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25/02/1988 | CANADA | N°[1988]_1_R.C.S._327

Canada | Washington (État de) c. Johnson, [1988] 1 R.C.S. 327 (25 février 1988)


washington (état de) c. johnson, [1988] 1 R.C.S. 327

L'État de Washington et le directeur du Vancouver Pretrial Services Centre Appelants

c.

Keith Melford Johnson alias Melford Keith Johnson Intimé

répertorié: washington (état de) c. johnson

No du greffe: 19509.

1987: 20 octobre; 1988: 25 février.

Présents: Les juges Beetz, Estey, McIntyre, Lamer, Wilson, Le Dain et L'Heureux‑Dubé.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique, greffe de

Vancouver CA 003221, le 10 juin 1985, qui a accueilli un appel contre un jugement du juge Ruttan, greffe de Vancouver...

washington (état de) c. johnson, [1988] 1 R.C.S. 327

L'État de Washington et le directeur du Vancouver Pretrial Services Centre Appelants

c.

Keith Melford Johnson alias Melford Keith Johnson Intimé

répertorié: washington (état de) c. johnson

No du greffe: 19509.

1987: 20 octobre; 1988: 25 février.

Présents: Les juges Beetz, Estey, McIntyre, Lamer, Wilson, Le Dain et L'Heureux‑Dubé.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique, greffe de Vancouver CA 003221, le 10 juin 1985, qui a accueilli un appel contre un jugement du juge Ruttan, greffe de Vancouver, CC 841383, le 15 novembre 1984, qui rejetait une demande d'habeas corpus avec certiorari auxiliaire à l'égard d'un mandat d'incarcération lancé par le juge Cowan de la Cour de comté, siégeant à titre de juge d'extradition, greffe de Vancouver, CC 831355, le 3 août 1984. Pourvoi rejeté, les juges Beetz, McIntyre et Le Dain sont dissidents.

1. William H. Corbett, c.r., pour les appelants.

2. Barry Long, pour l'intimé.

Version française des motifs des juges Beetz, McIntyre et Le Dain rendus par

3. Le juge Le Dain (dissident)—Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi. Bien que j'estime, comme le juge Wilson, que la question en litige est de savoir si la conduite qui a donné lieu à la déclaration de culpabilité dans l'État de Washington constituerait le crime de vol au Canada, je me vois malheureusement dans l'impossibilité de souscrire à sa conclusion que l'existence d'une intention frauduleuse ne saurait être déduite de la preuve de cette conduite produite devant le juge d'extradition.

4. De toute évidence, il y a nécessairement une différence entre le texte des al. 18(1)a) et 18(1)b) de la Loi sur l'extradition. L'un parle de la preuve de la déclaration de culpabilité dans le cas d'un condamné fugitif, l'autre de la preuve justifiant l'incarcération préventive dans le cas d'un accusé fugitif. Je ne puis cependant conclure de cette différence nécessaire entre les textes de ces dispositions que le critère ou la norme qui permet de déterminer si la conduite sur laquelle repose le verdict de culpabilité rendu dans l'État étranger constituerait un crime au Canada, doit, ou peut sur le plan pratique, différer fondamentalement du critère applicable prima facie dans le cas d'un accusé fugitif. En appliquant ce critère dans un cas où il y a eu déclaration de culpabilité, le juge d'extradition ne se trouve pas à décider de la culpabilité ou de l'innocence ni à apprécier la preuve, pas plus qu'il ne le fait lorsqu'il s'agit d'un accusé fugitif. Dans le cas d'un condamné fugitif, le critère doit consister à se demander si la conduite qui a entraîné la déclaration de culpabilité, telle qu'elle est décrite dans la preuve produite devant le juge d'extradition, pourrait fonder une déclaration de culpabilité du même crime au Canada. Du moment que des déductions peuvent être tirées des faits établis, la question de savoir si un juge des faits les aurait tirées ou non est sans intérêt.

5. Le juge d'extradition a décrit ainsi les faits pertinents se dégageant de la preuve documentaire présentée devant lui:

[TRADUCTION] Au moment de l'imposition de la peine, le juge du procès était au courant des faits allégués contre Johnson et ceux‑ci apparaissent à la lecture des pièces produites. Il en ressort qu'en février 1979 M. et Mme George Ford d'Enumclaw (Washington) ont publié dans un journal de Seattle une annonce mettant en vente un orgue. Johnson a pris contact avec eux et les a persuadés de conclure avec lui un contrat de dépôt d'une durée de trente jours et de lui remettre l'orgue. Deux offres peu élevées ont été reçues et transmises aux Ford qui les ont rejetées. Une semaine après l'expiration du délai de trente jours, les Ford ont essayé de rejoindre Johnson, mais Johnson et l'orgue avaient tous les deux disparu. Johnson fut retrouvé plus tard à Calgary (Alberta). Johnson est resté en liberté jusqu'à son arrestation en 1982.

6. En déterminant si la conduite ainsi décrite constituait le crime de vol au Canada, le juge d'extradition a, à mon avis, correctement appliqué le critère approprié dans le passage suivant tiré de ses motifs de jugement:

[TRADUCTION] À mon avis, ces faits constituent une preuve prima facie suffisante de la perpétration du crime canadien de vol, soit aux termes de l'art. 283 ou du par. 290(1) du Code criminel. L'élément de fraude peut s'inférer de l'omission de rendre les biens dans un délai raisonnable.

Dans un affidavit produit dans la présente instance, Johnson a déposé concernant des faits qui, si l'on y croyait, établiraient l'inexistence de l'élément d'intention frauduleuse. Or, il n'appartient nullement au juge d'extradition d'apprécier ou d'examiner différentes façons de voir la preuve, mais il lui incombe plutôt, en ce qui concerne la preuve de la double criminalité, de déterminer si on a présenté une preuve prima facie suffisante pour établir la perpétration d'un crime canadien.

