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31/07/1985 | CANADA | N°[1985]_2_R.C.S._38

Canada | Rousseau c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 38 (31 juillet 1985)


Rousseau c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 38

Paul A. Rousseau Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

et entre

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Paul A. Rousseau Intimé.

Nos du greffe: 17523 et 17530.

1984: 11 décembre; 1985: 31 juillet.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Chouinard, Lamer, Wilson et Le Dain.

en appel de la cour d'appel du québec

Rousseau c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 38

Paul A. Rousseau Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

et entre

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Paul A. Rousseau Intimé.

Nos du greffe: 17523 et 17530.

1984: 11 décembre; 1985: 31 juillet.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Chouinard, Lamer, Wilson et Le Dain.

en appel de la cour d'appel du québec


Synthèse
Référence neutre : [1985] 2 R.C.S. 38 ?
Date de la décision : 31/07/1985
Sens de l'arrêt : Le pourvoi de rousseau est accueilli. le pourvoi du ministère public est rejeté

Analyses

Droit criminel - Appel - Accusé acquitté de complot et d’entrave à la justice - Appel du ministère public limité aux questions de droit - Aucune erreur de droit - Conclusion logique du juge du procès - Code criminel, art. 605(1)a).

Droit criminel — Extorsion — Somme d'argent demandée sans violence ou menaces ne constitue pas de l'extorsion.

L'appelant Rousseau a été accusé (1) d'avoir conspiré avec un policier pour tenter d'entraver la justice, (2) de tentative d'entrave à la justice et (3) d'extorsion. L'accusé, un avocat, représentait trois personnes impliquées dans des vols et des recels, dont deux travaillaient pour la compagnie de sécurité qui était responsable de la protection des commerces où les vols ont eu lieu. La tentative d'entrave à la justice et le complot tiennent du fait que l'accusé se serait entendu avec le policier chargé de l'enquête pour qu'il réduise le nombre des accusations, le tout moyennant le paiement par ses clients d'une somme d'argent. L'accusé aurait commis l'extorsion en demandant à l'avocat de la compagnie de sécurité une somme de 10 000 $ pour éviter toute mauvaise publicité à la compagnie. L'accusé s'engageait à faire régler discrètement les accusations portées contre les employés de la compagnie. Le juge de la Cour des sessions de la paix a acquitté l'accusé des trois chefs d'accusation. Le premier juge n'a pas été convaincu hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé. La Cour d'appel a accueilli l'appel de la poursuite quant au premier chef d'accusation seulement et a déclaré l'accusé coupable de complot. Rousseau en appelle de la décision de la Cour d'appel relative au premier chef d'accusation; la poursuite en fait autant pour ce qui est du deuxième et du troisième.

Arrêt: Le pourvoi de Rousseau est accueilli. Le pourvoi du ministère public est rejeté.

La Cour d'appel a commis une erreur en cassant le verdict d'acquittement et en déclarant l'accusé coupable de complot. L'appel du ministère public, régi par l'al. 605(1)a) du Code criminel, est limité aux motifs "qui comportent une question de droit seulement". Pour que le doute entretenu par le juge du procès relativement à l'existence d'un complot équivaille à une erreur de droit, il faut que ce doute tienne de la pure conjecture et ne puisse trouver quelque appui dans la preuve. En l'espèce, même si les propos et le comportement de l'accusé et du policier se prêtent à l'hypothèse de l'existence d'un complot, cette hypothèse n'est pas la seule logique et on ne peut affirmer, comme l'a fait la Cour d'appel, "qu'envisager une hypothèse autre que l'existence du complot entre l'accusé et le policier tient de la pure conjecture". Le juge de première instance n'a pas été convaincu hors de tout doute raisonnable de l'existence de ce complot. Compte tenu de la preuve soumise au procès, on ne peut dire qu'un tel doute équivaut à une erreur de droit.

Le juge du procès n'a pas commis d'erreur non plus en concluant que la preuve de la culpabilité de l'accusé n'avait pas été faite hors de tout doute raisonnable relativement au chef d'accusation de tentative d'entrave à la justice. Son doute ne tient pas de la pure conjecture et trouve appui dans la preuve.

Finalement, le fait de demander une somme d'argent à une personne dans le but de poser un acte illégal qui pourrait être utile à cette personne ne constitue pas de l'extorsion au sens de l'art. 305 du Code criminel. L'accusé n'a pas tenté d'induire la compagnie de sécurité à lui donner de l'argent par des menaces, des accusations ou de la violence.

