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24/04/1986 | CANADA | N°[1986]_1_R.C.S._401

Canada | Gendron c. Municipalité de la Baie-James, [1986] 1 R.C.S. 401 (24 avril 1986)


Gendron c. Municipalité de la Baie-James, [1986] 1 R.C.S. 401

Réjean Gendron Appelant;

et

Municipalité de la Baie‑James Intimée;

et

Monsieur le juge Claude St‑Arnaud, en sa qualité de juge du Tribunal du travail Mis en cause;

et

Tribunal du travail et le Syndicat des gardiens de sécurité de la municipalité de la Baie‑James Mis en cause.

No du greffe: 18971.

1985: 11, 12 décembre; 1986: 24 avril.

Présents: Les juges Beetz, Chouinard, Lamer, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel du québec>
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1984] C.A. 321 (sub nom. Municipalité de la Baie James c. St‑Arnaud), qui a ...

Gendron c. Municipalité de la Baie-James, [1986] 1 R.C.S. 401

Réjean Gendron Appelant;

et

Municipalité de la Baie‑James Intimée;

et

Monsieur le juge Claude St‑Arnaud, en sa qualité de juge du Tribunal du travail Mis en cause;

et

Tribunal du travail et le Syndicat des gardiens de sécurité de la municipalité de la Baie‑James Mis en cause.

No du greffe: 18971.

1985: 11, 12 décembre; 1986: 24 avril.

Présents: Les juges Beetz, Chouinard, Lamer, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1984] C.A. 321 (sub nom. Municipalité de la Baie James c. St‑Arnaud), qui a infirmé un jugement de la Cour supérieure, [1981] C.S. 394, qui avait refusé la délivrance d'un bref d'évocation. Pourvoi rejeté.

Ghislain Laroche, pour l'appelant.

Roy L. Heenan, pour l'intimée.

Benoit Belleau et André Rochon, pour le mis en cause le Tribunal du travail.

Le jugement de la Cour a été rendu par

1. Le Juge Chouinard—Est en cause dans ce pourvoi l'étendue du pouvoir de redressement que possède le Tribunal du travail du Québec dans le cas d'une plainte d'un salarié qui invoque un manquement par le syndicat à son devoir de représentation.

2. C'est en 1977 que le législateur québécois a imposé à toute association accréditée le devoir de traiter également tous les salariés compris dans l'unité de négociation qu'elle représente. Jusqu'alors ce devoir n'était reconnu que par la jurisprudence. Voir Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509.

3. L'article 47.2 du Code du travail, L.R.Q., chap. C‑27, est entré en vigueur le 1er février 1978, (1978) 110 G.O. II 491. Cet article dispose:

47.2. Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l'endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu'elle représente, peu importe qu'ils soient ses membres ou non.

4. À la même occasion était introduit un recours particulier défini aux art. 47.3 à 47.6:

47.3. Si un salarié qui a subi un renvoi ou une sanction disciplinaire croit que l'association accréditée viole à cette occasion l'article 47.2, il doit, s'il veut se prévaloir de cet article, porter plainte par écrit au ministre dans les six mois. Le ministre nomme un enquêteur qui tente de régler la plainte à la satisfaction de l'intéressé et de l'association accréditée.

47.4. Si aucun règlement n'intervient dans les quinze jours de la nomination de l'enquêteur ou si l'association ne donne pas suite à l'entente, le salarié doit, s'il veut se prévaloir de l'article 47.2, faire une requête au tribunal dans les quinze jours suivants et demander à ce dernier d'ordonner que sa réclamation soit déférée à l'arbitrage.

47.5. Si le tribunal estime que l'association a violé l'article 47.2, il peut autoriser le salarié à soumettre sa réclamation à un arbitre nommé par le ministre pour décision selon la convention collective comme s'il s'agissait d'un grief. Les articles 100 à 101.10 s'appliquent, mutatis mutandis. L'association paie les frais encourus par le salarié.

Le tribunal peut, en outre, rendre toute autre ordonnance qu'il juge nécessaire dans les circonstances.

