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17/05/1983 | CANADA | N°[1983]_1_R.C.S._641

Canada | Engineered Homes Ltd. c. Mason et autres, [1983] 1 R.C.S. 641 (17 mai 1983)


Cour suprême du Canada

Engineered Homes Ltd. c. Mason et autres, [1983] 1 R.C.S. 641

Date: 1983-05-17

Engineered Homes Ltd. Appelante;

et

John Mason, és qualité de syndic à la faillite de Juniper Lands Limited, faillie, et ledit John Mason, et Donald J. Henfrey, David M. Korbin et E. Michael McMahon Intimés.

N° du greffe: 16843.

1982: 30 novembre; 1983: 17 mai.

Présents: Les juges Ritchie, Dickson, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

POURVOI à rencontre d’un arrêt

de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (1981), 31 B.C.L.R. 88, qui a accueilli l’appel d’un jugement du juge Gou...

Cour suprême du Canada

Engineered Homes Ltd. c. Mason et autres, [1983] 1 R.C.S. 641

Date: 1983-05-17

Engineered Homes Ltd. Appelante;

et

John Mason, és qualité de syndic à la faillite de Juniper Lands Limited, faillie, et ledit John Mason, et Donald J. Henfrey, David M. Korbin et E. Michael McMahon Intimés.

N° du greffe: 16843.

1982: 30 novembre; 1983: 17 mai.

Présents: Les juges Ritchie, Dickson, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

POURVOI à rencontre d’un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (1981), 31 B.C.L.R. 88, qui a accueilli l’appel d’un jugement du juge Gould. Pourvoi accueilli.

J. Edgar Sexton, c.r., et Brian S. Morgan, pour l’appelante.

John Laxton et Eric Rice, pour les intimés.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE MCINTYRE — Il s’agit d’un pourvoi à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (composée des juges Hutcheon, Lambert et Seaton, ce dernier étant dissident) qui avait accueilli l’appel d’un jugement qui avait condamné les intimés (défendeurs) à payer à l’appelante (demanderesse) la somme de 52 500 $ avec les intérêts courus avant le jugement, en tant que somme qui appartient à l’appelante et qui a été illégalement détournée.

À mon avis, l’affaire dépend des faits et des conclusions qu’en ont tirées le tribunal de première instance et la Cour d’appel, et il faut par consé-

[Page 643]

quent les exposer en détail. Avant 1976, une société appelée Juniper Lands Limited («Juniper Lands») s’était lancée dans un important projet d’aménagement foncier dans les environs de Kamloops en Colombie-Britannique. L’appelante, Engineered Homes Ltd., était une des trois entreprises de construction dont les services avaient été retenus pour la construction des maisons de cet ensemble qui devait être exécuté en trois étapes. Tout le projet devait être financé par Capital Funds (IAC) Ltd., ci-après appelée «IAC», qui détenait à titre de garantie des hypothèques sur les biens-fonds. Juniper Lands a été mise en faillite en 1975. En conséquence, IAC a fait saisir les biens-fonds et est devenue ainsi titulaire non seulement des droits de Juniper Lands mais également des droits des trois entreprises de construction, y compris l’appelante, sur ces biens-fonds. Les trois sociétés de construction ont intenté des poursuites contre Juniper Lands et IAC.

Au mois d’avril 1976, une convention a été conclue entre Engineered Homes, les deux autres sociétés de construction, IAC et l’intimé Mason qui était le syndic à la faillite de Juniper Lands. Cette convention, appelée «la convention principale», a mis fin au litige et a permis de poursuivre la construction sous la surveillance de Mason qui agissait comme fiduciaire à titre distinct de son titre de syndic à la faillite. Un prêt de 1 500 000 $ consenti par la Banque Royale du Canada au fiduciaire a assuré le financement nécessaire. La convention principale est un document long et compliqué. Elle prévoit que le projet original devait être réalisé et que, par la construction et la vente de maisons sur les différents terrains, les dettes accumulées pourraient être remboursées, que les droits des constructeurs seraient protégés et qu’il resterait des sommes pour l’actif de la faillite. Suivant les termes de la convention, chacun des trois entrepreneurs a convenu d’acheter, au prix de 15 000 $ chacun, quatorze lots des biens-fonds subdivisés à la condition que les deux premières étapes du projet de construction soient en bonne partie complétées. Le prix d’achat devait être payé par un versement de 25 p. 100 ou 3 750 $ comptant au syndic en fiducie en vertu de la convention pour IAC, et pour le solde, par une hypothèque de 11 250 $ accordée au syndic. Quand elle recevait

[Page 644]

le paiement de 3 750 $, IAC devait céder le lot à l’acheteur sous réserve d’une hypothèque au syndic comme garantie du solde impayé.

