" de la relation employeur‑employé. Ses conclusions sur ce point revêtent une importance capitale en ce qui concerne le droit d'un employeur d'imposer des mesures disciplinaires pendant une grève. L'arbitre a décidé que, pendant une grève, la relation qui existe normalement entre un employeur et son employé est presque totalement rompue. Il a conclu que:

[TRADUCTION] L'employeur ne jouit d'aucun droit inhérent en matière de discipline et le maintien du statut d'employé au sens de la Loi ne confère un tel droit ni expressément ni implicitement.

15. L'arbitre a estimé que l'objectif limité visé par le par. 107(2) était de [TRADUCTION] "maintenir le statut d'employé afin de permettre au syndicat, en sa qualité d'agent négociateur, de continuer à négocier pour le compte des employés en grève". Il a conclu que la relation normale entre un employeur et son employé ne pouvait pas exister pendant une grève. Il en a donc conclu que [TRADUCTION] "l'exercice de pouvoirs disciplinaires pendant une grève constitue une infraction." Sa décision de ne pas imposer de mesures disciplinaires aux 24 employés repose sur cette interprétation du Code canadien du travail, plus particulièrement du par. 107(2) et du sous‑al. 184(3)a)vi). L'arbitre a résumé sa décision comme une de compétence:

[TRADUCTION] . . . je dois examiner si j'ai compétence pour évaluer la conduite des employés en question. La position du syndicat est claire. Il soutient qu'en l'absence d'une relation employeur‑employé, je n'ai pas plus compétence que l'employeur lui‑même pour imposer une mesure disciplinaire aux employés en question.

16. L'arbitre a ensuite énoncé un test pour l'évaluation de la conduite des 24 employés. Le test visait une enquête de nature à déterminer si la conduite des employés était directement reliée au conflit de travail. L'approche de l'arbitre, fondée sur sa conclusion quant au statut de la relation employeur‑employé, consistait à ne pas tenir compte à des fins disciplinaires de toute conduite directement reliée au conflit de travail. Il a dit: [TRADUCTION] "Appliquant ce test, j'en viens à la conclusion que tous les employés devraient retourner au travail immédiatement."

2. Cour suprême de la Colombie‑Britannique (1981), 127 D.L.R. (3d) 697

17. Le juge Esson a fait un examen approfondi de la question du statut des employés pendant une grève. Il a rejeté la conclusion de l'arbitre, à la p. 705:

[TRADUCTION] La cessation de la relation n'est pas incompatible en soi avec le concept d'une grève. À mon avis, nul ne contesterait le fait qu'un employé qui décide qu'il ne veut plus l'emploi peut mettre fin à sa relation avec l'employeur au cours d'une grève. De toute évidence, des considérations différentes s'appliquent au congédiement par l'employeur, mais il va sans dire que la persistance de ce pouvoir n'est pas incompatible en soi avec l'existence d'une grève de la même manière que, disons, la persistance de l'obligation de l'employé en grève de se présenter au travail.

La position que l'arbitre défend vigoureusement porte que permettre à un employeur de congédier un employé pendant une grève est incompatible avec le concept d'une grève parce qu'il est injuste d'accorder un tel pouvoir "unilatéral" à une partie. Il s'agit là d'une opinion subjective sur la question de savoir ce qui, en principe, est nécessaire pour maintenir le juste équilibre entre les intérêts opposés et, à ce titre, cela est du ressort du législateur.

18. Selon le juge Esson, le droit de congédier un employé est préservé en autant que le congédiement est motivé et ne constitue pas une pratique déloyale de travail prohibée par l'art. 184 du Code canadien du travail.

19. Ayant conclu que l'arbitre avait commis une erreur de droit, le juge Esson a ensuite déterminé que l'erreur touchait à la compétence, aux pp. 709 et 710:

[TRADUCTION] . . . il ressort nettement du cinquième moyen qu'on avait également demandé à l'arbitre de décider si, dans le cas où le congédiement serait jugé inapproprié la suspension, pénalité moins sévère, devrait être imposée. Cela, au moins, était inclus dans la question.

La réponse de l'arbitre à la question de savoir si le "congédiement" des employés devait "être maintenu" revenait, en fait, à dire que la question ne pouvait se poser puisque, du point de vue juridique, l'employeur n'avait aucun pouvoir de congédier. Il n'a donc pas examiné si le congédiement des employés était bien fondé et devait être maintenu ni tenu compte de la preuve soumise dans chaque cas.

20. Le juge Esson conclut, aux pp. 711 et 712:

[TRADUCTION] J'accepte que la question de savoir si les employés devaient retourner au travail est essentiellement la même que celle de savoir si leur congédiement devait être maintenu. Toutefois, la question à laquelle on répond doit être définie comme comprenant les critères appliqués et les redressements jugés disponibles. Lorsque ces points sont examinés, il est manifeste que la question à laquelle on a répondu était essentiellement différente de celle qui a été posée et que cette différence découle de l'erreur de droit commise.

...

Il aurait parfaitement eu compétence pour tenir compte, à titre de circonstance pertinente, de la question de savoir si la conduite reprochée était reliée à la grève. Toutefois, ce n'est pas de cette façon que l'arbitre a appliqué le test. Il a plutôt conclu que, du point de vue juridique, si les actes reprochés étaient directement reliés au conflit de travail, aucune mesure disciplinaire ni aucune sanction de quelque nature que ce soit ne pouvaient être imposées.

21. Le juge Esson a donc statué que l'arbitre avait commis une erreur dans ses conclusions sur la relation qui existe entre un employeur et son employé pendant une grève et qu'une telle erreur touchait à la compétence étant donné l'effet qu'elle avait eu sur sa réponse à la question qui lui avait été posée.

3. Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1985), 65 B.C.L.R. 145

22. La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique, à la majorité, a adopté les raisons du juge Esson. Dans une brève opinion, le juge Anderson n'a ajouté qu'un seul commentaire aux conclusions générales du juge Esson. Le juge Anderson a discuté du moyen suivant mis de l'avant par l'avocat de l'appelant, à la p. 162:

[TRADUCTION] Si l'on présume que l'arbitre a commis une erreur de droit lorsqu'il a conclu que la relation "employeur‑employé" a cessé d'exister après le déclenchement de la grève, le choix qu'il a fait du "test à trois volets" n'était pas lié à l'erreur de droit décrite précédemment et, par conséquent, il n'est pas loisible aux tribunaux d'annuler la sentence arbitrale.

23. La majorité de la Cour n'a pas souscrit à cette proposition. Au contraire, elle a conclu que ce test était directement relié à l'erreur de droit. Le juge Anderson a résumé la décision de l'arbitre pour démontrer comment la détermination de la nature de la relation employeur‑employé a influé sur ses conclusions subséquentes. Voici ce qu'il a conclu, à la p. 163:

[TRADUCTION] L'examen qui précède permet de constater que le choix du "test à trois volets" n'a pas été fait de manière isolée mais est lié directement à la conclusion erronée tirée par l'arbitre, selon laquelle la relation "employeur‑employé" a cessé d'exister après le déclenchement de la grève.

24. La Cour d'appel, à la majorité, a donc conclu que la décision de l'arbitre sur le statut des employés pendant une grève était erronée et que cette erreur avait influé sur toute la sentence arbitrale au point de constituer une erreur de compétence.

