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02/02/1984 | CANADA | N°[1984]_1_R.C.S._19

Canada | Desgagné c. Fabrique de la paroisse St-Philippe d’Arvida, [1984] 1 R.C.S. 19 (2 février 1984)


Cour suprême du Canada

Desgagné c. Fabrique de la paroisse St-Philippe d’Arvida, [1984] 1 R.C.S. 19

Date: 1984-02-02

Lauréanne Harvey Desgagné, exécutrice à la succession de feu Léonce Desgagné Appelante;

et

La Fabrique de la paroisse de Saint-Philippe d’Arvida Intimée.

et

La Fabrique de la paroisse de Saint-Philippe d’Arvida Appelante;

et

Lauréanne Harvey Desgagné, exécutrice à la succession de feu Léonce Desgagné, Les Immeubles Murdock Limitée, Ernest Dauphinais et Guy Bélanger Intimés.

N° du greff

e: 15607.

1982: 17 mars; 1984: 2 février.

Présents: Les juges Beetz, Estey, Mclntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’A...

Cour suprême du Canada

Desgagné c. Fabrique de la paroisse St-Philippe d’Arvida, [1984] 1 R.C.S. 19

Date: 1984-02-02

Lauréanne Harvey Desgagné, exécutrice à la succession de feu Léonce Desgagné Appelante;

et

La Fabrique de la paroisse de Saint-Philippe d’Arvida Intimée.

et

La Fabrique de la paroisse de Saint-Philippe d’Arvida Appelante;

et

Lauréanne Harvey Desgagné, exécutrice à la succession de feu Léonce Desgagné, Les Immeubles Murdock Limitée, Ernest Dauphinais et Guy Bélanger Intimés.

N° du greffe: 15607.

1982: 17 mars; 1984: 2 février.

Présents: Les juges Beetz, Estey, Mclntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

POURVOIS contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec, [1979] C.A. 198, qui a infirmé en partie un jugement de la Cour supérieure. Pourvoi de Lauréanne Harvey Desgagné, exécutrice à la succession de feu Léonce Desgagné, rejeté. Pourvoi de la Fabrique accueilli.

Jean-Louis Baudoin, c.r., Jean-Pierre Depelteau et Chantai Perreault, pour l’appelante‑intimée la Fabrique de la paroisse de Saint-Philippe d’Arvida.

J. Vincent O’Donnell, c.r., et Daniel Alain Dagenais, pour l’appelante-intimée Lauréanne Harvey Desgagné, exécutrice à la succession de feu Léonce Desgagné.

Richard Dufour, pour l’intimée Les Immeubles Murdock Limitée.

Marc Lesage, pour les intimés Ernest Dauphinais et Guy Bélanger.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE BEETZ —

I — Les procédures, le jugement de la Cour supérieure et l’arrêt de la Cour d’appel

Après la construction de l’église Saint-Philippe d’Arvida, la Fabrique de la Paroisse de Saint-Philippe d’Arvida, (la «Fabrique»), a intenté une action en dommages-intérêts de 530 000 $ à l’architecte Léonce Desgagné maintenant décédé et représenté par sa veuve Lauréanne Harvey Desgagné, (l’«Architecte»), aux ingénieurs en charpente Ernest Dauphinais et Guy Bélanger (les «Ingénieurs») ainsi qu’à l’entrepreneur général Les Immeubles Murdock Limitée, (l’«Entrepreneur»). La Fabrique impute un certain nombre de fautes spécifiques aux défendeurs et elle leur reproche la présence de vices de construction qui se seraient manifestés graduellement et qui ont entraîné la perte des murs et du dôme de l’église. La Fabrique conclut à la condamnation conjointe et solidaire

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des défendeurs comme le prévoient les art. 1688 et 1689 du Code civil:

1688. Si l’édifice périt en tout ou en partie dans les cinq ans, par le vice de la construction ou même par le vice du sol, l’architecte qui surveille l’ouvrage et l’entrepreneur sont responsables de la perte conjointement et solidairement.

1689. Si, dans le cas de l’article précédent, l’architecte ne surveille pas l’ouvrage, il n’est responsable que de la perte occasionnée par les défauts ou erreurs du plan qu’il a fourni.

Dans un jugement fort élaboré mais malheureusement inédit, le juge Gabrielle Vallée de la Cour supérieure, plus tard Juge en chef associé, rejette l’action de la Fabrique au motif qu’elle est prescrite vu l’art. 2259 du Code civil:

2259. L’action en indemnité en vertu de l’article 1688 doit être introduite dans les cinq ans de la perte.

Si cependant le vice en est un qui se manifeste graduellement, la prescription commence à courir à l’expiration des cinq années mentionnées dans l’article 1688.

Par un arrêt majoritaire publié sub nom. Fabrique de la paroisse de St-Philippe d’Arvida c. Desgagné, [1979] C.A. 198, la Cour d’appel infirme en partie le jugement de la Cour supérieure et accueille le recours de la Fabrique contre l’Architecte pour un montant de 313 374,99$; mais elle rejette ce recours contre les Ingénieurs et l’Entrepreneur. Les juges Bélanger et Bernier sont d’accord avec le premier juge relativement à la prescription du recours fondé sur l’art. 1688, mais ils tiennent que le régime de responsabilité légale établi par cette disposition ne supplante pas celui de la responsabilité contractuelle pour lequel dans ce cas la prescription est de trente ans. Ils retiennent la faute contractuelle de l’Architecte, dont le premier juge ne discute pas, mais ils ne trouvent aucune faute dans la conduite des Ingénieurs et de l’Entrepreneur. Le juge Monet, dissident, aurait confirmé le jugement de première instance.

Par son pourvoi, l’appelante Lauréanne Harvey Desgagné nous demande de rétablir le jugement de la Cour supérieure au motif que le régime de responsabilité légale prescrit par l’art. 1688 écarte celui de la responsabilité contractuelle et que le recours fondé sur l’art. 1688 est prescrit comme l’a

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décidé le premier juge confirmé sur ce point par l’opinion unanime de la Cour d’appel.

Quant à la Fabrique, elle soutient dans son pourvoi que son recours fondé sur l’art. 1688 n’est pas prescrit. Elle soutient alternativement qu’il y a faute contractuelle des Ingénieurs et de l’Entrepreneur comme de l’Architecte et que leur responsabilité, fondée sur l’art. 1065 du Code civil, serait également conjointe et solidaire. Elle demande donc le rejet du pourvoi de Lauréanne Harvey Desgagné et la condamnation conjointe et solidaire des défendeurs.

II — La question

Voici comment le premier juge identifie la question principale qu’il s’agit de trancher:

La question que soulève le présent litige est de savoir quel point de départ le Tribunal doit prendre lorsque la perte totale ou partielle de l’œuvre est constatée à l’intérieur des cinq (5) années qui ont suivi la fin des travaux et que cette perte est conséquente à un vice qui s’est manifesté de façon graduelle: le Tribunal, en ce cas, doit-il appliquer le premier (1er) ou le deuxième (2e) paragraphe de l’article 2259?

Je reconnais que telle est en effet la question.

Le premier juge est d’avis qu’il faut y répondre en appliquant le premier alinéa de l’art. 2259 et situer le point de départ de la prescription au jour de la perte et de la connaissance qu’en avait la Fabrique. Comme le premier juge conclut que la perte partielle de l’édifice a eu lieu à l’automne 1964 et que dès cette époque ou, au plus tard au printemps 1965, cette perte était devenue manifeste pour la Fabrique, il décide que l’action, intentée le 23 septembre 1971, était prescrite depuis près de deux ans.

Je suis plutôt d’avis, avec égard pour l’opinion contraire, que c’est le second alinéa de l’art. 2259 qui doit s’appliquer et que «la prescription commence à courir à l’expiration des cinq années mentionnées dans l’article 1688», c.-à-d. à l’expiration des cinq années qui suivent l’acceptation des travaux, ou peut-être, — il n’est pas nécessaire de le décider, — à l’expiration des cinq années qui suivent la fin des travaux. Les travaux ont été acceptés le 4 août 1964 et avaient pris fin quelques mois

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auparavant. La Fabrique avait par conséquent jusqu’en 1974 pour prendre action. J’arrive donc, contrairement au premier juge et à la Cour d’appel, à la conclusion que le recours de la Fabrique, fondé sur l’art. 1688 du Code civil, n’est pas prescrit et que, comme le prévoit cet article, les défendeurs doivent être trouvés conjointement et solidairement responsables vis‑à-vis la Fabrique sans que celle-ci ait à prouver la faute de l’un ou l’autre d’entre eux.

Vu cette conclusion, il ne me sera pas nécessaire de décider si l’un ou l’autre des défendeurs est en faute non plus que de discuter de la question de savoir si le régime de responsabilité légale établi par l’art. 1688 écarte celui de la responsabilité contractuelle.

III — Les faits

Le premier juge a donné une description détaillée de l’église Saint-Philippe d’Arvida et des circonstances qui ont donné lieu au litige. Il me paraît nécessaire de citer des passages substantiels de cette description car, si j’accepte sans réserve toutes les conclusions de fait du premier juge, je ne puis partager son avis quant à la qualification qu’il faut donner à certains d’entre eux à propos du caractère graduel de la manifestation des vices de construction.

Je laisse parler le premier juge:

De conception originale cet édifice est constitué de trois (3) murs en forme d’arc de cercle: ces murs sont disposés à la façon d’un triangle, les côtés concaves de ces murs sont à l’extérieur et les côtés convexes sont à l’intérieur; la paroi intérieure de ces murs est de huit pouces (8”) et consiste en deux (2) épaisseurs de briques juxtaposées; la paroi extérieure de ces murs consiste en une seule épaisseur de brique de quatre pouces (4”); toutes ces briques sont liées entre elles par des joints de mortier du type communément appelé “joints baveux”; entre les parois intérieure et extérieure de ces murs, est placé un matériau isolant de deux pouces (2) d’épaisseur, et il existe un espace vide de un pouce (1”); ces trois (3) murs ont cent vingt pieds (120’) de long respectivement et n’ont aucun acier d’armature longitudinal.

Vus de l’intérieur de l’église, ces trois (3) murs sont, à leur point le plus convexe et dans la partie supérieure de ceux-ci, inclinés à la façon d’une arche; l’inclinaison ou effet d’arche diminue et disparaît au fur et à mesure que

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l’on s’éloigne de ces trois (3) points et que l’on s’approche des extrémités angulaires.