7. Il faut se rappeler relativement à la non‑restitution de l'orgue dans un délai raisonnable, ce qui, selon le juge d'extradition, justifiait de conclure à l'intention frauduleuse, que Johnson et l'orgue avaient tous les deux disparu et que Johnson n'a été retrouvé que lors de son arrestation en 1982. Les faits de l'affaire R. v. DeMarco (1973), 13 C.C.C. (2d) 369 (C.A. Ont.), invoquée par l'intimé et appliquée par le juge Wilson, sont tout à fait différents de ceux qui se présentent en l'espèce. Il en va de même de la question en litige. Dans l'affaire DeMarco, une femme mariée, mère de quatre enfants, avait loué une voiture le 19 juin 1971 pour son déménagement. Le contrat de location stipulait que la voiture devait être rendue le lendemain, mais elle n'a été restituée que lorsque la police est allée la chercher près de chez l'accusée le 16 juillet. Au procès l'accusée a témoigné n'avoir jamais eu l'intention de voler la voiture. Après avoir déménagé elle avait rempli au bureau de poste une carte de changement d'adresse et puis elle s'était servie de la voiture pour conduire ses enfants à l'école au besoin ainsi que pour les emmener en vacances. Elle a dit qu'elle avait [TRADUCTION] "simplement supposé qu'on savait que j'avais la voiture" et qu'elle entendait la rendre et acquitter le prix de location un mois après l'avoir louée, c.‑à‑d. le 19 juillet, soit trois jours après la saisie de la voiture. La Cour d'appel de l'Ontario a annulé la déclaration de culpabilité et ordonné la tenue d'un nouveau procès pour les motifs exposés par le juge Martin aux pp. 373 et 374, savoir qu'en donnant ses directives au jury, le juge du procès [TRADUCTION] "ne lui a pas indiqué clairement que, si l'accusée croyait sincèrement à un état de faits qui, s'il avait réellement existé, aurait en droit justifié ou excusé le fait d'avoir gardé la voiture, cette croyance suffisait à elle seule pour établir qu'il n'y a pas eu de vol" et que, [TRADUCTION] "l'omission de donner au jury des directives concernant ce qui devait être prouvé pour satisfaire à l'exigence d'une intention frauduleuse chez l'appelante conformément à la jurisprudence, équivalait à lui donner des directives erronées...» J'estime avec égards que l'arrêt DeMarco n'appuie nullement la proposition selon laquelle on ne saurait déduire l'existence d'une intention frauduleuse de la non‑restitution de l'orgue en l'espèce.

8. Étant donné cette conclusion sur la question principale, je dois me pencher sur l'argument subsidiaire de l'intimé, savoir que l'omission de l'État requérant de se conformer à toutes les exigences de l'article 9(2) du Traité d'extradition de 1976 entre le Canada et les États‑Unis d'Amérique rend invalide l'incarcération imposée par le juge d'extradition. L'article 9(2) dispose que la demande d'extradition doit être accompagnée notamment "du texte des dispositions des lois de l'État requérant décrivant l'infraction et stipulant la peine à infliger à cet égard". La dénonciation par laquelle l'accusation a été portée contre l'intimé fait mention de l'al. 9A.56.020(1)a) du Revised Code of Washington (RCW), mais la demande d'extradition n'était pas accompagnée du texte de cette disposition, bien qu'on y ait joint le texte d'autres dispositions du Revised Code of Washington prévoyant le crime de vol au deuxième degré, lesquelles dispositions ont été produites devant le juge d'extradition. À mon avis, le fait que l'État requérant ne se soit pas conformé à l'article 9(2) du Traité n'a eu aucun effet sur la compétence du juge d'extradition pour lancer un mandat d'incarcération en vertu de l'al. 18(1)a) de la Loi sur l'extradition. L'article 9(2), comme l'indique l'article 9(1), vise une demande d'extradition présentée par la voie diplomatique et non pas les procédures devant un juge d'extradition. Il n'y a rien dans les dispositions pertinentes des art. 10 et suivants de la Loi sur l'extradition qui laisse entendre que le juge d'extradition ne peut exercer son pouvoir que si on s'est d'abord conformé à l'article 9(2) du Traité. Qu'une telle condition n'existe pas se dégage des décisions, que j'approuve, établissant qu'il n'est pas nécessaire de produire la demande d'extradition en preuve devant le juge d'extradition: Re Von Einem and Federal Republic of Germany (1984), 14 C.C.C. (3d) 440 (C.A.C.‑B.) J'estime en conséquence que l'omission de se conformer à l'article 9(2) du Traité n'invalide pas l'incarcération.

9. Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'infirmer l'arrêt de la Cour d'appel et de rétablir le mandat d'incarcération lancé par le juge Cowan de la Cour de comté.

Version française du jugement des juges Estey, Lamer, Wilson et L'Heureux‑Dubé rendu par

10. Le juge Wilson—Nous sommes appelés en l'espèce à examiner la nature précise de la règle de la double criminalité en droit de l'extradition. Il faut donc déterminer si la partie qui demande l'extradition doit établir que l'infraction imputée dans l'État étranger constitue une infraction au Canada ou bien s'il suffit de démontrer que la conduite reprochée aurait été un crime canadien visé par le Traité dans l'hypothèse où elle aurait eu lieu au Canada.

I Les faits

11. Le 18 mai 1979, l'intimé a été accusé dans l'État de Washington du crime de vol au deuxième degré. La dénonciation est ainsi libellée:

[TRADUCTION] Je, Norm Maleng, procureur de King County, au nom et par l'autorité de l'État de Washington, par la présente dénonciation accuse Melford Keith Johnson d'avoir commis le crime de vol au deuxième degré ainsi qu'il est exposé ci‑après:

Le défendeur Melford Keith Johnson, dans King County (Washington), le 20 février 1979 ou vers cette date, avec l'intention de priver autrui d'un bien d'une valeur de plus de 250 $, savoir un orgue Lowrey, a retenu sans autorisation ce bien appartenant à M. et Mme George Ford:

Contrairement à RCW 9A.56.040(1)(A).020(1)a) et troublant ainsi la paix et la dignité de l'État de Washington.

