Centre D'Accueil Miriam c. S.C.F.P., [1985] 1 R.C.S. 137
Le Centre d'accueil Miriam Appelant;
et
Syndicat canadien de la Fonction publique (section locale 2115) Intimé.
et
Me Jean‑Paul Lalancette Mis en cause.
No du greffe: 17450.
1984: 13 décembre; 1985: 14 mars.
Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer et Le Dain.
en appel de la cour d'appel du québec
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec1, qui a confirmé un jugement de la Cour supérieure2 autorisant la délivrance d'un bref d'évocation. Pourvoi rejeté.
1 C.A. Mtl., no 500‑09‑001644‑814, 21 octobre 1982.
2 C.S. Mtl., no 500‑05‑013202‑815, 3 décembre 1981.
H. Laddie Schnaiberg, c.r., pour l'appelant.
Louis‑Claude Trudel, pour l'intimé.
Le jugement de la Cour a été rendu par
1. Le Juge Chouinard—La décision arbitrale sur le grief qui est à l'origine de ce pourvoi, prononce que les éducateurs à l'emploi de l'appelant n'ont pas de privilège acquis leur donnant droit à des repas gratuits, à l'exception des repas qu'ils sont appelés à prendre avec les enfants, dans l'exercice de leurs fonctions.
2. Par jugement de la Cour supérieure, l'émission d'un bref d'évocation a été autorisée à l'encontre de cette décision. Ce jugement est confirmé à l'unanimité par la Cour d'appel qui déclare simplement qu'il ne lui a pas été démontré d'erreur dans le jugement ayant une portée sur le sort du litige.
3. Les dispositions pertinentes que l'arbitre avait à examiner sont l'art. 23.01 de la convention collective qui traite des repas, l'art. 25 qui traite des privilèges acquis et l'art. 5 de l'annexe «B» applicable aux éducateurs, lequel traite également des repas. Voici ces articles:
ARTICLE 23—PENSION, LOGEMENT, VESTIAIRE ET SALLE D'HABILLAGE
23.01 L'Employeur fournit au salarié un repas convenable dont le prix est à la pièce, mais un service complet n'excède pas pour:
Si des repas sont servis, le prix du repas est à la pièce, mais un service complet n'excède pas pour:
déjeuner:$0.70
dîner: $1.00
souper: $1.00
Le salarié peut apporter son repas et il le prend dans un endroit convenable désigné à cette fin par l'Employeur.
Il est entendu qu'il n'y a pas de privilège acquis pour les salariés qui payaient des taux inférieurs à $0.70 pour le déjeuner et $1.00 pour le dîner ou le souper.
Dans les établissements où un taux supérieur était en vigueur avant la signature de la présente convention, ce taux supérieur continue à s'appliquer au cours de la présente convention pour l'ensemble des salariés de ces établissements.
ARTICLE 25—PRIVILÈGES ACQUIS
Les salariés qui jouissent présentement d'avantages ou privilèges supérieurs à ceux prévus aux présentes, continuent d'en bénéficier durant la durée de cette convention collective de travail.
ANNEXE «B» (ACAQ)
CONDITIONS PARTICULIÈRES AUX éDUCATEURS
La présente annexe s'applique aux éducateurs à l'emploi des établissements membres de l'Association des Centres d'Accueil du Québec. (ACAQ)
Les dispositions de la présente convention collective s'appliquent dans la mesure où elles ne sont pas autrement modifiées par la présente annexe aux éducateurs qui sont des salariés au sens de la convention collective.
ARTICLE 5—REPAS
Un repas est fourni gratuitement à l'éducateur appelé, dans l'exercice de ses fonctions, à prendre son repas avec les enfants.
4. De la preuve l'arbitre conclut:
Il est prouvé que bien avant la signature de la convention collective [...], les éducateurs ne payaient pas leurs repas, qu'ils mangent avec les enfants ou non.
5. L'arbitre n'en décide pas moins que les éducateurs n'ont pas de privilège acquis, dans le sens d'«avantages ou privilèges supérieurs à ceux prévus aux présentes». Pourtant en vertu de l'art. 5 de l'annexe «B», les éducateurs n'ont droit à un repas gratuit que dans le seul cas où, dans l'exercice de leurs fonctions, ils sont appelés à prendre leur repas avec les enfants.
6. L'arbitre s'appuie sur une décision arbitrale de M. Brière, maintenant juge du Tribunal du travail, dans l'affaire Union des employés de service (local 298 F.T.Q.) c. Résidence Chambly, en date du 10 février 1975. De façon plus particulière il s'appuie sur le passage suivant de la décision de M. Brière:
En effet, la gratuité au repas est un droit réglementé par un article non‑équivoque de la convention et le respect de ce droit par l'employeur ne peut équivaloir à la reconnaissance d'un privilège «supérieur». C'est pourquoi on ne peut conclure qu'il s'agit d'un droit acquis et l'article 25 ne peut recevoir application ici.
Il n'existe donc aucune obligation pour l'employeur de maintenir la gratuité des repas lorsque les conditions prévues à l'article 5 ne se retrouvent plus.
