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26/07/1984 | CANADA | N°[1984]_2_R.C.S._66

Canada | P.G. (Qué.) c. Quebec Protestant School Boards, [1984] 2 R.C.S. 66 (26 juillet 1984)


Cour suprême du Canada

P.G. (Qué) c. Quebec Association of Protestant School Boards, [1984] 2 R.C.S. 66

Date: 1984-07-26

Le procureur général du Québec Appelant;

et

Quebec Association of Protestant School Boards, The Protestant School Board of Greater Montreal et Lakeshore School Board Intimés;

et

Le procureur général du Canada Intimé;

et

Le Conseil scolaire de l’île de Montréal Mis en cause.

Le procureur général du Québec Appelant;

et

Helena Wong-Woo, Hardeep Walia, Kee Chor Fong et Savitaben P

atel Intimés.

Le procureur général du Québec Appelant;

et

Marlene Orman Intimée.

Le procureur général du Québec Appelant;

et

Chi ...

Cour suprême du Canada

P.G. (Qué) c. Quebec Association of Protestant School Boards, [1984] 2 R.C.S. 66

Date: 1984-07-26

Le procureur général du Québec Appelant;

et

Quebec Association of Protestant School Boards, The Protestant School Board of Greater Montreal et Lakeshore School Board Intimés;

et

Le procureur général du Canada Intimé;

et

Le Conseil scolaire de l’île de Montréal Mis en cause.

Le procureur général du Québec Appelant;

et

Helena Wong-Woo, Hardeep Walia, Kee Chor Fong et Savitaben Patel Intimés.

Le procureur général du Québec Appelant;

et

Marlene Orman Intimée.

Le procureur général du Québec Appelant;

et

Chi Sum Mak Intimé.

Le procureur général du Québec Appelant;

et

Sharon Lynn Toma Intimée;

Le procureur général du Nouveau-Brunswick Intervenant.

N° du greffe: 17821.

1984: 21, 22 février; 1984: 26 juillet.

Présents: Les juges Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, Mclntyre, Lamer et Wilson.

[Page 67]

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

POURVOI contre cinq arrêts de la Cour d’appel du Québec[1], qui ont confirmé cinq jugements de la Cour supérieure[2]. Pourvoi rejeté.

Jean-K. Samson, Réal A. Forest et André Binette, pour l’appelant.

Colin Irving, Allan R. Hilton et Cherine Chef-techi pour les intimés Quebec Association of Protestant School Boards, The Protestant School Board of Greater Montreal et Lakeshore School Board.

Julius Grey et Alex K. Paterson, c.r., pour les intimés Marlene Orman, Chi Sum Mak, Sharon Lynn Toma, Helena Wong-Woo, Hardeep Walia, Kee Chor Fong et Savitaben Patel.

Raynold Langlois, c.r., Louis Reynolds et Claude Joli-Cœur, pour l’intimé le procureur général du Canada.

B.A. Crane, c.r., et Robert G. Richards, pour l’intervenant le procureur général du Nouveau‑Brunswick.

Le jugement suivant a été rendu par

LA COUR

I — Introduction

Il s’agit de décider si les dispositions relatives à l’enseignement en langue anglaise, contenues dans le chapitre VIII de la Charte de la langue fran-

[Page 69]

çaise, L.R.Q. 1977, chap. C-11, et dans les règlements adoptés en vertu de celui-ci, sont incompatibles avec la Charte canadienne des droits et libertés et inopérantes dans la mesure de l’incompatibilité.

Il convient de citer dès le début les dispositions législatives et constitutionnelles pertinentes.

Le chapitre VIII de la Charte de la langue française, (la «Loi 707»), entrée en vigueur le 26 août 1977, s’intitule «La langue de l’enseignement». À l’époque où les procédures ont débuté, il comportait dix-sept articles, les art. 72 à 88 inclusivement. Mais ce sont les art. 72 et 73 qui sont au cœur du débat et qu’il suffit de citer:

72. L’enseignement se donne en français dans les classes maternelles, dans les écoles primaires et secondaires sous réserve des exceptions prévues au présent chapitre.

Cette disposition vaut pour les organismes scolaires au sens de l’Annexe et s’applique aussi aux enseignements subventionnés dispensés par les institutions déclarées d’intérêt public ou reconnues pour fins de subventions en vertu de la Loi sur l’enseignement privé (chapitre E-9).

73. Par dérogation à l’article 72, peuvent recevoir l’enseignement en anglais, à la demande de leur père et de leur mère,

a) les enfants dont le père ou la mère a reçu au Québec, l’enseignement primaire en anglais,

b) les enfants dont le père ou la mère est, le 26 août 1977, domicilié au Québec et a reçu, hors du Québec, l’enseignement primaire en anglais,

c) les enfants qui, lors de leur dernière année de scolarité au Québec avant le 26 août 1977, recevaient légalement l’enseignement en anglais dans une classe maternelle publique ou à l’école primaire ou secondaire,

d) les frères et soeurs cadets des enfants visés au paragraphe c.

Quant aux dispositions constitutionnelles pertinentes, il s’agit des art. 1, 23 et du par. 32(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la «Charte») ainsi que des par. 52(1) et (2) et 59(1) et (2) de la Loi constitutionnelle de 1982 dont la Charte fait partie. Voici le texte de ces dispositions:

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des

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limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

L’article 23 de la Charte a pour titre «Droits à l’instruction dans la langue de la minorité». Il prescrit:

23. (1) Les citoyens canadiens:

a) dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident,

b) qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français ou en anglais au Canada et qui résident dans une province où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province,

ont, dans l’un ou l’autre cas, le droit d’y faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans cette langue.

(2) Les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction.

(3) Le droit reconnu aux citoyens canadiens par les paragraphes (1) et (2) de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d’une province:

a) s’exerce partout dans la province où le nombre des enfants des citoyens qui ont ce droit est suffisant pour justifier à leur endroit la prestation, sur les fonds publics, de l’instruction dans la langue de la minorité;

b) comprend, lorsque le nombre de ces enfants le justifie, le droit de les faire instruire dans des établissements d’enseignement de la minorité linguistique financés sur les fonds publics.

Le paragraphe 32(1) de la Charte porte:

32. (1) La présente charte s’applique:

a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement, y compris ceux qui concernent le territoire du Yukon et les territoires du Nord-Ouest;

b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature.

Toutefois, l’alinéa 23(1)a) de la Charte, cité plus haut, n’est pas en vigueur au Québec, vu les par. 59(1) et (2) de la Loi constitutionnelle de 1982:

[Page 71]

59. (1) L’alinéa 23(1)a) entre en vigueur pour le Québec à la date fixée par proclamation de la Reine ou du gouverneur général sous le grand sceau du Canada.

(2) La proclamation visée au paragraphe (1) ne peut être prise qu’après autorisation de l’assemblée législative ou du gouvernement du Québec.

