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23/06/1983 | CANADA | N°[1983]_1_R.C.S._733

Canada | Northern Telecom c. Travailleurs en communication, [1983] 1 R.C.S. 733 (23 juin 1983)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Northern Telecom c. Travailleurs en communication, [1983] 1 R.C.S. 733

Date : 1983-06-23

Northern Telecom Canada Limitée et l'Union canadienne des travailleurs en communication Appelantes;

et

Le Syndicat des travailleurs en communication du Canada et le procureur général du Canada Intimés;

et

Le Conseil canadien des relations du travail, le procureur général du Québec et le procureur général de l'Ontario Mis en cause.

Nos du greffe: 16682 et 16652. 1982: 8 et 9 juin; 1983: 23 juin.

Présents: Les ju

ges Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE

COUR SUPRÊME DU CANADA

Northern Telecom c. Travailleurs en communication, [1983] 1 R.C.S. 733

Date : 1983-06-23

Northern Telecom Canada Limitée et l'Union canadienne des travailleurs en communication Appelantes;

et

Le Syndicat des travailleurs en communication du Canada et le procureur général du Canada Intimés;

et

Le Conseil canadien des relations du travail, le procureur général du Québec et le procureur général de l'Ontario Mis en cause.

Nos du greffe: 16682 et 16652. 1982: 8 et 9 juin; 1983: 23 juin.

Présents: Les juges Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D'APPEL FÉDÉRALE


Synthèse
Référence neutre : [1983] 1 R.C.S. 733 ?
Date de la décision : 23/06/1983
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit constitutionnel - Relations de travail - Accréditation - Compétence - Les employés du fabricant qui installent du matériel dans un réseau de télécommunications réglementé par le fédéral relèvent-ils de la compétence fédérale ou provinciale? - Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 108 - Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(29), 92(10)a),c), 101.

Droit constitutionnel - Tribunaux - Compétence législative - Compétence de la Cour d'appel fédérale de connaître de la question soumise par le Conseil canadien des relations du travail - Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 28(1), (4).

L'appelante et l'intimé sont deux syndicats qui demandent leur accréditation à la Commission canadienne des relations du travail, en application de la Partie V du Code canadien du travail, à titre d'agent négociateur pour les installateurs de Northern Telecom. La plus grande partie du travail des installateurs consiste à installer de l'équipement hautement perfectionné de télécommunications fabriqué par Northern Telecom, une filiale de Bell Canada, dans le réseau permanent de télécommunications de Bell Canada assujetti à la réglementation fédérale. Pour sa part, Bell Canada achète la majorité de son équipement à Northern Telecom. L'installation exige une grande coordination entre les deux sociétés. La Commission a jugé que les installateurs ne relèvent pas de la compétence fédérale, mais plutôt que

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de rejeter la requête, elle a présenté un renvoi sous forme de question constitutionnelle à la Cour d'appel fédérale en application du par. 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale. Cette dernière a conclu que la Commission canadienne des relations du travail a compétence pour accorder l'accréditation. Il s'agit de déterminer si les installateurs de Northern Telecom relèvent de la compétence fédérale sur les relations de travail ou s'ils relèvent de la compétence provinciale comme l'ensemble des autres employés de Northern Telecom. Il s'agit aussi de décider si la Cour d'appel fédérale avait compétence pour connaître de la question constitutionnelle qui lui était soumise.

Arrêt (les juges Beetz et Chouinard sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.

Les juges Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer: Le paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale est valide. En l'espèce, la Cour fédérale est dans la même position que toute autre cour créée par la loi; elle peut donc se prononcer sur une question constitutionnelle qui surgit à titre de question préliminaire dans le processus de contrôle d'un acte administratif fait en vertu d'une loi du Canada.

Les juges Ritchie, Estey, McIntyre et Lamer: Les relations de travail des installateurs de Telecom relèvent de la compétence fédérale. Les relations d'ensemble entre le travail des installateurs dans l'exploitation de la filiale (Telecom) et dans la marche de l'entreprise principale (Bell), qui est fédérale, sont de première importance en l'espèce et il ne faut pas se préoccuper des petites différences entre les fonctions des installateurs et celles des employés de même type chez Bell. Le travail des installateurs constitue logiquement une étape dans l'expansion ou le rétablissement d'un réseau de télécommunications en état de fonctionnement parce que l'équipement de commutation est complet en lui-même au moment de la livraison, mais le réseau n'est pas complet tant que l'équipement n'est pas installé. Le travail quotidien des installateurs est presque complètement intégré à l'amélioration du système de télécommunications en fonction de son exploitation continue et le travail est surtout fait dans les locaux de Bell. Les rapports sociaux entre Bell et Telecom n'ont pas d'incidence sur l'issue du présent pourvoi. Quoique le fait que les relations de travail s'étendent à cinq provinces n'ait pas d'influence sur l'issue constitutionnelle du pourvoi, le résultat en découle.

Le juge Dickson: Le travail des installateurs de Telecom relève de la compétence du Parlement fédéral. Tout en étant distinct des autres opérations de Telecom, ce travail est fait principalement dans les locaux de Bell Canada et fait partie intégrale du réseau de télécommunications

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de Bell Canada, qui est assujetti à la réglementation fédérale. Les relations de société-mère à filiale qui existent entre Bell Canada et Northern Telecom donnent du poids à l'idée de leur intégration. Il en est de même, du fait que la plus grande partie du travail des installateurs est faite pour Bell Canada et que l'installation de nouvel équipement dans un réseau en exploitation exige une grande coordination entre les sociétés. On ne peut considérer ce travail comme un travail d'entretien ou de construction dans le sens qui placerait ce travail sous la compétence provinciale.

Les juges Beetz et Chouinard, dissidents: Le Conseil canadien des relations du travail a eu raison de décider que les installateurs relèvent de la compétence provinciale. La construction et l'installation de certaines parties d'une entreprise fédérale restent distinctes de l'exploitation de l'entreprise. Dans le domaine des relations de travail, la compétence provinciale est la règle et la compétence fédérale l'exception, et le fardeau de la preuve incombe à la partie qui invoque l'exception. Dans ce cas, où les deux positions s'équilibrent, le facteur déterminant est la règle générale de la compétence provinciale et non le fait que le travail des installateurs est régulier et indispensable à l'exploitation de l'entreprise fédérale.

[Jurisprudence: arrêts suivis: Northern Telecom Liée c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115, confirmant [1977] 2 C.F. 406; In re the Validity of the Industrial Relations and Disputes Investigation Act (l'arrêt sur les Débardeurs), [1955] R.C.S. 529, arrêts mentionnés: Toronto v. Bell Telephone Co., [1905] A.C. 52; McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654; Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée, [1977] 2 R.C.S. 1054; Procureur général du Canada c. Law Society of British Columbia (l'arrêt Jabour), [1982] 2 R.C.S. 307; Valin v. Langlois (1879), 3 R.C.S. 1; La Reine c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd., [1980] 1 R.C.S. 695; Procureur général du Canada c. Canard, [1976] 1 R.C.S. 170; Thorson c. Procureur général du Canada, [1975] 1 R.C.S. 138; Conseil canadien des relations du travail c. Paul L'Anglais Inc., [1983] 1 R.C.S. 147; Consolidated Distilleries Ltd. v. Consolidated Exporters Corporation Ltd., [1930] R.C.S. 531; The Queen v. Ontario Labour Relations Board, Ex parte Northern Electric Co. Ltd., [1970] 2 O.R. 654; Northern Electric Co. Ltée c. Tribunal du travail du Québec, décision inédite de la Cour d'appel du Québec, 13 085, du 25 janvier 1972; The Queen v. Ontario Labour Relations Board, Ex parte Dunn, [1963] 2 O.R. 301; Toronto Electric Commissioners v. Snider, [1925] A.C. 396; Attorney-General for Canada v. Attorney-General for Ontario (l'arrêt sur les Conventions de travail), [1937] A.C. 326;

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Union des facteurs du Canada c. Syndicat des postiers du Canada, [1975] 1 R.C.S. 178; Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754; Canadian Pacific Railway Co. v. Attorney-General for British Columbia (l'arrêt sur l'Empress Hotel), [1950] A.C. 122; Labour Relations Board of New Brunswick v. Eastern Bakeries Ltd., [1961] R.C.S. 72].

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1982] 1 C.F. 191, qui a statué sur une question de droit quant à la compétence constitutionnelle soumise par le Conseil canadien des relations du travail. Pourvoi rejeté, les juges Beetz et Chouinard sont dissidents.

William S. Tyndale, c.r., pour l'appelante Northern Telecom Ltée.

Philip Cutler, c.r., et Pierre Langlois, pour l'appelante l'Union canadienne des travailleurs en communication.

Hélène LeBel et Janet Cleveland, pour l'intimé le Syndicat des travailleurs en communication du Canada.

Walter Nisbet, c.r., pour l'intimé le procureur général du Canada.

William H. Deverell, pour le mis en cause le Conseil canadien des relations du travail.

John Cavarzan, c.r., pour le mis en cause le procureur général de l'Ontario.

Jean-K. Samson et Jean-François Jobin, pour le mis en cause le procureur général du Québec.

Version française du jugement des juges Ritchie, Estey, McIntyre et Lamer rendu par

LE JUGE ESTEY-Les présentes procédures viennent de la difficulté qu'il y a à déterminer si les relations de travail à l'égard de certains employés de l'appelante Northern Telecom Canada Limitée (ci-après appelée «Telecom») relèvent de la compétence fédérale ou de la compétence provinciale. Par demandes soumises en mai et septembre 1978, le syndicat appelant et le syndicat intimé ont l'un et l'autre demandé l'accréditation en application de la Partie V du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1,

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à titre d'agent négociateur pour une unité regroupant tous les installateurs employés par Telecom dans la région de l'Est.

La région de l'Est à l'égard de laquelle il y a demande d'accréditation vise toutes les opérations ayant trait aux installateurs de Telecom qui se poursuivent à l'est d'une ligne verticale qui passe par Brighton, dans l'est de l'Ontario. La région de l'Est s'étend vers l'est à partir de cette ligne et englobe le Québec et les provinces de l'Atlantique. La région de l'Ouest, qui ne nous intéresse pas ici, comprend tous les installateurs employés par Telecom qui fournissent les marnes services à l'ouest de la ligne passant par Brighton.

Un installateur est un employé très spécialisé qui s'occupe de l'installation des produits de Telecom et de ses filiales (et, à l'occasion d'équipement fabriqué par d'autres sociétés) dans le réseau téléphonique exploité par Bell Canada (ci-après appelée «Bell») et dans les installations exploitées par d'autres clients de Telecom. Il est admis que Bell et son réseau téléphonique sont une entreprise ou ouvrage fédéral, en vertu de la déclaration à cet effet faite par le Parlement du Canada en 1882 dans une loi, 1882 (Can.), chap. 95, art. 4 en application de l'al. 92(10)c) de la Loi constitutionnelle de 1867. Le Conseil privé, dans l'arrêt Toronto v. Bell Telephone Co., [1905] A.C. 52, a décrété que les activités de la société relèvent de la compétence fédérale en vertu de l'al. 92(10)a) et du par. 91(29) de la Loi constitutionnelle.

L'appelante, l'Union canadienne des travailleurs en communication (ci-après appelée «UCTC») est l'agent négociateur des installateurs de l'appelante Telecom pour la région de l'Est par suite d'une première accréditation, accordée en 1945, en vertu des lois relatives aux relations de travail du Québec et par suite de sa reconnaissance volontaire subséquente dans l'est de l'Ontario et dans les provinces situées à l'est du Québec. Le Syndicat des travailleurs en communication du Canada (ci-après appelé le «STCC») représente les installateurs de Telecom dans l'Ouest à la suite de son accréditation, en 1950, par la Commission des relations de travail de l'Ontario. Après avoir entendu la présentation des deux demandes d'accréditation

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des installateurs de la région de l'Est, le Conseil fédéral a décidé que les employés en cause ne relevaient pas de la compétence fédérale en matière de travail, mais plutôt que de rejeter les demandes, il a renvoyé la question de la constitutionnalité à la Cour d'appel fédérale en application du par. 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale du Canada. A la fin d'une décision volumineuse et unanime [publiée à (1980), 41 di 44], le Conseil conclut [aux pp. 90 à 94]:

Après avoir examiné l'ensemble de la preuve écrite et orale, nous en venons à la conclusion que les installateurs de la région de l'Est ne sont pas employés dans le cadre d'une entreprise fédérale ... Le problème de la qualification à des fins constitutionnelles dépend du point de vue sur lequel on insiste: soit sur l'installation et la vérification en tant que première étape de la création, de l'entretien et de l'exploitation d'une entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale, soit sur la dernière étape de la fabrication et de la livraison de produits spécialisés (et garantis), produits dont la livraison est acceptée lorsqu'il est établi qu'ils fonctionnent convenablement. Les couleurs d'un tableau varient selon l'angle sous lequel on les regarde.