25. Le juge Lambert a été dissident en Cour d'appel. Ses motifs de jugement sont ceux auxquels a souscrit cette Cour à la majorité. Le juge Lambert était d'accord avec le juge Esson et la Cour d'appel à la majorité pour dire que l'interprétation donnée par l'arbitre au statut des employés pendant une grève était erronée. Voici ce qu'il a écrit, à la p. 150:

[TRADUCTION] L'emploi de l'expression "du seul fait" au par. 107(2) appuie la conclusion selon laquelle la relation peut cesser d'exister pendant la grève pour des motifs autres que la grève elle‑même. Je suis d'avis qu'un employé, pendant qu'il est en grève, peut démissionner à titre d'employé et ainsi mettre complètement fin à la relation. J'estime que l'employeur peut congédier un employé en raison d'une conduite qui est incompatible avec le rétablissement d'une relation pleine et entière à la fin de la grève.

26. Toutefois, le juge Lambert n'a pas conclu que cette erreur touchait à la compétence. Il a souligné que l'arbitrage était régi par une "clause privative" et qu'il s'agissait d'un arbitrage consensuel. Quant à la question de la clause privative, le juge Lambert a conclu que, lorsqu'une telle clause existe, une décision arbitrale ne peut faire l'objet d'un examen en raison d'une simple erreur de droit. De plus, il a affirmé à la p. 152 que, dans le cas d'un arbitrage consensuel, le tribunal [TRADUCTION] "doit examiner les termes du compromis et non les dispositions d'une loi pour décider de la portée de la "compétence" conférée par les parties à l'arbitre". La seconde préoccupation du juge Lambert en ce qui a trait aux arbitrages consensuels portait sur le fait que ces sentences arbitrales sont expressément adaptées aux besoins des parties. Il fait remarquer, à la p. 152:

[TRADUCTION] Ce qui importe au sujet d'un arbitre choisi par les parties est que ces dernières ont choisi le processus d'arbitrage et ont choisi l'arbitre parce qu'elles préfèrent ce processus et cet arbitre à toute autre procédure ou à toute autre instance décisionnelle. De plus, elles veulent que l'arbitre fasse ce qu'elles lui demandent de faire de la manière qu'elles lui prescrivent et qu'il ne fasse rien d'autre de quelque autre manière.

27. Par conséquent, de l'avis du juge Lambert, une approche différente est requise lorsqu'il s'agit du contrôle judiciaire d'un arbitrage consensuel. Il a laissé entendre qu'un maximum de retenue judiciaire est nécessaire dans de telles circonstances.

28. Le juge Lambert, à la p. 159, a défini la question posée en l'espèce de la manière suivante:

[TRADUCTION] "Que doit‑on faire des 24 employés qui ont été congédiés pendant la grève et qui, à la suite d'une entente, se sont présentés au travail le lundi 23 mars 1981: doivent‑ils tous être congédiés ou suspendus ou seulement certains d'entre eux?"

29. Selon le juge Lambert, c'est là la question à laquelle l'arbitre a répondu lorsqu'il a décidé que les employés devaient tous retourner au travail.

Erreur de droit

30. La première étape de cette analyse consiste à déterminer si l'arbitre a commis une erreur de droit lorsqu'il a décidé que le par. 107(2) du Code canadien du travail privait l'employeur du droit d'imposer des mesures disciplinaires aux employés pendant une grève. Cette question porte sur la juste détermination du statut de la relation employeur‑employé pendant une grève légale. Deux dispositions du Code canadien du travail sont pertinentes et en voici le texte:

107. . . .

(2) Aucune personne ne cesse d'être un employé au sens où l'entend la présente Partie du seul fait qu'elle cesse de travailler par suite d'un lock‑out ou d'une grève ni du seul fait qu'elle a été congédiée en violation de la présente Partie.

184. . . .

(3) Nul employeur et nulle personne agissant pour le compte d'un employeur ne doit

a) refuser d'embaucher ou de continuer à employer ou suspendre, transférer, mettre à pied, ni autrement prendre contre une personne des mesures discriminatoires en ce qui concerne un emploi, le salaire ou autres conditions d'emploi, ni intimider, menacer ou prendre d'autres mesures disciplinaires à l'encontre d'une personne, parce que cette personne

...

(vi) a participé à une grève qui n'est pas interdite par la présente Partie ou exercé un droit quelconque en vertu de cette dernière;

31. L'arbitre a conclu, après avoir examiné ces dispositions, que le par. 107(2) ne préservait la relation employeur‑employé que dans la mesure nécessaire pour permettre au syndicat d'agir en qualité d'agent négociateur pendant la grève.

32. Le juge Esson ainsi que les trois juges de la Cour d'appel ont décidé que cette conclusion limitait indûment et de façon erronée le sens du par. 107(2). Le juge Lambert, dissident en Cour d'appel sur la question de l'erreur juridictionnelle, écrit à la p. 150:

[TRADUCTION] La relation employeur‑employé n'est pas à son meilleur pendant la grève mais, à tout le moins, chaque partie doit continuer d'éviter de faire quoi que ce soit qui détériore le fondement de cette relation au point qu'elle ne puisse plus jamais renaître.

33. Je suis d'accord pour dire que l'arbitre a commis une erreur en interprétant le par. 107(2). Cette Cour a eu l'occasion d'analyser le statut des employés pendant une grève en ce qui a trait à l'agent négociateur, dans l'arrêt Canadian Pacific Railway Co. v. Zambri, [1962] R.C.S. 609. Dans cette affaire, la Cour a examiné une disposition du Labour Relations Act de l'Ontario, R.S.O. 1960, chap. 202, semblable au par. 107(2) du Code canadien du travail, dont voici le texte:

[TRADUCTION] 1. . . .

(2) Pour l'application de la présente loi, nul n'est réputé avoir cessé d'être un employé pour l'unique motif qu'il a cessé de travailler pour son employeur par suite d'un lock‑out ou d'une grève ou qu'il a été congédié par son employeur contrairement aux dispositions de la présente loi ou aux stipulations d'une convention collective.

34. En déterminant le sens de cette disposition, le juge Cartwright a écrit, à la p. 617:

[TRADUCTION] Il n'est pas nécessaire de déterminer la nature exacte de la relation entre employeur et employé dont l'existence est préservée ou créée par ce paragraphe pendant la durée d'une grève; il manque deux des caractéristiques principales de la relation ordinaire: l'employé n'est pas tenu de travailler et l'employeur n'est pas tenu de verser des salaires. Quelle que puisse être la relation, il est évident que si l'employeur a le droit d'y mettre fin pour le seul motif que l'employé refuse de travailler pendant la durée de la grève, le paragraphe devient inopérant. [Je souligne.]

35. J'insiste sur les termes "pour le seul motif" parce qu'à mon avis le juge Cartwright, à tout le moins, a envisagé la possibilité qu'il survienne d'autres motifs de congédiement pendant une grève. Sa conclusion sur le sens du par. 1(2) contient une restriction semblable (pp. 617 et 618):

[TRADUCTION] . . . il me semble que le par. 1(2) a pour effet (i) de prévoir que, pendant la durée de la grève, les grévistes ne cessent pas d'être des employés de l'appelant et (ii) d'empêcher l'employeur de mettre fin à la relation employeur‑employé pour l'unique motif que l'employé a cessé de travailler par suite de la grève. [Je souligne.]

36. En traitant du même paragraphe, le juge Arnup de la Cour d'appel de l'Ontario (Re Allanson (1971), 20 D.L.R. (3d) 49) écrit, aux pp. 56 et 57:

[TRADUCTION] Aux fins de l'interprétation de ce contrat de fiducie, je suis disposé à accepter la thèse selon laquelle les employés de la compagnie, qui étaient en grève légale le 31 décembre 1969, ne doivent pas, uniquement en raison de la grève, être considérés comme ayant cessé d'être "employés par la compagnie" à cette date.

