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01/11/1984 | CANADA | N°[1984]_2_R.C.S._396

Canada | Reilly c. R., [1984] 2 R.C.S. 396 (1 novembre 1984)


Cour suprême du Canada

Reilly c. R., [1984] 2 R.C.S. 396

Date: 1984-11-01

Albert Douglas Reilly (Plaignant) Appelant;

et

Sa Majesté La Reine (Défendeur) Intimée.

N° du greffe: 17165.

1983: 2 novembre; 1984: 1er novembre.

Présents: Le juge en chef Laskin[1] et les juges Ritchie, Dickson, Estey, McIntyre, Lamer et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1982), 66 C.C.C. (2d) 146, qui a rejeté un appel d’une déclaration de culpabilité de meur

tre au deuxième degré. Pourvoi rejeté.

Bruce Durno, pour l’appelant.

John C. Pearson, pour l’intimée.

Version française du j...

Cour suprême du Canada

Reilly c. R., [1984] 2 R.C.S. 396

Date: 1984-11-01

Albert Douglas Reilly (Plaignant) Appelant;

et

Sa Majesté La Reine (Défendeur) Intimée.

N° du greffe: 17165.

1983: 2 novembre; 1984: 1er novembre.

Présents: Le juge en chef Laskin[1] et les juges Ritchie, Dickson, Estey, McIntyre, Lamer et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1982), 66 C.C.C. (2d) 146, qui a rejeté un appel d’une déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré. Pourvoi rejeté.

Bruce Durno, pour l’appelant.

John C. Pearson, pour l’intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE RITCHIE — Il s’agit d’un pourvoi formé avec l’autorisation de cette Cour contre l’arrêt unanime de la Cour d’appel de l’Ontario. Le juge Arnup a rédigé les motifs de cet arrêt qui a rejeté l’appel interjeté par l’accusé contre le verdict d’un jury qui l’avait déclaré coupable du meurtre au second degré de sa maîtresse avec qui il partageait un appartement à Toronto.

Les faits en l’espèce ne sont pas vraiment contestés et les circonstances sordides qui ont directement précédé le meurtre ont été analysées d’une façon si complète et si exacte dans les motifs du juge Arnup qu’à mon avis, il est inutile de les reprendre en détail pour les fins du présent pourvoi.

L’appelant est accusé d’avoir:

[Page 398]

[TRADUCTION]…le 13 mai 1979, ou vers cette date, dans la communauté urbaine de Toronto, district judiciaire de York, tué une nommée Eileen Gertrude Fraser, commettant ainsi un meurtre au second degré en violation du Code criminel.

Il ne fait aucun doute et il est d’ailleurs admis que ladite Eileen Fraser est décédée des suites de trois coups que l’appelant lui a assénés avec un couteau tranchant. La meilleure description des événements qui ont précédé ces coups de couteau se trouve dans le propre témoignage de l’appelant dont l’extrait suivant est reproduit dans les motifs de jugement de la Cour d’appel, ((1982), 66 C.C.C. (2d) 146, aux pp. 150 et 151):

[TRADUCTION] Elle est arrivée et elle tenait ce couteau et ce regard incroyable, le regard dans ces yeux, elle venait vers moi et elle me chargeait vite.

Q. A-t-elle dit quelque chose?

R. Rien. Pas un mot. Elle venait vers moi.

Q. Qu’avez-vous fait?

R. Tout ce que je pouvais voir était la lueur du couteau et ce regard dans ses yeux et j’ai tenté de le lui faire échapper et j’ai tout simplement envoyé un coup violent, j’ai tenté de la frapper.

Q. Vous êtes-vous rendu compte à ce moment-là que vous portiez quelque chose ou portiez-vous quelque chose?

R. Je voulais simplement l’arrêter, c’est tout. Ce couteau. J’ai cru qu’elle allait me tuer…Juste comme cela, elle est revenue à la charge. Sans raison. Aucune raison. Sans rime ni raison. J’ai pensé…pensé et repensé à ce que j’avais dit. À ce que j’avais fait. Qu’est-ce qui a pu provoquer cette situation? Et me voilà, la voilà.

