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31/07/1985 | CANADA | N°[1985]_2_R.C.S._2

Canada | Dedman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 2 (31 juillet 1985)


Dedman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 2

Robert B. Dedman Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée;

et

Le procureur général du Nouveau‑Brunswick et le procureur général de l'Alberta Intervenants.

No du greffe: 16726.

1984: 9 octobre; 1985: 31 juillet.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Chouinard, Lamer, Wilson et Le Dain.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1981), 59 C.C.C. (2d) 97, 122 D.L.R. (3d) 655, 32 O.R. (2d) 641, 23 C.R.

(3d) 228, 10 M.V.R. 59, qui a accueilli l'appel d'un jugement du juge Maloney (1980), 55 C.C.C. (2d) 97, 118 D.L.R. ...

Dedman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 2

Robert B. Dedman Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée;

et

Le procureur général du Nouveau‑Brunswick et le procureur général de l'Alberta Intervenants.

No du greffe: 16726.

1984: 9 octobre; 1985: 31 juillet.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Chouinard, Lamer, Wilson et Le Dain.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1981), 59 C.C.C. (2d) 97, 122 D.L.R. (3d) 655, 32 O.R. (2d) 641, 23 C.R. (3d) 228, 10 M.V.R. 59, qui a accueilli l'appel d'un jugement du juge Maloney (1980), 55 C.C.C. (2d) 97, 118 D.L.R. (3d) 425, 30 O.R. (2d) 555, 23 C.R. (3d) 203, 8 M.V.R. 142, qui a rejeté l'appel formé par voie d'exposé de cause contre le jugement du juge Charles de la Cour provinciale (1980), 55 C.C.C. (2d) 98, 118 D.L.R. (3d) 427, 30 O.R. (2d) 557, 15 C.R. (3d) 261, 6 M.V.R. 233, qui avait acquitté l'appelant relativement à l'accusation d'avoir omis d'obtempérer à une demande d'échantillons d'haleine, contrairement au par. 234.1(2) du Code criminel. Pourvoi rejeté, le juge en chef Dickson et les juges Beetz et Chouinard sont dissidents.

Morris Manning, c.r., et Joseph Favaro, pour l'appelant.

Murray D. Segal, pour l'intimée.

John H. Evans, pour l'intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick.

William Henkel, c.r., et Richard Taylor, pour l'intervenant le procureur général de l'Alberta.

Version française des motifs du juge en chef Dickson et des juges Beetz et Chouinard rendus par

1. Le Juge en Chef (dissident)—Le présent pourvoi résulte de l'arrêt au hasard d'un auto­mobiliste par la police dans le cadre du pro­gramme ontarien de promotion de la sobriété au volant appelé R.I.D.E. (Reduce Impaired Driving Everywhere). Il soulève des questions importantes relatives aux pouvoirs de la police et au juste équilibre entre l'intérêt de la collectivité à ce que la loi soit appliquée et celui du particulier à ne pas être soumis à une entrave arbitraire à sa liberté.

I. Les faits et l'historique des procédures

2. L'objectif du programme R.I.D.E. en Ontario est de diminuer la conduite avec facultés affaiblies en décelant les automobilistes aux facultés affaiblies et en décourageant les autres de conduire quand ils ont consommé de l'alcool. Les agents de police choisissent un endroit où ils croient qu'il y a un nombre élevé de conducteurs aux facultés affaiblies ou d'accidents causés par l'alcool. On choisit au hasard des automobilistes qui passent à cet endroit et on leur demande de s'arrêter. Les agents de police demandent au conducteur de présenter son permis de conduire et une preuve d'assurance et ils prennent note de l'état du véhicule et de celui du conducteur. Les policiers demandent le permis de conduire et la preuve d'assurance pour engager la conversation afin de pouvoir déceler si le conducteur a bu, ce qu'ils ne pourraient peut‑être pas faire autrement. Les agents affectés au programme R.I.D.E. disposent d'alcootests approuvés, de manière à pouvoir demander des échantillons d'haleine conformément à l'art. 234.1 du Code criminel, s'ils estiment avoir des motifs de le faire au cours de leur conversation avec le conducteur.

3. Le 4 février 1980, un agent de police qui participait au programme R.I.D.E. a fait signe à l'appellant d'arrêter son véhicule. Le seul motif pour lequel l'agent de police lui a demandé d'arrêter était l'application du programme R.I.D.E. Il n'y avait rien d'anormal ni dans sa façon de conduire, ni dans l'état de son véhicule. L'agent de police n'avait pas de motifs raisonnables et probables de croire que l'appelant avait commis ou était en train de commettre une infraction criminelle à une loi provinciale ou fédérale. Au moment où il lui a demandé d'arrêter, l'agent n'avait aucune raison de soupçonner que l'appelant avait de l'alcool dans le sang.

4. L'appelant a acquiescé à la demande d'arrêter son véhicule. Pendant la conversation, l'agent de police a eu un soupçon raisonnable que l'appelant conduisait avec de l'alcool dans le sang et il lui a demandé de fournir un échantillon d'haleine. L'appelant a suivi les indications et, malgré des tentatives répétées, il n'a pas réussi à fournir un échantillon de son haleine suffisant pour indiquer un résultat sur l'appareil de type A.L.E.R.T. (test pour évaluer l'alcoolémie au bord de la route). L'agent lui a remis un avis de comparution relativement à une accusation d'avoir omis ou refusé de fournir un échantillon pour analyse sur place contrairement au par. 234.1(2) du Code criminel et l'accusé a quitté les lieux.

5. L'appelant a été acquitté en première instance par le juge Charles de la Cour provinciale: (1980), 55 C.C.C. (2d) 98, 118 D.L.R. (3d) 427, 30 O.R. (2d) 557, 15 C.R. (3d) 261, 6 M.V.R. 233. Le juge Maloney de la Cour suprême de l'Ontario a rejeté un appel formé par voie d'exposé de cause: (1980), 55 C.C.C. (2d) 97, 118 D.L.R. (3d) 425, 30 O.R. (2d) 555, 23 C.R. (3d) 203, 8 M.V.R. 142. L'appel du ministère public devant une formation de cinq membres de la Cour d'appel de l'Ontario a été accueilli à l'unanimité: (1981), 59 C.C.C. (2d) 97, 122 D.L.R. (3d) 655, 32 O.R. (2d) 641, 23 C.R. (3d) 228, 10 M.V.R. 59. La Cour d'appel a ordonné que l'affaire soit renvoyée devant le juge de première instance pour qu'il examine la question de savoir si les tentatives de l'appelant de se conformer à la demande étaient réelles ou simulées.

6. L'appelant a obtenu l'autorisation de se pourvoir devant cette Cour.

II. Les questions en litige

7. Le présent pourvoi soulève deux questions:

1) Dans les circonstances, l'agent de police avait‑il le pouvoir, en vertu de la loi ou de la common law, de demander à l'appelant d'arrêter son véhicule à moteur?

2) Dans la négative, l'appelant peut‑il être déclaré coupable d'avoir omis ou refusé, sans excuse légitime, de fournir un échantillon de son haleine?

8. J'ai eu l'occasion de lire les motifs de jugement rédigés par le juge Le Dain et je conviens avec lui, pour les motifs qu'il a donnés que les agents de police n'agissent légalement que lorsqu'ils exercent des pouvoirs qui leur sont conférés en vertu de la loi ou de la common law. L'obéissance apparemment volontaire d'un citoyen à la demande d'un policier d'arrêter son véhicule à moteur ne peut modifier le fondement juridique qui doit justifier un tel acte de la police lorsqu'il est contesté dans des procédures ultérieures.

9. Compte tenu du caractère impérieux et coercitif des demandes des policiers, l'obéissance à l'exercice d'un pouvoir apparent d'un agent de police, comme la demande d'arrêter à un barrage routier, ne peut être qualifiée de volontaire ou de consensuelle à moins que la personne n'ait su clairement à ce moment‑là qu'elle était libre de refuser d'obéir.

III. Le caractère légal des arrêts de véhicules au hasard

A. Le pouvoir en vertu de la loi

10. Le programme R.I.D.E. n'était pas, au moment où on a demandé à l'appelant d'arrêter son véhicule, expressément autorisé par une loi fédérale ou provinciale. Je suis d'accord avec le juge Le Dain pour dire qu'aucune des dispositions législatives provinciales sur lesquelles on s'est fondé ne peut être interprétée de manière à conférer aux agents de police le pouvoir de demander à un automobiliste d'arrêter son véhicule pour les fins du programme R.I.D.E. En particulier, l'art. 14 du Code de la route, S.R.O. 1970, chap. 202 modifié par 1979 (Ont.), chap. 57, art. 2 (maintenant L.R.O. 1980, chap. 198), ne confère pas le pouvoir de faire signe d'arrêter. Par conséquent, il n'est nécessaire ni d'exprimer une opinion sur la constitutionnalité de l'art. 14 puisqu'il n'est pas appliqué pour conférer le pouvoir d'arrêter des véhicules au hasard pour les fins du programme R.I.D.E., ni de répondre à la question constitutionnelle qui est posée en l'espèce.

B. Le pouvoir en vertu de la common law

11. Avec égards, je ne puis partager l'opinion du juge Le Dain que les devoirs généraux des agents de police constituent le fondement de leur pouvoir en vertu de la common law de faire arrêter un véhicule à moteur pour les fins du programme R.I.D.E. et de la manière prévue par celui‑ci.

12. On a toujours considéré, comme principe fondamental de la primauté du droit dans ce pays, que dans l'accomplissement de leurs devoirs généraux à titre d'agents de l'état chargés de l'application de la loi, les policiers ont des pouvoirs limités et n'ont le droit de porter atteinte à la liberté personnelle ou à la propriété que dans la mesure autorisée par la loi. Le juge en chef Laskin, dissident, dans l'arrêt R. c. Biron, [1976] 2 R.C.S. 56, a exprimé cette opinion aux pp. 64 et 65:

Toutefois, beaucoup plus important est le principe social, juridique et même politique sur lequel notre droit criminel est fondé, c'est‑à‑dire, le droit d'un individu à vivre en paix, à être libre de contrainte de nature privée ou publique, sauf dispositions contraires de la loi. Et c'est seulement dans la mesure où de pareilles dispositions de la loi existent qu'une personne peut être détenue ou qu'on peut supprimer sa liberté de mouvement.