A chacun des points situés dans la partie la plus convexe des murs inclinés, est camouflée une colonne; à l’endroit où ces trois (3) colonnes sont placées, la paroi intérieure du mur n’a qu’une seule épaisseur de brique; les trois (3) colonnes sont couronnées d’un anneau qui reçoit un dôme, de forme géodésique; ce dôme couvre toute la partie centrale du triangle formé par les trois (3) arcs de cercle et les trois (3) points angulaires du triangle sont fermés par des toits plats.

Le dôme, d’un diamètre de soixante-seize pieds (76’) et d’une hauteur de trente pieds (30’) est constitué d’une structure d’aluminium ou de composé d’aluminium à laquelle des panneaux de plastique mince sont retenus aux cornières au moyen de petits rivets. Les feuilles de plastique polyester sont unies par des nids d’abeilles faits de papier traité.

Notons ici que la structure formée des colonnes et de l’anneau de métal et la structure du dôme ne sont pas deux (2) systèmes structuraux conjugués et qu’il s’agit, en fait, de deux (2) choses indépendantes (Cf. témoignage Jules Houde, ingénieur, preuve p. 795 et ss.).

Les plans et devis de cette église ont été confiés aux architectes Desgagné & Côté et ces derniers ont surveillé les travaux d’exécution.

Les ingénieurs en charpente étaient Dauphinais et Bélanger alors que l’entrepreneur général était Les Immeubles Murdock Limitée.

Un contrat distinct est intervenu entre le propriétaire et la compagnie Long-Sault Woodcraft Inc. concernant la fabrication et l’installation du dôme géodésique.

Notons immédiatement que les plans et devis de ce dôme n’ont pas été dessinés par les architectes Desgagné et Côté.

(Il importe cependant de compléter ce dernier alinéa par ce qu’en dit le juge Bélanger en Cour d’appel, tant pour lui-même qu’au nom du juge Bernier. S’il est exact que les plans et devis du dôme n’ont pas été dessinés par l’Architecte, «la décision… d’en confier le contrat définitif à la société Long-Sault Woodcraft Ltd., ne fut prise par [l’appelante (la Fabrique)] que sur acceptation écrite par l’architecte du matériau devant entrer dans sa construction comme «conforme à nos exigences et aux conditions de l’œuvre, comme qualité et comme apparence»». Il faut en conclure que l’Architecte a agi comme architecte tant pour le dôme que pour le reste de l’édifice. D’ailleurs c’est

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lui, à ce qu’il semble, qui a conçu l’idée d’une église comportant un dôme géodésique translucide).

Le premier juge continue:

La construction de l’œuvre a débuté au cours de l’été mil neuf cent soixante-trois (1963).

Le dix (10) septembre mil neuf cent soixante-trois (1963), le propriétaire a nommé monsieur Roland Tremblay son surveillant des travaux.

La prise de possession de l’église a précédé de quelques mois l’acceptation des travaux par l’architecte.

Les architectes ont accepté les travaux le quatre (4) août mil neuf cent soixante-quatre (1964).

Des vices se sont manifestés dans les murs de l’édifice avant et après l’acceptation des travaux alors que d’autres vices se sont manifestés dans le dôme dès les premiers mois qui ont suivi cette acceptation et peut-être même dans les jours qui ont précédé celle-ci.

L’accès de l’édifice a été condamné au public fin novembre mil neuf cent soixante et onze (1971).

La procédure a été intentée le vingt-trois (23) septembre mil neuf cent soixante et onze (1971) et la demanderesse demande la réfection complète de l’édifice en puissance de s’écrouler.

Voyons maintenant de quelle façon se sont manifestés les vices et quand la perte totale ou partielle de l’édifice est survenue.

Pour ce faire, il nous faut distinguer, préalablement, les vices et les pertes car, dans le cas sous étude, deux (2) vices entièrement différents existent, lesquels tous deux entraînent perte partielle de l’édifice: l’un, perte des murs; l’autre, perte du dôme.

QUANT AUX MURS:

Les témoignages d’experts entendus, tant en demande qu’en défense, sont unanimes sur deux (2) points, tout au moins:

a) le défaut qui vicie les murs de l’église en est un de conception: absence de joints de dilatation;

b) le phénomène de retrait dans la maçonnerie se manifeste dès la première année qui suit la fin des travaux.

Seule l’absence de joints de dilatation, dans une maçonnerie non armée, est retenue comme vice conceptuel pouvant entraîner perte totale ou partielle des murs de l’édifice dont il s’agit.

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Au jour du Vendredi Saint, fin mars début avril 1964, soit près de quatre (4) mois avant l’acceptation des travaux par l’architecte, la rupture du mur, situé côté rue St-Denis, se produit. Il s’agit d’une déchirure que certains appellent «lézardes», d’autres «fissures d’importance». Cette déchirure, qui fera dire à un paroissien que «le voile du temple s’est déchiré», est verticale, de haut en bas, traverse toute la paroi intérieure de huit pouces (8”), apparaît subitement et sectionne le mur en deux (2) parties qu’elle distance de ⅛ à ½ pouce.

Enfin, remarquons-le, cette rupture n’est pas en forme d’escalier, c’est-à-dire qu’elle n’a pas pris le chemin facile du mortier de liaison des briques, mais a cassé ces dernières de haut en bas. (Cf. curé Gravel, preuve 24 avril 1974; Roland Tremblay, examen au préalable, 30 mars 1972; photos produites en liasse sous les cotes S-l à S-4 et P‑60‑P‑62).

Dès ce jour, monsieur le curé Gravel prend connaissance de cette manifestation et communique avec les marguilliers et architectes.

La rupture du deuxième (2e) mur survient fin été, début automne 1964 d’après monsieur le curé Gravel et celle du troisième (3e), tôt le printemps 1965.

Ces deux (2) ruptures, d’après le témoignage de monsieur Roland Tremblay (examen au préalable du 30 mars 1972), seraient apparues plus tôt et toutes au cours de l’année 1964. Chacune de ces «lézardes» ou déchirures est de même importance et toutes trois (3) sont situées de façon symétrique (Cf. examen au préalable du 30 mars 1972; curé Gravel; preuve du 24 avril 1974).

Au printemps 1965, rupture des parois extérieures des murs à l’endroit précis où sont situées «les lézardes intérieures». Pendant tout ce temps et par la suite, avec les mois et les années des fissures de moindre importance sont apparues dans les murs sectionnés.

QUANT AU DÔME:

Il est incontestable, et la preuve l’a amplement démontré, que le vice qui est cause de sa perte en est un de choix de matériau. L’expert chimiste, George-Charles Hawley, tant dans son rapport d’expertise, sous forme de lettre adressée aux architectes Desgagné et Côté, daté du huit (8) septembre 1969 qu’au cours du témoignage rendu à l’audience, est catégorique sur ce point qui n’a fait, d’ailleurs, l’objet d’aucun contre-interrogatoire de la part des co-défendeurs. Les matières employées dans la fabrication du plastique des panneaux du dôme ne

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résistent pas à l’attaque du soleil et des autres conditions atmosphériques, elles se décomposent, se désagrègent et la détérioration est irréversible.

Les premières manifestations de ce vice sont apparues en juin, juillet plus probablement en août 1964 (Cf. examen au préalable, curé Gravel, 30 mars 1972). C’est à cette époque que les premières gouttes se sont mises à tomber presque au-dessus de l’autel. Avant que ces gouttes n’apparaissent, monsieur le curé Gravel avait déjà décelé, dans le dôme, des taches qu’il attribuait au phénomène de condensation. Dès l’automne 1964 il se voyait dans l’obligation d’éponger le plancher de l’église pour, par la suite, éponger à plusieurs autres endroits de l’édifice. (Cf. examen au préalable du 30 mars 1972 et preuve du 24 avril 1974).

Dès l’apparition des premières ombres ou taches dans le dôme, monsieur l’abbé Gravel a informé les marguilliers et architectes qui sont, dès lors, au courant que ce dôme est défectueux. (Cf. preuve du 24 avril 1974).

Dans le présent cas, il est incontestable que la manifestation du vice s’est faite de façon graduelle: ombres, taches, gouttières, etc., car toutes ces manifestations sont interdépendantes, interreliées, suite d’évolution.

IV — Caractère graduel de la manifestation des vices de construction

Pour que s’applique le second alinéa de l’art. 2259 du Code civil il faut que soit réalisée la condition essentielle qu’il prescrit savoir, que le vice en soit un «qui se manifeste graduellement».

Le caractère graduel de la manifestation du vice qui a entraîné la perte du dôme ne fait aucun doute, comme le constate le premier juge, et il n’a été contesté par personne, du moins devant cette Cour.

Il en va différemment pour ce qui est de la manifestation du vice qui a entraîné la perte des murs. Le premier juge est d’avis que le vice dans ce cas s’est manifesté soudainement plutôt que graduellement. Voici quelques extraits de ses motifs à ce sujet:

Peut-on dire que parce qu’il y a trois (3) ruptures, chacune dans un mur différent, qu’il y a manifestation graduelle? Le Tribunal ne le croit pas. Il semble qu’il y ait répétition et non gradation. Pour qu’il y ait gradation dans la manifestation, ne faut-il pas que les signes avant-coureurs soient interreliés ou interdépendants ou encore évolutifs? Ici, dans le présent cas, la deuxième

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(2e) rupture n’est pas dépendante de la première, et la troisième (3e) des deux (2) premières.

Ces trois (3) «lézardes», d’après le témoin visuel Roland Tremblay, qui était le surveillant des travaux pour le propriétaire, n’ont pas évolué, ne se sont pas aggravées. (Cf. examen au préalable du 30 mars 1972).

D’ailleurs cette constatation peut être vérifiée grâce aux nombreuses photos déposées au dossier, lesquelles ont été prises à différentes époques et ce, dès l’année 1966. (P‑60 & P-62, S-1 à S-4).

Peut-on prétendre que les autres fissures, qui sont apparues après ces ruptures, ont pour effet de rendre la manifestation graduelle? Encore ici le Tribunal ne le croit pas. Celles-ci ne découlent plus du vice de conception, elles sont la conséquence des tensions dues à la brisure d’effet d’arche, qui a changé les lignes de force. C’est en ce sens que le Tribunal comprend les témoignages de l’expert Paul Roberge (preuve 11 et 12 juin 1974) et Jules Houde (preuve du 26 mai 1975). Ces fissures semblent être une progression dans la ruine plutôt qu’une évolution dans la manifestation du vice.

Certains pourront prétendre que lorsque le Législateur emploie l’expression «vice qui se manifeste de façon graduelle», il n’envisage la gradualité que dans le temps et non pas dans la manifestation. Le Tribunal est prêt à accepter une telle interprétation laquelle, dans le cas sous étude, n’améliore pas la situation de la demanderesse.