Q. Vous avez dit que vous lui avez envoyé un coup violent. Que voulez-vous dire par là?

R. J’ai seulement tenté d’enlever — tenté d’écarter le couteau et je l’ai frappée en même temps. J’ai simplement — J’ai simplement frappé. Je ne sais pas, instinctivement, ce n’est pas trop clair. Tout cela s’est passé si rapidement. Nous en sommes venus aux coups et ça y était et elle en était là.

Q. Aviez-vous l’intention de la tuer?

R. Certainement pas. J’aimais cette femme et…

En contre-interrogatoire:

Q. Elle est apparue. Est-ce qu’elle criait après vous en entrant?

[Page 399]

R. Non, elle ne criait pas — elle m’a chargé — pas un mot, rien.

Q. Avec ce couteau dans les mains?

R. Elle s’est approchée de moi.

Q. Quelle a été votre première réaction?

R. Je ne peux vraiment pas le dire ici.

Il faut se rappeler que cet incident a été le point culminant de violents échanges verbaux entre les parties pendant plusieurs jours, à tel point qu’ils ont été entendus par les voisins qui ont remarqué que la principale protagoniste était Eileen Fraser qui, peu de temps auparavant, avait traité l’appelant, sans motif apparent, de: [TRADUCTION] «Espèce d’enfant de putain, sale bâtard». L’appelant a par la suite cité cet exemple d’abus de langage comme un motif provocateur qui a contribué à le mettre dans l’état d’esprit qui l’a amené à «envoyer un coup violent dans la direction» de la victime et à porter le coup fatal qui est à l’origine de la présente accusation. Je suis toutefois convaincu qu’il s’est écoulé suffisamment de temps entre cet abus de langage et les coups de couteau pour qu’on ne puisse pas relier ces deux événements; quoi qu’il en soit, la crudité des injures semblait être commune dans les conversations quotidiennes des parties et elle ne serait donc pas nécessairement à l’origine de la réaction violente de l’appelant.

La provocation et la légitime défense sont les principaux moyens de défense de l’appelant, ce qui ressort des moyens d’appel suivants sur lesquels cette Cour s’est fondée pour accorder son autorisation:

[TRADUCTION] 1. La Cour d’appel de la province de l’Ontario a-t-elle commis une erreur de droit en décidant que le juge du procès n’était pas tenu d’indiquer dans ses directives au jury que celui-ci devait conclure que l’appelant était coupable d’homicide involontaire coupable s’il avait agi en légitime défense mais avait employé une force excessive?

2. La Cour d’appel de la province de l’Ontario a-t-elle commis une erreur de droit en décidant que le juge du procès a donné des directives adéquates au jury en ce qui concerne la défense restreinte de provocation?

3. La Cour d’appel de la province de l’Ontario a-t-elle commis une erreur de droit en décidant que le juge du procès avait relié la consommation d’alcool à l’élément subjectif qu’est la légitime défense?

[Page 400]

Au début de son jugement, le juge Arnup de la Cour d’appel a eu l’occasion d’examiner le premier de ces moyens en disant, à la p. 148:

[TRADUCTION] Le…moyen le plus important porte que le juge du procès n’a pas indiqué dans ses directives au jury «que si l’appelant a fait usage d’une force excessive en légitime défense, il est coupable d’homicide involontaire coupable». Cet argument soulève la question de savoir s’il existe au Canada un moyen de défense restreint qui découle de l’usage de force excessive en légitime défense, ce qui donnerait lieu à un verdict d’homicide involontaire coupable dans des circonstances qui, autrement, entraîneraient une déclaration de culpabilité de meurtre.

Cette question a été soulevée et examinée dans deux arrêts de cette Cour mais il n’a pas été nécessaire de décider auparavant si ce moyen de défense restreint devrait être reconnu en Ontario.