En l'absence de pouvoir explicite ou implicite fondé sur la loi, la police doit être en mesure de trouver le pouvoir de poser ses actes dans la common law. Autrement, elle agit illégalement.

13. En l'espèce, le juge Martin de la Cour d'appel de l'Ontario a résumé de façon précise les droits du citoyen et les pouvoirs de la police:

[TRADUCTION] Dans l'accomplissement de leurs devoirs généraux, les agents de police ont des pouvoirs limités et n'ont le droit de porter atteinte à la liberté personnelle et à la propriété que lorsque cette atteinte est autorisée par la loi. Il est reconnu évidemment, comme principe constitutionnel, que le citoyen a le droit de ne pas être soumis à l'emprisonnement, à l'arrestation, ou à des contraintes physiques qui ne sont pas justifiés par la loi et que toute invasion de la propriété d'un citoyen constitue une atteinte à la possession à moins qu'elle n'ait été justifiée par la loi... Par ailleurs, lorsqu'un agent de police tente de découvrir si une infraction a été commise ou par qui elle a été commise, il a le droit d'interroger toute personne, suspecte ou non, de qui il croit pouvoir obtenir des renseignements utiles. Bien qu'il ait le droit d'interroger toute personne pour obtenir des renseignements relatifs à une infraction présumée, un agent de police n'a pas légalement le pouvoir d'obliger la personne interrogée à répondre. De plus, un agent de police n'a pas le droit de détenir une personne pour l'interroger ou pour mener une enquête. Nul n'a le droit d'imposer une contrainte physique à un citoyen à l'exception de ce qui est autorisé par la loi et ce principe s'applique autant aux agents de police qu'à n'importe qui d'autre. Un agent de police peut aborder une personne dans la rue et lui poser des questions, mais si la personne refuse de lui répondre, l'agent doit la laisser poursuivre sa route à moins, évidemment, qu'il ne l'arrête en vertu d'une accusation précise ou en vertu de l'art. 450 du Code lorsqu'il a des motifs raisonnables et probables de croire qu'elle est sur le point de commettre un acte criminel. [Jurisprudence non citée.]

14. Les devoirs qu'a la police selon la common law ont été décrits comme visant la préservation de la paix, la prévention du crime et enfin la protection de la vie des personnes et des biens, dont découle l'obligation de surveiller la circulation sur les routes. L'article 57 de la Police Act, R.S.O. 1980, chap. 381, constitue une codification législative des devoirs traditionnels de la police selon la common law.

15. Je ne crois pas qu'il soit possible de douter que l'acte qui consiste à découvrir les personnes aux facultés affaiblies et à les empêcher de conduire dans cet état, ce qui constitue une infraction selon le Code criminel, s'inscrit dans le cadre des devoirs généraux de la police que je viens de décrire. Toutefois, il est nécessaire d'établir une distinction entre les devoirs des agents de police et le pouvoir ou la compétence légale qu'ils possèdent pour accomplir ces devoirs. Le fait qu'un agent de police a le devoir général de prévenir le crime et de protéger la vie des personnes et les biens ne signifie pas qu'il peut utiliser tous les moyens pour atteindre ces objectifs. La question que soulève le présent pourvoi est de savoir si les agents de police ont le pouvoir en vertu de la common law, en d'autres termes la compétence légale, d'accomplir leurs devoirs généraux en arrêtant des automobilistes au hasard lorsqu'ils n'ont aucune raison de croire, avant de lui faire signe d'arrêter, que l'automobiliste a commis, est en train de commettre ou commettra une infraction criminelle. À mon avis, ils n'ont pas ce pouvoir.

16. La distinction qui existe entre l'étendue des devoirs d'un agent de police et la portée de ses pouvoirs est bien énoncée par L. H. Leigh dans Police Powers in England and Wales (1975), à la p. 29:

[TRADUCTION] La police a longtemps fonctionné selon un régime de devoirs étendus mais de pouvoirs limités. C'est‑à‑dire que même s'ils ont le devoir général de prévenir le crime et les atteintes à la paix publique et de découvrir les criminels, les agents de police n'ont pas tous les pouvoirs qui, pourrait‑on penser, seraient raisonnablement nécessaires pour leur permettre de le faire. Historiquement, rien ne justifie une telle doctrine des pouvoirs accessoires. Les atteintes que la police porte à la liberté individuelle doivent, pour être acceptables, être fondées sur une règle quelconque de droit positif.

17. En droit criminel, les règles et les principes relatifs à l'arrestation établissent des limites justifiables à la liberté d'un citoyen. Les articles 449 et 450 du Code criminel énoncent le pouvoir fondamental d'un simple citoyen ou d'un agent de police d'effectuer une arrestation sans mandat. Des pouvoirs supplémentaires d'arrestation sans mandat existent également en vertu de diverses lois fédérales et provinciales relativement à des infractions précises. Voir, R. E. Salhany, Canadian Criminal Procedure (3rd ed. 1978), à la p. 31.

18. En common law, un agent de police a le pouvoir d'effectuer une arrestation sans mandat a) lorsqu'il a des raisons de soupçonner (i) qu'un crime a été commis et (ii) que la personne qui doit être arrêtée est coupable du crime ou b) pour empêcher la perpétration d'un crime. Samuel v. Payne (1780), 1 Doug. K.B. 359, 99 E.R. 230; Christie v. Leachinsky, [1947] A.C. 573 (H.L.); Smith et Hogan, Criminal Law (1965), aux pp. 278 et 279; Butler et Garsia, Archbold Criminal Pleading, Evidence and Practice (36th ed. 1966), au paragraphe 2808.

19. Sauf dans le cas d'une arrestation, l'agent de police n'a jamais eu la compétence légale en common law pour détenir une personne contre son gré pour l'interroger ou pour mener une enquête. Moore c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 195, à la p. 203; Albert v. Lavin, [1981] 3 All E.R. 878 (H.L.); Rice v. Connolly, [1966] 2 Q.B. 414 (C.A.), à la p. 419; Leigh, précité, à la p. 29; Devlin, The Criminal Prosecution in England (1958), à la p. 82; Honsberger, "The Power of Arrest and the Duties and Rights of Citizens and the Police", [1963] L.S.U.C. Special Lectures: Arrest and Interrogation 1; Cohen, "The Investigation of Offences and Police Powers" (1981), 13 Ottawa L. Rev. 549; Lanham, "Arrest, Detention and Compulsion", [1974] Crim. L.R. 288, à la p. 289; Bailey et Birch, "Recent Developments in the Law of Police Powers", [1982] Crim. L.R. 475, à la p. 481.

20. L'arrêt R. v. Waterfield, [1963] 3 All E.R. 659 (C.C.A.), est souvent invoqué comme énonçant le critère du fondement en common law des pouvoirs de la police. La Cour d'appel anglaise a affirmé à la p. 661:

[TRADUCTION] Il serait difficile, de l'avis de cette Cour, d'enfermer en des limites rigoureuses les termes généraux dont on s'est servi pour définir les fonctions des agents de police et au surplus c'est inutile dans la présente affaire. Dans la plupart des cas, il est probablement plus facile de se demander ce que l'agent faisait en réalité et notamment si sa conduite constitue de prime abord une atteinte illégale à la liberté personnelle ou à la propriété. Si tel est le cas, il y a lieu de rechercher a) si cette conduite entre dans le cadre général d'un devoir imposé par une loi ou reconnu par la common law et b) si cette conduite, bien que dans le cadre général d'un tel devoir, a comporté un emploi injustifiable du pouvoir découlant de ce devoir. Ainsi, comme on peut affirmer en termes généraux que les agents de police ont le devoir d'empêcher le crime et le devoir, lorsqu'un crime a été perpétré, de traduire le délinquant en justice, il est également évident, selon la jurisprudence, que lorsque l'accomplissement de ces devoirs généraux comporte des atteintes à la personne ou aux biens d'un particulier, les pouvoirs des policiers ne sont pas illimités.

21. L'arrêt Waterfield a été appliqué par cette Cour dans les arrêts R. c. Stenning, [1970] R.C.S. 631, et Knowlton c. La Reine, [1974] R.C.S. 443, ainsi que dans deux arrêts anglais importants, Hoffman v. Thomas, [1974] 2 All E.R. 233 (Q.B.D.), et Johnson v. Phillips, [1975] 3 All E.R. 682 (Q.B.D.)

22. Récemment, j'ai eu l'occasion d'examiner les arrêts Waterfield, Stenning et Knowlton dans les motifs de dissidence que j'ai rédigés dans le Renvoi sur l’écoute électronique, [1984] 2 R.C.S. 697. Comme je l'ai souligné à la p. 717, ces affaires comportent toutes des accusations de s'être livré à des voies de fait sur la personne d'un policier ou d'avoir entravé un policier dans l'exécution de son devoir, portées par suite d'échauffourées avec la police. On a invoqué comme moyen de défense que les policiers n'agissaient pas dans l'exécution de leur devoir à l'époque en question.

23. Dans le Renvoi sur l’écoute électronique, on a fait valoir, en se fondant sur l'arrêt Waterfield, que la common law reconnaît l'existence de certains pouvoirs inhérents à l'exécution des fonctions de policier et que ces pouvoirs permettaient, dans les circonstances, aux policiers d'accomplir les actes nécessaires à l'exécution de leur devoir, même s'ils comportaient une atteinte par ailleurs illégale à la liberté ou à la propriété individuelle. Après avoir souligné que les pouvoirs accordés aux policiers en common law n'ont jamais compris un droit général d'entrer dans des lieux, j'ai affirmé, dans mes motifs de dissidence, que l'arrêt Waterfield n'étaye pas la proposition qu'un pouvoir d'entrer dans une propriété privée pour y mettre en place un appareil d'écoute peut découler simplement du devoir général du policier de découvrir le crime et d'appliquer la loi.

24. J'ai conclu que le critère énoncé dans l'arrêt Waterfield ne permet pas de justifier la conduite de la police lorsque cette conduite est illégale en common law (aux pp. 718 et 719):

Je ne puis accepter qu'une conduite illégale en soi, adoptée tout en sachant parfaitement qu'elle peut être illégale, puisse jamais s'inscrire dans le cadre général du devoir d'un policier.

...

Même si on peut prétendre qu'un policier agit dans le cadre général de son devoir d'enquêter sur le crime, cela ne l'autorise pas à violer la loi chaque fois que cela pourrait se justifier par l'intérêt public à ce que la loi soit appliquée. Tout principe de ce genre ne constituerait rien de moins qu'une autorisation donnée à la police de commettre des actes illégaux dès lors que les avantages de ces actes semblent l'emporter sur les inconvénients qu'entraînerait la violation des droits d'une personne. Pour que le principe énoncé dans l'arrêt Waterfield s'applique, les policiers doivent être en train d'exécuter légalement leur devoir au moment de la conduite en question.

