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24/04/1986 | CANADA | N°[1986]_1_R.C.S._313

Canada | R. c. Hill, [1986] 1 R.C.S. 313 (24 avril 1986)


R. c. Hill, [1986] 1 R.C.S. 313

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Gordon James Elmer Hill Intimé.

No du greffe: 17457.

1985: 21 février; 1986: 24 avril.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer, Wilson, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1982), 2 C.C.C. (3d) 394, 32 C.R. (3d) 88, qui a accueilli l'appel d'une déclaration de culpabilité prononcée par le juge Walsh et a ordonné un nouveau procès. Pour

voi accueilli, les juges Lamer, Wilson et Le Dain sont dissidents.

Edward Then, c.r., pour l'appelante.
...

R. c. Hill, [1986] 1 R.C.S. 313

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Gordon James Elmer Hill Intimé.

No du greffe: 17457.

1985: 21 février; 1986: 24 avril.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer, Wilson, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1982), 2 C.C.C. (3d) 394, 32 C.R. (3d) 88, qui a accueilli l'appel d'une déclaration de culpabilité prononcée par le juge Walsh et a ordonné un nouveau procès. Pourvoi accueilli, les juges Lamer, Wilson et Le Dain sont dissidents.

Edward Then, c.r., pour l'appelante.

T. G. O'Hara et D. F. Caldwell, pour l'intimé.

Version française du jugement du juge en chef Dickson et des juges Beetz, Estey, Chouinard et La Forest rendu par

1. Le Juge en Chef—Gordon James Elmer Hill a été accusé d'avoir commis un meurtre au premier degré dans la ville de Belleville, comté de Hastings, sur la personne de Verne Pegg, contrairement au par. 218(1) du Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34. Le jury l'a déclaré non coupable de meurtre au premier degré mais coupable de meurtre au deuxième degré. Il a été condamné à l'emprisonnement à perpétuité sans pouvoir être admissible au régime de libération conditionnelle avant d'avoir purgé dix ans de sa peine.

2. Il a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité devant la Cour d'appel de l'Ontario. Il a soulevé plusieurs moyens d'appel, mais la Cour d'appel a demandé à la poursuite de présenter des arguments à l'égard d'un moyen seulement, celui qui concerne l'exposé sur la question de la provocation. Le moyen d'appel portait que le juge du procès n'avait pas donné de directives appropriées au jury sur la "personne ordinaire" au sens du par. 215(2) du Code criminel. L'article 215 du Code se lit en partie comme suit:

215. (1) Un homicide coupable qui autrement serait un meurtre peut être réduit à un homicide involontaire coupable si la personne qui l'a commis a ainsi agi dans un accès de colère causé par une provocation soudaine.

(2) Une action injuste ou une insulte de telle nature qu'elle suffise à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser, est une provocation aux fins du présent article, si l'accusé a agi sous l'impulsion du moment et avant d'avoir eu le temps de reprendre son sang‑froid.

3. Vu le sens manifeste de ces deux paragraphes, il en découle trois questions auxquelles le tribunal doit répondre:

1. Une personne ordinaire serait‑elle privée de la maîtrise d'elle‑même par l'action ou l'insulte?

2. L'accusé a‑t‑il en fait réagi à ces actions "provocantes"? En bref, a‑t‑il été provoqué par elles, qu'une personne ordinaire l'ait été ou non?

3. L'accusé a‑t‑il réagi sous l'impulsion du moment et avant d'avoir eu le temps de reprendre son sang‑froid?

À cette étape, il est important de rappeler l'existence du par. (3) de l'art. 215 qui prévoit:

(3) Aux fins du présent article, les questions de savoir

a) si une action injuste ou une insulte déterminée équivalait à une provocation, et

b) si l'accusé a été privé du pouvoir de se maîtriser par la provocation qu'il allègue avoir reçue,

sont des questions de fait ...

4. Pour répondre à ces questions successives, le premier critère ou celui de la "personne ordinaire" est nettement déterminé par des normes objectives. Le second critère de facto quant à la perte de maîtrise de soi de l'accusé est déterminé, comme toute autre question de fait découlant de la preuve, en fonction des faits. Le troisième critère, à savoir s'il s'agit d'une réaction sous l'impulsion du moment et avant d'avoir repris son sang‑froid, est aussi une question de fait.

5. Au moment de l'incident meurtrier, Hill, une personne de sexe masculin, était âgé de seize ans. La question précise qui est posée dans le présent pourvoi est de savoir si le juge du procès a commis une erreur de droit en ne disant pas au jury dans ses directives que, s'il concluait à l'existence d'une action injuste ou d'une insulte, il devait se demander si elle était suffisante pour priver une personne ordinaire [TRADUCTION] "de l'âge et du sexe de l'appelant" du pouvoir de se maîtriser. Le juge du procès devait‑il, en droit, ajouter cette précision à l'article? Voilà la question en litige.

I

Les faits

6. Au procès, les parties ont convenu que le décès de Pegg avait été causé par les actes de Hill mais elles étaient en désaccord sur les autres points. La poursuite a adopté au procès la position que Hill et Pegg étaient amants homosexuels et que Hill avait décidé de tuer Pegg par suite d'une querelle. La poursuite a soutenu que Hill a délibérément frappé Pegg à la tête alors que celui‑ci était couché sur le lit. Ce coup n'a pas tué Pegg qui a immédiatement couru de la chambre à coucher à la salle de bain pour essayer d'arrêter le saignement de sa tête. Réalisant qu'il n'avait pas réussi à le tuer, Hill a pris deux couteaux dans la cuisine et a poignardé Pegg mortellement.

7. Hill a présenté une version des événements très différente. Il admet avoir causé la mort de Pegg mais a présenté deux défenses: la légitime défense et la provocation. Il a témoigné qu'il connaissait Pegg depuis environ un an parce que ce dernier travaillait dans l'organisme des "Grands frères". Hill a déclaré que la nuit en question, Pegg lui avait fait des avances homosexuelles inattendues et non sollicitées alors qu'il était endormi sur le sofa dans l'appartement de celui‑ci. Pegg a poursuivi Hill jusqu'à la salle de bain et l'a attrapé, à ce moment‑là, Hill a ramassé une hachette qui était à sa portée et l'a brandie en direction de Pegg pour lui faire peur et l'a atteint à la tête. Hill s'est alors enfui de l'appartement mais est revenu peu après. En entrant dans l'appartement, il s'est trouvé devant Pegg qui a menacé de le tuer. À ce moment, Hill a pris deux couteaux dans la cuisine et a mortellement poignardé Pegg.

8. Hill a été arrêté, après une poursuite automobile avec la police, au volant d'une voiture de marque Pontiac qui appartenait à Pegg. Sur le lieu de l'arrestation, Hill a nié connaître Pegg, mais par la suite il a fait une déclaration à la police qui était essentiellement semblable à son témoignage au procès.

II

L'exposé

9. Le juge du procès a instruit le jury sur la défense de provocation de la manière suivante:

[TRADUCTION] Le Code criminel prévoit que l'homicide coupable qui autrement serait un meurtre doit être réduit à un homicide involontaire coupable si la personne qui l'a commis a ainsi agi dans un accès de colère causé par une provocation soudaine.

En vertu du Code, une action injuste ou une insulte de telle nature qu'elle suffise à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser est une provocation, si l'accusé a agi sous l'impulsion du moment et avant d'avoir eu le temps de reprendre son sang‑froid.

Les paragraphes précédents répètent simplement les termes du Code. Le juge a continué:

[TRADUCTION] La provocation peut venir des mots mêmes ou d'une série de ceux‑ci ou d'une combinaison des deux, et doit être examinée en fonction de toutes les circonstances.

D'abord, les mots mêmes doivent être de nature à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser. En analysant cette partie du moyen de défense, vous ne devez pas tenir compte du profil mental particulier de l'accusé; en effet la norme est celle d'une personne ordinaire. Vous vous demanderez si les mots ou les actes dans ce cas‑ci auraient amené une personne ordinaire à perdre le pouvoir de se maîtriser.

Après avoir examiné les éléments de preuve à l'appui du moyen de défense de provocation le juge a poursuivi:

[TRADUCTION] Vous examinerez ces éléments de preuve et vous déciderez si les paroles et les actes étaient suffisants pour qu'une personne ordinaire perde le pouvoir de se maîtriser.

Les actes étaient les suivants: caresser les jambes et la poitrine de l'accusé, l'avoir saisi par l'épaule et l'avoir fait tourner sur lui‑même et par la suite, le fait que Pegg a saisi son poignet droit avant le deuxième coup de couteau. Les mots ont été les suivants: "je vais te tuer, petit salaud".

Si vous concluez qu'ils étaient suffisants, vous vous demanderez ensuite si l'accusé a agi sous l'impulsion d'une provocation sans avoir eu le temps de reprendre son sang‑froid. Pour trancher cette question vous n'êtes pas limités par la norme de la personne ordinaire. Vous tiendrez compte des caractéristiques mentales, émotives et physiques de cet accusé et de son âge.

Les incidents ou les mots sur lesquels la provocation est fondée doivent se produire en même temps que la tragédie ou être très rapprochés de celle‑ci. L'incident meurtrier doit avoir eu lieu immédiatement après les actes ou les mots qui ont constitué la provocation ou peu après, de manière que l'accusé n'ait pas eu le temps de reprendre son sang‑froid.

Vous vous demanderez aussi si la provocation était telle qu'elle aurait amené une personne du même état mental et physique que l'accusé et du même âge que celui‑ci à réagir de cette manière.

10. Au procès, l'avocat de Hill s'est opposé aux directives du juge du procès en ce qui a trait à l'exigence du critère objectif de la défense de provocation, en alléguant que la "personne ordinaire" visée au par. 215(2) devrait être définie comme une personne ordinaire du même âge et du même sexe que l'accusé. L'avocat a soutenu que l'exigence du critère objectif serait satisfaite si le juge donnait au jury de nouvelles directives qui définiraient la "personne ordinaire" comme une "personne ordinaire dans la même situation que celle dans laquelle se trouvait l'accusé". Le juge a refusé de donner au jury de nouvelles directives en ce sens.

III

La Cour d'appel

11. Dans ses motifs oraux auxquels ont souscrit les juges Martin et Morden, le juge Brooke a fait remarquer que l'avocat de la défense, en se fondant sur l'arrêt Director of Public Prosecutions v. Camplin, [1978] A.C. 705 (H.L.), a soutenu que le juge aurait dû dire au jury de se demander si l'action injuste ou l'insulte était suffisante pour priver une "personne ordinaire" du même âge et du même sexe que l'accusé du pouvoir de se maîtriser. La Cour d'appel a statué que le juge du procès a commis une erreur en refusant de le faire. En arrivant à cette conclusion, le juge Brooke a dit:

[TRADUCTION] L'âge et le sexe de l'appelant ne sont pas des "caractéristiques particulières" exclues de l'examen de la "personne ordinaire" selon le critère objectif du par. 215(2) (voir le juge Fauteux (plus tard juge en chef) dans Wright v. The Queen, [1969] 3 C.C.C. 258 aux pp. 264 et 265 qui analyse l'arrêt Bedder v. D.P.P., [1954] 2 All E.R. 801).

Il a également ajouté:

[TRADUCTION] À notre humble avis, il n'y a rien dans ce jugement qui empêche d'instruire le jury comme le demande la défense. Vu la façon dont l'affaire a été présentée au jury, l'âge de l'appelant n'entrait en ligne de compte que si le jury se posait la question de savoir si l'action injuste ou l'insulte l'avait privé du pouvoir de se maîtriser. L'exposé a eu pour effet d'exclure de l'expression personne ordinaire une personne âgée de 16 ans ou un jeune et a bien pu fixer comme étant la norme une personne ordinaire plus expérimentée et plus mûre que la personne ordinaire âgée de 16 ans ou qu'un jeune. Si c'est le cas, le jury peut avoir rejeté la défense en déterminant le critère objectif sur ce fondement.

