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03/05/1984 | CANADA | N°[1984]_1_R.C.S._252

Canada | Farr c. Farr, [1984] 1 R.C.S. 252 (3 mai 1984)


Cour suprême du Canada

Farr c. Farr, [1984] 1 R.C.S. 252

Date: 1984-05-03

Eleanor Ellen Farr Appelante;

et

Glenn Allan Farr Intimé.

N° du greffe: 17661.

1983: 29 et 30 novembre; 1984: 3 mai.

Présents: Les juges Ritchie, Dickson, Estey, McIntyre et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA SASKATCHEWAN

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan (1983), 21 Sask. R. 320, qui a modifié la décision rendue par le juge Halvorson en vertu de The Matrimonial Property Act. Pourvoi accueilli en partie.


Morris C. Shumiatcher, c.r., et Reginald Watson, pour l’appelante.

Gordon Kuski et Michael Milani, pour l’intimé.

Vers...

Cour suprême du Canada

Farr c. Farr, [1984] 1 R.C.S. 252

Date: 1984-05-03

Eleanor Ellen Farr Appelante;

et

Glenn Allan Farr Intimé.

N° du greffe: 17661.

1983: 29 et 30 novembre; 1984: 3 mai.

Présents: Les juges Ritchie, Dickson, Estey, McIntyre et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA SASKATCHEWAN

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan (1983), 21 Sask. R. 320, qui a modifié la décision rendue par le juge Halvorson en vertu de The Matrimonial Property Act. Pourvoi accueilli en partie.

Morris C. Shumiatcher, c.r., et Reginald Watson, pour l’appelante.

Gordon Kuski et Michael Milani, pour l’intimé.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE MCINTYRE — Le présent pourvoi découle d’une demande de partage des biens matrimoniaux formulée par l’épouse en application des dispositions de The Matrimonial Property Act de la Saskatchewan, 1979 (Sask.), chap. M-6.1. Le juge de première instance a divisé également entre les époux la masse nette des biens partageables, mais la Cour d’appel a modifié ce partage, après avoir fait certains ajustements, en réduisant la part de l’épouse à approximativement un tiers des biens.

L’appelante, Eleanor Ellen Farr (l’épouse), a épousé l’intimé Glenn Allan Farr (le mari) en 1949. Ils ont eu cinq enfants qui sont maintenant adultes et n’ont rien à voir avec la présente action. Ils se sont séparés en novembre 1979 et ont divorcé en juin 1981. L’appelante n’avait pas de biens au

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moment du mariage. L’intimé possédait une demi-section de terre agricole, sur laquelle se trouvait une maison, et une participation pour moitié dans un équipement de ferme; il avait hérité du tout de ses parents quelques années auparavant. Le juge de première instance a estimé qu’au moment du mariage les biens possédés par le mari avant le mariage avaient une valeur de 16 750 $. Pendant leur mariage, les époux se sont enrichis. Diverses acquisitions de terres agricoles, toutes faites à la pleine valeur marchande, ont porté le patrimoine à 1 835 acres et le mari a, de plus, mis sur pied une entreprise de récoltes aux États-Unis. Ils ont acquis nombre d’autres biens dont de la machinerie agricole, un avion et un hangar, un chalet d’été, un régime enregistré d’épargne-retraite et des biens-fonds aux États-Unis utilisés pour les fins de l’entreprise de récoltes.

La valeur des biens matrimoniaux et leur détermination n’est pas en cause dans le présent pourvoi. La valeur brute établie par le juge de première instance, que la Cour d’appel n’a pas modifiée, a été estimée à:

Bien-fonds et améliorations (y compris le foyer conjugal)

1 353 000 $

Biens divers

713 325

2 066 325 $

Un passif de 226 200 $ réduit la valeur nette des biens matrimoniaux à 1 840 125 $. Le juge de première instance a réduit la valeur nette des biens de 150 000 $ pour tenir compte du montant que le mari devra probablement payer à l’impôt à l’occasion de l’aliénation de certains biens rendue nécessaire par le partage. L’exemption au titre de propres en faveur du mari a, en appel, été recalculée et réduite à 10 000$; cette réduction n’est pas contestée dans le présent pourvoi. En conséquence, les biens matrimoniaux susceptibles de partage sont évalués à 1 680 125 $.