Au mois de juin 1977, au cours d’une réunion à laquelle assistaient les mandataires des trois sociétés de construction, Mason a indiqué que des sommes d’argent importantes représentant des honoraires et des débours étaient dues à sa société, une société de comptables composée de lui-même et des autres personnes intimées, et que sa société ne pouvait plus assurer le fonctionnement du bureau des ventes et la présence sur le lotissement d’un employé à plein temps chargé de promouvoir les ventes. Un mandataire de l’appelante a demandé à Mason s’il serait de quelque utilité que l’appelante achète quatorze lots plus tôt qu’elle n’était tenue de le faire en vertu de la convention principale. Mason a répondu par l’affirmative. En conséquence, quelque temps après, le 29 juin 1977, l’appelante a fait parvenir à Mason un chèque payable à son ordre en sa qualité de fiduciaire au montant de 52 500 $, soit 25 p. 100 du prix de vente de quatorze lots. Le chèque était accompagné d’une lettre rédigée comme suit:

[TRADUCTION] OBJET: JUNIPER LANDS — ENGINEERED HOMES LTD.

Ci-joint notre chèque au montant de 52 500 $ représentant le paiement de 25 % de Engineered Homes Ltd. relativement à l’achat des 14 lots de la phase 1A. Cette somme est versée conformément à la convention générale intervenue entre Engineered Homes et autres et vous-même en honoraires.

Nous espérons recevoir les documents en temps utile.

Toutes les parties sont d’accord que le mot «honoraires» qui figure à la fin du premier alinéa a été écrit par erreur à la place du mot «fiducie». Mason n’a pas déposé le chèque dans le compte en fiducie concernant la faillite de Juniper Lands, ni dans un compte réservé au projet d’aménagement foncier. Le chèque a été endossé par Mason et versé dans le compte général de sa société de comptables au crédit des honoraires et des débours de la société pour ses services relativement au projet d’aménagement foncier. La somme n’a jamais été envoyée à IAC comme le prévoyait la convention principale.

[Page 645]

Au mois d’août 1977, quelque deux mois plus tard, l’appelante a adressé à Mason une lettre qui disait:

[TRADUCTION] Objet: Juniper Lands

Puisque nous avons payé 25 % du prix de vente de 14 lots de la phase 1A du projet de Juniper Lands, auriezvous l’obligeance de nous transmettre les titres de propriété conformément aux conditions de la clause e du paragraphe 11, page 17, de la convention principale.

La clause e du paragraphe 11 dont il est question dans la lettre se lit:

[TRADUCTION]

e) Sous réserve de ce qui précède, le titre de propriété de chaque lot de la phase Un A doit être remis aux sociétés de construction ou à leurs ayants droit à la condition de consentir au syndic, en échange de chacun de ces droits d’achat, une hypothèque en garantie du solde de ONZE MILLE DEUX CENT CINQUANTE DOLLARS (11 250 $) dû et payable dans les deux (2) ans à compter de la date à laquelle sont versées les sommes mentionnées à la clause d) ci-dessus; et l’intérêt sur le solde court et est payable tous les trois mois au taux de douze pour cent (12 %) l’an pour la première année, de dix-huit pour cent (18 %) l’an pour les six (6) mois suivants et de vingt-quatre pour cent (24 %) pour les six derniers mois. Sur paiement, par une société de construction, du solde dû sur une hypothèque sans avis ou indemnité, la société de construction aura droit à un escompte de six et un quart pour cent (6,25 %) du capital de ONZE MILLE DEUX CENT CINQUANTE DOLLARS (11 250 $) à la date du remboursement de l’hypothèque, mais cet escompte ne vaudra que pour les hypothèques remboursées-avant la fin de la première année.

