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17/05/1983 | CANADA | N°[1983]_1_R.C.S._498

Canada | Procureur général du Canada c. St. Hubert Base Teachers’ Association, [1983] 1 R.C.S. 498 (17 mai 1983)


Cour suprême du Canada

Procureur général du Canada c. St. Hubert Base Teachers’ Association, [1983] 1 R.C.S. 498

Date: 1983-05-17

Le procureur général du Canada Appelant;

et

St. Hubert Base Teachers’ Association Intimée;

et

Le commissaire du travail Roger Lecavalier Mis en cause.

N° du greffe: 16606.

1983: 1 mars; 1983: 17 mai.

Présents: Les juges Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Qu

bec (1981), 130 D.L.R. (3d) 35, qui a infirmé un jugement de la Cour supérieure, [1979] C.S. 29, qui avait autorisé la délivrance d’un br...

Cour suprême du Canada

Procureur général du Canada c. St. Hubert Base Teachers’ Association, [1983] 1 R.C.S. 498

Date: 1983-05-17

Le procureur général du Canada Appelant;

et

St. Hubert Base Teachers’ Association Intimée;

et

Le commissaire du travail Roger Lecavalier Mis en cause.

N° du greffe: 16606.

1983: 1 mars; 1983: 17 mai.

Présents: Les juges Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (1981), 130 D.L.R. (3d) 35, qui a infirmé un jugement de la Cour supérieure, [1979] C.S. 29, qui avait autorisé la délivrance d’un bref d’évocation. Pourvoi accueilli.

Gaspard Côté, c.r., et James Mabbutt, pour l’appelant.

Gilles Poulin, pour l’intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE CHOUINARD — L’objet de ce pourvoi est la question constitutionnelle suivante:

Est-ce que le Code du travail du Québec, L.R.Q. 1977, chap. C-27, peut être constitutionnellement applicable aux professeurs dont les services sont retenus par le ministère de la Défense nationale pour les fins de l’instruction des élèves autorisés à fréquenter les écoles établies par le gouvernement du Canada sur les bases militaires situées dans la province de Québec sous l’autorité de la Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, chap. N-4, eu égard à l’article 93 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, en matière d’éducation?

Le ministère de la Défense nationale qui exploite la base militaire de St-Hubert y a établi une école primaire et une école secondaire destinées aux enfants des militaires et des employés civils du Ministère demeurant sur la base.

L’établissement de semblables écoles est autorisé par une ordonnance intitulée: «Provision of

[Page 500]

Educational Facilities at Defence Establishments in Canada». Cette ordonnance a été édictée par le décret P.C. 1968 — 13/288 du 15 février 1968, fondé sur l’al. 1 de l’art. 12 de la Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, chap. N-4.

Voici comment le juge de première instance résume l’essentiel de cette ordonnance:

En vertu de cette ordonnance, on a confirmé le pouvoir au ministre de la Défense nationale, dans certaines circonstances, d’autoriser l’établissement d’écoles, élémentaire ou secondaire, pour le bénéfice des enfants dont les parents résident dans les limites d’établissements de défense. L’ordonnance vise de nombreuses facettes, aux fins qu’il y soit donné suite.

Elle circonscrit le champ d’application en précisant quels enfants y seront admis, soit ceux de membres, soient-ils légitimes, par adoption, etc., et qui sont d’âge scolaire ou soumis aux restrictions que prévoit la législation provinciale ou territoriale de l’endroit où l’établissement est situé pour fins de détermination de l’éligibilité à l’éducation publique gratuite.

L’ordonnance précise que les langues d’instruction seront l’une ou l’autre des langues officielles du Canada et qu’elle portera sur toutes les phases de l’éducation, élémentaire et secondaire en conformité des réglementations provinciales applicables en l’occurrence.

Le ministre, aux termes de l’Ordonnance, retient les services du personnel de l’école: surintendance, surveillance, instructions, spécialistes, administrateurs.

Le ministre autorise l’officier commandant de la base à nommer un «comité scolaire» ou «commission scolaire» pour l’administration des écoles qu’il établit.