Le juge de première instance a conclu, et sa conclusion à cet égard n’a pas été contestée en appel, que pendant le mariage l’épouse a rempli toutes les tâches diverses d’une femme d’agriculteur et qu’en réalité elle avait probablement travaillé plus fort que la moyenne des femmes d’agriculteurs. Il a estimé que la preuve qui lui était soumise ne donnait pas lieu à l’application des

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considérations d’équité énumérées au par. 21(2), qui lui auraient permis de s’écarter du partage égal des biens matrimoniaux prévu au par. 21(1). En conséquence, il a ordonné la division égale de l’actif net total. En appel, après avoir apporté un ajustement, qui n’est pas contesté dans le présent pourvoi et qui ajoute 5 000 $ à la part de l’épouse par suite de la correction d’une erreur de calcul de l’exemption du mari au titre de ses propres, la Cour d’appel a modifié la décision de première instance en permettant au mari de garder une demi‑section de terre incluse dans la part à l’épouse en première instance. Il en résulte une diminution de la valeur de la part de l’épouse à environ un tiers de la masse nette des biens partageables.

La principale différence entre le jugement de première instance et l’arrêt de la Cour d’appel porte sur l’application de ce qu’on a désigné dans certains arrêts et dans les plaidoiries en cette Cour comme la «théorie du capital de départ». Appliquée à l’espèce, la théorie voudrait que le mari ait apporté en mariage des biens-fonds et de l’équipement qui avaient une valeur plus grande, à long terme, que la valeur marchande qu’on leur a attribuée dans son exemption au titre des propres. Ces biens, prétend-on, ont constitué le capital de départ à partir duquel les parties ont pu accumuler les biens considérables qu’ils ont fini par acquérir. Pour ce motif, le partage des biens matrimoniaux devrait favoriser le mari.

Le juge de première instance a refusé d’appliquer ici la théorie du capital de départ dans les termes suivants [(1981), 11 Sask. R. 409, à la p. 411]:

[TRADUCTION] L’intimé invoque la théorie du capital de départ formulée dans les arrêts Werner v. Werner (1980), 1 Sask. R. 327 et Evenson v. Evenson (1980), 4 Sask. R. 47, par lesquels on a attribué au mari plus de la moitié des biens parce que tous les biens matrimoniaux découlaient du capital apporté en mariage par le mari. L’avocat soutient que l’al. 21(2)q) est celui qui permettrait d’appliquer cette théorie.

À mon avis, la règle énoncée dans les affaires Evenson et Werner n’est pas adaptée aux circonstances de l’espèce parce que, dans ces affaires-là, les biens du ménage au moment de la demande en justice n’étaient pas sensiblement différents de ceux que les époux avaient à

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l’époque du mariage; tandis qu’en l’espèce l’abondance des biens présents n’a pas de commune mesure avec les biens possédés avant le mariage.

La Cour d’appel a accepté la théorie et l’a appliquée en augmentant la part du mari dans le partage. Le juge MacDonald, qui a rendu l’arrêt de la Cour composée également des juges Woods et Brownridge, a fait remarquer que les biens que le mari possédait avant mariage ont permis d’acquérir les autres biens matrimoniaux. Dans ces circonstances, la règle énoncée dans les arrêts Werner v. Werner (1980), 1 Sask. R. 327, et Evenson v. Evenson (1980), 4 Sask. R. 47, s’applique et, par conséquent, la division égale des biens ordonnée en première instance est injuste et inéquitable. Il dit [(1983), 21 Sask. R. 320, à la p. 326]:

[TRADUCTION] Avec égards pour le juge de première instance, il me semble que la règle énoncée dans les décisions citées est adaptée aux faits de l’espèce. À mon avis, les faits permettent de conclure que le partage des biens ordonné par le juge de première instance est injuste et inéquitable.