Enfin, le par. 52(1) et l’al. 52(2)a) de la Loi constitutionnelle de 1982 prescrivent:

52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada: elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

(2) La Constitution du Canada comprend:

a) la Loi de 1982 sur le Canada, y compris la présente loi;

Il résulte de ces dispositions que, si les art. 72 et 73 de la Loi 101 sont incompatibles avec l’art. 23 de la Charte, ils sont, dans la mesure de l’incompatibilité, rendus inopérants par le par. 52(1) et l’al. 52(2)a) de la Loi constitutionnelle de 1982, à moins qu’ils ne soient légitimés par l’art. 1 de la Charte, pour autant évidemment que cet art. 1 s’applique aux droits conférés par l’art. 23.

II — Les procédures, les jugements de la Cour supérieure et les arrêts de la Cour d’appel

Quelques semaines après l’entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982, le 17 avril 1982, la Cour supérieure était saisie de cinq requêtes pour jugement déclaratoire.

La requête de Quebec Association of Protestant School Boards, The Protestant School Board of Greater Montreal et Lakeshore School Board conclut à ce qu’une réponse affirmative soit donnée aux deux questions suivantes:

[TRADUCTION] Les commissions scolaires qui administrent des écoles primaires ou secondaires dispensant l’instruction en langue anglaise sont-elles tenues d’y admettre les enfants qui satisfont aux conditions des articles 23(1)b) et 23(2) de la Charte canadienne des droits et libertés, qu’ils satisfassent aux conditions ou répondent aux exigences de la Charte de la langue française ou non?

Si la réponse à la question (i) est affirmative, les commissions scolaires sont-elles en droit de recevoir des subventions à même les fonds publics pour la prestation de l’instruction à ces enfants sur la même base que celles

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versées pour l’instruction en langue anglaise des enfants qui satisfont aux conditions de la Charte de la langue française?

La même requête conclut au surplus à ce qu’il soit déclaré:

[TRADUCTION] Que les restrictions imposées à l’accès à l’instruction en langue anglaise par les art. 72 et suivants de la Charte de la langue française et ses règlements d’application sont inopérantes pour autant qu’elles sont incompatibles avec l’al. 23(1)b) et les par. 23(2) et 23(3).

Avec l’autorisation de la Cour supérieure, le procureur général du Canada est intervenu formellement pour demander à la Cour de faire trois déclarations allant généralement dans le même sens que les deux réponses et la déclaration proposées par les requérants quoiqu’elles s’en distinguent par le libellé.

Les quatre autres requêtes pour jugement déclaratoire ont été présentées par des citoyens canadiens. Elles demandent que les enfants des requérants soient déclarés admissibles à l’enseignement en langue anglaise. Les conclusions de ces quatre requêtes se ressemblent. Il suffit de citer celles de l’une d’entre elles:

[TRADUCTION] DÉCLARER que les requérants ont le droit, en vertu des par. 23(2) et 23(3) d’envoyer leur enfant à une école du système d’enseignement public qui dispense l’enseignement en anglais dans la province de Québec nonobstant les dispositions de la Charte de la langue française;

Par cinq jugements distincts, le juge Deschênes, alors juge en chef de la Cour supérieure, a accueilli les cinq requêtes et, pour l’essentiel, il a fait les déclarations demandées. De façon plus particulière, il a répondu par l’affirmative aux deux questions posées dans la première requête et il a, dans le jugement prononcé sur cette requête, déclaré inopérants «dans la limite où ils sont incompatibles avec la partie en vigueur au Québec de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés» le chapitre VIII de la Loi 101 ainsi que deux règlements adoptés en vertu des dispositions du chapitre VIII.

Le jugement rendu sur la première requête est fort élaboré. Il a été publié sub. nom. Quebec Association of Protestant School Boards c. Pro-

[Page 73]

cureur général du Québec, [1982] C.S. 673. Une traduction de ce jugement en langue anglaise a également été publiée: (1982), 140 D.L.R. (3d) 33, 3 C.R.R. 114. Les quatre autres jugements sont inédits. Ils sont plutôt brefs car ils renvoient au jugement publié. Le sommaire de l’arrêtiste nous paraît résumer fidèlement les motifs du juge en chef Deschênes relativement à la première requête. Ce que l’arrêtiste appelle la «clause-Québec», c’est l’art. 73 de la Loi 101 et ce qu’il appelle la «clause-Canada», c’est l’art. 23 de la Charte. Voici comment il s’exprime, à propos du fond de la question, à la p. 674:

…il y a incompatibilité entre la clause-Québec édictée à la charte québécoise et la clause-Canada contenue dans la charte fédérale. L’article 1 de la charte canadienne a une portée générale et s’applique donc à l’article 23; le fardeau de prouver que la clause-Québec satisfait aux conditions stipulées par l’article 1 incombe au Québec. Or, cette clause ne peut être interprétée comme une simple restriction entrant dans le cadre de l’article 1 et la Cour ne peut accepter l’argument voulant que la négation de certains droits individuels puisse se justifier comme une conséquence de la restriction de droits collectifs: la clause-Québec doit donc céder. Subsidiairement, si la Cour en était arrivée à la conclusion que cette clause constitue une restriction, elle aurait conclu qu’il s’agissait d’une restriction par une règle de droit dont la justification pourrait se démontrer dans une société démocratique, mais inclinerait à conclure que la clause est disproportionnée au but poursuivi et excède inutilement les limites du raisonnable; en effet le Québec n’a certainement pas réussi à prouver d’une façon prépondérante que la clause-Québec constitue une «limite raisonnable» au sens de l’article 1 de la charte canadienne, les vives controverses dans la preuve en témoignant.

Par cinq arrêts, la Cour d’appel a rejeté les cinq appels qui entreprenaient les cinq jugements de première instance. Les arrêts ont été rendus séance tenante et, selon le mémoire de l’appelant, sans que ce dernier ait été entendu sur les motifs subsidiaires du premier juge. Des motifs assez brefs ont été déposés subséquemment. Les trois juges de la Cour d’appel sont unanimes dans leurs conclusions mais non pas dans leurs motifs.

Le juge Monet a écrit des motifs auxquels le juge McCarthy souscrit. Il constate qu’il est acquis au débat que les dispositions du chapitre VIII de la

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Loi 101 et celles de l’art. 23 de la Charte sont incompatibles. Il note également que l’appelant invoque essentiellement l’art. 1 de la Charte pour justifier le chapitre VIII de la Loi 101. Comme le premier juge, il reconnaît que les droits conférés par l’art. 23 de la Charte sont garantis sous réserve des dispositions de l’art. 1. Mais, à son avis, le chapitre VIII de la Loi 101, loin d’imposer de simples restrictions aux droits conférés par l’art. 23 de la Charte, a pour effet de nier ou d’annihiler ces droits, ce que ne permet pas l’art. 1 de la Charte.

Avec ses deux collègues et le premier juge, le juge Beauregard reconnaît que les droits garantis par l’art. 23 de la Charte peuvent faire l’objet d’une restriction au sens de l’art. 1 de la Charte. Par ailleurs il est d’avis que le libellé de l’art. 1 n’empêche pas que l’on puisse, à la limite, restreindre un droit jusqu’à le nier. Le juge Beauregard conclut néanmoins comme la majorité pour les motifs suivants:

…il est manifeste, et cela me paraît détruire la démonstration de l’appelant, que l’article 23 a été adopté dans le but précis et résolu de restreindre les effets du chapitre VIII ou d’autres lois semblables et qu’en conséquence on peut difficilement se demander quelle disposition restreint quelle autre.