Voici les faits importants sur lesquels repose l'accusation. En février 1979, un couple du Washington, les Ford, ont publié dans un journal de Seattle une annonce pour vendre un orgue "Lowrey". L'intimé Johnson a offert d'essayer de le vendre pour eux. Johnson et les Ford ont donc conclu un accord en vertu duquel Johnson prenait possession de l'orgue pour trente jours à charge de le rendre s'il ne l'avait pas vendu dans le délai imparti. Au cours de cette période, Johnson a soumis deux offres aux Ford que ces derniers ont rejetées parce qu'elles étaient trop basses.

12. À l'expiration du délai de trente jours, l'orgue n'a pas été rendu. Malgré leurs tentatives, les Ford n'ont pu retrouver ni Johnson ni l'orgue.

13. Johnson a été arrêté à Seattle (Washington) le 8 mai 1982. Ayant plaidé coupable relativement à l'infraction de vol au deuxième degré, il a été condamné à la peine maximale de cinq ans d'emprisonnement. Le 26 décembre 1982, il s'est évadé de prison et a quitté l'État de Washington pour venir au Canada. Au moment de son évasion, il lui restait à purger cinquante‑deux mois de sa peine.

14. Les autorités de l'État de Washington ont entamé des procédures en vue d'obtenir l'extradition de Johnson en conformité avec le Traité d'extradition de 1976 entre le Canada et les États‑Unis d'Amérique. Le 7 septembre 1983, une dénonciation a été déposée devant un juge d'extradition de Vancouver portant que Johnson était un fugitif condamné qui s'était évadé d'une prison du Washington. En vertu du par. 10(1) de la Loi sur l'extradition, S.R.C. 1970, chap. E‑21, le juge a lancé un mandat pour l'arrestation de Johnson. Celui‑ci a été appréhendé le 13 septembre 1983, puis mis en liberté sous caution en attendant l'audience d'extradition. Après plusieurs retards, cette audience s'est finalement tenue le 27 juillet 1984 devant le juge Cowan de la Cour de comté siégeant en qualité de juge d'extradition.

II Les tribunaux d'instance inférieure

Cour de comté de la Colombie‑Britannique

15. Le 27 juillet 1984, le juge Cowan a ordonné que Johnson soit incarcéré en vue de son extradition. Le juge a fait remarquer qu'aucun mandat d'incarcération de Johnson en attendant son extradition ne pouvait être délivré, à moins qu'on n'établisse qu'il avait été déclaré coupable d'un "crime entraînant l'extradition" au sens de l'art. 2 de la Loi sur l'extradition et de l'article 2 du Traité d'extradition de 1976 entre le Canada et les États‑Unis d'Amérique. Selon le juge Cowan, la question essentielle à trancher à cet égard était celle de savoir si l'infraction satisfaisait à l'exigence de la "double criminalité" posée par l'article 2 du Traité.

16. Le juge Cowan a répondu à cette question par l'affirmative. Il a rejeté l'argument selon lequel la règle de la double criminalité exigeait que l'infraction imputée ait son pendant dans le Code criminel du Canada. [TRADUCTION] "Il suffit", a‑t‑il affirmé, "de produire une preuve prima facie de faits constituant un crime canadien mentionné dans le traité". Ayant appliqué ce critère, il a conclu que les [TRADUCTION] "faits constituent une preuve prima facie suffisante de la perpétration du crime canadien de vol, soit aux termes de l'art. 283 ou du par. 290(1) du Code criminel. L'élément de fraude peut s'inférer de l'omission de rendre les biens dans un délai raisonnable". Il était donc possible de prouver la double criminalité en dépit de l'absence d'éléments de preuve établissant que l'infraction de vol au deuxième degré, prévue dans l'État de Washington, comportait un élément d'intention frauduleuse.

17. Le juge Cowan a en outre écarté l'argument de l'intimé selon lequel son incarcération porterait atteinte aux droits que lui confère l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. L'intimé n'a pas invoqué l'art. 7 en cette Cour.

Cour suprême de la Colombie‑Britannique

18. L'intimé a demandé un habeas corpus avec certiorari auxiliaire afin d'obtenir l'annulation du mandat d'incarcération lancé par le juge Cowan. Le juge Ruttan a rejeté la demande après avoir conclu que le juge Cowan avait formulé et appliqué correctement la règle de la double criminalité.

Cour d'appel de la Colombie‑Britannique

19. Le juge Taggart, au nom de la cour, a accueilli l'appel interjeté par Johnson. Il a conclu que les tribunaux d'instance inférieure avaient correctement formulé la règle de la double criminalité, mais qu'ils l'avaient appliquée incorrectement parce qu'on n'avait pas démontré que la conduite de Johnson aurait constitué l'infraction de vol si elle avait eu lieu au Canada. Rien au dossier ne prouvait l'existence de l'intention frauduleuse requise pour qu'il y ait déclaration de culpabilité de l'infraction énoncée au par. 283(1) ou au par. 290(1) du Code criminel. Le juge Taggart a dit:

[TRADUCTION] Or, malheureusement, le dossier est muet sur ce qui doit être prouvé dans l'État de Washington pour qu'il y ait déclaration de culpabilité de vol au deuxième degré. L'article 9A.56.040 ne fait certainement aucune mention d'un élément d'intention frauduleuse. Par ailleurs, la dénonciation que j'ai citée contient des allégations qui paraissent étrangères à cet article. J'en déduis, tout en soulignant que je ne puis le savoir avec certitude, qu'il existe d'autres dispositions législatives de l'État de Washington qui énoncent d'une façon plus détaillée ce qu'il faut prouver pour obtenir un verdict de culpabilité de vol au deuxième degré. Ces autres dispositions, s'il en est, n'ont pas été produites devant nous. Sans elles, je me vois dans l'impossibilité d'affirmer que l'appelant a été reconnu coupable d'un crime entraînant l'extradition ainsi que l'exige l'al. 18(1)a) de la Loi. À moins de pouvoir affirmer avec certitude qu'il a été déclaré coupable d'un crime entraînant l'extradition, ce que je ne peux faire, l'ordonnance sollicitée par les autorités de l'État de Washington ne devrait pas être rendue.