Comme le premier juge, je suis prêt à accepter que les fissures secondaires qui sont apparues après les trois lézardes principales peuvent être considérées comme une «progression dans la ruine plutôt qu’une évolution dans la manifestation du vice».

Mais je ne puis accepter, soit dit avec égard, que les trois lézardes principales apparues à des dates différentes, ne constituent pas une manifestation graduelle du vice de construction car chacune de ces trois lézardes manifeste Tune après l’autre exactement le même vice dont elles dépendent et qui a entraîné la perte des murs, tout comme les divers progrès dans la détérioration du dôme manifestent graduellement le vice qui a entraîné la perte du dôme. Une lézarde n’est pas nécessairement l’indication d’un vice tel que la perte d’un mur doive en résulter. Ce n’est que graduellement, par l’apparition d’autres lézardes, situées de façon symétrique dans des murs distincts mais sembla-

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bles que la nature et l’ampleur du vice se révèlent, cette ampleur atteignant finalement un point tel qu’il devient apparent pour le propriétaire qu’un vice aussi grave menace d’entraîner la perte des murs. Jusqu’à ce moment, le propriétaire pouvait appréhender la perte sans en avoir la certitude, d’autant plus que, comme dans le cas présent, l’architecte peut continuer à affirmer qu’il s’agit de défauts mineurs et faciles à corriger, et n’a pas hésité à accepter les travaux malgré l’apparition de la première lézarde.

Selon les expressions heureuses du juge Bissonnette dans Gingras c. Cité de Québec, [1948] B.R. 171, aux pp. 181 et 182, la conjugaison de ces trois lézardes successives fait qu’il s’agit, non pas de «dommages périodiques ou récurrents, ou encore répétés en raison d’une même cause, d’une cause constante ou persistante» mais plutôt «de dommages progressifs, c’est-à-dire d’un préjudice qui naît, se dessine et se développe par une sorte d’évolution qui tire toute sa force nuisible dans une même cause et où ne se révèle pas encore tous ses effets pernicieux…».

Mais même si j’éprouvais un doute à ce point de vue, ce doute serait dissipé par le fait que chacune des trois lézardes principales a mis un certain temps à fracturer chaque mur de part en part au point que l’on pouvait à la fin voir le jour à travers chaque lézarde. Le premier juge s’appuie sur le témoignage d’un expert:

Comme il est dit plus haut, la manifestation de ce vice dans la maçonnerie se fait dès la première année qui suit la fin des travaux et l’expert Jules Houde affirme que lorsque ce phénomène se produit, la manifestation est subite et soudaine. (Cf. preuve 26 mai 1975, p. 812).

Effectivement, cet expert affirme qu’une maçonnerie non armée casse soudainement, sans avertissement, à cause du phénomène de retrait et transforme alors un mur en panneaux de mur, mais il précise qu’il doit s’agir de fissures qui sectionnent le mur de part en part.

Je suis d’accord à ce sujet avec ce qu’écrivait le juge Pratte dans Gauthier c. Séguin, [1969] B.R. 913, à la p. 919:

Lorsqu’un mur de fondation est lézardé de part en part et de haut en bas, jusque sous sa semelle, c’est qu’il se divise en parties: on n’a plus un seul mur, mais des parties de murs. En pareil cas, le propriétaire n’est pas

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tenu d’attendre que le pire se produise pour invoquer l’article 1688 C.C.

Pour un profane, à tout le moins, la manifestation de cette sorte de vice est graduelle lorsque la lézarde met un certain temps à fracturer le mur dans toute son épaisseur.

D’ailleurs le premier juge paraît incertain à ce propos puisqu’il écrit:

Même si le Tribunal, voulant laisser la chance au propriétaire, considérait que le vice s’est manifesté de façon graduelle et faisait bénéficier le propriétaire du doute de perte des murs, ce bénéfice du doute ne saurait aller au-delà du temps où les murs sectionnés faisaient jour, leurs parois extérieures s’étant ouvertes. Ceci nous reporterait au printemps 1965, époque où si le propriétaire n’avait antérieurement qu’un doute, il faisait maintenant face à une réalité.

Les procureurs des intimés et de l’appelante Lauréanne Harvey Desgagné ont soutenu que le caractère graduel de la manifestation des vices de construction est une question de fait qui relève de l’appréciation souveraine du juge de première instance. Ce n’est pas mon avis. Il s’agit plutôt d’une question de qualification et par conséquent de bien plus qu’une simple question de fait. Il faut en effet appliquer aux faits le concept juridique de manifestation graduelle de l’art. 2259, au même titre par exemple que dans une affaire de responsabilité civile, il faut qualifier ou non de faute au sens de l’art. 1053 l’acte ou l’abstention d’une personne. C’est là porter un jugement essentiellement normatif. Il ne s’agit donc pas de substituer ma propre appréciation de la preuve à celle du premier juge, mais de tirer des conclusions en droit à partir des faits qu’il a lui-même considérés comme établis. Lorsqu’une juridiction d’appel accepte toutes les conclusions de fait proprement dites du premier juge, comme je le fais, elle est en aussi bonne position que lui pour qualifier ces faits.

Je conclus que le vice de construction qui a entraîné la perte des murs en est un qui s’est manifesté graduellement, tout comme celui qui a entraîné la perte du dôme.

V — Le point de départ de la prescription

J’ai cité plus haut comment le premier juge identifie et formule la question principale qu’il

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faut trancher. Voici maintenant par quelle interprétation de l’art. 2259 du Code civil le premier juge répond à cette question:

Nous croyons que cette question devrait être posée de la manière suivante: le critère «manifestation graduelle du vice» l’emporte-t-il sur le critère «perte» lorsque celle-ci est manifeste à l’intérieur des cinq (5) années mentionnées à l’article 1688 et est la conséquence d’un vice qui s’est manifesté graduellement?

Pour répondre à cette question, nous croyons nécessaire de rechercher l’intention du Législateur. Il nous semble que le Législateur, en édictant l’article 2259 ait voulu protéger le propriétaire profane contre les spécialistes de la construction. En effet, le propriétaire n’a pas les connaissances voulues pour connaître l’existence d’un vice de construction qui menace la stabilité de tout ou partie de l’édifice. Chaque fois que le vice ne se fait pas connaître dans la perte, c’est-à-dire chaque fois où les manifestations visibles ne révèlent pas de perte, le point de départ du calcul du temps est l’expiration des cinq (5) années de la fin des travaux.

Le législateur, selon nous, n’a pas voulu dégager les professionnels de leur responsabilité pour la perte, soit totale ou partielle de l’édifice qui devient manifeste dans les dix (10) ans de la construction par suite d’un vice qui a commencé à se manifester à l’intérieur des cinq (5) années pendant lesquelles ces professionnels étaient garants de leur œuvre alors que ces manifestations, à l’œil profane du propriétaire, ne pouvaient laisser présager la perte.

Nous croyons que telle était l’intention du Législateur et que là repose la raison pour laquelle il semble avoir déplacé le point de départ du calcul du temps utile pour intenter action.

De fait, qu’a fait le Législateur dans le deuxième (2e) paragraphe de l’article 2259? A-t-il fixé un autre point de départ du calcul que celui qu’il a fixé dans la phrase précédente de cet article?

Le Tribunal ne le croit pas. Il lui semble plutôt que dans le deuxième (2e) paragraphe de cet article, le Législateur fixe arbitrairement le jour «supposé», le jour «présumé» où la perte est devenue manifeste dans le cas où la manifestation du vice a été graduelle et que la perte n’est pas encore, aux yeux du profane, connue.

C’est en ce sens, selon nous, que doit être interprété l’article 2259 car, à notre avis, c’est le seul sens qui respecte à la fois la double règle des cinq (5) ans: la première relative à la responsabilité des architectes et entrepreneurs, la seconde relative au temps utile pour

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intenter action, interprétation qui protège en même temps le propriétaire profane et ne préjudicie pas aux professionnels de la construction.

Si le Législateur n’avait pas édicté le deuxième (2e) alinéa de l’article 2259, le propriétaire profane qui constate la perte, totale ou partielle, de son édifice après cinq (5) années pendant lesquelles celui-ci est encore sous la responsabilité des professionnels alors que les premiers signes avant-coureurs du vice ont apparu à l’intérieur de ces cinq (5) ans, aurait pu voir opposer à son action en indemnité, un plaidoyer des professionnels basé sur le fait que la perte a été connue ou est devenue manifeste alors même qu’ils ne répondaient plus de leur œuvre.

Voilà, selon nous, la raison pour laquelle le Législateur dans ce cas, et dans ce cas seulement, suppose que la perte est devenue manifeste, aux yeux du profane, au jour du cinquième (5e) anniversaire de la fin des travaux et que le point de départ du calcul du temps nécessaire à la prescription est «l’expiration des cinq (5) années mentionnées à l’article 1688».

Quant à nous, la dernière phrase de l’article 2259 ne trouve son application que dans le cas où la perte devient manifeste, à l’œil profane, après l’expiration des cinq (5) années qui suivent la fin des travaux et que les premières manifestations du vice ont pris naissance à l’intérieur de celles-ci.

A supposer que la chute d’un pont survienne dans la deuxième (2e) année de la fin des travaux et qu’aucune manifestation ne pouvait laisser présager une telle catastrophe, le propriétaire, dans ce cas, aurait cinq (5) ans du jour de cette chute pour intenter une action en indemnité contre les responsables alors que si l’on modifie, dans l’hypothèse donnée, la façon dont le vice est apparu (de façon graduelle) le propriétaire aurait huit (8) ans de la chute.

Le Tribunal croit que le Législateur n’a pas voulu d’une telle situation qui, selon nous, ne reposerait sur aucune base logique et légale.

Quel est, dans ce dernier cas, l’intérêt du propriétaire à attendre pour produire sa réclamation? Les professionnels de la construction seraient-ils responsables des dommages occasionnés par la ruine en plus de ceux découlant de la perte? Comment le Tribunal pourrait-il distinguer les uns des autres?

La Loi veut que le droit d’action naisse dans la perte et ce, quelle que soit la façon dont celle-ci survient. Seule, selon nous, la connaissance de cette perte est nécessaire au propriétaire qui, dès cette connaissance

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acquise, se doit d’agir avec célérité et promptitude, se doit d’intenter action dans les cinq (5) ans de la perte.

Cette interprétation d’ailleurs rencontre deux (2) autres principes qu’applique le Législateur savoir: lorsqu’un droit d’action est né, les justiciables doivent agir avec célérité et le litige doit être présenté aux Tribunaux dans un délai raisonnable lorsqu’aucun délai n’a été fixé par la loi. — La connaissance est le point de départ du calcul du temps utile à prescrire en matière d’action paulienne, libelle diffamatoire, action rédhibitoire, etc.