[…]

Après avoir tenu compte du critère que la Cour suprême du Canada a défini et que nous avons formulé à l'égard de la Partie V du Code canadien du travail dans Marathon Realty Company Limited, supra, nous avons conclu que les relations de travail de ces employés étaient réglementées au niveau provincial. En ce qui concerne les relations de travail et le droit constitutionnel, nous considérons l'activité des installateurs comme étant rattachée à la fabrication plutôt que comme une partie intégrante du domaine relevant de la compétence fédérale. Il est indubitable que le service ne peut fonctionner sans l'équipement qu'installent ces employés. On peut aussi dire qu'il ne pourrait fonctionner sans l'annuaire téléphonique. Depuis 1970, cette fonction distincte a été considérée comme relevant de la compétence provinciale.

[…]

Dans la présente affaire, nous avons mis fin à tous nos doutes qui pouvaient subsister en concluant que la constitution favorisait implicitement la compétence provinciale.

[…]

Nous reportons toute décision définitive relative à ces deux requêtes en accréditation jusqu'à ce que nous soyons mis au courant de la décision de la Cour d'appel fédérale au sujet de notre compétence.

[page 739]

Le Conseil a ensuite rendu une ordonnance dans laquelle il soumet, par renvoi, la question suivante à la Cour d'appel fédérale:

[TRADUCTION] Le Conseil a-t-il la compétence constitutionnelle pour accueillir une demande d'accréditation relativement aux employés que l'on cherche à représenter dans les deux demandes d'accréditation?

Cette question est posée par le Conseil en application du par. 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10:

28....

(4) Un office, une commission ou un autre tribunal fédéral auxquels s'applique le paragraphe (1) peut, à tout stade de ses procédures, renvoyer devant la Cour d'appel pour audition et jugement, toute question de droit, de compétence ou de pratique et procédure.

La Cour d'appel fédérale [[1982] 1 C.F. 191] a répondu à la question par l'affirmative. Le juge en chef Thurlow a conclu que la Cour était compétente pour entendre ce renvoi du Conseil et pour répondre à la question posée, qu'elle le soit en application du par. 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale ou sous forme d'examen judiciaire en application du par. (1) de cet article. Toutes les parties ont convenu, en Cour fédérale (et ici également), que le réseau de télécommunications de Bell est une entreprise fédérale. Les installateurs de Telecom ne travaillent pas à la fabrication de l'équipement de Telecom en cause, mais uniquement à son installation et 80 pour 100 de ce travail a lieu dans les locaux de Bell. Le juge en chef Thurlow a conclu en conséquence [à la p. 202] qu'ils « . . . participent à une entreprise fédérale. » Le juge Ryan a souscrit aux motifs du Juge en chef et à ceux du juge Le Dain qui a aussi répondu [à la p. 203] à la question par l'affirmative parce que:

. . ce qui fait pencher la balance du côté de la compétence fédérale c'est le lien fonctionnel étroit qui existe entre le travail des installateurs et les activités de Bell ... Mais l'installation est reliée très intimement et d'une façon très complexe au fonctionnement du matériel de télécommunications qui constitue l'essence même de l'entreprise de Bell . . . Pour cette raison je crois qu'ils doivent être considérés comme étant des employés dans le cadre de l'entreprise Bell.

[page 740]

Compétence de la Cour d'appel fédérale pour connaître de la question soumise par renvoi

La Loi sur la Cour fédérale qui crée la Cour d'appel fédérale se fonde sur l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui autorise le Parlement à établir « ... des tribunaux ... pour la meilleure administration des lois du Canada». Ainsi que cette Cour l'a affirmé à plusieurs reprises, l'expression «lois du Canada» signifie la législation et la réglementation fédérales existantes, ainsi que la common law fédérale et non toute législation éventuelle de compétence fédérale en vertu de la Constitution: McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654 et Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée, [1977] 2 R.C.S. 1054. Nous n'avons pas à répondre aux questions que soulève l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale, qui porte sur la compétence de la Division de première instance et le lien entre cette dernière et les cours supérieures provinciales. L'article 28 de la Loi confère à la Cour d'appel fédérale compétence en matière d'examen judiciaire des ordonnances des commissions fédérales, selon la définition de la Loi, laquelle s'applique au Conseil canadien des relations du travail, l'organisme visé en l'espèce, par application du par. (1). En vertu du par. (4) précité, une commission fédérale peut renvoyer «.. . devant la Cour d'appel fédérale pour audition et jugement toute question de droit, de compétence ou de pratique et procédure».

Le juge en chef Thurlow a conclu en Cour d'appel que la compétence de celle-ci à l'égard des présentes procédures était la même, que la question soit présentée sous forme d'examen en vertu du par. (1) ou sous forme de renvoi en vertu du par. (4). Que cela soit exact ou non, il est très clair que la question soumise par le Conseil soulève une question de droit ou de compétence et met clairement en marche la procédure visée au par. (4). La question est de savoir si le législateur avait la compétence d'édicter le par. (4) de la Loi sur la Cour fédérale.

Dans l'arrêt Jabour (Procureur général du Canada c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307), cette Cour a examiné la compétence des cours provinciales, étant donné

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l'exclusivité que la Cour fédérale aurait en vertu de l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale, d'entendre les procédures qui contestent la constitutionnalité ou l'application constitutionnelle d'une loi fédérale. Cette Cour a conclu que la compétence historique des cours supérieures des provinces n'est pas modifiée par la loi fédérale qui leur retire le contrôle des actes administratifs des commissions fédérales accomplis en exécution d'une loi fédérale.

Nous devons répondre à la question inverse, c'est-à-dire celle de la compétence de la Cour fédérale de se prononcer sur la constitutionnalité d'une loi fédérale soit de façon absolue, soit dans son application à des circonstances précises. Une partie des motifs de l'arrêt Tabour [à la p. 328] porte, par analogie, sur cette question:

De plus, ces cours supérieures constituées par les provinces se verraient chargées de la tâche peu enviable d'appliquer les lois fédérales et provinciales, pour paraphraser l'arrêt Valin, [Valin v. Langlois (1879), 3 R.C.S. 1] tout en se trouvant dans l'impossibilité de faire la distinction entre les lois fédérales valides et celles qui sont invalides, de manière à pouvoir refuser d'appliquer ces dernières ... Cela équivaudrait en outre à une tentative de la part du Parlement d'accorder à la Cour fédérale la compétence exclusive pour administrer les «lois du Canada» alors que la validité de ces lois est encore incertaine.

Il est essentiel, dans un régime fédéral comme celui que crée la Loi constitutionnelle, que les tribunaux soient, dans la société, l'autorité qui contrôle les bornes de la souveraineté propre des deux gouvernements pléniers et celle qui surveille les organismes à l'intérieur de ces sphères pour vérifier que leurs activités demeurent dans les limites de la loi. Ces deux rôles appartiennent, cela va de soi, aux tribunaux selon leurs compétences respectives. L'arrêt Jabour, précité, visait les cours supérieures de compétence générale dans les provinces, mais les mêmes principes s'appliquent aux cours de juridiction inférieure lorsqu'elles agissent dans les limites de leur compétence qui est définie par leur loi constitutive. Ces cours doivent, pour appliquer les lois du pays, que ces lois soient fédérales ou provinciales, déterminer la valeur constitutionnelle de la mesure en cause si le problème se pose. Ces cours qui ont une compétence

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d'exception doivent, cela va de soi, se prononcer sur une affaire qui est légalement de leur ressort.

C'est là la situation de la Cour fédérale dans les présentes procédures. Il s'agit d'une cour créée par une loi. Sa loi constitutive autorise manifestement les procédures qui lui sont soumises en l'espèce. D'autre part, cette loi est constitutionnellement valide, au moins pour ce qui a trait à l'existence de la cour. La contestation constitutionnelle se limite donc à savoir si le Parlement peut à bon droit édicter le par. (4) de l'art. 28 en vertu duquel la question constitutionnelle ou de compétence ici soumise est formulée. Cette question a été pressentie ou prévue dans l'arrêt Valin v. Langlois (1879), 3 R.C.S. 1, où le juge Taschereau dit aux pp. 74 et 76:

[TRADUCTION] À mon avis, le Parlement peut, pour l'administration de ses lois, soit avoir recours aux cours provinciales déjà existantes, soit créer de nouvelles cours, à son choix.

[…]

... je trouve dans l'A.A.N.B. plusieurs dispositions par lesquelles le Parlement peut modifier la compétence des cours civiles provinciales. Par exemple, à mon avis, le Parlement peut retirer aux cours provinciales toute la compétence sur la faillite et l'insolvabilité et conférer cette compétence à des cours de faillite que le Parlement établirait; je crois qu'il est également manifeste que le Parlement peut, par exemple, dire que toutes les procédures judiciaires relatives aux billets et lettres de change seront portées devant la Cour de l'Échiquier ou devant tout autre tribunal fédéral. Cela aurait certainement un effet sur la compétence des cours provinciales. Mais je soutiens qu'il a la compétence de le faire pour tout ce qui relève de sa compétence.

Le juge Pigeon, dans l'arrêt La Reine c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd., [1980] 1 R.C.S. 695, dit à propos d'un autre aspect de la nature de la compétence de la Cour fédérale, à la p. 713:

Il faut tenir compte de ce que le principe fondamental régissant le système judiciaire canadien est la compétence des cours supérieures des provinces sur toutes questions de droit fédéral et provincial. Le Parlement fédéral a le pouvoir de déroger à ce principe en établissant des tribunaux additionnels seulement «pour la meilleure administration des lois du Canada».

[page 743]

La remarque du juge Beetz dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Canard, [1976] 1 R.C.S. 170, à la p. 216, touche de plus près au coeur de ce problème:

Une fois admis que le Ministre est compétent pour nommer un administrateur, l'exercice de cette compétence ne peut être examiné que conformément à la Loi sur les Indiens et à la Loi sur la Cour fédérale et non par les tribunaux du Manitoba. Il est vrai que la juridiction de ces derniers n'a pas été mise en question par les appelants, probablement parce que l'action intentée par l'intimée contestait la constitutionnalité et l'application de la Loi sur les Indiens et que les tribunaux du Manitoba ont juridiction pour disposer de cette question aussi bien que de la demande reconventionnelle des appelants. En revanche, les tribunaux du Manitoba ne pouvaient pas entendre un appel à l'encontre d'une décision du Ministre ni examiner celle-ci de quelque façon.

Dans un autre contexte, le juge en chef Laskin a écrit: «La question de la constitutionnalité des lois a toujours été dans ce pays une question réglable par les voies de justice.» Voir Thorson c. Procureur général du Canada, [1975] 1 R.C.S. 138, à la p. 151. En l'espèce, ce qui est contesté, c'est simplement le droit de la Cour fédérale de déterminer, en vertu de sa loi constitutive, la constitutionnalité d'une loi fédérale lorsque cette question se pose à l'occasion d'une procédure reconnue valide, menée devant un office fédéral, selon la définition qu'en donne la Loi sur la Cour fédérale, en application d'une loi fédérale reconnue valide, le Code canadien du travail, précité. Il est certain que, dans notre droit, le Parlement fédéral peut autoriser la Cour fédérale à réviser les actes d'un office fédéral. Il semblerait peu important que l'acte du Conseil soit contesté en vertu d'une procédure introduite par application du par. (1) ou du par. (4) de l'art. 28; la validité constitutionnelle de l'acte du Conseil, réalisé ou en projet, peut être examinée de l'une ou l'autre façon. L'étude de la question par application du par. (4) favorise mieux l'efficacité de l'administration de la justice que sa révision à titre de fait accompli par application du par. (1). Si, par application du par. (1), le Parlement peut charger la Cour fédérale de réviser les actes du Conseil canadien des relations du travail et si, à l'occasion de cette révision, la Cour doit décider, comme question préalable, de la validité

[page 744]

de l'acte du Conseil du point de vue constitutionnel, il ne semble pas y avoir d'importance à ce que la même question, dans les mêmes circonstances, soit posée pour l'avenir plutôt que pour le passé. Par conséquent, j'estime que le par. (4) de l'art. 28 n'excède pas la compétence que l'art. 101 de la Loi constitutionnelle confère au Parlement.

Il découle de l'arrêt Canard, précité, et de l'arrêt plus récent de cette Cour dans l'affaire Conseil canadien des relations du travail c. Paul L'Anglais Inc., [1983] 1 R.C.S. 147, qu'on pourrait porter la même question constitutionnelle devant une cour provinciale par les voies appropriées. On ne pourrait soumettre par renvoi, à une cour supérieure provinciale, une question relative au contrôle administratif exercé par la Cour fédérale en application de la loi constitutive du Conseil fédéral, qui ne soulèverait pas de question constitutionnelle. Le lien entre la Cour fédérale et la question constitutionnelle qui se pose en l'espèce est la procédure introduite en vertu de la Loi sur la Cour fédérale qui, à son tour, découle de procédures manifestement valides du Conseil menées en application de dispositions du Code canadien du travail reconnues comme valides. Dans ces circonstances, la Cour fédérale est exactement dans la même situation que toute autre cour créée par la loi, qu'elle soit provinciale ou fédérale; elle peut donc se prononcer sur la question constitutionnelle qui surgit à titre de question préliminaire dans le processus de contrôle de l'acte administratif en cause.