12. En définitive, la Cour d'appel a décidé que le juge avait commis une erreur et qu'il pouvait très bien y avoir eu une directive erronée qui avait causé un préjudice grave à Hill et que la déclaration de culpabilité ne pouvait être confirmée. L'appel a été accueilli, la déclaration de culpabilité annulée et un nouveau procès ordonné sur l'accusation de meurtre au deuxième degré.

IV

La question en litige

13. La question posée dans le présent pourvoi est de savoir si la Cour d'appel de l'Ontario a commis une erreur de droit en concluant que le juge du procès a commis une erreur de droit en ce qui a trait aux éléments du critère objectif pertinents à l'égard de la défense de provocation lorsqu'il n'a pas dit au jury dans ses directives qu'une "personne ordinaire" au sens de ce terme dans le par. 215(2) du Code criminel était une [TRADUCTION] "personne ordinaire du même âge et du même sexe que l'accusé".

V

La défense de provocation

14. La défense de provocation paraît avoir été élaborée à l'origine au début du XIXe siècle. Le juge en chef Tindal dans R. v. Hayward (1833), 6 C. & P. 157, à la p. 158, a dit au jury que la défense de provocation découlait de la [TRADUCTION] "compassion de la justice envers la fragilité humaine". Il a reconnu que tous les êtres humains sont sujets à des accès incontrôlables de passion et de colère qui peuvent les amener à agir avec violence. Dans de tels cas, le droit devrait réduire la sévérité de la responsabilité criminelle.

15. Néanmoins, tous les actes accomplis dans un accès de colère ne sont pas assujettis à la doctrine de la provocation. Vers le milieu du XIXe siècle, il est devenu évident que l'acte provocateur devait être suffisant pour exciter une personne ordinaire ou raisonnable compte tenu des circonstances. Comme le juge Keating l'a déclaré dans R. v. Welsh (1869), 11 Cox C.C. 336, à la p. 338:

[TRADUCTION] En droit, il doit y avoir une telle provocation que l'esprit d'un homme raisonnable serait excité par les circonstances et elle doit être telle qu'elle amènerait le jury à attribuer l'acte à l'influence de cette colère.

16. Le Code criminel a codifié cette attitude à l'égard de la provocation en incluant trois exigences générales pour la défense de provocation aux termes de l'art. 215. D'abord l'action injuste ou l'insulte provocatrice doit être d'une nature telle qu'elle priverait une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser. C'est l'étape préliminaire qu'il faut franchir. Ensuite, l'accusé doit réellement avoir été provoqué. Comme je l'ai indiqué précédemment, on désigne souvent ces deux éléments comme respectivement, les critères objectifs et subjectifs de la provocation. Troisièmement, l'accusé doit avoir réagi à la provocation sous l'impulsion du moment et avant d'avoir eu le temps de reprendre son sang‑froid.

a) Le critère objectif de la provocation et la norme de la personne ordinaire

17. Lorsqu'on examine la signification précise et l'application de la norme de la personne ordinaire ou du critère objectif, il est important d'en identifier la raison d'être sous‑jacente. Lord Simon of Glaisdale l'a sans doute établi de la manière la plus succincte lorsqu'il a dit dans l'arrêt Camplin, à la p. 726 que [TRADUCTION] "le motif pour lequel on a introduit dans ce domaine du droit le concept de l'homme raisonnable [était] ... d'éviter l'injustice imputable au fait qu'un homme puisse invoquer son caractère excitable ou querelleur exceptionnel, son mauvais caractère ou son état d'ébriété".

18. Si aucun critère objectif ne s'appliquait à la défense de provocation, il pourrait en découler des résultats anormaux. Une personne raisonnable de caractère égal ne serait pas susceptible de profiter de la défense de provocation et serait coupable d'homicide coupable équivalant à meurtre, tandis que la culpabilité d'une personne querelleuse ou exceptionnellement excitable serait réduite par la provocation et elle ne serait coupable que d'homicide involontaire coupable. C'est la préoccupation qu'a la société d'encourager le comportement raisonnable et non violent qui incite le droit à adopter le critère objectif. Le droit criminel se soucie, entre autres choses, de fixer des normes au comportement humain. Nous cherchons à encourager une conduite qui se conforme à certaines normes de la société en matière de responsabilité et d'actes raisonnables. Pour le faire, le droit emploie très logiquement la norme objective de la personne raisonnable.

19. Compte tenu de cet objectif général, nous devons établir le sens de la norme de la personne ordinaire. Quelles sont les caractéristiques de la "personne ordinaire"? Dans quelle mesure les caractéristiques et les particularités de l'accusé devraient‑elles être attribuées à la personne ordinaire? Pour répondre à ces questions, il est utile de passer en revue la jurisprudence anglaise et canadienne. Étant donné que les tribunaux canadiens se sont largement appuyés sur les principes établis par les tribunaux anglais, je commencerai par la jurisprudence anglaise.

(i) Le droit anglais en matière de provocation et la norme de la personne ordinaire

20. Dans l'arrêt R. v. Lesbini (1914), 11 Cr. App. R. 7, la Court of Criminal Appeal anglaise a refusé de tenir compte de la déficience mentale de l'accusé pour décider s'il pouvait invoquer la défense de provocation. Elle a confirmé le critère objectif préliminaire de la provocation en vertu duquel il doit y avoir une provocation suffisante pour exciter une personne raisonnable. Une personne raisonnable ou ordinaire n'est pas déficiente mentale. Dans l'arrêt Mancini v. Director of Public Prosecutions, [1942] A.C. 1, la Chambre des lords a endossé l'arrêt Lesbini et a expliqué d'une manière plus approfondie le critère objectif de la provocation. Le vicomte Simon a dit, à la p. 9:

[TRADUCTION] Le critère qui doit être appliqué est celui de l'effet de la provocation sur un homme raisonnable, comme l'a établi la Court of Criminal Appeal dans Rex v. Lesbini, de manière qu'une personne querelleuse ou inhabituellement excitable ne puisse pas se fonder sur la provocation qui n'aurait pas amené une personne ordinaire à agir comme elle l'a fait.

Par conséquent, la personne ordinaire ou raisonnable était d'un tempérament normal et d'une capacité intellectuelle moyenne.

21. En 1954, la question de savoir si, dans l'application du critère objectif de la provocation, on devrait tenir compte de certaines caractéristiques physiques de l'accusé, a été soulevée devant la Chambre des lords. Dans l'arrêt Bedder v. Director of Public Prosecutions, [1954] 1 W.L.R. 1119, un homme sexuellement impuissant a tué une prostituée après qu'elle se fut moquée de lui au sujet de son état physique. La Chambre des lords devait déterminer si, dans l'application du critère objectif de la provocation, on devait tenir compte de l'impuissance sexuelle de l'accusé. Le critère aurait alors été de savoir si une personne ordinaire, qui était impuissante, aurait été provoquée. La cour a rejeté cette position et a conclu que les caractéristiques physiques particulières de l'accusé ne devaient pas être attribuées à la personne ordinaire aux fins du critère objectif.

22. Malgré la conclusion de la Chambre des lords que les caractéristiques physiques de l'accusé n'étaient pas pertinentes pour déterminer si une personne raisonnable aurait été provoquée, la cour paraît avoir été principalement préoccupée par la difficulté d'établir une distinction entre "tempérament" et "défauts physiques". Comme lord Simonds l'a dit à la p. 1121:

[TRADUCTION] Il apparaît à cette cour, comme il m'apparaît, qu'"aucune distinction ne doit être faite dans le cas d'une personne qui, bien que ce ne soit pas une question de tempérament, est physiquement impotente, et consciente de cette impotence et par conséquent mentalement susceptible d'être plus indûment excitée si elle est taquinée ou attaquée au sujet de cette infirmité particulière". La cour a alors approuvé et réitéré la proposition selon laquelle la question posée au jury était de savoir si d'après les faits ... vu la preuve, la provocation était en fait suffisante pour amener une personne raisonnable à faire ce que l'accusé a fait.

23. La position adoptée dans l'arrêt Bedder en ce qui a trait à la norme de la personne ordinaire ne fait désormais plus partie du droit en Angleterre. Dans l'arrêt Camplin, la Chambre des lords a expressément rejeté le critère objectif étroit énoncé dans l'arrêt Bedder. Dans l'affaire Camplin, un jeune de quinze ans a soutenu qu'il avait été provoqué par une agression homosexuelle. La Chambre des lords a, à l'unanimité, conclu que la personne ordinaire, aux fins du critère objectif de provocation, devait être une personne ordinaire du même âge et du même sexe que l'accusé. Il faut souligner que dans l'affaire Camplin, le juge du procès avait spécifiquement dit au jury de tenir compte de l'âge et du sexe et l'appel voulait faire déclarer cette directive erronée. En l'espèce, on ne trouve pas de directives semblables.

24. Pour justifier son éloignement de la position adoptée dans l'arrêt Bedder, la Chambre des lords s'est fondée en partie sur les modifications législatives du droit de la provocation adoptées après l'arrêt Bedder. Précisément, en 1957, l'art. 3 de la Homicide Act, 1957 (U.K.), 5 & 6 Eliz. 2, chap. 11 a été adopté; il prévoit:

[TRADUCTION] 3. Dans le cas d'une accusation de meurtre, lorsqu'il y a des éléments de preuve qui peuvent permettre au jury de conclure à la provocation de l'accusé (par des actions ou par des paroles ou par les deux à la fois) de manière à lui faire perdre le pouvoir de se maîtriser, il incombe au jury de déterminer si la provocation était suffisante pour qu'un homme raisonnable agisse comme il l'a fait; pour trancher cette question, le jury doit tenir compte de tout ce qui a été fait et tout ce qui a été dit selon l'effet, que, à son avis, cela aurait sur un homme raisonnable.

L'expression [TRADUCTION] "le jury doit tenir compte de tout" a été interprétée de manière à permettre l'examen des caractéristiques pertinentes en relation avec le critère objectif.

25. Lord Diplock a clarifié le raisonnement sous‑jacent à l'extension de la notion de personne ordinaire lorsqu'il a écrit à la p. 717:

[TRADUCTION] Le jury peut bien considérer que railler une personne à cause de sa race, de ses infirmités physiques ou de quelque incident honteux de sa vie passée est plus insultant pour la personne visée, même si elle est de tempérament très égal, si les faits sur lesquels la raillerie se fonde sont vrais que s'ils ne le sont pas.

De même, lord Morris of Borth‑y‑Gest a conclu à la p. 721:

[TRADUCTION] Si l'accusé est d'une couleur particulière ou d'une origine ethnique particulière et que des choses grossièrement insultantes sont dites à son égard il serait tout à fait irréel que le jury doive se demander si les mots auraient provoqué un homme d'une couleur ou d'une origine ethnique différentes—ou se demande comment une telle personne aurait agi ou réagi.

26. Tenant compte de ces considérations, lord Simon of Glaisdale a formulé le critère objectif de la manière suivante, à la p. 727:

[TRADUCTION] Je crois que la norme de la maîtrise de soi que la loi exige avant qu'on puisse déterminer que la provocation réduit le meurtre à homicide involontaire coupable est toujours celle de la personne raisonnable ...; toutefois, en déterminant si une personne qui a une maîtrise de soi raisonnable la perdrait dans les circonstances, il faut tenir compte de la situation de fait complète, ce qui comprend les caractéristiques de l'accusé.

27. Lord Diplock a reconnu qu'il y avait un problème de notion. Il a admis que [TRADUCTION] "en stricte logique il faut faire une transition entre considérer l'âge comme une caractéristique dont on peut tenir compte pour évaluer la gravité de la provocation faite à l'égard de l'accusé et la considérer comme une caractéristique dont on doit tenir compte pour déterminer quel degré de maîtrise de soi on doit attendre d'une personne ordinaire" (p. 717). Dans la plupart des cas, il est normal de présumer que le niveau de maîtrise de soi ou le degré de caractère raisonnable est le même, indépendamment de certaines différences physiques. Toutefois, l'âge, selon l'opinion de lord Diplock, soulève un problème plus sérieux. Il a résolu ce problème relatif à l'âge en faisant appel à l'importance reconnue de la compassion de la loi pour la fragilité humaine. À un niveau plus général, il a rejeté la solution qui consistait à séparer l'enquête en deux phases, pour le motif qu'elle est trop compliquée pour le jury.