D’autant plus que l’article 23 a été rédigé d’une façon si précise et qu’il garantit un droit si spécifique à un nombre si limité de titulaires qu’on imagine mal comment une restriction aussi absolue que celle du chapitre VIII, quelle que soit sa légitimité, pourrait être considérée autrement que comme une dérogation prohibée à ce droit.

Et il ajoute que pour être légitime aux termes de l’art. 1 de la Charte, une restriction ou une négation doit tenir pour acquis le bien-fondé du droit garanti, et non pas le remettre en question dans son principe même comme le fait selon lui le chapitre VIII de la Loi 101.

Conformément à l’autorisation qui lui a été accordée par cette Cour, l’appelant a formé un pourvoi contre les cinq arrêts de la Cour d’appel.

À la demande des intimés Quebec Association of Protestant School Boards, The Protestant School Board of Greater Montreal et Lakeshore

[Page 75]

School Board, le regretté juge en chef Laskin a formulé les questions constitutionnelles suivantes:

(1) Les dispositions relatives à l’enseignement en langue anglaise, contenues dans le chapitre VIII de la Charte de la langue française (L.R.Q. 1977, chap. C-11) et dans les règlements adoptés en vertu de celle-ci, sont-elles incompatibles avec la Charte canadienne des droits et libertés et inopérantes dans la mesure de l’incompatibilité?

(2) Les commissions scolaires qui administrent des écoles primaires ou secondaires dispensant l’instruction en langue anglaise sont-elles tenues d’y admettre les enfants qui satisfont aux conditions des articles 23(1)(b) et 23(2) de la Charte canadienne des droits et libertés, qu’ils satisfassent aux conditions ou répondent aux exigences de la Charte de la langue française ou non?

(3) Les commissions scolaires sont-elles en droit de recevoir des subventions à même les fonds publics pour la prestation de l’instruction à ces enfants sur la même base que celles versées pour l’instruction en langue anglaise des enfants qui satisfont aux conditions de la Charte de la langue française?

Le procureur général du Nouveau-Brunswick a été autorisé à intervenir et il a soutenu la position des intimés.

Le procureur du Conseil scolaire de l’île de Montréal, mis en cause dans la première requête, a informé la Cour qu’il ne se proposait pas de préparer de mémoire ou de participer à l’audition.

III — Incompatibilité des art. 72 et 73 de la Loi 101 et de l’art. 23 de la Charte

Il n’est pas contesté que les art. 72 et 73 de la Loi 101 et l’art. 23 de la Charte sont incompatibles. Il reste néanmoins utile de préciser la nature et la mesure de cette incompatibilité. Le premier juge a procédé à une étude comparative des textes législatifs et constitutionnels pertinents et décrit cette incompatibilité dans des termes dont nul ne semble avoir contredit l’exactitude au moins générale. Voici comment il s’exprime aux pp. 681 et 682 de son jugement:

L’article 72 de la Loi 101 énonce le principe sans ambages: «L’enseignement se donne en français … sous réserve des exceptions prévues au présent chapitre».

L’article 73 prévoit les seules exceptions qui intéressent la présente cause. «Par dérogation à l’article 72»: le début de l’article 73 marque bien son caractère d’excep-

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tion. Suivant les canons traditionnels, l’article 73 devra recevoir une interprétation restrictive: personne d’autre ne sera admissible à l’enseignement en anglais que les membres des quatre catégories énumérées à l’article 73.

On connaît celles-ci, la Cour a déjà cité l’article.

Dans la première catégorie, le droit se perpétuera de père ou de mère en fils ou en fille, à la condition que l’enseignement primaire ait été reçu en anglais au Québec par le père ou la mère.

Dans les trois autres catégories, toujours soumises à la «condition-Québec», le droit s’éteindra graduellement pour devenir caduc vers la fin du siècle: tous les enfants admissibles dans ces trois catégories devraient avoir alors terminé leurs études secondaires, sauf le rare cas d’une prolongation à la suite d’un accident génétique.

Mais sous l’article 73 ne sont pas admissibles à l’école anglaise au Québec les enfants des immigrants même anglophones venant soit du reste du Canada, soit de l’étranger.

L’article 73 exprime ce que l’on est convenu d’appeler, dans le jargon constitutionnel de ces dernières années, la «clause-Québec».

C’est sans doute cette clause que le ministre Laurin avait en tête lorsqu’il parlait, le 5 mai dernier, de «la minorité authentiquement anglophone du Québec».

C’est sans doute cette clause que prévoyait le Livre blanc de mars 1977 exposant La politique québécoise de la langue française lorsqu’il décrivait l’école anglaise comme «un système d’exception accordé à la minorité actuelle du Québec».

D’autre part, l’article 23 de la Charte, dans ses paragraphes 1b) et 2 — les seuls, avec 3, en vigueur au Québec — permet l’accès à l’école anglaise aux enfants dont les parents, citoyens canadiens qui résident au Québec, ont reçu leur instruction primaire en anglais au Canada ou aux enfants de citoyens canadiens dont un frère ou une sœur a reçu ou reçoit son instruction primaire ou secondaire en anglais au Canada

Par le paragraphe 3 du même article, ce droit est subordonné à la condition d’un «nombre suffisant» d’enfants, etc.; mais cette condition ne soulève pas de problème au Québec.

Dans le même jargon constitutionnel, l’article 23 de la Charte offre la «clause-Canada» au sens large.

Comment se comparent les deux clauses?

Les paragraphes a) et b) de l’article 73 de la Loi 101 sont inclus dans l’article 23(1)b) de la Charte, si la

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condition de citoyenneté est remplie; au cas contraire, la Loi 101 devient plus permissive que la Charte.

Les paragraphes c) et d) de l’article 73 sont inclus dans l’article 23(2) de la Charte, à la même condition; sinon, il faut encore considérer la Loi 101 comme plus large que la Charte.

En bref, pour ce qui est des citoyens canadiens, tous les cas prévus à l’article 73 de la Loi 101 sont également couverts par la Charte; pour les aubains, la Loi 101 est plus accueillante.

Jusque-là, il n’y a donc pas de contrariété dont les requérants puissent se plaindre. Il reste à examiner la situation inverse.

L’article 23 de la Charte ne s’applique qu’aux citoyens canadiens; il faut constamment garder cette prémisse en mémoire.

L’article 23(1)b) ouvre l’école anglaise au Québec aux enfants dont les parents ont reçu leur instruction primaire en anglais où que ce soit au Canada.

Cette admissibilité générale est prohibée au Québec par le jeu combiné des articles 72 et 73 de la Loi 101.

L’article 23(2) de la Charte ouvre à son tour l’école anglaise au Québec aux enfants de citoyens canadiens dont un frère ou une sœur a reçu ou reçoit son instruction primaire ou secondaire en anglais où que ce soit au Canada.

Cette admissibilité générale est encore prohibée par le jeu des mêmes dispositions de la Loi 101.

La conclusion s’impose donc: il y a incompatibilité entre la Loi 101 et la Charte.