(C'est moi qui souligne.)

25. Un agent de police n'est pas habilité à faire son devoir par des moyens illégaux. On ne peut permettre que l'intérêt public à ce que la loi soit appliquée l'emporte sur le principe fondamental portant que tous les fonctionnaires publics, y compris les policiers, sont assujettis à la primauté du droit. Conclure qu'un acte arbitraire de la police est justifié simplement parce qu'il vise à permettre à la police d'accomplir son devoir reviendrait à sanctionner une dangereuse exception à la suprématie de la loi. Il incombe au législateur et non pas aux tribunaux d'autoriser un acte arbitraire de la police qui serait par ailleurs illégal à titre de violation des droits qui sont traditionnellement protégés en common law.

26. Étant donné qu'en common law, tant qu'il n'y a pas d'arrestation, la police n'a pas le pouvoir légal de détenir une personne pour l'interroger ou à des fins d'enquête même si elle a des soupçons, je ne saurais trouver de justification au pouvoir invoqué dans les circonstances de l'espèce de faire stopper un véhicule et de détenir son conducteur.

27. Il est essentiel de bien caractériser les pouvoirs que l'agent de police a exercés en l'espèce et d'éviter qu'ils soient masqués par l'objectif souhaitable que vise le programme R.I.D.E. Les agents de police arrêtent des automobilistes d'une façon purement arbitraire pour les interroger et déterminer s'ils ont bu. Comme le souligne le professeur Cohen dans "The Investigation of Offences and Police Powers", précité, à la p. 562, note 47: [TRADUCTION] "Cet exercice n'est pas moins fait au hasard pour le motif qu'il exige que la procédure se déroule à des endroits précis qui se distinguent par les accidents causés par l'alcool qui y surviennent ou par le nombre élevé de conducteurs aux facultés affaiblies qui y passent. Il est fait au hasard dans la mesure où il se rapporte à chacun des automobilistes à qui on demande de s'arrêter".

28. Comme je l'ai mentionné précédemment, l'agent de police n'avait aucune raison de soupçonner que l'appelant avait commis, était en train de commettre ou était sur le point de commettre un acte criminel avant de lui demander de s'arrêter. En fait, l'agent n'avait rien observé de suspect ou d'anormal dans la conduite de l'appelant ou dans l'état de son automobile. L'arrêt au hasard de l'appelant s'explique par le seul fait qu'il a circulé à un endroit où, selon ce que croyait la police, passait un nombre élevé de conducteurs aux facultés affaiblies. Il est certain que la police a essentiellement arrêté et détenu l'appelant d'une manière arbitraire pour savoir s'il pouvait être en train de commettre un acte criminel.

29. Je suis d'avis que la police n'avait pas le pouvoir d'arrêter l'appelant au hasard aux fins du programme R.I.D.E. L'arrêt au hasard d'un automobiliste correspond à une détention pour interrogatoire ou pour une enquête contre la volonté d'une personne, ce que les tribunaux ont depuis longtemps jugé comme ne ressortissant pas aux pouvoirs des policiers en vertu de la common law. L'abus est encore pire et l'atteinte à l'autonomie individuelle est amplifiée lorsque le conducteur est détenu non par suite d'un soupçon se rapportant à lui personnellement, mais uniquement en raison de l'endroit où il se trouve à conduire. Conclure que cette action de la police était permise irait à l'encontre de la protection accordée depuis longtemps à la liberté individuelle par la common law et aurait pour effet de miner le droit fondamental de chaque personne d'être protégée contre les atteintes arbitraires.

30. Avec égards, la Cour à la majorité s'aventure sur un terrain glissant lorsqu'elle autorise la police à commettre une atteinte par ailleurs illégale à la liberté individuelle, pour le seul motif que cela est raisonnablement nécessaire à l'accomplissement des devoirs généraux des policiers. L'objection à un arrêt au hasard effectué sans aucune raison de soupçonner ou de croire que le conducteur en question a commis ou est en train de commettre une infraction va beaucoup plus loin que les effets psychologiques déplaisants subis par le conducteur innocent. Même si ces effets tendent a être minimisés par la grande publicité donnée à la nature du programme R.I.D.E., il reste qu'il y a diminution de la liberté individuelle avec l'effet préjudiciable que cela a finalement sur la liberté de tous les membres de la société.

31. En outre, le fait que la conduite d'un véhicule à moteur soit une activité qui nécessite un permis et qui est assujettie à une réglementation et à un contrôle pour favoriser la sécurité n'a rien à voir avec les pouvoirs de la police si les conditions du permis ont été remplies et sont respectées; ni l'octroi de permis, ni un autre règlement n'accordent aux policiers le pouvoir de réduire ainsi la liberté. Le droit de circuler sur une route ne se limite pas à la protection contre toute entrave déraisonnable exercée par la police; il est absolu sauf dans la mesure où il est restreint par la loi.

32. La doctrine appuie la conclusion que les arrêts effectués au hasard par les agents de police dans le cadre du programme R.I.D.E. sont illégaux en common law. Le professeur Cohen, dans "The Investigation of Offences and Police Powers", précité, affirme à la p. 562:

[TRADUCTION] En théorie, alors, la police n'a pas le pouvoir général d'arrêter et de détenir des personnes au hasard, que ce soit dans le but d'effectuer une recherche, de procéder à un interrogatoire ou de forcer les citoyens à s'identifier. L'exercice du pouvoir doit se rapporter à une enquête précise et se fonder sur des motifs raisonnables, ou bien il doit être expressément et précisément autorisé par la loi. Ces limites constituent le mécanisme par lequel l'état s'assure que les actes des représentants de la loi ne seront pas arbitraires.

Vu sous cet angle, on ne peut que qualifier d'arbitraire un plan administratif qui sanctionne des atteintes discrétionnaires faites au hasard à la liberté individuelle comme celles qui sont "permises" dans le cadre du programme R.I.D.E. de l'Ontario. Aucune loi ne confère expressément aux agents de police le pouvoir de faire stopper au hasard des véhicules à moteur afin de découvrir des conducteurs en état d'ébriété. Un objet social louable ne suffit pas à revêtir ces actes d'un caractère légal.

Voir aussi Humphrey, "Abuse of Their Powers by the Police", [1979] L.S.U.C. Special Lectures: Abuse of Power 557; Honsberger, "The Power of Arrest and the Duties and Rights of Citizens and the Police", précité, à la p. 25.

33. Il découle de ce que j'ai dit que, lorsque l'agent de police lui a fait signe de stopper son véhicule à moteur, l'appelant n'était nullement obligé de s'arrêter et de se soumettre à une enquête: voir les arrêts Moore c. La Reine, Rice v. Connolly et Hoffman v. Thomas, précités. L'absence d'obligation de s'arrêter repose sur le fait que, dans les circonstances de l'espèce, l'agent de police n'avait pas le pouvoir légal, que ce soit en vertu de la loi ou en vertu de la common law, de demander d'arrêter.

34. Cependant, il serait erroné d'interpréter cette opinion comme voulant dire que les automobilistes ou les autres citoyens sont libres de passer outre aux ordres des agents de police. Comme le juge Maloney l'a souligné, il existe d'innombrables raisons valables, peut‑être non manifestes à ce moment‑là, pour lesquelles un agent de police peut tout à fait à juste titre demander à un automobiliste ou à une personne de s'arrêter, à la fois en vertu de la loi et en vertu de la common law. Même si un citoyen doute de la compétence de l'agent de police, il est en général dans l'intérêt de l'ordre public et de toutes les personnes intéressées qu'il obtempère à l'ordre de l'agent. Si le doute persiste, il pourra être dissipé dans des procédures ultérieures, si nécessaire. C'est la société en général qui est responsable du maintien de l'ordre public; la coopération entre le grand public et les forces policières est essentielle à l'accomplissement efficace des tâches déjà difficiles qui incombent à ces dernières.

35. Je conclus qu'en l'absence d'une loi habilitante validement adoptée les arrêts faits au hasard par la police dans le cadre du programme R.I.D.E. sont illégaux. En s'efforçant de réaliser un objectif souhaitable, savoir la réduction des décès et des blessures qu'entraîne chaque année la conduite avec facultés affaiblies, nous devons prendre garde de ne pas sacrifier d'autres valeurs sociales également importantes. Aussi louable que soit le mobile des policiers, il faut continuer de protéger avec vigueur les citoyens contre toute entrave exercée par l'état. En définitive, cette protection détermine la liberté de tous et est une des pierres angulaires de la qualité de la vie dans notre société démocratique.

IV. L'accusation portée en vertu du paragraphe 234.1(2)

36. Puisque, à mon avis, l'arrêt de véhicules au hasard était illégal en raison de l'absence de pouvoir en vertu de la loi ou de la common law, il faut examiner si l'appelant peut quand même être déclaré coupable de l'infraction décrite au par. 234.1(2) du Code criminel, dont il est accusé. Les paragraphes 234.1(1) et (2) sont ainsi conçus:

234.1 (1) L'agent de la paix qui a des raisons de soupçonner la présence d'alcool dans le sang du conducteur d'un véhicule à moteur ou de celui qui en a la garde à l'arrêt, peut lui demander de lui soumettre sur‑le‑champ tout échantillon d'haleine qu'il estime nécessaire pour procéder à une analyse convenable au moyen d'un alcooltest approuvé et de le suivre, si nécessaire, pour permettre de prélever cet échantillon.

(2) Quiconque, sans excuse raisonnable, refuse de donner l'échantillon prévu au paragraphe (1) est coupable d'un acte criminel ou d'une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité et est passible

a) pour la première infraction, d'une amende de cinquante à deux mille dollars et d'un emprisonnement de six mois, ou de l'une de ces peines;

b) pour la deuxième infraction, d'un emprisonnement de quatorze jours à un an; et

c) pour chaque infraction subséquente, d'un emprisonnement de trois mois à deux ans.