Le juge Arnup a ensuite procédé à un examen approfondi de la jurisprudence pertinente des différentes cours des provinces et il a conclu, en conformité avec la règle de droit énoncée par le juge Martin de la Cour d’appel dans l’arrêt R. v. Trecroce (1980), 55 C.C.C. (2d) 202 (C.A. Ont.), à la p. 211, en disant:

[TRADUCTION] Dans les ressorts qui ont reconnu l’usage de force excessive en légitime défense comme une doctrine indépendante, il faut apparemment au moins satisfaire aux conditions suivantes pour pouvoir invoquer cette défense restreinte:

a) l’accusé doit avoir eu un motif valable de recourir à la force pour se défendre contre une agression réelle ou qu’il pouvait raisonnablement appréhender.

b) L’accusé a dû honnêtement croire que la force qu’il a utilisée était justifiée.

c) Le caractère excessif de la force utilisée vient uniquement de ce qu’elle dépassait ce que l’accusé a pu raisonnablement juger nécessaire.

En adoptant le raisonnement illustré dans l’arrêt Trecroce, la Cour d’appel a également suivi le jugement du juge Martin dans l’arrêt R. v. Campbell (1977), 38 C.C.C. (2d) 6 (C.A. Ont), et a conclu que ce raisonnement était appuyé par l’arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique R. v. Basarabas and Spek (1981), 62 C.C.C. (2d) 13. En conformité avec ce raisonnement, le juge Arnup a conclu au nom de la Cour d’appel, à la p. 160:

[Page 401]

[TRADUCTION] À la lumière des décisions des Cours d’appel de la Colombie‑Britannique, de l’Alberta et de la Saskatchewan, et compte tenu de l’examen approfondi du sujet par le juge Martin de la Cour d’appel dans les arrêts Campbell et Trecroce, précités, je suis arrivé à la conclusion que la doctrine de l’usage de force excessive en légitime défense qui limite la culpabilité de l’accusé à celle d’homicide involontaire coupable doit être reconnue en Ontario.

À mon avis, les décisions auxquelles se réfère le juge Arnup dans cet extrait appuient sans aucun doute la conclusion à laquelle il est arrivé et elles sont également conformes au point de vue généralement reconnu concernant l’effet de «la théorie de la force excessive» dans une affaire de meurtre. Le juge Arnup a rendu la décision unanime de la Cour d’appel le 9 mars 1982, mais cette même question a été tranchée de façon différente dans l’arrêt unanime de cette Cour R. c. Faid, [1983] 1 R.C.S. 265, rendu le 1er mars 1983. Voici ce que dit le juge Dickson dans ses motifs de jugement à lap. 271:

Le point de vue de la Cour d’appel de l’Alberta selon lequel il existe un abri «à mi‑chemin» de l’art. 34 du Code ne s’applique pas, à mon avis, au régime canadien de droit criminel codifié; cette théorie ne repose sur aucun principe reconnu et son application nécessiterait des exposés au jury à la fois prolixes et complexes et, en outre, inciterait les jurys, au préjudice soit de l’accusé soit du ministère public, à rendre des verdicts qui ne sont que des compromis. Lorsqu’un homicide résulte de l’emploi de force excessive en légitime défense, l’accusé perd la justification fournie par l’art. 34. Il n’existe pas de justification partielle aux termes de l’article. Lorsque le jury conclut à l’emploi de force excessive, le moyen de défense que constitue la légitime défense a échoué.

Étant donné que cette Cour est liée par ces observations, il me semble clair que, sur ce seul fondement, le premier moyen d’appel doit être rejeté mais, quoi qu’il en soit, il importe de souligner que le juge Arnup a trouvé un autre motif d’appel pour appuyer l’exposé du juge du procès au jury, à la p. 162:

[TRADUCTION] Je conclus que, en l’espèce, le juge du procès n’a pas commis d’erreur en ne donnant pas de directive au jury au sujet de l’usage de force excessive en légitime défense. Ce moyen de défense «ne se dégage pas de la preuve» et il n’a jamais été soulevé par la défense.