7. Mais il faut bien constater que les faits dans l'affaire de la Résidence Chambly étaient bien différents de ceux de l'espèce. Les éducateurs de la Résidence Chambly n'avaient jamais eu droit à des repas gratuits, hors le cas où ils étaient appelés à prendre leur repas avec les enfants. Ils ne jouissaient donc pas de privilèges supérieurs à ceux que leur accordait la nouvelle convention. Comme ils n'étaient plus appelés à prendre leur repas avec les enfants, la convention collective n'avait pas d'application. Comme d'autre part ils ne possédaient pas de privilège acquis à la gratuité, l'arbitre M. Brière rejeta le grief.
8. En l'espèce, il est établi au contraire que bien avant la signature de la convention collective, les éducateurs ne payaient pas leurs repas, qu'ils mangent avec les enfants ou non.
9. S'inspirant à tort de la décision Résidence Chambly, l'arbitre écrit:
J'ajoute que les parties ayant négocié et couvert par un article de convention cette question de repas pour les éducateurs, cela a pour effet de mettre en échec l'article 25 sur cette question.
10. Au contraire c'est, à mon avis, précisément ce que vise l'art. 25, à savoir préserver les «avantages ou privilèges supérieurs à ceux prévus aux présentes». Ce qui est prévu à l'art. 5 de l'annexe «B» c'est le droit à un repas gratuit lorsque l'éducateur est appelé, dans l'exercice de ses fonctions, à prendre son repas avec les enfants. Il ne se trouvera personne pour prétendre que le droit dont jouissait l'éducateur auparavant, soit celui de recevoir un repas gratuit, qu'il mange avec les enfants ou non, n'est pas un privilège supérieur.
11. C'est pourquoi le juge de la Cour supérieure a conclu que l'interprétation de l'arbitre était manifestement déraisonnable, c'est‑à‑dire que les termes de la convention collective ne pouvaient pas raisonnablement la permettre. (Voir notamment Métallurgistes unis d’Amérique, local 4589 c. Bombardier—M.L.W. Ltée, [1980] 1 R.C.S. 905, à la p. 910.)
12. Le juge de la Cour supérieure écrit:
La Cour doit tenir pour établi, à ce stade‑ci, que bien avant le 6 juin 1979, date à laquelle les parties ont convenu de se lier par la Convention collective, [...] tous les éducateurs à l'emploi du Centre d'Accueil Miriam, le mis‑en‑cause, bénéficiaient de la gratuité des repas même s'ils n'étaient pas appelés dans l'exercice de leurs fonctions à prendre leurs repas avec les enfants.
...
Nous n'avons pas à décider du bien‑fondé du grief et nous nous gardons bien de le faire mais il faut se rendre à l'évidence: tel que rédigé, l'article 5 de l'Annexe «B» ne saurait faire obstacle à l'application de l'article 25 de la Convention collective. Ce n'est pas parce que cette question de repas avait été négociée et était «couvert par un article de convention» [...] que cet article 25 ne pouvait s'appliquer; au contraire ce même article 25 ne peut et ne doit précisément s'appliquer qu'à ces avantages ou privilèges supérieurs à ceux déjà prévus à la Convention. Il serait difficile de soutenir que l'avantage d'un repas gratuit donné dans la Convention à l'éducateur appelé, dans l'exercice de ses fonctions, à prendre son repas avec les enfants, n'était pas prévu à la Convention; il y est écrit en toutes lettres.
13. Cependant, le juge de la Cour supérieure termine par le passage suivant:
En obiter nous ajoutons que si l'intimé avait fondé sa décision uniquement sur l'interprétation qu'il donne à l'article 23.01 [...] nous n'aurions pas autorisé l'émission du bref puisque cette interprétation n'est pas déraisonnable même si l'intimé s'appuie en ce faisant sur la décision de son collègue Brière qui n'avait pas à se prononcer sur une affaire semblable.
14. De là la confusion qui obscurcit l'affaire.
15. À la première lecture ce passage semble vouloir dire que si l'arbitre avait fondé sa décision de rejeter le grief non pas sur l'art. 5 de l'annexe «B», mais sur l'art. 23.01 de la convention, l'interprétation n'aurait pas été déraisonnable. Le juge aurait dans ce cas rejeté la requête en évocation.
16. D'où l'argument de l'appelant que le juge n'aurait pas dû intervenir puisque la convention considérée dans son ensemble, compte tenu non pas seulement de l'art. 5 de l'annexe «B», mais aussi de l'art. 23.01, permettait l'interprétation donnée par l'arbitre, savoir que les éducateurs n'avaient pas de privilège acquis. L'appelant s'appuie sur l'avant‑dernier alinéa de l'art. 23.01, que je reproduis de nouveau:
Il est entendu qu'il n'y a pas de privilège acquis pour les salariés qui payaient des taux inférieurs à $0.70 pour le déjeuner et $1.00 pour le dîner ou le souper.