37. Lors de l'appel devant la Cour suprême de l'Ontario, le juge Maloney a statué que l'arrêt au hasard était illégal. À son avis, cela fournissait à l'appelant une excuse raisonnable pour refuser d'obtempérer à la demande faite en vertu du par. 234.1(2). La conclusion à laquelle il arrive après avoir examiné la jurisprudence pertinente, dont les arrêts Brownridge c. La Reine, [1972] R.C.S. 926, Rilling c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 183, et Taraschuk c. La Reine, [1977] 1 R.C.S. 385, est la mieux exprimée dans ses propres termes:

[TRADUCTION] Après un examen minutieux, j'estime que, dans les circonstances de l'espèce où l'agent de police a fait arrêter des véhicules d'une manière totalement arbitraire et au hasard dans le cadre du programme R.I.D.E., il existe une excuse raisonnable pour refuser d'obtempérer à la demande faite en vertu de l'art. 234.1 du Code criminel. Bien que les policiers aient été animés des meilleures intentions, cela ne peut leur permettre d'accomplir un acte qui, par ailleurs, n'est pas autorisé par la loi. J'ai conclu que l'arrêt du véhicule de l'accusé a comporté une entrave injustifiée à sa liberté personnelle. L'agent de police excédait ses pouvoirs et n'agissait pas dans l'exécution de son devoir lorsqu'il a demandé à l'accusé de stopper son véhicule à moteur. Refuser de conclure que ces circonstances fournissent une excuse raisonnable au sens du par. 234.1(2) du Code criminel enlèverait à ces conclusions toute importance sur le plan juridique et aurait pour résultat de ne reconnaître que pour la forme le droit d'un citoyen respectueux des lois et sans reproche de vaquer en paix à ses occupations sans être arrêté, interrogé ou entravé par la police pour aucune raison apparente.

38. En Cour d'appel de l'Ontario, le juge Martin a examiné brièvement l'accusation portée en vertu du par. 234.1(2). Il a statué que la demande d'échantillon d'haleine a été faite validement et que, par conséquent, l'appelant n'avait aucun motif raisonnable de ne pas y obtempérer. Cette conclusion faisait suite à celle que l'agent de police, en appliquant le programme R.I.D.E., accomplissait légalement ses devoirs généraux parce que l'appelant avait arrêté volontairement son véhicule.

39. L'appelant prétend qu'en l'absence du pouvoir, en vertu de la loi ou de la common law, d'arrêter au hasard des véhicules à moteur, un automobiliste arrêté au hasard à un point de vérification a, en droit, une excuse raisonnable au sens du par. 234.1(2) pour refuser de fournir un échantillon d'haleine. Selon l'appelant, l'agent de police n'avait aucun motif raisonnable et probable de faire la demande d'échantillon d'haleine, et cela constitue une excuse raisonnable.

40. L'intimée réplique que, même en l'absence du pouvoir, en vertu de la loi ou de la common law, d'arrêter un véhicule au hasard, l'appelant peut tout de même être déclaré coupable de refus ou d'omission d'obtempérer à la demande fondée sur le par. 234.1(2). Plus particulièrement, le ministère public prétend que l'appelant n'avait aucune excuse raisonnable pour omettre ou refuser d'obtempérer à la demande. Bien que l'arrêt ait pu être effectué au hasard, la demande, elle, ne l'a pas été. Le paragraphe 234.1(1) parle de raisons de soupçonner la présence d'alcool dans le sang, et non d'un motif raisonnable et probable pour effectuer la demande. En l'espèce, l'odeur d'alcool dans l'haleine de l'accusé a fait naître chez l'agent un soupçon raisonnable que l'accusé, qui conduisait alors un véhicule à moteur, ou l'avait sous sa garde, avait de l'alcool dans le sang. De plus, l'intimée invoque qu'il n'est pas nécessaire, comme cela l'est dans la loi de la circulation routière britannique, que le soupçon de présence d'alcool dans le sang existe avant que le véhicule ait été arrêté, et ce, en raison du libellé du par. 234.1(1): "du conducteur d'un véhicule à moteur ou de celui qui en a la garde à l'arrêt".

41. À mon avis, la présente affaire ne diffère pas en principe de la décision logique et convaincante rendue par la Chambre des lords dans l'affaire Morris v. Beardmore, [1980] 2 All E.R. 753, et elle doit être tranchée de la même manière. Les lords juges ont conclu que l'agent de police agissait illégalement lorsqu'il a demandé à Beardmore de se soumettre à un test d'haleine puisque la Road Traffic Act 1972 (U.K.), qui l'habilitait à demander un échantillon, ne lui permettait pas expressément d'entrer illégalement sur la propriété d'autrui pour faire la demande. Ainsi, la demande de fournir un échantillon d'haleine n'avait pas été faite légalement et était invalide. En conséquence, Beardmore ne pouvait être déclaré coupable de refus. Voir à la page 756, lord Diplock; pp. 759 et 760, lord Edmund‑Davies.

42. En l'espèce, l'arrêt au hasard n'était pas autorisé par une loi, que ce soit une loi fédérale ou une loi provinciale. J'ai déjà donné les motifs pour lesquels j'ai conclu que cela n'était pas non plus autorisé en common law et que l'agent de police ne pouvait avoir agi dans l'exécution légale de son devoir. Bien que je n'aie pas examiné si la conduite d'un agent de police qui détient un automobiliste dans le cadre du programme R.I.D.E. peut être qualifiée de délictueuse, comme la conduite du policier l'a été dans l'arrêt Morris v. Beardmore, elle était néanmoins illégale en raison de l'absence de pouvoir légal.

43. À mon avis, si l'on applique le raisonnement de la Chambre des lords dans l'arrêt Morris v. Beardmore, la demande d'échantillon d'haleine n'a pas été faite légalement parce que l'agent de police, en arrêtant l'appelant au hasard et en le détenant d'une manière arbitraire, n'agissait pas légalement au moment de la demande. Par conséquent, la demande fondée sur le par. 234.1(1) était invalide et l'appelant ne peut être déclaré coupable d'avoir refusé, sans excuse raisonnable, d'obtempérer à une demande d'échantillon d'haleine, contrairement au par. 234.1(2).

44. Il n'est pas nécessaire d'examiner la question de l'excuse raisonnable prévue au par. 234.1(2) ni les arrêts de cette Cour sur cette question: voir les arrêts Brownridge c. La Reine, Rilling c. La Reine et Taraschuk c. La Reine, précités. La demande en l'espèce était illégale et invalide. La condition la plus fondamentale pour appliquer l'article, c.‑à‑d. que l'agent de police agisse légalement dans l'exécution de son devoir au moment de la demande, est donc absente et l'appelant n'a pas à fournir d'excuse pour avoir refusé d'y obtempérer. Voir l'arrêt Morris v. Beardmore, précité, à la p. 764, lord Scarman; voir aussi lord Edmund‑Davies à la p. 761 et lord Roskill aux pp. 766 et 767.

45. L'accusation portée en vertu du par. 234.1(2) est rejetée.

V. Conclusion

46. Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et de rétablir l'acquittement de l'appelant. L'appelant a droit à ses dépens en Cour suprême de l'Ontario comme entre avocat et client, ainsi que l'a ordonné le juge Maloney. Il a également droit à ses dépens en Cour d'appel de l'Ontario et en cette Cour tant pour la demande d'autorisation de pourvoi que pour le pourvoi lui‑même.

Version française du jugement des juges McIntyre, Lamer, Wilson et Le Dain rendu par

47. Le Juge Le Dain—Le présent pourvoi soulève les questions suivantes:

1. L'arrêt du véhicule de l'appelant, fait au hasard par un agent de police dans le cadre d'un programme de promotion de la sobriété au volant, est‑il illégal parce qu'il n'existe aucun pouvoir en vertu de la loi ou de la common law à cet égard même si l'appelant a obéi au signal d'arrêt? et

2. Dans l'affirmative, le caractère illégal de l'arrêt exige‑t‑il le rejet de l'accusation portée contre l'appelant d'avoir omis ou refusé, sans excuse raisonnable, après s'être arrêté et avoir engagé la conversation avec l'agent de police, de fournir un échantillon d'haleine pour une analyse sur place au moyen d'un alcootest conformément au par. 234.1(1) du Code criminel?

48. Le pourvoi, autorisé par cette Cour, attaque un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario rendu le 19 mai 1981, 59 C.C.C. (2d) 97, 122 D.L.R. (3d) 655, 32 O.R. (2d) 641, 23 C.R. (3d) 228, 10 M.V.R. 59, qui a accueilli l'appel d'une décision du juge Maloney rendue le 19 décembre 1980, 55 C.C.C. (2d) 97, 118 D.L.R. (3d) 425, 30 O.R. (2d) 555, 23 C.R. (3d) 203, 8 M.V.R. 142, laquelle rejetait un appel par voie d'exposé de cause d'une décision du juge Charles de la Cour provinciale rendue le 15 mai 1980, 55 C.C.C. (2d) 98, 118 D.L.R. (3d) 427, 30 O.R. (2d) 557, 15 C.R. (3d) 261, 6 M.V.R. 233; ce dernier avait acquitté l'appelant de l'accusation d'avoir omis ou refusé, sans excuse raisonnable, de se conformer à une demande de donner un échantillon d'haleine, en contravention du par. 234.1(2) du Code criminel.

49. Les paragraphes (1) et (2) de l'art. 234.1 du Code criminel sont ainsi conçus:

234.1 (1) L'agent de la paix qui a des raisons de soupçonner la présence d'alcool dans le sang du conducteur d'un véhicule à moteur ou de celui qui en a la garde à l'arrêt, peut lui demander de lui soumettre sur‑le‑champ tout échantillon d'haleine qu'il estime nécessaire pour procéder à une analyse convenable au moyen d'un alcootest approuvé et de le suivre, si nécessaire, pour permettre de prélever cet échantillon.

(2) Quiconque, sans excuse raisonnable, refuse de donner l'échantillon prévu au paragraphe (1) est coupable d'un acte criminel ou d'une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité et est passible

a) pour la première infraction, d'une amende de cinquante à deux mille dollars et d'un emprisonnement de six mois, ou de l'une de ces peines;

b) pour la deuxième infraction, d'un emprisonnement de quatorze jours à un an; et

c) pour chaque infraction subséquente, d'un emprisonnement de trois mois à deux ans.