37. Dans leur ouvrage intitulé Ontario Labour Relations Board: Law and Practice (1985), Sack et Mitchell ont commenté l'interprétation donnée au par. 1(2) par la Commission des relations de travail de l'Ontario. Ils écrivent, aux pp. 425 et 426:

[TRADUCTION] Finalement, il convient de souligner que, bien que le congédiement ou le refus de réintégrer des grévistes pour des motifs dénotant un esprit antisyndical ou parce qu'ils ont fait à bon droit la grève ou du piquetage constitue une violation de la Loi, le congédiement et le refus motivés de réintégrer un gréviste pendant la durée d'une grève ou le refus de soumettre à l'arbitrage de telles questions ne constituent pas une violation de la Loi. En fait, l'employeur conserve le droit d'imposer légalement des mesures disciplinaires à l'employé après la réintégration de celui‑ci . . .

38. Le Code du travail du Québec, L.R.Q., chap. C‑27, contient une disposition similaire. Le premier paragraphe de l'art. 110 se lit ainsi:

110. Personne ne cesse d'être un salarié pour l'unique raison qu'il a cessé de travailler par suite de grève ou lock‑out.

39. Le Tribunal du travail et la Cour supérieure ont analysé cette disposition à maintes reprises. Dans l'affaire Dumais v. Champoux Automobile Inc., [1970] T.T. 120, on a demandé au Tribunal du travail d'interpréter l'art. 98 du Code du travail (actuellement l'art. 110). Le tribunal affirme ceci, à la p. 122:

L'article 98, en effet, assure les salariés que leurs contrats individuels ne sont pas rompus du seul fait du lock‑out ou de la grève. Mais les mots "pour l'unique raison" indiquent en même temps que cette protection n'est pas absolue. L'employeur peut rompre le contrat individuel s'il a d'autres motifs de le faire.

40. Dans l'affaire Commission des normes du travail c. Manufacture Sorel Inc., [1984] C.S. 747, la Cour supérieure du Québec a examiné le sens de l'art. 110 du Code du travail. La cour a conclu, en se fondant sur cet article, qu'une grève ne mettait pas fin au contrat individuel de travail et que, par conséquent, un employeur qui voulait congédier un employé pendant une grève était tenu de satisfaire aux exigences de préavis que l'on trouve ailleurs dans le Code. La cour a cité et approuvé le passage suivant tiré de l'ouvrage de R. Gagnon, L. LeBel et P. Verge intitulé Droit du travail en vigueur au Québec, (1971), à la p. 206.

La grève suspend l'exécution des prestations rattachées au lien de salariat. L'employé est dispensé de fournir sa prestation de travail. En contrepartie, il est privé de son salaire et de ses bénéfices accessoires. Par exemple, il verra l'accumulation de son ancienneté suspendue pendant la grève. Il conservera toutefois son emploi, à moins qu'il n'aille s'embaucher ailleurs ou qu'il se rende coupable d'une faute individuelle dans le cours de la grève.

41. Finalement, dans son étude détaillée intitulée Le statut juridique du salarié‑gréviste québécois (1981), Gaston Nadeau écrit, à la p. 74:

Il est manifeste à la lecture du Code que le législateur entendait, lors de sa promulgation en 1964, élever la grève légale au niveau de l'exercice d'un droit; . . . Un salarié injustement congédié à cause de l'exercice de ce droit pourra donc réclamer, à bon droit, une ordonnance de réintégration et des dommages‑intérêts compensatoires pour les pertes subies durant son congédiement. Cependant, le fait qu'un employé soit congédié pendant la durée d'une grève légale ne signifie pas automatiquement qu'il a été congédié à cause de l'exercice d'un droit prévu par le Code.

42. La jurisprudence américaine peut également être utile jusqu'à un certain point en ce qui concerne cette question. Bien qu'il s'agisse, de toute évidence, d'une législation différente, un bon nombre des principes fondamentaux en droit du travail demeurent les mêmes. Pour ce motif, je trouve persuasif qu'aux États‑Unis, en règle générale, un employeur puisse congédier des employés qui ont commis des actes criminels ou violents pendant une grève. (Voir l'arrêt Firestone Tire & Rubber Co. v. N.L.R.B., 449 F.2d 511 (5th Cir. 1971), à la p. 513.)

43. Cette position est explicitée dans N.L.R.B. v. Hartmann Luggage Co., 453 F.2d 178 (6th Cir. 1971), aux pp. 183 et 184:

[TRADUCTION] Le droit de l'employé de s'engager dans une activité concertée peut conférer une certaine latitude en matière de comportement impulsif qui doit être soupesée en fonction du droit de l'employeur de maintenir l'ordre et le respect (citation omise). Au départ, il incombe à la commission de tracer la ligne entre ces droits qui s'opposent, et sa décision, à moins d'être illogique ou arbitraire, ne devrait pas être modifiée.

44. Il va sans dire que même si j'ai recours à la jurisprudence américaine pour illustrer le principe général du maintien de la relation employeur‑employé pendant une grève, je suis consciente du fait que le système américain et la législation américaine en matière de travail sont très différents des nôtres à plusieurs égards. Toutefois, le passage précité sert à démontrer qu'un employeur conserve le droit d'imposer des mesures disciplinaires aux employés pendant une grève, pour des motifs non reliés à l'activité syndicale.

45. L'ensemble de la doctrine et de la jurisprudence mentionnée précédemment permet de comprendre que le par. 107(2) devrait être interprété comme permettant aux employeurs d'imposer des mesures disciplinaires pour des activités qui se sont déroulées pendant une grève, du moment que ces mesures ne visent pas à punir des employés uniquement pour des activités syndicales et leur participation à une grève légale. Cette interprétation s'appuie en outre sur le texte du par. 107(2) qui se lit ainsi:

107. . . .

(2) Aucune personne ne cesse d'être un employé au sens où l'entend la présente Partie du seul fait qu'elle cesse de travailler par suite d'un lock‑out ou d'une grève ni du seul fait qu'elle a été congédiée en violation de la présente Partie.

46. Les termes "du seul fait" expriment clairement l'idée que la participation à une grève légale ne peut à elle seule justifier le congédiement d'un employé. Toutefois, l'article laisse à l'employeur la possibilité de congédier un employé en grève pour d'autres motifs. Le congédiement d'un employé pendant une grève est illégal seulement lorsque ce congédiement constituerait également une pratique déloyale de travail au sens de l'art. 184.

47. Compte tenu de cette interprétation, il est clair que l'arbitre a commis une erreur de droit lorsqu'il a conclu:

[TRADUCTION] — "...que le Code présume que l'ingérence de l'employeur dans le déroulement de la grève est réputée constituer une pratique déloyale"

— "...que la loi prévoit que l'exercice de pouvoirs disciplinaires pendant une grève constitue une infraction."

48. La prochaine étape consiste à décider si ces erreurs de droit touchent à la compétence de manière à permettre le contrôle judiciaire.

Erreur de compétence

49. Il est maintenant reconnu qu'une simple erreur de droit commise dans le contexte d'un arbitrage n'est pas suffisante pour donner ouverture au contrôle judiciaire. L'erreur doit toucher à la compétence.

50. Dans l'arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, le juge Dickson, maintenant Juge en chef, a formulé le test de l'interprétation "manifestement déraisonnable" pour aider à déterminer si une erreur de compétence a été commise. Il énonce la question qui doit être posée, à la p. 237:

La Commission a‑t‑elle interprété erronément les dispositions législatives de façon à entreprendre une enquête ou à répondre à une question dont elle n'était pas saisie? Autrement dit, l'interprétation de la Commission est‑elle déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire? [Je souligne.]