Avec tout le respect pour l’opinion contraire, le Tribunal ne peut abonder dans le sens de l’interprétation qui veut qu’à chaque fois où il y a manifestation graduelle du vice, même si la perte de l’édifice est devenue manifeste, le point de départ du temps est au lendemain du jour du cinquième (5e) anniversaire de la fin des travaux. En protégeant le propriétaire le Législateur, selon nous, n’a pas étendu le délai de déchéance non plus qu’il n’a retardé l’exercice d’un droit qui prend naissance au jour de la perte connue.

Les tenants de cette école, devant la difficulté de déterminer le jour où la perte a été manifeste ou est devenue manifeste, le jour où le vice est devenu manifeste aux yeux du propriétaire profane, (la prescription se compte par jour. Article 2240 C.C.) ont cru que le Législateur, dans le deuxième (2e) alinéa de l’article 2259 avait déplacé le point de départ du calcul du délai de déchéance de l’action en indemnité.

Le Tribunal est plutôt d’opinion que le Législateur a laissé aux Juges le lourd fardeau d’apprécier la preuve de la connaissance et de déterminer le jour où la perte a été tenue pour manifeste. C’est d’ailleurs ce que le Tribunal fait chaque fois qu’il a à décider d’une action paulienne, rédhibitoire, libelle diffamatoire, etc.

Les procureurs de la Fabrique ont plaidé que cette interprétation est nouvelle, laissant entendre par là qu’elle entre en conflit avec la jurisprudence et la doctrine. Cette interprétation est nouvelle en effet car, au meilleur de ma connaissance, c’est la première fois qu’elle est formulée, discutée et motivée par qui que ce soit, de façon explicite, juge ou auteur, et adoptée par deux cours de justice. On ne peut donc dire qu’elle soit contraire à la jurisprudence antérieure et à la doctrine qui, de façon générale, ne paraissent avoir clairement entrevu ni la possibilité d’un conflit entre le premier et le second alinéa de l’art. 2259 du Code civil, ni d’une

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solution spécifique à ce conflit comme celle qu’expose le juge Vallée, solution que l’on discuterait pour l’adopter ou l’écarter.

Les procureurs de la Fabrique nous ont référés à des arrêts et jugements tels Laverdière c. Dorval, [1955] B.R. 367, et Construction St-Hilaire Ltée c. Michaud, [1975] C.S. 651.

Mais Laverdière c. Dorval et Construction St-Hilaire Ltée c. Michaud sont des affaires où le vice de construction s’est manifesté graduellement avant l’expiration des cinq ans mentionnés dans l’art. 1688 du Code civil pour se solder par une perte survenue après ces cinq ans si bien que l’application du second alinéa de l’art. 2259 n’a pas donné lieu aux mêmes difficultés que la présente affaire.

Les procureurs de la Fabrique nous ont également cité un passage de l’opinion du juge Brossard dans Donolo Inc. c. St-Michel Realties Inc., [1971] C.A. 536, où après avoir cité le second alinéa de l’art. 2259 du Code civil le juge Brossard, qui a rédigé les motifs unanimes de la Cour d’appel, écrit à la p. 543:

Ces dispositions impliquent, à mon avis, que le droit d’action dont cet article prévoit la prescription commence à exister, en dedans de la période de cinq ans qui suit la fin des travaux, à compter de la date où le vice susceptible d’entraîner la perte totale ou partielle de l’édifice commence à se manifester et ne se prescrit alors que cinq ans après la période de cinq ans qui suit la fin des travaux.

Mais l’arrêt Donolo Inc. c. St-Michel Realties Inc. ne porte pas sur la prescription et, quoique ce passage des motifs du juge Brossard puisse peut-être se lire comme incompatible avec l’interprétation que le premier juge en l’espèce donne à l’art. 2259, il s’agit clairement d’un obiter dictum.

L’arrêt Hill-Clark-Francis Ltd. c. Northland Grocers (Quebec) Ltd. (1940), 69 B.R. 281, mérite d’être étudié de plus près. Le premier juge en cite un passage que toutes les parties invoquent en leur faveur. Il s’agissait dans cette affaire d’un entrepôt terminé en 1928 et affecté par un vice du sol qui s’était manifesté graduellement de 1929 à 1933 alors que l’accès à l’édifice a été condamné. Par un arrêt unanime, la Cour d’appel juge que l’action

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intentée en 1936 n’est pas prescrite. Le juge Bond qui rédige les motifs de la Cour écrit aux pp. 294 et 295:

[TRADUCTION] Cela nous amène au plaidoyer de prescription. Il est vrai que l’art. 2259 C.C. fixe un délai de prescription de cinq ans, mais celui-ci paraît avoir pour point de départ non pas l’achèvement de l’édifice, mais la date de la perte. Suivant cet article, si le vice ne se manifeste que graduellement, la prescription commence à courir à l’expiration des cinq années mentionnées dans l’art. 1688 qui parle des édifices qui périssent en totalité ou en partie dans les cinq ans.

Ce n’est qu’en 1933 que l’ingénieur municipal a condamné l’édifice, bien que le vice motivant cette décision se soit manifesté graduellement. J’estime donc que le point de départ du délai de prescription ne remonte pas plus loin que 1933, année où la gravité de l’affaissement a été établie avec certitude, et l’instance a été engagée en 1936. Il s’ensuit que la perte de l’édifice a eu lieu dans les cinq années de sa construction et on a introduit l’action en 1936, c’est-à-dire dans les cinq années de la perte.

Par conséquent, le plaidoyer de prescription ne peut être retenu.

Le juge Vallée observe que le juge Bond «semble» avoir pris comme point de départ de la prescription la perte, quoique les vices se soient manifestés de façon graduelle. C’est possible mais ce n’est pas clair. Quoi qu’il en soit, dans cette affaire là, l’année 1933 était à la fois celle où la perte a été constatée et celle qui marquait l’expiration du délai mentionné dans l’art. 1688. Il n’importait donc pas que l’on applique le premier ou le second alinéa de l’art. 2259; dans les deux hypothèses, le plaidoyer de prescription devait échouer.

Ce plaidoyer fut d’ailleurs abandonné lorsque l’affaire fut portée devant cette Cour: Hill‑Clarke-Francis, Ltd. c. Northland Groceries (Quebec) Ltd., [1941] R.C.S. 437. Le juge Taschereau, qui n’était pas encore Juge en chef, rédige les motifs unanimes de cette Cour. Il se contente d’observer aux pp. 443 et 446:

Il n’y a pas de doute que l’édifice a péri en partie dans les cinq ans de la fin des travaux. Ceux-ci ont été terminés vers la fin de 1928. Les dommages se sont manifestés en 1929, 1930, 1931, 1932, 1933, etc.

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Un mot de la question de prescription invoquée dans les plaidoiries comme dernier moyen de défense. Avec raison, le procureur de l’appelante y a renoncé lors de l’audience, car, il semble clair qu’au moment où l’action a été instituée, l’article 2259 C.C. ne pouvait trouver son application.

Cet arrêt, tant à cause de l’ambiguïté des motifs que du caractère particulier des circonstances qui ont donné naissance au litige, n’est à mon avis aucunement déterminant.

De tous les auteurs qui ont commenté l’art. 2259 du Code civil, un seul à ma connaissance s’est expressément concentré sur la question spécifique à laquelle il nous faut répondre. Il s’agit de Thérèse Rousseau-Houle. Elle étudie la question de façon détaillée dans Les contrats de construction en droit public et privé, ouvrage paru en 1982, après l’arrêt de la Cour d’appel en l’espèce. Aux pages 394 à 397, en particulier, elle commente le jugement de la Cour supérieure et l’arrêt de la Cour d’appel et fait sienne l’interprétation que le juge Vallée a donnée à l’art. 2259 du Code civil. À son avis, cette interprétation serait conforme à la doctrine québécoise, en général, ainsi qu’à la jurisprudence.

J’ai déjà laissé entendre que la jurisprudence ne me paraît pas concluante à ce sujet. Je pense qu’il en va généralement de même pour la doctrine.

Dans son Droit civil canadien, t. 9, 1916, p. 516, Mignault écrit à propos du second alinéa de l’art. 2259:

Si cependant ce vice est tel qu’il se manifeste graduellement, de sorte qu’il serait difficile de déterminer le temps où il a pu être découvert d’abord, le point de départ de la prescription est l’expiration des dix années [réduites à cinq en 1927] à compter de la fin des travaux.

Dans le Traité de Droit civil du Québec, t. 15, 1958, à la p. 336, W. Rodys s’exprime comme Mignault:

Les points de départ de la prescription sont: le temps de la perte ou l’expiration des cinq années depuis la fin des travaux, selon que la perte a pu être constatée d’un seul coup, ou que les vices de construction ou du sol ne s’étaient manifestés que graduellement, de sorte qu’il serait difficile d’en déterminer le temps.

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Je crois que ces deux auteurs ne prétendent pas énoncer la règle mais plutôt la raison qui la motive dans la majorité des cas quoique la règle s’applique dans tous les cas qu’elle prévoit.

Dans The Joint and Several Responsibility of Architects, Engineers, and Builders, 1955, W.S. Johnson commente l’art. 2259 du Code civil aux pp. 190 et 191:

[TRADUCTION] Deux possibilités se présentent:

1. La perte a lieu dans les cinq ans de l’achèvement des travaux, la livraison et l’acceptation en constituant la preuve. Dans cette hypothèse, l’action doit être intentée dans les cinq ans de la perte. À supposer que la perte survienne à la fin de la quatrième année, par exemple, c’est à partir de ce moment-là que le délai commence à courir.

2. Il peut ne pas y avoir de perte véritable dans les cinq ans, mais des indices d’un vice qui risque d’aboutir à une perte peuvent se manifester; ces indices doivent être surveillés, car le vice, si vice il y a, ne se manifeste que graduellement. Ainsi, les lézardes qui peuvent apparaître dans une jetée de pierre sont peut-être attribuables au commencement d’un affaissement plus ou moins grave.

Dans ce cas, l’action qui pourra en découler se prescrit à compter de la fin du délai de cinq ans fixé par l’article 1688, ce qui constitue la durée de la garantie. Alors, si on peut prouver qu’un vice a commencé à se manifester dans les cinq ans de l’achèvement des travaux, ce vice doit avoir fini par causer une perte véritable dans les cinq ans de l’expiration de la garantie de cinq ans prévue à l’article 1688, et l’action doit être engagée dans ce même délai de cinq ans. Répétons donc qu’il y a une prescription totale de dix ans à partir de l’achèvement des travaux.

(C’est moi qui souligne.)