L’opération desdites écoles se poursuit sous la direction du ministre en vertu des arrangements suivants, grosso modo:

4 — a) l’école est administrée par le «comité scolaire» ou «commission scolaire» en conformité des lois provinciales et sous la juridiction directe du ministère provincial de l’Éducation;

b) les contrats d’emplois du personnel de l’école se souscrivent sous la signature d’une part du président du comité scolaire ou Commission scolaire et du personnel d’autre part;

c) les livres, fournitures, équipement à l’usage du personnel de l’école et des enfants, sont fournis en conformité des instructions émanant du ministre de la Défense;

d) le ministre peut faire ou autoriser des accords avec les autorités provinciales, municipales ou autres

[Page 501]

relativement aux coûts de la construction, de l’opération et conduite de l’école.

Il est prévu généralement que l’éducation est fournie sans frais aux enfants des membres de l’armée ou du personnel civil employé par le ministère de la Défense, résidant à la base ou dans les environs immédiats.

Nombre d’autres stipulations sont également incorporées à l’ordonnance pour obvier à certaines difficultés particulières, par exemple, pour permettre la conclusion d’accords particuliers avec d’autres autorités éducationnelles, aux fins de fournir des facilités d’éducation que l’école ainsi créée ne peut fournir, etc.

Comme le relate le juge de première instance, conformément à cette ordonnance:

Sous l’autorité de l’officier commandant de la base, et selon que le prévoit l’article 3 de l’Ordonnance précitée, un «comité scolaire» ou «Commission scolaire» a été mis sur pied par ledit officier commandant. On a alors consigné par écrit, par voie de «Constitution & terms of reference» les attributions de chaque personne spécialement visée en délimitant, les fonctions des président, vice-président, secrétaire et des membres du Comité, celles du principal et vice-principal de l’école et des représentants du conseil des enseignants. L’ordonnance émanant de l’arrêté en Conseil se reflète, relativement au comité scolaire lui-même, et aux «termes de référence» qui le concernent, en ce qu’il doit agir comme bureau de direction de l’école, devant rendre compte, par l’intermédiaire de son président, à l’officier commandant de la base.

Les quatorze enseignants de l’école secondaire ont formé l’association intimée qui, le 12 septembre 1977, a présenté en vertu du Code du travail du Québec une requête en accréditation dans laquelle l’employeur est désigné comme étant la «Commission scolaire de l’école des personnes à charge, Garnison St-Hubert».

À l’agent d’accréditation il fut représenté que l’intimée ne pouvait être accréditée au motif que les enseignants visés étaient des employés du gouvernement fédéral auxquels les dispositions du Code du travail du Québec n’étaient pas applicables. L’agent d’accréditation fit rapport qu’il n’y avait pas d’entente sur l’unité de négociation et l’affaire fut donc référée pour enquête devant le commissaire du travail, mis en cause. À l’enquête, la même objection fut soulevée. Comme l’indique l’appelant dans son mémoire:

[Page 502]

Lors de l’enquête tenue le 11 janvier 1978, le Procureur Général du Canada, pour le compte de l’employeur, fit valoir que le mis-en-cause était sans compétence pour accorder l’accréditation demandée vu que les enseignants concernés étaient des personnes à l’emploi de la Couronne au droit du Canada et que cette dernière, en tant qu’employeur, ne pouvait être assujettie aux lois provinciales en matière de relations de travail.

Le commissaire du travail mis en cause rejeta l’objection notamment pour les motifs que voici:

Cette Commission Scolaire relève d’une compétence fédérale sans aucun doute soit «LA DÉFENSE NATIONALE». Cependant, peut-on prétendre que cette compétence fédérale entraîne du même coup un domaine tel que l’éducation qui relève strictement des provinces selon l’ACTE DE L’AMÉRIQUE DU NORD BRITANNIQUE à l’article 93 plus spécifiquement et qui est exclusif aux provinces canadiennes selon la constitution canadienne? Je ne le crois pas.

L’entreprise et l’ouvrage en question est d’une juridiction fédérale en ce qui a trait à l’entraînement et à la formation des militaires sur la base même. Mais dans le domaine de l’éducation des enfants des militaires et des civils travaillant à la base, cette éducation scolaire de ces enfants «qui ne sont pas des militaires» est certainement de compétence provinciale.