Lois et règlements cités

Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 127(2) [mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 2, art. 3; 1972 (Can.), chap. 13, art. 8], 305(1), 423(1)d), 605(1)a).

POURVOIS contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec1 qui a rejeté l'appel du ministère public relatif aux chefs d'accusation de tentative d'entrave à la justice et d'extorsion et accueilli l'appel relatif au chef d'accusation de complot. Pourvoi de Rousseau accueilli. Pourvoi du ministère public rejeté.

1 C.A. Qué., no 200‑10‑000102‑819, 20 janvier 1983.

Raynold Bélanger, c.r., pour Rousseau.

Claude Haccoun, pour le ministère public.

Le jugement de la Cour a été rendu par

1. Le Juge Lamer—L'appelant Rousseau a été acquitté par un juge de la Cour des sessions de la paix d'une accusation comportant trois chefs, savoir, d'avoir comploté avec un policier pour tenter d'entraver la justice, de tentative d'entrave à la justice et d'extorsion. La Couronne a porté le jugement en appel et la Cour d'appel du Québec a rejeté l'appel quant aux chefs de tentative d'entrave à la justice et d'extorsion; elle a cependant accueilli l'appel quant au premier chef et a déclaré Rousseau coupable de complot. Rousseau se pourvoit devant cette Cour quant au premier chef et la Couronne en fait autant quant aux deuxième et troisième chefs.

2. À mon avis, le pourvoi de Rousseau doit réussir et celui de la Couronne doit être rejeté.

Les faits

3. Tant le juge de première instance que la Cour d'appel ont, dans leurs jugements, relaté et analysé les faits de façon minutieuse. Je ne crois pas qu'il me soit nécessaire d'en faire autant dans ce jugement. Il suffira d'en dire ce qui suit. Rousseau est avocat. Trois de ses clients ont été impliqués dans des vols et des recels. Deux de ceux‑ci travaillaient pour la compagnie de sécurité qui avait le contrat de protéger les commerces où les vols ont eu lieu.

4. La tentative d'entrave à la justice et le complot à cette fin tiennent du fait que Rousseau se serait entendu avec le policier chargé de l'enquête concernant ces crimes, un dénommé Asselin, pour ne porter des accusations que pour une partie de ceux‑ci et pour cacher des autorités l'identité des auteurs quant aux autres, et ce moyennant de l'argent obtenu de ses clients, argent que Rousseau prétendait devoir partager avec le policier.

5. L'extorsion aurait été commise par une demande faite par l'avocat Rousseau à l'avocat de la compagnie de sécurité d'une somme de 10 000 $ pour éviter une publicité qui, suite à des événements impliquant des employés, aurait été mauvaise pour la compagnie. L'avocat Rousseau aurait dit pouvoir faire disposer des accusations de façon discrète. La preuve de cette demande d'argent fut faite simplement par le témoignage de l'avocat de la compagnie.

6. La preuve ayant trait aux deux autres chefs est plus compliquée. Essentiellement elle consiste en des conversations qu'a eues l'avocat Rousseau avec ses clients, relatées lors du procès par deux de ces derniers, en un entretien entre Rousseau et le policier, et enfin en des propos tenus par le policier aux clients de Rousseau.

7. Le juge du procès a disposé des deuxième et troisième chefs de façon très sommaire en disant simplement que «La preuve ne supporte pas un verdict de culpabilité sur les chefs 2 et 3». Par contre, il a analysé la preuve relative à l'accusation de complot de façon méticuleuse et exhaustive. Le passage suivant résume son analyse:

La preuve ne révèle aucune entente intervenue entre Rousseau et Asselin en présence de quelque autre personne. Le contenu des conversations que d'une part Rousseau a pu avoir avec soit Michel Hébert, Laurent Cyr, Boucher ou Me Delisle et que d'autre part Asselin a pu avoir avec Cyr et Hébert, est tellement imprécis quant à l'intention de Rousseau et Asselin, que la Cour ne peut en venir à la conclusion certaine qu'il y a eu entente entre Rousseau et Asselin pour tenter d'entraver le cours de la Justice, en s'engageant à ce que Hébert et Cyr ne soient accusés que du vol de cigarettes.