L’interprétation proposée par cet auteur est, dans sa formulation, en harmonie avec celle qui est adoptée par le juge Vallée, quoique l’auteur ne s’en explique pas autrement.

D’autre part, dans «The Responsibility of the Architect, Engineer and Builder», (1963) 5 C. de D. 12, G. Challies, qui fut Juge en chef adjoint de la Cour supérieure, s’exprime comme suit à la p. 14:

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[TRADUCTION] Si l’édifice commence à périr dans les cinq ans (et il ne faut pas entendre par là que la perte doit survenir en totalité au cours de cette période), les délais de prescription applicables à l’action varient. Si le dommage arrive tout d’un coup dans les cinq ans, l’action doit être entamée dans les cinq ans de la perte. Toutefois, si la perte ne se manifeste que graduellement, l’instance peut être introduite à n’importe quel moment dans les dix ans de la livraison.

Quant au professeur John W. Durnford, dans un article intitulé «The liability of the builder, architect and engineer for perishing and other defects in construction», (1967) 2 R.J.T. 161, il écrit à la p. 175:

[TRADUCTION] Quoique l’édifice doive avoir péri dans les cinq ans de sa livraison (article 1688) pour que l’architecte et l’entrepreneur soient responsables, il n’est pas nécessaire que l’action soit intentée dans le même délai. L’article 2259 prévoit une prescription tout à fait distincte grâce à laquelle l’action doit être engagée dans les cinq ans de la perte. Il dispose en outre que, si le vice ne se manifeste que graduellement, la prescription commence à courir à l’expiration du délai de cinq ans établi par l’article 1688, de sorte qu’en de pareilles circonstances le délai total est de dix ans. Il est à noter que, pour peu que le vice se manifeste dans le délai de cinq ans prévu à l’article 1688, point n’est besoin que l’édifice périsse dans ce même délai.

Le professeur Durnford ajoute cependant à la p. 176:

[TRADUCTION] Bien que l’entrepreneur et l’architecte soient responsables si l’édifice périt dans les cinq ans, cela ne veut pas dire que, lorsqu’il est évident qu’un vice entraînera vraisemblablement la perte s’il n’est pas réparé, le propriétaire peut se contenter de regarder le vice s’aggraver et de ne rien y faire jusqu’à ce que l’édifice s’écroule. En effet, il pourrait alors se voir débouter parce que l’édifice a péri par sa faute.

(Il importe d’observer que, dans ce dernier cas, le rejet de l’action ne serait pas causé par la prescription mais par l’absence de lien de causalité. La négligence du propriétaire à minimiser ses dommages peut également entraîner la réduction de ceux-ci. C’est ce qui doit se produire en l’espèce, comme nous le verrons plus bas.)

Enfin, le professeur Pierre Martineau enseigne dans son ouvrage La prescription, 1977, aux pp. 278 et 279:

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Aux termes de l’article 2259 C.C., l’action contre l’architecte et l’entrepreneur se prescrit par cinq ans à compter de la perte de l’édifice, laquelle doit elle-même survenir dans les cinq ans de la fin des travaux.

Si la destruction s’opère graduellement et qu’elle a commencé à se faire dans les cinq ans de la fin des travaux sans toutefois être complétée à la fin de cette période, le point de départ de la prescription est l’expiration de cette période de cinq ans consécutive à la fin des travaux. L’architecte et l’entrepreneur peuvent donc être poursuivis en responsabilité dans un délai maximum de dix ans depuis la fin des travaux.

(C’est moi qui souligne.)

Comme celle de W.S. Johnson, cette interprétation paraît rejoindre, dans sa concision, celle du juge Vallée, quoique l’auteur ne s’en explique pas plus que W.S. Johnson.

L’opinion de ces auteurs est d’un poids considérable mais comme, sur la question qui nous intéresse, elle est soit ambiguë, soit non motivée, je pense, soit dit avec égard, qu’elle n’est pas plus concluante que la jurisprudence.

Les articles 1688 et 2259 du Code civil ont été plusieurs fois modifiés depuis 1866.

Voici ce qu’ils prescrivaient en 1866:

1688. Si l’édifice périt en tout ou en partie dans les dix ans, par le vice de la construction ou même par le vice du sol, l’architecte qui surveille l’ouvrage et l’entrepreneur sont responsables de la perte conjointement et solidairement.

2259. Après dix ans, les architectes et entrepreneurs sont déchargés de la garantie des ouvrages qu’ils ont faits ou dirigés.

Dans Archambault c. Curé et marguilliers de la Paroisse de St-Charles de Lachenaie (1902), 12 B.R. 349, la Cour d’appel décide, — je cite le sommaire:

La prescription de l’action contre l’entrepreneur ou l’architecte, à raison de la perte totale ou partielle, dans les dix ans de l’édifice construit par eux, a pour point de départ la manifestation, dans les dix ans, du vice de construction ou de celui du sol, et cette action dure pendant trente ans à compter de la manifestation de tel vice.

En 1907, l’article 2259 est remplacé par le suivant:

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2259. L’action en indemnité en vertu de l’article 1688 doit être introduite dans les dix ans de la perte.

Si cependant le vice en est un qui se manifeste graduellement, la prescription commence à courir à l’expiration des dix années mentionnées dans l’article 1688.

L.Q. 1907, chap. 55, art. 1.

Enfin, en 1927, les délais de dix ans des art. 1688 et 2259 furent raccourcis à cinq ans, ces deux articles prenant alors leur forme actuelle: 1927 (Qué.), chap. 68, art. 1 et 2.

Je ne crois pas que cette histoire législative jette grand lumière sur la question qu’il nous faut donc trancher sans son aide, comme sans l’aide de la jurisprudence et de la doctrine.

L’interprétation que le juge Vallée donne à l’art. 2259 du Code civil est à première vue séduisante pour l’esprit: elle se fonde, d’une part, sur les principes généraux de la prescription selon lesquels le point de départ de la prescription est le moment du préjudice ou celui de la connaissance qu’en acquiert la victime; elle permet, d’autre part, d’éviter des anomalies qu’une opinion contraire pourrait produire dans des cas particuliers, comme dans l’exemple donné par le premier juge, d’un pont qui s’écroulerait deux ans après sa construction mais après que le vice de construction entraînant cette perte se serait manifesté graduellement.

Cette interprétation se heurte néanmoins à des obstacles insurmontables.

Le premier obstacle, c’est le texte même de l’art. 2259 du Code civil, dont les termes sont clairs et ne comportent aucune ambiguïté. C’est une erreur d’avoir recours à l’interprétation pour s’écarter de sa lettre:

…quand une loi est claire, qu’un texte est précis, qu’un contrat (ici, c’est un contrat judiciaire) ne prête à aucune équivoque, il ne faut pas en éluder la lettre sous prétexte d’en pénétrer l’esprit.

(Sir François Lemieux, Juge en chef dans Lemarier c. Corporation de Sainte-Angèle (1920), 26 R. de J. 317, à la p. 328.)

Le premier juge distingue le cas où le vice qui se manifeste graduellement se solde par une perte qui a lieu en deçà des cinq ans de la réception ou de la

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fin des travaux, de celui où ce vice se solde par une perte qui se produit après l’expiration des cinq années de la réception ou de la fin des travaux. C’est là une distinction que l’art. 2259 ne fait pas, et il n’appartient pas aux tribunaux de distinguer là ou la loi ne distingue pas.

Au surplus, «un tribunal ne peut, dans sa tâche d’interprétation, ajouter à la loi des termes qui n’y sont pas implicites»: le professeur Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 1982, à la p. 247. Par sa distinction et son interprétation, le premier juge ajoute, après le mot «graduellement» du second alinéa de l’art. 2259, des termes comme «sans toutefois que la perte soit devenue manifeste avant l’expiration des cinq années mentionnées à l’article 1688». À mon avis, il ne s’agit pas là de termes implicites.

Le premier juge fait ainsi dépendre l’application du second alinéa de l’art. 2259 de deux conditions, la manifestation graduelle du vice d’une part et, d’autre part, la survenance de la perte après l’expiration des cinq années de la réception ou de la fin des travaux. Or le second alinéa de cet article ne prescrit qu’une condition à son application: le vice doit en être un qui se manifeste graduellement.

En adoptant l’article 2259 sous sa forme actuelle, le législateur a explicitement et clairement affirmé sa volonté à l’égard de tous les vices qui se manifestent graduellement, sans égard au jour où la perte devient certaine: dans tous ces cas, la prescription commence à courir à l’expiration des cinq années mentionnées dans l’art. 1688.

Si le premier juge a eu recours à l’interprétation pour s’écarter de la lettre de la disposition, c’est pour éviter une anomalie qui peut effectivement se produire dans des cas particuliers. Mais il faut se rappeler que la disposition vise la majorité des cas. Or l’interprétation adoptée par le premier juge risque de produire d’autres inconvénients graves que justement je pense le législateur a voulu éviter et elle va à l’encontre des buts qu’il poursuit. C’est là l’autre obstacle majeur à l’interprétation proposée par le premier juge.

Comme le premier juge le reconnaît, l’interprétation qu’il adopte imposerait aux tribunaux «le lourd fardeau» de déterminer avec précision, et

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dans certains cas à un jour près, puisque la prescription se compte par jour, le moment où un vice qui a commencé à se manifester graduellement s’est soldé par une perte devenue évidente ou qui aurait dû paraître évidente au propriétaire.

Si le fardeau est lourd pour le tribunal, qui est le plus souvent assisté d’experts appelés par toutes les parties ou désignés d’office et qui a l’avantage unique de prendre connaissance, des mois et même des années après qu’elles se sont produites, des circonstances qui ont donné naissance au litige et de leur évolution, ce fardeau est, dans la majorité des cas, insupportable pour le propriétaire qui ne connaît encore ni le déroulement ni la conclusion des événements. Ce propriétaire est un profane. Il a engagé des experts ou professionnels de la construction auxquels il fait confiance. Constatant des défauts de construction qui vont en s’aggravant, il ignore souvent durant une période de temps prolongée s’il s’agit de simples malfaçons ou de vices susceptibles de produire une perte partielle ou complète. S’il est prudent et si le premier juge a raison, il devrait retirer sa confiance à ses experts ou professionnels de la construction et les poursuivre plus tôt qu’il ne le ferait autrement, de crainte qu’un tribunal ne vienne déclarer à posteriori qu’une perte, même partielle, aurait dû devenir évidente pour lui à une date antérieure et que le délai de prescription est maintenant écoulé.