Plus loin, il nuance sa déclaration en ces termes:

[TRADUCTION] Mon collègue le juge Lambert m'a fait remarquer, à juste titre, que j'ai dit dans mes motifs de jugement qu'à moins de pouvoir affirmer avec certitude que l'appelant a été déclaré coupable dans l'État de Washington d'un crime entraînant l'extradition, l'ordonnance d'extradition sollicitée par les autorités du Washington ne devrait pas être rendue. Or, je crois que le terme "certitude" est bien trop fort. Il aurait mieux valu dire simplement que, pas plus que le juge d'extradition, nous ne disposons d'éléments de preuve pouvant justifier la conclusion que l'appelant a commis dans l'État de Washington un crime entraînant l'extradition.

La Cour d'appel a donc accueilli l'appel, a annulé le mandat d'incarcération et a ordonné que Johnson soit élargi. Son élargissement était assortie de [TRADUCTION] "la condition que l'appelant ne soit pas en ce moment nécessairement détenu pour répondre à d'autres accusations qui ont pu être portées contre lui".

III La question en litige

20. Le présent pourvoi soulève la question de savoir si la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a commis une erreur en concluant à l'absence d'éléments de preuve établissant que Johnson avait commis un crime entraînant l'extradition dans l'État de Washington. Pour y répondre, il nous faut examiner la nature des crimes entraînant l'extradition en général et la règle de la double criminalité en particulier.

a) Les crimes entraînant l'extradition

21. L'extradition des fugitifs condamnés entre le Canada et les États‑Unis est régie par la Loi sur l'extradition du Canada et le Traité d'extradition de 1976 entre le Canada et les États‑Unis d'Amérique. L'article 3 de la Loi sur l'extradition porte:

3. Dans le cas de tout État étranger avec lequel il existe une convention d'extradition, la présente Partie s'applique durant l'existence de cette convention; mais nulle disposition de la présente Partie incompatible avec quelqu'une des conditions de la convention n'a d'effet à l'encontre de la convention; et la présente Partie doit se lire et s'interpréter de façon à faciliter l'exécution de la convention.

Cet article entraîne donc l'incorporation du Traité dans le droit interne. Par conséquent, l'extradition doit se faire en conformité aussi bien avec la Loi qu'avec les dispositions du Traité: voir Gouvernement de la république d'Italie c. Piperno, [1982] 1 R.C.S. 320, à la p. 324.

22. L'incarcération en vue de l'extradition est autorisée par le par. 18(1) de la Loi sur l'extradition, dont voici le texte:

18. (1) Le juge doit lancer son mandat pour faire incarcérer le fugitif dans la prison convenable la plus rapprochée, afin qu'il y soit détenu jusqu'à ce qu'il ait été livré à l'État étranger ou élargi conformément à la loi,

a) dans le cas d'un fugitif que l'on prétend avoir été convaincu d'un crime entraînant l'extradition, lorsqu'il est produit une preuve qui, d'après la loi du Canada, sous réserve de la présente Partie, établirait qu'il a été convaincu de ce crime, et

b) dans le cas d'un fugitif accusé d'un crime entraînant l'extradition, lorsqu'il est produit une preuve qui, d'après la loi du Canada, sauf les dispositions de la présente Partie, justifierait son incarcération préventive, si le crime avait été commis au Canada.

Donc, l'exigence à remplir pour qu'il y ait incarcération en vertu de l'al. a) consiste simplement à prouver que le fugitif a été convaincu d'un crime entraînant l'extradition. L'expression "crime entraînant l'extradition" est définie à l'art. 2 de la Loi sur l'extradition et cette définition doit être rapprochée de l'article 2(1) du Traité d'extradition de 1976 entre le Canada et les États‑Unis d'Amérique. Ces deux dispositions se lisent ainsi:

2. ...

"crime entraînant l'extradition" peut signifier tout crime qui, s'il était commis au Canada, ou dans la juridiction du Canada, serait l'un des crimes énumérés à l'annexe I; et dans l'application de la présente loi à l'égard de toute convention d'extradition, un crime entraînant l'extradition signifie tout crime décrit dans cette convention, qu'il soit compris dans ladite annexe ou non;

Article 2

(1) Les individus seront livrés conformément aux dispositions du présent Traité pour l'une quelconque des infractions énumérées à l'Annexe jointe audit Traité, et qui en est partie intégrante, à condition que ces infractions soient punissables, en vertu des lois des deux parties contractantes, d'une peine d'emprisonnement de plus d'un an.

Parmi les crimes énumérés à l'annexe I de la Loi sur l'extradition figurent les suivants:

5. Larcin ou vol;

7. Obtention d'argent, de valeurs ou de marchandises sous de faux prétextes;

9. Fraude commise par un dépositaire, banquier, agent, facteur, fiduciaire, ou par un administrateur, membre ou fonctionnaire d'une compagnie, laquelle fraude est déclarée criminelle par quelque loi alors en vigueur; [Je souligne.]