Dans le partage des terres agricoles, le juge de première instance a accordé à l’épouse 6 quarts de section. Ainsi, le mari se trouve à avoir l’équipement nécessaire pour une exploitation de 1 835 acres et il a moins de six quarts de section. L’épouse n’a pas de machinerie agricole et bien qu’elle ne soit pas un agriculteur, elle reçoit 6 quarts de section. Le mari a 54 ans et il y a peu de chances qu’il puisse de nouveau réunir autant de terres agricoles vu l’énorme augmentation de leur coût.

La cour a donc réduit la part de l’épouse de l’équivalent de la demi-section de terre dont il a déjà été question.

Le présent pourvoi soulève deux questions. La première est celle de savoir si la Cour d’appel a commis une erreur en appliquant la théorie du capital de départ pour modifier le partage fait en première instance. La seconde question a trait au taux d’intérêt sur la somme impayée accordée à l’épouse à titre de soulte.

Pour ce qui est de la première question, je dois souligner d’abord que The Matrimonial Property Act, entrée en vigueur le 1er janvier 1980, a profondément modifié le régime de partage des biens

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matrimoniaux lors de la dissolution d’un mariage, qu’avait établi The Married Women’s Property Act, R.S.S. 1965, chap. 340 (modifiée par 1974-75 (Sask.), chap. 29, et 1978 (Sask.), chap. 36). Le paragraphe 22(2) de la Loi antérieure permettait au juge de rendre, à l’égard des biens en litige, toute ordonnance qu’il estimait juste et équitable. Le paragraphe 22(4) prescrivait au juge de tenir compte, dans une ordonnance de partage, des apports respectifs des parties sous forme d’argent, de service, de direction et de soins domestiques ou sous toute autre forme.

Ces dispositions ont été abandonnées. La Loi présume maintenant qu’il y a contribution conjointe à l’accroissement et à la conservation des biens matrimoniaux qui donne droit à chacun des époux à une moitié de biens, sous réserve de certaines exceptions, exemptions et considérations d’équité précises. L’article 20 énonce le but de la Loi, plus précisément, de la disposition qui régit le partage des biens matrimoniaux dans les termes suivants:

[TRADUCTION] 20. L’objet de la présente loi et, plus précisément, de la présente partie, est de reconnaître que le soin des enfants, la gestion domestique et l’apport financier sont des obligations conjointes et réciproques des époux et que la contribution financière ou autre de chaque époux à la satisfaction de ces responsabilités est une caractéristique inhérente des relations matrimoniales qui lui donne droit à une part égale des biens matrimoniaux, sous réserve des exceptions, exemptions et considérations d’équité mentionnées dans la présente loi.

La principale disposition relative au partage des biens se trouve à l’art. 21 qui crée une présomption d’égalité des droits sur les biens matrimoniaux et énonce divers facteurs qui peuvent justifier un partage inégal. En voici le texte:

[TRADUCTION] 21. — (1) Sur demande de partage des biens matrimoniaux soumise par l’un des conjoints et sous réserve des exceptions, exemptions et considérations d’équité mentionnées dans la présente loi, la cour ordonnera le partage égal entre les époux des biens matrimoniaux ou de leur valeur.

(2) Sous réserve de l’article 22, si après avoir tenu compte

a) de toute convention écrite intervenue entre les époux ou entre l’un des époux ou les deux époux et un tiers,

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b) de la durée de la cohabitation des époux avant et pendant leur mariage,

c) de la durée de la période pendant laquelle les époux ont vécu séparés,

d) de la date d’acquisition des biens matrimoniaux,

e) de la contribution financière ou autre faite directement ou indirectement par un tiers pour le compte d’un époux en vue de l’acquisition, de l’aliénation, de l’exploitation, de l’administration ou de l’utilisation des biens matrimoniaux,

f) de toute contribution directe ou indirecte d’un époux à la carrière ou aux possibilités de carrière de l’autre,

g) de la mesure dans laquelle les moyens financiers et la capacité de gagner de chacun des époux ont été modifiés par les responsabilités et les autres circonstances du mariage,