(ii) La jurisprudence canadienne

28. La Cour suprême du Canada a également eu l'occasion de donner des lignes directrices sur la norme de la personne ordinaire en ce qui a trait à la provocation. Dans l'arrêt Taylor v. The King, [1947] R.C.S. 462, une affaire dans laquelle l'accusé était ivre au moment de la présumée provocation, le juge Kerwin, alors juge puîné, a établi clairement que, pour les fins du critère objectif de la provocation, le [TRADUCTION] "critère est l'effet sur la personne ordinaire ... le jury n'est pas autorisé à tenir compte de l'ivresse alléguée de l'accusé" (p. 471).

29. Cette Cour a encore une fois refusé de tenir compte de l'ivresse de l'accusé en relation avec le critère objectif dans l'arrêt Salamon v. The Queen, [1959] R.C.S. 404. Le juge Fauteux, alors juge puîné, a endossé les directives du juge du procès au jury de ne pas tenir compte [TRADUCTION] "du caractère, des antécédents, du tempérament ou de l'état de l'accusé" par rapport au critère objectif de la provocation. De même, le juge Cartwright, alors juge puîné, (dissident sur une autre question) a écrit à la p. 415, que le juge du procès a, à juste titre, [TRADUCTION] "établi clairement que, à l'égard de cette partie [objective] de l'enquête, on ne devrait pas tenir compte des idiosyncrasies de l'appelant et que la norme était celle de la personne ordinaire".

30. Enfin, dans l'affaire Wright v. The Queen, [1969] R.C.S. 335, un fils a été accusé d'avoir tué son père avec une arme à feu. La preuve indiquait qu'il y avait eu certaines difficultés dans leur relation. Le père était reconnu comme un homme violent avec un mauvais caractère et il avait maltraité son fils à de nombreuses occasions. L'accusé n'avait pas vu son père depuis environ cinq ans jusqu'à quelques jours avant l'incident fatal. Le soir de la fusillade, l'accusé avait passé une grande partie de la journée à boire avec ses amis. En examinant le critère objectif de la provocation, la Cour a rejeté la pertinence de la qualité de la relation de l'accusé avec son père, de la mentalité de l'accusé et de son ivresse possible. Le juge Fauteux a cité, à la p. 340, le lord chancelier Simonds dans l'arrêt Bedder, selon lequel le but du critère objectif est [TRADUCTION] "d'inviter le jury à examiner l'acte de l'accusé en faisant référence à une certaine norme de conduite et, par rapport à cet objectif, on invoque l'homme "raisonnable", "moyen" ou "normal"". La Cour a ensuite dit, à la p. 340:

[TRADUCTION] Bien que le caractère, les antécédents, le tempérament, les particularités ou l'ivresse de l'accusé soient des questions qui doivent être examinées dans la deuxième partie de l'enquête, elles sont exclues de l'examen dans la première partie. Une opinion contraire aurait pour effet de dénuer le critère objectif de tout sens.

31. Les cours d'appel provinciales ont également examiné la nature de la norme de la personne ordinaire en ce qui a trait à la provocation. Dans R. v. Clark (1974), 22 C.C.C. (2d) 1 (C.A. Alb.), on a statué que la [TRADUCTION] "jalousie morbide et la faible dégénérescence mentale" dont souffrait l'accusé n'étaient pas pertinentes à l'égard du critère objectif. Selon le juge Clement, à la p. 16:

[TRADUCTION] Dans la première partie de l'enquête, le critère objectif, qui doit essentiellement être déterminé comme la norme de comparaison, est la réaction qu'on peut attendre de la nature humaine ordinaire face à une action injuste ou à l'insulte alléguée en l'espèce.

32. Dans l'arrêt R. v. Parnerkar (1971), 5 C.C.C. (2d) 11, la Cour d'appel de la Saskatchewan a statué que les antécédents culturels et religieux de l'accusé n'étaient pas pertinents pour déterminer le critère objectif. L'accusé, né en Inde, aurait été provoqué par, notamment, la déclaration de la personne décédée [TRADUCTION] "Je ne t'épouserai pas parce que tu es noir". L'arrêt de la Cour semble restreindre indûment le concept de la personne ordinaire et empêcher d'une manière rigide que l'on tienne compte des caractéristiques physiques de l'accusé selon la position adoptée dans l'arrêt Bedder. Je veux souligner que l'arrêt Parnerkar a été confirmé par cette Cour en appel: voir [1974] R.C.S. 449; toutefois, cette question précise n'a pas été posée.

33. Dans des arrêts plus récents, les cours d'appel provinciales paraissent se diriger vers la position adoptée dans l'arrêt Camplin. Les arrêts de la Cour d'appel de l'Ontario en l'espèce, R. v. Hill (1982), 2 C.C.C. (3d) 394, et dans R. v. Daniels (1983), 7 C.C.C. (3d) 542 (C.A.T.N.‑O.), révèlent cette tendance. Dans l'arrêt Daniels, le juge Laycraft a conclu qu'en donnant ses directives au jury sur le critère objectif de la provocation, le juge du procès devrait lui dire de tenir compte de tous les événements externes qui mettent de la pression sur l'accusé. Il a dit à la p. 554:

[TRADUCTION] Le but du critère objectif que prescrit l'art. 215 est d'examiner les actions de l'accusé dans une affaire précise par rapport à la norme de la personne ordinaire. Par hypothèse, la personne ordinaire est assujettie aux mêmes pressions externes que constituent des insultes par des actes ou des mots comme l'a été l'accusé. C'est seulement si ces pressions ont fait perdre à une personne le pouvoir de se maîtriser que la question suivante se pose de savoir si l'accusé a, en fait, perdu le pouvoir de se maîtriser. À mon avis, le critère objectif n'est pas valide si la réaction de la personne ordinaire hypothétique n'est pas examinée en fonction de tous les événements qui ont mis de la pression sur l'accusé.

(iii) Ce que doit contenir la norme de la personne ordinaire

34. Quelles sont les leçons à tirer de cette étude de la jurisprudence? Je crois qu'il est clair qu'on s'entend d'une manière générale pour dire que la personne ordinaire ou raisonnable a un tempérament et un niveau de maîtrise de soi normaux. Il en découle que la personne ordinaire n'est pas exceptionnellement excitable ou querelleuse, ni en état d'ivresse.

35. En termes d'autres caractéristiques de la personne ordinaire, il me semble que le "bon sens collectif" du jury l'amènera naturellement à attribuer à la personne ordinaire toutes les caractéristiques générales pertinentes relativement à la provocation en question. Par exemple, si la provocation est une insulte raciste, le jury imaginera une personne ordinaire avec les antécédents raciaux qui forment la substance de l'insulte. Dans cette mesure, des caractéristiques physiques particulières seront attribuées à la personne ordinaire. En fait, il serait impossible d'imaginer une personne ordinaire sans sexe ou sans âge. Certaines caractéristiques comme le sexe, l'âge ou la race n'empêchent pas qu'une personne puisse être qualifiée d'ordinaire. Ainsi, des caractéristiques particulières qui ne sont pas spéciales ni une idiosyncrasie peuvent être attribuées à une personne ordinaire sans bouleverser la logique du critère objectif de la provocation. Comme lord Diplock l'a écrit dans l'arrêt Camplin aux pp. 716 et 717:

[TRADUCTION] ... la qualité d'"homme raisonnable" n'a jamais été limitée à un adulte de sexe masculin. Elle désigne une personne ordinaire de l'un ou l'autre sexe, qui n'est pas exceptionnellement excitable ou querelleuse, mais qui possède les pouvoirs de se maîtriser que toute personne a le droit d'attendre de ses concitoyens dans la société actuelle.

36. Il est important de souligner que, parfois, certaines caractéristiques ne seront pas pertinentes. Par exemple, la race d'une personne ne sera pas pertinente si la provocation comporte une insulte relative à une infirmité physique. De même, le sexe d'un accusé ne sera pas pertinent si la provocation se rapporte à une insulte raciste. Ainsi, le critère central est la pertinence de la caractéristique particulière à l'égard de la provocation en question. Si l'on tient compte de ce fait, je crois qu'il est juste de conclure que l'âge constitue une considération pertinente lorsque nous avons affaire à un jeune accusé. Pour qu'un jury évalue ce qu'une personne ordinaire aurait fait si elle avait été placée dans la même situation que l'accusé, le jeune âge d'un accusé constituera une considération importante selon le contexte.

37. Il convient également d'ajouter que ma conclusion selon laquelle certaines caractéristiques peuvent être attribuées à la personne ordinaire ne veut pas dire que le juge du procès doit, dans chaque cas, dire au jury quelles caractéristiques précises doivent être attribuées à la personne ordinaire. Le point sur lequel je désire insister est simplement que, en appliquant leur bon sens à la détermination factuelle du critère objectif, les jurés vont tout naturellement et correctement attribuer certaines caractéristiques à la "personne ordinaire".

b) Le critère subjectif et la provocation réelle

38. Lorsque le jury a établi que la provocation en question était suffisante pour priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser, il doit encore déterminer si l'accusé était ainsi privé de ce pouvoir. Il se peut bien qu'une personne ordinaire ait été provoquée mais qu'en fait l'accusé ne l'ait pas été. Ce second critère de la provocation est qualifié de subjectif parce qu'il comporte une évaluation de ce qui s'est réellement passé dans l'esprit de l'accusé. À ce stade, le jury doit aussi examiner si l'accusé a réagi à la provocation sous l'impulsion du moment et avant d'avoir eu le temps de reprendre son sang‑froid.

39. Dans ses directives sur cet aspect du critère subjectif de la provocation, le juge du procès doit préciser au jury que son travail à ce stade est d'examiner si l'accusé agissait en fait par suite de la provocation. À cet égard, le juge du procès peut désirer rappeler aux jurés que, en déterminant si un accusé a réellement été provoqué, ils ont le droit de tenir compte de son état mental et de son tempérament psychologique.

VI

La validité de l'exposé du juge du procès

40. Pour appliquer ce principe juridique au présent pourvoi, nous devons revenir à ce qu'a réellement dit le juge du procès. Lorsqu'il a donné ses directives au jury sur le critère objectif de la provocation, il a commencé en disant:

[TRADUCTION] D'abord, les mots mêmes doivent être de nature à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser. En analysant cette partie du moyen de défense, vous ne devez pas tenir compte du profil mental particulier de l'accusé; en effet la norme est celle d'une personne ordinaire. Vous vous demanderez si les mots ou les actes dans ce cas‑ci auraient amené une personne ordinaire à perdre le pouvoir de se maîtriser.

Il a par la suite ajouté:

[TRADUCTION] Vous examinerez ces éléments de preuve et vous déciderez si les paroles et les actes étaient suffisants pour qu'une personne ordinaire perde le pouvoir de se maîtriser.

À mon avis, cette partie de l'exposé a été bien énoncée et est correcte en droit. Le juge du procès n'a commis aucune erreur en omettant de préciser que la personne ordinaire, aux fins du critère objectif de la provocation, est présumée être du même âge et du même sexe que l'accusé. Bien que ce genre de directive puisse être utile pour clarifier l'application de la norme de la personne ordinaire, je ne crois pas qu'il soit sage ou nécessaire d'en faire une composante obligatoire de tous les exposés au jury en matière de provocation. Lorsque c'est possible, il convient que les exposés au jury restent simples et il faut considérer avec confiance que les termes du Code criminel constitueront des lignes directrices suffisantes pour le jury. En fait, dans ce domaine du droit, je tiens compte de la déclaration du juge en chef lord Goddard dans R. v. McCarthy, [1954] 2 Q.B. 105, à la p. 112:

[TRADUCTION] Aucun tribunal n'a jamais donné, ni croyons‑nous ne peut donner, une définition de ce qui constitue un homme raisonnable ou moyen. Cela doit être laissé au bon sens collectif du jury.