Conclure le contraire aurait comme conséquence, pour paraphraser l'arrêt Jabour, précité, de placer une cour fédérale établie «pour la meilleure administration des lois du Canada» dans la situation de devoir administrer et appliquer de telles lois sans le pouvoir, et encore moins l'obligation, de vérifier par elle-même si la loi soumise à la Cour appartient validement aux «lois du Canada». Le juge en chef Anglin, dans l'arrêt Consolidated Distilleries Ltd. v. Consolidated Exporters Corporation Ltd., [1930] R.C.S. 531, à la p. 534, dit que l'expression «lois du Canada» signifie [TRADUCTION] « ... les lois adoptées par le Parlement fédéral et qui sont de son ressort.» J'interprète

[page 745]

dans le même sens les motifs du Juge en chef de cette Cour dans les arrêts McNamara et Quebec North Shore, précités.

Il y a lieu d'ajouter un dernier point à cette discussion de la compétence. La Loi constitutionnelle de 1867, et modifications, n'est pas, cela va de soi, une «loi du Canada» dans le sens des exemples qui précèdent parce qu'elle n'a pas été adoptée par le Parlement du Canada. La limite inhérente que l'art. 101 précité impose à la compétence que le Parlement peut accorder à la Cour fédérale pourrait donc exclure une procédure fondée sur la Loi constitutionnelle. C'est une possibilité qui a été discutée dans l'arrêt Jabour, précité, mais en l'espèce il s'agit d'une procédure qui découle du Code canadien du travail et qui soulève une question sur la portée et l'application de cette loi fédérale, en vertu de la Constitution, dans les circonstances révélées dans le dossier du Conseil canadien des relations du travail. En tant qu'intervenant le procureur général du Québec a abordé cet aspect de l'appel dans son mémoire de la façon suivante:

... la Cour d'appel fédérale est compétente pour se prononcer sur une question de droit, fût-elle de nature constitutionnelle, lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, cette question est soulevée à l'occasion d'un litige ou d'une demande principale fondée sur l'application du droit fédéral.

Je suis tout à fait d'accord.

À mon avis, le Parlement a donc validement édicté le par. (4) de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, et en conséquence la Cour fédérale a agi dans les limites de sa compétence constitutionnelle propre en répondant à la question.

Historique du litige

Parce que l'étude requise des éléments de preuve soumis au Conseil se trouvera abrégée par le résumé ou l'exposé de certains aspects des origines du litige, je vais faire maintenant état des procédures antérieures engagées par les parties ou par quelques-unes d'entre elles quant à la compétence en matière de relations de travail.

[page 746]

A. Région de l'Est (qui est visée par les présentes)

1. 1945: La Commission des relations de travail du Québec accrédite le prédécesseur de l'UCTC comme agent négociateur de tous les employés de Telecom dans la province de Québec rémunérés à l'heure et qui ne sont pas surveillants, ce qui vise les installateurs.

2. 1945: Telecom et l'UCTC signent une convention collective dans laquelle Telecom reconnaît l'UCTC à titre d'agent négociateur de tous les installateurs [TRADUCTION] «dont le point d'attache est dans la province de Québec», ce qui comprend les installateurs de la région de l'Est. C'est l'état actuel des relations de travail pour les installateurs de la région de l'Est.

3. 1968: Le STCC et les Métallurgistes unis d'Amérique, section locale 8001, ont tous les deux demandé aux Commissions des relations de travail de l'Ontario et du Québec l'accréditation à titre d'agent négociateur des installateurs dans chacune des provinces. Chacun de ces syndicats est intervenu dans les procédures entreprises par l'autre. Invoquant des motifs constitutionnels, Telecom et l'UCTC ont objecté que les employés n'étaient pas assujettis à la compétence provinciale dans leurs relations de travail. La Commission des relations de travail de l'Ontario a conclu que le travail des installateurs en Ontario relevait de la compétence provinciale en matière de relations de travail. Les organismes du Québec sont parvenus à la même conclusion. Telecom et l'UCTC ont donc toutes les deux porté l'affaire devant les tribunaux et ont toutes les deux eu gain de cause. En Ontario, le juge Lacourcière, alors juge de la Haute Cour, a conclu que ces relations de travail relevaient de la compétence fédérale: The Queen v. Ontario Labour Relations Board, Ex parte Northern Electric Co. Ltd., [1970] 2 O.R. 654. Sur procédure d'évocation, la Cour d'appel du Québec est arrivée à la même conclusion dans l'arrêt Northern Electric Co. Ltd. c. Tribunal du travail du Québec, qui n'est pas publié, numéro 13 085 du 25 janvier 1972.

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B. Région de l'Ouest (qui n'est pas directement visée par les présentes)

1. 1946: Une association d'employés n'a pas réussi à obtenir d'accréditation de la C.R.T.O., mais a été accréditée pour tous les employés, y compris les installateurs, qui dépendaient du siège social de Toronto en application des règlements sur les relations de travail en temps de guerre. Cette accréditation visait probablement tous les employés de la région de l'Ouest.

2. 1950: L'UCTC a remplacé la première association accréditée et la C.R.T.O. a accrédité l'UCTC à titre d'agent négociateur des installateurs. Telecom ne paraît pas avoir soulevé de question constitutionnelle.

3. 1958: L'UCTC a demandé au Conseil canadien des relations du travail l'accréditation à titre d'agent négociateur de tous les installateurs travaillant dans la région de l'Ouest. Le C.C.R.T. a conclu qu'il n'avait pas compétence.

4. 1963: Une association d'employés a été accréditée par la C.R.T.O. en 1961 pour représenter tous les employés travaillant à l'usine de Telecom située à Bramalea (Ontario). Il n'est pas fait mention des installateurs dans cette unité de négociation. La Haute Cour de l'Ontario a refusé d'annuler la décision de la C.R.T.O. pour le motif que les opérations de fabrication qui faisaient l'objet des procédures relevaient véritablement du domaine des relations de travail dans la province: R. v. Ontario Labour Relations Board, Ex parte Dunn, [1963] 2 O.R. 301.

5. 1970: La Haute Cour de l'Ontario (le juge Lacourcière) a conclu que la C.R.T.O. n'avait pas compétence sur les relations de travail des installateurs (voir ci-dessus, par. 3, région de l'Est).

C. Régions de l'Est et de l'Ouest après 1971

1. Dans la région de l'Est, Telecom et l'UCTC ont continué de mener leurs relations de travail en fonction des lois québécoises sur les relations de travail.

2. Dans la région de l'Ouest, en 1972, Telecom et le STCC ont reconnu la compétence fédérale dans une convention écrite.

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3. 1974: Le STCC a demandé au Conseil canadien des relations du travail l'accréditation pour représenter les installateurs surveillants dans la région de l'Ouest. Le Conseil a conclu qu'il était compétent. Telecom a interjeté appel et a perdu sa cause en Cour d'appel fédérale, Northern Telecom Ltd. c. Travailleurs en communication du Canada, [1977] 2 C.F. 406, et en cette Cour, [1980] 1 R.C.S. 115. Ces deux cours ont estimé que le dossier qui leur était soumis ne leur permettait pas de rendre une décision sur cette importante question de compétence.

En conséquence, il n'y a aucune preuve sur laquelle la présente cour peut conclure que le Conseil a outrepassé sa compétence.

[…]

J'ajouterais qu'à mon avis, les faits soulèvent une difficile question de compétence et de constitutionnalité sur laquelle la présente cour ne doit pas se prononcer sans une étude complète des faits ayant trait à la question de compétence et de constitutionnalité comme telle. [Le juge en chef Jackett, aux pp. 409 et 410.]

L'arrêt de cette Cour a été rendu par le juge Dickson qui dit, aux pp. 139 et 141:

En réalité, le dossier est tellement incomplet que la Cour ne peut trancher l'importante question de la compétence constitutionnelle en matière de relations de travail concernant les employés travaillant pour le service de l'installation de Telecom.

[…]

Ce sera donc pour une autre fois et je suis en conséquence d'avis de rejeter le pourvoi pour l'unique motif que d'après le dossier, l'appelante n'a pas réussi à démontrer que le Conseil canadien des relations du travail avait commis une erreur donnant lieu à l'annulation de sa décision.

4. Telecom s'est opposée à ce que le Conseil canadien des relations du travail étudie les deux demandes d'accréditation présentées en 1978 par l'UCTC et le STCC, d'où les présentes procédures, parce que, selon elle, le Conseil n'est pas constitutionnellement compétent pour le faire.

5. L'UCTC a présenté à la Commission des relations de travail du Québec une demande d'accréditation à titre d'agent négociateur des installateurs entre 1978 et 1979. Il n'y a rien dans le dossier qui indique l'état de cette procédure.

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6. Les parties à la demande d'accréditation en cours qui a donné lieu au présent pourvoi ont demandé au C.C.R.T. de soumettre aux tribunaux, par renvoi, la question de la compétence constitutionnelle. Voici un extrait des motifs unanimes du Conseil [précité, aux pp. 71 et 72]:

Les procédures sous étude constituent la dernière étape où la compétence du Conseil est contestée. Il ne s'agit pas toutefois de l'étape finale. Les parties ont informé le Conseil qu'elles désirent obtenir le jugement d'une autorité judiciaire. Elles ont pressé le Conseil de renvoyer la question constitutionnelle à la Cour d'appel fédérale. Lorsque l'audition de ces affaires a commencé, il était entendu que notre décision ne constituait que la première étape d'une nouvelle démarche auprès de la Cour suprême du Canada.

Avant d'aborder la preuve et les conclusions qui en sont tirées plus loin, il y a lieu de résumer les principes formulés en cette Cour et ailleurs qui sont applicables aux procédures judiciaires de ce type. Voici ce qu'a dit le juge Dickson au nom de cette Cour, à la p. 130, dans l'arrêt Telecom de 1980, précité:

Mais la question litigieuse en l'espèce ne porte pas sur la compétence administrative du Conseil, au sens habituel de l'expression; il s'agit plutôt de déterminer si la compétence que le Parlement a conférée au Conseil canadien des relations du travail aux termes de l'art. 108 du Code s'étend aux relations de travail concernant les employés qui travaillent pour l'entreprise, l'affaire ou l'ouvrage en litige en l'espèce, c.-à-d. le service des installations de Telecom. La réponse à la question posée dans l'autorisation d'appel ne dépend pas des principes relatifs au contrôle judiciaire des actes administratifs mais des principes régissant le partage constitutionnel des compétences en matière de relations de travail.

Il est maintenant banal de dire que toute évaluation de la situation de relations de travail données en droit constitutionnel canadien part de la règle selon laquelle la compétence en matière de relations de travail est provinciale. Voir Toronto Electric Commissioners v. Snider, [1925] A.C. 396. En réalité, c'est plusieurs années après l'adhésion du Canada au traité de Versailles et aux traités et conventions qui portent sur ces questions (Attorney-General for Canada v. Attorney-General for Ontario (l'affaire des Conventions de travail), [1937] A.C. 326,) que le profil de la présence fédérale en ce domaine a commencé à émerger. La

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première réglementation fédérale d'envergure sur ces sujets est apparue pendant la Seconde Guerre mondiale lors de la promulgation des règlements qui créaient le Conseil des relations du travail en temps de guerre et en régissaient le fonctionnement. Par la suite, une législation fédérale plus détaillée a suivi; ce que fut la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail, 1948 (Can.), chap. 54, laquelle a donné naissance au Code canadien du travail actuel, précité, dont les art. 108 et 2 sont particulièrement importants pour le présent pourvoi:

108. La présente Partie s'applique aux employés dans le cadre d'une entreprise fédérale, aux patrons de ces employés dans leurs rapports avec ces derniers, ainsi qu'aux organisations patronales groupant ces patrons et aux syndicats groupant ces employés.

2. Dans la présente loi

«entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale» ou (entreprise fédérale» signifie tout ouvrage, entreprise ou affaire ressortissant au pouvoir législatif du Parlement du Canada, y compris, sans restreindre la généralité de ce qui précède:

[…]

b) tout chemin de fer, canal, télégraphe ou autre ouvrage ou entreprise reliant une province à une ou plusieurs autres, ou s'étendant au-delà des limites d'une province;

[…]

h) tout ouvrage ou entreprise que le Parlement du Canada déclare (avant ou après son achèvement) être â l'avantage du Canada en général, ou de plus d'une province, bien que situé entièrement dans les limites d'une province;...