Le 3e chef: extorsion

8. La Cour d'appel disposait du 3e chef en disant que

Le fait de demander une somme d'argent à une personne dans le but de poser un acte illégal qui pourrait être utile à cette personne ne constitue pas de l'extorsion aux termes de l'article 305(1) C.cr.

et que

... quelle que soit la qualification que l'on puisse donner à la démarche faite par l'intimé auprès de A.D.T. Security System Inc., l'intimé n'a pas tenté d'induire cette société à lui donner une somme de $10,000.00 par des menaces, des accusations ou de la violence.

9. Je suis d'accord avec la Cour d'appel et je rejetterais sans plus de commentaires le pourvoi de la Couronne quant à ce chef.

Le 2e chef: tentative d'entrave à la justice

10. La Cour d'appel a rejeté le pourvoi de la Couronne au motif suivant

...en «s'engageant moyennant une somme de $6,000.00 à ce que Michel Hébert et Laurent Cyr ne soient accusés que de vols de cigarettes», l'intimé ne commettait pas l'acte criminel prévu à l'article 127(2) C.cr. puisque ce n'est pas l'intimé qui pouvait décider de la nature des accusations à être portées contre ses clients. L'intimé ne pouvait pas non plus être trouvé coupable de l'accusation d'entrave à la justice par le biais des articles 21 et 22 C.cr., comme complice d'Asselin, puisque la preuve n'établit pas qu'Asselin a de fait finalement commis l'acte criminel d'entrave.

11. Je suis d'accord avec la Cour d'appel qu'il ne suffisait pas, pour que Rousseau commette le crime prévu au par. 127(2), qu'il s'engage auprès de ses clients à ce qu'ils «ne soient accusés que de vols de cigarettes». Il lui fallait poser un geste qui aurait équivalu «à tenter de quelque manière» de leur obtenir ce résultat. Il n'était pas nécessaire cependant qu'Asselin ait, de fait, tenté d'entraver la justice. Il suffisait que demande lui en ait été faite par Rousseau.

12. Le juge du procès était d'avis que la preuve de la culpabilité de l'accusé n'avait pas été faite hors de tout doute raisonnable. J'ai lu la preuve et je suis d'avis qu'il n'a pas commis d'erreur en droit en concluant ainsi. En effet, il s'agit d'un pourvoi de la Couronne à l'encontre d'un acquittement, régi par l'al. 605(1)a) du Code criminel, qui limite le pourvoi aux motifs «qui comporte[nt] une question de droit seulement». Or, pour que le doute entretenu par le juge équivaille à une erreur de droit il faut que celui‑ci ne tienne que de la pure conjecture et ne puisse trouver quelque appui que ce soit dans la preuve. J'ai lu la preuve, et tel n'est point le cas. Pour des raisons que je donnerai en considérant ci‑après le premier chef, le juge du procès a eu un doute raisonnable quant à la participation de Asselin à la transaction. C'est d'ailleurs la seule explication possible, eu égard à l'acquittement de Rousseau quant au chef de complot. Je rejetterais donc pour cette raison le pourvoi de la Couronne quant au 2e chef.

Le 1er chef: complot

13. La Couronne a libellé l'acte d'accusation comme suit:

Entre le 1er octobre 1979, et le 30 janvier 1980, à Ste‑Foy, et à Québec, district de Québec, a conspiré avec monsieur Raymond Asselin pour commettre un acte criminel que ne vise pas les alinéas A, B, et C de l'article 423 du Code criminel à savoir: volontairement tenter d'entraver le cours de la justice, commettant ainsi un acte criminel prévu à l'article 423(d) du Code criminel;

14. Il faut noter que les clients de l'accusé ne sont pas mentionnés comme parties au complot. Il incombait donc à la Couronne d'établir que Rousseau et le policier Asselin avaient comploté ensemble.

15. Le juge de première instance a dit avoir un doute raisonnable quant à l'existence d'un tel complot entre Rousseau et Asselin. Il n'a pas semblé satisfait par la preuve des propos tenus par l'avocat à ses clients, leur demandant 6 000 $ pour lui et la police pour voir à ce que des accusations ne soient pas portées pour certains des vols et à ce que la sentence soit mineure pour les autres. Eu égard aux propos et au comportement du policier Asselin, le juge de première instance n'a pas non plus semblé convaincu hors de tout doute raisonnable de la participation de ce dernier au complot entre l'avocat et ses clients, si tant est qu'il en existât un.