41. On a laissé entendre que les directives du juge du procès sur le volet subjectif de la défense de provocation avait eu pour effet de tromper le jury sur le vrai contenu de la norme de la personne ordinaire. Les directives du juge se lisent comme suit:

[TRADUCTION] ... vous vous demanderez ensuite si l'accusé a agi sous l'impulsion d'une provocation sans avoir eu le temps de reprendre son sang‑froid. Pour trancher cette question vous n'êtes pas limités par la norme de la personne ordinaire. Vous tiendrez compte des caractéristiques mentales, émotives et physiques de l'accusé et de son âge.

...

Vous vous demanderez aussi si la provocation était telle qu'elle aurait amené une personne du même état mental et physique que l'accusé et du même âge que celui‑ci à réagir de cette manière.

À mon avis, ces paroles n'ont pas trompé le juré moyen en ce qui a trait au critère objectif, particulièrement si l'on tient compte du contexte de l'exposé dans son ensemble.

42. J'ai la plus grande confiance dans le niveau d'intelligence et de simple bon sens du jury canadien moyen qui siège dans une affaire criminelle. Les jurys sont parfaitement capables d'évaluer la question. Dans mon expérience de juge du procès, je ne me souviens pas d'une seule affaire dans laquelle un jury soit revenu dans la salle d'audience pour demander des directives supplémentaires sur la partie qui concerne la provocation dans une accusation de meurtre. Un jury demande souvent des précisions sur la distinction entre meurtre au premier degré, meurtre au deuxième degré et homicide involontaire coupable mais rarement, et peut‑être jamais, sur la provocation. Il semble entendu que le juge du procès n'aurait pas commis d'erreur s'il avait simplement lu l'art. 215 du Code tel quel sans fioritures. Je ne veux surtout pas compliquer le travail du juge du procès, dans des affaires comme l'espèce, en exigeant de lui comme point de droit qu'il souligne à l'intention des jurés que, en appliquant le critère objectif, ils doivent imaginer une "personne ordinaire" de sexe masculin et jeune. L'accusé est devant eux. Il est de sexe masculin et jeune. Je ne peux concevoir qu'un jury canadien élabore le concept d'une "personne ordinaire" qui serait de sexe féminin ou plus âgée ou que les jurés écartent de leur esprit la possibilité que la "personne ordinaire" puisse être jeune et de sexe masculin. Je ne crois pas que ce que le juge a dit en l'espèce aurait pu entraîner le jury dans une telle absurdité.

VII

Conclusion

43. Je suis d'avis que l'exposé du juge du procès au jury sur la norme de la personne ordinaire dans la défense de provocation satisfaisait aux exigences du Code criminel et était correct en droit. Il n'était pas nécessaire de dire au jury que la personne ordinaire désigne une personne ordinaire du même âge et du même sexe que l'accusé. Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et de rétablir la déclaration de culpabilité.

Version française des motifs rendus par

44. Le Juge McIntyre—J'ai lu les motifs de jugement du Juge en chef. Je suis d'accord avec le résultat auquel il arrive et somme toute avec ses motifs. Je désire seulement ajouter un bref commentaire personnel.

45. L'article 215 du Code criminel prévoit la provocation comme défense, ce qui permet, si elle est acceptée, de réduire ce qui serait autrement un meurtre au crime moindre d'homicide involontaire coupable. Le paragraphe (1) prévoit le moyen de défense. Le paragraphe (2) définit la nature de l'action ou de l'insulte qui suffit pour qu'il y ait provocation. Il ne traite aucunement de la nature ni de caractéristiques personnelles de celui qui cherche à invoquer la défense. Il établit une norme à appliquer à toutes les personnes pour déterminer ce qui constitue la provocation, la norme de la personne ordinaire. Le concept de la personne ordinaire ou de l'homme raisonnable est bien connu en droit. On en a donné bien des définitions. Une des définitions appropriées est formulée par lord Diplock dans l'affaire Camplin [[1978] A.C. 705 (H.L.), aux pp. 716 et 717] et citée par le Juge en chef, en ces termes:

[TRADUCTION] ... la qualité d'"homme raisonnable" n'a jamais été limitée à un adulte de sexe masculin. Elle désigne une personne ordinaire de l'un ou l'autre sexe, qui n'est pas exceptionnellement excitable ou querelleuse, mais qui possède les pouvoirs de se maîtriser que toute personne a le droit d'attendre de ses concitoyens dans la société actuelle.

Si la conduite qu'on prétend provocatrice ne fait pas perdre à cette personne ordinaire "le pouvoir de se maîtriser", alors on ne peut appliquer le moyen de défense. Toutefois, lorsque cette étape préliminaire est franchie, l'acte satisfait au critère de la provocation et on peut prendre la défense en considération. Si on conclut que l'accusé a été privé du pouvoir de se maîtriser par la provocation et qu'il a agi sous l'impulsion du moment et avant d'avoir eu le temps de reprendre son sang‑froid, le moyen de défense s'appliquera. En faisant cette dernière détermination, le jury peut appliquer ce qu'on a appelé le critère subjectif, les caractéristiques personnelles de l'accusé qui pouvaient affecter sa réaction à l'action injuste ou à l'insulte, tels la race, la couleur, la religion, le sexe et l'état d'ébriété, et d'autres facteurs subjectifs affectant sa réaction peuvent être pris en considération. Cette proposition a l'appui d'arrêts faisant autorité dans ce pays. Voir les arrêts Taylor v. The King, [1947] R.C.S. 462; Salamon v. The Queen, [1959] R.C.S. 404; et Wright v. The Queen, [1969] R.C.S. 335, dans lequel on a dit, à la p. 340:

[TRADUCTION] Bien que le caractère, les antécédents, le tempérament, les particularités ou l'ivresse de l'accusé soient des questions qui doivent être examinées dans la deuxième partie de l'enquête, elles sont exclues de l'examen dans la première partie. Une opinion contraire aurait pour effet de dénuer le critère objectif de tout sens.

46. Le motif pour lequel les deux critères, objectif et subjectif, sont distincts dans ce moyen de défense est clair. Le droit fixe une norme pour tous à laquelle on doit satisfaire avant de pouvoir s'appuyer sur la défense de provocation. On s'attend à ce que chacun, indépendamment de ses idiosyncrasies, respecte cette norme. N'importe quel insulte ou tort ne sera pas suffisant pour dégager quelqu'un de ce qui serait autrement un meurtre. La norme de la "personne ordinaire" est adoptée pour fixer le degré de maîtrise de soi et de modération qu'on attend de chacun en société. Le droit reconnaît cependant la fragilité humaine lorsqu'on a satisfait au critère préliminaire et qu'une personne est provoquée au‑delà du niveau de tolérance de la personne ordinaire. Alors, les caractéristiques personnelles de l'accusé peuvent être prises en considération et, lorsque les autres conditions de l'art. 215 du Code criminel sont remplies, le moyen de défense s'applique.

47. Comme je l'ai dit, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi.

Version française des motifs rendus par

48. Le Juge Lamer (dissident quant au résultat)—Je souscris entièrement à l'exposé du droit qu'a fait le Juge en chef. En ce qui a trait à l'âge, je conviens donc que, lorsqu'on donne un contenu à la norme de la personne ordinaire, comme le dit le Juge en chef, "l'âge constitue une considération pertinente lorsque nous avons affaire à un jeune accusé", et que "pour qu'un jury évalue ce qu'une personne ordinaire aurait fait si elle avait été placée dans la même situation que l'accusé, le jeune âge d'un accusé constituera une considération importante selon le contexte".

49. Je partage également son opinion qu'il n'est pas obligatoire que le juge dise au jury [TRADUCTION] "que la personne ordinaire, aux fins du critère objectif de la provocation, est présumée être du même âge et du même sexe que l'accusé". Je voudrais cependant ajouter qu'il y aura, à mon avis, des cas où l'omission de le faire, compte tenu des circonstances particulières de l'affaire, pourrait être injuste et constituer une erreur donnant lieu à cassation, non pas parce qu'une règle spéciale s'applique aux directives sur la provocation, mais plutôt en vertu de la règle générale que l'exposé du juge au jury doit toujours être équitable.

50. Tel n'est pas le cas en l'espèce et le juge du procès n'a pas commis d'erreur en omettant de donner une telle directive. Toutefois, à mon humble avis, il a commis une erreur lorsqu'il a donné des directives au jury équivalant à exclure l'âge comme un facteur pertinent lors de son examen de la "première partie" du critère de la provocation. Dans son exposé, il a instruit le jury sur les règles de droit relatives à la provocation de la manière suivante.

51. Lorsqu'il a fait des observations sur la première étape, le critère objectif, il a dit:

[TRADUCTION] D'abord, les mots mêmes doivent être de nature à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser. En analysant cette partie du moyen de défense, vous ne devez pas tenir compte du profil mental particulier de l'accusé; en effet la norme est celle d'une personne ordinaire. Vous vous demanderez si les mots où les actes dans ce cas‑ci auraient amené une personne ordinaire à perdre le pouvoir de se maîtriser.

Et, après avoir mentionné les faits de l'espèce qui ont un rapport avec cette première détermination, il a poursuivi:

[TRADUCTION] Vous examinerez ces éléments de preuve et vous déciderez si les paroles et les actes étaient suffisants pour qu'une personne ordinaire perde le pouvoir de se maîtriser.

Et ensuite, lorsqu'il a examiné la deuxième étape, le critère subjectif, il a dit:

[TRADUCTION] Si vous concluez qu'ils étaient suffisants, vous vous demanderez ensuite si l'accusé a agi sous l'impulsion d'une provocation sans avoir eu le temps de reprendre son sang‑froid. Pour trancher cette question, vous n'êtes pas limités par la norme de la personne ordinaire. Vous tiendrez compte des caractéristiques mentales, émotives et physiques de cet accusé et de son âge.

(C'est moi qui souligne.)

Et finalement:

[TRADUCTION] Vous vous demanderez aussi si la provocation était telle qu'elle aurait amené une personne du même état mental et physique que l'accusé et du même âge que celui‑ci à réagir de cette manière.

(C'est moi qui souligne.)

52. Partageant la confiance du Juge en chef dans le niveau d'intelligence et de bon sens du juré canadien moyen, je ne peux que conclure que, selon toute vraisemblance, les membres du jury ont compris que le critère objectif excluait la considération de l'âge, tandis que le critère subjectif ne les limitait désormais plus et qu'ils pouvaient, qu'ils devaient même, à cette dernière étape tenir compte de l'âge de l'accusé. C'est sur ce motif étroit, l'effet des directives du juge du procès sur le jury, que je ne souscris pas à l'opinion du Juge en chef.

53. Je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de confirmer l'ordonnance de la Cour d'appel portant nouveau procès.

Version française des motifs rendus par

54. Le Juge Wilson (dissidente)—Le présent pourvoi exige l'analyse du moyen de défense de provocation prévu à l'art. 215 du Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34. Les parties pertinentes de l'article sont ainsi conçues:

215. (1) Un homicide coupable qui autrement serait un meurtre peut être réduit à un homicide involontaire coupable si la personne qui l'a commis a ainsi agi dans un accès de colère causé par une provocation soudaine.

(2) Une action injuste ou une insulte de telle nature qu'elle suffise à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser, est une provocation aux fins du présent article, si l'accusé a agi sous l'impulsion du moment et avant d'avoir eu le temps de reprendre son sang‑froid.

La question précise à laquelle la Cour doit répondre est de savoir si la norme objective de la "personne ordinaire" sur laquelle le moyen de défense est fondé peut tenir compte des caractéristiques personnelles de l'accusé comme son âge et son sexe.

1. Les faits

55. Les faits de l'espèce sont contestés, la poursuite et la défense en ayant présenté des versions divergentes au procès. Il appert cependant que l'intimé, un jeune homme de seize ans, connaissait la victime, Verne Pegg, parce que celui‑ci avait agi bénévolement à titre de "grand frère" de l'intimé et de son frère cadet. Pegg, qui avait trente‑deux ans au moment de son décès, était devenu l'ami de l'intimé et ensemble ils avaient participé à de nombreuses activités sociales depuis environ un an.