L’appelant s’adressa alors par requête en évocation à la Cour supérieure qui autorisa la délivrance du bref.

Ce jugement fut infirmé par un arrêt unanime de la Cour d’appel. Le juge McCarthy qui a rendu le jugement de la Cour écrit notamment:

Il est vrai que l’employeur des enseignants est le Ministre de la défense nationale: le conseil ou commission scolaire, comme le dit le Juge de première instance, n’est pas ici «une entité juridique propre, autonome et indépendante». Il est également vrai qu’en règle générale une province ne peut légiférer sur les conditions de travail des serviteurs du gouvernement fédéral: In re Legislative Jurisdiction over Hours of Labour, [1925] R.C.S. 505, à la page 510. Néanmoins, lorsqu’il s’agit de personnes travaillant dans un domaine de compétence provinciale, cette règle doit, à mon avis, subir exception. La Couronne fédérale, à cet égard, doit être assujettie aux dispositions du Code du travail de la province de Québec tout comme la Couronne provinciale.

Ce passage illustre l’essentiel du débat: des employés du gouvernement fédéral sont-ils assujet-

[Page 503]

tis à la législation provinciale en matière de relations du travail du fait que les activités qu’ils exercent ressortiraient normalement à la compétence exclusive de la province savoir, en l’espèce, en matière d’éducation?

L’appelant invoque trois moyens:

1. En tant qu’employeur, la Couronne fédérale ne saurait être soumise aux lois provinciales portant sur les relations de travail et ce, indépendamment du champ d’activité des personnes dont elle est ainsi l’employeur.

2. Les lois provinciales ne peuvent d’elles-mêmes lier la Couronne fédérale, à moins que l’autorité fédérale ne les ait fait siennes par le mécanisme de la législation par voie de référence.

3. L’enseignement dispensé sur les bases militaires au bénéfice des enfants des militaires est une matière nécessairement incidente à la compétence conférée au Parlement par l’al. 7 de l’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 sur la milice, le service militaire et le service naval, et la défense du pays.

À mon avis, l’appelant doit réussir sur son premier moyen. Ceci devrait suffire à disposer du pourvoi. Il sera néanmoins nécessaire de traiter du second moyen puisque l’intimée plaide que le gouvernement fédéral a assujetti l’école à toutes les lois provinciales applicables, y compris donc au Code du travail.

Il n’est pas en cause que la Commission scolaire n’en est pas une au sens propre de l’expression en droit scolaire québécois. Elle ne possède pas de personnalité juridique. Comme l’a déterminé le juge de première instance, approuvé en cela par la Cour d’appel, cette Commission scolaire n’est pas «une entité juridique propre, autonome et indépendante.»

Il est admis que les enseignants sont des employés du gouvernement fédéral.

L’alinéa 8 de l’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement la compétence exclusive sur:

[Page 504]

8. La fixation et le paiement des salaires et honoraires des officiers civils et autres du gouvernement du Canada.

Dans le renvoi Re Legislative Jurisdiction over Hours of Labour, [1925] R.C.S. 505, cette Cour a été appelée à se prononcer sur la compétence relative aux heures de travail. Le Canada en tant que signataire du Traité de Versailles et membre de la Conférence internationale du travail de la Société des Nations, s’était engagé à référer aux autorités législatives compétentes, en vue de l’adoption des dispositions nécessaires, le projet de convention adopté à la Conférence de 1919 et qui avait notamment pour objet de limiter les heures de travail dans les entreprises industrielles à huit heures par jour et quarante-huit heures par semaine. Le gouvernement fédéral soumit un renvoi à cette Cour afin de déterminer à quelle ou quelles autorités législatives le projet de convention devait être référé. Les questions (2), (3) et (4) du renvoi se lisaient:

[TRADUCTION]

(2) Pour l’adoption d’une loi ou pour toute autre mesure, les législatures des provinces sont-elles les autorités qui ont compétence en tout ou en partie sur les matières visées dans le projet de convention (dont copie est produite avec les présentes) et auxquelles ce projet de convention doit être soumis, en vertu des dispositions de l’article 405 du Traité de paix avec l’Allemagne?