Ce n'est cependant que lors de l'affaire In re the Validity of the Industrial Relations and Disputes Investigation Act, (l'affaire des Débardeurs), [1955[ R.C.S. 529, que cette Cour a établi les critères fondamentaux de compétence fédérale dans ce domaine. C'est dans l'arrêt sur les Débardeurs que les fondements constitutionnels de la compétence fédérale en matière de relations de travail ont été examinés en détail pour la première fois. La disposition législative visée était l'art. 53 de la Loi de 1948 devenu depuis l'art. 108 du Code canadien du travail actuel. L'affaire portait sur les relations de travail d'une société de débardage qui

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était en relations d'affaires, en vertu de contrats saisonniers, avec un groupe de sociétés d'expédition qui, elles, s'occupaient d'expédition régulière entre des ports du Canada et des ports à l'extérieur du Canada. L'employeur en cause fournissait à ces sociétés d'expédition, les services de débardage et de terminal, au port de Toronto, et c'était là la seule entreprise de l'employeur. La Cour a jugé que les relations de travail entre l'employeur et ses débardeurs relevaient de la compétence fédérale puisque les services fournis à ce qui était certainement une entreprise d'expédition et de navigation au sens de l'art. 91 de la Loi constitutionnelle faisaient partie intégrante de cette entreprise d'expédition. Les motifs de l'arrêt sur les Débardeurs sont devenus le fondement de la détermination constitutionnelle des lois applicables aux relations de travail, selon qu'il s'agit de compétence fédérale ou provinciale. Ce n'est que dans l'arrêt de cette Cour Union des facteurs du Canada c. Syndicat des postiers du Canada, [1975] 1 R.C.S. 178, que la question a été réexaminée de façon fondamentale. Dans cette affaire, la Cour devait déterminer de qui relevait les relations de travail d'un employeur dont l'activité principale découlait de l'exécution de contrats intervenus entre lui et le ministère des Postes du Canada. La Commission des relations de travail de la Saskatchewan a accordé l'accréditation au syndicat des postiers à titre d'agent négociateur pour ces employés. Pour interpréter le par. 108(1) du Code canadien du travail, le juge Ritchie, qui a rédigé les motifs unanimes de la Cour, a invoqué, à la p. 185, l'arrêt sur les Débardeurs en citant le commentaire de l'art. 53 de la Loi de 1948 que le juge en chef Kerwin a fait à la p. 535:

[TRADUCTION] . . . la Loi ... ne doit pas être interprétée comme s'appliquant à des travailleurs dont la tâche se situe à un stade lointain, mais seulement à ceux dont l'activité est intimement liée aux ouvrages, entreprises ou affaires. Dans son essence et sa substance, la Loi ne concerne que des matières relevant des catégories de sujets spécifiquement énumérés à l'art. 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.

Le juge Ritchie adopte ensuite (à la p. 186) le critère fixé par le juge Estey à la p. 568 dans l'arrêt sur les Débardeurs:

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[TRADUCTION] Si, par conséquent, l'arrimage exercé en vertu des contrats ci-dessus constitue une partie intégrante ou nécessairement accessoire de l'exploitation efficace de ces lignes de bateaux à vapeur, la législation y relative ne peut être adoptée valablement que par le Parlement du Canada.

Que l'activité, des débardeurs constitue une partie intégrante de cette exploitation, cela ressort, il me semble, du fait que ces lignes de bateaux à vapeur sont engagées dans le transport de marchandises et le chargement et déchargement de celles-ci qui semblent être aussi nécessaires à l'exploitation rentable de ces lignes que l'embarquement et le débarquement de passagers dont il était question dans l'arrêt Winner ([1954] A.C. 541). Le chargement constitue, par conséquent, une partie intégrante de l'exploitation de ces lignes de bateaux à vapeur et, partant, est assujetti à la compétence législative du Parlement.

Comme on le verra plus loin, le parallèle de principe entre les faits en cause dans l'affaire des Débardeurs et les faits de l'espèce est frappant. Dans l'affaire des Débardeurs l'entreprise fédérale était l'expédition ou le mouvement des marchandises transportées par mer vers le port de Toronto et à partir de celui-ci. Les services de chargement et de déchargement étaient fournis aux armateurs et aux expéditeurs maritimes par une société de débardage qui n'avait aucun lien de dépendance avec les entreprises d'expédition. Les débardeurs n'exploitaient évidemment aucune des installations de navigation, mais s'occupaient simplement du chargement et du déchargement des navires sur les quais. Une fois déchargées par les débardeurs, les marchandises étaient acheminées aux expéditeurs par transport terrestre intérieur. Dans le cycle de chargement, les débardeurs assuraient le lien entre le transport terrestre des marchandises et leur transport maritime.

En réalité, la société de débardage s'occupait exclusivement de fournir ces services de débardage alors qu'en l'espèce, comme on pourra le constater, les services d'installation que Telecom fournit au réseau téléphonique de Bell occupent la majeure partie du temps des installateurs de Telecom, mais non la totalité de celui-ci. Le juge Ritchie tranche cette question de la façon suivante dans l'arrêt sur les Facteurs (à la p. 188):

Étant donné que 90 pour cent des activités de M & B Enterprises Ltd. sont consacrées aux postes canadiennes,

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il est évident qu'il s'agit là de la principale et plus importante partie du travail de son entreprise, et la commission des relations de travail de la Saskatchewan ne peut pas, à mon avis, simplement parce que deux ou trois chauffeurs conduisent occasionnellement des camions dans le transport de meubles pour d'autres que les postes canadiennes, acquérir la compétence requise pour connaître d'une demande d'accréditation d'un agent négociateur faite au nom d'une unité comprenant tous les chauffeurs de camion de cette compagnie à l'exclusion des surveillants.

Cette Cour a encore dû se prononcer sur l'attribution constitutionnelle des relations de travail entre un employeur qui construisait une entreprise fédérale et ses employés dans l'arrêt Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754. La question s'est posée quand un organisme du gouvernement du Québec a réclamé certaines sommes à une entreprise chargée de la construction de pistes d'un aéroport international situé près de Montréal, pour le compte du gouvernement du Canada. L'organisme exigeait les fonds au nom des employés de l'entreprise en application de la Loi du salaire minimum, de la Loi des relations du travail dans l'industrie de la construction et de la Loi concernant l'industrie de la construction, toutes de la province de Québec. En concluant que la compétence quant aux relations de travail de la société de construction qui employait des ouvriers à la construction de ces pistes devait être attribuée à la province, le juge Beetz, qui a rédigé l'arrêt majoritaire de cette Cour, a résumé ainsi le droit applicable, aux pp. 768 et 769:

Cependant, par dérogation à ce principe, le Parlement peut faire valoir une compétence exclusive dans ces domaines s'il est établi que cette compétence est partie intégrante de sa compétence principale sur un autre sujet: In re la validité de la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail, (l'arrêt Stevedoring). Il s'ensuit que la compétence principale du fédéral sur un sujet donné peut empêcher l'application des lois provinciales relatives aux relations de travail et aux conditions de travail, mais uniquement s'il est démontré que la compétence du fédéral sur ces matières fait intégralement partie de cette compétence fédérale. Ainsi, la réglementation des salaires que doit verser une entreprise, un service ou une affaire et la réglementation de ses relations de travail, toutes choses qui sont étroitement liées à l'exploitation

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d'une entreprise, d'un service ou d'une affaire, ne relèvent plus de la compétence provinciale et ne sont plus assujetties aux lois provinciales s'il s'agit d'une entreprise, d'un service ou d'une affaire fédérale; In re l'application de la loi du salaire minimum de la Saskatchewan à un employé d'un bureau de poste à commission (l'arrêt Bureau de poste à commission); Commission du salaire minimum c. Bell Canada (l'arrêt Salaire minimum chez Bell Canada); Union des facteurs du Canada c. Syndicat des postiers du Canada (l'arrêt Facteurs). La question de savoir si une entreprise, un service ou une affaire relève de la compétence fédérale dépend de la nature de l'exploitation: le juge Pigeon, dans l'arrêt Conseil canadien des relations du travail c. La ville de Yellowknife, à la p. 736. Mais pour déterminer la nature de l'exploitation, il faut considérer les activités normales ou habituelles de l'affaire en tant qu'« entreprise active» (le juge Martland dans l'arrêt Salaire minimum chez Bell Canada, à la p. 772), sans tenir compte de facteurs exceptionnels ou occasionnels; autrement, la Constitution ne pourrait être appliquée de façon continue et régulière: Agence Maritime Inc. c. Conseil canadien des relations ouvrières (l'arrêt Agence Maritime); l'arrêt Facteurs.

Dans l'arrêt Telecom de 1980 le juge Dickson a transposé ces principes généraux que le juge Beetz avait énoncés dans l'arrêt Montcalm et les a appliqués aux circonstances apparentes de l'affaire Telecom de 1980 (à la p. 135):

Sur la base des grands principes constitutionnels exposés ci-dessus, il est clair que certains faits sont décisifs sur la question constitutionnelle. De façon générale, il s'agit notamment:

(1) de la nature générale de l'exploitation de Telecom en tant qu'entreprise active et, en particulier, du rôle du service de l'installation dans cette exploitation;

(2) de la nature du lien entre Telecom et les sociétés avec lesquelles elle fait affaires, notamment Bell Canada;

(3) de l'importance du travail effectué par le service de l'installation de Telecom pour Bell Canada, en comparaison avec ses autres clients;

(4) du lien matériel et opérationnel entre le service de l'installation de Telecom et l'entreprise fédérale principale dans le réseau téléphonique et, en particulier, de l'importance de la participation du service de l'installation à l'exploitation et à l'établissement de l'entreprise fédérale en tant que méthode de fonctionnement.

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Dans cette affaire-là, comme en l'espèce, l'entreprise principale de nature fédérale était le réseau de télécommunications interprovinciales de Bell. L'entreprise accessoire était celle que Telecom exploitait par ses installateurs à l'occasion de la mise en place, dans ce réseau, d'équipement de commutation et de transmission presque entièrement manufacturé par Telecom, bien qu'une partie de l'équipement installé provienne d'autres sources. Le lien social entre Bell et Telecom a fait l'objet d'une argumentation devant cette Cour et devant les cours d'instance inférieure. Telecom est une filiale à part entière de Northern Telecom Limitée dont Bell possède 60,5 pour 100 du capital-actions. Avant 1973, Bell possédait 100 pour 100 des actions de Northern Telecom Limitée, mais depuis cette date, 39,5 pour 100 du capital-actions est entre les mains du public. Donc, grâce au volumineux dossier dans le présent pourvoi, dont les tribunaux ne disposaient pas à l'occasion de l'affaire Telecom de 1980, on peut appliquer aux faits de l'espèce et aux questions qui y sont soulevées les quatre principes directeurs de la façon suivante:

1. Le critère principal d'application du principe énoncé dans l'arrêt sur les Débardeurs est l'étude du «lien matériel et opérationnel» entre les installateurs de Telecom et l'entreprise principale de nature fédérale, le réseau téléphonique, et en particulier de l'importance de la participation des installateurs à la création et à l'exploitation de l'entreprise fédérale en tant que méthode de fonctionnement. Je me suis permis de paraphraser, avec la terminologie propre au présent dossier, le critère n° 4, déjà cité, formulé par le juge Dickson dans l'arrêt de cette Cour rendu en 1980.

2. Pour établir à qui appartient la compétence constitutionnelle sur les relations de travail, la cour doit ensuite considérer, comme question accessoire, mais non dépourvue d'importance:

a) l'importance du travail effectué par les installateurs de Telecom pour Bell en comparaison avec celui accompli pour d'autres clients de Telecom (ici encore je

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me permets d'emprunter, les termes du juge Dickson au critère n° 3 ci-dessus) et,

b) les liens sociaux entre Bell et Telecom (critère n° 2 dans les motifs du juge Dickson. Le critère énoncé au Point 1 de l'arrêt Telecom de 1980, précité, est étudié plus loin dans les présents motifs).

Le juge Chouinard au nom de cette Cour a récemment étudié et appliqué ces principes dans l'arrêt Conseil canadien des relations du travail c. Paul L'Anglais Inc., (précité). On peut donc voir que, même appliqués à un ensemble de circonstances différentes, ce problème et sa solution constitutionnels demeurent les mêmes que ceux qui sont énoncés dans l'arrêt sur les Débardeurs, précité.