51. Dans l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du travail, [1984] 2 R.C.S. 412, le juge Beetz explique l'erreur de compétence ou juridictionnelle de la manière suivante, aux pp. 420 et 421:

L'erreur juridictionnelle entraîne le plus souvent un excès de compétence ou un refus d'exercer une compétence, soit dans l'ouverture d'une enquête, soit en cours d'enquête, soit encore dans ses conclusions ou son dispositif. Une telle erreur, même commise de la meilleure foi du monde, entraîne néanmoins l'annulation de la décision qui en est entachée . . .

52. Comme je l'ai mentionné précédemment, dans le cas d'un arbitrage consensuel où les parties posent une question particulière à l'arbitre, cette question détermine la compétence de l'arbitre. En l'espèce, la question posée a été formulée de différentes manières.

53. L'arbitre ne fait pas état clairement de la question qui lui est posée. À un certain point, il propose la formulation suivante:

[TRADUCTION] La question qui m'est posée est de savoir si l'employeur, ayant soumis cette question à l'arbitrage, peut affirmer au cours de l'arbitrage lui‑même que la conduite des employés pendant la grève peut être mesurée en fonction de principes d'arbitrage qui présument l'existence d'une relation normale.

54. En toute déférence, je ne puis accepter sa formulation. À mon avis, on demandait à l'arbitre de déterminer quelles mesures disciplinaires, s'il y a lieu, devaient être imposées aux 24 employés. Ceci s'infère d'autres parties de ses motifs. Dans son analyse de la grève et de son règlement, l'arbitre énonce ainsi la question qu'il doit finalement trancher:

[TRADUCTION] La question de savoir si les 24 employés congédiés devaient réintégrer leurs fonctions ou demeurer congédiés a été laissée sans réponse.

55. En discutant des arguments qui lui ont été présentés par les parties, l'arbitre affirme: [TRADUCTION] ". . . j'ai compétence pour décider du sort des 24 employés" (je souligne).

56. Le juge Esson de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a conclu qu'on avait demandé à l'arbitre de décider si les employés retourneraient au travail ou demeureraient congédiés et également de déterminer si [TRADUCTION] "dans le cas où le congédiement serait jugé inadéquat, on devrait imposer la peine moindre de suspension" (p. 709).

57. Le juge Lambert de la Cour d'appel a formulé ainsi la question, à la p. 159:

[TRADUCTION] Il me semble que la question posée en l'espèce est la suivante: "Que doit‑on faire des 24 employés qui ont été congédiés pendant la grève et qui, à la suite d'une entente, se sont présentés au travail le lundi 23 mars 1981: doivent‑ils tous être congédiés ou suspendus ou seulement certains d'entre eux?

58. Je suis d'avis que ces deux formulations de la question définissent les mêmes termes généraux de la compétence. L'arbitre devait décider quelles mesures disciplinaires devaient être imposées à chacun des 24 employés en raison de leur conduite pendant la grève. L'arbitre énonce ainsi ses conclusions de faits:

[TRADUCTION] D'après les éléments de preuve qui m'ont été présentés, tous les employés visés ont commis des actes qui entraîneraient des mesures disciplinaires dans le cadre d'une relation normale entre employeur et employé. Les actes allaient d'actes mineurs de sabotage, comme le dégonflage de pneus, à des actes criminels stupides, comme des menaces de blessures faites à l'endroit des surveillants et de leurs familles.

59. L'erreur de l'arbitre dans l'interprétation du par. 107(2) du Code canadien du travail, portant qu'il n'existait pas de relation employeur‑employé, est à l'origine de son refus catégorique d'exercer la compétence dont il avait été investi par les parties. Il a même exprimé son refus en termes de compétence:

[TRADUCTION] . . . je dois examiner si je suis compétent pour évaluer la conduite des employés en question.

Et plus loin:

[TRADUCTION] . . . je ne crois pas qu'il me soit loisible d'examiner d'autres formes de mesures disciplinaires comme la suspension ou la réprimande. Le faire serait revenir à l'approche disciplinaire dont j'ai conclu à l'inapplicabilité.

Comme le juge Esson l'a affirmé dans ses motifs de jugement, à la p. 709:

[TRADUCTION] La réponse de l'arbitre à la question de savoir si le "congédiement" des employés devait "être maintenu" revenait, en fait, à dire que la question ne pouvait se poser puisque, du point de vue juridique, l'employeur n'avait aucun pouvoir de congédier. Il n'a donc pas examiné si le congédiement des employés était bien fondé et devait être maintenu ni tenu compte de la preuve soumise dans chaque cas.

60. Le juge Lambert n'a pas souscrit à la conclusion que l'erreur en était une de compétence. Il a attaché beaucoup d'importance au fait que la question posée à l'arbitre était énoncée de manière générale (pp. 158 et 159):

[TRADUCTION] . . . si l'arbitre adopte une façon rationnelle d'appliquer des principes aux faits et s'il agit de manière judiciaire, alors, à mon avis, le principe énoncé dans l'arrêt Anisminic n'exige rien de plus. Si l'arbitre s'en tient à la tâche qui lui est assignée, il est, selon lord Reid, tout autant fondé à trancher erronément la question qui lui est posée, qu'il l'est à la trancher correctement. Lorsque le mandat est général et imprécis, la possibilité de rendre des décisions justes et erronées qui relèvent de sa compétence est tout aussi générale et imprécise. [Je souligne.]

61. Bien que je sois d'accord avec les observations du juge Lambert au sujet des mandats généraux et imprécis, la question capitale demeure celle de savoir si [TRADUCTION] "l'arbitre s'en tient à la tâche qui lui est assignée". Lorsqu'un arbitre erre en décidant qu'il n'a pas compétence pour trancher une question particulière, son choix de répondre à une question différente ne saurait être à l'intérieur des limites de la compétence dont il a été investi par les parties.

62. J'accepte également les conclusions du juge Esson en ce qui a trait à la formulation par l'arbitre d'un test à trois volets applicable à l'évaluation de la conduite des employés. Ce test était destiné à empêcher l'examen de toute conduite directement reliée au conflit de travail. Le juge Esson écrit, à la p. 712:

[TRADUCTION] Il aurait parfaitement eu compétence pour tenir compte, à titre de circonstance pertinente, de la question de savoir si la conduite reprochée était reliée à la grève. Toutefois, ce n'est pas de cette façon que l'arbitre a appliqué le test. Il a plutôt conclu que, du point de vue juridique, si les actes reprochés étaient directement reliés au conflit de travail, aucune mesure disciplinaire ni aucune sanction de quelque nature que ce soit ne pouvaient être imposées.

63. Par conséquent, je suis d'accord avec la Cour d'appel à la majorité pour conclure que le test appliqué par l'arbitre était également directement relié à l'erreur de droit. Ainsi, la décision de l'arbitre portant que l'employeur n'avait pas le droit d'imposer des mesures disciplinaires aux employés en grève était essentielle à toutes ses conclusions dans l'arbitrage. Il ne s'agissait pas d'une erreur mineure ou d'une erreur qui a des proportions négligeables. Il s'agissait d'une erreur grave qui a influé sur le résultat de l'arbitrage.