h) du fait qu’un époux a fait

(i) un don important de biens à un tiers ou

(ii) une cession de biens à un tiers autre qu’un acheteur de bonne foi contre valeur,

i) d’un partage antérieur des biens matrimoniaux entre les époux par donation ou conformément à une convention ou une ordonnance d’un tribunal compétent rendue avant ou après l’entrée en vigueur de la présente loi,

j) d’une obligation fiscale à laquelle l’un des époux peut être assujetti par suite d’une cession ou d’une vente de biens matrimoniaux ou par suite d’une ordonnance de la cour,

k) du fait qu’un époux a dissipé les biens matrimoniaux,

l) sous réserve du paragraphe 30(3), de tout bénéfice reçu ou à recevoir par l’époux survivant par suite du décès de son conjoint,

m) de toute pension alimentaire payable pour l’entretien d’un enfant,

n) des droits des tiers sur les biens matrimoniaux,

o) de toute dette ou obligation d’un époux y compris les dettes payées pendant le mariage,

p) de la valeur des biens matrimoniaux situés hors de la Saskatchewan,

q) d’autres faits ou circonstances pertinents,

elle est convaincue qu’il serait ni juste ni équitable de partager également les biens matrimoniaux ou leur valeur, la cour peut

r) refuser d’ordonner un partage,

s) attribuer la totalité des biens matrimoniaux ou leur valeur à l’un des époux ou

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t) rendre toute autre ordonnance qu’elle estime juste et équitable.

L’article 22 de la Loi prévoit un traitement spécial pour le foyer conjugal. En voici le texte:

[TRADUCTION] 22. — (1) Lorsque le foyer conjugal est visé par la demande présentée en vertu du paragraphe 21(1), la cour, après avoir tenu compte de toute obligation pour taxe, de toute charge ou de toute autre dette ou obligation relative au foyer conjugal, partagera le foyer conjugal ou sa valeur également entre les époux sauf si elle est convaincue qu’il ne serait

a) ni juste, ni équitable de le faire, compte tenu seulement de circonstances exceptionnelles ou

b) ni juste ni équitable envers le conjoint qui a la garde des enfants,

et, dans ce cas, la cour peut

c) refuser d’ordonner un partage,

d) attribuer la totalité du foyer conjugal ou sa valeur à l’un des époux ou

e) ordonner le partage qu’elle estime juste et équitable.

(2) S’il y a plus d’un foyer conjugal, la cour peut déterminer lequel est assujetti au paragraphe (1) et tout autre foyer conjugal est partagé selon les dispositions de l’article 21.

Le juge Dickson de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a clairement énoncé la différence entre le régime de partage prévu à The Matrimonial Property Act et le régime de l’ancienne loi dans la décision Wildman v. Wildman (1980), 8 Sask. R. 115, aux pp. 118 et 119:

[TRADUCTION] À mon avis, l’art. 20 exprime, à l’égard de la contribution, une attitude différente de celle que le législateur avait adoptée dans le par. 22(4) de The Married Person’s Property Act. La cour n’a plus le «pouvoir discrétionnaire très étendu» dont avait parlé le juge Brownridge. La cour ne doit plus estimer la valeur relative de la contribution de chacun des époux. La Législature de la province reconnaît l’égalité des contributions du fait de l’accomplissement par les époux des obligations du mariage. Le rôle de l’un n’a pas une valeur différente de celui de l’autre. En conséquence, il importe peu que l’épouse ait participé aux travaux agricoles. Le législateur reconnaît, à l’art. 20, que le soin des enfants et les travaux ménagers assurés par l’épouse ont une valeur égale aux travaux de récolte et à la direction de l’exploitation agricole assurés par le mari. Cette contribution conjointe donne à chacun des époux droit à

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une part égale des biens matrimoniaux. Après avoir exprimé le but de la Loi, le législateur enjoint aux tribunaux, par les art. 21 et 22, de partager également les biens matrimoniaux entre les époux à moins qu’il n’y ait des faits ou circonstances pertinents qui rendraient un tel partage injuste et inéquitable. Les exemples de faits et circonstances pertinents à prendre en ligne de compte pour partager les biens matrimoniaux, autres que le foyer conjugal, sont donnés au par. 21(2) de la Loi. Lors du partage du foyer conjugal, les faits et circonstances dont la cour peut tenir compte se limitent à la garde des enfants et à ce que la législature appelle «des circonstances exceptionnelles».