Il semble en conséquence que l'infraction dont Johnson a été convaincu soit visée par l'annexe jointe au Traité puisqu'elle relève d'au moins une des catégories reproduites ci‑dessus. L'article 2(1) du Traité exige cependant que les infractions soient "punissables, en vertu des lois des deux parties contractantes". Il s'agit de la règle de la double criminalité dont la nature précise fait l'objet du présent pourvoi.

b) La règle de la double criminalité

23. La question fondamentale qui se pose pour déterminer la nature de la règle de la double criminalité est de savoir si cette règle exige que les éléments du crime entraînant l'extradition soient les mêmes dans l'État requérant et dans l'État requis ou s'il suffit que l'acte reproché constitue un crime énuméré dans la liste de l'un et l'autre pays. Les juges Cowan et Ruttan des deux premiers degrés de juridiction ont estimé que cette dernière exigence suffisait. La Cour d'appel, par contre, semble ne pas avoir partagé cet avis et avoir jugé que les éléments du crime doivent être identiques dans les deux États. Quel point de vue faut‑il retenir?

24. Les auteurs de doctrine semblent s'accorder pour affirmer que la règle de la double criminalité vise la conduite de l'individu dont on demande l'extradition. Gerald V. La Forest, dans son ouvrage intitulé Extradition To and From Canada (2nd ed. 1977), à la p. 42, définit ainsi un crime entraînant l'extradition:

[TRADUCTION] Un crime entraînant l'extradition peut être généralement défini comme un acte qu'une personne est accusée ou est déclarée coupable d'avoir commis dans le ressort d'un État donné, un acte qui constitue un crime dans cet État‑là et dans celui où la personne en question a été trouvée et qui est mentionné ou décrit dans un traité d'extradition signé par ces États, par un nom ou une description sous lesquels il est connu dans chacun des États en question. Cette définition peut se décomposer en plusieurs propositions:

(1) l'acte reproché doit avoir été commis dans le ressort de l'État requérant;

(2) il doit être un crime dans l'État requérant;

(3) il doit également être un crime dans l'État requis;

(4) il doit en outre être mentionné dans un traité d'extradition entre les deux États, par un nom ou une description sous lesquels il est connu dans chacun de ces États.

Selon mon interprétation, le mot "il" employé à chacun des paragraphes (2), (3) et (4) renvoie à l'expression "l'acte reproché" qui figure au paragraphe (1); c'est‑à‑dire qu'il faut examiner la conduite qui a donné lieu à la déclaration de culpabilité ou à l'accusation dans l'État étranger.

25. Ivan A. Shearer, dans son ouvrage Extradition in International Law, 1971, souligne lui aussi qu'il s'agit d'un critère fondé sur la conduite. À la page 137, il affirme:

[TRADUCTION] La règle de base observée tant par les traités énumératifs que par ceux qui "ne comportent pas de liste" est celle de la double criminalité. Suivant cette règle, un acte ne permet l'extradition que s'il constitue un crime selon la loi aussi bien de l'État requérant que de l'État requis.

26. Les tribunaux canadiens n'ont pas eu l'occasion d'examiner à fond la règle de la double criminalité. Il en a toutefois été question dans l'arrêt Cotroni c. Procureur général du Canada, [1976] 1 R.C.S. 219. Dans cette affaire, la question en litige était de savoir si le complot en vue d'importer un stupéfiant était un crime entraînant l'extradition au sens de la Loi sur l'extradition. Cette Cour a jugé que le complot en vue d'importer des stupéfiants relevait de la liste d'infractions établie dans la convention d'extradition intervenue entre le Canada et les États‑Unis, puis elle s'est penchée sur la question de la double criminalité. Elle a conclu que l'accusé aurait pu être inculpé en vertu d'une disposition du Code criminel canadien si sa conduite avait eu lieu au Canada. Le juge Spence, rendant la décision unanime de la Cour, a dit, à la p. 222:

Que ladite inculpation, si elle avait été prononcée au Canada, l'aurait été en vertu des dispositions du Code criminel ou de la Loi sur les stupéfiants ou, en fait, de toute autre loi, cela est, à mon avis, sans importance. Le critère réside en la nature du crime qui fait l'objet de l'accusation.

Il est évident que la Cour ne posait pas comme exigence qu'il y ait identité parfaite de l'infraction imputée dans l'État requérant et de l'infraction canadienne. Cet arrêt semble donc appuyer la proposition selon laquelle la règle de la double criminalité insiste sur la conduite criminelle de la personne dont on demande l'extradition.

27. Ce point de vue est renforcé lorsqu'on examine le but de la règle de la double criminalité. Dans l'ouvrage susmentionné, Ivan A. Shearer avance que la règle de la double criminalité tire son origine du principe de réciprocité. Il écrit aux pp. 137 et 138:

[TRADUCTION] La règle de la double criminalité n'a jamais été sérieusement contestée car elle repose en partie sur le principe fondamental de la réciprocité qui est à la base même de l'extradition, et en partie sur la maxime nulla poena sine lege. En effet, la règle de la double criminalité remplit une fonction des plus importantes en assurant qu'il ne sera pas porté atteinte à la liberté d'une personne pour des infractions qui ne sont pas considérées comme criminelles par l'État requis. Par ailleurs, la conscience sociale d'un État ne sera pas mise dans l'embarras par l'obligation d'extrader une personne qui, selon les normes de cet État, ne s'est pas rendue coupable d'actes méritant une sanction. En ce qui concerne le principe de réciprocité, la règle joue de manière à dispenser un État d'avoir à extrader des catégories de délinquants dont il n'aura jamais lui‑même l'occasion de demander l'extradition. C'est là un point qui est loin d'être uniquement théorique, même à une époque où les normes tendent vers l'uniformité; rien qu'en Europe occidentale on constate des variations marquées dans les règles de droit criminel applicables notamment en matière d'avortement, d'adultère, d'euthanasie, d'homosexualité et de suicide. [Je souligne.]

Donc, suivant ce raisonnement, si on pouvait établir que la conduite du fugitif constituait tant au Canada que dans l'État de Washington l'infraction de vol visée à l'annexe du Traité, on satisferait à l'exigence de double criminalité.