64. Lorsqu'un arbitre choisi par les parties refuse de répondre à la question qui lui est posée parce que, en raison d'une erreur de droit, il déclare qu'il n'est pas compétent pour le faire, et qu'il répond plutôt à une question différente, il n'y a aucun doute dans mon esprit que l'erreur de droit touche à la compétence. En l'espèce, l'arbitre a refusé de répondre à la question des mesures disciplinaires appropriées pour les 24 employés. Il a agit ainsi parce que, selon son interprétation, le par. 107(2) lui enlevait la compétence pour rendre cette décision. Il s'agit d'une interprétation manifestement déraisonnable de sa compétence. Il a plutôt décidé de répondre à la question de savoir si le congédiement des employés devait être maintenu, c'est‑à‑dire si l'employeur avait le "droit" au départ de leur imposer des mesures disciplinaires. Ce n'était pas la question que les parties lui avaient posée. En répondant à cette question et en refusant d'examiner les mesures disciplinaires qu'il était convenable d'imposer aux 24 employés, l'arbitre a commis une erreur touchant à sa compétence et sa sentence arbitrale est sujette au contrôle judiciaire.

Le contrôle judiciaire d'une sentence arbitrale

65. Au cours des dernières années, cette Cour a adopté une politique de non‑intervention à l'égard du contrôle judiciaire des organismes administratifs. Cette politique s'explique par le respect de la Cour pour "l'expertise" des tribunaux constitués et administrés en vertu de la loi. Dans le domaine du droit du travail, la concentration du pouvoir décisionnel entre les mains des tribunaux du travail et des arbitres vise à favoriser l'efficacité et est adaptée au développement d'une politique cohérente en matière de droit du travail. L'idée générale est que les tribunaux judiciaires devraient refuser d'examiner les décisions des commissions ou des tribunaux administratifs à moins que ces organismes n'aient rendu une décision qui excède leur compétence. Le juge Dickson, maintenant juge en chef, a commenté les motifs qui sous‑tendent cette politique, dans l'arrêt Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, précité, aux pp. 235 et 236:

On veut protéger les décisions d'une commission des relations de travail, lorsqu'elles relèvent de sa compétence, pour des raisons simples et impérieuses. La commission est un tribunal spécialisé chargé d'appliquer une loi régissant l'ensemble des relations de travail. Aux fins de l'administration de ce régime, une commission n'est pas seulement appelée à constater des faits et à trancher des questions de droit, mais également à recourir à sa compréhension du corps jurisprudentiel qui s'est développé à partir du système de négociation collective, tel qu'il est envisagé au Canada, et à sa perception des relations de travail acquise par une longue expérience dans ce domaine.

66. Cela ne signifie évidemment pas que les tribunaux judiciaires n'ont pas un pouvoir de contrôle des décisions rendues par une commission ou un arbitre lorsque de telles décisions excèdent la compétence de l'instance décisionnelle. Ce principe a été exprimé clairement par la Cour dans l'arrêt Union internationale des employés des services, local no. 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association, [1975] 1 R.C.S. 382, où le juge Dickson, maintenant Juge en chef, écrit aux pp. 388 et 389:

Il ne peut y avoir de doute qu'un tribunal "statutaire" ne peut pas, impunément, faire abstraction des conditions requises par la loi qui l'a créé, et trancher les questions à sa guise. S'il le fait, il déborde le cadre de ses pouvoirs, manque de remplir son devoir envers le public et s'écarte d'une façon d'agir légalement permise. Une intervention judiciaire est alors non seulement admissible, mais l'intérêt public l'exige. [Je souligne.]

67. Le même principe peut être appliqué à la décision des arbitres choisis par les parties. Ils doivent répondre à la question qui leur est posée par les parties sans toutefois ignorer ses "conditions requises".

68. Le juge Beetz a également expliqué l'obligation qu'ont les tribunaux judiciaires d'intervenir lorsqu'il est question d'erreurs de compétence, dans l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du travail, précité, à la p. 441:

Or une fois qu'une question est qualifiée de question de compétence et a fait l'objet d'une décision par un tribunal administratif, la cour supérieure chargée d'exercer le pouvoir de contrôle et de surveillance sur ce tribunal ne peut, sans refuser elle‑même d'exercer sa propre compétence, s'abstenir de statuer sur l'exactitude de cette décision ou statuer sur elle au moyen d'un critère approximatif.

69. La politique de non‑intervention n'est pas contestée en l'espèce. Toutefois, l'objet du présent litige est étroitement lié à la question de savoir quand intervenir. Je suis généralement d'accord avec l'approche non interventionniste, particulièrement en ce qui a trait aux commissions ou aux tribunaux spécialisés qui ont développé une philosophie et acquis une expertise. Mais, tout comme il existe des limites au pouvoir des tribunaux judiciaires de contrôler les décisions des organismes administratifs, il doit également exister des limites à l'aversion qu'éprouvent les tribunaux à intervenir dans les litiges qui découlent d'arbitrages consensuels. Il me semble que, dans certains cas, le principe de non‑intervention est utilisé pour décourager le constat d'une erreur de compétence. Bien que cette attitude puisse avoir peu de pertinence dans les cas où il est presque impossible de déterminer si une erreur de compétence a été commise (c'est‑à‑dire, lorsqu'il existe un élément de pouvoir discrétionnaire judiciaire), elle ne saurait servir de prétexte pour éviter d'intervenir dans les cas où une erreur de compétence est manifeste. Appliquée incorrectement, cette politique de non‑intervention risque d'édulcorer le concept de l'erreur de compétence. Une telle attitude est susceptible d'encourager la création d'un ensemble de précédents manifestement erronés au lieu de servir de guide dans les cas où les organismes administratifs sont nettement divisés. Les deux principes de non‑intervention lorsqu'il y a compétence, d'une part, et de contrôle judiciaire lorsqu'il y a excès de compétence, d'autre part, sont des principes d'égale importance en droit administratif et l'un ne saurait avoir préséance sur l'autre. Il est correct de rejeter les demandes qui ne sont rien d'autre que des "appels" de décisions administratives par ailleurs valides. Toutefois, il est incorrect de rejeter les demandes qui soulèvent des questions de compétence valides simplement parce qu'elles proviennent d'organismes administratifs, plutôt que de tribunaux judiciaires. Adopter ce point de vue serait ignorer les principes de droit administratif qui autorisent les tribunaux judiciaires à exercer un contrôle en cas de violation de la justice naturelle ou de conclusions touchant à la compétence, y compris en cas d'erreur manifestement déraisonnable.

70. Certains contrôles doivent être exercés sur les organismes administratifs. Comme l'a écrit H. W. R. Wade dans son commentaire de l'article de Peter A. Gall, intitulé "Judicial Review of Labour Tribunals: A Functional Approach", publié dans Proceedings of the Administrative Law Conference, University of British Columbia (1979), à la p. 375:

[TRADUCTION] Il peut y avoir abus du pouvoir judiciaire et, quant à cela, il peut également y avoir abus du pouvoir législatif, mais je suis convaincu que le pouvoir qui exige le plus d'attention de la part des avocats est le pouvoir administratif. Le pouvoir judiciaire est limité par un système très élaboré de règles, de précédents, d'appels, etc. Le pouvoir législatif est limité par la responsabilité envers l'électorat. Mais le pouvoir administratif est très peu limité, si ce n'est par la loi. Personnellement, je suis d'avis que le contrôle judiciaire est nécessaire pour prévenir les abus et pour préserver l'équité et que s'il n'est pas exercé d'une manière excessive, il est parfaitement compatible avec une administration efficace.

71. Un individu qui a recours au contrôle judiciaire ne devrait pas être dissuadé de chercher à obtenir un redressement auprès des tribunaux judiciaires du seul fait que ceux‑ci ont formulé une "politique" de non‑intervention dans les questions qui découlent de décisions prises par des organismes administratifs. Il est vrai que les tribunaux judiciaires devraient s'en remettre à l'expertise de ces organismes spécialisés en tant qu'instances décisionnelles finales dans leurs domaines de compétence, mais cela n'élimine pas l'obligation qu'ont les tribunaux judiciaires d'examiner les décisions pour vérifier si l'équité en matière de procédure a été respectée ou si une erreur de compétence a été commise.