56. Tôt le matin du 7 décembre 1979, un agent de police a été envoyé à la résidence de Pegg, à Belleville en Ontario, où il a trouvé le corps de celui‑ci dans une mare de sang, sur le plancher de la salle de séjour. Près du cadavre, il y avait deux couteaux à bifteck tachés de sang qui avaient apparemment servi à infliger plusieurs blessures par lacération et perforation à la poitrine de la victime. Sur le plancher de la chambre à coucher, la police a trouvé une hachette couverte du sang de la victime. Il semble que cette hachette ait servi à infliger une profonde entaille au côté droit de la tête de la victime. Les murs et le plancher de la chambre à coucher et de la salle de séjour étaient éclaboussés de sang, de même que les draps du lit de la victime.

57. La découverte fut faite plusieurs heures après l'arrestation de l'intimé sur l'autoroute 401 alors qu'il circulait sur le terre‑plein de l'autoroute dans l'automobile de Pegg. Une fouille du véhicule permit de retrouver un certain nombre de cartes de crédit et d'autres pièces d'identité au nom de Pegg. L'intimé nia d'abord connaître la victime, mais finit par faire une déclaration à la police indiquant qu'il avait tué Pegg tôt le matin après que celui‑ci lui eut fait des avances sexuelles non sollicitées.

58. Selon la théorie présentée par la poursuite au procès, l'intimé et Pegg étaient des amants homosexuels et la mort de Pegg résulte d'une violente querelle entre eux survenue la nuit précédente. L'intimé a cependant témoigné pour sa propre défense et présenté une version très différente. Il affirme qu'il est allé chez Pegg dans la soirée précédente et s'est endormi sur son sofa. Il a été éveillé vers une heure du matin par Pegg qui lui caressait la poitrine et les jambes sans y avoir été invité. L'intimé affirme que les actes de Pegg l'ont tellement surpris et rendu si furieux qu'il a saisi, sans réfléchir, une hachette qui se trouvait là dans du matériel de camping et l'a brandie en direction de Pegg qui a été atteint à la tête. Au moment où Pegg s'éloignait en titubant, l'intimé est sorti de l'appartement vêtu de seulement ses sous‑vêtements.

59. Selon le témoignage de l'intimé, il est revenu quelques minutes plus tard dans l'appartement pour voir comment allait Pegg. En entrant dans l'appartement il l'a vu debout, le téléphone à la main. Pegg a dit qu'il allait le tuer. L'intimé a alors saisi deux couteaux sur le comptoir de la cuisine et, au moment où la victime s'avançait lentement vers lui, il l'a poignardée à deux reprises à la poitrine. L'intimé ne peut se rappeler avoir poignardé Pegg une troisième fois, mais il a témoigné qu'entre le premier et le deuxième coup, Pegg a cherché à se relever et que, à demi assis, il a menacé à nouveau de le tuer. Après avoir poignardé Pegg, l'intimé lui a pris ses clés et son porte‑monnaie dans la chambre à coucher, s'est rhabillé et s'est enfui dans la voiture de Pegg. Il a déclaré qu'il était dans un état de choc au moment où il conduisait la voiture sur le terre‑plein de l'autoroute 401, hanté par le spectre terrifiant du visage de Pegg qui s'avançait vers lui dans l'appartement.

2. Les cours d'instance inférieure

60. L'intimé a subi son procès relativement à une accusation de meurtre en Cour suprême de l'Ontario devant le juge Walsh et un jury. Il a invoqué les moyens de défense de légitime défense et de provocation. L'intimé a été déclaré coupable de l'infraction moindre de meurtre au second degré.

61. Au sujet de la défense de provocation, le juge Walsh a instruit les jurés de la façon habituelle, indiquant que dans la première partie de leur analyse ils devaient être convaincus que l'acte de l'intimé satisfaisait au critère de la norme objective de conduite qu'on peut attendre d'une "personne ordinaire" et que, s'ils en étaient convaincus, ils pouvaient ensuite tenir compte de l'aspect subjectif de savoir si l'intimé avait réellement été provoqué et avait, en réalité, agi à cause de cette provocation avant d'avoir le temps de reprendre son sang‑froid. Dans ses directives au jury sur le sens de "personne ordinaire" du par. 215(2) du Code criminel, le juge Walsh a dit:

[TRADUCTION] D'abord, les mots mêmes doivent être de nature à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser. En analysant cette partie du moyen de défense, vous ne devez pas tenir compte du profil mental particulier de l'accusé; en effet la norme est celle d'une personne ordinaire. Vous vous demanderez si les mots ou les actes dans ce cas‑ci auraient amené une personne ordinaire à perdre le pouvoir de se maîtriser.

Il a ajouté ensuite:

[TRADUCTION] Si vous concluez qu'ils étaient suffisants, vous vous demanderez ensuite si l'accusé a agi sous l'impulsion d'une provocation sans avoir eu le temps de reprendre son sang‑froid. Pour trancher cette question, vous n'êtes pas limités par la norme de la personne ordinaire. Vous tiendrez compte des caractéristiques mentales, émotives et physiques de cet accusé et de son âge.

62. L'avocat de l'intimé a contesté la formulation de la première partie du moyen de défense de provocation en ce qu'elle n'indiquait pas clairement aux jurés que la "personne ordinaire" dont ils devaient considérer la réaction était une personne ordinaire du même âge et du même sexe que l'accusé. Le juge Brooke, dans les brefs motifs oraux qu'il a rendus pour la Cour d'appel à l'unanimité, a accueilli l'appel et ordonné un nouveau procès. À son avis, l'omission du juge du procès d'exposer au jury que la norme objective de la "personne ordinaire" doit tenir compte de l'âge et du sexe de l'accusé équivalait à une directive erronée. Selon les directives du juge du procès au jury, celui‑ci ne pouvait tenir compte de l'âge et du sexe de l'intimé qu'à la deuxième étape de l'analyse du moyen de défense de provocation, après qu'il eût conclu que la personne ordinaire aurait pu avoir des réactions plus mûres et plus sereines que l'intimé. La défense avait subi un préjudice grave et la déclaration de culpabilité ne pouvait être maintenue.

3. Le critère objectif

63. La question centrale que soulève le présent pourvoi est de savoir comment formuler le critère objectif du moyen de défense de provocation et dans quelle mesure on peut tenir compte des caractéristiques propres à chaque accusé. Le paragraphe 215(2) du Code dispose simplement que l'incident qui donne lieu à la provocation doit être «de telle nature qu'[il] suffise à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser ...» Cette disposition législative plutôt sybilline exige qu'on ait recours à l'interprétation si on veut atteindre le but que le législateur est censé avoir recherché en exigeant que la conduite de l'accusé soit évaluée en fonction de celle d'une "personne ordinaire". Quelle est la raison d'être du critère objectif?

64. Comme la norme de la "personne raisonnable" en responsabilité délictuelle, la mention de la "personne ordinaire" au par. 215(2) concrétise l'idée que les actes qui ne satisfont pas à la norme applicable sont considérés comme répréhensibles, que le prévenu ou l'accusé ait ou non la capacité de satisfaire à cette norme. Ainsi, dans l'arrêt de principe en matière de négligence Vaughan v. Menlove (1837), 3 Bing. N.C. 468 (C.P.), il a été jugé qu'on ne peut invoquer l'imbécillité naturelle du défendeur comme moyen de défense en responsabilité délictuelle puisque le défendeur a envers son prochain une obligation de diligence indépendamment de son aptitude personnelle à être raisonnable. De même dans le domaine de la responsabilité criminelle, on a jugé dans l'arrêt de principe R. v. Lesbini (1914), 11 Cr. App. R. 7 (C.A.), qu'on ne peut tenir compte de la déficience mentale de l'accusé dans l'analyse du moyen de défense de provocation puisque, hormis le cas d'aliénation mentale, la loi impose la responsabilité entière à l'égard des actes répréhensibles intentionnels, sauf dans les situations de provocation où une personne ordinaire n'aurait pas agi autrement.

65. L'imbécillité n'est certes pas le seul trait de caractère subjectif dont on ne peut tenir compte pour évaluer les actes de l'accusé en fonction de la norme objective de conduite. Les tribunaux anglais et canadiens ont examiné et rejeté presque toute la gamme des traits de caractère comme facteurs applicables à la provocation. Ainsi, dans l'arrêt Salamon v. The Queen, [1959] R.C.S. 404, il a été décidé que le tempérament de l'accusé et son profil psychologique particulier n'étaient pas pertinents pour déterminer s'il avait satisfait à la norme objective exigée de tous. De même, l'excitabilité inhabituelle de l'accusé et sa propension aux mouvements de colère n'ont pas été considérées comme des facteurs dont le jury pouvait tenir compte dans l'arrêt Mancini v. Director of Public Prosecutions, [1942] A.C. 1 (H.L.) On a exclu la tendance à des accès de rage causés par l'ivresse des éléments qui composent la norme de conduite de la "personne ordinaire" dans l'arrêt Wright v. The Queen, [1969] R.C.S. 335. Comme le juge Laycraft l'a indiqué récemment dans l'arrêt R. v. Daniels (1983), 7 C.C.C. (3d) 542 (C.A.T.N.‑O.), à la p. 551, si ces diverses facultés mentales et émotives ou traits de caractère étaient attribués à la "personne ordinaire" et pris en considération par le jury à la première étape de l'analyse du moyen de défense de provocation, [TRADUCTION] "le critère se trouverait dénué d'objectivité".

66. En conséquence, on peut dire que la norme objective existe dans le but d'assurer que, à l'occasion de l'évaluation du moyen de défense de provocation, il n'y a pas de variation de la norme de maîtrise de soi en vertu de laquelle les accusés sont jaugés. Les principes de fond sont ceux d'égalité et de responsabilité individuelle, de sorte que tous sont tenus à la même norme, indépendamment de leurs traits de caractère distinctifs et de leurs diverses facultés à satisfaire à la norme. Le moyen de défense de provocation réussira si l'on prouve que l'acte de l'accusé est un acte qu'une personne ordinaire aurait pu faire dans les circonstances et non si on attire la compassion de la cour sur un accusé dont l'acte était injustifié mais qui n'a pu se maîtriser de la façon dont une personne ordinaire l'aurait fait. Il est évident que toute dérogation à cette norme objective en fonction de laquelle le degré de maîtrise de soi de l'accusé est jaugé amène nécessairement un élément d'inégalité dans la façon dont les actes de différentes personnes sont évalués. Il faut donc éviter ces dérogations si on veut maintenir le principe fondamental que tous les êtres sont également responsables de leurs actes.

67. Une question plus difficile surgit lorsqu'il s'agit de savoir si les caractéristiques physiques de l'accusé peuvent entrer en ligne de compte et si l'on peut les incorporer à la norme objective. Il s'agit d'une question épineuse sur laquelle la jurisprudence anglaise et la jurisprudence canadienne sont divisées. Dans l'arrêt Bedder v. Director of Public Prosecutions, [1954] 1 W.L.R. 1119 (H.L.), on a statué que le jury ne pouvait tenir compte d'une caractéristique purement physique de l'accusé en appliquant le critère objectif à la conduite de l'accusé. Dans cette affaire‑là, l'accusé était impuissant et avait été ridiculisé par une prostituée parce qu'il était incapable d'avoir des relations sexuelles avec elle. La Chambre des lords a conclu que l'impuissance n'était pas une infirmité dont la "personne ordinaire" est affligée et qu'à ce titre elle ne pouvait entrer en ligne de compte dans une évaluation objective de la réaction de l'accusé aux sarcasmes de la victime. Le juge en chef Culliton a suivi un raisonnement semblable dans l'arrêt R. v. Parnerkar (1971), 5 C.C.C. (2d) 11 (C.A. Sask.), confirmé par le juge en chef Fauteux dans l'arrêt Parnerkar c. La Reine, [1974] R.C.S. 449. Dans cette affaire‑là, on a écarté l'origine ethnique de l'accusé comme facteur dont on pouvait tenir compte à l'étape objective de l'examen du moyen de défense fondé sur la provocation. L'accusé, un noir, avait été insulté par une remarque raciste d'une femme qu'il fréquentait depuis longtemps et qu'il se proposait d'épouser. Le juge en chef Culliton a indiqué à la p. 27 que, bien que l'emploi méprisant du mot [TRADUCTION] "noir" ait pu avoir une signification particulière pour l'accusé à cause de son origine ethnique, on ne peut pas dire que cette expression soit de nature à priver une "personne ordinaire" de la maîtrise d'elle‑même.