28. Je suis donc d'accord avec l'argument de l'appelant selon lequel la règle de la double criminalité est fondée sur la conduite.

IV L'application de la règle

29. Monsieur Johnson a été déclaré coupable dans l'État de Washington de vol au deuxième degré. Cette infraction est ainsi définie:

[TRADUCTION] 9A.56.040. Vol au deuxième degré

(1) Se rend coupable de vol au deuxième degré quiconque commet le vol:

a) de biens ou de services d'une valeur supérieure à deux cent cinquante dollars, mais inférieure à mille cinq cents dollars; ou

...

(2) le vol au deuxième degré constitue une infraction de catégorie C.

Il faut noter que la loi du Washington n'exige apparemment pas qu'il y ait une intention frauduleuse. Par contre, les articles du Code criminel qui définissent le crime de vol au Canada posent explicitement cette exigence. Les articles pertinents sont ainsi conçus:

283. (1) Commet un vol, quiconque prend frauduleusement et sans apparence de droit, ou détourne à son propre usage ou à l'usage d'une autre personne, frauduleusement et sans apparence de droit, une chose quelconque, animée ou inanimée, avec l'intention

a) de priver, temporairement ou absolument, son propriétaire, ou une personne y ayant un droit de propriété spécial ou un intérêt spécial, de cette chose ou de son droit ou intérêt dans cette chose,

b) de la mettre en gage ou de la déposer en garantie,

c) de s'en dessaisir à une condition, pour son retour, que celui qui s'en dessaisit peut être incapable de remplir, ou

d) d'agir à son égard de telle manière qu'il soit impossible de la remettre dans l'état où elle était au moment où elle a été prise ou détournée.

290. (1) Commet un vol quiconque, ayant reçu d'une personne une chose à des conditions qui l'astreignent à en rendre compte ou à la payer, ou à rendre compte ou faire le versement de la totalité ou d'une partie du produit à cette personne ou à une autre, frauduleusement omet d'en rendre compte ou de la payer, ou de rendre compte ou de faire le versement de la totalité ou partie du produit en conformité de ces conditions.

294. Sauf disposition contraire des lois, quiconque commet un vol

...

b) est coupable

(i) d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement de deux ans, ou

(ii) d'une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité,

si la valeur de ce qui est volé ne dépasse pas deux cents dollars.

Par conséquent, si l'on s'en tient au texte des dispositions pertinentes, et en l'absence de plus amples renseignements sur le droit du Washington concernant le vol au deuxième degré, on ne saurait prétendre que la conduite de Johnson aurait entraîné une déclaration de culpabilité de vol si elle avait eu lieu au Canada.

a) Les arguments de l'appelant

30. En cette Cour, l'avocat de l'appelant a fait valoir que ni la Loi sur l'extradition ni le Traité d'extradition de 1976 entre le Canada et les États‑Unis d'Amérique n'exige qu'on fasse la preuve des éléments constituant le crime dans l'État requérant ni qu'on établisse une correspondance entre ces éléments et les éléments du crime prévu par les lois du Canada. C'est donc à tort que la Cour d'appel a estimé qu'ils l'imposaient. Tout ce qu'il faut démontrer, a soutenu l'appelant, est que l'infraction dont le fugitif a été reconnu coupable, c.‑à‑d. le vol, est mentionnée dans le Traité et que le "vol" est une infraction visée par le Code criminel. La règle de la double criminalité, a‑t‑il plaidé, exige simplement qu'il s'agisse d'une conduite criminelle dans l'un et l'autre État, mais non que les éléments des infractions soient les mêmes. En d'autres termes, il n'est pas nécessaire que le "vol au deuxième degré" dans l'État de Washington équivaille au "vol" aux termes du Code criminel du Canada.

31. L'avocat de l'appelant a invoqué l'arrêt rendu par la Chambre des lords dans l'affaire In re Nielsen, [1984] 1 A.C. 606, pour appuyer la proposition selon laquelle dans le cadre d'une audience d'extradition il n'est pas nécessaire de prouver la règle de droit applicable dans l'État requérant, mais simplement de décrire la conduite qui a mené à la déclaration de culpabilité dans ledit État. L'unique question à trancher est celle de savoir si cette conduite constituerait également un crime au Canada. L'avocat a fait remarquer que le juge d'extradition en l'espèce, après avoir examiné la conduite du fugitif, a conclu: [TRADUCTION] "À mon avis, ces faits constituent une preuve prima facie suffisante de la perpétration du crime canadien de vol, soit aux termes de l'art. 283 ou du par. 290(1) du Code criminel. L'élément de fraude peut s'inférer de l'omission de rendre les biens dans un délai raisonnable".

b) Les arguments de l'intimé

32. L'avocat de l'intimé a attiré notre attention sur la différence entre l'al. 18(1)a) et l'al. 18(1)b) de la Loi sur l'extradition. L'alinéa 18(1)a), a‑t‑il souligné, traite du cas où le fugitif a été convaincu d'un crime dans l'État étranger tandis que l'al. 18(1)b) vise la situation où le fugitif a été accusé dans l'État étranger. L'avocat fait valoir que, quand il y a eu une déclaration de culpabilité, comme c'est le cas en l'espèce, la seule question qui se pose est de savoir si l'infraction dont le fugitif a été reconnu coupable est un crime entraînant l'extradition. Toutefois, si le fugitif a simplement été accusé dans l'État étranger, les exigences sont différentes. Non seulement il doit avoir été accusé d'un crime entraînant l'extradition, mais il doit produire une preuve "qui, d'après la loi du Canada . . . justifierait son incarcération préventive, si le crime avait été commis au Canada". Selon l'avocat, c'est sous le régime de l'al. 18(1)b) qu'il est question d'une preuve prima facie suffisante justifiant l'incarcération. Dans le cas de l'al. 18(1)a), qui est la disposition applicable en l'espèce, cette question ne se pose pas. Avec égards, je suis d'accord avec cet argument.