72. Je n'entends pas par là que les tribunaux judiciaires doivent se mettre à examiner tous les cas qui leur sont soumis. Lorsqu'il n'y a pas d'erreur de compétence, il n'y a pas matière à révision. Je souscris à l'opinion de la majorité selon laquelle, en l'absence d'erreur de compétence, il y a lieu à déférence. Mais contrairement à l'opinion de la majorité, j'estime qu'une telle erreur existe en l'espèce et que nous nous devons intervenir. Comme je l'ai mentionné précédemment, lorsque l'erreur touche à la compétence, le tribunal doit intervenir. Par conséquent, la décision doit véritablement porter non pas sur le degré de retenue judiciaire, mais sur l'existence et la nature de l'erreur, peu importe qu'il s'agisse d'un arbitrage consensuel ou non.

73. Le juge Lambert et, implicitement, cette Cour à la majorité, accordent beaucoup d'importance au fait qu'il s'agissait d'un arbitrage consensuel. Le juge Lambert affirme, à la p. 152:

[TRADUCTION] Un tribunal créé par la loi devrait suivre ses propres décisions antérieures et, pour cette raison, il devrait être requis d'interpréter d'une manière juste les mesures législatives d'intérêt public général et les principes juridiques généraux et devrait arriver à ses décisions, même sur des sujets qui relèvent particulièrement de sa fonction ou de son expertise spéciale, par un processus dont la rationalité puisse être démontrée. Ces exigences n'ont pas tout à fait la même force dans le cas d'un arbitre choisi par les parties. Ce qui importe au sujet d'un arbitre choisi par les parties est que ces dernières ont choisi le processus d'arbitrage et ont choisi l'arbitre parce qu'elles préfèrent ce processus et cet arbitre à toute autre procédure ou à toute autre instance décisionnelle. De plus elles veulent que l'arbitre fasse ce qu'elles lui demandent de faire de la manière qu'elles lui prescrivent et qu'il ne fasse rien d'autre de quelque autre manière.

Bref, les principes énoncés dans l'arrêt Anisminic s'appliquent à un arbitre choisi par les parties, mais il doit y avoir un maximum de respect et de retenue de la part des tribunaux lorsqu'il s'agit de déterminer si l'arbitre a contrevenu à son mandat et a ainsi commis une erreur de "compétence". [Je souligne.]

74. En toute déférence, je ne vois pas comment cette élaboration d'une distinction entre les deux types d'arbitrage établit la nécessité de donner une portée particulièrement limitée au contrôle judiciaire des arbitrages consensuels. Sans vouloir trop insister sur ce point, le contrôle judiciaire est le contrôle judiciaire. En cas d'erreur qui touche à la compétence, le contrôle judiciaire constitue le redressement approprié. La norme n'est pas différente lorsqu'il s'agit d'un arbitrage consensuel.

75. Cette Cour a analysé la différence entre l'arbitrage consensuel et l'arbitrage prescrit par la loi, sur le plan du contrôle judiciaire, dans l'arrêt Douglas Aircraft Co. of Canada Ltd. c. McConnell, [1980] 1 R.C.S. 245, où la question des arbitrages consensuels et des arbitrages prescrits par la loi a été soulevée par le juge Estey. L'arrêt portait sur le contrôle judiciaire d'un tribunal établi en vertu de la loi, dont les décisions n'étaient pas protégées par une clause privative. Le juge Estey a fait l'historique du contrôle judiciaire des arbitrages et, ce faisant, a touché à la question de la norme de contrôle dans le cas de l'arbitrage consensuel. Voici ce qu'il a écrit, à la p. 266:

Dès 1857, il était bien établi que la décision d'un conseil choisi par les parties peut être écartée pour fraude et en raison d'une erreur de droit apparente à la lecture du dossier. Hodgkinson v. Fernie and Another. Dans ce genre de procédures, il est également clair qu'une cour écartera la sentence d'un arbitre qui tranche des questions qui ne relèvent pas des pouvoirs conférés par le contrat constitutif. Voir Halsbury's Laws of England, 4e éd., vol. 2, p. 330, par. 622. Enfin, il y a la règle secondaire, ou au moins une clarification de l'ancienne règle, exposée dans les motifs du juge Channell dans In the Matter of an Arbitration Between King and Duveen and Others, aux pp. 35 et 36:

[TRADUCTION] C'est sans aucun doute un principe de droit bien établi que si une erreur de droit apparaît à la lecture de la sentence arbitrale, cela rend la sentence irrégulière, et elle peut être écartée . . . mais il est également clair que si une question de droit précise est soumise à la décision d'un arbitre et qu'il rend effectivement une décision, le fait que la décision soit erronée ne rend pas la sentence irrégulière à sa lecture de sorte qu'il soit permis de la rejeter. Autrement, soumettre une question de droit à un arbitre serait toujours futile.

Dans R. v. Barber et al, Ex parte Warehousemen and Miscellaneous Drivers' Union Local 419, la Cour d'appel de l'Ontario a conclu qu'il ne faut pas appliquer aux décisions d'un conseil établi en vertu d'une loi, la règle applicable en matière de révision des sentences de tribunaux choisis par les parties suivant laquelle les cours n'ont pas le pouvoir de réviser le bien‑fondé d'une décision sur le point de droit spécifiquement soumis au tribunal, mais suivant laquelle elles peuvent cependant réviser une erreur de droit commise par ce tribunal sur des points importants [TRADUCTION] "qui sont soulevés sans être spécifiquement soumis".

76. Cette Cour a également examiné la question de l'arbitrage consensuel dans l'arrêt Volvo Canada Ltd. c. T.U.A., local 720, [1980] 1 R.C.S. 178. Dans cette affaire, une question de droit précise avait été soumise à un arbitre choisi par les parties. La question principale alors soulevée, en ce qui a trait au contrôle judiciaire de la sentence arbitrale, était de savoir si l'arbitre avait effectivement répondu à la question qui lui avait été posée. Le juge en chef Laskin, rédigeant des motifs distincts concordants quant au résultat, a énoncé une norme stricte applicable à l'examen des affaires d'arbitrage consensuel. Le juge en chef Laskin semblait préoccupé par des pouvoirs généraux de contrôle qui gêneraient indûment la méthode de règlement du litige choisie par les parties. Le juge en chef Laskin a fait une distinction entre les arbitrages consensuels où une question de droit précise est soumise à l'arbitre, et les griefs ordinaires. Dans le premier cas, il ne peut y avoir de contrôle à moins qu'on n'ait pas répondu à la question posée. En ce qui concerne les griefs, le juge en chef Laskin écrit, à la p. 195:

La situation peut être différente lorsqu'un grief ordinaire est soumis à l'arbitrage choisi par les parties, mais même dans ce cas, il y a une répugnance à modifier la sentence arbitrale lorsqu'elle met en cause l'interprétation d'une convention collective . . .

77. Étant donné la confusion que peuvent, selon toute évidence, susciter toutes ces distinctions et catégories, le juge en chef Laskin a tenté de fournir certaines lignes directrices, à la p. 198:

Quelque difficile qu'il puisse parfois être de décider si une question précise a été soumise ou non, je crois qu'il est plus vraisemblable que tel est le cas lorsque, comme en l'espèce, une question intéressant l'ensemble des employés a été soumise à l'arbitre. De plus, comme le dit le juge en chef Barwick dans N.S.W. Mining Co., précité, c'est la nature de la question qui fournit la solution et il en est ainsi même si l'arbitre doit tirer certaines conclusions de fait pour en décider.