Contrairement à d’autres lois provinciales sur le même sujet, The Matrimonial Property Act de la Saskatchewan ne distingue pas expressément entre les biens commerciaux et les biens familiaux pour les fins du partage des biens matrimoniaux. Sous réserve des considérations d’équité énumérées aux par. 21(2) et 22(1), tous les biens matrimoniaux sont présumés partageables en parts égales entre les époux et les contributions à leur acquisition, à leur conservation et à leur amélioration sont aussi présumées égales. De même, l’accroissement de la valeur des biens matrimoniaux après le mariage est présumé résulter des efforts conjoints des époux et être partageable également à moins qu’un tel partage ne soit ni juste ni équitable. L’article 23 prévoit une exemption pour les biens matrimoniaux qu’un époux apporte en mariage sauf pour le foyer conjugal ou les objets ménagers. La juste valeur marchande de ces biens à l’époque du mariage est exclue du partage à moins que, conformément au par. (4), une telle exemption ne soit injuste et inéquitable, auquel cas la valeur peut en être réduite. Voici le texte de l’art. 23:

[TRADUCTION] 23. — (1) Lorsque les biens matrimoniaux, sauf le foyer conjugal ou les objets ménagers, consistent en

a) des biens acquis avant le mariage par un époux à titre de donation d’un tiers, à moins qu’il ne puisse être prouvé que le don a été fait avec l’intention d’avantager les deux époux,

b) des biens acquis avant le mariage par un époux sous forme de legs à moins qu’il ne puisse être prouvé que le legs a été fait avec l’intention d’avantager les deux époux,

c) des biens possédés par l’un des époux avant le mariage,

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leur juste valeur marchande à l’époque du mariage est, sauf application du paragraphe (4), exclue du partage prévu à la présente partie.

(2) Les biens acquis en échange des biens mentionnés au paragraphe (1) sont, sauf application du paragraphe (4), exclus du partage prévu à la présente partie à concurrence de la juste valeur marchande à l’époque du mariage des biens originaux mentionnés au paragraphe (1).

(3) Sauf application du paragraphe (4), sont exclus du partage prévu à la présente partie les biens matrimoniaux, sauf le foyer conjugal ou les objets ménagers, qui consistent en

a) des dommages-intérêts en matière de responsabilité délictuelle accordés à un époux par jugement ou règlement à moins qu’ils ne constituent une indemnisation pour une perte subie par les deux époux,

b) une somme payée ou payable en vertu d’une police d’assurance qui ne vise pas des biens, à moins que le produit de l’assurance ne vise à indemniser une perte subie par les deux époux,

c) des biens acquis après un jugement conditionnel de divorce, une déclaration de nullité de mariage ou un jugement en séparation rendu à l’égard des époux,

d) des biens acquis par suite d’un échange des biens mentionnés au présent paragraphe,

e) une augmentation de valeur des biens mentionnés au présent paragraphe et des revenus tirés desdits biens et des biens acquis par un des époux grâce à ce revenu ou à cette augmentation de valeur.

(4) Lorsqu’elle est convaincue qu’il ne serait ni juste ni équitable d’exclure des biens du partage, la cour peut rendre toute ordonnance qu’elle estime juste et équitable à l’égard des biens matrimoniaux mentionnés au présent article.

(5) Lorsqu’elle rend une ordonnance en vertu du présent article, la cour doit tenir compte

a) de tous les sujets mentionnés aux alinéas 21(2)a) à p),

b) des contributions, sous quelque forme que ce soit, faites par les époux à leur vie commune, aux enfants ou aux biens avant leur mariage;

c) des contributions financières ou sous quelque autre forme que ce soit par l’un des époux directement ou indirectement en vue de l’acquisition, de l’aliénation, de la conservation, de l’entretien, de l’amélioration de l’exploitation, de la gestion ou de l’usage d’un bien mentionné au présent article,

[Page 262]

d) de la valeur des autres biens à partager,

e) de tout autre fait ou circonstance pertinent.