[Page 402]

Par son deuxième moyen d’appel, l’appelant conteste l’exposé du juge du procès au jury sur la défense restreinte de provocation. Devant cette Cour comme devant la Cour d’appel de l’Ontario, il s’en est pris aux termes suivants de l’exposé:

[TRADUCTION] Vous vous demanderez si la provocation était telle qu’elle aurait incité une personne se trouvant dans l’état physique et mental de l’accusé à réagir de cette façon.

L’appelant prétend que ces termes ont amené le jury à examiner, à tort, la conduite d’une personne autre que l’accusé. Je pense comme le juge Arnup que, même si l’extrait susmentionnné peut peut-être se prêter à une telle critique lorsqu’on l’examine isolément, il n’a pu induire le jury en erreur lorsqu’on le lit dans le contexte de l’ensemble de l’exposé portant sur la provocation.

Dans son dernier moyen d’appel, l’appelant conteste l’exposé du juge du procès au jury concernant la légitime défense codifiée par les par. 34(1) et (2) du Code criminel. L’article 34 prévoit:

34. (1) Toute personne illégalement attaquée sans provocation de sa part est fondée à repousser la violence par la violence, si, en faisant usage de violence, elle n’a pas l’intention de causer la mort ni des lésions corporelles graves et si la violence n’est pas poussée au-delà de ce qui est nécessaire pour lui permettre de se défendre.

(2) Quiconque est illégalement attaqué et cause la mort ou une lésion corporelle grave en repoussant l’attaque, est justifié

a) s’il la cause parce qu’il a des motifs raisonnables pour appréhender que la mort ou quelque lésion corporelle grave ne résulte de la violence avec laquelle l’attaque a en premier lieu été faite, ou avec laquelle l’assaillant poursuit son dessein, et

b) s’il croit, pour des motifs raisonnables et probables, qu’il ne peut pas autrement se soustraire à la mort ou à des lésions corporelles graves.

Selon l’appelant, dans son exposé portant sur ces deux paragraphes, le juge du procès aurait dû dire au jury qu’il lui fallait examiner la preuve d’ivresse aux fins de décider s’il avait un doute raisonnable quant à savoir si l’accusé avait agi dans le cadre de la définition légale de la légitime défense.

[Page 403]

Une concession faite au nom de l’accusé devant la Cour d’appel complique l’examen de l’argument de l’appelant, concession que le juge Arnup décrit de la façon suivante aux pp. 162 et 163:

[TRADUCTION] On a ensuite fait valoir que le juge du procès a commis une erreur en ne disant pas dans son exposé au jury que la consommation d’alcool est un facteur dont il faut tenir compte lorsqu’on examine les éléments subjectifs de la légitime défense. L’exposé portant sur la provocation a fait l’objet d’une plainte identique. L’avocat a admis que le juge du procès avait expressément mentionné l’ivresse relativement à la légitime défense et à la provocation.

À mon avis, l’exposé considéré dans son ensemble était adéquat, en ce qui concerne la relation de l’ivresse avec la légitime défense et la provocation. [C’est moi qui souligne.]

Puisqu’il est possible de considérer que le jugement de la Cour d’appel dépend, au moins en partie, de la concession de l’appelant, j’ai examiné la partie de l’exposé du juge du procès portant sur la légitime défense et je n’y trouve aucune mention de l’ivresse de l’accusé ni de sa pertinence possible. L’appelant a retiré sa concession devant cette Cour et les deux parties se sont fait entendre sur la question.

À mon avis, la concession n’a maintenant aucune importance pour les motifs suivants. Tout d’abord, le par. 34(1) n’est plus en cause en l’espèce parce que l’appelant admet que le jury a conclu qu’il a eu l’intention requise de commettre un meurtre au sens de l’al. 212a) du Code criminel. Un accusé ne peut se prévaloir du par. 34(1) lorsque le jury conclut que la force employée visait à causer la mort.