Au cours de cette évolution, depuis 1955, des principes généraux applicables à la détermination de l'autorité compétente à l'égard des relations de travail entre des employeurs engagés dans des entreprises fédérales et leurs employés, il y a eu un contentieux considérable entre Telecom et les syndicats qui représentaient ou voulaient représenter les installateurs et leurs surveillants. La première affaire, The Queen v. Ontario Labour Relations Board, Ex parte Dunn, précitée, porte sur la révision par la Haute Cour de l'Ontario, au moyen d'un certiorari, d'une décision rendue par la Commission des relations de travail de l'Ontario qui accordait à un syndicat de tous les employés de Telecom (à l'exclusion des cadres) affectés à une usine de Telecom en Ontario, l'accréditation et le droit de les représenter. L'unité visait probablement les installateurs, mais il n'est fait aucune mention spéciale de ceux-ci dans le recueil. Dans ses motifs, le juge en chef McRuer de la Haute Cour mentionne à la p. 307 le rôle restreint, mais important, que cet organisme administratif est appelé à jouer dans la détermination de questions constitutionnelles:

[TRADUCTION] Le Conseil ne peut se prononcer comme tribunal sur des questions constitutionnelles, mais il a le pouvoir d'entendre une opposition à sa compétence fondé sur des motifs constitutionnels et d'obtenir une décision sur ces motifs, sous forme d'exposé de cause. Je crois que l'art. 46 [Règles de procédure R.R.O. 1960, Reg. 401

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en application de la Labour Relations Act R.S.O. 1960, chap. 202] prévoit tout au plus une procédure par laquelle la compétence du Conseil peut être contestée, mais le Conseil ne peut s'attribuer de compétence par une décision erronée en droit.

Le savant Juge en chef a alors adopté le principe exprimé dans l'arrêt sur les Débardeurs et que j'ai énoncé par renvoi aux motifs du juge Ritchie dans l'arrêt sur les Facteurs, précité. Il a décidé que les employés de Telecom de l'usine de Bramalea travaillaient à la fabrication d'équipements téléphoniques qui devaient être intégrés au réseau de Bell, mais que cette fabrication, par Telecom, à l'intention de Bell, ne faisait pas de la première une partie intégrante de l'entreprise ou ouvrage fédéral qu'est la seconde.

Le savant Juge en chef s'est aussi demandé si la diversité d'employeurs avait pour effet, par elle-même, de soustraire les employés et leurs relations de travail à la compétence fédérale. Il suffit, cela va de soi, de s'arrêter à l'affaire Canadian Pacific Railway Co. v. Attorney-General for British Columbia (l'affaire de l'Empress Hotel), [1950] A.C. 122, pour constater que le critère n'est ni l'organisation, ni la propriété des installations de la compagnie, ni l'identité de l'employeur en tant que compagnie, mais plutôt le rapport entre les services fournis par les employés en cause et l'exploitation de l'entreprise ou ouvrage fédéral. Les cours ont conclu que l'exploitation de l'hôtel Empress n'était pas un élément nécessaire ou intégré de l'exploitation de l'entreprise de chemins de fer du CP. En conséquence, la Haute Cour n'a pas étendu la compétence fédérale en matière de relations de travail aux opérations de fabrication de Telecom, même si Telecom était à ce moment-là une filiale de Bell, exploitant un ouvrage fédéral reconnu, et si la plus grande partie de la production de Telecom était intégrée à cet ouvrage fédéral.

Il y a eu ensuite le jugement dans l'affaire The Queen v. Ontario Labour Relations Board, Ex parte Northern Electric Co. Ltd., précitée, par laquelle le juge Lacourcière, alors juge de la Haute Cour, a conclu que les relations 'de travail entre Telecom et les installateurs de la région de l'Ouest relevaient de la compétence fédérale. Il s'agissait

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alors de décider, comme en l'espèce, si l'installation de cet équipement spécialisé de commutation et de transmission constituait l'élément final de commercialisation de cet équipement après sa fabrication par Telecom ou s'il s'agissait de l'élément initial du réseau de télécommunications interprovinciales appartenant à Bell. Le juge Lacourcière a conclu qu'il s'agissait plutôt de celui-ci, même si les installateurs appartenaient à une unité comprise dans la division des services de commercialisation de Telecom. Après avoir mentionné l'arrêt sur les Débardeurs, il dit aux pp. 669, 670 et 671:

[TRADUCTION] Il ne peut y avoir de doute que les sociétés de téléphone, de télégraphe et de télécommunication ne pourraient pas fonctionner sans leurs installations initiales, ni sans l'amélioration, l'accroissement et le prolongement continuels de celles-ci. Avec égards, je ne puis accepter la distinction que le Conseil a faite. Il m'apparaît que si une société distincte de débardage dont les employés travaillent à charger et à décharger des marchandises peut être considérée comme partie intégrante et nécessaire, quoique accessoire, d'une société d'expédition, a fortiori une société dont les installateurs réalisent les systèmes exploitables de sociétés de communication doit-elle être dans la même situation. Ces réseaux de communication ne pourraient exister sans la fabrication et l'installation de ces systèmes.

[…]

Les rapports entre le service d'installation de Northern Electric Co. Ltd. et la compagnie de téléphone Bell sont tels que je dois conclure que, tout compte fait, la première constitue une partie intégrante et un accessoire nécessaire de la seconde.

En 1971, le juge Casey de la Cour d'appel du Québec est arrivé à la même conclusion dans l'arrêt Northern Electric Co. Ltd., précité, à la p. 6:

[TRADUCTION] Selon moi, le fait que Bell fasse faire toute son installation par les employés d'une filiale à part entière ne soustrait pas ces employés à la compétence fédérale.

Les juges Rinfret et Turgeon sont arrivés à la même conclusion dans des motifs distincts.

J'aborderai maintenant le dossier soumis au Conseil pour ce qui a trait à la nature du travail fait par les installateurs et aux services rendus par eux pour le compte de Telecom à Bell et aux

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autres clients de Telecom. Dans la preuve soumise par toutes les parties, personne ne conteste que Bell, pour le réseau de télécommunications qu'elle exploite, a passé des contrats ou d'autres arrangements avec Telecom pour la fourniture d'équipement pour la commutation des communications véhiculées par le réseau et pour la transmission de ces communications. Le travail des installateurs consiste à installer cet équipement dans le réseau de télécommunications. Les installateurs travaillent dans les locaux de Bell, ou de ses filiales, et, pour une part beaucoup moins grande de leur temps, chez d'autres clients de Telecom; ils travaillent quelquefois dans les locaux de clients de Bell. Donc les installateurs travaillent en pratique presque toujours pour Telecom dans des locaux qui ne sont pas ceux de l'employeur. L'équipement fabriqué par Telecom l'est par d'autres employés et les installateurs n'ont pas de contacts avec eux. Il arrive bien entendu que l'équipement installé dans le réseau de télécommunications de Bell provienne d'autres manufacturiers que Telecom, mais il est installé par les installateurs de Telecom selon les arrangements précités intervenus entre Bell et Telecom.

Pour faire l'installation de cet équipement spécialisé, Bell débranche le secteur des réseaux où l'installation doit avoir lieu avant que celle-ci ne commence. Quand l'équipement a été assemblé et installé, la commutation ou raccordement qui fait entrer l'équipement en fonctionnement dans le réseau de Bell est fait par les employés de celle-ci. Après son installation, l'équipement est entretenu par les employés de Bell et non par les installateurs, ni aucun autre employé de Telecom, sauf pour certains contrats de réparations précis qui n'équivalent pas, de l'avis de toutes les parties, â l'entretien du réseau par ces installateurs. Il est inutile, pour trancher les questions soulevées dans le présent pourvoi, d'étudier plus précisément la nature de l'équipement ainsi installé ou le rôle de cet équipement dans le réseau de télécommunications de Bell. La quantité d'équipement fourni par Telecom et installé par ses installateurs ressort de la citation suivante tirée des motifs du juge en chef Thurlow [à la p. 193] qu'aucun des avocats des parties n'a contestée en cette Cour:

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Bell achète 90% de son matériel de commutation et de transmission à Telecom Canada qui installe pour Bell 95% de tout le matériel de ce genre acheté par celle-ci. Le travail d'installation effectué pour Bell compte pour 80% du travail des installateurs de Telecom Canada.

Nous n'avons pas à nous demander si les installateurs en cause forment vraiment une unité de négociation collective; nous nous préoccupons seulement de la nature des services rendus par ces employés de Telecom dans leur travail en rapport avec le réseau de télécommunications de Bell. Nous n'avons pas non plus à nous préoccuper des conséquences pratiques de l'attribution de ces relations de travail à la compétence fédérale ou à la compétence provinciale. En pratique, cela ne tire peut-être pas à conséquence puisque, comme nous l'avons vu dans l'historique des présentes procédures et des procédures qui y sont reliées, les relations de travail des installateurs ont été tantôt attribuées à la compétence fédérale, tantôt à celle de la province de Québec ou encore à celle de la province de l'Ontario et conduites selon les lois du Canada, du Québec ou de l'Ontario. Il faut aussi signaler que l'identification de l'autorité compétente appropriée à l'égard de ces relations employeur-employés ne dépend pas d'un examen microscopique de la grande quantité de détails fournis dans la description des pratiques quotidiennes de travail des installateurs au moment où ceux-ci assurent à Bell la prestation des services fournis par Telecom dont il a été fait mention plus tôt. Nous devons plutôt trancher la question posée par le présent pourvoi en fonction d'une étude globale du dossier, des pièces comme des dépositions, afin de décider si les installateurs font, par leur travail, partie intégrante de l'exploitation d'une entreprise fédérale, c'est-à-dire le réseau de télécommunications de Bell ou s'ils ne rendent pas plutôt des services qui constituent la dernière étape de fabrication par Telecom de ses équipements spécialisés de commutation et de transmission.

Il peut être utile de s'écarter de la description générale du travail des installateurs sur le réseau de Bell et de citer quelques extraits des témoignages.

[page 761]

M. Stephen, témoin cité par Telecom, a répondu ceci à propos des essais de l'équipement lors de l'installation faite par Telecom:

[TRADUCTION] R. Bien, tout le travail, y compris les essais, est fait dans les locaux du client.

Q. Pendant ces essais, fait-on usage du réseau, du réseau téléphonique du client?

R. Ah non. Non. Nous ne faisons pas d'essais du réseau du client. Nous ne faisons que l'essai de, dans ce cas-ci, la division générale de commutation, nous faisons l'essai de l'équipement que le client utilisera pour exploiter son réseau.

Q. Y a-t-il des essais du réseau et qui les fait?

R. Le client fera tous les essais du réseau. Lors de la mise en service d'un nouveau central ou de l'addition à un central, les essais de réseau consistent à essayer les lignes de jonction qui relient un central à un autre. Ils sont faits par la société de téléphone.

On a aussi questionné M. Stephen au sujet de la méthode utilisée pour faire l'installation pendant que le réseau téléphonique continue de fonctionner:

[TRADUCTION] Q. Pendant ces essais, y a-t-il de l'activité sur le système, sur le réseau que ...

R. Bon, je devrais être très clair sur la façon de répondre à ceci: il y a de l'activité sur le réseau. Nous . . . une partie du réseau est mise hors service. L'artère micro-onde peut comporter cinq, six ou sept voies, voies radio. Une de ces voies est alors retirée du service. Nous y travaillons. Les autres, c'est-à-dire s'il y en a six, une d'elles a été retirée du service, les cinq autres fonctionnent et acheminent du trafic réel. La sixième, celle sur laquelle nous travaillons, n'achemine pas de trafic réel. Après que nous en avons terminé, elle est rendue ou remise au client. Elle est alors utilisée pour le trafic réel à nouveau. Ainsi le réseau continue de fonctionner, mais la voie sur laquelle nous travaillons ne fonctionne pas.

Q. Et qui la retire du circuit?

R. Ah, c'est toujours la société de téléphone. Toutes les fois que nous travaillons sur l'équipement, l'équipement radio, il faut que le personnel de la société de téléphone soit là. Il le retire du service et le remet en service une fois que nous l'informons que l'équipement a subi des essais et qu'il fonctionne normalement. Nous ne le retirons jamais du service; c'est aussi vrai pour l'équipement

[page 762]

de commutation générale. Si nous devons modifier des appareils déjà en service, ils en sont retirés par la société de téléphone et remis en service par la société de téléphone après que nous avons fait notre travail. Nous ne modifions jamais le réseau d'un client de façon intentionnelle.

On notera que d'après cette déposition faite pour le compte de Telecom, il y a une intégration très grande et parfaitement réglée des services rendus par les installateurs et de l'acceptation de ces mêmes services par les employés de Bell dans le réseau de télécommunications, sans interruption du fonctionnement de ce réseau.

La difficulté que comporte l'interprétation des détails de ce témoignage peut s'illustrer par le témoignage, pour le compte du STCC, de M. Gauthier, qui est installateur. Il s'est référé au témoignage de M. Stephen, dont j'ai déjà cité un extrait, puis il a ajouté:

[TRADUCTION] R. ... Il [M. Stephen] a raison de dire que nous ne retirons pas du service de l'équipement en marche, mais j'aimerais ajouter, sans le consentement du client. Il existe une procédure très stricte à ce sujet que le client, et je voudrais l'expliquer pour toutes les parties. Elle est faite, cette procédure d'opération, avant que le travail ne commence, le surveillant de Northern Telecom, le contremaître du central téléphonique de Bell et celui du trafic se réunissent et font la liste de tout l'équipement qui sera touché; s'il y a un réaménagement, l'équipement à retirer du service, et ils nous donnent ensuite l'autorisation de retirer du service une partie de l'équipement à un moment ou un jour précis. Quant à moi, je devrai, dans quelques semaines, retirer des équipements du service. J'aurai ce pouvoir. Il relèvera entièrement de moi de choisir quel équipement je retirerai du service pour la durée nécessaire pour faire la modification. C'est peut-être une raison pour laquelle il n'y a pas d'employés de Bell à ce moment-là, parce que nous ne travaillons pas aux mêmes heures qu'eux. Mais du moment que la société de téléphone, le client convient que j'ai tant d'émetteurs à modifier et que je puis les modifier un à la fois, je puis moi-même le retirer du service, le réparer, le vérifier et m'assurer qu'il est remis en service et en état de bon fonctionnement.