En d’autres termes, l’interprétation retenue par le premier juge habilite le tribunal qui sera plus tard saisi du litige à tirer des conclusions dont l’effet pratique, considéré du point de vue subjectif du propriétaire qui ne connaît pas l’avenir, risque de réduire rétroactivement le délai de prescription qui lui est accordé par la loi. Ce risque incitera le propriétaire à intenter des procédures bien avant l’expiration du délai auquel il a droit, et peut-être des procédures prématurées. Cette interprétation établit aussi une règle d’application incertaine, de nature à encourager les litiges et à rendre leur solution difficile.

Il me paraît que ce sont là des conséquences que le législateur a justement voulu éviter en fixant de façon aussi précise que possible le point de départ de la prescription pour tous les cas où le vice de construction en est un qui se manifeste graduellement.

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Au surplus et surtout, l’interprétation adoptée par le premier juge doit à mon sens être écartée au profit du sens littéral car, dans l’ensemble des cas, elle défavorise le propriétaire profane qu’à cause de son manque d’expertise le second alinéa de l’art. 2259 a précisément pour but de protéger.

Si le propriétaire tarde à prendre action mais qu’il la prend néanmoins en deçà des délais de prescription prévus par la loi, sa négligence ne pourra évidemment pas avoir pour conséquence d’imposer à l’architecte, à l’ingénieur et à l’entrepreneur la responsabilité d’une ruine ou perte totale plutôt que d’une perte partielle: sa négligence sera sanctionnée par une réduction du quantum des dommages ou peut-être même en certains cas, comme l’écrit le professeur Durnford, par le rejet de son action, faute de lien de causalité entre la perte et les actes de l’architecte, de l’ingénieur et de l’entrepreneur. La mesure des dommages que le propriétaire a pu ainsi négliger de minimiser peut parfois être difficile à établir mais ce n’est pas une tâche impossible. Comme nous le verrons plus bas, la Cour d’appel a effectivement réduit pour ce motif, les dommages subis par la Fabrique.

Il me paraît utile avant de conclure ce chapitre, de référer à l’affaire Hôpital Laval Ltée c. Roberge, [1942] C.S. 166. Dans cette affaire-là, selon les allégations de la déclaration qu’il faut tenir pour avérées car c’est une inscription en droit, il s’agit d’un édifice reçu par le propriétaire le 10 novembre 1931. Au cours de l’année 1933, des vices de construction commencent à se manifester de façon graduelle. L’entrepreneur effectue alors certaines réparations qui s’avèrent cependant insuffisantes. L’édifice continue de se détériorer de 1936 à 1939, obligeant le propriétaire à effectuer des travaux de réparation en 1936, 1937, 1938 et 1939. C’est pour réclamer le coût de ces travaux que le propriétaire poursuit la caution de l’entrepreneur. Son action est signifiée le 17 février 1941. Le défendeur plaide prescription et plus particulièrement, prescription d’une partie de l’action qui réclame le remboursement de dépenses effectuées par le propriétaire en 1933. Ce plaidoyer est rejeté par le juge Prévost qui, après avoir cité l’art. 2259 et s’être référé à l’art. 1688 écrit (à la p. 176):

[Page 45]

Il est admis que dans le présent cas, les travaux ont été reçus le 10 novembre 1931.

Si, comme la demanderesse l’allégue dans son action, il y a eu perte partielle des ouvrages à raison de vices de construction qui se sont manifestés graduellement, il résulte de la combinaison des deux articles 1688 et 2259, que son action en indemnité pouvait être instituée utilement dans les dix ans de la livraison de l’édifice. (Mignault, Droit civil (1916) t. 9, p. 516.)

L’action a été signifiée au défendeur le 17 janvier 1941, alors que le délai de la prescription ne devait expirer que le 10 novembre 1941. Elle n’est donc pas prescrite.

Le défendeur demande de rejeter de l’action le premier item de $1520.45, coût des réparations effectuées en 1933, lorsque des vices de construction se sont manifestés pour la première fois. Il soutient que ce chef de réclamation est devenu prescrit cinq ans après, soit en 1938.

Si la perte s’était arrêtée là, il aurait raison; mais au mois de mai 1936 (par conséquent dans le délai de l’art. 1688), les mêmes vices de construction se sont manifestés par de nouvelles pertes, qui ont nécessité des réparations additionnelles en 1936 et 1937, augmentant ainsi les dommages de la demanderesse. Celle-ci ne pouvait exercer plusieurs actions en indemnité. La loi ne lui en donne qu’une, mais elle prévoit que si les vices de construction se manifestent graduellement, le délai de prescription ne se computera pas à compter de la perte, mais à compter de l’expiration du délai de l’art. 1688.

Ce premier item n’est donc pas prescrit.

On constate que, contrairement au juge Vallée en la présente affaire, le juge Prévost donne priorité au critère «manifestation graduelle» de façon à appliquer le second alinéa de l’art. 2259 qui permet au demandeur de poursuivre, dans les dix ans, pour le dommage entier subi à la suite de vices de construction.

On peut présumer que la perte subie en 1933, quoique encore partielle, était devenue manifeste: le juge Prévost la qualifie de perte et l’entrepreneur avait obéi à une mise en demeure de la réparer.

Selon l’interprétation du premier juge dans la présente affaire, la réclamation des dommages subis en 1933 dans Hôpital Laval Ltée c. Roberge aurait semble-t-il été prescrite comme le défendeur le soutenait. C’est à juste titre je pense que le juge

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Prévost a rejeté ce moyen, que la demanderesse ait pu on non exercer plusieurs actions en indemnité.

Les circonstances de l’affaire Hôpital Laval Ltée c. Roberge sont loin d’être inusitées. Il est fort difficile de leur appliquer l’art. 2259 s’il a le sens que lui donne le premier juge dans la présente affaire et elles illustrent les complications et l’incertitude que son interprétation peut entraîner.

VI — La responsabilité des Ingénieurs

Les Ingénieurs soulèvent deux moyens qui leur sont particuliers.

D’une part, il n’existerait aucun contrat entre la Fabrique et eux: ils auraient tout simplement reçu de l’Architecte le mandat de préparer les plans de charpente lesquels, selon l’arrêt majoritaire de la Cour d’appel, ne seraient aucunement fautifs.

D’autre part, la preuve ne révélerait pas que les Ingénieurs avaient la surveillance des travaux. Celle-ci incombait à l’Architecte. C’est donc l’article 1689 du Code civil et non pas l’art. 1688 qui s’applique dans un tel cas aux Ingénieurs et ils ne sont responsables que des défauts ou erreurs du plan qu’ils ont fourni. (La profession d’architecte et celle d’ingénieur ne faisaient qu’une autrefois et, quoique l’ingénieur ne soit pas mentionné dans les art. 1688 et 1689, les deux professions sont maintenant assimilées l’une à l’autre pour les fins de ces dispositions: W.S. Johnson, précité, pp. 11 à 28; G. Challies, précité, p. 13; Durnford, précité, p. 170; Canadian Electric Light Co. v. Pringle (1920), 29 B.R. 26.)

La majorité en Cour d’appel juge qu’il y avait un contrat direct entre les Ingénieurs et la Fabrique. Le juge Monet est d’opinion qu’il n’y en avait pas. Je n’ai pas à en décider: la responsabilité imposée par les art. 1688 et 1689 à l’architecte et à l’ingénieur est une responsabilité établie par la loi et qui ne dépend aucunement d’un contrat. Pour que la responsabilité de l’ingénieur soit engagée, il faut mais il suffit qu’il ait effectivement agi comme ingénieur, abstraction faite de tout contrat, et il ne peut s’en dégager vis-à-vis le propriétaire ne prouvant qu’il n’a commis aucune faute ou que la perte est entièrement ou partiellement causée

[Page 47]

par la faute de l’architecte ou de l’entrepreneur. Or en l’espèce, les Ingénieurs ne contestent pas qu’ils aient agi en cette qualité relativement à l’église Saint-Philippe d’Arvida.

Quant à la question de savoir si les Ingénieurs ont participé à la surveillance des travaux, elle ne fait l’objet d’aucun commentaire de la part de la Cour d’appel ou de la Cour supérieure qui n’avaient pas à en décider. Mais la preuve versée au dossier démontre que les Ingénieurs ont effectivement participé à la surveillance des travaux sous «la supervision générale de l’architecte».

Le dossier ne contient le texte d’aucun contrat écrit entre la Fabrique et les Ingénieurs. Mais il contient le texte du contrat conclu entre l’Entrepreneur et la Fabrique. Or ce contrat suivant plans et devis comporte des devis élaborés relatifs aux Ingénieurs et à leurs attributions.

Parmi les définitions des compléments aux conditions générales, on trouve celle de l’«ingénieur en charpente»: «Dauphinais & Bélanger, 582, boulevard Lamarche, Chicoutimi». On trouve également les dispositions suivantes:

Béton et acier

a) Excavations, fondations, tout le béton, armé ou non, et l’acier de structure.

Compétence de l’ingénieur.

b) Tout le travail pouvant affecter les fondations ou la charpente.

COFFRAGES:… Faire à chaque coulée, et aussi souvent qu’exigé:

Essais et prélèvements.

a) Un essai d’affaissement (slump test), avec cône d’essais selon instructions.

b) 4 prélèvements d’échantillons pour essais de compression. Cylindres de 4” de diamètre par 12” de hauteur. Empaqueter dans des boîtes de bran de scie numide et expédier à un laboratoire approuvé, qui enverra les résultats à l’ingénieur sans délai.

On n’autorisera la première coulée qu’après vérification du matériel d’essais.

Après l’érection de la charpente, faire des essais de chargements si l’ingénieur l’exige.

[Page 48]

a) …

COFFRAGES.

b) …

c) …

d) Avant le ferrailiage, faire inspecter. Éviter de prévenir l’ingénieur à la dernière minute. Le tenir au courant, pour qu’il prévoie la date de l’inspection.

Reprendre, redresser, réparer, à sa satisfaction.

e) …

a) …

ACIER.

b) Commander l’acier de structure d’une compagnie spécialisée et approuvée, qui l’érigera sur place elle-même. Préparer sous direction de l’ingénieur les bases de béton et niveau de départ des colonnes et poutrelles d’acier.

Pour structure et armature, employer des poseurs qualifiés sous la direction d’un expert approuvé. Au cours des travaux, si l’ingénieur découvre incompétence ou négligence il changera l’équipe et fera reprendre l’ouvrage.

c) …

d) …

e) …

f) Dans toute section de l’ouvrage, compléter la pose et la faire approuver et inspecter avant le bétonnage. Avertir l’ingénieur 24 heures à l’avance, lui donner tout le temps et la coopération nécessaires.

g) …

a) Considérer l’ingénieur comme un conseiller nécessaire et le consulter au besoin. Sous supervision générale de l’architecte, tous les travaux de béton relèvent de son autorité et de sa compétence. Lui soumettre tous les détails de l’ouvrage, se conformer à ses injonctions sur la conduite des travaux, la compétence de la main-d’œuvre, la qualité des matériaux et tout ce qui s’y rapporte.