(3) Si les matières visées dans ledit projet de convention relèvent, en partie seulement, de la compétence des législatures des provinces, sur quels points précis ou dans quelle mesure ces matières relèvent-elles de la compétence des provinces?

(4) Si les matières visées dans ledit projet de convention relèvent, en partie seulement, de la compétence de la législature des provinces, sur quels points précis ou dans quelle mesure ces matières relèvent-elles de la compétence du Parlement du Canada?

C’est le juge Duff, plus tard Juge en chef, qui a rendu le jugement unanime. Dans le cours de ses motifs il écrit à la p. 510:

[TRADUCTION] En vertu du paragraphe 13 de l’article 92, propriété et droits civils, ou en vertu du paragraphe 16, les matières de nature locale ou privée dans la province, ou en vertu des deux paragraphes, chaque

[Page 505]

province possède le pouvoir de donner force de loi dans la province aux dispositions du genre de celles que comporte le projet de convention. Ce principe général est assujetti à la restriction suivante, savoir, qu’en règle générale, une province n’a pas le pouvoir de réglementer les heures de travail des fonctionnaires du gouvernement fédéral.

Les réponses aux questions (2), (3) et (4) ont été, à la p. 512:

[TRADUCTION] À la deuxième question: oui, en partie.

À la troisième question: ces matières relèvent généralement de la compétence des législatures provinciales, mais les pouvoirs accordés à ces législatures ne leur permettent pas de donner force de loi aux dispositions du genre de celles que comporte le projet de convention relativement aux fonctionnaires du gouvernement fédéral, ou d’assujettir à leurs lois les parties du pays qui ne sont pas dans les limites territoriales d’une province.

À la quatrième question: le Parlement du Canada exerce une compétence exclusive dans les parties du Canada qui ne sont pas dans les limites d’une province ainsi que sur les matières traitées dans le projet de convention et relatives aux fonctionnaires du gouvernement fédéral.

Cet arrêt a été largement commenté dans Reference re Industrial Relations and Disputes Investigation Act, [1955] R.C.S. 529.

Le juge Rand, qui était dissident pour partie, écrit néanmoins, à la p. 545:

[TRADUCTION] En juin de la même année, on demanda un avis consultatif à cette Cour au sujet d’une convention, adoptée par la Société des Nations à la Conférence internationale du travail, qui limitait les heures de travail dans les établissements industriels; des questions furent posées au sujet de la compétence respective des législatures et du Parlement dans ce domaine. On répondit que le sujet relevait généralement du domaine provincial mais qu’il n’appartenait pas aux législatures de donner force de loi aux dispositions proposées concernant les fonctionnaires du gouvernement du Dominion ou de légiférer pour les régions du Canada qui ne se trouvent pas à l’intérieur des limites d’une province.

Le juge Kellock écrit à la p. 555:

[TRADUCTION] Ainsi, il n’y a rien à ajouter au sujet de cet article car il est bien établi que les employés gouvernementaux relèvent exclusivement de la compétence fédéral: voir le renvoi Re Legislative Jurisdiction Over Hours of Labour.

[Page 506]

Le juge Locke, dissident pour partie, écrit aux pp. 574 et 575:

[TRADUCTION] Dans le renvoi Re Legislative Jurisdiction over Hours of Labour, le juge Duff (plus tard Juge en chef) avait dit, en rendant jugement au nom de la Cour, que la compétence de légiférer sur le sujet de la convention était principalement attribuée aux provinces en vertu de la rubrique numéro 13 de l’art. 92 «la propriété et les droits civils», ou en vertu de la 16e rubrique «les matières d’une nature purement locale ou privée dans la province», ou encore, en vertu de Tune et l’autre. Cet énoncé général, a toutefois fait l’objet d’une réserve: d’une manière générale, la province ne possède aucun pouvoir pour réglementer les heures de travail des fonctionnaires du gouvernement fédéral.