IV — Les moyens soulevés par l’appelant et la première question constitutionnelle

Les moyens soulevés par l’appelant peuvent se résumer en trois propositions:

1) l’article 1 de la Charte, qui garantit les droits et les libertés qu’elle énonce, s’applique à chacun des droits ainsi garantis, y compris celui qui est conféré par l’art. 23;

2) l’article 1 de la Charte ne distingue pas entre la restriction et la négation d’un droit et fait du caractère raisonnable et justifiable de la limite, le véritable test de sa constitutionnalité;

3) les dispositions du chapitre VIII de la Loi 101 restreignent le droit garanti à l’art. 23 de la Charte dans des limites qui sont raisonnables et justifiables dans le cadre d’une société libre et démocratique.

[Page 78]

La Cour d’appel et la Cour supérieure ont approuvé la première proposition. Nous sommes prêts à considérer cette proposition comme établie, mais pour les fins de la discussion seulement et sans toutefois en décider.

La deuxième et la troisième propositions, comme la première, ont été étayées par un mémoire et une plaidoirie approfondis où, entre autres, l’art. 1 de la Charte, les critères qu’il impose, la présomption de constitutionnalité et la question du fardeau de la preuve ont été analysés à la lumière de l’interprétation judiciaire de clauses analogues d’autres chartes constitutionnelles par le Comité judiciaire du Conseil privé pour des pays du Commonwealth et par la Cour suprême indienne, ainsi qu’à la lumière de la jurisprudence américaine et de la jurisprudence interprétative de la Déclaration canadienne des droits. Le procureur de l’appelant a de plus plaidé que non seulement les intimés requérants n’ont pas réussi à établir que le régime d’accès à l’école anglaise au Québec est déraisonnable mais que celui-ci est raisonnable au sens de l’art. 1 de la Charte compte tenu de facteurs comme des bilans démographiques, la mobilité physique (migration) et la mobilité linguistique («assimilation») des individus ainsi que la répartition régionale des migrants interprovinciaux. Il a été aussi plaidé que d’autres sociétés libres et démocratiques comme la Suisse et la Belgique, qui connaissent des situations sociolinguistiques comparables à celle du Québec, ont adopté des mesures linguistiques plus rigoureuses que la Loi 101, mesures qui ont été jugées raisonnables et justifiées par les tribunaux suisses et européen. Il a été enfin plaidé que le droit collectif de la minorité anglophone du Québec à sa survie culturelle n’est pas menacé par la Loi 101 laquelle établit un régime d’accès à l’école anglaise qui n’est pas déraisonnable.

Il nous paraît inutile de nous arrêter à ces moyens car aucun ne répond aux motifs retenus par le juge Beauregard en Cour d’appel dans la partie de son opinion citée plus haut. Or ces motifs, avec lesquels nous sommes d’accord pour l’essentiel, sont fatals à la position de l’appelant et, à notre avis, ils sont péremptoires.

[Page 79]

L’article 23 de la Charte n’est pas, comme d’autres dispositions du même document constitutionnel, de ceux que l’on rencontre communément dans les chartes et déclarations de droits fondamentaux du même genre. Il n’est pas la codification de droits essentiels, préexistants et plus ou moins universels que l’on voudrait confirmer et peut-être préciser, étendre ou modifier et auxquels on veut surtout conférer une primauté et une intangibilité nouvelles en les enchâssant dans la loi suprême du pays. L’article 23 de la Charte constitue, dans sa spécificité, un ensemble unique de dispositions constitutionnelles, tout à fait particulier au Canada.

Cet ensemble de dispositions, le législateur constituant ne l’a pas édicté dans l’abstrait. Quand il l’a adopté, il connaissait et il avait évidemment à l’esprit le régime juridique réservé aux minorités linguistiques anglophone et francophone relativement à la langue de l’enseignement par les diverses provinces au Canada. Il avait également à l’esprit l’histoire de ces régimes juridiques, tant l’histoire relativement ancienne comme celle du Règlement 17 qui a restreint pour un temps l’enseignement en français dans les écoles séparées de l’Ontario — Ottawa Separate Schools Trustees c. Mackell, [1917] A.C. 62 — que l’histoire relativement récente comme celle de la Loi 101 et des régimes qui l’ont précédée au Québec. À tort ou à raison, ce n’est pas aux tribunaux qu’il appartient d’en décider, le constituant a manifestement jugé déficients certains des régimes en vigueur au moment où il légiférait, et peut-être même chacun d’entre eux, et il a voulu remédier à ce qu’il considérait comme leurs défauts par des mesures réparatrices uniformes, celles de l’art. 23 de la Charte, auxquelles il conférait en même temps le caractère d’une garantie constitutionnelle. Sans doute est-ce un régime général que le constituant a voulu instaurer au sujet de la langue de l’enseignement par l’art. 23 de la Charte et non pas un régime particulier pour le Québec. Mais, vu l’époque où il a légiféré, et vu surtout la rédaction de l’art. 23 de la Charte lorsqu’on la compare à celle des art. 72 et 73 de la Loi 101, il saute aux yeux que le jeu combiné de ces deux derniers articles est apparu au constituant comme un archétype des régimes à réformer ou que du moins il fallait affecter et qu’il

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lui a inspiré en grande partie le remède prescrit pour tout le Canada par l’art. 23 de la Charte.

Jusqu’en 1969, les lois du Québec étaient apparemment silencieuses à propos de la langue de l’enseignement mais en fait le régime fonctionnait de façon à laisser à tous une liberté pratiquement complète à tous les niveaux de l’enseignement. À la suite de troubles survenus en 1968 à la Commission scolaire de Saint-Léonard où l’on avait voulu imposer l’enseignement en français aux enfants d’immigrants italiens — voir Joseph Eliot Magnet «Minority-Language Educational Rights», (1982) 4 Supreme Court L.R. 195, à la p. 202 — la législature du Québec adopta la Loi pour promouvoir la langue française au Québec, 1969 (Qué.), chap. 9, aussi connue sous le nom de Bill 63. Malgré son titre, cette loi consacre législativement la liberté de choix qui avait prévalu jusqu’alors relativement à la langue de l’enseignement. Mais le législateur québécois y manifeste que l’immigration le préoccupe à l’art. 3 où il enjoint au ministre de l’Immigration de

…prendre, de concert avec le ministre de l’éducation, les dispositions nécessaires pour que les personnes qui s’établissent au Québec acquièrent dès leur arrivée ou même avant qu’elles quittent leur pays d’origine la connaissance de la langue française et qu’elles fassent instruire leurs enfants dans des institutions d’enseignement où les cours sont donnés en langue française.