(6) Tous les biens matrimoniaux sont présumés susceptibles de partage à moins qu’il ne soit établi, à la satisfaction de la cour, qu’il s’agit d’un bien mentionné au présent article.

Sans contester l’estimation de la valeur marchande de ses biens propres faite par le juge de première instance, l’intimé a soutenu que l’exclusion prévue à l’art. 23 n’est pas exhaustive en ce qui concerne les propres, mais permet à la cour de tenir compte des facteurs mentionnés au par. 21(2) afin d’arriver à une ordonnance juste et équitable. On s’appuie sur l’existence alléguée d’un pouvoir discrétionnaire qui justifierait l’application en l’espèce de la théorie du capital de départ. L’arrêt Werner v. Werner, précité, rendu par le juge en chef Johnson de la Cour du Banc de la Reine, fut le premier à énoncer et à appliquer la théorie du capital de départ. Il est difficile de dire dans quelle mesure on a diminué la part de l’épouse en raison de l’application de cette théorie, puisque d’autres facteurs liés au fait que le mari avait la garde des enfants ont également eu une influence sur le partage. L’importance de la théorie est cependant clairement exprimée dans l’énoncé suivant à la p. 335:

[TRADUCTION] Dans les circonstances de l’espèce, je crois qu’il est juste et équitable que la cour tienne compte de ce qu’avant le mariage, le mari avait acquis une part importante des terres agricoles qui ont constitué le capital de départ de l’établissement agricole que lui et sa femme ont exploité après leur mariage. Pour ce motif précis, le partage des biens matrimoniaux doit favoriser le mari.

En définitive, l’épouse a reçu trente-cinq pour cent des biens partageables.

Le juge en chef Johnson a de nouveau appliqué la théorie du capital de départ dans l’arrêt Evenson, précité, dans les termes suivants, à la p. 53:

[TRADUCTION] En l’espèce, à l’époque du mariage, le mari possédait des biens meubles et immeubles d’une valeur brute d’au moins 58 335 $. Les dettes imputables à l’acquisition de ces biens s’élevaient à 10 800 $. En d’autres termes, les dettes constituaient un peu moins de 20 p. 100 de la valeur brute des biens de sorte qu’à l’époque du mariage, le mari possédait environ 80 p. 100

[Page 263]

des biens qu’il apportait en mariage. Les biens dont le mari était le propriétaire au moment du mariage ont formé le capital de départ qui lui a permis d’acquérir les biens dont il est présentement propriétaire. Bien qu’il soit vrai que son épouse Ta aidé à acquérir le foyer conjugal et à entretenir la famille pendant toutes ces années, je crois qu’il faut, pour être juste, reconnaître que c’est le fait que le mari était propriétaire du capital de départ qui a permis à l’exploitation agricole de prospérer.

De la masse nette partageable des biens évalués à environ 300 000$, l’épouse a reçu 100 000$. Comme dans l’affaire Werner, il est difficile d’établir précisément quelle proportion de la diminution de la part de l’épouse était attribuable à la théorie du capital de départ puisque d’autres facteurs ont également eu un effet sur le partage. La théorie du capital de départ a depuis été appliquée dans plusieurs décisions de première instance publiées: Johnson v. Johnson (1981), 22 R.F.L. (2d) 262; Bateman v. Bateman (1981), 22 R.F.L. (2d) 384; Prayda v. Prayda (1982), 20 Sask. R. 442.