33. L'avocat a soutenu en outre qu'il y a deux façons dont l'appelant pourrait aux fins de l'al. 18(1)a) établir que le crime dont le fugitif a été convaincu était un crime entraînant l'extradition. Soit qu'il prouve la loi étrangère en vertu de laquelle le fugitif a été déclaré coupable, auquel cas il faudrait procéder de la manière prévue pour faire la preuve d'une loi étrangère devant un tribunal canadien, ce qu'on n'a pas fait en l'espèce. Soit qu'il produise la description de la conduite dont le fugitif a été déclaré coupable et, à ce moment‑là, il serait possible de déterminer si cette même conduite, dans l'hypothèse où elle aurait lieu au Canada, constituerait une infraction à la loi canadienne. C'est ainsi qu'on a procédé. Toutefois, la description de la conduite dont l'intimé a été déclaré coupable, a plaidé son avocat, ne correspond à une infraction ni au par. 283(1) ni au par. 290(1) du Code criminel. En effet, un élément nécessaire d'une déclaration de culpabilité en vertu de l'un ou l'autre paragraphe est l'intention frauduleuse et rien dans la description de la conduite dont le fugitif a été reconnu coupable dans l'État de Washington ne révèle la présence d'une telle intention. Par conséquent, fait‑il valoir, l'avocat de l'appelant n'est pas parvenu à démontrer que l'infraction dont le fugitif a été convaincu était un "crime entraînant l'extradition" au sens de la Loi sur l'extradition et du Traité d'extradition de 1976 entre le Canada et les États‑Unis d'Amérique.

34. Je suis d'accord avec l'intimé qu'il existe deux moyens d'établir la double criminalité aux fins de l'al. 18(1)a). En premier lieu, on pourrait prouver que la loi du Washington exige une intention frauduleuse pour qu'il y ait déclaration de culpabilité de l'infraction imputée. On pourrait le faire en démontrant que le texte de l'infraction requiert l'intention frauduleuse ou encore en citant des témoins experts pour témoigner que, bien que la loi du Washington ne requière pas expressément une intention frauduleuse, cette intention doit néanmoins être présente selon le droit applicable au Washington. Si on établissait l'un ou l'autre de ces faits, la preuve d'une déclaration de culpabilité en vertu de la loi du Washington prouverait que la conduite du fugitif aurait constitué un vol en droit canadien. En l'espèce, cependant, il ne ressort pas du texte de la loi étrangère produit par l'État requérant en conformité avec l'article 9(2) du Traité que la loi de l'État de Washington requiert une intention frauduleuse. Par ailleurs, aucun expert n'a été cité pour déposer relativement à cette question.

35. La seconde méthode pour démontrer que l'exigence de la double criminalité a été remplie consiste à établir que les faits particuliers sur lesquels repose l'accusation portée dans l'État de Washington, s'ils avaient eu lieu au Canada, auraient constitué une infraction soit au par. 283(1) soit au par. 290(1) du Code criminel. On ne l'a pas fait non plus. Les événements donnant lieu à l'accusation portée dans l'État de Washington se trouvent exposés dans les affidavits déposés devant le juge d'extradition. Celui‑ci n'a toutefois pas jugé que ces faits témoignaient d'une intention frauduleuse. Il a conclu plutôt que [TRADUCTION] "l'élément de fraude peut s'inférer de l'omission de rendre les biens dans un délai raisonnable". Avec égards, je rejette cette conclusion. L'omission de rendre des biens dans un délai raisonnable peut s'expliquer de plusieurs manières et non pas uniquement par la fraude. En effet, la non‑restitution pourrait être attribuée à un oubli, à une erreur ou à une impossibilité. Dans une poursuite criminelle l'élément de fraude ne saurait être déduit du seul fait de la non‑restitution: voir, par exemple, l'arrêt R. v. DeMarco (1973), 13 C.C.C. (2d) 369 (C.A. Ont.)

36. Je conclus en conséquence que l'appelant n'a pas réussi à prouver que l'intimé a été convaincu dans l'État de Washington d'un crime entraînant l'extradition. Il s'ensuit que l'art. 18 de la Loi sur l'extradition n'autorise pas son incarcération en vue d'une extradition.

37. Par conséquent, le pourvoi est rejeté. Aucuns dépens n'avaient été demandés et je suis de toute façon d'avis de ne pas en accorder.

Pourvoi rejeté, les juges Beetz, McIntyre et Le Dain sont dissidents.

Procureur des appelants: Frank Iacobucci, Ottawa.

Procureur de l'intimé: Gil McKinnon, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : [1988] 1 R.C.S. 327 ?
Date de la décision : 25/02/1988
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Extradition - Règle de la double criminalité - Fugitif déclaré coupable dans l'État de Washington - Crime dans l'État de Washington ne comportant pas l'élément de fraude existant dans le crime canadien correspondant - La règle de la double criminalité exige‑t‑elle que les éléments du crime entraînant l'extradition soient les mêmes dans l'État requérant et dans l'État requis ou exige‑t‑elle simplement que l'acte reproché soit un crime mentionné dans la loi des deux pays? - Le juge d'extradition peut‑il conclure à la fraude à partir de la non‑restitution des biens? - Loi sur l'extradition, S.R.C. 1970, chap. E‑21, art. 2, 3, 10(1), 18(1)a), b), annexe I - Traité d'extradition de 1976 entre le Canada et les États‑Unis d'Amérique, art. 2(1), 9(1), (2) - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 283(1), 290(1) - Revised Code of Washington, Title 9A, RCW 9A.56.020(1)a), 9A.56.040.