BETONNAGE.

Garder les coffrages en place tant que le béton n’a pas pris sa force. Pour enlever chandelles ou supports, attendre l’autorisation, sans quoi l’entrepreneur restera seul responsable des dommages, même si d’autres facteurs entrent en cause.

DECOFFRAGE.

S’il était nécessaire d’arrêter le bétonnage avant la terminaison d’un plancher, d’un mur, etc… consulter pour savoir où et comment faire le joint.

LITS DE REPRISE.

[Page 49]

Ces devis, je l’ai déjà indiqué, font partie du contrat intervenu entre l’Entrepreneur et la Fabrique et rien dans la preuve ne permet de croire que les Ingénieurs ou l’Architecte se soient trouvés soumis à des devis différents, pour l’essentiel. Ces devis donnent clairement à entendre que les Ingénieurs ont effectivement participé à la surveillance des travaux «sous supervision générale de l’architecte».

Ces inférences sont confirmées par le procès-verbal d’une assemblée du bureau ordinaire de la Fabrique de la Paroisse de Saint-Philippe d’Arvida, en date du 10 septembre 1963, après le début des travaux, qui nomme M. Roland Tremblay surveillant des travaux pour le compte de la Fabrique:

L’Assemblée est informée par M. Roland Huot qu’à titre de marguillier en charge, il a reçu des observations sur la nécessité pour la Fabrique d’avoir un surveillant des travaux.

M. le marguillier en charge rappelle les termes d’une consultation prise, le 9 sept. avant-midi, par le Bureau ordinaire auprès de M. Guy Bélanger, ingénieur-conseil, et de M. Léonce Desgagné, architecte, au sujet de leur attitude vis-à-vis d’un surveillant des travaux pour le compte de la Fabrique. La position de M. Guy Bélanger est la suivante: il ne veut pas en aucune manière être responsable envers un tel surveillant, mais continuer de l’être uniquement envers l’architecte. Celle de M. Léonce Desgagné, qui avoue reconnaître l’utilité d’un tel surveillant, est la suivante: 1 — Qu’un tel surveillant ait autorité pour prendre, avec la rapidité voulue, les décisions urgentes sur les problèmes mineurs qui se présentent au cours d’une construction; 2 — Qu’un tel surveillant ne soit pas habilité à faire aucune observation ni donner aucun ordre aux constructeurs eux‑mêmes; 3 — Qu’un tel surveillant n’intervienne qu’auprès de l’architecte, dans le but évident qu’il ne se substitue pas à l’architecte.

M. Roland Tremblay est nommé surveillant des travaux et il est résolu:

Que, dans l’exercice de sa charge, M. Roland Tremblay tienne compte, autant que le comporteront les intérêts de la Fabrique des désirs exprimés par M. Léonce Desgagné et M. Guy Bélanger, tels que relatés dans le présent procès-verbal.

[Page 50]

Comme le reste de la preuve, ce procès-verbal montre que les Ingénieurs n’ont pas seulement fourni des plans de charpente mais qu’ils ont été présents sur le chantier et qu’ils ont participé à la surveillance des travaux «sous supervision générale de l’architecte».

J’en conclus que c’est l’art. 1688 du Code civil qui s’applique aux Ingénieurs et non pas l’art. 1689.

VII — Le cas particulier du dôme

L’action intentée par la Fabrique a pour objet deux pertes entièrement distinctes et indépendantes l’une de l’autre, celle des murs de l’église, causée par l’absence de joints de dilatation, et celle du dôme, causée par le choix de matériaux inadéquats pour la calotte du dôme.

L’Entrepreneur et les Ingénieurs plaident que la perte du dôme n’est pas reliée à celle des murs et que, n’ayant été aucunement impliqués dans les plans, la fabrication et l’installation du dôme, ils ne doivent pas encourir de responsabilité pour sa perte.

Je pense qu’il faut leur donner raison sur ce point.

Le dôme géodésique repose sur un anneau supporté par trois colonnes d’acier et, remarque le premier juge, cette structure de base, pour laquelle l’Entrepreneur et les Ingénieurs sont responsables,

et la structure du dôme ne sont pas deux (2) systèmes structuraux conjugués,… il s’agit, en fait, de deux (2) choses indépendantes.

La perte du dôme n’est en aucune façon reliée à la structure de base qui le supporte non plus qu’à la perte des murs, pas plus que la perte des murs n’est reliée à la perte du dôme.

Au surplus, comme le constate le premier juge:

Un contrat distinct est intervenu entre le propriétaire et la compagnie Long-Sault Woodcraft Inc. concernant la fabrication et l’installation du dôme géodésique.

(C’est apparemment parce que la compagnie Long-Sault Woodcraft Inc. était en faillite qu’elle n’a pas été poursuivie par la Fabrique.)

[Page 51]

Le contrat conclu entre l’Entrepreneur et la Fabrique comporte en effet l’exclusion suivante:

Travaux exclus

La fourniture et la pose complète du dôme, y compris les échaufaudages, constituent un contrat séparé qui échappe à la responsabilité de l’entrepreneur et incombe uniquement au fabricant.

L’accommoder cependant pour la remise de ses matériaux et l’exécution de son travail. S’entendre avec lui pour la concordance des boulons d’ancrage.

Non seulement l’Entrepreneur n’assume-t-il pas de responsabilité contractuelle pour la fourniture et la pose complète du dôme mais, en conformité de son contrat, il s’est effectivement abstenu d’agir comme entrepreneur relativement au dôme. C’est ce qui ressort du témoignage du curé de la paroisse à l’époque des travaux, selon lequel l’Entrepreneur n’a rien eu à voir avec l’exécution du dôme, son entreprise se limitant à construire la base qui devait le recevoir. Par ce témoignage la Fabrique admet que l’entrepreneur de cette partie de la construction n’est pas Les Immeubles Murdock Limitée. L’Entrepreneur ne devrait donc pas dans ce cas encourir de responsabilité en vertu de l’art. 1688 du Code civil. Je pense qu’il faut alors appliquer la règle formulée par G. Challies, précité, à la p. 16:

[TRADUCTION] Lorsqu’il y a plusieurs entrepreneurs indépendants, chacun répond de ses propres travaux.

Il en va de même pour les Ingénieurs à propos desquels le curé de la paroisse admet que, pas plus que l’Entrepreneur, ils n’ont eu quoi que ce soit à voir avec le dôme sauf quant aux structures qui le supportent; selon cette admission, Dauphinais et Bélanger ne sont pas les ingénieurs de cette partie de l’édifice.

(Comme il est dit plus haut, il en va autrement pour l’Architecte qui lui, a agi en sa qualité d’architecte tant pour le dôme que pour le reste de l’édifice.)

Il importe de noter, avant de quitter ce sujet, qu’il n’y a lieu d’appliquer ici, ni quant à l’Entrepreneur ni quant aux Ingénieurs, la règle adoptée dans Wardle v. Bethune (1872), 16 L.C.J. 85. Selon cette règle, l’architecte, l’ingénieur et l’entrepreneur sont responsables en vertu de l’art.

[Page 52]

1688 lorsqu’ils ont accepté, complété ou utilisé, dans le cadre de leur propre ouvrage, l’ouvrage distinct mais vicié d’un autre professionnel de la construction, de telle sorte qu’il y a perte des deux ouvrages ou perte de l’ouvrage considéré comme un ensemble intégré. La règle a été appliquée lorsque s’enfonce un clocher construit par un entrepreneur sur les fondations inadéquates construites par un autre entrepreneur (Wardle v. Bethuné) ou lorsque s’écroule une cheminée construite sur une base trop faible: McMeekin c. Daoust, [1947] C.S. 216. (Voir également Chevalier c. Thompkins (1915), 48 C.S. 53).

Nous aurions été en présence d’un cas semblable à ceux-là, et différent du cas présent, si par exemple c’était la charpente sur laquelle le dôme repose qui s’était écroulée parce qu’elle était mal construite ou parce que le dôme était trop lourd et que la Fabrique avait poursuivi l’entrepreneur Long-Sault Woodcraft Inc. de même que les Ingénieurs et l’Architecte. Dans de telles circonstances on pourrait conclure que, selon l’art. 1688, l’entrepreneur Long-Sault Woodcraft Inc. est responsable avec les Ingénieurs et l’Architecte pour avoir utilisé comme base structurelle de son propre ouvrage cette charpente déficiente.

Les circonstances actuelles sont fort différentes: aucune structure de l’édifice autre que le dôme lui-même n’est mise en péril ou perdue à cause du vice de fabrication qui affecte la calotte. Et personne ne s’est servi de la calotte défectueuse pour la compléter ou pour l’utiliser dans le cadre d’un autre ouvrage. Le vice de fabrication de la calotte et la perte du dôme qui en découle n’ont aucun lien avec la charpente ou avec quelqu’autre partie de l’édifice.

Il m’apparaît donc que, pour la perte du dôme, seule la responsabilité de l’Architecte est engagée en vertu de l’art. 1688 du Code civil.

VIII — Le quantum des dommages

Dans leur mémoire, les procureurs de la Fabrique continuent de réclamer 530 000 $ mais ils ont déclaré à l’audience être satisfaits des dommages-intérêts accordés par la Cour d’appel, soit 313 774,99 $ ce qui, selon un expert, représente le coût de reconstruction de l’église sur les mêmes

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fondations mais avec des murs verticaux et un toit plat, plus le coût des nouveaux plans et devis, des honoraires de surveillance et des expertises.

D’ailleurs, le sujet a été fort peu discuté et on n’a fourni aucun argument sérieux pour lequel cette Cour devrait intervenir et modifier ce quantum.

L’Entrepreneur et les Ingénieurs ont plaidé que la Fabrique a été négligente et a tardé indûment à corriger la situation. Mais c’est là une circonstance dont la Cour d’appel tient compte puisque le juge Bélanger écrit:

…contrairement aux prétentions de l’appelante [la Fabrique] il n’y a pas lieu d’ajouter à l’estimation de certains dommages l’augmentation des prix survenue avant jugement, puisque l’appelante aurait pu agir avec plus de diligence.

Cette réduction du quantum réclamé par la Fabrique représentait une somme déjà considérable au moment de l’enquête, selon les experts, et elle n’est sûrement pas moindre aujourd’hui.

Le montant de 313 774,99$ représente la somme complète des dommages auxquels la Cour d’appel a condamné l’Architecte et auxquels il doit être condamné. Il importe d’en déduire un montant adéquat pour les Ingénieurs et l’Entrepreneur qui n’encourent aucune responsabilité pour la perte du dôme.