17. Ceux qui ne payaient rien du tout, soumet l'appelant, payaient, pour reprendre les termes de la convention, des taux inférieurs à $0.70 et $1.00 selon le cas. C'est là, selon lui, une interprétation raisonnable, reconnue comme telle par le juge de la Cour supérieure. Par conséquent l'autorisation d'émettre le bref d'évocation aurait dû être refusée.
18. À lire plus attentivement cependant, on s'aperçoit que le juge de la Cour supérieure s'est mépris sur l'interprétation que l'arbitre donne de l'art. 23.01. L'arbitre écrit:
N'eut été de cet article 5 de l'Annexe «B», de la convention collective, j'aurais été d'accord avec les Arbitres Rousseau et Frumkin, mais ce n'est pas le cas.
19. Dans l'affaire Jewish Convalescent Hospital c. Syndicat national des employés de l’Hôpital juif pour convalescents, [1975] S.A.G. 183, l'arbitre Frumkin avait à décider si les employés de l'hôpital avaient droit à un repas gratuit lorsqu'ils travaillaient la nuit. Dans les faits, ils avaient dû payer leur repas suite à la décision de l'employeur et la convention collective n'énonçait rien de plus que: «L'employeur doit également servir un repas la nuit». En se fondant sur la pratique générale et l'usage qui existaient dans l'établissement concernant la gratuité, l'arbitre a conclu qu'ils avaient droit à ce repas.
20. D'autre part la décision de l'arbitre Rousseau fut rendue dans l'affaire Weredale House c. Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 1511, le 15 décembre 1977. L'arbitre Rousseau a décidé que l'art. 23.01 ne fait pas échec à un privilège acquis préservé par l'art. 25. Ces dispositions étaient en tous points semblables à celles dont il est question ici. Il écrit notamment:
Le troisième alinéa de l'article 23.01, cependant, a‑t‑il pour effet de faire échec à un tel privilège? Cet alinéa, par sa rédaction même («il est entendu qu'il n'y a pas de privilège acquis») constitue une exception à l'article 25, exception qui doit s'interpréter de façon stricte et voire restrictive.
Stricto sensu, des salariés qui ne payaient rien du tout ne peuvent être assimilés à des salariés qui payaient des taux inférieurs; il eût été possible aux parties négociantes d'embrasser, dans la rédaction de l'exception, la situation des salariés jouissant de la gratuité; j'ajouterais à la convention collective en faisant une association que les termes de l'exception ne paraissent pas autoriser.
21. «N'eut été de cet article 5 de l'Annexe «B»», l'arbitre aurait été d'accord avec les arbitres Frumkin et Rousseau. Par son interprétation de l'art. 23.01, il aurait donc, en toute logique, décidé que celui‑ci n'avait pas pour effet d'écarter l'art. 25 et il n'aurait pas rejeté mais plutôt accueilli le grief.
22. C'est ce que soumet l'intimé lorsqu'il écrit dans son mémoire:
Il est donc manifeste que l'arbitre mis en cause n'a pas, de toute façon, retenu l'interprétation que proposait l'appelant du paragraphe précité de l'article 23.01, bien au contraire. Il en résulte que si l'arbitre n'avait pas commis d'erreur sur le sens de l'article 25, il aurait vraisemblablement fait droit au grief au lieu de le rejeter.
23. Je suis d'avis qu'en pareille circonstance il ne faut pas tenir compte de l'obiter du juge de la Cour supérieure qui est fondé sur une perception erronée d'un extrait guère limpide de la décision arbitrale.
24. Il faut prendre la décision de l'arbitre telle qu'elle est, c'est‑à‑dire, en bref, la décision de rejeter le grief au motif que «les parties ayant négocié et couvert par un article de convention cette question de repas pour les éducateurs, cela a pour effet de mettre en échec l'article 25 sur cette question». Pour les motifs déjà exposés, je suis d'accord avec le juge de la Cour supérieure, confirmé par la Cour d'appel, qu'une telle interprétation en est une que les termes de la convention collective ne peuvent raisonnablement permettre.
25. Le procureur de l'appelant ne tente pas de soutenir la décision de l'arbitre sur la base de l'art. 5 de l'annexe «B». Il nous invite plutôt à considérer l'ensemble de la convention et à conclure que le résultat auquel en est arrivé l'arbitre peut s'appuyer sur l'art. 23.01, comme il l'a soutenu depuis le début et à chaque étape de la procédure. Il nous invite à décider dans le sens contraire à celui dans lequel aurait décidé l'arbitre sur la base de l'art. 23.01.
26. Accéder à la demande du procureur de l'appelant serait, à mon avis, nous substituer purement et simplement à l'arbitre.
27. En principe, si la décision de l'arbitre est cassée il devra y avoir un nouvel arbitrage où l'appelant pourra de nouveau invoquer l'art. 23.01.
28. Pour ces motifs je suis d'avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureurs de l’appelant: Schnaiberg, Schnaiberg & Skolnik, Montréal.
Procureurs de l’intimé: Trudel, Nadeau, Lesage, Cleary, Ménard et Associés, Montréal.