L'intimé a offert de vendre un orgue pour le compte d'un couple de l'État de Washington et en a reçu possession à cette fin pour trente jours. L'orgue devait être rendu à l'expiration du délai s'il n'avait pas été vendu. L'orgue n'a pas été rendu et les propriétaires n'ont réussi à retrouver ni l'intimé ni l'orgue. L'intimé a été arrêté à Seattle (Washington), a plaidé coupable de l'infraction de vol au deuxième degré et a été condamné à la peine maximale de cinq ans d'emprisonnement. Il s'est évadé quelques mois plus tard et s'est rendu au Canada.

Les autorités de l'État de Washington ont entamé des procédures en vue d'obtenir l'extradition de l'intimé en conformité avec le Traité d'extradition de 1976 entre le Canada et les États‑Unis d'Amérique. L'intimé a été incarcéré en vue de son extradition. La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a rejeté sa demande d'habeas corpus avec certiorari auxiliaire visant l'annulation du mandat d'incarcération, mais la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a accueilli son appel.

La question principale en l'espèce est de savoir si la règle de la double criminalité exige que les éléments du crime entraînant l'extradition soient les mêmes dans l'État requérant et dans l'État requis ou si elle exige simplement que l'acte reproché soit un crime mentionné dans la loi des deux pays.

Arrêt (les juges Beetz, McIntyre et Le Dain sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.

Les juges Estey, Lamer, Wilson et L'Heureux‑Dubé: La règle de la double criminalité est fondée sur la conduite. Si on peut établir que la conduite du fugitif constituait l'infraction de vol mentionnée dans la loi du Canada et du Washington, on satisfait à l'exigence de la double criminalité.

L'intimé a été convaincu dans le Washington de vol au deuxième degré. Ce crime ne requiert apparemment pas qu'il y ait une intention frauduleuse, alors qu'au Canada la définition de vol dans le Code criminel pose expressément cette exigence. Par conséquent, vu le texte des dispositions pertinentes et en l'absence de plus amples renseignements sur la règle de droit du Washington en matière de vol au deuxième degré, la conduite de l'intimé ne constituerait pas l'infraction de vol si elle avait eu lieu au Canada.

Il existe deux moyens d'établir la double criminalité. En premier lieu, on peut prouver, en citant des témoins experts, que, bien que la loi du Washington ne requière pas expressément une intention frauduleuse, cette intention doit néanmoins être présente selon le droit du Washington. Si cela pouvait être établi, la preuve d'une déclaration de culpabilité en vertu de la loi du Washington serait une preuve que la conduite du fugitif aurait constitué un vol en droit canadien. On n'a pas présenté de preuve par expert en l'espèce. En second lieu, on peut établir que les faits particuliers sur lesquels repose l'accusation portée dans l'État de Washington, s'ils avaient eu lieu au Canada, constitueraient une infraction soit au par. 283(1), soit au par. 290(1) du Code criminel. On n'a pas fait cela non plus.

Le juge d'extradition n'a pas conclu que les faits témoignaient d'une intention frauduleuse, mais il a déduit cette intention de la non‑restitution des biens. On ne saurait en venir à une telle déduction parce que la non‑restitution des biens dans un délai raisonnable peut s'expliquer de plusieurs manières et non pas uniquement par la fraude. L'appelant n'a donc pas réussi à prouver que l'intimé a été convaincu d'un crime entraînant l'extradition dans le Washington. L'alinéa 18(1)a) de la Loi sur l'extradition n'autorisait donc pas son incarcération en vue de l'extradition.

Les juges Beetz, McIntyre et Le Dain (dissidents): Le critère permettant de déterminer si un crime au Canada est essentiellement le même dans le cas d'un condamné fugitif et d'un accusé fugitif: il faut déterminer si la conduite ayant entraîné la déclaration de culpabilité, telle qu'elle est décrite dans les documents produits devant le juge d'extradition, peut justifier une déclaration de culpabilité du même crime au Canada. Selon le critère applicable, la conduite ayant entraîné la déclaration de culpabilité dans l'État de Washington constitue le crime de vol au Canada car la preuve de cette conduite soumise au juge d'extradition permet de déduire qu'il y a eu une intention frauduleuse.

Le non‑respect des exigences de l'article 9(2) du Traité d'extradition de 1976 entre le Canada et les États‑Unis d'Amérique ne rend pas l'incarcération invalide parce que cela ne touche pas à la compétence du juge d'extradition.


Parties
Demandeurs : Washington (État de)
Défendeurs : Johnson

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Wilson
Arrêt examiné: Cotroni c. Procureur général du Canada, [1976] 1 R.C.S. 219
arrêts mentionnés: Gouvernement de la république d'Italie c. Piperno, [1982] 1 R.C.S. 320
In re Nielsen, [1984] 1 A.C. 606
R. v. DeMarco (1973), 13 C.C.C. (2d) 369.
Citée par le juge Le Dain (dissident)
R. v. DeMarco (1973), 13 C.C.C. (2d) 369
Re Von Einem and Federal Republic of Germany (1984), 14 C.C.C. (3d) 440.
Lois et règlements cités
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 283(1), 290(1), 294.
Loi sur l'extradition, S.R.C. 1970, chap. E‑21, art. 2, 3, 10(1), 18(1)a), b), annexe 1.
Revised Code of Washington, Title 9A, RCW 9A.56.020(1)a), 9A.56.040.
Traité d'extradition entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États‑Unis d'Amérique, Canada, Recueil des traités, 1976, no 3, art. 2(1), 9(1), (2).
Doctrine citée
La Forest, Gerald Vincent. Extradition To and From Canada, 2nd ed. With the assistance of Sharon A. Williams. Toronto: Canada Law Book, 1977.
Shearer, Ivan Anthony. Extradition in International Law. Manchester: University Press, 1971.

Proposition de citation de la décision: Washington (État de) c. Johnson, [1988] 1 R.C.S. 327 (25 février 1988)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1988-02-25;.1988..1.r.c.s..327 ?
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