47.6. Si une réclamation est déférée à un arbitre en vertu de l'article 47.5, l'employeur ne peut opposer l'inobservation par l'association de la procédure et des délais prévus à la convention collective pour le règlement des griefs.

5. L'appelant entra au service de l'intimée le 14 juin 1978, à titre d'agent de sécurité.

6. En raison d'un conflit de travail l'intimée imposa un lock‑out à compter de 00 h 01 le 29 juillet 1978.

7. Le conflit prit fin et les activités reprirent le 23 décembre 1978.

8. L'appelant fut congédié le 5 janvier 1979.

9. À la demande de l'appelant l'association déposa un grief de renvoi qu'elle mena jusqu'à l'arbitrage.

10. L'arbitrage eut lieu le 26 juin 1979 hors la présence de l'appelant que le représentant syndical n'avait pas avisé.

11. Devant l'arbitre l'intimée objecta que l'appelant n'avait travaillé que 59 jours, qu'il n'avait donc pas complété la période de probation de 60 jours et qu'en conséquence son grief n'était pas recevable.

12. L'intimée et le représentant syndical firent une admission de faits que l'arbitre consigna de la façon suivante:

Il est admis par les parties que:

—La première date d'entrée de M. Réjean Gendron se situe au 14 juin 1978;

—Date de cessation du service continu quant au calcul seulement 28/07/78;

—Reprise du travail et des opérations: 23/12/78;

—Date de remerciement de ses services, cas Réjean Gendron: 05/01/79;

13. Il découla de cette admission qu'en effet l'appelant n'avait travaillé que 59 jours.

14. Le représentant syndical rétorqua que les jours de lock‑out devaient être ajoutés aux jours de service continu pour les fins du calcul de l'ancienneté et que par conséquent l'appelant avait complété sa période de probation.

15. L'arbitre ne retint pas cette prétention et, au motif que l'appelant n'avait pas complété la période de probation requise et qu'il n'avait pas droit à la procédure de grief, il maintint l'objection de l'intimée et rejeta le grief.

16. Mécontent du comportement de l'association, l'appelant porta plainte au ministre du Travail conformément à l'art. 47.3. Il soumit que l'association avait fait preuve de négligence grave au sens de l'art. 47.2.

17. Un enquêteur fut désigné mais aucun règlement n'étant intervenu dans le délai prescrit, l'appelant fit une requête au Tribunal du travail conformément à l'art. 47.4. Il demanda au Tribunal de l'autoriser à soumettre sa réclamation à un arbitre nommé par le Ministre.

18. Dans sa requête au Tribunal du travail l'appelant reprocha notamment à l'association ce qui suit:

a) Elle n'a aucunement avisé le requérant de la date à laquelle le grief devait être entendu par l'arbitre de sorte que ledit requérant n'était pas présent lors de l'audition à laquelle il eut été en mesure de rectifier certains faits;

b) Les admissions faites lors de la présentation du grief l'ont été à l'insu et sans l'autorisation du requérant;

c) Du mois de janvier 1979, époque à laquelle les services de [l'association] furent requis pour les fins de la procédure de grief jusqu'au 2 août 1979, date à laquelle la décision de l'arbitre fut communiquée au requérant, celui‑ci fut dans l'ignorance presque totale de ce qui se passait au sujet de son grief et ce, en dépit de ses nombreuses et fréquentes démarches auprès des représentants de l'association;

d) Incidemment, le requérant apprit le ou vers le 2 août 1979 que son grief avait été présenté à l'arbitre le 26 juin précédent;

e) L'[association] a été d'une incurie et d'une insouciance inconcevable, en l'espèce, en admettant des faits sur la foi d'informations non vérifiées auprès du principal intéressé;

19. L'appelant allégua que même si le lock‑out avait officiellement débuté le 29 juillet 1978, il avait effectivement travaillé ce jour‑là et qu'il avait donc complété la période de probation de 60 jours.