I

50. Le 4 février 1980, un agent de police a fait signe à l'appelant d'arrêter son véhicule. Il n'a pas ordonné d'arrêter à cause de la façon dont l'appelant conduisait ou parce qu'il avait des raisons de soupçonner la présence d'alcool dans le sang de l'appelant, ni à cause de l'existence de motifs raisonnables et probables de croire qu'il avait commis ou était en train de commettre une infraction criminelle, mais dans le cadre d'un programme d'arrêt de véhicules au hasard appelé "R.I.D.E." et décrit dans l'exposé de cause de la façon suivante:

[TRADUCTION] Dans l'application du programme R.I.D.E, les agents de police choisissent un endroit où ils croient qu'il y a un nombre élevé de conducteurs aux facultés affaiblies ou d'accidents causés par l'alcool. Ils arrêtent des conducteurs de véhicules choisis au hasard. On leur demande de présenter leur permis de conduire. Des agents de police ont aussi instruction de demander une preuve d'assurance, de prendre note de l'état du véhicule et de celui du conducteur.

Les agents affectés au programme R.I.D.E. disposent d'alcootests approuvés de manière à pouvoir demander un échantillon d'haleine conformément à l'art. 234.1 du Code criminel s'ils estiment avoir des motifs de faire une telle demande en vertu de cet article. Les appareils utilisés sont du type A.L.E.R.T.

Le programme R.I.D.E. a été lancé il y a quelques années à Etobicoke. R.I.D.E. veut dire Reduce Impaired Driving in Etobicoke (S.AUV.E., Sobriété au volant à Etobicoke). Au cours de la dernière année, on l'a étendu à l'ensemble de l'Ontario.

L'objectif principal du programme R.I.D.E. est de déceler, décourager et diminuer la conduite avec facultés affaiblies. Bien que les agents de police demandent de présenter un permis de conduire, ils ne le font que pour engager la conversation ou prendre contact avec le conducteur et déceler s'il a bu, ce qu'ils ne pourraient peut‑être pas faire autrement.

Le 4 février 1980, à 21 h 01, P.C. Feeney a fait signe à l'accusé d'arrêter son véhicule. Ni la façon de conduire de l'accusé, ni son véhicule ne présentaient d'indice d'irrégularité. Le seul motif de lui demander d'arrêter était l'application du programme R.I.D.E.

51. Ce qui s'est produit après qu'on eut fait signe à l'appelant d'arrêter son véhicule est relaté dans les conclusions de fait du juge de la Cour provinciale qui les énonce dans l'exposé de cause:

[TRADUCTION] L'accusé a volontairement acquiescé à la demande d'arrêter son véhicule.

L'agent de police a demandé le permis de conduire à l'accusé. Pendant la conversation, l'agent a senti une forte odeur d'alcool dans l'haleine de l'accusé.

L'odeur d'alcool dans l'haleine de l'accusé a fait naître chez l'agent le soupçon raisonnable que l'accusé, qui conduisait alors un véhicule automobile ou l'avait sous sa garde, avait de l'alcool dans le sang.

Avant de sentir l'alcool dans l'haleine de l'accusé, au moment de la vérification du permis de conduire, l'agent n'avait aucun motif de croire que l'accusé avait de l'alcool dans le sang.

L'agent a alors formulé, en termes appropriés, une demande d'échantillon d'haleine pour le vérifier sur un appareil de type A.L.E.R.T.

Après s'être assuré que l'appareil fonctionnait normalement, l'agent a indiqué à l'accusé comment il devait souffler dans l'appareil.

L'accusé a soufflé dans l'appareil à quatre reprises sans qu'aucun essai n'indique un des résultats possibles (échec, réussite, avertissement).

L'agent lui a remis, sur place, un avis de comparution relativement à une accusation d'avoir omis ou refusé de fournir un échantillon pour analyse sur place par application du par. 234.1(2) du Code criminel. L'accusé a quitté les lieux à 21 h 25.

Jusqu'au moment de l'allégation d'omission ou de refus de se conformer à une demande d'échantillon sur place, l'agent n'avait aucun motif raisonnable et probable de croire que l'accusé avait commis ou était en train de commettre une infraction à une loi provinciale ou fédérale quelconque.

À aucun moment, l'accusé n'a été en état d'arrestation.

52. Le juge de la Cour provinciale a conclu que ni la loi ni la common law ne donnait à l'agent de police le pouvoir de faire arrêter l'appelant, qu'au moment où il a fait la demande conformément au par. 234.1(1), il n'avait pas les soupçons raisonnables exigés par le paragraphe puisqu'il a acquis ces soupçons par suite d'un acte non autorisé et que, puisque l'appelant n'était pas une personne à qui on pouvait faire la demande prévue au par. 234.1(1), l'omission de ce dernier d'obtempérer à la demande ne constituait pas une infraction.

53. En Cour suprême de l'Ontario, le juge Maloney a également conclu que ni la loi ni la common law n'accordait le pouvoir de faire un signal d'arrêt, mais qu'à son avis cette absence de pouvoir avait pour effet de fournir à l'appelant une excuse raisonnable pour refuser ou omettre d'obtempérer à la demande d'échantillon d'haleine.

54. En accueillant l'appel de la décision du juge Maloney et en infirmant l'acquittement de l'accusé, la Cour d'appel de l'Ontario, dans un arrêt unanime rédigé par le juge Martin, a statué que l'obéissance volontaire de l'appelant au signal d'arrêt enlève toute importance à la question de savoir si l'agent exerçait un pouvoir de police que la loi ou la common law conférait ou si l'agent exerçait une simple faculté juridique, c'est‑à‑dire qu'il a fait ce qu'il pouvait faire sans enfreindre de règle de droit. La Cour d'appel a conclu qu'en faisant un signal d'arrêt à l'appelant, l'agent de police n'a commis aucune infraction ou acte dommageable et que, puisque l'agent avait, au moment où il a fait la demande en vertu du par. 234.1(1), des raisons de soupçonner que l'appelant avait de l'alcool dans le sang, et puisque l'agent ne s'était pas mis dans une situation où il commettait une infraction ou un acte dommageable en faisant la demande, celle‑ci était valide.

II

55. Le pourvoi porte donc sur le fondement juridique de l'acte du policier, la question précise étant de déterminer l'effet d'un acte qu'on prétend illégal sur la validité d'un acte postérieur lorsqu'il y a eu obéissance à l'acte qu'on prétend illégal.

56. Le juge Martin paraît avoir été d'avis qu'il était inutile en l'espèce de décider s'il existait un pouvoir en vertu de la loi ou de la common law pour faire un signal d'arrêt au véhicule parce que la question ne serait pertinente que s'il s'agissait de décider si le refus de se conformer au signal d'arrêt constituait l'infraction qui consiste à entraver volontairement un agent de la paix dans l'exécution de son devoir, contrairement à l'art. 118 du Code criminel. Il s'est penché sur les plaidoiries qui visaient à déterminer s'il existait un pouvoir en vertu de la loi ou de la common law qui permettait de faire arrêter un véhicule et il a fait certaines observations sur la nature et le fondement juridique des pouvoirs de la police, mais en définitive il s'est fondé, comme je l'ai déjà mentionné, sur l'opinion que, puisque l'appelant s'est volontairement conformé au signal d'arrêt, il suffisait que l'agent de police ait exercé une faculté juridique qui ne comportait aucune violation de la loi dans le sens qu'elle n'était ni criminelle ni délictueuse.

57. Quant à la distinction entre un pouvoir de la police et une faculté juridique, le juge Martin dit, en insistant sur l'arrêt de principe R. v. Waterfield, [1963] 3 All E.R. 659 (C.C.A.):

[TRADUCTION] Il est important de bien qualifier ce qui s'est produit en l'espèce. L'intimé a reçu le signal ou la demande de s'arrêter et y a obéi. Il faut distinguer entre une faculté juridique, c'est‑à‑dire quelque chose qu'une personne peut faire sans enfreindre la loi, et un droit juridique, que la loi sanctionne, de faire quelque chose ou de ne pas être empêché de le faire. Dans le langage ordinaire, le mot "droit" s'emploie parfois pour signifier des droits au sens strict aussi bien que des facultés juridiques: voir Thorne v. Motor Trade Ass’n, [1937] A.C. 797 (H.L.), lord Wright aux pp. 821 à 823. L'acte de l'agent de police, en l'espèce, selon les faits que contient l'exposé de cause, ne constituait ni une infraction ni un acte dommageable. Le professeur P.J. Fitzgerald, éditeur de la 12e édition de Salmond on Jurisprudence (1966), soutient qu'il n'est pas manifeste que les gestes des agents de police, mentionnés dans l'arrêt R. v. Waterfield, précité, constituaient des infractions ou des actes dommageables (voir "The Arrest of a Motor‑Car" par P.J. Fitzgerald, [1965] Crim.L.Rev. 23). Il suggère que l'agent de police avait une faculté juridique de se placer devant la voiture de l'appelant et de lui faire signe d'arrêter. Le conducteur Lynn avait cependant la faculté juridique d'avancer. Il suggère aussi que l'accusé dans l'arrêt R. v. Waterfield, précité, aurait pu être coupable de voies de fait s'il avait utilisé une force excessive pour exercer sa faculté de quitter les lieux dans sa voiture. Quoi qu'il en soit véritablement, selon les faits de l'espèce, on ne peut manifestement soutenir que, si les agents de police avaient exigé de Waterfield qu'il quitte sa voiture pour leur permettre d'en faire l'examen et si Waterfield avait obéi à l'ordre, il y aurait eu un exercice injustifié du pouvoir de la police.

58. Avec égards, je ne crois pas qu'on puisse déterminer la légalité du signal d'arrêt en l'espèce en faisant appel à la notion de faculté juridique que possède un agent de police en tant qu'individu comme tous les autres citoyens. Pour les motifs que je donnerai plus loin, je ne crois pas que l'obéissance de l'appelant au signal d'arrêt ait modifié le fondement juridique qui peut le justifier. À mon avis, lorsque les agents de police agissent ou sont censés agir à titre officiel en tant qu'agents de l'état, ils n'agissent légalement que s'ils exercent un pouvoir qu'ils possèdent en vertu d'une loi ou qui découle de leurs fonctions par l'effet de la common law. Le motif de cet état de choses tient au caractère autoritaire et coercitif des actes de la police. Une personne sait qu'elle peut impunément ne pas tenir compte du signal d'arrêt donné par une autre personne. Il n'en va pas de même de la demande ou de l'ordre d'un agent de police. C'est pour ce motif, à mon avis, que les actes des agents de police doivent trouver une justification juridique dans les pouvoirs découlant de la loi ou de la common law. L'étendue de leur pouvoir, par opposition à celle de leur responsabilité, ne se détermine pas par les limites de la responsabilité civile ou criminelle. Les actes de la police peuvent être illégaux parce qu'il n'existe pas de pouvoir en vertu de la loi ou de la common law à cet égard, bien qu'ils ne soient ni criminels ni délictueux. La question en l'espèce peut se rapprocher d'une question d'attribution. On soutient que comme le signal d'arrêt n'aurait pas été autorisé et est par conséquent illégal, cela porte atteinte à la validité de la demande postérieure d'échantillon d'haleine.