Cette dernière loi est remplacée en 1974 par la Loi sur la langue officielle, 1974 (Qué.), chap. 6, aussi connue sous le nom de Bill 22. Le titre I de cette loi porte à son article unique que le français est la langue officielle du Québec. Le chapitre V du titre III a pour titre «La langue de l’enseignement». Les articles 40 et 41 privilégient jusqu’à un certain point la langue française. Le premier alinéa de l’art. 40 décrète que l’enseignement se donne en langue française dans les écoles régies par les commissions scolaires, les commissions scolaires régionales et les corporations de syndics, tandis que le deuxième alinéa prescrit que les commissions scolaires, les commissions scolaires régionales et les corporations de syndics «continuent» de donner l’enseignement en langue anglaise. Le troisième alinéa assure le contrôle de la croissance ou de la réduction de l’enseignement en langue anglaise par le ministre de l’Éducation

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qui ne doit donner son autorisation «que s’il est d’avis que le nombre d’élèves de langue maternelle anglaise relevant de la compétence de l’organisme le justifie». L’article 41 porte que les élèves doivent connaître suffisamment la langue de l’enseignement pour recevoir l’enseignement dans cette langue ce qui a pour effet pratique d’interdire l’école française au plus grand nombre des élèves anglophones et l’école anglaise au plus grand nombre des élèves francophones. L’article 41 porte également que les élèves qui ne connaissent suffisamment aucune des langues de l’enseignement reçoivent l’enseignement en langue française, disposition qui, sans le dire expressément, vise les immigrants, à moins qu’ils ne soient de langue française ou de langue anglaise.

Ces dispositions de la Loi sur la langue officielle ont été trouvées intra vires par le juge en chef Deschênes de la Cour supérieure dans Bureau métropolitain des écoles protestantes de Montréal c. Ministre de l’Éducation du Québec, [1976] C.S. 430, 83 D.L.R. (3d) 645. La Cour d’appel du Québec y a rejeté l’appel au motif que la Loi sur la langue officielle avait été remplacée par la Loi 101: (1978), 83 D.L.R. (3d) à la p. 679 en note.

Ainsi donc, au moment où la Charte est adoptée, le Québec connaît depuis quelques années une activité législative qui, sauf pour la loi adoptée en 1969, tend à privilégier la langue française relativement à la langue de l’enseignement, et à réduire d’autant les avantages donnés jusque-là à la langue anglaise, en fait sinon en droit. Le point culminant de cette activité législative est la Loi 101.

Quoique le sort réservé à la langue anglaise comme langue de l’enseignement ait été généralement plus avantageux au Québec que le sort réservé à la langue française dans les autres provinces, le Québec semble néanmoins être la seule province où se manifeste alors cette tendance à restreindre les avantages conférés à la langue de la minorité. Dans les autres provinces, à cette époque, ou bien la situation antérieure est restée inchangée, du moins dans les lois, comme à Terre-Neuve et en Colombie-Britannique qui n’ont aucune législation sur la langue de l’enseignement, ou bien des lois relativement récentes ont été adoptées pour favoriser la situation de la minorité linguistique,

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comme au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard: Alfred Monnin, alors juge puîné de la Cour d’appel du Manitoba, «L’égalité juridique des langues et l’enseignement: les écoles françaises hors-Québec», (1983) 24 C. de D. 157.

Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que la Loi 101 ait été particulièrement présente à l’esprit du constituant lorsqu’il a édicté l’art. 23 de la Charte qui garantit des «droits à l’instruction dans la langue de la minorité». La rédaction de cet article le confirme quand on la compare à celle des art. 72 et 73 de la Loi 101 ainsi qu’aux lois des autres provinces relativement à la langue de l’enseignement.

Mais d’abord, le fait que le Québec soit la seule province du Canada où, par suite des par. 59(1) et (2) de la Loi constitutionnelle de 1982, l’al. 23(1)a) de la Charte ne soit pas encore en vigueur et ne puisse entrer en vigueur sans l’assentiment du Québec, atteste que le constituant avait particulièrement le Québec en vue lorsqu’il a édicté l’art. 23 de la Charte. On peut spéculer sur la raison de cette exception; pour autant que le Québec est concerné, l’al. 23(1)a) vise des citoyens canadiens de langue maternelle anglaise qui n’auraient pas reçu leur instruction, au niveau primaire, en anglais au Canada, c’est-à-dire, en pratique et pour un grand nombre, des immigrants de langue maternelle anglaise devenus citoyens canadiens; il est donc permis de penser que cette disposition particulière de la Charte a été suspendue pour le Québec afin de calmer en partie les inquiétudes exprimées au Québec bien avant l’adoption de la Loi 101 à propos de l’immigration, à cause de la situation minoritaire de la langue française en Amérique du Nord.

Cependant c’est surtout lorsque l’on met en regard l’al. 23(1)b) et le par. 23(2) de la Charte, d’une part et l’art. 73 de la Loi 101, d’autre part, que ce dernier article apparaît de façon évidente comme le type de régime juridique qui a dicté l’art. 23 au constituant. Tant dans la Charte que dans la Loi 101, les critères qu’il faut prendre en considération pour décider du droit à l’enseignement dans la langue de la minorité sont l’endroit où les parents ont reçu leur instruction dans la

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langue de la minorité. Tant dans la Charte que dans la Loi 101, cet endroit est celui où les parents ont reçu leur éducation au niveau primaire. Tant dans la Charte que dans la Loi 101, la présence de ce critère donne droit à l’éducation aux niveaux primaire et secondaire dans la langue de la minorité, la Loi 101 y ajoutant le droit à l’éducation dans les classes maternelles. Tant dans la Charte que dans la Loi 101, les critères comportent de plus la langue de l’enseignement dispensé aux frères et sœurs d’un enfant, quoiqu’il s’agisse selon la Loi 101 des frères et sœurs cadets d’enfants compris dans une catégorie à contenu temporaire, restrictions que l’on ne trouve pas dans la Charte.

Or, de toutes les lois provinciales en vigueur au moment de l’adoption de la Charte et relatives à la langue de l’enseignement, seule la Loi 101 prescrit des critères aussi particuliers et caractéristiques que ceux que nous venons d’énumérer. Voir les lois mentionnées par A. Monnin, op. cit.

Il est vrai que certaines lois provinciales comme An Act to amend the School Act, de l’Île-du-Prince-Édouard, 1980 (Î.-P.-É.), chap. 48, art. 9 et An Act to Amend Chapter 81 of the Revised Statutes, 1967, the Education Act, de la Nouvelle-Écosse, 1981 (N.-É.), chap. 20, art. 2 contiennent une définition de la langue maternelle qui ressemble à celle que l’on trouve à l’al. 23(1)a) de la Charte ou bien, comme la loi de la Nouvelle-Écosse que nous venons de mentionner, réfèrent au concept du «nombre suffisant d’enfants» que l’on trouve aux al. 23(3)a) et b) de la Charte, mais que l’on trouve également à l’art. 79 de la Loi 101 qui prescrit qu’un organisme scolaire qui ne donne pas déjà dans ses écoles l’enseignement en anglais ne peut en prendre l’initiative sans l’autorisation du ministre de l’Éducation qui l’accorde s’il est d’avis qu’elle est justifiée par le nombre d’élèves qui relèvent de la compétence de l’organisme et qui sont admissibles à l’enseignement en anglais en vertu de l’art. 73.