Le juge Estey pour sa part énonce la proposition suivante à la p. 564:

[TRADUCTION] Cette jurisprudence montre que le Parlement du Canada possède la compétence pour légiférer à l’égard des relations ouvrières et de la main-d’œuvre même si ces relations entrent dans la catégorie de la propriété et des droits civils au sens du par. 92(13) de l’A.A.N.B. et donc, sont soumises à la loi provinciale. Cette compétence du Parlement pour ainsi légiférer comprend ces situations où la main-d’œuvre et les relations ouvrières sont a) parties intégrantes des rubriques énumérées dans l’art. 91 ou nécessairement incidentes, b) afférentes aux employés du gouvernement central, c) afférentes aux ouvrages et entreprises mentionnés aux par. 91(29) et 92(10), d) afférentes aux ouvrages, entreprises ou affaires situés au Canada mais à l’extérieur de toute province.

Dans cette même affaire, le juge Taschereau, commentant l’arrêt Reference re Minimum Wage Act of Saskatchewan, [1948] R.C.S. 248, écrit à la p. 542:

[TRADUCTION] Cette dernière affaire est semblable à la présente et je ne doute pas que, si une législature provinciale n’est pas compétente pour légiférer quant aux heures de travail et aux traitements des fonctionnaires du Dominion, il n’est pas en son pouvoir de légiférer au sujet des conflits ouvriers dans un domaine soumis à la compétence du Parlement du Canada en vertu de l’art. 91.

Et le juge Abbott écrit à la p. 592:

[TRADUCTION] Le droit de grève et le droit à la négociation collective sont généralement reconnus de nos jours, et les décisions portant sur des sujets tels que la durée du travail, les taux de salaire, les conditions de

[Page 507]

travail et autres matières analogues constituent à mon avis une partie essentielle de l’administration et de l’exploitation de toute entreprise commerciale ou industrielle. Ceci étant, le pouvoir de réglementer de telles matières dans les entreprises qui tombent sous l’autorité législative du Parlement revient au Parlement et non aux législatures provinciales.

Ce passage a été cité et réaffirmé à l’unanimité par cette Cour dans Commission du Salaire minimum v. Bell Telephone Co. of Canada, [1966] R.C.S. 767, à la p. 772.

G.R. Schmitt, “The Jurisdiction of the Canadian Parliament in Matters of Labour Legislation”, dans Legal Essays in Honour of Arthur Moxon, U. of T. Press, 1953, p. 49, écrit à la p. 57:

[TRADUCTION] Il ne fait pas de doute que le Parlement canadien a pleine compétence sur ses propres fonctionnaires.

André Tremblay dans Les Compétences législatives au Canada et les Pouvoirs provinciaux en Matière de Propriété et de Droits civils, Ottawa, 1967, écrit à la p. 239, note 461:

L’article 91(8) permet de penser que c’était vraiment l’intention des hommes de 1867 de confier au Dominion la réglementation totale des rapports entre la Couronne fédérale et ses employés.

Voir également son Précis de droit constitutionnel, Thémis, Montréal, 1982, à la p. 186.

Peter W. Hogg, Constitutional law of Canada, Toronto, 1977, écrit à la p. 306:

[TRADUCTION] Point n’est besoin de dire qu’il n’y a pas de doute que le Parlement fédéral a également compétence pour réglementer les relations de travail dans la fonction publique fédérale, c’est-à-dire, l’emploi dans les ministères et les organismes du gouvernement fédéral.

Il me paraît donc que si le Parlement a compétence exclusive sur les employés du gouvernement fédéral, sa compétence comprend tout le champ des relations du travail et que partant le Code du travail du Québec n’a pas d’application en ce qui touche l’association intimée.