La demande formulée dans la lettre du mois d’août 1977 a été transmise à IAC, mais IAC n’a pas offert de transmettre les titres afférents à ces lots avant le mois d’août 1978. La valeur marchande de chacun de ces lots était alors tombée à 8 000 $, moins de 75 p. 100 du prix d’achat initial de 15 000 $. L’appelante a alors refusé d’accepter la remise des titres. Au mois de janvier 1979, la Banque Royale et IAC ont saisi les immeubles hypothéqués, qui ont été vendus par ordonnance judiciaire, et l’appelante ne peut plus obtenir les droits de propriété de ces immeubles.

[Page 646]

L’appelante a intenté des procédures contre Mason, en sa qualité de syndic à l’actif de la faillie Juniper Lands, et contre Mason et ses associés de la société de comptables, les personnes intimées, et a réclamé le remboursement de la somme de 52 500 $ détournée illégalement, et a réclamé à titre subsidiaire des dommages-intérêts pour inexécution de contrat. En première instance, le juge Gould a rendu jugement en faveur de l’appelante pour la réclamation fondée sur le détournement et a tenu les défendeurs personnellement responsables conjointement et solidairement du paiement de la somme de 52 500 $ et des frais. La Cour d’appel à la majorité a accueilli la défense d’irrecevabilité soulevée par les intimés. Elle a conclu que l’appelante avait avancé la somme de 52 500 $ pour que Mason continue à dispenser ses services, que Mason avait continué à les dispenser et avait subi ainsi des débours supplémentaires d’environ 29 000 $, et que l’appelante ne pouvait en conséquence exiger le respect de ses droits stricts en vertu de la convention. L’appel a été accueilli en conséquence. Le juge Seaton, dissident, était d’avis de rejeter l’appel. Il n’a pas contesté les propositions juridiques de la majorité, mais il était d’avis que la preuve faite en l’espèce ne permettait pas de conclure à l’irrecevabilité, que le juge de première instance avait fait des constatations reposant sur une appréciation de la preuve qu’il n’y avait pas lieu de modifier et qu’aucune irrecevabilité ne pouvait être fondée sur ces constatations.

Devant cette Cour, l’appelante fait valoir que la Cour d’appel a conclu à tort que la preuve faite en première instance permettait de soulever l’irrecevabilité, et elle fait valoir que les exigences de preuve pour établir l’irrecevabilité n’ont pas été remplies. Les conditions permettant d’invoquer avec succès une défense fondée sur l’exception de promesse sont commodément énoncées dans Halsbury’s Laws of England (4e éd.), vol. 16, par. 1514:

[TRADUCTION] 1514. Exception de promesse. Lorsqu’une partie, par ce qu’elle a dit ou ce qu’elle a fait, a fait à l’autre partie une promesse ou lui a donné une assurance claire et non équivoque visant à modifier les rapports juridiques entre elles avec l’intention que l’on s’y fie, alors, une fois que l’autre partie s’est fiée à sa parole et a agi en conséquence, on ne peut par la suite

[Page 647]

permettre à la partie qui a fait la promesse ou donné l’assurance de revenir à leur situation juridique antérieure comme si elle n’avait pas fait cette promesse ou donné cette assurance; elle doit accepter leurs rapports juridiques avec les restrictions qu’elle y a elle-même apportées. Cette théorie, qui découle d’un principe & equity énoncé en 1877, a beaucoup progressé récemment et progresse toujours. Elle diffère de l’irrecevabilité en raison de la conduite en ce qu’il n’est pas nécessaire que l’élément auquel on se fie porte sur un fait matériel.