20. Le Tribunal du travail conclut que le comportement du représentant de l'association équivalait à de la négligence grave au sens de l'art. 47.2 et il autorisa l'appelant à soumettre sa réclamation à l'arbitrage.

21. L'intimée s'adressa alors à la Cour supérieure, par requête en évocation et demanda l'annulation de la décision du Tribunal du travail essentiellement parce que celui‑ci avait excédé la compétence que lui attribue l'art. 47.5 en déférant à l'arbitrage une réclamation déjà arbitrée.

22. Il convient d'observer dès à présent que dans sa requête en évocation l'intimée reconnaît maintenant que l'appelant a travaillé le 29 juillet, mais elle allègue qu'il n'a repris le travail que le 25 décembre et non pas le 23. Il n'aurait donc travaillé en tout que 58 jours au lieu de 59. Par conséquent, dit‑elle, l'admission du représentant syndical a été favorable plutôt que préjudiciable à l'appelant. Et, d'ajouter le procureur de l'intimée, à ce stade les faits allégués à la requête en évocation doivent être tenus pour avérés.

23. Je ne vois pas en quoi cette circonstance peut affecter la question de savoir si le Tribunal du travail a excédé sa compétence en se prononçant sur les faits dont il était saisi et dont était saisi l'arbitre, faits admis de surcroît. Si l'intimée a des faits nouveaux sur lesquels elle désire s'appuyer, à mon avis la requête en évocation n'est pas le moyen approprié.

24. La Cour supérieure, [1981] C.S. 394, fut d'avis que le Tribunal du travail n'avait pas excédé sa compétence et rejeta la requête.

25. Par un arrêt majoritaire la Cour d'appel, [1984] C.A. 321, infirma ce jugement et autorisa l'émission d'un bref d'évocation.

26. Il s'agit en l'espèce d'un cas visé à l'art. 47.3, soit un renvoi, et l'appelant a, conformément à cet article, choisi de se prévaloir de l'art. 47.2. Il a porté plainte au Ministre dans les six mois. Un enquêteur a été nommé qui n'a pas réussi à régler la plainte dans les quinze jours. C'est pouquoi l'appelant a fait une requête au Tribunal du travail.

27. Il s'agit donc de déterminer si l'appelant, dont le grief a déjà été rejeté par un tribunal d'arbitrage, peut demander et obtenir du Tribunal du travail, conformément à l'art. 47.5, l'autorisation de «soumettre sa réclamation à un arbitre nommé par le ministre pour décision selon la convention collective comme s'il s'agissait d'un grief».

28. Dans l'affirmative, le Tribunal du travail n'a pas excédé sa compétence. Il ne peut cependant pas errer sous ce rapport car il y va de sa compétence même. S'il fait erreur, il s'arroge un pouvoir qu'il n'a pas. C'est le principe dégagé par cette Cour dans Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du travail, [1984] 2 R.C.S. 412. On peut lire à la p. 440:

Les dispositions que le Conseil devait interpréter en l'espèce sont attributives de compétence puisqu'elles portent sur les ordonnances que le Conseil est habilité à joindre à une déclaration de grève illégale. Il s'agit en effet de décider si le Conseil a le pouvoir de joindre à une telle déclaration une ordonnance de renvoi à l'arbitrage. Il me paraît donc non pas douteux mais manifeste que l'interprétation de ces dispositions soulève une question de compétence à propos de laquelle le Conseil ne peut errer sans commettre d'excès de compétence.

29. À mon avis le Tribunal du travail n'a pas le pouvoir de déférer une affaire à l'arbitrage en pareille circonstance quand un arbitrage a déjà eu lieu et qu'il a été disposé du grief.

30. Il est patent que l'art. 47.5 s'applique lorsqu'il n'y a pas eu d'arbitrage parce que l'association a refusé de pousser le grief jusqu'à cette étape.

31. Il s'agit d'un pouvoir analogue à celui que cette Cour a reconnu au Conseil canadien des relations du travail dans Syndicat des camionneurs, section locale 938 c. Massicotte, [1982] 1 R.C.S. 710.