Les arrêts que l’intimée a cités au soutien du contraire et les principes qui y sont élaborés, sont sans application. En effet il s’agit en l’espèce d’employés du gouvernement fédéral ce qui n’était pas le cas dans aucun de ces arrêts: Construction

[Page 508]

Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754 et Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115. On pourrait ajouter l’arrêt plus récent et encore inédit[1], rendu le 8 février 1983, Conseil canadien des relations du travail c. Paul L’Anglais Inc.; Syndicat canadien de la fonction publique c. Paul L’Anglais Inc. Dans Construction Montcalm il s’agissait des employés d’un entrepreneur exécutant un contrat du gouvernement fédéral pour la construction de pistes d’atterrissage à l’aéroport international de Mirabel. Dans Northern Telecom il s’agissait des employés de cette société. Dans Paul L’Anglais Inc. il s’agissait des employés de ces deux sociétés filiales de Télé‑Métropole Inc.

Quant à la distinction proposée par l’intimée et retenue par la Cour d’appel, fondée sur la nature des activités exercées, aucune telle distinction n’a été faite dans Re Legislative Jurisdiction over Hours of Labour (précité), où il fut décidé que le Parlement a compétence exclusive sur les heures de travail des employés du gouvernement fédéral. Aucune autorité subséquente n’a fait pareille distinction. Je me permets d’observer que cette proposition nouvelle, comme l’a si justement qualifée le procureur de l’intimée, ne serait pas sans créer d’innombrables difficultés d’application, difficultés qu’il est facile d’imaginer sans qu’il soit nécessaire de donner des exemples. Ceci tant en ce qui touche les employés du gouvernement fédéral qu’en ce qui touche les employés d’un gouvernement provincial.

Par ailleurs, le procureur de l’intimée écrit dans son mémoire:

Enfin, l’Intimée soumet que l’argument de l’appelant qui est à l’effet que les lois provinciales ne peuvent d’elles-mêmes lier la Couronne fédérale à moins que l’autorité fédérale ne les ait fait siennes par le mécanisme de la législation par voie de référence, ne devrait pas être considéré pour les fins du présent litige.

En effet, cet argument de l’Appelant ainsi que la jurisprudence sur laquelle il s’appuie ne devraient pas être retenus ici, puisque tout comme l’a décidé la Cour Suprême d’Ontario, dans un jugement majoritaire non rapporté et daté du 30 septembre 1980, lequel jugement mettait en cause THE ATTORNEY GENERAL OF

[Page 509]

CANADA C. THE BRANCH AFFILIATE OF BASE BORDEN COLLEGIATE INSTITUTE ET AL, (voir l’annexe) la Couronne Fédérale a, par une Ordonnance du Gouverneur en conseil en date du 15 février 1968, intitulée «Provision of Educational Facilities at Defence Establishments in Canada», d.c. aux pages 13 à 19, expressément accepté d’être liée par toutes les lois provinciales qui peuvent concerner l’administration des écoles situées sur des bases militaires établies dans quelque province du Canada.

À cet égard, le savant juge Robins, pour la majorité, déclarait à la page 10 de son jugement (voir page 38 de l’annexe):

[TRADUCTION] La Couronne fédérale a manifestement choisi d’adopter la législation provinciale en vertu de laquelle on doit administrer les écoles sur les bases militaires.

De plus et sans préjudice pour ce qui précède, la Couronne fédérale s’est assujettie elle-même par son comportement aux lois provinciales, lorsqu’elle a décidé de créer un système scolaire sur la base militaire de St-Hubert, puisqu’elle entrait ainsi délibérément dans un domaine de juridiction exclusivement provinciale, alors que ledit système scolaire n’était pas essentiel au fonctionnement de sa base militaire.

Ainsi, ou bien la Couronne fédérale n’a pas juridiction pour créer sur une base militaire un système scolaire privé et dans ce cas, les écoles y situées n’ont pas de statut légal, ou bien la Couronne fédérale, comme toute autre personne, a un tel pouvoir et dans ce cas, ledit système scolaire doit demeurer sujet au contrôle ainsi qu’à la juridiction des provinces. Interpréter différemment la constitution entraînerait des résultats aberrants et contraires à l’intention des Pères de la Confédération, lorsqu’ils ont rédigé l’article 93 de l’A.A.N.B.

Bref, l’Intimée soumet que la Couronne fédérale ne peut s’arroger de quelque manière que ce soit, une matière qui par ailleurs a été sacrée sans équivoque par l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique et par la suite, à différentes reprises par cette Cour, comme étant de compétence exclusivement provinciale et si elle entre délibérément dans un tel domaine, elle s’assujettit elle-même de ce fait, aux lois provinciales qui y sont afférentes.