Parmi les arrêts de cette Cour qui portent sur cette question, citons Conwest Exploration Company Limited v. Letain, [1964] R.C.S. 20, et John Burrows Ltd. v. Subsurface Surveys Ltd., [1968] R.C.S. 607, dans lequel le juge Ritchie, qui a prononcé les motifs de la Cour, a cité à la p. 615 le jugement de lord Denning dans l’arrêt Combe v. Combe, [1951] 1 All E.R. 767:

[TRADUCTION] Dans l’arrêt Combe v. Combe, lord Denning a reconnu que certaines personnes avaient considéré sa décision dans l’affaire High Trees comme étendant le principe qu’a énoncé lord Cairns et il a pris soin de reformuler la question comme suit:

Le principe est, à mon avis, que lorsqu’une partie, par ce qu’elle a dit ou ce qu’elle a fait, a fait à l’autre partie une promesse ou lui a donné une assurance visant à modifier leurs rapports juridiques avec l’intention que l’on s’y fie, alors, une fois que l’autre partie s’est fiée à sa parole et a agi en conséquence, on ne peut par la suite permettre à la partie qui a fait la promesse ou donné l’assurance de revenir à leur situation juridique antérieure comme si elle n’avait pas fait cette promesse ou donné cette assurance; elle doit accepter leurs rapports juridiques avec les restrictions qu’elle y a elle-même apportées, même si elles ne s’appuient sur aucun motif de droit mais uniquement sur sa parole.

Il me semble évident que ce genre de défense d’equity ne peut être invoquée en l’absence d’une preuve qu’une des parties a mené des négociations qui ont eu pour effet d’amener l’autre à croire que les obligations strictes prévues au contrat ne seraient pas exécutées, et je crois que cela suppose qu’il doit y avoir une preuve qui permet de conclure que la première partie a voulu que les rapports juridiques établis par le contrat soient modifiés en conséquence des négociations.

Pour réussir en l’espèce, les intimés doivent donc établir que l’appelante, par ce qu’elle a dit ou ce qu’elle a fait, a fait à Mason une promesse non

[Page 648]

ambiguë que, s’il continuait à assurer la surveillance du projet de construction, l’appelante verserait la somme de 52 500 $ à titre de versement initial pour l’achat de quatorze lots et libérerait Mason de l’obligation que lui imposait la convention principale de verser l’argent à IAC. Se fondant sur la preuve, le juge de première instance n’a conclu à aucune promesse de ce genre et a accueilli la réclamation de la demanderesse. En Cour d’appel, le juge dissident a souscrit à cette décision. La majorité en Cour d’appel a exprimé l’avis que la preuve permet de conclure à cette promesse et a infirmé le jugement du tribunal de première instance.

Il est donc nécessaire d’examiner la preuve de la promesse sur laquelle les cours d’instance inférieure diffèrent d’opinion. A l’assemblée tenue au mois de juin 1977, Mason agissait comme mandataire de IAC et personnellement en qualité de fiduciaire. Un nommé McGee était mandataire de l’appelante et les autres entreprises de construction avaient elles aussi un mandataire pour les représenter. Le seul témoignage qui traite d’une déclaration ou d’une promesse est celui de Mason. Dans l’interrogatoire principal, il a dit:

[TRADUCTION]

Q. Au cours de cette assemblée, vous avez discuté avec M. McGee, pouvez-vous dire à la Cour à quel sujet?

R. À cause des dispositions prises avec Hewlitt Homes pour l’achat de plusieurs lots de la phase 1 aux constructeurs, aux autres constructeurs, il était très évident que leurs exigences pour acquérir les lots de 1A étaient imminentes. Nous étions d’avis que notre société finançait le centre de renseignements et le personnel —

LA COUR: Qui?

LE TÉMOIN: Pardon?

LA COUR: Qui finançait le centre de renseignements et le personnel?

LE TÉMOIN: Henfrey, Mason & Associés, votre seigneurie, ma société.

Me MACDONALD:

Q. Est-ce que vous dites que l’argent pour payer ces salaires et ces dépenses provenait du compte général de votre société, c’est bien ce que vous voulez dire?

R. Oui.

[Page 649]

Q. Bien. C’est ce qui a amené la discussion avec M. McGee, n’est-ce pas?

R. On discutait avec tout le monde à — au cours de cette assemblée.

Q. Je vois.

R. Et on a dit que malheureusement nous ne pouvions plus conserver le bureau des ventes et un employé à temps plein sur le lotissement pour la promotion générale.

Q. Vous dites qu’on a dit. Est-ce que c’est vous qui avez dit cela ou qui l’a dit?

R. Je l’ai dit.

Q. Bien. Est-ce qu’on vous a répondu?

R. Oui, M. McGee a demandé s’il serait utile qu’Engineered Homes s’engage avant la date prévue à acheter ses 14 lots de la phase 1A.