À mon avis, la Cour d’appel a commis une erreur de droit en invoquant la théorie du capital de départ pour réduire la part des biens matrimoniaux revenant de l’appelante. La théorie est fondée sur l’apport spécial de biens par l’un des époux lors du mariage, biens dont la valeur augmentent et dont l’existence permet d’acquérir d’autres biens. Toutefois, comme je l’ai déjà mentionné, la contribution à l’augmentation des biens après le mariage est présumée égale et les fruits qui en proviennent sont présumés partageables également. L’apport de biens possédés avant le mariage est régi par l’art. 23 et l’exemption se limite à leur juste valeur marchande à l’époque du mariage. Il est manifeste à première vue que la théorie du capital de départ appliquée à l’espèce dépend de l’attribution, aux propres du mari, d’une valeur plus grande que celle que l’art. 23 permet. L’article dit clairement que la contribution de chacun des époux est évaluée à sa juste valeur marchande à l’époque du mariage et tout pouvoir discrétionnaire accordé à la cour en vertu des par. 23(4) et (5) ne s’applique que s’il n’est ni juste ni équitable d’exempter ces biens du partage. Ils n’accordent pas le pouvoir d’exclure plus que la juste valeur marchande à l’époque du mariage. On

[Page 264]

ne peut pas non plus, à mon sens, invoquer l’al. 21(2)q) à cette fin. Le faire équivaudrait à utiliser cet alinéa «fourre-tout» pour contourner une restriction précise quant aux exemptions permises en vertu de l’art. 23. De plus, la théorie du capital de départ me paraît tout à fait contraire à la présomption exprimée par la Loi d’égalité du partage sous réserve d’un nombre limité d’exemptions, égalité qui est une caractéristique de la Loi. Pour ces motifs, je suis d’avis de trancher la première question en faveur de l’appelante.

Passons maintenant à la question du taux d’intérêt fixé par le juge de première instance sur la somme globale payable à l’épouse comme soulte du partage. Le juge de première instance s’est prononcé dans les termes suivants:

[TRADUCTION] L’intimé paiera 60 050 $ à la requérante avant le 15 août 1981, à défaut de quoi ladite somme portera intérêt à compter de cette date jusqu’au moment du paiement au taux de vingt-deux pour cent l’an.

Il semble avoir voulu établir un taux qui équivaille au taux commercial de l’époque, bien qu’il n’y ait pas d’élément de preuve à ce sujet dans le dossier. La Cour d’appel a réduit le taux d’intérêt à cinq pour cent sans donner de motifs. L’alinéa 26(1)b)(i) accorde au juge de première instance le pouvoir discrétionnaire d’imposer des intérêts pour réaliser le partage. L’alinéa prévoit:

[TRADUCTION] 26. — (1) Pour réaliser un partage en vertu de la présente partie, la cour peut

b) rendre toute ordonnance qu’elle juge appropriée dans les circonstances, que l’ordonnance modifie ou non le titre de propriété à l’égard des biens matrimoniaux et, sans limiter la généralité de ce qui précède, la cour peut

(i) ordonner à l’un des époux de payer une somme globale échelonnée sur une période de temps, avec ou sans intérêt, ou attribuer un droit de propriété sur tout bien matrimonial à l’autre époux,…

Il faut toutefois interpréter cette disposition en fonction de la Loi sur l’intérêt, S.R.C. 1970, chap. I-18, qui régit le taux d’intérêt sur les sommes dues en vertu d’un jugement en Saskatchewan ainsi que dans les autres provinces de l’Ouest et les territoires du Nord. À mon avis, il est manifeste que le paiement de la somme globale accordée à

[Page 265]

l’épouse en l’espèce est une somme due en vertu d’un jugement au sens de l’art. 15 de la Loi sur l’intérêt, qui prescrit:

15. Toute somme d’argent, ou les frais, charges ou dépens déclarés payables en vertu d’un jugement, d’un décret, d’une règle ou d’une ordonnance d’une cour quelconque en matière civile sont, pour les fins de la présente loi, réputés une somme due en vertu d’un jugement.

L’article 13 de la Loi établit l’intérêt sur les sommes dues en vertu d’un jugement à cinq pour cent l’an jusqu’à paiement et il s’ensuit donc que la Cour d’appel a eu raison de réduire à cinq pour cent le taux d’intérêt sur la somme accordée.

Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, de rétablir le jugement de première instance, sous réserve de l’augmentation à 65 050 $ de la somme globale payable à l’épouse et de la réduction du taux d’intérêt à cinq pour cent l’an sur cette somme. Puisque l’issue du pourvoi est partagée, les parties paieront chacune leurs propres dépens.

Pourvoi accueilli en partie.

Procureurs de l’appelante: Shumiatcher-Fox, Regina.

Procureurs de l’intimé: McDougall, Ready, Wakeling, Regina.


Synthèse
Référence neutre : [1984] 1 R.C.S. 252 ?
Date de la décision : 03/05/1984
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli en partie

Analyses

Droit matrimonial - Divorce - Partage des biens matrimoniaux - Validité et applicabilité de la théorie du capital de départ - The Matrimonial Property Act, 1979 (Sask.), chap. M-6.1, art. 20, 21, 22, 23, 26(1)b)(i) - Loi sur l’intérêt, S.R.C. 1970, chap. I-18, art. 13 et 15.

L’appelante a demandé le partage des biens matrimoniaux en vertu de The Matrimonial Property Act de la Saskatchewan. L’intimé avait apporté en mariage des biens-fonds et de la machinerie; l’appelante, par contre, n’a pas apporté de biens en mariage, mais on a jugé qu’elle avait travaillé aussi fort, sinon plus fort, que la moyenne des femmes d’agriculteurs. Le juge de première instance a divisé la masse nette partageable également entre les époux, mais la Cour d’appel a appliqué la théorie du capital de départ et modifié cette décision en diminuant la part de l’épouse. La théorie du capital de départ veut que la contribution du mari au titre des propres ait une valeur supérieure à celle qu’on leur a attribuée dans son exemption au titre des propres et, parce que ces biens ont constitué le capital de départ à partir duquel les parties ont pu accumuler leurs biens, le partage des biens matrimoniaux devrait favoriser le mari. Il s’agit de déterminer si la Cour d’appel a commis une erreur en appliquant cette théorie. Il s’agit aussi de déterminer si la somme globale payable par le mari à l’épouse devrait porter des intérêts au taux commercial courant établi par le juge de première instance ou au taux fixé par la Loi sur l’intérêt pour les sommes dues en vertu d’un jugement comme l’a fait la Cour d’appel.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli en partie.

L’article 23 détermine comment les cours doivent traiter les biens matrimoniaux possédés avant le mariage et limite l’exemption à la juste valeur marchande de la contribution. Le pouvoir discrétionnaire donné à la cour en vertu des par. 23(4) et (5) ne permet pas d’exempter plus que la juste valeur marchande au moment du mariage et permet seulement de décider s’il est juste et équitable d’exclure ces biens du partage. L’alinéa

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21(2)q), qui est une disposition «fourre-tout», ne peut servir à contourner la restriction précise mentionnée à l’art. 23. La théorie du capital de départ est tout à fait contraire à la présomption légale d’égalité des parts, sous réserve d’un nombre déterminé d’exemptions. Appliquer cette théorie à l’espèce équivaut à accorder à la contribution du mari au titre des propres une valeur plus grande que celle que l’art. 23 permet.

Le taux d’intérêt sur la somme globale allouée à l’épouse est établi par la Loi sur l’intérêt puisqu’il s’agit d’une somme due en vertu d’un jugement au sens de l’art. 15 de la Loi.


Parties
Demandeurs : Farr
Défendeurs : Farr

Références :

Jurisprudence: arrêts examinés: Werner v. Werner (1980), 1 Sask. R. 327

Evenson v. Evenson (1980), 4 Sask. R. 47

arrêts mentionnés: Wildman v. Wildman (1980), 8 Sask. R. 115

Johnson v. Johnson (1981), 22 R.F.L. (2d) 262

Bateman v. Bateman (1981), 22 R.F.L. (2d) 384

Prayda v. Prayda (1982), 20 Sask. R. 442.

Proposition de citation de la décision: Farr c. Farr, [1984] 1 R.C.S. 252 (3 mai 1984)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1984-05-03;.1984..1.r.c.s..252 ?
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