En ce qui concerne le par. 34(2), je suis d’avis que le juge du procès n’était pas tenu de dire dans son exposé au jury que l’ivresse de l’accusé était pertinente. La seule façon de prétendre que l’ivresse peut être reliée au par. 34(2) serait de dire qu’elle a entraîné chez l’accusé une mauvaise évaluation des faits qui, si elle était juste, aurait justifié la force qu’il a employée en légitime défense. En d’autres termes, il faudrait plaider que son ivresse est pertinente si elle a provoqué en lui une fausse appréhension de la mort ou de quelque

[Page 404]

lésion corporelle grave ou lui a fait croire à tort qu’il ne pourrait pas autrement se soustraire à la mort ou à des lésions corporelles graves.

Le paragraphe 34(2) met en cause l’état d’esprit de l’accusé au moment où il a causé la mort. Ce paragraphe ne protège l’accusé que lorsque celui-ci appréhende la mort ou une lésion corporelle grave résultant de l’attaque qu’il repousse et lorsqu’il croit qu’il ne peut se soustraire à la mort ou à une lésion corporelle grave autrement que par la force qu’il a employée. Son appréhension doit néanmoins être raisonnable et sa croyance doit se fonder sur des motifs raisonnables et probables. En vertu du paragraphe, le jury doit se fonder sur ce qu’il croit, à la lumière de la preuve, être l’évaluation de la situation par l’accusé et sa perception quant à la réaction que cette situation exigeait, dans la mesure où on peut vérifier cette perception à partir d’un critère objectif.

Étant donné que le par. 34(2) met en cause la perception de l’accusé concernant l’attaque dont il a fait l’objet, ainsi que la réaction requise pour répondre à cette attaque, on peut encore conclure que l’accusé a agi en la légitime défense même si sa perception était faussée. Celle-ci doit quand même se fonder sur des motifs raisonnables et probables en ce sens qu’il doit s’agir d’une erreur qu’un homme ordinaire prenant des précautions normales aurait pu commettre dans les mêmes circonstances.

Cette condition légale du caractère raisonnable est ce qui distingue le moyen de défense fondé sur le par. 34(2) de la règle générale concernant l’erreur de fait énoncée dans l’arrêt Pappajohn c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 120. Cet arrêt a conclu qu’une croyance de bonne foi mais erronée concernant les faits, qui, si elle était exacte, disculperait l’accusé est suffisante pour l’empêcher d’avoir la mens rea essentielle à toute responsabilité criminelle; il n’est pas juridiquement nécessaire que la croyance erronée se fonde sur des motifs raisonnables. On a admis que l’ivresse pouvait potentiellement produire une telle erreur de fait.

La difficulté fatale que rencontre l’argument de l’appelant en l’espèce provient du fait que, même si l’ivresse peut être un facteur entraînant une erreur

[Page 405]

de bonne foi, elle ne peut entraîner une erreur qui doit se fonder sur des motifs raisonnables et probables. Le point de vue de l’homme raisonnable que les termes du par. 34(2) mettent en cause en l’espèce est le critère objectif habituellement adopté pour évaluer la conduite d’un homme. Un homme raisonnable est un homme en pleine possession de ses facultés. Au contraire, un homme ivre est celui dont la capacité de raisonner et de percevoir est diminuée par l’alcool qu’il a consommé.

Je ne veux pas qu’on croie que je dis qu’une personne ivre ne peut jamais invoquer la défense prévue au par. 34(2). Un homme ivre peut avoir une croyance raisonnable, c.-à.-d. la même que celle qu’un homme sobre aurait en evaluant l’affaire devant lui en se fondant sur des motifs raisonnables et probables. S’il le fait, toutefois, c’est en dépit de son ivresse.

La nécessité d’un fondement objectif concernant la perception des faits par l’accusé, qu’elle soit erronée ou bonne, enlève toute pertinence à la preuve de son ivresse relativement à la légitime défense en vertu du par. 34(2). Naturellement, si l’accusé est ivre, il n’est pas privé du moyen de défense prévu au paragraphe du moment que sa perception de la nature de l’attaque dont il fait l’objet et de la réaction nécessaire pour y faire face s’appuie sur l’existence de motifs raisonnables et probables qui satisfont au critère objectif.