Q. Et avez-vous répondu à sa question?

R. Oui, j’ai dit que ces sommes, en raison d’un arrangement que je croyais que nous avions avec I.A.C., permettraient de conserver le centre de renseignements, d’administrer le lotissement et que nous serions prêts à continuer dans ces conditions.

Q. Vous rappelez-vous avoir eu d’autres pourparlers à ce sujet à cette assemblée?

R. Il y avait bien des questions, à ce moment, New West Homes —

Q. Non, M. Mason, je veux dire —

LA COUR: Je ne comprends pas encore très bien. McGee a demandé s’il serait utile que Engineered Homes s’engage avant la date prévue à acheter les 14 lots auxquels elle avait droit. Qu’avez-vous répondu à cela? À l’assemblée.

LE TÉMOIN: Que ce serait utile, votre seigneurie.

On a demandé à McGee dans son témoignage pourquoi l’appelante voulait acheter les quatorze lots avant la date prévue et, en contre-interrogatoire, certaines questions et réponses de son examen préalable lui ont été rappelées:

[TRADUCTION]

Q. C’est vraiment une introduction à la partie suivante. Question 34.

«Q. Mais vous admettez que vous n’étiez pas obligé de le faire?

R. Non.

Q. Le 29 juin?

[Page 650]

R. La date limite n’était pas encore arrivée.»

Vous rappelez-vous qu’on vous ait posé ces questions et avoir donné ces réponses?

R. Oui.

Q. Qu’entendez-vous par là, si je comprends bien, les termes de la convention principale, que nous avons cotée pièce 1 ici, en vertu de ses termes, vous n’étiez pas encore obligé d’acheter ces lots le 29 juin, est-ce vrai?

R. C’est vrai.

Q. D’accord. Question 36.

«Q. Bien, et ma question est alors pourquoi l’avez vous fait avant la date prévue?

R. Je pensais que ce serait utile en général.

Q. Certes, et vous saviez que le syndic était dans une situation très critique?

R. Je savais qu’il cherchait de l’argent, oui.»

Est-ce que c’est la question qu’on vous a posée et la réponse que vous avez donnée?

R. Oui.

Q. Et celles-ci sont exactes, n’est-ce pas?

R. C’est exact.

LA COUR: Qu’est-ce que vous vouliez dire par «de l’argent»? «Je savais qu’il cherchait de l’argent.» De l’argent pour ses propres honoraires ou de l’argent pour poursuivre le projet de lotissement ou pour essayer de le sauver?

LE TÉMOIN: Pour poursuivre le projet de lotissement.

Suivant le témoignage d’un nommé Cervenko, le gérant de IAC au moment du procès, appuyé par le témoignage du procureur de IAC, IAC n’aurait pas cédé les quatorze lots à l’appelante avant le mois de juin 1978 sans avoir reçu la somme de 52 500 $. Cette preuve ne concorde pas avec le témoignage de Mason que toutes les parties, y compris IAC, étaient d’accord pour que les 52 500 $ soient affectés au paiement de ses honoraires. Mason a dit qu’une entente en ce sens avait été conclue avec un certain M. Ross, le gérant de IAC au moment où ces faits se sont produits. Voici ce qui ressort du contre-interrogatoire de Mason:

[Page 651]

[TRADUCTION]

Q. Maintenant, veuillez passer à la page 17. Je vous renvoie à l’alinéa d) au milieu de la page 17. Est-ce que vous l’avez?

R. Oui.

LA COUR: Je m’excuse, à la page 17?

Me WATTS: Votre seigneurie, l’alinéa d) à la page 17. C’est là qu’on envisage un paiement du deuxième montant des 20 % ou des 20 % alors vous auriez 25 % du prix d’achat de chacun de ces lots de la phase 1A, vous êtes d’accord?

R. Oui.

Q. Et il est prévu aux trois dernières lignes que le total de 25 % du prix d’achat de chaque lot doit être versé par le fiduciaire à I.A.C. tel que prévu ci-après. Vous reconnaissez cela?