Mais, encore une fois, à notre connaissance, aucune autre loi provinciale en vigueur au moment de l’adoption de la Charte et relative à la langue de l’enseignement, ne retient des critères aussi spécifiques que ceux de l’art. 73 de la Loi 101. Ces critères ne sont pas seulement spécifiques, leur

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ensemble est unique et l’on peut se demander si le constituant aurait rédigé comme il l’a fait l’art. 23 de la Charte s’il n’avait eu sous les yeux le modèle que, dans une bonne mesure, il voulait justement contrer par l’art. 23. Dans leur mémoire, les intimés individuels, après avoir référé aux lois du Québec sur la langue de l’enseignement ajoutent avec raison, pour l’essentiel:

[TRADUCTION] En réalité, l’art. 23 suit le modèle proposé par ces lois, sauf qu’il accorde des droits un peu plus étendus. Aucune autre loi canadienne ne fait dépendre l’instruction des enfants de celle reçue par leurs parents dans un endroit donné.

En adoptant, pour rédiger l’art. 23 de la Charte, l’ensemble unique de critères de l’art. 73 de la Loi 101, le constituant identifie le genre de régime auquel il veut remédier et dont il s’inspire pour définir le remède qu’il prescrit. Le plan du constituant paraît simple et s’infère facilement de la méthode concrète qu’il a suivie: adopter une règle générale qui garantit aux minorités francophone et anglophone du Canada une partie importante des droits dont la minorité anglophone du Québec avait joui avant l’adoption de la Loi 101 relativement à la langue de l’enseignement.

Si, comme il est clair, le chapitre VIII de la Loi 101 est le prototype de régime auquel le constituant veut remédier par l’adoption de l’art. 23 de la Charte, il est inconcevable que les restrictions que ce régime impose aux droits relatifs à la langue de l’enseignement puissent, pour autant qu’elles sont incompatibles avec l’art. 23, avoir pu être considérées par le constituant comme se confinant à «des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique». Les restrictions imposées par le chapitre VIII de la Loi 101 ne sont donc pas des restrictions légitimes au sens de l’art. 1 de la Charte, pour autant que ce dernier s’applique à l’art. 23.

Dans son mémoire, l’appelant écrit que la motivation du juge Beauregard équivaut à dire que l’art. 1 de la Charte ne s’applique pas à l’art. 23. Nous ne croyons pas que cette observation soit fondée, soit dit avec égards. Il nous paraît que le juge Beauregard exprime l’opinion contraire lorsqu’il écrit:

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Il est vrai que, formellement, le droit garanti par l’article 23 peut faire l’objet d’une restriction en application de l’article 1.

…il est vrai que même si le chapitre VIII nie le droit de l’article 23 de façon absolue, rien encore ne s’oppose à priori à ce que l’article 1 puisse valider le chapitre VIII.

Le juge Beauregard écrit ensuite le passage cité au début de ces motifs. Nous interprétons ce passage comme voulant dire que les restrictions imposées par le chapitre VIII de la Loi 101 ne peuvent être considérées comme des restrictions légitimes au sens de l’art. 1 de la Charte puisqu’il s’agit précisément du type de restrictions atteintes par l’art. 23. Mais le juge Beauregard ajoute que l’on

…imagine mal comment une restriction aussi absolue que celle du chapitre VIII, quelle que soit sa légitimité, pourrait être considérée autrement que comme une dérogation prohibée à ce droit.

C’est donc que, selon lui, des restrictions moins absolues que celles du chapitre VIII de la Loi 101 pourraient être légitimées par l’art. 1 de la Charte.

Il ne nous paraît pas nécessaire de décider ce dernier point puisque les seules restrictions dont nous avons à juger sont celles du chapitre VIII de la Loi 101. Au surplus, nous le répétons, c’est pour les fins de la discussion seulement et sans toutefois en décider que nous avons considéré comme avérée la proposition selon laquelle l’art. 1 de la Charte s’applique à l’art. 23.

Les motifs du juge Beauregard comme ceux qui sont développés ci-haut se fondent sur une interprétation téléologique de l’art. 23 de la Charte, c’est-à-dire, sur une méthode d’interprétation qui s’inspire du but poursuivi par le constituant lorsqu’il a édicté cet article. Une telle interprétation est possible du fait que la Loi 101 a été adoptée avant la Charte. Mais il importe d’observer que le résultat serait le même sans cet argument d’antériorité.

Imaginons en effet que le chapitre VIII de la Loi 101 ait été édicté après la Charte, ou encore, qu’une autre province que le Québec adopte maintenant une loi rédigée comme le chapitre VIII de la Loi 101 mais destinée à restreindre le droit à l’enseignement dans la langue française. Pour-

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rait-on penser que l’art. 1 de la Charte est capable de légitimer une telle législation, pour autant que l’art. 1 s’applique à l’art. 23?

Nous ne le croyons pas.

Quelle que soit leur portée, les restrictions que l’art. 1 de la Charte permet d’apporter aux droits et libertés qu’elle énonce ne peuvent pas équivaloir à des dérogations comme celles qu’autorisent les par. 33(1) et (2) de la Charte, lesquels d’ailleurs n’autorisent pas de dérogation à l’art. 23:

33. (1) Le Parlement ou la législature d’une province peut adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente charte.

(2) La loi ou la disposition qui fait l’objet d’une déclaration conforme au présent article et en vigueur a l’effet qu’elle aurait sauf la disposition en cause de la charte.

Elles ne peuvent non plus équivaloir à des modifications de la Constitution du Canada dont la procédure est prescrite par les art. 38 et suiv. de la Loi constitutionnelle de 1982.

Or, l’effet réel de l’art. 73 de la Loi 101 est de déroger à l’al. 23(1)b) et au par. 23(2) de la Charte au Québec alors que ces alinéas ne sont pas de ceux auxquels les par. 33(1) et (2) de la Charte permettent de déroger. Au surplus, l’art. 73 de la Loi 101 modifie directement pour le Québec l’effet de l’art. 23 de la Charte et ce, sans que soit observée la procédure prescrite pour modifier la Constitution.

Les droits énoncés à l’art. 23 de la Charte sont garantis à des catégories bien particulières de personnes. Cette classification spécifique se trouve au cœur même de la disposition car elle est le moyen choisi par le constituant pour identifier les titulaires des droits qu’il entend garantir. À notre avis, une législature ne peut, par une simple loi, validement écarter le moyen ainsi choisi par le constituant et toucher à cette classification. Encore moins peut-elle la refaire et en remodeler les catégories.

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Nous paraissent irréfutables les moyens suivants, invoqués par le procureur général du Nouveau-Brunswick dans son mémoire:

[TRADUCTION] … L’article 59 modifie les catégories de parents qui ont le droit d’envoyer leurs enfants à l’école anglaise en suspendant l’application au Québec de l’al. 23(1)a). Par déduction, les autres catégories de bénéficiaires des droits conférés par l’art. 23 ne peuvent être redéfinies selon le processus législatif ordinaire.

La définition détaillée des catégories de parents est au cœur même de l’art. 23. Toute tentative visant à redéfinir les catégories de parents qui ont des droits scolaires constitue en réalité une tentative visant à modifier la Constitution sans observer la formule d’amendement prescrite et n’est pas, en conséquence, visée par l’art. 1.