32. Dans cette affaire le Conseil canadien des relations du travail, face au refus de l'association de procéder à l'arbitrage, conclut que cette dernière avait manqué au devoir de représentation énoncé dans les termes suivants à l'art. 136.1 du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L‑1, tel que modifié par 1977‑78 (Can.), chap. 27, art. 49:

136.1 Lorsqu'un syndicat est accrédité à titre d'agent négociateur d'une unité de négociation, il doit, de même que ses représentants, représenter tous les employés de l'unité de négociation de façon juste et sans discrimination.

33. Le Conseil canadien des relations du travail émit alors une ordonnance autorisant le salarié à procéder lui‑même à l'arbitrage de son grief, aux frais de l'association, et à cette fin lui permit de nommer lui‑même un arbitre. Cette ordonnance fut prise en vertu de l'art. 189 du Code canadien du travail, précité; 1972 (Can.), chap. 18, art. 1; 1977‑78 (Can.), chap. 27, art. 68, qui ne prévoit pas ce redressement de façon expresse.

34. Cette Cour a décidé que le Conseil canadien des relations du travail n'avait pas excédé sa compétence en émettant cette ordonnance.

35. Lorsqu'il n'y a pas eu d'arbitrage l'art. 47.5 s'explique aisément et les art. 47.2 à 47.6 sont conciliables les uns avec les autres de même qu'avec les autres dispositions du Code.

36. Ce pouvoir s'inscrit dans l'économie générale du Code qui veut que tout grief soit soumis à l'arbitrage (art. 100). Il favorise l'accès à l'arbitrage.

37. Selon l'art. 47.3 le salarié qui prétend que l'association qui le représente a violé l'art. 47.2 porte plainte au Ministre qui nomme un enquêteur. Celui‑ci tente de régler la plainte, présumément en tentant de convaincre l'association de procéder ou de convaincre le salarié de laisser tomber.

38. Si l'enquêteur ne réussit pas, le salarié fait une requête au Tribunal du travail et lui demande «d'ordonner que sa réclamation soit déférée à l'arbitrage» (art. 47.4).

39. Le Tribunal du travail (art. 47.5) peut autoriser le salarié «à soumettre sa réclamation à un arbitre nommé par le ministre pour décision selon la convention collective comme s'il s'agissait d'un grief». Les articles 100 à 101.10 s'appliquent, mutatis mutandis, et l'association paye les frais encourus par le salarié.

40. Le choix même des termes s'explique. On parle par exemple de réclamation plutôt que de grief. En règle générale la décision de porter un grief à l'arbitrage est réservé à l'association seule. Lorsque, comme en l'espèce, le salarié est autorisé à procéder, il ne s'agit plus à proprement parler d'un grief et c'est pourquoi on l'appelle réclamation.

41. L'arbitre sera nommé par le Ministre puisque l'association n'a pas agi conformément à la convention ou à l'art. 100.

42. La réclamation sera décidée selon la convention collective comme s'il s'agissait d'un grief. Ces mots sont nécessaires parce qu'on n'a pas suivi la convention et qu'il ne s'agit plus, à proprement parler, d'un grief.

43. L'article 47.6 prévoit que l'employeur ne peut opposer l'inobservation par l'association de la procédure et des délais prévus à la convention collective pour le règlement des griefs. Cet article s'impose puisque compte tenu du délai de six mois de l'art. 47.3, des deux délais de quinze jours de l'art. 47.4, et du temps qu'il faudra au Tribunal du travail pour disposer de l'affaire, le salarié se trouverait hors les délais prévus à la convention collective pour agir.

44. Enfin ces dispositions sont en parfaite harmonie avec l'art. 101 qui stipule que la sentence arbitrale est sans appel et qu'elle lie les parties.