R. Oui.

Q. Maintenant, je suppose qu’il est admis qu’en fait, ces 25 % n’ont pas été versés à I.A.C?

R. C’est exact.

Q. Pourquoi n’ont-ils pas été versés?

R. Comme je l’ai déjà dit, il y a eu le lotissement vers le mois d’avril, je pense, mars ou avril 77, le climat économique général à Kamloops était tel qu’il y avait peu de construction et il était nécessaire de trouver des fonds et de susciter l’intérêt pour le lotissement. Pour cette raison, I.A.C a pris 10 lots libres de toute charge et les a donnés à Hewlitt Homes pour aider à donner un essor au lotissement. Ce geste devait entraîner l’achat de lots par les trois constructeurs et accélérer l’autofinancement. Pour l’activer et pour le permettre, j’avais convenu avec I.A.C que j’aurais le droit de conserver ces sommes.

Q. Vous dites ces sommes, vous voulez parler des 52 500 $?

R. Oui.

Q. Cette entente était avec qui?

LA COUR: Il a dit avec I.A.C

Me WATTS:

Q. Mais avec qui chez I.A.C avez-vous eu cette entente?

R. J’ai compris que c’était avec M. Ross.

LA COUR: Avec qui?

LE TÉMOIN: M. Ross, votre seigneurie.

[Page 652]

M. Ross n’a pas été cité à témoigner et on n’a pas expliqué son absence si ce n’est qu’on a dit qu’il n’était pas disponible.

Le juge de première instance a évidemment examiné les extraits des témoignages ci-dessus de même que la preuve de toutes les circonstances qui s’y rapportent. La preuve faite devant lui au nom de l’appelante indique que cette dernière a avancé avant la date limite prévue la somme de 52 500 $ pour aider à réaliser le lotissement. Ce geste est le résultat de la déclaration qu’a faite Mason à l’assemblée du mois de juin 1977 que [TRADUCTION] «nous ne pouvons plus conserver le bureau des ventes et un employé à temps plein sur le lotissement pour la promotion générale» et sa reconnaissance que l’achat des lots serait utile. Le seul témoignage direct d’un accord ou d’une entente portant que Mason pouvait conserver l’argent en paiement de ses honoraires est sa propre affirmation que toutes les parties ont admis qu’il devait en être ainsi et qu’il avait convenu avec M. Ross de IAC d’affecter la somme à cette fin. Comme je l’ai indiqué précédemment, M. Ross n’a pas été cité comme témoin. Les témoignages de Cervenko, son successeur, et de McAllister, le procureur de IAC, n’appuient pas le témoignage de Mason. La preuve écrite, soit les lettres rédigées par les procureurs de l’appelante, n’appuie pas non plus le témoignage de Mason. Ces lettres sont en tout point compatibles avec la position que fait valoir l’appelante.

Compte tenu de la preuve, le juge de première instance a refusé de conclure qu’on avait démontré l’existence d’une promesse qui donne lieu à l’irrecevabilité. À mon avis, l’évaluation qu’il a faite de la situation de fait s’appuyait sur la preuve et il n’y a pas lieu de la modifier. À cet égard, je suis d’accord avec le juge Seaton de la Cour d’appel et je suis d’avis que la défense d’irrecevabilité doit échouer.

Les intimés font valoir devant cette Cour un argument qui n’a pas été soulevé devant les autres cours. Bien qu’ils ne renoncent pas à l’argument que l’appelante ne peut s’appuyer sur ses droits stricts, les intimés font valoir que, pour avoir gain de cause, il ne leur était pas nécessaire d’établir l’existence d’un moyen d’irrecevabilité. Le détournement de fonds par Mason n’aurait causé aucun

[Page 653]

préjudice ni aucune perte à l’appelante et n’aurait violé aucun de ses droits. Une fois versée, la somme est devenue la propriété de IAC. Toute question de détournement ou d’abus de confiance qui pourrait se poser opposerait Mason et IAC et ne concernerait pas l’appelante. Les droits de l’appelante en l’espèce se limiteraient à se faire transférer la propriété des biens-fonds sous réserve d’une hypothèque consentie au syndic, et ne comprendraient aucun droit de réclamation contre Mason.