[page 763]

Q. Par exemple ... ainsi quand vous commencez ... êtes-vous au fait de l'arrangement appelé M.O.P. pris avec Bell Canada, qui indique ce que vous êtes censé faire et ce que vous pouvez faire et à quels moments?

R. Oui. Le trafic a une très haute priorité sur cet équipement. Ils ne veulent pas que nous commencions à retirer de l'équipement du service parce que, selon leur trafic, ils ont besoin de tout l'équipement disponible, et le plus tôt possible, c'est le but de cet arrangement. Et il est très strict.

Les parties ont naturellement tiré des conclusions opposées de ces témoignages dont on ne peut dire qu'ils donnent lieu, par eux-mêmes, à une divergence quant aux faits. L'extrait suivant de l'argumentation présentée au Conseil canadien des relations du travail par Me LeBel, avocat du STCC, peut donner une idée des arguments de Telecom d'une part et du STCC d'autre part:

[TRADUCTION] Tout ce que ce procédé souligne c'est exactement ce dont je parle, le lien matériel et opérationnel étroit entre les installateurs et l'exploitation du réseau téléphonique.

[…]

Nous en sommes encore à de l'équipement en état de marche ou partiellement en état de marche qui est temporairement retiré du service ou de l'équipement que nous sommes en train d'essayer pour le remettre en état de marche. Je soutiens que le fait que ce soit la compagnie de téléphone qui fasse le raccordement final ou qui actionne le commutateur n'a pas de conséquence pour ce qui est de décider de l'attribution de compétence constitutionnelle.

[…]

Encore une fois, de quelque façon qu'on le fasse, cela démontre que les deux groupes, les deux opérations ne sont pas distinctes, ils doivent travailler ensemble, très étroitement ensemble. En réalité, ils travaillent très étroitement ensemble.

D'autre part, l'avocat de Telecom a carrément soutenu que les installateurs ne travaillent pas sur le réseau de télécommunications comme tel, mais livrent simplement et mettent en état de marche de l'équipement spécialisé de communication qu'ils remettent aux employés de Bell qui, eux, font la commutation ou le raccordement final pour le mettre en marche dans le réseau. Le Conseil dit expressément ceci dans sa décision, sous forme de

[page 764]

commentaire relativement à cette déposition détaillée, qui n'a pas été contestée:

Le problème de la qualification à des fins constitutionnelles dépend du point de vue sur lequel on insiste: soit sur l'installation et la vérification en tant que première étape de la création, de l'entretien et de l'exploitation d'une entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale, soit sur la dernière étape de la fabrication et de la livraison de produits spécialisés (et garantis), produits dont la livraison est acceptée lorsqu'il est établi qu'ils fonctionnent convenablement. Les couleurs d'un tableau varient selon l'angle sous lequel on les regarde. [Extrait déjà cité de la p. 90 et répété ici pour plus de commodité.]

Après un long examen du dossier et des arguments qui lui ont été soumis, le Conseil a conclu [à la p. 90] :

Après avoir examiné l'ensemble de la preuve écrite et orale, nous en venons à la conclusion que les installateurs de la région de l'Est ne sont pas employés dans le cadre d'une entreprise fédérale ... nous estimons que les fonctions des installateurs de la région de l'Est comprennent essentiellement l'installation et la fabrication de certaines composantes du réseau téléphonique national et international de Bell Canada.

Comme je l'ai déjà signalé, le Conseil a fondé cette décision sur «la présomption implicite que la constitution favorise plutôt la compétence provinciale».

La Cour d'appel fédérale, je l'ai déjà dit, est arrivée à la conclusion opposée à partir de la même preuve. Voici ce qu'écrit le Juge en chef [aux pp. 201 et 202] :

Selon moi, le lien étroit qui existe entre Bell et Telecom Canada a très peu d'importance.

[…]

Mais l'élément de cette affaire qui me semble revêtir la plus grande importance et qui tend à démontrer de façon concluante que la compétence est fédérale, c'est le fait que les installateurs, tous les jours, durant 80% de leurs heures de travail, participent à une entreprise fédérale dont la nature même exige un programme permanent de réaménagement, de rénovation, de mise à jour et d'extension de son système de commutation et de transmission ainsi que l'installation du matériel de télécommunication conçu pour satisfaire à ce besoin.

[page 765]

La phrase suivante exprime l'essence de l'avis concordant du juge Le Dain à la p. 203:

... l'installation est reliée très intimement et d'une façon très complexe au fonctionnement du matériel de télécommunication qui constitue l'essence même de l'entreprise de Bell.

La répartition constitutionnelle de ces relations a été soumise aux commissions de relations de travail et aux tribunaux depuis presque quarante ans, mais de façon plus intense au cours des vingt dernières années. Le Conseil fédéral n'est pas toujours arrivé à la même conclusion sur la question. Les commissions provinciales se sont de façon constante déclarées compétentes. L'employeur a adopté tantôt une position tantôt l'autre. Les syndicats ont adopté des positions tactiques à mesure que les procédures administratives et judiciaires progressaient. Les tribunaux ont de façon constante conclu à la compétence fédérale. Je veux parler des décisions de la Haute Cour de l'Ontario et de la Cour d'appel du Québec déjà citées et du jugement de la Cour d'appel fédérale en l'espèce. Dans l'arrêt de 1963, précité, le juge en chef McRuer ne visait pas les installateurs particulièrement et il se peut même que la Cour n'ait pas été consciente de leur existence à ce moment. Cette décision porte sur une usine.

Bell exploite une entreprise fédérale principale, c.-à-d. un réseau de télécommunications interprovinciales. Telecom installe de l'équipement intégré à ce système. Le juge Dickson, dans l'arrêt Telecom de 1980, précité, indique les étapes à suivre pour déterminer la compétence constitutionnelle appropriée, à la p. 133:

En l'espèce, il faut d'abord se demander s'il existe une entreprise fédérale principale et en étudier la portée. Puis, il faut étudier l'exploitation accessoire concernée, c.-à-d. le service d'installation de Telecom, les «activités normales ou habituelles» de ce service en tant qu'«entreprise active» et le lien pratique et fonctionnel entre ces activités et l'entreprise fédérale principale.

En 1970, le juge Lacourcière dans l'arrêt Northern Electric, précité, a étudié un volumineux dossier; il a appliqué le critère de l'arrêt sur les Débardeurs,

[page 766]

précité, et a conclu à la compétence du Conseil fédéral. Dans les procédures présentes, le Conseil a dit [à la p. 89]:

Y a-t-il une différence entre la situation actuelle et celle de 1970? Très peu.

Les rapports sociaux et le degré d'intégration entre le client et le fournisseur (Bell et Telecom) ont diminué au début des années 1970, comme je l'ai déjà souligné. Les rapports sociaux ne sont pas, à eux seuls, un facteur décisif et, de toute façon, ils ont diminué d'importance par suite de la réduction de la participation indirecte de Bell dans Telecom, après 1973. Dans certaines circonstances, ils pourraient constituer un élément décisif pour déterminer si la preuve en cause révèle des relations formelles ou réelles entre l'employeur et les employés ou entre l'employeur et le client. A la lumière de l'ensemble de la preuve et des circonstances de l'espèce, je ne puis conclure que les rapports sociaux entre Bell et Telecom aient une incidence sur l'issue du présent pourvoi.

Nous n'avons pas à nous préoccuper des petites différences entre les fonctions des installateurs et celles des employés du même type chez Bell, mais plutôt des relations d'ensemble entre le travail des installateurs dans l'exploitation de la filiale et dans la marche de l'entreprise principale. Avec égards pour ceux qui, au cours des longues années pendant lesquelles le processus a duré, sont venus à la conclusion contraire, après examen du dossier soumis à cette Cour, je suis d'avis que l'application de la ratio decidendi de l'arrêt sur les Débardeurs, précité, et les critères de détermination de la classification constitutionnelle appropriée énoncés par cette Cour dans l'arrêt Telecom de 1980, précité, conduisent inévitablement à l'attribution des relations de travail de ces employés de Telecom à la compétence fédérale. Comme le dit le juge Beetz dans l'arrêt Montcalm, précité aux pp. 768 et 769:

... uniquement s'il est démontré que la compétence du fédéral sur ces matières fait intégralement partie de cette compétence fédérale . . .

J'ai déjà relaté les faits sous forme d'extraits des témoignages, de citations de la décision du Conseil ou des motifs des jugements des cours d'instance inférieure. L'intégration presque totale du travail quotidien des installateurs aux tâches d'établissement

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et d'exploitation du réseau de télécommunications fait du travail d'installation un élément intégral de l'entreprise fédérale. Les équipes d'installation travaillent la plupart du temps dans les locaux occupés par le réseau de télécommunications. L'agrandissement, l'expansion et l'amélioration du réseau constituent une opération conjointe du personnel de Bell et de celui de Telecom. L'expansion ou le remplacement de l'équipement de commutation et de transmission, qui est en lui-même essentiel à l'exploitation continue du réseau, est intimement intégré aux systèmes de prestation des communications du réseau. Tout ce travail absorbe une très grande proportion du travail des installateurs.

Même si la tentative de définir le travail des installateurs, soit comme la dernière étape de la fabrication, soit comme la première étape de l'exploitation du réseau de communications, simplifie et clarifie manifestement le débat, elle est en partie trompeuse. Si le produit perd son identité opérationnelle par suite de son installation dans un grand système, il n'est probablement pas juste de dire que son intégration au système a trait à sa fabrication. Fabrication comporte ordinairement l'idée de faire un produit à partir de matières premières et de l'amener à un état complètement terminé ou d'assembler des composantes et des sous-unités en un produit fini. En l'espèce, l'équipement de transmission et de commutation est complet en lui-même au moment de sa livraison à Bell ou avant son raccordement au réseau. Le raccordement au réseau constitue simplement la mise en marche du produit fini. Le réseau est incomplet sans le produit, mais le produit est complet sans le réseau. Donc on peut affirmer avec exactitude et logique que l'installation constitue une étape dans l'expansion ou le rétablissement d'une entreprise fédérale, c.-à-d. le réseau actif de télécommunications.

La qualification des services rendus par les installateurs n'est pas un procédé clair et simple qui peut conduire à une réponse unique. D'autres tribunaux sont arrivés à la conclusion opposée à celle à laquelle je suis arrivé avec beaucoup d'hésitations et après avoir bien examiné les arguments proposés à l'appui de leur conclusion. Plusieurs

[page 768]

facteurs me paraissent cependant déterminants. Selon moi, l'attribution de ces relations de travail au domaine fédéral correspond à la nature du travail des employés en cause, au rapport entre leurs services et l'entreprise fédérale, aux réalités géographiques de la portée interprovinciale du travail de ces employés puisqu'elles traversent plusieurs limites provinciales, à l'intégration complète du travail de ces employés et à l'expansion, la rénovation et la modernisation quotidiennes de cette grande entreprise de télécommunication.

Ce résultat découle du fait que les relations de travail en cause, c.-à-d. celles de Telecom et des installateurs de la région de l'Est, qui assurent le lien avec le réseau de télécommunications de Bell, s'étendent à au moins cinq provinces. La compétence d'aucune des provinces ne peut matériellement viser toutes ces relations: Labour Relations Board of New Brunswick v. Eastern Bakeries Ltd., [1961] R.C.S. 72. Quoique ce ne soit pas un facteur qui détermine la compétence constitutionnelle applicable, il est rassurant que le résultat, qui à mon avis est correct en droit, place les installateurs de la région de l'Est sous la même autorité, aux fins des relations de travail, que celle sous laquelle les surveillants des installateurs de Telecom pour la région de l'Ouest ont été placés par suite de l'affaire de 1980. Le résultat coïncide heureusement aussi avec les décisions rendues il y a une dizaine d'années, l'une par le juge Lacourcière et l'autre par la Cour d'appel du Québec, dans les deux affaires Northern Electric, précitées.