C’est la même idée qu’énonce le procureur général du Canada dans son mémoire où il écrit, après avoir référé à l’article 1 de la Charte:

…[il] ne permet pas de modifier les catégories de citoyens qui sont titulaires du droit reconnu à l’article 23 en imposant des critères différents qui vont directement à l’encontre de ceux expressément énoncés à cet article. La clause de dérogation prévue à l’article 33 ne couvre pas l’article 23 et ce n’est qu’aux termes de la procédure de modification de la Constitution prévue à la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982 qu’on peut amender la Charte canadienne des droits et libertés.

Or, comme le constate le procureur général du Canada dans son mémoire, l’art. 73 de la Loi 101 constitue précisément une telle redéfinition des catégories de personnes protégées par l’art. 23 de la Charte, redéfinition qui est interdite et invalide si on y procède autrement que par voie de modification constitutionnelle:

En effet, l’article 73 de la Charte de la langue française ne restreint pas le droit conféré par l’article 23, il constitue plutôt une modification permanente des classes de citoyens qui ont droit à la protection conférée par cet article. En stipulant des conditions d’accès qui vont directement à l’encontre de celles expressément énoncées à l’article 23 et qui par leur nature ont pour effet de priver de façon permanente toute une catégorie de citoyens du droit conféré par l’article 23, l’article 73 modifie la teneur même de ce droit …

Il va de soi qu’en adoptant l’art. 73 de la Loi 101, la législature du Québec n’avait pas et ne pouvait avoir l’intention de déroger à l’art. 23 de la Charte ou de le modifier puisque cet article n’existait pas encore. Mais son intention n’est pas perti-

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nente. Ce qui compte, c’est la nature et la portée effectives de l’art. 73 en regard des dispositions de la Charte, quel que soit le moment où l’article a été édicté. Si l’article 73 ne peut, à cause de la Charte, être validement adopté aujourd’hui, il est évidemment rendu inopérant par la Charte, et ce, pour la même raison savoir, le conflit direct entre l’art. 73 de la Loi 101 et l’art. 23 de la Charte. Les dispositions de l’art. 73 de la Loi 101 heurtent de front celles de l’art. 23 de la Charte et ne sont pas des restrictions qui peuvent être légitimées par l’art. 1 de la Charte. Ces restrictions ne peuvent être des dérogations aux droits et libertés garanties par la Charte ni équivaloir à des modifications de la Charte. Une loi du Parlement ou d’une législature qui par exemple prétendrait imposer les croyances d’une religion d’État entrerait en conflit direct avec l’al. 2a) de la Charte qui garantit la liberté de conscience et de religion, et devrait être déclarée inopérante sans qu’il y ait même lieu de se demander si une telle loi est susceptible d’être légitimée par l’art. 1. Il en va de même pour le chapitre VIII de la Loi 101 vis-à-vis de l’art. 23 de la Charte.

Cette autre méthode d’interprétation, fondée sur la nature et les effets véritables du chapitre VIII de la Loi 101 en regard des dispositions de la Charte rejoint par un chemin inverse celle qui est fondée sur le but du constituant et aboutit au même résultat: le chapitre VIII est inopérant.

Pour ces motifs, nous répondons «oui» à la première question constitutionnelle formulée par le juge en chef Laskin.

V — Les deux autres questions constitutionnelles

Les intimés et l’intervenant ont soutenu qu’il faut répondre par l’affirmative à ces deux questions et l’appelant a soutenu que nous devons nous abstenir d’y répondre.

On se souviendra que dans le jugement qu’il a prononcé sur la première requête pour jugement déclaratoire, le juge en chef Deschênes a répondu par l’affirmative à deux questions citées plus haut et pratiquement identiques aux deux questions constitutionnelles formulées par le juge en chef Laskin. Ces questions avaient été posées au juge en chef Deschênes par les intimés parties à la pre-

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mière requête. Mais il importe de souligner sur quelle base le juge en chef Deschênes a répondu par l’affirmative. Voici comment il s’en explique à la p. 709 de son jugement:

À l’audience les procureurs du Québec ont convenu que, si la requête des requérants devait recevoir une réponse affirmative, les lois en vigueur imposent aux commissions scolaires l’obligation alléguée dans la première question et leur donnent le droit allégué dans la deuxième question de la requête.

L’appelant soutient qu’il a maintenu sa position devant la Cour d’appel qui ne discute pas de ces questions; mais, comme elle rejette l’appel, elle laisse subsister les réponses affirmatives données par le juge en chef Deschênes ainsi que la base sur laquelle elles ont été données.

Dans son mémoire, l’appelant écrit pourquoi, selon lui, nous ne devrions pas répondre aux deux dernières questions constitutionnelles. Après avoir rappelé sur quelle base le juge en chef Deschênes avait répondu par l’affirmative aux deux questions que lui posaient les intimés requérants dans la première requête pour jugement déclaratoire, il poursuit:

11. Le procureur général du Québec réitère que si cette Cour devait répondre affirmativement à la première question constitutionnelle, les lois en vigueur au Québec imposent aux commissions scolaires l’obligation alléguée dans la deuxième question et leur donne (sic) le droit allégué dans la troisième question. Dès lors, les faits de la présente cause ne donnent pas ouverture à de telles questions, puisqu’il n’y a pas de litige à propos des points soulevés.

12. Dans la mesure où, par le truchement de ces questions qui correspondent à certaines des conclusions des requêtes en jugement déclaratoire, l’on voudrait inciter cette Cour à se prononcer sur la portée de l’article 23 de la Charte canadienne relativement aux commissions scolaires intimées, le procureur général du Québec soumet qu’il n’y a pas lieu pour cette Cour de le faire en la présente instance.

Le procureur général du Québec soumet respectueusement:

1) qu’il n’est pas nécessaire pour disposer du présent pourvoi de décider si l’article 23 de la Charte canadienne accorde à des commissions scolaires le droit allégué dans la troisième question et leur impose l’obligation alléguée dans la deuxième ques-

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tion et que, dès lors, cette Cour ne devrait pas se prononcer sur ce sujet (Citizens Insurance Co. of Canada v. Parsons (1881-82) 7 App. Cas. 96, 109; John Deere Plow Co. Ltd. v. Wharton (1915) A.C. 330, 339);

2) qu’en tout état de cause le dossier ne serait pas en état («ripe») puisque les obligations et les droits allégués dépendraient de l’application du paragraphe 3 de l’article 23 de la Charte canadienne et qu’aucune argumentation ni aucune preuve n’ont été soumises à la Cour en première instance qui auraient permis à celle-ci de déterminer si les conditions posées par les alinéas a) et b) du paragraphe 3 de l’article 23 étaient satisfaites.

Pour leur part, le Quebec Association of Protestant School Boards, The Protestant School Board of Greater Montreal et le Lakeshore School Board répondent comme suit à l’appelant dans leur mémoire:

[TRADUCTION] 12. Aux paragraphes 8 à 15 de son factum, l’appelant soutient qu’il ne faut pas répondre aux questions 2 et 3 comme si les droits et obligations qu’ils cherchent à faire confirmer étaient garantis en vertu des lois en vigueur au Québec si la réponse à la question 1 est affirmative.

13. L’espèce porte cependant sur les droits et obligations qui découlent de la Charte canadienne et ce sont ces droits et obligations que la requête en jugement déclaratoire vise et non ceux qui découlent des lois actuellement en vigueur au Québec.