78. Le juge en chef Laskin résume ainsi sa position, à la p. 203:

Certainement, le domaine de l'arbitrage patronal‑syndical, qui est un mécanisme en évolution constante et non épisodique comme celui sous lequel les règles de révision de la common law ont été élaborées, offre une bonne tribune pour proclamer une politique de non‑intervention des cours dans les sentences d'arbitres choisis par les parties, sauf dans les cas de partialité, de fraude ou de manquement à la justice naturelle et, bien sûr, d'excès de compétence au sens strict de ce mot et non dans un sens large qui le rend indiscernable des questions de droit.

79. Dans les motifs de jugement distincts qu'il a rédigés dans l'affaire Volvo Canada, précitée, le juge Estey, tout en souscrivant à l'opinion du juge en chef Laskin quant à la portée limitée du contrôle judiciaire des arbitrages consensuels, a adopté une approche différente quant au contrôle judiciaire, à la p. 220:

À mon avis le contrôle judiciaire d'une sentence d'un conseil choisi par les parties ne devrait pas être fondé sur la distinction subtile et artificielle entre une question générale et une question de droit précise; il devrait plutôt se limiter aux situations où l'arbitre, en répondant à la question qui lui est soumise, agit contrairement à la loi ou à la convention.

80. Il s'agit d'une approche simplifiée et plus fondamentale qui permet essentiellement d'exercer un contrôle judiciaire dans tous les cas où l'arbitre excède sa compétence.

81. La distinction dans la façon de traiter les arbitrages prescrits par la loi et les arbitrages consensuels me semble illusoire. La position est la même que celle qui existe en matière de contrôle judiciaire en général. La seule différence que pose l'arbitrage consensuel réside dans la manière dont la compétence est définie. Dans une large mesure ce sont les parties, plutôt qu'une loi, qui confèrent compétence à l'arbitre qu'elles choisissent. Toutefois, le facteur essentiel demeure la compétence. Comme Gaston Nadeau l'a écrit dans son article intitulé "Le contrôle judiciaire des tribunaux du travail — Quelques commentaires sur la révision des sentences arbitrales par la Cour Suprême du Canada" (1980), Meredith Lectures 138, à la p. 140:

Dans le cas des tribunaux statutaires bénéficiant d'une clause privative les cours supérieures ne pouvaient intervenir que sur des questions de compétence (juridiction) mais sur ces questions le pouvoir de révision devait être exercé sans réserve. La même règle s'appliquait à la décision d'un tribunal consensuel lorsque les parties lui avaient demandé de trancher une pure question de droit.

Lorsque le tribunal statutaire ne bénéficiait pas d'une clause privative ses décisions étaient également révisables pour erreur de droit à la lecture du dossier. La même règle s'appliquait à la décision rendue par un tribunal consensuel lorsqu'il avait été saisi d'un litige général (par opposition à une pure question de droit).

82. La raison pour laquelle l'examen de la réponse à la question précise soumise à l'arbitre est limité, c'est qu'une telle question définit la compétence de l'arbitre choisi par les parties. Toute réponse qui constitue véritablement une réponse à la question posée doit nécessairement relever de cette compétence. Toutefois, l'étendue du contrôle demeure la même lorsque la réponse donnée ne correspond pas à la question ou lorsqu'il y a [TRADUCTION] "une erreur de droit commise par ce tribunal sur des points importants "qui sont soulevés sans être spécifiquement soumis"" (Douglas Aircraft, précité, à la p. 266).

83. Dans son article intitulé "Recent Developments in Canadian Law: Labour Law" (1986), 18 Ottawa L.R. 83, Michael MacNeil commente la similitude de l'approche dans les arbitrages prescrits par la loi et les arbitrages consensuels. Il fait remarquer, à la p. 102:

[TRADUCTION] Une autre indication de cette tendance unificatrice est la distinction maintenant presque dénuée de sens qui existe entre les tribunaux créés par la loi et les tribunaux consensuels. À une certaine époque, on croyait que le fait qu'un tribunal soit qualifié de consensuel entraînerait un plus grand respect par les tribunaux en cas d'erreur commise à l'égard d'une question de droit précisément soumise au tribunal. Toutefois, la Cour suprême a appliqué un test très restrictif pour déterminer ce qui constitue une question précise et, malgré l'opposition du juge en chef Laskin, elle semble avoir conclu que même une erreur concernant une question précise pouvait être examinée pour certains motifs.

84. Gaston Nadeau, précité, a fait une observation similaire. Il analyse, à la p. 139, l'évolution du droit applicable au contrôle des arbitrages consensuels:

Avec les années la jurisprudence canadienne avait élaboré un certain nombre de règles relativement précises déterminant la portée du pouvoir de révision. Il fallait dans un premier temps déterminer si le tribunal inférieur était établi statutairement ou s'il s'agissait d'un tribunal consensuel ou privé. Dans le cas d'un tribunal statutaire la portée de la révision judiciaire était tributaire de l'existence ou non d'une clause privative. Lorsqu'il s'agissait d'un tribunal consensuel c'est la nature du litige qui lui était soumis qui devait déterminer la mesure de l'intervention judiciaire.

85. De l'avis de Nadeau, il y a une tendance vers l'élimination de la distinction qui est faite entre les deux types de règlement des litiges aux fins du contrôle judiciaire: "Il y a donc une nette tendance à éliminer également la distinction entre l'arbitrage statutaire et l'arbitrage consensuel." (p. 142)

86. Je suis d'avis que la norme du contrôle judiciaire des arbitrages, peu importe qu'il s'agisse d'arbitrages consensuels ou d'arbitrages prescrits par la loi, est essentiellement la même. Je ne vois aucune raison valable d'établir une distinction. Sans aucun doute, la question de savoir qui ou qu'est‑ce qui fixe les paramètres de la compétence de l'arbitre peut être différente dans chaque cas. Ce peut être le législateur ou les parties elles‑mêmes. Mais, fondamentalement, il peut y avoir contrôle judiciaire dans tous les cas où un arbitre excède sa compétence. Les tribunaux judiciaires devraient naturellement veiller à respecter la volonté des parties dans le cas d'un arbitrage consensuel mais, tout comme dans le cas d'un arbitrage prescrit par la loi, les questions de compétence sont sujettes au contrôle judiciaire. Dans le cas où un arbitre a excédé sa compétence, prescrite par la loi ou conférée par les parties, la sentence rendue ne reflétera pas la volonté des parties et ne respectera pas les termes de la loi. Le requérant a droit, dans de telles circonstances, au contrôle judiciaire. J'accepte une approche qui respecte l'expertise, mais elle ne doit pas être interprétée de manière à refuser un recours judiciaire lorsqu'il s'agit de questions de justice naturelle ou de compétence.

87. Dans un cas comme la présente affaire, il serait manifestement injuste que les tribunaux refusent d'exercer leurs propres pouvoirs de contrôle judiciaire. La politique de non‑intervention n'est pas une licence pour refuser le contrôle judiciaire. Il s'agit simplement d'une mise en garde faite aux tribunaux judiciaires pour qu'ils reconnaissent le rôle et la fonction légitimes des organismes administratifs. Lorsque de tels organismes ne respectent pas leur compétence, le tribunal judiciaire n'a pas le pouvoir discrétionnaire d'intervenir, il a le devoir d'intervenir à la demande de l'une ou l'autre des parties.

88. Pour ces raisons, je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi accueilli avec dépens, le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente.

Procureurs de l'appelant: Shortt & Company, Vancouver.

Procureurs de l'intimée: Farris, Vaughan, Wills & Murphy, Vancouver.