Je ne puis conclure ces motifs sans exprimer l'espoir que la fin des présentes procédures marque le terme du défilé jusqu'ici incessant de procédures judiciaires et administratives verbeuses et inutiles. Depuis cinquante ans, tous les législateurs en cause ont voulu que les relations entre employeurs et employés relèvent d'un processus administratif dans lequel des experts choisis à cette fin spécialisée examinent ces questions techniques et résolvent les différends. Les conflits de travail amènent naturellement les parties qui y sont mêlées, tant employeurs qu'employés, à s'engager dans des manoeuvres tactiques, parfois à des fins utiles, parfois dans le seul but de s'opposer et parfois

[page 769]

aussi à des fins destructives. Il est inutile d'essayer de répartir la responsabilité des retards et dépenses inutiles occasionnés par ces opérations complexes; il est encore plus inutile de sermonner les parties et leurs conseillers professionnels chevronnés. Le fait est que le problème, la compétence appropriée quant à l'administration des relations de travail entre Telecom et ses installateurs de la région de l'Est, a maintenant fait l'objet de l'examen approfondi des tribunaux administratifs et judiciaires et il est temps de s'occuper du véritable objet des relations de travail et de la structure administrative établie pour régler ce processus. Je crois que ce sera là le résultat du présent pourvoi.

Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter le pourvoi avec dépens payables par les appelants à l'intimé, le Syndicat des travailleurs en communication du Canada, en cette Cour et dans la cour d'instance inférieure; il n'y aura pas d'adjudication de dépens au procureur général du Canada ni à aucun des intervenants.

Version française des motifs rendus par

LE JUGE DICKSON — J'ai eu l'avantage de lire les motifs de mes collègues les juges Estey et Beetz. Tout comme le juge Beetz, je souscris aux motifs du juge Estey pour autant qu'ils ont trait à la compétence de la Cour d'appel fédérale pour entendre la question soumise par renvoi. Sur le fond, je souscris aux conclusions auxquelles le juge Estey est parvenu.

La question de fond est de savoir si la compétence constitutionnelle à l'égard des relations de travail des installateurs au service de Northern Telecom Canada Limitée («Telecom») appartient au Parlement fédéral ou aux législatures des provinces. Le juge Estey résume, dans ses motifs, l'historique des procédures devant les commissions de relations de travail et les tribunaux. Il y étudie aussi les arrêts suivants de cette Cour: In re the Validity of the Industrial Relations and Disputes Investigation Act (l'affaire des Débardeurs), [1955] R.C.S. 529; Union des facteurs du Canada c. Syndicat des postiers du Canada [1975], 1 R.C.S. 178; Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754. Je n'ai pas besoin de refaire cette étude.

[page 770]

Dans l'arrêt Northern Telecom Liée c. Travailleurs en communication du Canada (Telecom de 1980), [1980] 1 R.C.S. 115, cette Cour a examiné la question de la compétence constitutionnelle à l'égard des surveillants des installateurs de la région de l'Ouest. Le présent pourvoi vise les installateurs de la région de l'Est, mais la question constitutionnelle est la même. Il est reconnu que le réseau de télécommunications de Bell Canada est une entreprise fédérale. La question est de savoir si le service de l'installation de Telecom fait partie intégrante de cette entreprise fédérale. Dans l'arrêt Telecom de 1980, cette Cour a conclu que le dossier était incomplet quant aux faits constitutionnels essentiels. J'y ai énoncé les faits qu'il aurait fallu connaître, en les classant en quatre catégories générales. Le dossier, dans la présente espèce, contient les faits nécessaires et je me propose de les analyser selon les lignes indiquées dans l'arrêt Telecom de 1980.

(1) de la nature générale de l'exploitation de Telecom en tant qu'entreprise active et, en particulier, du rôle du service de l'installation dans cette exploitation;

Telecom est un grand fabricant et fournisseur d'équipement très perfectionné de télécommunications. Il y a quatre groupes de fabrication: 1. le groupe de la commutation; 2. le groupe de la transmission; 3. le groupe des câbles; 4. le groupe de l'équipement d'abonnés. Les installateurs appartiennent au groupe de la commutation et à celui de la transmission. Toutefois les installateurs sont assez distincts, pour ce qui est de leurs fonctions, du reste des opérations de Telecom. Les installateurs n'ont aucun rôle dans la fabrication comme telle de l'équipement. Ils ne travaillent jamais dans les locaux de Telecom; ils travaillent dans les locaux de leurs clients. Quant à Bell Canada, l'installation se fait principalement dans ses locaux mêmes et non chez ses clients. Les installateurs de Telecom installent l'équipement nécessaire aux opérations du réseau en général qui n'est pas de l'équipement utilisé par l'abonné ordinaire. Les installateurs installent ordinairement de l'équipement de Telecom, mais ils peuvent installer et installent effectivement quelquefois de l'équipement fabriqué par d'autres sociétés. Les installateurs n'ont aucun contact véritable avec les autres opérations de Telecom. Les opérations principales

[page 771]

de fabrication de Telecom tombent, de l'aveu des parties, sous la compétence provinciale, mais il n'y a absolument rien d'artificiel à conclure que les installateurs de Telecom relèvent d'une compétence constitutionnelle différente.

(2) de la nature du lien entre Telecom et les sociétés avec lesquelles elle fait affaires, notamment Bell Canada;

Northern Telecom Canada Limitée est une filiale à part entière de Northern Telecom Limitée, dont Bell Canada possède 60,5 pour 100 des actions. La part de propriété de Bell Canada est moindre que ce qu'elle était auparavant, mais Bell Canada garde et à l'intention de garder le contrôle de Telecom. Les liens sociaux ne sont pas déterminants pour décider la compétence constitutionnelle (Telecom de 1980, à la p. 134), mais le fait que Bell Canada contrôle Telecom permet, d'une certaine façon plus facilement, de conclure qu'un secteur des activités de Telecom fait partie intégrante de celles de Bell Canada.

(3) de l'importance du travail effectué par le service de l'installation de Telecom pour Bell Canada, en comparaison avec ses autres clients;

En Cour d'appel fédérale, le juge en chef Thurlow, a résumé ainsi la situation sur ce point [[1982] 1 C.F. 191, à la p. 199]:

Bell achète 90% de son matériel de commutation et de transmission à Telecom Canada qui installe pour Bell 95% de tout le matériel de ce genre acheté par celle-ci. Le travail d'installation effectué pour Bell compte pour 80% du travail des installateurs de Telecom Canada.

Les relations entre Telecom et Bell Canada constituent la part prédominante du travail des installateurs et, sous ce rapport, elles satisfont au critère de compétence fédérale énoncé dans les arrêts Union des facteurs, précité, et Montcalm Construction, précité. Le travail des installateurs pour le compte de Bell Canada n'est ni exceptionnel ni occasionnel.

(4) du lien matériel et opérationnel entre le service de l'installation de Telecom et l'entreprise fédérale principale dans le réseau téléphonique et, en particulier, de l'importance de la participation du service de l'installation à l'exploitation et à l'établissement de l'entreprise fédérale en tant que méthode de fonctionnement.

[page 772]

Ce facteur est certainement le plus important pour savoir qui du Parlement fédéral ou de la législature provinciale a la compétence constitutionnelle. Il y a évidemment des liens entre les installateurs de Telecom et Bell Canada, l'entreprise fédérale principale, mais sont-ils suffisants pour renverser la présomption selon laquelle les relations de travail relèvent de la compétence provinciale?

Les appelantes ont soutenu que le travail des installateurs n'est que la dernière étape de la fabrication; l'installation n'est que la livraison effective. Le fait que l'installation d'un équipement complexe ne soit pas une tâche simple et exige un grand nombre d'essais sur place ne crée pas de différence. Il faut observer que les essais portent principalement sur le système en cours d'installation et ne visent pas normalement l'essai de l'ensemble du réseau de Bell. On a aussi admis qu'une fois l'installation terminée, l'équipement est confié aux employés de Bell Canada qui se chargent de son entretien normal. On a soutenu que les installateurs font essentiellement du travail de construction qui, selon l'arrêt Montcalm, précité, relève de la compétence provinciale.

Je conviens que le simple fait que les installateurs fassent les essais sur place n'implique pas, en soi, qu'ils exploitent l'entreprise fédérale. Je conviens également que le fait que l'installation constitue une procédure complexe n'est pas déterminant. Je n'admets pas cependant que le travail des installateurs puisse être défini comme du travail de construction comme dans l'arrêt Montcalm, précité. L'intimé, le Syndicat des travailleurs en communication du Canada, a donné la définition suivante du travail des installateurs:

[TRADUCTION] La presque totalité du travail d'installation accompli par Northern Telecom consiste à réaménager, et à moderniser et à en augmenter la capacité des installations existantes du réseau de téléphone. Les installateurs de Northern Telecom travaillent dans les centraux et les stations de répéteurs radio couramment exploitées pour améliorer le réseau selon l'évolution des besoins des clients de la compagnie de téléphone. À ce titre, leur travail n'est pas préalable à la mise en place du réseau de téléphone, mais fait plutôt partie de son agrandissement courant et de sa modernisation. Dans la division générale de la commutation, au moins quatre-vingts

[page 773]

à quatre-vingt-dix pour cent du travail effectué par les installateurs porte sur des réaménagements ou des additions à l'équipement actuel de commutation exploité dans les centraux. Les mêmes pourcentages s'appliquent à la division d'installation des transmissions, où les installateurs réaménagent, améliorent et agrandissent la capacité des stations de répéteurs radio existantes.

Il n'y a pas de construction dans le sens de construction qui relèverait, selon l'arrêt Montcalm, de la compétence provinciale. Dans l'arrêt Montcalm, après la fin de la construction de l'aéroport, les ouvriers de la construction n'avaient plus rien à voir avec l'entreprise fédérale. L'exploitation de Bell Canada est très différente. Par sa nature même, le réseau de télécommunication de Bell Canada est constamment l'objet de rénovation, de modernisation et d'expansion. Le réseau de Bell est très automatisé et fait l'objet d'améliorations constantes. Ce sont les installateurs qui remplissent cette tâche. Même si leur emploi ne constitue pas de l'entretien» au sens strict de ce terme, je crois qu'à l'analyse, leur travail est beaucoup plus près de l'entretien que de la construction ordinaire d'une entreprise fédérale. Le travail des installateurs n'est pas antérieur à l'exploitation de l'entreprise de Bell Canada; leur travail fait partie intégrante de l'exploitation de Bell Canada en tant qu'entreprise active. J'ai souligné plus tôt que les installateurs n'ont pas de contact avec les autres employés de Telecom. Par contre, ils ont des contacts et doivent travailler en étroite coordination avec les employés de Bell Canada. Dans ce contexte général, l'installation ne constitue pas la dernière étape de la fabrication. On ne peut même pas vraiment dire non plus que ce soit le début de l'exploitation de l'entreprise fédérale. Elle constitue simplement une partie essentielle du processus d'exploitation. Le travail des installateurs ne représente pas le même genre de participation aux opérations quotidiennes de l'entreprise fédérale que celle qu'on retrouvait dans l'arrêt sur les Débardeurs ou l'arrêt sur les Facteurs, précités, dans le sens que les installateurs de Telecom ne rendent pas de services directement aux usagers de l'entreprise fédérale. Cela ne rend cependant pas le travail des installateurs moins vital pour l'entreprise fédérale.

[page 774]

Je suis d'accord avec la conclusion exprimée par le juge en chef Thurlow de la Cour d'appel fédérale [à la p. 202]:

Mais l'élément de cette afffaire qui me semble revêtir la plus grande importance et qui tend à démontrer de façon concluante que la compétence est fédérale, c'est le fait que les installateurs, tous les jours, durant 80% de leurs heures de travail, participent à une entreprise fédérale dont la nature même exige un programme permanent de réaménagement, de rénovation, de mise à jour et d'extension de son système de commutation et de transmission ainsi que l'installation du matériel de télécommunication conçu pour satisfaire à ce besoin. Compte tenu du fait que 80% du travail effectué par ces installateurs tous les jours est du travail effectué dans l'entreprise de Bell, je suis d'avis que la thèse selon laquelle le fédéral a compétence relativement à leurs relations de travail est fondée et que le Conseil devrait l'exercer en conformité avec les dispositions du Code canadien du travail. D'après moi, le fait que 20% du travail des installateurs n'est pas effectué pour Bell ne modifie pas cette conclusion.

Bien que j'estime que le cas présent est très près de la ligne de démarcation entre les compétences fédérale et provinciale, je suis convaincu que les installateurs relèvent de la compétence fédérale.

Je suis d'avis de rejeter le pourvoi et d'adjuger les dépens comme le fait le juge Estey dans ses motifs.

Version française des motifs des juges Beetz et Chouinard rendus par

LE JUGE BEETZ (dissident) — J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement rédigés par mon collègue le juge Estey.

Je suis d'accord avec ces motifs pour autant qu'ils portent sur la compétence de la Cour d'appel fédérale d'entendre la question soumise par renvoi.

Cependant, avec égards pour ceux qui partagent l'avis contraire, j'en arrive à la conclusion opposée sur le fond.