68. On peut mettre ces arrêts en opposition avec l'arrêt de la Chambre des lords Director of Public Prosecutions v. Camplin, [1978] A.C. 705, dans lequel on a statué que l'âge de l'accusé était un facteur dont on pouvait tenir compte. Comme en l'espèce, l'accusé Camplin était un jeune homme victime d'une agression homosexuelle. Son agresseur l'a par la suite ridiculisé; il a alors perdu la maîtrise de lui‑même et lui a assainé un coup mortel de poêle à chapati. Lord Diplock a indiqué que le jury pouvait tenir compte de l'âge de l'accusé en attribuant cette caractéristique à la "personne ordinaire". Ce faisant, il indique expressément à la p. 717 que le jury peut considérer l'âge à deux fins distinctes, savoir (1) dans le but de [TRADUCTION] "évaluer la gravité de la provocation infligée à l'accusé" et (2) dans le but de [TRADUCTION] "déterminer le degré de maîtrise de soi qu'une personne ordinaire devrait avoir et à laquelle la conduite de l'accusé doit être comparée". En d'autres termes, l'arrêt Camplin permettrait de tenir compte d'une caractéristique physique particulière, comme l'âge de l'accusé, dans le but d'évaluer la gravité de la provocation. Il permettrait également de tenir compte de caractéristiques mentales ou traits de personnalité particuliers, comme l'immaturité de l'accusé, dans le but de déterminer la norme de maîtrise de soi en fonction de laquelle il faut évaluer sa conduite. Le premier point affaiblit la jurisprudence conforme aux arrêts Bedder et Parnerkar alors que le second tend à affaiblir l'objectivité de la norme de la "personne ordinaire" exprimée par les arrêts Lesbini, Salamon et Wright.

69. Le problème de la jurisprudence conforme aux arrêts Bedder et Parnerkar est, d'après moi, qu'elle semble supposer que des insultes provocantes se produisent dans le vide et qu'en conséquence il n'est pas nécessaire de tenir compte des faits relatifs à l'accusé pour évaluer sa réaction à une insulte. Cela n'est cependant pas conforme à la réalité puisqu'il faut replacer une remarque ou un geste insultant dans son contexte avant de pouvoir en évaluer le caractère provoquant de façon réaliste. Comme lord Diplock l'a dit dans l'arrêt Camplin, précité, à la p. 717:

[TRADUCTION] Le jury peut bien considérer que railler une personne à cause de sa race, de ses infirmités physiques ou de quelque incident honteux de sa vie passée est plus insultant pour la personne visée, même si elle est de tempérament très égal, si les faits sur lesquels la raillerie se fonde sont vrais que s'ils ne le sont pas. Ce serait rétablir presque toute la dureté antérieure de la common law que d'écarter la possibilité qu'une provocation verbale puisse réduire le meurtre à un homicide involontaire coupable si les membres du jury ne pouvaient pas tenir compte de tous les facteurs qui, à leur avis, ont eu un effet sur la gravité des railleries ou des insultes compte tenu de la personne visée.

Une insulte raciste lancée à quelqu'un qui appartient au groupe calomnié est manifestement plus blessante que si elle est adressée à une "personne ordinaire" qui n'appartient pas à ce groupe. Dans l'arrêt Daniels, précité, par exemple, dans laquelle l'accusée était une femme qui avait poignardé la maîtresse de son mari au cours d'une altercation, le jury a manifestement dû tenir compte du contexte concret au point de reconnaître que le mariage de l'accusée avait été rompu par la victime même si, selon le raisonnement des arrêts Bedder et Parnerkar, on pourrait dire qu'une "personne ordinaire" n'est pas mariée à M. Daniels et n'aurait pas en conséquence été touchée par les paroles offensantes de sa maîtresse.

70. Il apparaît qu'il faut tenir compte de certaines caractéristiques de l'accusé et de sa situation, qu'il s'agisse de traits propres à la vie de l'accusé, d'éléments de sa culture ou de traits physiques que l'insulte particulière vise. Ce recours aux caractéristiques de l'accusé n'amoindrit pas, à mon avis, la norme objective parce qu'il a lieu dans le seul but de mettre l'insulte dans son contexte et d'en évaluer la gravité. Un certain type de raillerie ou de remarque ironique peut avoir un sens pour un adolescent et n'en pas avoir pour un adulte. Seul un jury qui connaissait la race de l'accusé pouvait percevoir l'aspect insultant de l'affront fait à l'accusé dans l'affaire Parnerkar. Tenir compte de ces facteurs dans le seul but de mettre l'insulte provocante dans son contexte n'amoindrit pas la norme objective ni les principes d'égalité et de responsabilité individuelle sur lesquels elle se fonde.

71. Par contre, on aurait certainement amoindri le principe d'égalité si, dans l'affaire Parnerkar, le jury avait reçu comme directive d'évaluer l'accusé en fonction d'une norme de conduite particulière à sa race. Alors qu'il est permis de tenir compte de facteurs comme l'origine ethnique, une infirmité physique ou une difficulté de langage d'un accusé pour placer l'insulte dans son contexte, ce serait manquer au principe d'égalité d'affirmer qu'il faut évaluer la réaction d'un membre d'un groupe ethnique ou linguistique déterminé à une réflexion insultante en fonction de normes différentes de celles qui s'appliquent aux autres personnes. De même, le principe de responsabilité individuelle serait amoindri si dans l'affaire Bedder, le jury avait reçu instruction d'inventer une norme spéciale de conduite pour jauger les actes d'une personne affligée de précisément le même handicap physique que Bedder. Ainsi, on n'excuse pas les impuissants d'avoir un seuil de réaction à la provocation moins élevé que celui des gens "ordinaires", mais ils sont évalués en fonction de la norme d'une personne ordinaire placée dans une situation semblable et soumise à une insulte semblable. La norme objective s'applique aux états mentaux plutôt qu'aux caractéristiques, qui servent uniquement à mettre l'insulte dans son véritable contexte. En conséquence, la formulation la plus appropriée de la norme objective à la première étape de l'analyse du moyen de défense de provocation est celle de la personne ordinaire placée dans une situation semblable et soumise à une insulte semblable. Il faut indiquer aux jurés de se mettre, en tant qu'incarnation de la personne ordinaire, à la place de l'accusé pour qu'ils se sentent soumis à une réflexion qui a le même effet offensant sur eux que la réflexion réelle lancée à l'accusé.

72. On remarquera que cette formulation constitue une version modifiée de la règle établie dans l'arrêt Camplin. Comme je l'ai indiqué plus tôt, lord Diplock a accepté de considérer l'âge de l'accusé comme une caractéristique de la "personne ordinaire" non seulement dans le but de mettre l'insulte dans son contexte, mais aussi dans le but d'établir la norme de maîtrise de soi en fonction de laquelle l'adolescent défendeur devait être jugé. Il a expressément formulé cette exception à la norme objective comme une excuse fondée sur la compassion que les tribunaux doivent manifester envers un accusé qui ne peut satisfaire à la norme requise de maîtrise de soi lorsque la norme objective habituelle est appliquée. Selon la terminologie connue employée par lord Diplock (à la p. 717): [TRADUCTION] «Mais exiger de vieilles têtes sur de jeunes épaules est incompatible avec la compassion de la justice envers la fragilité humaine ...» Il est évident qu'on ne peut formuler ce raisonnement comme un principe universellement applicable puisque le traitement spécial accordé à un accusé qui, pour quelque motif, suscite la compassion du tribunal, constitue nécessairement une violation des principes sous‑jacents d'égalité et de responsabilité individuelle.

73. L'intimé en l'espèce soutient qu'il devrait être permis au jury de tenir compte à la fois de son âge et de son sexe pour évaluer sa réaction aux avances sexuelles non recherchées de la victime. La question à laquelle il faut répondre est donc de savoir si ce sont là des facteurs physiques qui ont trait au contexte de l'insulte ou des facteurs qui ont trait à l'état mental subjectif de l'accusé.

a) L'âge

74. Je crois que l'intimé soutient que son âge est directement relié à son état mental parce que sa réaction aux avances sexuelles offensantes a été celle d'une personne qui manque de maturité. Donc, en fait, il soutient qu'on ne peut exiger des jeunes de seize ans le même niveau de maîtrise de soi que d'une "personne ordinaire" qui a plusieurs années de plus. Il demande que les jeunes accusés soient traités différemment et ne soient pas tenus responsables de leurs actes de la même façon que les accusés plus âgés. Y a‑t‑il quelque motif de principe ou de politique pour exclure l'âge de l'analyse précédente et permettre que la jeunesse d'un accusé détermine la norme de maîtrise de soi qu'on peut attendre de lui?

75. Les principes juridiques sur cette question semblent passablement équivoques. L'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés interdit toute discrimination en raison de l'âge, ce qui démontre en un certain sens qu'indépendamment de leur âge, les personnes jouissent des mêmes garanties juridiques et ont les mêmes responsabilités juridiques dans la société. D'autre part, le système juridique a traditionnellement fait une différence entre les enfants et les adultes de sorte que les enfants n'ont ni le droit de voter, ni le droit de consommer des boissons alcooliques etc. Cette Cour a même statué qu'imposer des peines différentes aux jeunes délinquants et aux adultes pour des infractions criminelles ne violent pas le droit à l'égalité devant la loi garanti par la Déclaration canadienne des droits: R. c. Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693. On peut opposer cette position à l'interprétation donnée au droit à l'égalité dans l'arrêt R. c. Drybones, [1970] R.C.S. 282, dans lequel on a jugé que ces différenciations entre différents groupes ethniques n'étaient pas permises.

76. Cette consécration juridique de droits et de responsabilités réduits impartis aux enfants se trouve ordinairement dans les lois et se justifie souvent par des considérations de principe qui visent à protéger les jeunes de leurs propres actes et des actes des autres ou de protéger les autres des actes des jeunes. On peut considérer que des dispositions législatives comme l'interdiction faite aux mineurs de consommer des boissons alcooliques, les lois relatives au travail des jeunes, qui établissent un âge minimum d'emploi à plein temps, et la réglementation relative aux permis de conduire, qui restreint aux personnes ayant atteint un certain âge le droit de conduire, appartiennent à cette catégorie. De plus, on trouve dans le droit des indications que l'attribution aux enfants de droits réduits relève d'autre chose que de la politique législative courante et constitue un principe sur lequel repose une grande partie de la pensée de la common law. Par exemple, depuis l'époque la plus lointaine, la common law a considéré que les enfants n'avaient pas la capacité de contracter: Wittingham v. Hill (1619), Cro. Jac. 494; 79 E.R. 421. De même, la norme de diligence en matière de responsabilité a été adaptée de sorte que les enfants ne soient pas jugés en fonction de la même norme objective que les adultes: McEllistrum v. Etches, [1956] R.C.S. 787. Donc, dans divers contextes, le droit reconnaît l'incapacité des enfants d'agir de façon tout à fait rationnelle et responsable et s'est abstenu en conséquence de leur appliquer rigoureusement les principes d'égalité et de responsabilité individuelle qu'il applique aux adultes.

77. Le Parlement s'est d'une certaine façon penché sur la responsabilité juridique des enfants à l'égard de leurs actes en adoptant la Loi sur les jeunes contrevenants, 1980‑81‑82‑83 (Can.), chap. 110. Les personnes qui n'ont pas atteint les âges déterminés et qui sont inculpées d'infractions criminelles sont soustraites au processus judiciaire normal et confiés à des tribunaux spécialement créés à cette fin. La Loi est cependant muette sur la façon dont il faut traiter les enfants qui ne relèvent pas de ses dispositions qui créent des procédures spéciales. Plus précisément, elle ne se penche pas sur l'hésitation que le droit a toujours eu de soumettre les jeunes, qui à de nombreux égards ne sont pas sur un pied d'égalité avec les adultes quant à leurs droits et à leurs responsabilités légales, à une norme de conduite qui incarne cette notion précise d'égalité de responsabilité. En conséquence, bien que cette loi soustraie complètement certains enfants au processus ordinaire de justice pénale, elle ne répond pas à la question de savoir comment il faut évaluer les actes des jeunes qui sont soumis aux tribunaux criminels ordinaires.