* Les juges Estey et Le Dain n'ont pas pris part au jugement.


Synthèse
Référence neutre : [1988] 2 R.C.S. 564 ?
Date de la décision : 08/12/1988
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Contrôle judiciaire - Pouvoir de contrôle - Arbitrage consensuel - L'arbitre a ordonné le retour au travail des employés congédiés pour inconduite pendant la grève - L'arbitre a‑t‑il commis une erreur de droit? - Dans l'affirmative, l'erreur touche‑t‑elle à la compétence et est‑elle sujette au contrôle judiciaire? - Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L‑1, art. 107(2), 184(3)a)(vi), et modifications.

Les parties ont été mêlées à un conflit de travail long et acharné. Pendant la grève, l'employeur a congédié 24 grévistes pour inconduite. Malgré leur entente sur les termes d'une nouvelle convention collective, les parties n'ont pas pu régler la grève en raison d'un désaccord sur le sort des 24 grévistes congédiés et elles ont soumis la question à l'arbitrage. L'arbitre a conclu que le recours à des mesures disciplinaires pendant une grève constitue une infraction et a ordonné le retour au travail immédiat des 24 employés sans aucune pénalité. La Cour d'appel a maintenu la décision d'annuler cette sentence et de la renvoyer à l'arbitre pour qu'il l'examine de nouveau. Les questions en litige sont les suivantes: (1) l'arbitre a‑t‑il commis une erreur de droit lorsqu'il a conclu qu'un employeur n'a pas le pouvoir d'imposer des mesures disciplinaires pendant une grève légale? et (2) dans l'affirmative, cette erreur porte‑t‑elle atteinte à la compétence de l'arbitre et, de ce fait, est‑elle sujette au contrôle judiciaire?

Arrêt (le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente): Le pourvoi est accueilli.

Le juge en chef Dickson et les juges Lamer, Wilson et La Forest: Tenant pour acquis, sans toutefois trancher la question, que l'arbitre a effectivement commis une erreur de droit, cette erreur ne touchait pas à la compétence et n'était donc pas sujette au contrôle judiciaire.

Le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente): L'arbitre a commis une erreur de droit lorsqu'il a décidé que le par. 107(2) du Code canadien du travail privait l'employeur du droit d'imposer des mesures disciplinaires aux employés pendant une grève. Ce paragraphe permet aux employeurs d'imposer des mesures disciplinaires pour des activités qui se sont déroulées pendant une grève, pour autant que ces mesures ne visent pas à punir des employés pour des activités syndicales et leur participation à une grève légale. La version française de ce paragraphe et la jurisprudence appuient toutes les deux cette interprétation.

Une erreur de droit commise dans le contexte d'un arbitrage doit être juridictionnelle pour donner ouverture au contrôle judiciaire. Lorsqu'un arbitre commet une erreur en définissant sa compétence pour trancher une question particulière et décide de répondre à une question différente, la réponse relève de la compétence envisagée. En l'espèce, l'erreur de l'arbitre dans l'interprétation du par. 107(2) du Code canadien du travail, portant qu'il n'existait pas de relation employeur‑employé, est à l'origine de son refus d'exercer la compétence dont il avait été investi par les parties. La décision de l'arbitre portant que l'employeur n'avait pas le droit d'imposer des mesures disciplinaires aux employés en grève était essentielle à toutes ses conclusions et touchait donc à la compétence.

Les principes de non‑intervention lorsqu'il y a compétence et de contrôle judiciaire lorsqu'il y a excès de compétence sont d'égale importance en droit administratif et l'un ne saurait avoir préséance sur l'autre. Il est correct de rejeter les demandes qui ne sont rien d'autre que des "appels" de décisions administratives par ailleurs valides. Toutefois, il est incorrect de rejeter les demandes qui soulèvent des questions de compétence valides simplement parce qu'elles proviennent d'organismes administratifs plutôt que de tribunaux judiciaires. La décision doit véritablement porter non pas sur le degré de retenue judiciaire, mais sur l'existence et la nature de l'erreur, peu importe qu'il s'agisse d'un arbitrage consensuel ou non.

Il n'est pas nécessaire de donner une portée particulièrement limitée au contrôle judiciaire des arbitrages consensuels. Nonobstant les différences qui peuvent exister quant à la question de savoir qui ou qu'est‑ce qui fixe les paramètres de la compétence de l'arbitre, il peut y avoir contrôle judiciaire dans tous les cas où un arbitre excède sa compétence car la sentence rendue ne reflète pas alors la volonté des parties et ne respecte pas les termes de la loi.

La politique de non‑intervention est acceptable dans la mesure où elle protège les droits et les intérêts des particuliers, mais elle ne doit pas servir à refuser des recours aux tribunaux judiciaires pour le seul motif que ces tribunaux hésitent à "intervenir". Quand un arbitre ne respecte pas sa compétence, un tribunal judiciaire n'a pas le pouvoir discrétionnaire d'intervenir, il a le devoir d'intervenir à la demande de l'une ou l'autre des parties.


Parties
Demandeurs : STT
Défendeurs : British Columbia Telephone Co.

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente)
Canadian Pacific Railway Co. v. Zambri, [1962] R.C.S. 609
Re Allanson (1971), 20 D.L.R. (3d) 49
Dumais v. Champoux Automobile Inc., [1970] T.T. 120
Commission des normes du travail c. Manufacture Sorel Inc., [1984] C.S. 747
Firestone Tire & Rubber Co. v. N.L.R.B., 449 F.2d 511 (1971)
N.L.R.B. v. Hartmann Luggage Co., 453 F.2d 178 (1971)
Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227
Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du travail, [1984] 2 R.C.S. 412
Union internationale des employés des services, local no. 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association, [1975] 1 R.C.S. 382
Douglas Aircraft Co. of Canada Ltd. c. McConnell, [1980] 1 R.C.S. 245
Volvo Canada Ltd. c. T.U.A., local 720, [1980] 1 R.C.S. 178.
Lois et règlements cités
Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L‑1, art. 107(2), 184(3)a)(vi), et mod.
Code du travail, L.R.Q., chap. C‑27, art. 110.
Labour Relations Act, R.S.O. 1960, chap. 202, art. 1(2).
Doctrine citée
Gagnon, Robert, Louis LeBel et Pierre Verge. Droit du travail en vigueur au Québec. Québec: Les Presses de l'Université Laval, 1971.
MacNeil, Michael. "Recent Developments in Canadian Law: Labour Law" (1986), 18 Ottawa L.R. 83.
Nadeau, Gaston. "Le contrôle judiciaire des tribunaux du travail — Quelques commentaires sur la révision des sentences arbitrales par la Cour Suprême du Canada" in Meredith Memorial Lectures, 1980, Faculty of Law, McGill University. Les tendances actuelles en droit du travail provincial et fédéral. Don Mills, Ont.: Richard De Boo, 1981.
Nadeau, Gaston. Le statut juridique du salarié‑gréviste québécois. Québec: Les Presses de l'Université Laval, 1981.
Sack, Jeffrey and C. Michael Mitchell. Ontario Labour Relations Board: Law and Practice. Toronto: Butterworths, 1985.
Wade, H. W. R. Judicial Review—Comment, in response to Peter A. Gall, "Judicial Review of Labour Tribunals: A Functional Approach", in Proceedings of the Administrative Law Conference, University of British Columbia, 1979. Vancouver: U.B.C. Law Review, 1981.

Proposition de citation de la décision: STT c. British Columbia Telephone Co., [1988] 2 R.C.S. 564 (8 décembre 1988)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1988-12-08;.1988..2.r.c.s..564 ?
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