45. Il en va tout autrement s'il y a déjà eu un arbitrage.

46. On peut alors se demander ce que l'enquêteur nommé en vertu de l'art. 47.3 pourra bien tenter de régler entre l'association et le salarié. Il ne peut être question que l'enquêteur tente de convaincre l'association de pousser le grief à l'arbitrage puisque cela a déjà été fait. Je ne connais du reste aucune disposition qui permettrait à l'association d'obliger l'employeur à procéder à un second arbitrage au cas où l'association et le salarié se seraient entendus grâce à l'intervention de l'enquêteur. Or s'il n'y a pas d'entente le redressement prévu est précisément un arbitrage. Une entente devrait conduire au même résultat qu'aucune disposition pourtant ne prévoit.

47. L'article 47.3 n'a pas sa raison d'être après qu'il y a eu un arbitrage. À moins que l'on tienne que le recours du salarié aille jusqu'à permettre au Tribunal du travail d'ordonner un nouvel arbitrage dans le cas où l'association refuse de demander l'émission d'un bref d'évocation à l'encontre de la sentence arbitrale. C'est ce qui fut décidé dans Asselin c. Travailleurs amalgamés du vêtement et du textile, local 1838, [1985] T.T. 74. Si l'on suit ce raisonnement, à supposer qu'une demande d'évocation soit faite et soit refusée par la Cour supérieure, on pourrait recourir à l'art. 47.5 si l'association refuse de porter le jugement de la Cour supérieure en appel. À supposer encore que le jugement de la Cour supérieure ait été porté en appel et que l'appel ait été rejeté on pourrait encore recourir à l'art. 47.5 si l'association refuse de s'adresser à cette Cour pour demander l'autorisation de se pourvoir. Ce serait donner aux dispositions à l'étude une extension par trop générale que le texte ne justifie nullement.

48. De même l'art. 47.4 me paraît difficile à expliquer dans l'hypothèse où un arbitrage a déjà eu lieu. Dans la mesure où cet article réfère d'une part au défaut de l'enquêteur de régler la plainte et d'autre part, au défaut de l'association de donner suite à l'entente conclue grâce à l'intervention de l'enquêteur, les mêmes remarques que celles faites à propos de l'art. 47.3 s'appliquent quant à l'objet des démarches de l'enquêteur. Par ailleurs le but de la requête qui constitue l'étape suivante, est de demander que la réclamation soit déférée à l'arbitrage. Or, l'article n'apporte pas de plus amples précisions, ni ne distingue entre l'arbitrage que le salarié demande dans sa requête et celui qui a déjà été complété.

49. Rien d'ailleurs dans ces articles ne précise ce qu'il adviendrait de la sentence arbitrale déjà rendue. Pour que l'interprétation qu'on veut donner à l'art. 47.5 ait un sens il faudrait de toute évidence que la seconde sentence l'emporte sur la première et que celle‑ci soit annulée. C'est là à mon avis l'équivalent d'un jugement en appel et je ne puis voir comment les art. 47.2 à 47.6 pourraient être interprétés comme créant un droit d'appel.

50. L'appelant et le Tribunal du travail soumettent par ailleurs que le recours des art. 47.2 à 47.6 est un recours distinct et parallèle donné au salarié lui‑même. Ce serait un recours individuel et non plus le recours habituel à l'arbitrage généralement réservé à la seule association. Cet argument soulève une difficulté majeure. Comment en effet concilier les textes du Code.

51. L'article 101 du Code du travail porte que «La sentence arbitrale est sans appel et lie les parties.» À cette objection l'appelant et le Tribunal du travail répondent que l'art. 47.5 fait exception à l'art. 101: le salarié qui était lié par la sentence arbitrale ne l'est plus.

52. L'appelant et le Tribunal du travail s'appuient sur l'arrêt de la Cour suprême des États‑Unis Hines v. Anchor Motor Freight, 424 U.S. 554 (1976). On peut lire à la p. 567:

[TRADUCTION] L'inexécution par le syndicat de son obligation dispense l'employé de la condition expresse ou implicite de régler les différends par la procédure d'arbitrage des griefs en vertu de la convention; si cela mine gravement l'intégrité du processus d'arbitrage, l'inexécution du syndicat écarte aussi l'obstacle du caractère définitif des dispositions de la convention.