Enfin, dans leur mémoire, les intimés individuels prennent la position suivante:

[TRADUCTION] Avant d’entamer leur plaidoirie, les intimés font observer que, même s’ils sont d’accord avec l’appelant que la première des trois questions formulées à la suite de l’autorisation de pourvoi est la plus importante, il y a lieu de répondre aux trois questions pour que l’application de l’art. 23 au Québec ne soulève plus de difficultés.

Nous croyons que sur ce point il faut donner raison à l’appelant. Il est possible que les questions posées dans la première requête pour jugement déclaratoire soient susceptibles de s’interpréter comme visant les droits et les obligations qui découlent de la Charte plutôt que des droits et obligations qui découlent des lois en vigueur au Québec. Mais ce n’est pas sur cette base que le premier juge y a répondu et il est permis de penser que, s’il y a répondu comme il l’a fait à partir

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d’une admission du procureur général du Québec sur l’effet des lois en vigueur au Québec et non comme s’il avait à répondre à des questions constitutionnelles, c’est que les parties ne lui ont pas fourni les moyens d’y répondre sur une autre base, à cause de la preuve faite devant lui ou des arguments qu’on lui a adressés.

Nous sommes d’avis que nous ne devrions pas répondre à ces questions constitutionnelles sur lesquelles nous ne connaissons ni l’opinion de la Cour d’appel ni celle du premier juge. Nous ne sommes même pas sûrs que nous pourrions y répondre de façon éclairée, quand même nous le voudrions. Il nous paraît significatif à cet égard que, même si les intimés et l’intervenant soutiennent que nous devrions répondre affirmativement à ces deux questions, ils n’ont discuté ni dans leur mémoire ni oralement, des raisons de fait ou de droit pour lesquelles nos réponses devraient être affirmatives.

Les parties devront se contenter des deux réponses données par le premier juge à partir de la base sur laquelle il s’est fondé. Son jugement acquiert, sur cette base, force de chose jugée.

VI — Conclusions

Une réponse affirmative est donnée à la première question constitutionnelle.

Les deux autres questions constitutionnelles sont laissées sans réponse.

Le pourvoi est rejeté avec dépens. Toutefois il n’y aura pas d’adjudication de dépens en faveur du procureur général du Canada et de l’intervenant ni contre eux.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de l’appelant: Jean-K. Samson, Réal A. Forest et André Binette, Sainte-Foy.

Procureurs des intimés Quebec Association of Protestant School Boards, The Protestant School Board of Greater Montreal et Lakeshore School Board: Clarkson, Tétrault, Montréal.

Procureur des intimés Marlene Orman, Chi Sum Mak, Sharon Lynn Toma, Helena Wong-Woo, Hardeep Walia, Kee Chor Fong et Savitaben Patel: Julius Grey, Montréal.

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Procureurs de l’intimé le procureur général du Canada: Langlois, Drouin & Associés, Montréal.

Procureurs de l’intervenant le procureur général du Nouveau-Brunswick: Gowling & Henderson, Ottawa.

[1] [1983] C.A. 77, 1 D.L.R. (4th) 573, 7. C.R.R. 139; C.A. Mtl., n° 500-09-001280-825, n° 500-09-001281-823, n° 500-09-001282-821, n° 500‑09-001283-829, 9 juin 1983.

[2] [1982] C.S. 673, 140 D.L.R. (3d) 33, 3 C.R.R. 114; C.S. Mtl., n° 500-05-007361-825, n° 500-05-007362-823, n° 500-05-008960-823, n° 500-05-009572-825, 8 septembre 1982.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit constitutionnel - Charte canadienne des droits et libertés - Langues et éducation - Enseignement en langue anglaise - Restrictions - Dispositions provinciales incompatibles avec la Charte - Les dispositions provinciales sont-elles inopérantes? - Charte de la langue française, L.R.Q. 1977, chap. C-11, art. 72 à 88 - Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 23, 32(1), 33(1), (2) - Loi constitutionnelle de 1982, art. 52(1), (2), 59(1), (2).

Le présent pourvoi vise à déterminer si les dispositions relatives à renseignement en langue anglaise, contenues dans le chapitre VIII de la Charte de la langue française (la «Loi 101») sont incompatibles avec la Charte canadienne des droits et libertés (la «Charte») et inopérantes dans la mesure de l’incompatibilité. La Cour supérieure, saisie de requêtes en jugement déclaratoire, a conclu à l’incompatibilité et déclaré inopérant le chapitre VIII de la Loi 101 dans la mesure de l’incompatibilité. La Cour d’appel a confirmé les jugements. D’où ce pourvoi du procureur général du Québec à l’encontre des arrêts de la Cour d’appel.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Les articles 72 et 73 du chapitre VIII de la Loi 101 sont incompatibles avec l’art. 23 de la Charte et sont, dans la mesure de l’incompatibilité, rendus inopérants par le par. 52(1) et l’al. 52(2)a) de la Loi constitutionnelle de 1982. Les restrictions de l’art. 73 ne sont pas des restrictions légitimes au sens de l’art. 1 de la Charte pour autant que cet article s’applique aux droits conférés par l’art. 23. Vu l’époque où il a légiféré et vu la rédaction de l’art. 23, qui reprend l’ensemble unique des critères de l’art. 73 de la Loi 101, il saute aux yeux que le chapitre VIII est apparu au constituant comme un archétype des situations qu’il y a lieu de réformer. Il est donc inconcevable que les restrictions que la Loi 101 impose aux droits relatifs à la langue de l’enseignement puissent avoir été considérées par le constituant comme se confinant à «des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique».

Même édictées après la Charte, les restrictions de l’art. 73 ne pourraient être légitimées par l’art. 1 de la Charte. L’article 73 redéfinit pour le Québec les catégories de personnes qui ont droit à l’instruction dans la langue de la minorité et a pour effet de déroger à l’art. 23 et de modifier la Charte. Or, quelle que soit leur portée, les restrictions que l’art. 1 permet ne peuvent équivaloir à des dérogations aux droits et libertés garan-

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tis par la Charte ni équivaloir à des modifications de la Charte. Puisque la clause de dérogation prévue à l’art. 33 de la Charte ne couvre pas l’art. 23, ce n’est qu’en suivant la procédure prescrite pour modifier la Constitution qu’on peut validement remodeler les catégories de personnes protégées par l’art. 23. Une simple loi ne suffit pas.


Parties
Demandeurs : P.G. (Qué.)
Défendeurs : Quebec Protestant School Boards

Références :

Jurisprudence: Ottawa Separate Schools Trustees v. MacKell, [1917] A.C. 62

Bureau métropolitain des écoles protestantes de Montréal c. Ministre de l’Éducation du Québec, [1976] C.S. 430, 83 D.L.R. (3d) 645.

Proposition de citation de la décision: P.G. (Qué.) c. Quebec Protestant School Boards, [1984] 2 R.C.S. 66 (26 juillet 1984)


Origine de la décision
Date de la décision : 26/07/1984
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1984] 2 R.C.S. 66 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1984-07-26;.1984..2.r.c.s..66 ?
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