16. La Cour d'appel était bien consciente, en regard de l'al. 605(1)a), des limites au delà desquelles elle ne pouvait substituer son opinion à celle du juge du procès pour écarter le doute qu'il entretenait quant à la culpabilité de l'accusé, casser son acquittement et le déclarer coupable. écrivant pour la Cour, le juge Beauregard a estimé qu'envisager une hypothèse autre que l'existence d'un complot entre l'accusé et Asselin tenait de la pure conjecture. Eût‑il eu raison, c'eût été une erreur de droit et la Cour d'appel aurait dès lors été pleinement justifiée d'infirmer le jugement en première instance.

17. Avec respect, je ne crois pas qu'il a eu raison à cet égard.

18. Il est clair, et ceci le juge de première instance n'avait pas à en douter (et ses propos se prêtent à cette interprétation quoiqu'on ne puisse en être absolument certain), que l'avocat Rousseau a laissé entendre à ses clients, comme à l'avocat de la compagnie de sécurité, que moyennant de l'argent pour lui et pour la police, il pouvait «arranger» les choses. Il est clair que Rousseau a laissé entendre à ses clients qu'il complotait avec le policier Asselin. En douter ne peut tenir que de la conjecture, et en cela je partage l'avis du juge Beauregard. Reste à savoir, cependant, si complot il y avait entre Rousseau et le policier Asselin; car il importe de se souvenir que Rousseau n'est pas accusé de complot avec ses clients, mais avec le policier Asselin. Le comportement et les propos d'Asselin se prêtent à l'hypothèse de l'existence d'un tel complot. Mais de là à dire que, hors de tout doute raisonnable, c'était la seule conclusion logique, je ne le crois pas.

19. La preuve pouvait aisément fonder une certitude quant à l'existence d'un complot entre l'avocat et le policier, mais elle n'était pas telle que tout doute à ce sujet doive équivaloir à une erreur de droit. D'abord il n'existe pas de preuve directe quant à la nature des propos qu'aurait tenus l'avocat au policier. On ne peut, au mieux, que l'inférer des remarques faites par le policier aux clients de l'avocat, et du comportement du policier dans l'affaire. De plus, à la fin de son jugement, le juge Bilodeau, qui a une longue expérience de la pratique du droit pénal et du milieu policier, révéla le fond de sa pensée par les propos suivants:

La Cour n'a aucun doute que Me Rousseau voulait profiter de la situation et des circonstances pour soutirer de l'argent.

La Couronne est liée par l'acte d'accusation libellé.

Les circonstances sont compatibles avec la culpabilité mais je ne suis pas convaincu hors de tout doute qu'elles soient incompatibles avec toute autre solution logique.

20. Quand on lit la preuve, on y trouve certaines allusions relatives à l'existence possible d'un réseau de receleurs et certaines autres à l'effet que la police était prête à composer dans une certaine mesure avec «les petits voleurs» pour remonter «aux gros». C'est une hypothèse qui a sans doute eu son effet sur les convictions du juge Bilodeau quant à la criminalité de la participation du policier aux démarches de l'avocat; ce qui explique son allusion au fait pour l'avocat de «soutirer de l'argent» en fraude de ses clients et son allusion aux contraintes imposées à la Couronne par son choix d'accusation. Il a possiblement, c'est l'hypothèse qui a engendré le doute chez le juge Bilodeau, monnayé à son profit et en fraude de ses clients des avantages que la police était prête à offrir en échange, non pas d'argent pour eux, mais de renseignements concernant les dirigeants du réseau pour la meilleure administration de la justice. Ce n'est peut‑être pas une hypothèse qui aurait fait douter quiconque de la participation illégale d'Asselin à un complot, mais je ne peux pas dire, eu égard à l'ensemble de la preuve, qu'entretenir un tel doute équivaut à une erreur de droit.

21. J'accueillerais donc le pourvoi de Rousseau, infirmerais l'arrêt de la Cour d'appel et rétablirais l'acquittement prononcé par le juge de première instance; je rejetterais le pourvoi de la Couronne.

Pourvoi de Rousseau accueilli. Pourvoi du ministère public rejeté.

Procureur de Rousseau: Raynold Bélanger, Québec.

Procureur du ministère public: Claude Haccoun, Montréal.


Parties
Demandeurs : Rousseau
Défendeurs : Sa Majesté la Reine
Proposition de citation de la décision: Rousseau c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 38 (31 juillet 1985)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1985-07-31;.1985..2.r.c.s..38 ?
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