Ce passage qui suggère que le gouvernement fédéral a lui-même assujetti l’école à toutes les lois provinciales applicables, y compris donc au Code du travail, comporte deux arguments. Le premier s’appuie sur les termes mêmes de l’ordonnance autorisant l’institution de l’école. Le second est

[Page 510]

fondé sur ce que, en choisissant d’entrer dans un domaine de compétence provinciale exclusive, l’éducation, le gouvernement fédéral a par le fait même assujetti l’école aux lois provinciales. Pour ce qui est de l’arrêt cité de la Cour divisionnaire de l’Ontario, j’y reviendrai plus loin.

Quant au premier argument il s’appuie sur l’al. (a) du par. 4 de l’ordonnance:

[TRADUCTION] 4. Une école que le Ministre établit en vertu de la présente ordonnance doit être exploitée sous la direction du Ministre conformément aux dispositions suivantes:

a) L’école doit être administrée par le comité scolaire ou la commission en conformité de la loi provinciale relative aux écoles et sous la juridiction directe du ministère provincial de l’Éducation;

Cet alinéa n’a certainement pas pour effet de faire en sorte que les employés cessent d’être des employés du gouvernement fédéral. Quant à leur rendre applicable le Code du travail il me paraît qu’il faudrait un texte beaucoup plus explicite que celui-ci qui est à l’effet simplement que le comité ou la commission scolaire administrera l’école «en conformité de la loi provinciale relative aux écoles». Le Code du travail n’est pas la loi provinciale relative aux écoles.

Quant au deuxième argument il confond à mon avis deux questions bien distinctes.

D’une part il est possible que puisse être mise en question soit dans son principe, soit dans son application, la compétence de l’administration fédérale d’établir des écoles sur les bases militaires et d’oeuvrer pour ainsi dire dans le domaine de l’éducation réservé aux provinces. Mais cela n’est pas en cause en l’espèce. L’intimée s’est bien gardée de soulever ce moyen qui, si on le trouvait bien fondé, entraînerait la fermeture de l’école. Ce n’est sûrement pas dans son intérêt ni dans celui de ses membres. Par ailleurs, à la suite de l’ordonnance de cette Cour déterminant la question constitutionnelle, ni le procureur général du Québec ni aucun autre procureur général n’est intervenu. Il peut être intéressant de noter sous ce rapport que comme l’ordonnance décrétée par le Gouverneur général en conseil le stipule, cette école a été exploitée en

[Page 511]

conformité avec les règles provinciales applicables en matière d’éducation. Le procureur de l’intimée écrit dans son mémoire:

Les enfants qui fréquentaient ces écoles étaient soumis aux programmes scolaires du Ministère de l’Education du Québec et écrivaient les examens préparés par ce même ministère. L’obtention de leurs diplômes dépendait alors, comme pour tout enfant fréquentant une école publique située dans la Province de Québec, de leur réussite auxdits examens.

D’autre part, étant acquis qu’une école existe et que les enseignants sont des employés du gouvernement fédéral, je ne vois rien dans l’al. 8 de l’art. 91 ni ailleurs dans ce même article non plus que dans l’art. 92 et les autres dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867, qui justifie que l’on fasse dépendre la compétence du Parlement sur les employés du gouvernement fédéral lui-même de la nature des fonctions de ces employés.

Je reviens à l’arrêt cité de la Cour divisionnaire de l’Ontario en date du 30 septembre 1980, Re Attorney-General of Canada and Branch Affiliate of Base Borden Collegiate Institute, 30 O.R. 428, où à la majorité la Cour a décidé que les dispositions de The School Boards and Teachers Collective Negotiations Act, 1975 (Ont.), 1èrc Sess., chap. 72, s’appliquent à une école secondaire établie par le ministère de la Défense nationale à la base militaire de Borden. Dans la mesure où il est fondé, ce que nous n’avons pas à décider, il se distingue de la présente affaire sous plusieurs rapports. La Cour divisionnaire a d’ailleurs pris soin de distinguer de celle-ci l’affaire dont elle était saisie. Qu’il suffise de noter les distinctions les plus marquantes. Dans le cas de l’École de Borden, la nomination des membres de la Commission scolaire est entérinée par le ministre de l’Education de l’Ontario et la Commission scolaire constitue une commission scolaire au même titre que les autres commissions scolaires de l’Ontario. Elle possède une personnalité juridique et il a été établi que les enseignants sont les employés de cette personne juridique et non pas les employés du gouvernement fédéral comme en l’espèce.