59. À mon avis, l'obéissance de l'appelant au signal d'arrêt ne change rien à cette question. Nul ne devrait être privé d'invoquer que le policier n'avait pas le pouvoir en vertu de la loi ou de la common law de demander ou d'ordonner quelque chose parce qu'elle a obéi, s'il n'y a pas eu d'indication claire de la part du policier que la personne est libre de refuser d'obéir. À cause de la nature intimidante des actes de la police et de l'incertitude quant à l'étendue de ses pouvoirs, on ne peut considérer comme volontaire, au vrai sens du terme, l'obéissance à un ordre dans de telles circonstances. La responsabilité criminelle qui peut découler de la désobéissance constitue une contrainte ou coercition réelle. De plus, il est dans l'intérêt de l'ordre public qu'on obéisse au signal d'arrêt fait par un agent de police. Dans certains cas, un tel signal peut viser à protéger la personne s'il s'agit par exemple de l'aviser d'un danger. On ne devrait pas pénaliser quelqu'un pour avoir obéi à un signal d'arrêt en considérant cette obéissance comme une renonciation à des droits ou comme une couverture de l'absence de pouvoir pour intimer l'ordre d'arrêter.

III

60. La disposition législative invoquée comme fondement du pouvoir de faire arrêter un véhicule en l'espèce est l'art. 14 du Code de la route, S.R.O. 1970, chap. 202, modifié par 1979 (Ont.), chap. 57, art. 2, qui est ainsi conçu:

14. (1) Tout conducteur d'un véhicule à moteur doit porter sur lui en tout temps son permis de conduire lorsqu'il fait usage de ce véhicule à moteur, et il doit présenter le permis à la demande d'un policier ou d'un fonctionnaire qui désire l'examiner et qui est nommé pour faire appliquer les dispositions de la présente loi.

(2) Quiconque est incapable de présenter son permis ou refuse de le faire conformément au paragraphe (1) lorsqu'un policier le lui demande, doit s'identifier de façon suffisante et, aux fins du présent paragraphe, le nom et l'adresse exacts de cette personne sont réputés constituer une identité suffisante.

61. Il y a peut‑être lieu de signaler que le procureur de l'intimée a reconnu en cette Cour, comme il paraît l'avoir fait en Cour d'appel, qu'il n'invoque plus, comme fondement législatif du pouvoir implicite d'arrêter un véhicule automobile pour les fins du programme R.I.D.E., le par. 86(1) du Code de la route, lequel accorde à un agent de police le pouvoir de diriger la circulation [TRADUCTION] "à son gré" et impose l'obligation de se conformer à ces ordres.

62. L'article 14 du Code de la route de l'Ontario impose au conducteur d'un véhicule automobile l'obligation de présenter son permis sur demande. On a soutenu qu'à cette obligation du conducteur correspond implicitement un pouvoir de l'agent de police d'arrêter un véhicule automobile dans le but de demander la présentation du permis pour inspection. Je doute que, par interprétation législative, on puisse conclure à l'existence d'un tel pouvoir à partir de l'obligation de l'automobiliste. Les pouvoirs implicites sont ceux qui découlent implicitement des pouvoirs accordés expressément par la loi aux autorités. L'alinéa 27b) de The Interpretation Act, R.S.O. 1970, chap. 225, prévoit que: [TRADUCTION] "Dans toute loi, à moins que le contexte ne s'y oppose ... le pouvoir de faire ou de faire faire une chose implique les pouvoirs accessoires nécessaires pour son accomplissement". C'est là l'expression législative de la règle énoncée dans Halsbury’s Laws of England, 3rd ed., vol. 36, par. 657: [TRADUCTION] "Les pouvoirs accordés par une loi habilitante ne comprennent pas seulement les pouvoirs accordés expressément, mais également, par implication, tous les pouvoirs raisonnablement nécessaires pour atteindre l'objectif visé". L'article 14 du Code de la route ne vise pas à attribuer un pouvoir à un agent de police, mais impose plutôt une obligation au conducteur. Il se peut qu'une telle obligation comprenne nécessairement le pouvoir d'exiger la présentation du permis pour inspection, mais, à mon avis, il n'est pas certain que ce pouvoir doive s'étendre, encore implicitement, au pouvoir d'arrêter un véhicule automobile à cette fin. Il semble qu'il y aurait là une extension inhabituelle de la règle des pouvoirs implicites en matière d'interprétation législative. Ce pouvoir peut exister, de façon implicite, à cause de la nature générale des obligations de la police, mais c'est là un fondement différent. C'est ce que je comprends par pouvoir en vertu de la common law relativement à l'exercice d'un pouvoir de police. En définitive, cela revient peut‑être au même, mais il ne faut pas fausser la règle d'interprétation législative à cause de son application à un grand nombre d'autres contextes législatifs. De toute façon, même en présumant pour les fins de l'analyse que l'art. 14 du Code de la route confère implicitement le pouvoir d'arrêter un véhicule automobile dans le but de demander au conducteur la présentation du permis de conduire pour inspection, et qu'il n'est pas nécessaire de fonder ce pouvoir, en common law, sur les obligations générales des agents de police, il s'agit d'un pouvoir qui doit être exercé pour les fins mentionnées à l'art. 14. On ne peut l'exercer validement à une autre fin, en se servant du but indiqué à l'art. 14 comme prétexte ou subterfuge. En l'espèce, il est manifeste, d'après les conclusions de fait énoncées dans l'exposé de cause que, bien que l'agent de police ait demandé à l'appelant de présenter son permis pour inspection, le but véritable du signal d'arrêt n'était pas de demander la présentation du permis, mais plutôt de déterminer s'il y avait des motifs de soupçonner que l'appelant avait de l'alcool dans le sang. Cela ressort clairement de la conclusion de fait suivante: [TRADUCTION] "Bien que les agents de police demandent de présenter le permis de conduire, ils ne le font que pour engager la conversation ou prendre contact avec le conducteur et déceler s'il a bu, ce qu'ils ne pourraient peut‑être pas faire autrement" et "Le seul motif de lui demander d'arrêter était l'application du programme R.I.D.E." Je suis donc d'avis que l'art. 14 du Code de la route ne fournit pas de fondement législatif au signal d'arrêt en l'espèce.

63. À cause de cette conclusion, il n'est pas nécessaire d'exprimer d'avis quant à la constitutionnalité de l'art. 14 qui, selon les prétentions du procureur de l'appelant, serait en litige si, suivant l'interprétation retenue, l'article attribuait le pouvoir d'arrêter les véhicules au hasard pour les fins du programme R.I.D.E. On peut noter que le par. 189a.—(1) du Code de la route, ajouté par 1981 (Ont.), chap. 72, art. 2, confère expressément à un agent de police le pouvoir d'arrêter un véhicule automobile: "Un agent de police, dans l'exercice légitime de ses fonctions, peut exiger du conducteur d'un véhicule automobile qu'il s'arrête. Si tel est le cas, le conducteur obtempère immédiatement à la demande de l'agent identifiable à première vue comme tel".

IV

64. On a aussi invoqué les obligations générales des agents de police comme fondement de leur pouvoir en vertu de la common law d'arrêter un véhicule automobile pour les fins du programme R.I.D.E. L'article 55 de The Police Act, R.S.O. 1970, chap. 351, qui constitue une codification législative de ces obligations, dispose:

[TRADUCTION] 55. Les membres des corps de police nommés en vertu de la Partie II, sauf les adjoints et les employés civils, ont l'obligation de maintenir la paix, de prévenir les vols et autres crimes et infractions, notamment les infractions aux règlements municipaux, d'appréhender les contrevenants et de porter des dénonciations devant le tribunal compétent, de poursuivre et d'aider à la poursuite des contrevenants. Ils ont de façon générale tous les pouvoirs et jouissent de tous les privilèges des agents de la paix et sont assujettis à toutes les obligations et à toutes les responsabilités de ces derniers.

65. On a soutenu que, selon la common law, les obligations principales des agents de police visent le maintien de la paix, la prévention du crime et la protection de la vie des personnes et des biens, dont découle l'obligation de surveiller la circulation sur les routes. Voir Rice v. Connolly, [1966] 2 Q.B. 414, à la p. 419; Johnson v. Phillips, [1975] 3 All E.R. 682, à la p. 685; Halsbury’s Laws of England, 3rd ed., vol. 30, par. 206, p. 129.

66. Le fondement en common law du pouvoir de la police a été tiré de la nature et de l'étendue des obligations de la police. Parlant des [TRADUCTION] "pouvoirs liés aux obligations", le juge Ashworth a, dans l'arrêt R. v. Waterfield, précité, aux pp. 661 et 662, énoncé de la façon suivante le critère de base de l'existence des pouvoirs de la police en common law, en tant que manifestation des obligations de la police:

[TRADUCTION] Il serait difficile, de l'avis de cette Cour, d'enfermer en des limites rigoureuses les termes généraux dont on s'est servi pour définir les fonctions des agents de police et au surplus c'est inutile dans la présente affaire. Dans la plupart des cas, il est probablement plus facile de se demander ce que l'agent faisait en réalité et notamment si sa conduite constitue de prime abord une atteinte illégale à la liberté personnelle ou à la propriété. Si tel est le cas, il y a lieu de rechercher a) si cette conduite entre dans le cadre général d'un devoir imposé par une loi ou reconnu par la common law et b) si cette conduite, bien que dans le cadre général d'un tel devoir, a comporté un emploi injustifiable du pouvoir relié à ce devoir. Ainsi, comme on peut affirmer en termes généraux que les agents de police ont le devoir d'empêcher le crime et le devoir, lorsque le crime a été perpétré, de traduire le délinquant en justice, il est également évident, selon la jurisprudence, que, lorsque l'accomplissement de ces devoirs généraux comporte des atteintes à la personne ou aux biens d'un particulier, les pouvoirs des policiers ne sont pas illimités. Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, dans l'arrêt Davis v. Lisle, [1936] 2 All E.R. 213, [1936] 2 K.B. 434, on a statué que, même si un agent de police a le droit de pénétrer dans un garage pour enquêter, il est devenu un intrus après que l'appelant lui eut dit de quitter les lieux et qu'il n'était donc pas là, dès lors, pour agir dans l'exécution de son devoir, ce qui a eu pour conséquence qu'on ne pouvait déclarer l'appelant coupable de voies de fait ou de l'avoir entravé dans l'exécution de son devoir.