Je suis donc d’avis de rejeter le présent pourvoi.

Pourvoi rejeté.

Procureurs de l’appelant: Humphrey, Ecclestone & Durno, Toronto.

Procureur de l’intimée: Le procureur général de l’Ontario, Toronto.

[1] Le Juge en chef n’a pas pris part au jugement.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Moyens de défense - Meurtre au deuxième degré - Légitime défense et provocation - Force excessive - Partie en état d’ivresse - Peut-on, pour réduire l’inculpation, invoquer la défense restreinte de force excessive dans un cas de légitime défense? - L’exposé du juge du procès concernant la défense restreinte de provocation et ait-il adéquat? - L’ivresse est-elle pertinante à la légitime défense? - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 34, 212a).

La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé la déclaration de culpabilité de l’appelant de meurtre au deuxième degré après que celui-ci eut tué sa maîtresse à coups de couteau. Croyant qu’elle voulait le tuer lorsqu’elle s’est dirigée vers lui avec un couteau, l’appelant a tenté de l’arrêter et l’a tuée dans la «mêlée» qui s’ensuivit. Les deux étaient en état d’ivresse. L’arrêt de la Cour d’appel soulève les questions suivantes: (1) le juge du procès était-il tenu d’indiquer au jury qu’il devait rendre un verdict d’homicide involontaire coupable si l’accusé a agi en légitime défense mais a employé une force excessive? (2) l’exposé du juge du procès concernant la défense restreinte de provocation était-il adéquat et (3) le juge du procès aurait-il dû donner comme directive au jury d’examiner la preuve d’ivresse de l’accusé aux fins de décider s’il avait agi en légitime défense au sens de l’art. 34 du Code?

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Le moyen de défense que constitue la légitime défense est irrecevable lorsqu’on conclut à l’emploi de force excessive; le juge du procès n’était donc pas tenu d’indiquer au jury qu’il devait rendre un verdict d’homicide involontaire coupable dans de telles circonstances. L’exposé du juge du procès concernant la défense restreinte de provocation était adéquat car le jury n’a pu être induit en erreur par la partie de l’exposé en question lorsqu’on considère l’ensemble de l’exposé sur la provocation. Le juge du procès n’a pas commis d’erreur dans

[Page 397]

son exposé au jury sur la légitime défense. Un accusé ne peut se prévaloir du moyen de défense que lui fournit le par. 34(1) lorsque le jury conclut, comme en l’espèce, qu’il a intentionnellement employé la force pour causer la mort. On peut conclure que l’accusé a agi en légitime défense au sens du par. 34(2) même s’il y a eu fausse appréhension de la mort ou de quelque lésion corporelle grave ou s’il a cru à tort qu’il ne pouvait se soustraire à la mort ou à une lésion corporelle grave autrement que par la force employée. Son appréhension doit néanmoins être raisonnable et sa croyance doit se fonder sur des motifs raisonnables. La pertinence de l’ivresse en vertu du par. 34(2) est éliminée et une personne ivre peut se prévaloir du moyen de défense si sa perception répond à ce critère objectif.


Parties
Demandeurs : Reilly
Défendeurs : Sa Majesté la Reine

Références :

Jurisprudence: arrêt appliqué: R. c. Faid, [1983] 1 R.C.S. 265, 2 C.C.C. (3d) 513

distinction faite avec l’arrêt: Pappajohn c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 120

arrêts mentionnés: R. v. Trecroce (1980), 55 C.C.C. (2d) 202

R. v. Campbell (1977), 38 C.C.C. (2d) 6

R. v. Basarabas and Spek (1981), 62 C.C.C. (2d) 13.

Proposition de citation de la décision: Reilly c. R., [1984] 2 R.C.S. 396 (1 novembre 1984)


Origine de la décision
Date de la décision : 01/11/1984
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1984] 2 R.C.S. 396 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1984-11-01;.1984..2.r.c.s..396 ?
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