À mon avis il faut répondre non à la question constitutionnelle.

[Page 512]

Pour ces motifs, il y a lieu d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel et de rétablir le jugement de la Cour supérieure. Quant aux dépens, conformément à sa proposition ils sont adjugés contre l’appelant.

Pourvoi accueilli.

Procureurs de l’appelant: Gaspard Côté et James Mabbutt, Montréal

Procureurs de l’intimée: Adessky, Kingstone, Zerbisias, Poulin, Gervais & Bier, Montréal.

[1] Maintenant publié à [1983] 1 R.C.S. 147.


Synthèse
Référence neutre : [1983] 1 R.C.S. 498 ?
Date de la décision : 17/05/1983
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit constitutionnel - Relations de travail - Éducation - Écoles établies par le fédéral sur une base militaire - Enseignants - Employés fédéraux - Code du travail du Québec inapplicable - Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(7),(8), 93.

Le ministère de la Défense nationale a établi sur une base militaire une école primaire et une école secondaire destinées aux enfants des militaires et des employés civils du Ministère demeurant sur la base. Les enseignants de l’école secondaire ont formé l’association intimée et ont présenté une requête en accréditation en vertu du Code du travail du Québec. Le commissaire du travail mis en cause a accordé la requête. L’appelant s’est alors adressé à la Cour supérieure qui a autorisé la délivrance d’un bref d’évocation à l’encontre de cette décision. La Cour d’appel a infirmé le jugement. D’où ce pourvoi qui soulève la question suivante: des employés du gouvernement fédéral sont-ils assujettis à la législation provinciale en matière de relations du travail du fait que les activités qu’ils exercent ressortiraient normalement à la compétence exclusive de la province — savoir, en l’espèce, en matière d’éducation.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Le Code du travail du Québec n’a pas d’application en l’espèce. Premièrement, le Parlement a compétence exclusive sur tous les employés du gouvernement fédéral peu importe la nature de leurs fonctions ou leur champ d’activité. Cette compétence comprend tout le champ des relations du travail. Deuxièmement, dans son ordonnance autorisant l’institution de l’école, le gouvernement fédéral n’a pas assujetti l’école à toutes les lois provinciales applicables. L’ordonnance stipule seulement que le comité administrera l’école «en conformité de la loi

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provinciale relative aux écoles». Le Code du travail du Québec n’est pas la loi provinciale relative aux écoles.


Parties
Demandeurs : Procureur général du Canada
Défendeurs : St. Hubert Base Teachers’ Association

Références :

Jurisprudence: distinction faite avec les arrêts: Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754

Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115

Conseil canadien des relations du travail c. Paul L’Anglais Inc.

Syndicat canadien de la fonction publique c. Paul L’Anglais Inc., [1983] 1 R.C.S. 147

Re Attorney-General of Canada and Branch Affiliate of Base Borden Collegiate Institute (1980), 30 O.R. 428

arrêts mentionnés: Reference re Industrial Relations and Disputes Investigation Act, [1955] R.C.S. 529

Reference re Minimum Wage Act of Saskatchewan, [1948] R.C.S. 248

Commission du Salaire minimum v. Bell Telephone Co. of Canada, [1966] R.C.S. 767

Re Legislative Jurisdiction over Hours of Labour, [1925] R.S.C. 505.

Proposition de citation de la décision: Procureur général du Canada c. St. Hubert Base Teachers’ Association, [1983] 1 R.C.S. 498 (17 mai 1983)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1983-05-17;.1983..1.r.c.s..498 ?
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