78. À mon avis, si le système juridique doit refléter fidèlement la conception selon laquelle les enfants traversent divers stades d'évolution en cheminant vers l'exercice complet de leurs capacités d'adulte, la norme en fonction de laquelle les actes des enfants s'évaluent doit aussi évoluer de manière à logiquement atteindre la norme objective de la personne ordinaire lorsqu'ils atteignent l'âge adulte. En droit de la responsabilité par exemple, tandis qu'un enfant en très bas âge n'est soumis à presque aucune responsabilité légale pour ses actes (Walmsley v. Humenick, [1954] 2 D.L.R. 232 (C.S.C.‑B.)) on s'attend à ce que des enfants plus âgés se conforment à la norme applicable à des enfants ordinaires du même âge: voir Fleming, The Law of Torts (6th ed. 1983), pp. 107 et 108. En conséquence, on a statué que la norme de diligence applicable aux enfants n'est objective qu'en partie en ce qu'elle doit être modifiée progressivement en fonction de l'âge de l'enfant en cause: McHale v. Watson (1966), 115 C.L.R. 199 (Aust. H.C.) Bien sûr il faut qu'à un moment donné cela prenne fin de sorte que la norme objective complète de la personne ordinaire s'applique. Jusqu'à ce que ce point soit atteint, il va sans dire que la norme juridique de responsabilité réduite à laquelle les enfants sont tenus correspond à la norme semi‑objective des enfants de treize ans, de quatorze ans, etc.

79. Si l'on applique ce raisonnement à l'espèce, la norme de la personne ordinaire applicable aux adultes qui invoquent le moyen de défense de provocation doit être modifiée d'une façon graduelle qui tient compte de la responsabilité réduite du jeune accusé. La norme de maîtrise de soi vraiment applicable à l'intimé est donc celle de l'adolescent ordinaire âgé de seize ans. Cette règle n'est cependant pas fondée en principe sur ce que lord Diplock appelle la [TRADUCTION] "compassion de la justice pour la fragilité humaine" puisqu'à mon avis une telle compassion n'a sa place que dans le processus relatif à la sentence. L'inclusion de l'âge de l'accusé dans la norme objective de la "personne ordinaire" tend plutôt à tenir compte de l'étendue des droits et des obligations juridiques des enfants dans le système juridique. Le droit traite toutes les personnes sur un pied d'égalité comme membres de la société et les soumet aux mêmes responsabilités pour leurs actes, excepté dans la mesure où ils sont en train d'évoluer vers la maturité totale d'adulte, la pleine jouissance de leurs droits et la pleine responsabilité de leurs actes. Ce processus de maturation vers la responsabilité totale de participants au système juridique se manifeste dans la mesure graduelle de responsabilité légale imputée aux jeunes accusés pour leurs actes.

b) Le sexe

80. L'argument relatif au sexe de l'accusé est un peu différent. On n'a pas soutenu que les personnes de sexes différents devraient être tenues à des normes différentes de maîtrise de soi. Cela serait manifestement inacceptable. L'argument veut plutôt qu'on puisse tenir compte du sexe de l'accusé dans le but de situer l'acte préjudiciable ou l'insulte dans son contexte et, selon l'expression de lord Diplock dans l'arrêt Camplin, [TRADUCTION] "évaluer la gravité de la provocation infligée à l'accusé". Il me semble que si le critère objectif est, comme je l'ai conclu, la "personne ordinaire" placée dans une situation semblable et soumise à une insulte semblable, alors le fait que la victime de l'agression sexuelle, l'accusé, est une personne de sexe masculin et qu'il s'agit d'une agression homosexuelle peuvent validement entrer en ligne de compte.

4. Conclusions

81. (1) En général, on peut tenir compte des caractéristiques particulières de l'accusé et des circonstances dans lesquelles il se trouve pour appliquer le critère objectif de la "personne ordinaire" à la première étape de l'analyse du moyen de défense de provocation, seulement dans le but de placer l'action injuste ou l'insulte dans leur véritable contexte afin d'en évaluer la gravité. On ne peut amoindrir les principes sous‑jacents d'égalité et de responsabilité individuelle en incorporant le niveau subjectif de maîtrise de soi de l'accusé dans le critère de la "personne ordinaire" énoncé au par. 215(2) du Code criminel. Il faut dire au jury qu'il doit tenir compte de tous les faits qui lui permettent de comprendre l'action injuste ou l'insulte de la même manière que l'accusé l'a comprise et puis, après avoir évalué le contexte réel dans lequel l'action injuste ou l'insulte s'est produite, qu'il doit jauger la réaction de l'accusé à cette insulte en fonction de la norme objective de la personne ordinaire placée dans une situation semblable et soumise à une insulte semblable.

82. (2) La Cour d'appel de l'Ontario a eu raison d'identifier le jeune âge de l'intimé comme un facteur spécial qui pouvait entrer dans la norme de la "personne ordinaire". Cet abaissement de la norme en fonction de laquelle les jeunes accusés sont jaugés est simplement une manifestation du fait que le droit n'impute pas aux personnes en train d'évoluer vers la maturité le même degré de responsabilité qu'il impute aux personnes tout à fait adultes. L'ajustement graduel de la norme de la "personne ordinaire" selon l'âge de l'accusé rend bien compte de ce processus d'évolution. De cette façon, les principes fondamentaux d'égalité et de responsabilité individuelle sont incorporés dans la norme d'une manière proportionnelle à l'âge et aux facultés de l'accusé.

83. (3) La Cour d'appel a eu aussi raison de décider qu'on pouvait tenir compte du sexe de l'accusé dans la norme objective, non pas parce qu'on peut attribuer des normes différentes de maîtrise de soi selon le sexe, mais dans le but de placer l'action injuste ou l'insulte dans leur contexte pour en évaluer la gravité. Dans l'évaluation de la réaction de la personne ordinaire à une agression sexuelle, il faut considérer celle de la personne ordinaire de sexe masculin soumise à une agression homosexuelle.

84. En résumé, la formulation appropriée de la norme objective en fonction de laquelle il faut évaluer la réaction de l'intimé à l'action injuste en l'espèce, est la norme de l'adolescent ordinaire de seize ans de sexe masculin soumis à une agression homosexuelle. Le jury a bien pu, compte tenu des directives du juge et de l'état actuel de la jurisprudence au Canada, rejeter la défense de l'intimé parce qu'il a évalué sa conduite en fonction d'une norme plus élevée. Je suis d'accord avec la Cour d'appel pour dire que, dans ces circonstances, la déclaration de culpabilité ne saurait être confirmée.

85. Je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

Version française des motifs rendus par

86. Le Juge Le Dain (dissident)—Je suis d'avis de rejeter le pourvoi étant donné que la jeunesse de l'accusé est pertinente pour le jury lorsqu'il examine s'il y a eu une action injuste ou une insulte de telle nature qu'elle suffise à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser, et que l'exposé du juge du procès au jury visait à amener ce dernier à conclure qu'il ne devait pas tenir compte de l'âge de l'accusé à l'égard de cette exigence du par. 215(2) du Code criminel, mais seulement à l'égard de l'exigence voulant que l'accusé ait agi sous l'impulsion du moment et avant d'avoir eu le temps de reprendre son sang‑froid.

87. À mon avis, l'âge de l'accusé est pertinent dans une affaire comme la présente relativement à la norme de maîtrise de soi de la personne ordinaire plutôt que relativement à la gravité de la provocation. Avec égards, il me semble que c'est le point de vue de lord Diplock dans l'arrêt Director of Public Prosecutions v. Camplin, [1978] A.C. 705. Je pense que cela ressort clairement de l'emploi par lord Diplock des expressions [TRADUCTION] "pouvoir de se maîtriser" et "norme de maîtrise de soi" en association avec l'âge de l'accusé aux pp. 717 et 718 et, en particulier, de la façon dont il décrit à la p. 718 ce que doit être la directive du juge aux jurés: [TRADUCTION] «Il doit alors leur expliquer que l'homme raisonnable mentionné dans la question est une personne qui a le pouvoir de se maîtriser que l'on attend d'une personne ordinaire du sexe et de l'âge de l'accusé mais qui, par ailleurs, a en commun avec l'accusé des caractéristiques qui, selon eux, affecteraient la gravité de la provocation à son endroit ...» Avec égards, je me borne à accepter la raison ou la justification suggérée par lord Diplock pour considérer que la jeunesse d'un accusé est pertinente relativement à la norme de maîtrise de soi de la personne ordinaire.

88. Je suis cependant d'accord avec le juge Wilson pour dire que le sexe n'est pas pertinent relativement à la norme de maîtrise de soi de la personne ordinaire, mais qu'il l'était manifestement en l'espèce relativement à la nature et à la gravité de la provocation invoquée par l'accusé.

89. Mes collègues ont cité les passages utiles de l'exposé du juge au jury. Les mots cruciaux pour les fins du pourvoi sont ceux qu'on trouve dans la directive à propos de l'exigence selon laquelle l'accusé doit avoir agi sous l'impulsion du moment et avant d'avoir eu le temps de rependre son sang‑froid. Après avoir dit au jury qu'il doit d'abord décider si les mots et les actes [TRADUCTION] "étaient suffisants pour qu'une personne ordinaire perde le pouvoir de se maîtriser", le juge du procès a ajouté: [TRADUCTION] "Si vous concluez qu'ils étaient suffisants, vous vous demanderez ensuite si l'accusé a agi sous l'impulsion d'une provocation sans avoir eu le temps de reprendre son sang‑froid. Pour trancher cette question vous n'êtes pas limités par la norme de la personne ordinaire. Vous tiendrez compte des caractéristiques mentales, émotives et physiques de cet accusé et de son âge." Avec grands égards pour ce que dit le Juge en chef à propos du bon sens du jury moyen, je ne peux pas éviter de conclure qu'il découle clairement de cette directive que l'âge de l'accusé ne devrait pas entrer en ligne de compte pour décider s'il y avait eu une action injuste ou une insulte de telle nature qu'elle suffise à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser. L'autre mention de l'âge plus loin dans l'exposé (qu'on doit, à cause de ce qui la précédait, considérer également reliée à l'exigence selon laquelle l'accusé doit avoir réagi à la provocation sous l'impulsion du moment et avant d'avoir eu le temps de reprendre son sang‑froid) ne pouvait que servir à renforcer cette impression ou, à tout le moins, à créer une certaine confusion chez le jury quant à la pertinence de l'âge. Ceci suffit à mon avis pour trancher le pourvoi. C'est une chose d'examiner si le juge du procès devait mentionner la pertinence de l'âge de l'accusé dans son exposé au jury; c'en est une autre d'examiner si la mention qu'il en a effectivement faite était trompeuse.

90. Quant à ce que le juge du procès devait dire, le cas échéant, au sujet de l'âge et du sexe de l'accusé, je suis globalement enclin à être d'accord avec le Juge en chef, mais avec certaines réserves sur la question de l'âge. Le sexe de l'accusé et sa pertinence relativement à la gravité de la provocation invoquée étaient, bien sûr, évidents et ne nécessitaient pas de commentaires de la part du juge du procès. La jeunesse relative de l'accusé était aussi probablement évidente, mais sa pertinence, en droit, relativement à la question de savoir s'il y avait eu une action injuste ou une insulte d'une nature telle qu'elle suffise à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser, pouvait être moins évidente pour un jury et aurait probablement dû être portée à son attention.

91. Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi accueilli, les juges Lamer, Wilson et Le Dain sont dissidents.

Procureur de l’appelante: Ministre du Procureur général, Toronto.

Procureurs de l’intimé: O'Hara, Cromwell & Wilkin, Kingston.


Synthèse
Référence neutre : [1986] 1 R.C.S. 313 ?
Date de la décision : 24/04/1986
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit criminel - Provocation - Norme de la «personne ordinaire» - Une «personne ordinaire» désigne‑t‑elle une personne ordinaire du même âge et du même sexe que l’accusé? - La norme a‑t‑elle été correctement et clairement expliquée dans l’exposé au jury? - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 215(1), (2).