67. Bien que le critère énoncé dans l'arrêt Waterfield soit en général invoqué dans les affaires où il s'agit de déterminer si l'agent de police agissait dans l'exercice de ses devoirs, on reconnaît qu'il sert à déterminer si un agent avait le pouvoir en common law de faire ce qu'il a fait. Dans l'arrêt Hoffman v. Thomas, [1974] 2 All E.R. 233, il s'agissait de savoir si un constable avait le pouvoir d'ordonner à un automobiliste de s'arrêter pour le faire répondre à une enquête sur la circulation. L'appelant avait été accusé de refus d'obéir à un ordre de s'arrêter donné par un agent de police dans l'exercice de son devoir. Appliquant le critère énoncé dans l'arrêt Waterfield, qu'il qualifie de [TRADUCTION] «très utile», le juge en chef, lord Widgery, a affirmé que le pouvoir de surveiller la circulation est un pouvoir qui doit être exercé pour protéger la vie des personnes et la propriété et a statué que l'enquête sur la circulation ne pouvait se rattacher à cet objet. L'ordre n'appartenait donc pas au domaine général des fonctions d'un agent de police en vertu de la première partie du critère énoncé dans l'arrêt Waterfield. Parlant des pouvoirs de la police, le juge en chef Widgery dit à la p. 238: [TRADUCTION] "En conséquence, il me semble que cet agent de police n'avait, ni en vertu de la common law, ni en vertu d'aucun texte législatif qu'on nous a cité, le droit d'ordonner à l'appelant de quitter la route et de se diriger dans l'aire de recensement" et il qualifie l'ordre de [TRADUCTION] "signal qu'il n'avait pas le pouvoir de faire, ni en vertu de la common law, ni en vertu de la loi". Cette Cour a considéré le critère énoncé dans l'arrêt Waterfield comme faisant autorité et l'a appliqué dans les arrêts R. c. Stenning, [1970] R.C.S. 631, et Knowlton c. La Reine, [1974] R.C.S. 443, deux affaires dans lesquelles il s'agissait de déterminer si un agent de police agissait dans l'accomplissement de son devoir. Dans l'arrêt Knowlton, le juge en chef Fauteux, qui a rédigé l'arrêt de la Cour, dit à la p. 446: "Le devoir de la police et l'exercice des pouvoirs reliés à ce devoir sont les seules questions en litige en l'espèce", et conclut à la p. 448: "Je ne puis trouver au dossier aucune preuve démontrant que le sergent Grandish ou d'autres agents de police ont fait, à cette occasion, un usage injustifié des pouvoirs reliés au devoir qui leur était imposé". Leigh, Police Powers in England and Wales (1975), à la p. 33 dit de l'arrêt Knowlton qu'il manifeste une tendance vers [TRADUCTION] "une doctrine des pouvoirs accessoires qui permettrait aux policiers de faire les actes qui sont raisonnablement nécessaires au bon accomplissement de leurs devoirs". Dans le Renvoi sur l’écoute électronique, [1984] 2 R.C.S. 697, le juge Dickson (alors juge puîné) a examiné en dissidence le critère de l'arrêt Waterfield dans la partie de ses motifs intitulée "Les pouvoirs de la police en common law" qu'il qualifie de "pouvoirs inhérents à l'exécution des fonctions de policier".

68. Pour appliquer le critère de l'arrêt Waterfield à l'arrêt au hasard d'automobilistes pour les fins visées par le programme R.I.D.E., il est utile de parler du droit de circuler en voiture sur la voie publique en tant que "faculté". C'est la façon dont on en a parlé dans les arrêts Hoffman v. Thomas et Johnson v. Phillips, précités. Pour évaluer l'entrave à ce droit causée par l'arrêt de véhicules au hasard, il faut se rappeler cependant que ce droit n'est pas une liberté fondamentale comme le droit ordinaire de circuler dont jouit une personne, mais une activité qui nécessite un permis, c'est‑à‑dire assujettie à une réglementation et à un contrôle en vue de la protection de la vie des personnes et de la propriété. Si on applique le critère de l'arrêt Waterfield et si on emploie le mot "faculté" dans ce sens spécial et restreint, on peut dire que l'arrêt d'un véhicule au hasard dans ce cas est, de prime abord, une atteinte illégale à la liberté puisqu'elle n'est pas permise par la loi. Ainsi la première question, en vertu du critère de l'arrêt Waterfield, est de savoir si l'arrêt au hasard entre dans le cadre général des devoirs d'un agent de police en vertu de la loi ou de la common law. Je ne crois pas qu'il puisse y avoir de doute qu'il entre dans le cadre général des devoirs d'un agent de police en vue de prévenir les infractions et de protéger la vie des personnes et la propriété par la surveillance de la circulation. Ce sont là les objets mêmes du programme R.I.D.E. qui vise à améliorer la détection de la conduite avec facultés affaiblies et à la décourager parce qu'elle est une cause notoire de blessures et de décès.

69. Pour ce qui est de la seconde partie du critère de l'arrêt Waterfield, il faut dire, avec égards, que ni l'arrêt Waterfield ni la plupart des autres arrêts qui l'ont appliqué n'apportent beaucoup de lumière sur les critères pour déterminer si une atteinte particulière à la liberté constitue un usage injustifié d'un pouvoir relié à un devoir de la police. L'arrêt Johnson v. Phillips, précité, suggère le bon critère, je crois, en employant l'expression [TRADUCTION] "raisonnablement nécessaire". L'atteinte à la liberté doit être nécessaire à l'accomplissement du devoir particulier de la police et elle doit être raisonnable, compte tenu de la nature de la liberté entravée et de l'importance de l'objet public poursuivi par cette atteinte. Vu la gravité du problème de la conduite avec facultés affaiblies, l'importance et la nécessité d'un programme visant à la décourager ne font pas de doute. Le droit de circuler sur les routes sans entrave déraisonnable est important mais, comme je l'ai déjà mentionné, il s'agit d'une activité qui nécessite un permis, assujettie à une réglementation et à un contrôle pour favoriser la sécurité. L'aspect condamnable de l'arrêt au hasard tient principalement à ce qu'il est fait de façon purement arbitraire, sans aucun motif de croire ou de soupçonner qu'un conducteur en particulier a commis ou est en train de commettre une infraction. C'est cet aspect de l'arrêt au hasard de véhicules qui est susceptible de produire des effets psychologiques déplaisants pour le conducteur innocent. Cependant, la grande publicité donnée à la nature du programme a tendance à minimiser ces effets en plus d'être un aspect nécessaire de son caractère dissuasif. De plus, l'arrêt est d'une durée relativement courte et ne cause pas beaucoup d'inconvénients. Compte tenu de ces facteurs, je suis d'avis que, à cause de l'importance de l'objet public poursuivi, l'arrêt de véhicules au hasard, en tant qu'action policière nécessaire à la réalisation de cet objet, n'est pas une entrave déraisonnable au droit de circuler sur la voie publique. Il ne constitue donc pas un emploi injustifiable d'un pouvoir relié à un devoir de la police, au sens du critère de l'arrêt Waterfield. Je conclus donc que la common law autorise l'arrêt de véhicules au hasard pour les fins visées par le programme R.I.D.E.

70. À cause de cette conclusion, il n'est pas nécessaire que j'exprime d'avis sur le point de savoir si, dans l'hypothèse où l'arrêt d'un véhicule au hasard est illégal faute de pouvoir en vertu de la loi ou de la common law, son caractère illégal fournirait une excuse raisonnable, conformément à l'arrêt antérieur de la majorité de cette Cour Brownridge c. La Reine, [1972] R.C.S. 926, de ne pas se conformer à une demande d'échantillon d'haleine faite par application du par. 234.1(1) ou rendrait cette demande invalide, selon le raisonnement de la Chambre des lords dans l'arrêt Morris v. Beardmore, [1980] 2 All E.R. 753.

71. Je suis donc d'avis de rejeter le pourvoi. L'appelant a droit à ses dépens en cette Cour tant pour la demande d'autorisation de pourvoi que pour le pourvoi lui‑même.

Pourvoi rejeté, le juge en chef Dickson et les juges Beetz et Chouinard sont dissidents.

Procureur de l’appelant: Morris Manning, Toronto.

Procureur de l’intimée: Le ministère du Procureur général, Toronto.

Procureur de l’intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick: John H. Evans, Fredericton.

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta: R. W. Paisley, Edmonton.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Police - Pouvoirs et devoirs - Programme R.I.D.E. - Véhicules stoppés au hasard dans le cadre d’un programme visant à déceler les conducteurs aux facultés affaiblies et à décourager la conduite avec facultés affaiblies - L’exercice des pouvoirs de la police doit être autorisé par la loi ou par la common law - Aucun pouvoir légal de stopper des véhicules au hasard - Arrêt au hasard de véhicules aux fins d’appliquer le programme R.I.D.E. autorisé en common law.

Droit criminel - Contrôle routier: alcootest - Omission de fournir un échantillon d’haleine après s’être vu demander de stopper son véhicule dans le cadre d’un programme d’arrêt au hasard visant à déceler les conducteurs aux facultés affaiblies - Arrêt au hasard de véhicules à moteur autorisé en common law - Aucune excuse raisonnable pour ne pas obtempérer à la demande d’échantillon d’haleine - Code criminel, art. 234.1(1), (2).

L'appelant a obtempéré volontairement à la demande d'un agent de police d'arrêter son véhicule. Il n'y avait rien d'anormal ni dans sa façon de conduire, ni dans l'état de son véhicule. L'arrêt a été ordonné dans le cadre d'un programme d'arrêt au hasard de véhicules appelé R.I.D.E., dont l'objectif principal est de déceler, décourager et diminuer la conduite avec facultés affaiblies. Les agents de police se rendent à un endroit où ils croient qu'il y a un nombre élevé de conducteurs aux facultés affaiblies et choisissent au hasard des automobilistes à qui ils demandent de s'arrêter. Ils demandent le permis de conduire et la preuve d'assurance pour engager la conversation afin de déceler si le conducteur a bu, ce qu'ils ne pourraient pas faire autrement.