Dans la région de l'Est, l'employeur et l'Union canadienne des travailleurs en communication (UCTC) ont agi en vertu des lois provinciales de 1945 à 1971, bien qu'en réalité il n'y ait pas eu de distinction entre les employés de la fabrication et les installateurs jusqu'en 1968. Cette année-là, la

[page 775]

Commission des relations de travail de l'Ontario a décidé qu'elle avait compétence sur les installateurs et, en 1969, la Commissaire enquêteur du Québec a exprimé le même avis. La Haute Cour de l'Ontario et la Cour d'appel du Québec ont statué en sens contraire dans les arrêts The Queen v. Ontario Labour Relations Board, Ex parie Northern Electric Co. Ltd., [1970] 2 O.R. 654, et Northern Electric Co. Ltée c. Tribunal du travail du Québec, inédit, n° 13 085, du 25 janvier 1972. Mais comme le soulignent les motifs du Conseil canadien des relations du travail, l'employeur et l'UCTC ont continué d'agir en vertu des lois provinciales malgré ces jugements.

Les lois provinciales ont également été appliquées dans la région de l'Ouest de 1950 à 1970, qu'une distinction ait été faite ou non entre les employés de la fabrication et les installateurs.

Comme les commissions provinciales, le Conseil canadien des relations du travail a beaucoup d'expérience en la matière. Il est le juge des faits. Il n'a pas à réexaminer la preuve, il a l'avantage de l'entendre directement. Il a déjà décidé qu'il n'était pas compétent, en 1958, à l'égard des installateurs de la région de l'Ouest. Lorsqu'il s'est déclaré compétent, en 1974, à l'égard des surveillants des installateurs de la région de l'Ouest, sa compétence n'avait pas été formellement contestée. Cette Cour a jugé que, par ses obscurcissements, l'employeur avait de fait privé le tribunal exercant le contrôle judiciaire des faits constitutionnels nécessaires pour apporter une solution valable à la question constitutionnelle, et elle a rejeté le pourvoi uniquement parce que l'appelante n'avait pas fait la preuve d'une erreur donnant lieu à cassation de la part du Conseil: Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115, ci-après appelé Northern Telecom (N° 1).

En l'espèce, la compétence du Conseil a été formellement contestée et il y a eu une abondance d'éléments de preuve soumis au Conseil ainsi qu'au tribunal exerçant le contrôle judiciaire, pour leur permettre de trancher la question. Le Conseil a agi correctement quant au droit. Il a essentiellement suivi les motifs unanimes de la Cour rédigés par mon collègue le juge Dickson dans l'arrêt Northern Telecom (N° 1).

[page 776]

Les motifs unanimes du Conseil sont publiés à (1980), 41 di 44. Je cite des extraits qu'on trouve aux pp. 88 à 91:

Où en sommes-nous maintenant? À notre avis, nous nous trouvons devant le même problème que celui auquel divers conseils et tribunaux ont eu à faire face dans les années 50, 60 et 70. La principale différence, c'est qu'aujourd'hui, nous pouvons nous appuyer sur les principes de droit constitutionnel qui ont été résumés par la Cour suprême du Canada, principes qui s'appliquent en l'occurrence.

Le Conseil cite ensuite le résumé des principes donnés aux pp. 132 et 135 de l'arrêt Northern Telecom (N0 1) et poursuit:

En tenant compte de ce qui précède, les parties ont présenté leurs éléments de preuve et leurs arguments au Conseil. La thèse du syndicat était basée sur les activités rattachées à l'installation en tant que partie «intégrante» de l'établissement, de la réparation, de l'entretien, de l'expansion et de l'exploitation d'un réseau de télécommunications interprovincial. La thèse de l'employeur a surtout porté sur l'installation comme dernière étape de la livraison de biens manufacturés installés et en tant que service «intégrant» de la fabrication de systèmes complexes dans un secteur qui se transforme rapidement et où le quasi-monopole du marché prescrit des liens étroits entre le manufacturier et un client important comme Bell Canada. La faible marge qui existe entre la préparation de l'exploitation d'un service et l'exploitation même de ce service dans un réseau téléphonique, a constitué le noeud du débat.

[…]

... nous ne pouvons fonder notre décision sur la distinction ténue que l'on peut établir pour savoir si la vérification ou la mise en service d'un réseau téléphonique ou le fait de mettre le contact pour actionner une pièce d'équipement, fait partie de l'exploitation ou de l'entretien ou de la construction d'une section d'un réseau téléphonique.

Y a-t-il une différence entre la situation actuelle et celle de 1970? Très peu. Il y a eu quelques changements dans le nombre d'actions de l'employeur que possède Bell Canada et certains changements dans le partage de la responsabilité et du contrôle de la recherche. Quelques petites modifications ont aussi été apportées à la distribution du produit de l'employeur sur le marché et, bien entendu, celui-ci a procédé à des changements technologiques importants ainsi qu'à une certaine réorganisation administrative. L'employeur considère cela comme une preuve de son évolution ininterrompue et indépendante de celle de Bell Canada.

[…]

[page 777]

Les avocats ont présenté des éléments de preuve et des arguments puissants et détaillés sur le lien qui existe entre l'employeur et cette partie du secteur des télécommunications qui relève de la compétence fédérale. Nous ne pouvons concevoir que les critères essentiels qui disent aux employés et aux employeurs sous quel régime ils peuvent exercer le droit d'association qui leur a été reconnu lorsque le Canada a signé le traité de Versailles et qu'il a ratifié la convention n° 87 de l'Organisation internationale du travail (droit qui est également exprimé dans les lois provinciales et fédérales) puissent dépendre d'un examen aussi détaillé des faits. Si tel est le cas, nous nous permettons de dire que ces critères ont besoin d'être sérieusement repensés par les Cours ainsi que par les hommes politiques.

Après avoir examiné l'ensemble de la preuve écrite et orale, nous en venons à la conclusion que les installateurs de la région de l'Est ne sont pas employés dans le cadre d'une entreprise fédérale. Tout comme le Conseil de l'Ontario en 1969 et le présent Conseil en 1958 (et en 1968 dans RCA Victor Company Ltd., 68 CLLC N° 16040), nous estimons que les fonctions des installateurs de la région de l'Est comprennent essentiellement l'installation et la fabrication de certaines composantes du réseau téléphonique national et international de Bell Canada. Ce travail est important pour Bell Canada. Les composantes sont souvent volumineuses ou importantes et leur quantité exige une attention constante de la part de l'employeur. De plus, on ne peut qualifier d'exceptionnel ni d'occasionnel le rapport entre Bell Canada et l'employeur. Le problème de la qualification à des fins constitutionnelles dépend du point de vue sur lequel on insiste: soit sur l'installation et la vérification en tant que première étape de la création, de l'entretien et de l'exploitation d'une entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale, soit sur la dernière étape de la fabrication et de la livraison de produits spécialisés (et garantis), produits dont la livraison est acceptée lorsqu'il est établi qu'ils fonctionnent convenablement. Les couleurs d'un tableau varient selon l'angle sous lequel on les regarde.

Le critère énoncé dans les arrêts judiciaires ne permet pas de savoir clairement ce qu'est une qualification appropriée. Les faits montrent simplement un tableau en détail ainsi que la variation de ses couleurs par rapport à la position adoptée. Tout comme les conclusions divergentes auxquelles on en est arrivé dans Construction Montcalm Inc. et la Commission du salaire minimum et autres [1979] 1 R.C.S. 754 et Four B Manufacturing Limited c. United Garment Workers of America et autres, 80 CLLC N° 14006 (C.S.), le critère fonctionnel

[page 778]

appliqué aux mêmes faits peut donner lieu à des résultats différents. Après avoir tenu compte du critère que la Cour suprême du Canada a défini et que nous avons formulé à l'égard de la Partie V du Code canadien du travail dans Marathon Realty Company Limited, supra, nous avons conclu que les relations de travail de ces employés étaient réglementées au niveau provincial. En ce qui concerne les relations de travail et le droit constitutionnel, nous considérons l'activité des installateurs comme étant rattachée à la fabrication plutôt que comme une partie intégrante du domaine relevant de la compétence fédérale. Il est indubitable que le service ne peut fonctionner sans l'équipement qu'installent ces employés. On peut aussi dire qu'il ne pourrait fonctionner sans l'annuaire téléphonique. Depuis 1970, cette fonction distincte a été considérée comme relevant de la compétence provinciale.

[…]

... que le produit soit ou non essentiel à l'exploitation de l'entreprise de compétence fédérale ne constitue pas le critère qui permet de déterminer si l'activité qui crée le produit fait partie intégrante de l'activité de l'entreprise fédérale.

Dans la présente affaire, nous avons mis fin à tous nos doutes qui pouvaient subsister en concluant que la constitution favorisait implicitement la compétence provinciale.

Je ne vois aucune erreur dans ces motifs et je suis d'avis que la construction et l'installation de certaines parties d'une entreprise fédérale restent distinctes de l'exploitation de l'entreprise ou, selon les termes employés par mon collègue le juge Dickson dans l'arrêt Northern Telecom (N° 1) à la p. 135, qu'elles ne participent pas «à l'établissement de l'entreprise fédérale en tant que méthode de fonctionnement». (C'est moi qui souligne.)

Je suis aussi d'accord avec l'application faite en l'espèce par le Conseil des principes énoncés dans l'arrêt Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754 et suivis par mon collègue le juge Dickson dans Northern Telecom (N° 1) à la p. 132:

(1) Les relations de travail comme telles et les termes d'un contrat de travail ne relèvent pas de la compétence du Parlement; les provinces ont une compétence exclusive dans ce domaine.

(2) Cependant, par dérogation à ce principe, le Parlement peut faire valoir une compétence exclusive dans ces domaines s'il est établi que cette compétence est partie

[page 779]

intégrante de sa compétence principale sur un autre sujet.

(3) La compétence principale du fédéral sur un sujet donné peut empêcher l'application des lois provinciales relatives aux relations de travail et aux conditions de travail, mais uniquement s'il est démontré que la compétence du fédéral sur ces matières fait intégralement partie de cette compétence fédérale.

(4) Ainsi, la réglementation des salaires que doit verser une entreprise, un service ou une affaire et la réglementation de ses relations de travail, toutes choses qui sont étroitement liées à l'exploitation d'une entreprise, d'un service ou d'une affaire, ne relèvent plus de la compétence provinciale et ne sont plus assujetties aux lois provinciales s'il s'agit d'une entreprise, d'un service ou d'une affaire fédérale.

(5) La question de savoir si une entreprise, un service ou une affaire relève de la compétence fédérale dépend de la nature de l'exploitation.

(6) Pour déterminer la nature de l'exploitation, il faut considérer les activités normales ou habituelles de l'affaire en tant qu'«entreprise active», sans tenir compte de facteurs exceptionnels ou occasionnels; autrement, la Constitution ne pourrait être appliquée de façon continue et régulière.

Puisque la compétence provinciale est la règle et la compétence fédérale l'exception, il incombe à la partie qui invoque l'exception de prouver les faits constitutionnels nécessaires à l'application de cette exception. A défaut d'une telle démonstration, la compétence provinciale exclusive doit s'appliquer.

Au mieux, «des deux positions s'équilibrent» comme le dit le juge Le Dain dans l'arrêt de la Cour d'appel fédérale [1982] 1 C.F. 191, à la p. 203]. Dans ce cas, ce qui devrait rompre l'équilibre ce n'est pas le caractère régulier ou continu du travail des installateurs qu'on ne peut pas assimiler à de l'entretien. Ce n'est pas non plus le fait que le travail des installateurs soit une condition indispensable de l'exploitation de l'entreprise fédérale, ce qui n'en fait pas un élément de cette exploitation. Ce qui doit rompre l'équilibre dans un cas «bien équilibré», c'est, à mon sens, la règle générale de la compétence provinciale.

Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'infirmer la décision de la Cour d'appel fédérale et de répondre par la négative à la question qui lui a été soumise.

[page 780]

Les appelants ont droit aux dépens en cette Cour et en Cour d'appel à l'encontre des intimés. Cependant il ne devrait pas y avoir d'adjudication de dépens pour ou contre les intervenants.

Pourvoi rejeté avec dépens, les juges BEETZ et CHOUINARD sont dissidents.

Procureurs de l'appelante Northern Telecom Canada Limitée: Ogilvy, Renault, Montréal.

Procureurs de l'appelante l'Union canadienne des travailleurs en communication: Robinson, Cutler, Sheppard, Borenstein & Associés, Montréal.

Procureurs de l'intimé le Syndicat des travailleurs en communication du Canada: Jasmin, Rivest, Castiglio & Associés, Montréal.

Procureur de l'intimé le procureur général du Canada: Roger Tassé, Ottawa.

Procureurs du mis en cause le Conseil canadien des relations du travail: Deverell, Harrop, Vancouver.

Procureurs du mis en cause le procureur général du Québec: Boissonneault, Roy & Poulin, Montréal.

Procureur du mis en cause le procureur général de l'Ontario: A. Rendant Dick, Toronto.


Parties
Demandeurs : Northern Telecom
Défendeurs : Travailleurs en communication
Proposition de citation de la décision: Northern Telecom c. Travailleurs en communication, [1983] 1 R.C.S. 733 (23 juin 1983)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1983-06-23;.1983..1.r.c.s..733 ?
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