53. À la lecture de l'arrêt et à la lecture du passage précité il apparaît clairement que ce dont la Cour suprême des États‑Unis traite c'est d'une clause de la convention collective qui attribue un caractère final à la sentence arbitrale régie elle aussi par les clauses contractuelles de la convention. Il ne s'agit pas de dispositions de la loi comme en l'espèce.

54. Outre que cette jurisprudence ne fait évidemment pas autorité ici, on peut ajouter qu'aucune décision canadienne, à part la jurisprudence du Tribunal du travail, majoritaire mais non unanime, n'a pu être citée à l'appui de l'interprétation proposée.

55. L'on a invoqué l'arrêt Milhomme c. Aubé, [1984] C.A. 1, dans lequel la Cour d'appel se prononce sur ces articles du Code du travail. La Cour d'appel, infirmant le jugement de la Cour supérieure, a autorisé l'émission d'un bref d'évocation à l'encontre de la décision du Tribunal du travail qui avait refusé de déférer la réclamation du salarié à l'arbitrage. Cette affaire‑là était cependant tout à fait différente de celle‑ci. L'arbitrage avait été commencé mais l'association avait retiré le grief avant que l'arbitrage ne soit complété. L'appelant et le Tribunal du travail s'appuient notamment sur le passage suivant des motifs du juge Bisson dont l'opinion fut partagée par ses collègues, aux pp. 5 et 6:

En terminant, je désire souligner que ne saurait être acceptée la prétention de l'intimé S.E.C.S.N. à l'effet que les articles 47.2 à 47.6 du Code du travail n'ont plus application lorsque le processus d'arbitrage a été enclenché.

56. Il n'y a aucune incompatibilité entre l'arrêt de la Cour d'appel en l'espèce et l'arrêt Milhomme où il n'y avait pas eu d'arbitrage. Cet arrêt ne s'applique pas.

57. Pour sa part le Conseil canadien des relations du travail a refusé de rendre une ordonnance relative à une sentence arbitrale attaquée au motif que l'association avait failli à son devoir de bien représenter un salarié à l'arbitrage. Le Conseil laisse clairement entendre qu'en pareil cas il exercerait une compétence d'appel. Voir Lucio Samperi (1982), 49 di 40. Il est écrit aux pp. 50 et 51:

Ce serait vraiment inverser l'ordre des choses si le présent Conseil allait en fait casser des décisions arbitrales parce qu'il n'approuve pas la manière dont un syndicat a présenté un grief à l'arbitrage. Selon nous, il ne nous incombe pas de juger de la compétence des représentants syndicaux ni de leurs avocats. De plus, une telle mesure de notre part serait incompatible avec les objectifs de la politique de l'intérêt commun d'une procédure de règlement des griefs que les parties doivent adopter en substitution d'arrêts de travail pendant la durée d'application d'une convention collective conformément à l'article 155 du Code (voir les observations de James E. Dorsey dans «Arbitration Under the Canada Labour Code: A Neglected Policy and an Incomplete Legislative Framework» (1980), 6 Dalhousie L.J. 41). Le devoir de représentation juste est reconnu par le Code, mais il a ses limites. Les dispositions qui s'y rapportent ne vont pas jusqu'à permettre d'en appeler d'une décision arbitrale de façon que les membres du Conseil, pourvus ou non d'une formation juridique, portent un jugement sur la compétence et la «performance» des représentants syndicaux et de leurs avocats.

58. Dans John Semeniuk (1981), 45 di 258, aux pp. 262 et 264, le Conseil avait pareillement indiqué qu'il ne siège pas en appel des décisions rendues.