En vérifiant le permis de conduire de l'appelant, l'agent de police a senti une forte odeur d'alcool dans l'haleine de ce dernier et a formulé, conformément à l'art. 234.1 du Code criminel, une demande d'échantillons d'haleine pour fins d'analyse sur place au moyen d'un alcootest. Malgré des tentatives répétées, l'appelant n'a pas réussi à fournir un échantillon de son haleine suffisant pour indiquer un résultat sur l'appareil. Il a été accusé d'avoir omis, sans excuse raisonnable, de fournir un échantillon d'haleine, contrairement au par. 234.1(2) du Code. L'acquittement de l'appelant par le juge de la Cour provinciale a été confirmé par la Cour suprême de l'Ontario, mais infirmé par la Cour d'appel. Le présent pourvoi a pour objet de déterminer si, dans les circonstances, l'agent de police avait le pouvoir, en vertu de la loi ou de la common law, de demander à l'appelant d'arrêter son véhicule à moteur et, dans la négative, si l'appelant pouvait être déclaré coupable d'avoir omis ou refusé, sans excuse légitime, de fournir un échantillon de son haleine.

Arrêt (le juge en chef Dickson et les juges Beetz et Chouinard sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.

Les juges McIntyre, Lamer, Wilson et Le Dain: L'arrêt du véhicule de l'appelant, fait au hasard par la police, est légal en common law et l'appelant n'avait donc aucune excuse raisonnable pour refuser d'obtempérer à la demande d'échantillon d'haleine.

Lorsque les agents de police agissent ou sont censés agir à titre officiel en tant qu'agents de l'état, ils n'agissent légalement que s'ils exercent un pouvoir qu'ils possèdent en vertu d'une loi ou qui découle de leurs fonctions par l'effet de la common law. L'étendue du pouvoir des agents de police, par opposition à celle de leur responsabilité, ne se détermine pas par les limites de la responsabilité civile ou criminelle d'un agent de police.

L'obéissance de l'appelant au signal d'arrêt ne change rien au fondement légal qui doit exister pour justifier l'arrêt au hasard. Compte tenu de la nature coercitive des actes de la police et de l'incertitude quant à l'étendue de ses pouvoirs, l'obéissance à une demande de s'arrêter à un point de contrôle routier ne peut être considérée comme volontaire au vrai sens du terme.

Le pouvoir légal de faire signe d'arrêter ne peut être trouvé ni dans le Code criminel ni dans les dispositions pertinentes du Code de la route de l'Ontario.

Le pouvoir en vertu de la common law de faire arrêter des véhicules au hasard pour les fins du programme R.I.D.E. peut découler des devoirs généraux des agents de police selon le critère énoncé dans l'arrêt R. v. Waterfield, [1963] 3 All E.R. 659. Le droit de circuler en voiture sur la voie publique peut être décrit comme une faculté; toutefois, en évaluant l'entrave causée par l'arrêt de véhicules au hasard, il ne peut être considéré comme une liberté fondamentale comme le droit de circuler dont jouit une personne, étant donné qu'il s'agit d'une activité qui nécessite un permis et qui est assujettie à une réglementation et à un contrôle en vue de la protection de la vie des personnes et de la propriété.

Appliquant le critère de l'arrêt Waterfield, l'arrêt du véhicule au hasard était, de prime abord, une atteinte illégale à la liberté puisqu'elle n'était pas permise par la loi. L'arrêt de véhicules au hasard entre dans le cadre général des devoirs d'un agent de police visant à prévenir le crime et à protéger la vie des personnes et la propriété par la surveillance de la circulation, étant donné que ce sont là les objets mêmes du programme R.I.D.E. qui vise à améliorer la détection de la conduite avec facultés affaiblies et à la décourager.

L'arrêt de véhicules au hasard ne constituait pas un usage injustifié d'un pouvoir de la police étant donné qu'il était nécessaire à l'accomplissement d'un devoir de la police et qu'il était raisonnable compte tenu de la nature de la liberté entravée et de l'importance de l'objet public poursuivi par cette atteinte. Les arrêts de véhicules au hasard effectués pour les fins du programme R.I.D.E. ne constituent pas une entrave déraisonnable au droit de circuler sur les routes en raison de l'importance de décourager la conduite avec facultés affaiblies, de la nécessité d'effectuer des arrêts au hasard afin de détecter efficacement les conducteurs aux facultés affaiblies, du fait que la conduite d'un véhicule à moteur est déjà assujettie à une réglementation et à un contrôle pour favoriser la sécurité et des inconvénients mineurs qu'ils causent aux automobilistes innocents.

Le juge en chef Dickson et les juges Beetz et Chouinard, dissidents: Les agents de police n'agissent légalement que lorsqu'ils exercent des pouvoirs qui leur sont conférés en vertu de la loi ou de la common law. Compte tenu du caractère impérieux et coercitif des demandes des policiers, l'obéissance à l'exercice d'un pouvoir apparent d'un agent de police, comme la demande d'arrêter à un barrage routier, ne peut être qualifiée de volontaire à moins que la personne n'ait su clairement à ce moment‑là qu'elle était libre de refuser d'obéir.

On a toujours considéré, comme principe fondamental de la primauté du droit, que dans l'accomplissement de leurs devoirs généraux à titre d'agents chargés d'appliquer la loi, les policiers ont des pouvoirs limités et n'ont le droit de porter atteinte à la liberté personnelle ou à la propriété que dans la mesure autorisée par la loi. Il est nécessaire d'établir une distinction entre les devoirs des agents de police et le pouvoir ou la compétence légale qu'ils possèdent pour accomplir ces devoirs. Le fait qu'un agent de police a le devoir général de prévenir le crime et de protéger la vie des personnes et les biens ne signifie pas qu'il peut utiliser tous les moyens pour atteindre ces objectifs.

En droit criminel, les règles et les principes relatifs à l'arrestation établissent des limites justifiables à la liberté d'un citoyen. Sauf dans le cas d'une arrestation, l'agent de police n'a jamais eu la compétence légale en common law pour détenir une personne contre son gré pour l'interroger ou pour mener une enquête. Selon le programme R.I.D.E., les agents de police arrêtent et détiennent des automobilistes d'une façon arbitraire pour savoir s'ils peuvent être en train de commettre une infraction criminelle. Ces arrêts effectués au hasard par la police dans le cadre du programme R.I.D.E. correspondent à une détention pour interrogatoire ou pour une enquête contre la volonté d'une personne et sont illégaux en l'absence d'une loi habilitante validement adoptée. Conclure que cette action de la police était permise et légale irait à l'encontre de la protection accordée depuis longtemps à la liberté individuelle par la common law et nuirait au droit fondamental de chaque personne d'être protégée contre les atteintes arbitraires. Il incombe au législateur et non pas aux tribunaux d'autoriser un acte arbitraire de la police qui serait par ailleurs illégal à titre de violation des droits qui sont traditionnellement protégés en common law.

Vu qu'il a arrêté l'appelant au hasard et qu'il l'a détenu d'une manière arbitraire, l'agent de police n'agissait pas légalement au moment de la demande fondée sur le par. 234.1(1) et celle‑ci n'a donc pas été faite légalement. Par conséquent, la demande fondée sur le par. 234.1(1) était invalide et l'appelant ne peut être déclaré coupable d'avoir refusé, sans excuse raisonnable, d'obtempérer à une demande d'échantillon d'haleine, contrairement au par. 234.1(2).


Parties
Demandeurs : Dedman
Défendeurs : Sa Majesté la Reine

Références :

Jurisprudence
Citée par la majorité
Arrêt suivi: R. v. Waterfield, [1963] 3 All E.R. 659
arrêt examiné: Hoffman v. Thomas, [1974] 2 All E.R. 233
arrêts mentionnés: Johnson v. Phillips, [1975] 3 All E.R. 682
Knowlton c. La Reine, [1974] R.C.S. 443
R. c. Stenning, [1970] R.C.S. 631
Rice v. Connolly, [1966] 2 Q.B. 414
Renvoi sur l’écoute électronique, [1984] 2 R.C.S. 697
Brownridge c. La Reine, [1972] R.C.S. 926
Morris v. Beardmore, [1980] 2 All E.R. 753.
Citée par la minorité
Morris v. Beardmore, [1980] 2 All E.R. 753
R. v. Waterfield, [1963] 3 All E.R. 659
Renvoi sur l’écoute électronique, [1984] 2 R.C.S. 697
Knowlton c. La Reine, [1974] R.C.S. 443
Hoffman v. Thomas, [1974] 2 All E.R. 233
R. c. Stenning, [1970] R.C.S. 631
Johnson v. Phillips, [1975] 3 All E.R. 682
Moore c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 195
Albert v. Lavin, [1981] 3 All E.R. 878
Rice v. Connolly, [1966] 2 Q.B. 414
Samuel v. Payne (1780), 1 Doug. K.B. 359, 99 E.R. 230
Christie v. Leachinsky, [1947] A.C. 573
R. c. Biron, [1976] 2 R.C.S. 56
Brownridge c. La Reine, [1972] R.C.S. 926
Rilling c. La Reine, [1976] 2 R.C.S. 183
Taraschuk c. La Reine, [1977] 1 R.C.S. 385.
Lois et règlements cités
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 118 [abr. & rempl. 1972 (Can.), chap. 13, art. 7], 234.1(1), (2) [aj. à 1974‑75‑76 (Can.), chap. 93, s. 15], 449 et 450 [abr. & rempl. S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 2, art. 5].
Code de la route, S.R.O. 1970, chap. 202, art. 14 [mod. par 1979 (Ont.), chap. 57, art. 2].
Code de la route, L.R.O. 1980, chap. 198, art. 189a.(1) [aj. à 1981 (Ont.), chap. 72, art. 2].
Interpretation Act, R.S.O. 1970, chap. 225, art. 27b).
Police Act, R.S.O. 1970, chap. 351, art. 55 [maintenant R.S.O. 1980, chap. 381, art. 57].
Doctrine citée
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Salhany, R.E. Canadian Criminal Procedure, 3rd ed., Toronto, Canada Law Book Ltd., 1978.
Smith, J.C. and B. Hogan. Criminal Law, London, Butterworths, 1965.

Proposition de citation de la décision: Dedman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 2 (31 juillet 1985)


Origine de la décision
Date de la décision : 31/07/1985
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1985] 2 R.C.S. 2 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1985-07-31;.1985..2.r.c.s..2 ?
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