Je ne puis souscrire à cet argument. En vertu de la convention principale, Mason était fiduciaire de l’appelante et de IAC. Lorsqu’il a reçu la somme d’argent, qui était versée pour l’achat des lots, Mason était tenu de l’affecter à la fin prescrite. Il ne l’a pas fait, et la preuve ne révèle pas qu’il ait même mentionné cette question à IAC avant d’avoir été poussé à le faire par l’appelante. En sa qualité de fiduciaire de l’appelante, Mason avait envers elle l’obligation de remettre les 52 500 $ à IAC. Il a omis de le faire. En violation de la fiducie, il a plutôt affecté les sommes de l’appelante à l’usage des intimés. Je rejette ce nouvel argument et, pour les motifs déjà énoncés, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi avec dépens dans toutes les cours.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto.

Procureurs des intimés: Laxton & Company, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : [1983] 1 R.C.S. 641 ?
Date de la décision : 17/05/1983
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Contrat - Irrecevabilité - Éléments de l’irrecevabilité - Convention écrite prévoyant l’achat de lots par l’appelante - Achat complété plus tôt que prévu pour aider les intimés à continuer les travaux de lotissement - Versement initial conservé par le syndic intimé et non remis au propriétaire - L’appelante est-elle irrecevable h faire valoir que le syndic intimé n’avait pas le droit de retenir cette somme?.

L’appelante, une entreprise de construction, a conclu une convention avec l’intimé Mason et divers autres entrepreneurs pour achever la construction d’un ensemble d’habitations. Selon une condition de la convention, les divers entrepreneurs devaient acheter certains terrains du lotissement une fois achevée une phase du projet de construction. En vertu de la convention, l’intimé était nommé fiduciaire pour les entrepreneurs et IAC, le créancier hypothécaire, et il devait gérer les travaux d’achèvement du projet de construction. Lorsque la société de l’intimé a fait savoir qu’elle ne pouvait plus maintenir certains services prévus dans la convention, l’appelante a décidé d’acheter les terrains plus tôt que prévu dans la convention afin d’aider à la réalisation du lotissement. Elle a fait parvenir le versement initial à Mason en sa qualité de fiduciaire. La somme n’a pas été versée à IAC mais à la société de comptables de Mason et affectée aux honoraires et aux débours de la société relativement au lotissement. L’appelante a demandé à Mason de lui transmettre les titres de propriété des terrains. Les titres n’ont pas été transmis, mais, un an plus tard, IAC a offert de les transmettre; à ce moment-là, la valeur des terrains avait chuté de façon spectaculaire. Le créancier hypothécaire a saisi les immeubles en vertu des hypothèques qui avaient permis le financement; les immeubles ont été vendus. Dans des poursuites intentées contre Mason et ses associés de la

[Page 642]

société de comptables, l’appelante a réclamé le remboursement du versement initial détourné illégalement et, à titre subsidiaire, des dommages-intérêts pour inexécution du contrat. Elle a obtenu jugement en sa faveur en première instance; ce jugement a été infirmé en appel.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Le moyen de défense de l’irrecevabilité doit échouer. L’intimé n’a pas réussi à établir que l’appelante, par ce qu’elle a dit ou ce qu’elle a fait, a fait à Mason une promesse non ambiguë que, s’il continuait à assurer la surveillance du projet de construction, l’appelante verserait la somme de 52 500 $ à titre de versement initial pour l’achat de quatorze lots et libérerait Mason de l’obligation que lui imposait la convention principale de verser l’argent à IAC. Le seul témoignage direct d’une entente en ce sens de la part de l’appelante est l’affirmation de Mason lui-même qui n’est appuyée d’aucun autre témoignage. Mason n’a pas rempli en sa qualité de fiduciaire l’obligation qu’il avait envers l’appelante et IAC d’affecter les sommes aux fins auxquelles elles étaient destinées.


Parties
Demandeurs : Engineered Homes Ltd.
Défendeurs : Mason et autres

Références :

Jurisprudence: Conwest Exploration Company Limited v. Letain, [1964] R.C.S. 20

John Burrows Ltd. v. Subsurface Surveys Ltd., [1968] R.C.S. 607

Combe v. Combe, [1951] 1 All E.R. 767.

Proposition de citation de la décision: Engineered Homes Ltd. c. Mason et autres, [1983] 1 R.C.S. 641 (17 mai 1983)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1983-05-17;.1983..1.r.c.s..641 ?
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