59. Le Conseil a toutefois réservé son opinion sur la question de savoir s'il a le pouvoir d'annuler une sentence arbitrale parce que l'association aurait contrevenu à l'art. 136.1 du Code canadien du travail, précité. Voir Craib v. Canadian Pacific Ltd. (1984), 85 CLLC ¶ 16,006. On y lit aux pp. 14,037 et 14,038:

Nous n'avons pas jugé nécessaire d'aborder la question de savoir si le Conseil pouvait effectivement annuler l'ordonnance ou la décision rendue par un arbitre ou un conseil d'arbitrage et qui, en vertu de l'article 156 du Code, est «définitive», même si nous avions des raisons de croire que la représentation faite par un syndicat à une audience d'arbitrage n'était pas conforme à l'article 136.1. La question devra être tranchée un autre jour si jamais un autre panel est forcé de tirer une telle conclusion.

60. Plus récemment encore le Conseil exprime un fort doute sur sa compétence en pareilles circonstances. Il s'agit de la décision Langlois v. Telecommunications Workers Union, C.C.R.T., no 745‑2030, 21 mai 1985. Elle a été rendue sous forme de lettre dans laquelle il est écrit aux pp. 3 et 4:

[TRADUCTION] En vertu du par. 156(1) du Code «toute ordonnance ou décision rendue par un conseil d'arbitrage ou par un arbitre est définitive et ne peut être mise en question devant un tribunal ni révisée par un tribunal». Donc même si nous avions des doutes au sujet du comportement du syndicat entre l'époque du renvoi et la fin de l'arbitrage (mais nous n'en avons pas), il est très douteux que nous ayons la compétence de modifier la sentence du conseil d'arbitrage, à la différence de la Commission de la Colombie‑Britannique qui possède certains pouvoirs de contrôle limités à l'égard des conseils d'arbitrage.

61. Il ne fait pas de doute qu'admettre qu'aux termes de l'art. 47.5 un second arbitrage puisse être ordonné, irait directement à l'encontre de l'art. 101 du Code du travail.

62. Je fais mien le passage suivant des motifs du juge Nolan, qui a prononcé l'arrêt majoritaire de la Cour d'appel, précité, aux pp. 325 et 326:

[TRADUCTION] Si on devait interpréter les art. 47.2 et suiv. comme signifiant qu'un juge du Tribunal du travail dans un cas comme l'espèce peut permettre un autre arbitrage après qu'un conseil d'arbitrage a déjà rendu une décision, cela contredirait de façon flagrante l'art. 101 du Code du travail.

À mon avis, il faut lire les art. 47.2 et sui. comme un tout avec l'art. 101 de manière à les concilier les uns avec les autres.

Selon l'ouvrage de E.A. Driedger The Construction of Statutes, Toronto, Butterworths, 1974, à la p. 72:

Non seulement faut‑il tenir compte de toute la loi, mais il faut, si possible, donner un sens à chaque disposition de la loi; donc s'il y a des interprétations opposées, le principe général veut qu'il faille adopter l'interprétation qui donne un effet à l'ensemble de la loi ou aux dispositions examinées de préférence à celle qui priverait de sens une partie de la loi.

63. Le procureur du Tribunal du travail a fait valoir qu'il est inconcevable qu'il y ait un constat de négligence grave et qu'il n'y ait pas de redressement. Il n'entre pas dans le cadre de ces motifs de déterminer quels autres redressements peuvent s'offrir au salarié. Comme l'a souligné le procureur du Tribunal du travail, l'art. 47.2 est très large. Mais à mon avis, un second arbitrage en application de l'art. 47.5 n'est pas un redressement disponible.

64. Les articles 47.2 à 47.6 du Code du travail ne peuvent être interprétés de façon à donner ouverture à un second arbitrage d'un grief qui a déjà fait l'objet d'un premier, et à créer une exception à l'art. 101 qui consacre le caractère final d'une sentence.

65. Le procureur de l'intimée a déclaré ne pas demander de dépens contre l'appelant.

66. Je suis d'avis de rejeter le pourvoi sans adjuger de dépens.

Pourvoi rejeté.

Procureurs de l’appelant: Laroche, Bibeau & Fauteux, Verdun.

Procureurs de l’intimée: Heenan, Blaikie, Jolin, Potvin, Trépanier, Cobbett, Montréal.