L'intimé a été déclaré coupable de meurtre au deuxième degré pour avoir mortellement poignardé quelqu'un. Il était âgé de seize ans au moment de l'incident et a témoigné qu'il avait réagi aux avances sexuelles non sollicitées de la victime. Il a invoqué les moyens de défense de provocation et de légitime défense. La Cour d'appel a ordonné un nouveau procès parce que le juge du procès n'a pas expliqué au jury que la norme objective de la "personne ordinaire" dans la défense de provocation devait tenir compte de l'âge et du sexe de l'accusé. La question principale en l'espèce est de savoir de quelle manière devait être formulé le critère objectif de la défense de provocation et dans quelle mesure on devait tenir compte des caractéristiques particulières de la personne accusée.

Arrêt (les juges Lamer, Wilson et Le Dain sont dissidents): Le pourvoi est accueilli.

Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, Chouinard et La Forest: L'exposé du juge du procès au jury sur la norme de la personne ordinaire dans la défense de provocation était conforme aux exigences du Code criminel et correcte en droit. Il n'était pas nécessaire d'expliquer au jury que la personne ordinaire désigne une personne ordinaire du même âge et du même sexe que l'accusé.

La personne ordinaire ou raisonnable a un tempérament normal et un niveau normal de maîtrise de soi, et n'est pas exceptionnellement excitable ou querelleuse ni dans un état d'ébriété. Pour ce qui est des autres caractéristiques de la personne ordinaire, le "bon sens collectif" du jury l'amènera à attribuer à la personne ordinaire toutes les caractéristiques générales pertinentes relativement à la provocation en question. Étant donné les caractéristiques comme le sexe, l'âge ou la race n'empêchent pas qu'une personne puisse être qualifiée d'ordinaire, certaines caractéristiques qui ne sont ni particulières ni une idiosyncrasie peuvent être attribuées à une personne ordinaire sans bouleverser la logique du critère objectif. Il serait impossible d'imaginer une personne ordinaire sans sexe ou sans âge. Toutefois, le critère central est la pertinence de la caractéristique particulière à l'égard de la provocation en question.

Il faut souligner que le juge du procès n'est pas tenu, dans chaque cas, de dire aux jurés quelles caractéristiques précises doivent être attribuées à la personne ordinaire. En appliquant leur bon sens à la détermination factuelle du critère objectif, les jurés vont tout naturellement et correctement attribuer certaines caractéristiques à la "personne ordinaire".

Le second critère de la provocation comporte une évaluation de ce qui s'est réellement passé dans l'esprit de l'accusé. Le juge du procès doit expliquer clairement au jury que sa fonction à ce stade est d'examiner si l'accusé agissait en fait par suite d'une provocation. À cet égard, le juge du procès peut désirer rappeler aux jurés qu'ils ont le droit de tenir compte de l'état mental de l'accusé et de son profil psychologique.

Le juge du procès n'a commis aucune erreur en omettant de préciser que la personne ordinaire, aux fins du critère objectif de la provocation, est présumée être du même âge et du même sexe que l'accusé. Il n'est ni sage ni nécessaire d'en faire une composante obligatoire de tous les exposés au jury portant sur la provocation. Les directives du juge du procès sur le volet subjectif de la défense de provocation n'auraient pas trompé le juré moyen en ce qui a trait au critère objectif pris dans le contexte de l'ensemble de l'exposé.

Le juge McIntyre: L'article 215 du Code criminel établit la norme de la personne ordinaire en tant que norme applicable à tous pour déterminer ce qui constitue la provocation. Cette norme désigne une personne ordinaire de l'un ou l'autre sexe, qui n'est pas exceptionnellement excitable ou querelleuse, mais qui possède les pouvoirs de se maîtriser ce que toute personne a le droit d'attendre de ses concitoyens dans la société actuelle. Si la conduite qu'on prétend provocatrice ne fait pas perdre à cette personne ordinaire "le pouvoir de se maîtriser", on ne peut appliquer le moyen de défense. Toutefois, lorsque cette étape préliminaire est franchie, l'acte satisfait au critère de la provocation et on peut prendre la défense en considération. Si l'accusé a été privé du pouvoir de se maîtriser par cette provocation et qu'il a agi sous l'impulsion du moment et avant d'avoir eu le temps de reprendre son sang‑froid, le moyen de défense s'applique. En faisant cette dernière détermination, le jury applique le critère subjectif et considère les caractéristiques personnelles de l'accusé qui pouvaient affecter sa réaction à l'action injuste ou à l'insulte.

Le juge Lamer, dissident quant au résultat: Lorsqu'on donne un contenu à la norme de la personne ordinaire, l'âge constitue une considération pertinente lorsque nous avons affaire à un jeune accusé et constituera une considération importante dans le contexte quand un jury évalue la réaction de la personne ordinaire placée dans cette situation. Il n'est pas obligatoire que le juge dise au jury que la personne ordinaire, aux fins du critère objectif de la provocation, est présumée être du même âge et du même sexe que l'accusé. Toutefois dans certains cas, l'omission de le faire pourrait être injuste et constituer une erreur donnant lieu à cassation, non pas parce qu'une règle spéciale s'applique aux exposés sur la provocation, mais plutôt en vertu de la règle générale que l'exposé du juge au jury doit être équitable.

En l'espèce, le juge du procès a commis une erreur lorsqu'il a donné des directives au jury équivalant à exclure l'âge comme un facteur pertinent lors de son examen de la "première partie" du critère de la provocation. Le jury en l'espèce a dû comprendre, d'après l'exposé, que le critère objectif excluait la considération de l'âge, tandis que le critère subjectif ne l'excluait pas et qu'il pouvait tenir compte de l'âge de l'accusé à ce dernier stade.

Le juge Wilson, dissidente: Les traits de caractère subjectifs ne peuvent pas être pris en considération pour mesurer les actes de l'accusé par rapport à la norme objective de la "personne ordinaire" à la première étape de l'analyse de la défense de provocation. Le faire saperait les principes fondamentaux d'égalité et de responsabilité individuelle. Toutefois, on peut tenir compte des caractéristiques physiques de l'accusé et des circonstances dans lesquelles il se trouve pour appliquer le critère objectif de la "personne ordinaire", si elles sont pertinentes pour placer l'action injuste ou l'insulte dans son véritable contexte afin d'en évaluer la gravité. Il faut dire au jury qu'il doit tenir compte de tous les faits qui lui permettent de comprendre l'action injuste ou l'insulte de la même manière que l'accusé l'a comprise et puis, après avoir apprécié le contexte factuel dans lequel cette action injuste ou insulte s'est produite, qu'il doit jauger la réaction de l'accusé à cette insulte en fonction de la norme objective de la personne ordinaire placée dans une situation semblable et soumise à une insulte semblable.

Le système juridique, pour refléter fidèlement la conception selon laquelle les enfants traversent divers stades d'évolution en cheminant vers l'exercice complet de leurs capacités d'adulte, doit jauger leurs actes en fonction d'une norme qu'ils atteignent à l'âge adulte. La norme applicable aux adultes ordinaires doit donc être modifiée d'une façon graduelle qui tient compte de la responsabilité réduite de l'accusé à cause de son âge.

Compte tenu de la norme objective de la "personne ordinaire" placée dans une situation semblable et soumise à une insulte semblable, le fait que la victime de l'agression est une personne de sexe masculin et qu'il s'agit d'une agression homosexuelle peut validement entrer en ligne de compte.

Le juge Le Dain, dissident: La jeunesse de l'accusé est pertinente pour le jury lorsqu'il examine s'il y a eu une action injuste ou une insulte de telle nature qu'elle suffise à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser. L'âge de l'accusé est pertinent relativement à la norme de maîtrise de soi de la personne ordinaire plutôt que relativement à la gravité de la provocation: Director of Public Prosecutions v. Camplin, [1978] A.C. 705. L'exposé du juge du procès au jury visait à amener ce dernier à conclure qu'il ne devait pas tenir compte de l'âge de l'accusé pour ce qui est de savoir s'il y avait eu une action injuste ou une insulte de telle nature qu'elle suffise à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser, mais seulement pour ce qui est de savoir si l'accusé avait agi sous l'impulsion du moment et avant d'avoir eu le temps de reprendre son sang‑froid. Pour ce motif, ce pourvoi doit être rejeté. Quant à savoir si le juge du procès devait dire quelque chose au sujet de l'âge et du sexe de l'accusé: le sexe de l'accusé et sa pertinence relativement à la gravité de la provocation étaient évidents et ne nécessitaient pas de commentaires de la part du juge du procès. La jeunesse relative de l'accusé était aussi probablement évidente, mais sa pertinence, en droit, relativement à la question de savoir s'il y avait eu une action injuste ou une insulte d'une nature telle qu'elle suffise à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser, pouvait être moins évidente pour un jury et aurait probablement dû être portée à son attention.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Hill

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge en chef Dickson
Arrêts examinés: Director of Public Prosecutions v. Camplin, [1978] A.C. 705
Bedder v. Director of Public Prosecutions, [1954] 1 W.L.R. 1119
arrêts mentionnés: R. v. Hayward (1833), 6 C. & P. 157
R. v. Welsh (1869), 11 Cox C.C. 336
R. v. Lesbini (1914), 11 Cr. App. R. 7
Mancini v. Director of Public Prosecutions, [1942] A.C. 1
Taylor v. The King, [1947] R.C.S. 462
Salamon v. The Queen, [1959] R.C.S. 404
Wright v. The Queen, [1969] R.C.S. 335
R. v. Clark (1974), 22 C.C.C. (2d) 1
Parnerkar c. La Reine, [1974] R.C.S. 449, confirmant (1971), 5 C.C.C. (2d) 11
R. v. Hill (1982), 2 C.C.C. (3d) 394
R. v. Daniels (1983), 7 C.C.C. (3d) 542
R. v. McCarthy, [1954] 2 Q.B. 105.
Citée par le juge McIntyre
Arrêts mentionnés: Director of Public Prosecutions v. Camplin, [1978] A.C. 705
Taylor v. The King, [1947] R.C.S. 462
Salamon v. The Queen, [1959] R.C.S. 404
Wright v. The Queen, [1969] R.C.S. 335.
Citée par le juge Wilson (dissidente)
Bedder v. Director of Public Prosecutions, [1954] 1 W.L.R. 1119
Parnerkar c. La Reine, [1974] R.C.S. 449, confirmant (1971), 5 C.C.C. (2d) 11
Director of Public Prosecutions v. Camplin, [1978] A.C. 705
Vaughan v. Menlove (1837), 3 Bing N.C. 468
R. v. Lesbini (1914), 11 Cr. App. R. 7
Salamon v. The Queen, [1959] R.C.S. 404
Mancini v. Director of Public Prosecutions, [1942] A.C. 1
Wright v. The Queen, [1969] R.C.S. 335
R. v. Daniels (1983), 7 C.C.C. (3d) 542
R. c. Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693
R. c. Drybones, [1970] R.C.S. 282
Wittingham v. Hill (1619), Cro. Jac. 494, 79 E.R. 421
McEllistrum v. Etches, [1956] R.C.S. 787
Walmsley v. Humenick, [1954] 2 D.L.R. 232
McHale v. Watson (1966), 115 C.L.R. 199.
Citée par le juge Le Dain (dissident)
Director of Public Prosecutions v. Camplin, [1978] A.C. 705.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 15.
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 215(1), (2), (3), 218(1).
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, app. III.
Homicide Act, 1957 (U.K.), 5 & 6 Eliz. 2, chap. 11, art. 3.
Loi sur les jeunes contrevenants, 1980‑81‑82‑83 (Can.), chap. 110.
Doctrine citée
Fleming, John J. The Law of Torts, 6th ed., Sydney, Law Book Co., 1983.

Proposition de citation de la décision: R. c. Hill, [1986] 1 R.C.S. 313 (24 avril 1986)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1986-04-24;.1986..1.r.c.s..313 ?
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