Le coût initial du dôme était de 61 000 $ soit un peu moins de un cinquième du coût initial total de l’église qui était de 327 805 $, y compris le coût du dôme. L’un des procureurs a suggéré de réduire la condamnation des Ingénieurs et de l’Entrepreneur dans la même proportion. Je réduirais en conséquence la condamnation de ceux-ci d’une somme de 58 000 $, soit un peu moins de un cinquième du quantum complet.

L’Architecte, les Ingénieurs et l’Entrepreneur doivent donc être l’objet d’une condamnation conjointe et solidaire de 255 774,99 $, soit 313 774,99 $ moins 58 000 $, et l’Architecte, d’une condamnation additionnelle de 58 000 $.

L’article 469 du Code de procédure civile porte que le jugement qui prononce une condamnation

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solidaire contre les personnes responsables d’un dommage détermine, pour valoir entre elles seulement, la part de chacune dans la condamnation, si la preuve permet de l’établir.

Si la Cour d’appel a raison, l’Architecte devrait porter seul tout le poids de la responsabilité. Cependant, les débiteurs solidaires ne nous ont pas demandé de déterminer, pour valoir entre eux seulement, la part de chacun dans la condamnation; tenter de le faire dans les circonstances serait je pense adjuger ultra petita, sans les représentations des parties.

IX — L’autorisation de l’évêque

En vertu des art. 18b) et 26g) de la Loi des fabriques, 1965 (Qué.), chap. 76, une fabrique ne peut ester en justice qu’avec l’autorisation préalable et spéciale de l’évêque du diocèse.

L’évêque de Chicoutimi avait autorisé la Fabrique à poursuivre l’Architecte et l’Entrepreneur mais cette autorisation ne mentionnait pas les Ingénieurs. Les procureurs de la Fabrique demandèrent à la Cour d’appel la permission de produire une autorisation rétroactive relative à la poursuite des Ingénieurs ce à quoi s’objectèrent les procureurs de ces derniers. La Cour d’appel ne s’est pas prononcée vu le rejet de l’action contre les Ingénieurs mais le juge Bélanger observe:

J’aurais probablement été disposé à accueillir la demande aux termes de l’article 56 C.P….

La question n’a pas été soulevée devant cette Cour mais, si elle l’avait été, je pense comme le juge Bélanger que l’art. 56 du Code de procédure civile y répond. Il prescrit, en son troisième alinéa:

L’irrégularité résultant du défaut de représentation, d’assistance ou d’autorisation n’a d’effet que s’il n’y est pas remédié, ce qui peut être fait rétroactivement en tout état de cause, même en appel.

L’autorisation de l’évêque s’est également fait attendre relativement aux Ingénieurs au stade de la requête en autorisation de pourvoi devant cette Cour et la Fabrique a présenté deux requêtes, l’une contre l’Architecte et l’Entrepreneur et l’autre contre les Ingénieurs. Cette dernière fut accordée à charge par la Fabrique «de payer les dépens

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de la requête en prorogation de délai et de la requête en autorisation d’appeler quelque soit le sort de la cause».

X — Conclusions

Je suis d’opinion qu’il faut tirer les conclusions suivantes:

Le pourvoi de Lauréanne Harvey Desgagné, exécutrice à la succession de feu Léonce Desgagné, est rejeté avec dépens;

Le pourvoi de la Fabrique de la paroisse de Saint-Philippe d’Arvida est accueilli;

L’arrêt de la Cour d’appel et le jugement de la Cour supérieure sont infirmés;

L’action de la Fabrique de la paroisse de Saint-Philippe d’Arvida est maintenue en partie;

Lauréanne Harvey Desgagné, exécutrice à la succession de feu Léonce Desgagné, Les Immeubles Murdock Limitée, Ernest Dauphinais et Guy Bélanger sont conjointement et solidairement condamnés à payer à la Fabrique de la paroisse de Saint-Philippe d’Arvida la somme de 255 774,99 $ avec intérêts depuis l’assignation et les dépens dans toutes les cours;

Lauréanne Harvey Desgagné, exécutrice à la succession de feu Léonce Desgagné, est en outre condamnée à payer à la Fabrique de la paroisse de Saint-Philippe d’Arvida la somme de 58 000$ avec intérêts depuis l’assignation et les dépens dans toutes les cours.

Néanmoins, la Fabrique de la paroisse de Saint-Philippe d’Arvida payera les dépens de la requête en prorogation de délai et en autorisation de pourvoi visant Ernest Dauphinais et Guy Bélanger.

Pourvoi de Lauréanne Harvey Des gagné, exécutrice à la succession de feu Léonce Desgagné, rejeté avec dépens. Pourvoi de la Fabrique de la paroisse Saint-Philippe d’Arvida accueilli.

Procureurs de l’appelante-intimée la Fabrique de la paroisse de Saint-Philippe d’Arvida: Geoffrion, Prud’homme, Montréal.

[Page 56]

Procureurs de l’appelante-intimée Lauréanne Harvey Desgagné, exécutrice a la succession de feu Léonce Desgagné: Lavery, O’Brien, Montréal.

Procureurs de l’intimée Les Immeubles Murdock Limitée: Dufour, Côté et Laperriére, Chicoutimi.

Procureurs des intimés Ernest Dauphinais et Guy Bélanger: Gagnon, de Billy, Cantin et Associés, Québec.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi de l’architecte est rejeté. le pourvoi de la fabrique est accueilli

Analyses

Prescription - Louage d’ouvrage - Responsabilité de l’architecte, des ingénieurs et de l’entrepreneur - Vice de construction - Manifestation graduelle - Point de départ de la prescription - Code civil, art. 1688, 1689, 2259 - Loi des fabriques, 1965 (Qué.), chap. 76 (maintenant L.R.Q. 1977, chap. F-1), art. 18b), 26g) - Code de procédure civile, art. 56.

En septembre 1971, soit sept ans après l’acceptation des travaux par l’architecte, la Fabrique de la paroisse de Saint-Philippe d’Arvida a intenté une action en dommages-intérêts contre l’architecte, les ingénieurs et l’entrepreneur général responsables de la construction de l’église paroissiale. La Fabrique leur reproche la présence de vices de construction qui ont entraîné la perte des murs et du dôme de l’édifice. Les deux pertes sont entièrement distinctes et indépendantes l’une de l’autre. La fabrication et l’installation du dôme ont fait l’objet d’un contrat séparé entre la Fabrique et un deuxième entrepreneur (non poursuivi en l’espèce). Les ingénieurs et l’entrepreneur général n’ont pas participé à cette partie des travaux, leur travail se limitant à construire la base qui supporte le dôme. En première instance, la Cour supérieure, ayant conclu que la perte partielle de l’édifice a eu lieu à l’automne 1964, a appliqué le premier alinéa de l’art. 2259 C.c. et déclaré l’action

[Page 20]

fondée sur l’art. 1688 C.c. prescrite vis-à-vis les défendeurs. La Cour d’appel, quoique d’accord avec la Cour supérieure sur la prescription du recours fondé sur l’art. 1688 C.c., a invoqué le régime de responsabilité contractuelle pour lequel la prescription est de trente ans, et a infirmé majoritairement le jugement de la Cour supérieure pour accueillir le recours de la Fabrique contre l’architecte. La Cour d’appel ne trouve aucune faute dans la conduite des ingénieurs et de l’entrepreneur général. D’où le pourvoi de la Fabrique pour fixer le point de départ de la prescription à l’expiration du délai de cinq années mentionnées dans l’art. 1688 C.c. lorsque la perte totale ou partielle de l’édifice est constatée à l’intérieur des cinq années qui ont suivi l’acceptation des travaux et que cette perte est imputable à un vice qui s’est manifesté de façon graduelle, et le pourvoi de l’architecte pour rétablir le jugement de la Cour supérieure.

Arrêt: Le pourvoi de l’architecte est rejeté. Le pourvoi de la Fabrique est accueilli.

Le recours de la Fabrique fondé sur l’art. 1688 C.c. n’est pas prescrit. Dans tous les cas où un vice de construction se manifeste graduellement, c’est le second alinéa de l’art. 2259 C.c. qui doit s’appliquer. La prescription de cinq ans prévue à cet article ne commence donc à courir qu’à l’expiration du délai de cinq années mentionnées à l’art. 1688 C.c. En l’espèce, l’architecte n’ayant accepté les travaux qu’en août 1964, soit quelques mois après la fin des travaux, la Fabrique avait donc jusqu’en 1974 pour prendre action. Par conséquent, comme le prévoit l’art. 1688, l’architecte, les ingénieurs et l’entrepreneur doivent être trouvés conjointement et solidairement responsables vis-à-vis la Fabrique sans que celle-ci ait à prouver la faute de l’un ou l’autre d’entre eux. Toutefois, seul l’architecte qui a agi en sa qualité d’architecte pour l’ensemble de l’édifice doit être tenu responsable de la perte du dôme. La responsabilité des ingénieurs et de l’entrepreneur doit en effet être limitée aux travaux auxquels ils ont participé.


Parties
Demandeurs : Desgagné
Défendeurs : Fabrique de la paroisse St-Philippe d’Arvida

Références :

Jurisprudence: Hôpital Laval Liée c. Roberge, [1942] C.S. 166

Wardle v. Bethune (1872), 16 L.C.J., 85

McMeekin c. Daoust, [1947] C.S. 216

Chevalier c. Thompkins (1915), 48 C.S. 53

Gingras c. Cité de Québec, [1948] B.R. 171

Gauthier c. Séguin, [1969] B.R. 913

Laverdiére c. Dorval, [1955] B.R. 367

Construction St-Hilaire Ltée c. Michaud, [1975] C.S. 651

Donolo Inc. c. St-Michel Realties Inc., [1971] C.A. 536

Hill-Clark-Francis Ltd. c. Northland Grocers (Quebec) Ltd. (1940), 69 B.R. 281

Hill-Clarke-Francis, Ltd. v. Northland Groceries (Quebec) Ltd., [1941] R.C.S. 437

Archambault c. Curé et marguilliers de la Paroisse de St-Charles de Lachenaie (1902), 12 B.R.
[Page 21]
349
Canadian Electric Light Co. c. Pringle (1920), 29 B.R. 26
Lemarier c. Corporation de Sainte-Angèle (1920), 26 R. de J. 317.

Proposition de citation de la décision: Desgagné c. Fabrique de la paroisse St-Philippe d’Arvida, [1984] 1 R.C.S. 19 (2 février 1984)


Origine de la décision
Date de la décision : 02/02/1984
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1984] 1 R.C.S. 19 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1984-02-02;.1984..1.r.c.s..19 ?
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