Procureurs du mis en cause le Tribunal du travail: Belleau, Crevier & Associés, Montréal.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit du travail - Étendue du pouvoir de redressement du Tribunal du travail - Plainte d’un salarié contre son association pour manquement à son devoir de représentation dans la présentation de son grief à l’arbitrage - Ordonnance du Tribunal déférant à l’arbitrage la réclamation du salarié déjà arbitrée - Redressement non autorisé par l’art. 47.5 du Code du travail - Code du travail, L.R.Q., chap. C‑27, art. 47.5.

Droit administratif - Tribunal du travail - Compétence - Plainte d'un salarié contre son association pour manquement à son devoir de représentation dans la présentation de son grief à l’arbitrage - Ordonnance du Tribunal déférant à l’arbitrage la réclamation du salarié déjà arbitrée - Redressement non autorisé par l’art. 47.5 du Code du travail - Excès de compétence - Bref d’évocation - Code du travail, L.R.Q., chap. C‑27, art. 47.5.

L'appelant a été congédié par l'intimée et son grief de renvoi présenté par son association a été rejeté. L'appelant s'est plaint que son association avait manqué à son devoir de représentation et, conformément aux art. 47.2 à 47.6 du Code du travail, a demandé au Tribunal du travail de l'autoriser à soumettre sa réclamation à un arbitre nommé par le Ministre. Cette demande a été accueillie. L'intimée s'est alors adressée à la Cour supérieure pour obtenir la délivrance d'un bref d'évocation à l'encontre de cette décision au motif que le Tribunal du travail avait excédé la compétence que lui attribue l'art. 47.5 du Code en déférant à l'arbitrage une réclamation déjà arbitrée. La Cour supérieure a rejeté la requête mais la Cour d'appel, par un jugement majoritaire, a infirmé le jugement. Le présent pourvoi vise à déterminer si un salarié, dont le grief a déjà été rejeté par un tribunal d'arbitrage, peut obtenir du Tribunal du travail, en vertu de l'art. 47.5 du Code, l'autorisation de soumettre sa réclamation à un nouvel arbitre.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Le Tribunal du travail n'a pas le pouvoir en vertu de l'art. 47.5 du Code de déférer une affaire à un arbitre quand un arbitrage a déjà eu lieu et que le grief a été tranché. Cet article s'applique lorsqu'il n'y a pas eu d'arbitrage parce que l'association représentant le salarié a refusé de pousser le grief à cette étape. Cette interprétation de l'art. 47.5 concilie les art. 47.2 à 47.6 les uns avec les autres de même qu'avec les autres dispositions du Code, en particulier l'art. 101 qui consacre le caractère final et sans appel d'une sentence arbitrale. Admettre qu'aux termes de l'art. 47.5 un second arbitrage puisse être ordonné irait directement à l'encontre de l'art. 101.


Parties
Demandeurs : Gendron
Défendeurs : Municipalité de la Baie-James

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés: Asselin c. Travailleurs amalgamés du vêtement et du textile, local 1838, [1985] T.T. 74
Hines v. Anchor Motor Freight, 424 U.S. 554 (1976)
Milhomme c. Aubé, [1984] C.A. 1
Lucio Samperi (l982), 49 di 40
John Semeniuk (1981), 45 di 258
Craib v. Canadian Pacific Ltd. (1984), 85 CLLC ¶ 16,006
Langlois v. Telecommunications Workers Union, C.C.R.T., no 745‑2030, 21 mai 1985
Syndicat des camionneurs, section locale 938 c. Massicotte, [1982] 1 R.C.S. 710
Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Conseil canadien des relations du travail, [1984] 2 R.C.S. 412
Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509.
Lois et règlements cités
Code du travail, L.R.Q., chap. C‑27, art. 47.2, 47.3, 47.4, 47.5, 47.6, 100, 101.

Proposition de citation de la décision: Gendron c. Municipalité de la Baie-James, [1986] 1 R.C.S. 401 (24 avril 1986)


Origine de la décision
Date de la décision : 24/04/1986
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1986] 1 R.C.S. 401 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1986-04-24;.1986..1.r.c.s..401 ?
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