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08/02/1983 | CANADA | N°[1983]_1_R.C.S._229

Canada | Miller c. Ameri-Cana Motel Ltd., [1983] 1 R.C.S. 229 (8 février 1983)


Cour suprême du Canada

Miller c. Ameri-Cana Motel Ltd., [1983] 1 R.C.S. 229

Date: 1983-02-08

John W. Miller et James Miller (Plaignants) Appelants;

et

Ameri-Cana Motel Limited (Défendeur) Intimée.

N° du greffe: 16527.

1982: 2 et 3 juin; 1983: 8 février.

Présents: Les juges Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1981), 120 D.L.R. (3d) 89, 31 O.R. (2d) 577, qui a rejeté un appel d’un jugeme

nt du juge Carruthers accordant à l’intimée l’exécution forcée de son contrat. Pourvoi rejeté.

Claude R. Thomson, c.r., et M...

Cour suprême du Canada

Miller c. Ameri-Cana Motel Ltd., [1983] 1 R.C.S. 229

Date: 1983-02-08

John W. Miller et James Miller (Plaignants) Appelants;

et

Ameri-Cana Motel Limited (Défendeur) Intimée.

N° du greffe: 16527.

1982: 2 et 3 juin; 1983: 8 février.

Présents: Les juges Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1981), 120 D.L.R. (3d) 89, 31 O.R. (2d) 577, qui a rejeté un appel d’un jugement du juge Carruthers accordant à l’intimée l’exécution forcée de son contrat. Pourvoi rejeté.

Claude R. Thomson, c.r., et Mark P. Frawley, pour les appelants.

E.R. Clifford, pour l’intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE WILSON — Le 10 mars 1965 les appelants ont convenu par écrit de louer certains biens-fonds à l’intimée pendant une durée de cinq ans à partir du 1er juin 1965. La convention comportait un droit de reconduction pour une durée supplémentaire de cinq ans et une option d’acheter les biens-fonds au prix fixe de 30 000 $ à n’importe quel moment pendant la durée du bail initial ou du bail reconduit.

De plus, cette même convention accordait à l’intimée l’option d’acheter, au prix fixe de 95 000 $, l’ensemble des biens-fonds attenants appartenant aux appelants. L’intimée pouvait, sur réception d’un avis des appelants indiquant leur intention de vendre, lever cette option à n’importe quel moment au cours d’une période de 12 ans à partir du 1er juin 1965. En d’autres termes, il s’agissait d’une option qui survivait deux ans à celle accordée sur les biens-fonds loués, mais dont

[Page 231]

la levée dépendait d’un avis approprié donné par les appelants. Cependant, la convention stipulait en outre qu’à défaut de pareil avis, l’intimée pouvait lever cette option au cours des 30 derniers jours du délai de 12 ans.

Ce litige tire son origine du fait que les biens-fonds visés par les options se trouvaient dans une zone de lotissement réglementé et que la convention ne comportait pas de condition expresse selon laquelle elle serait exécutoire seulement si les dispositions de l’art. 26 de The Planning Act, R.S.O. 1960, chap. 296 (devenu l’art. 29 de The Planning Act, R.S.O. 1970, chap. 349) étaient respectées.

Le 14 mars 1975 l’intimée a envoyé à l’appelant John Miller, en recommandé, un avis de son intention de lever l’option sur les biens-fonds loués. Toutefois, lorsque, le 30 mai 1975, le mandataire de l’intimée a offert le prix à l’appelant John Miller, celui-ci a refusé de clore le marché. Aucune offre de paiement n’a été faite à l’appelant James Miller. Une action en exécution forcée de l’option a été intentée en octobre 1975.

Le 17 mai 1977, l’intimée a signifié aux appelants par lettre recommandée son intention de lever l’option sur les biens-fonds attenants. Encore une fois l’offre de paiement a été refusée et une seconde action en exécution forcée de l’option a été intentée. Puisque les deux actions soulevaient la question de la validité des options compte tenu des dispositions de The Planning Act, elles ont été entendues ensemble.

L’article 29, qui est la disposition pertinente de The Planning Act, R.S.O. 1970, chap. 349, prévoit notamment:

[TRADUCTION] 29. …

(2) Nul ne doit céder un bien-fonds par acte ou transfert, ni accorder, assigner ou exercer un mandat de désignation relativement à un bien-fonds, ni hypothéquer ou grever un bien-fonds, ni conclure une promesse de vente d’un bien-fonds ou passer une convention dont l’effet est d’accorder un droit d’usage ou autre sur un bien-fonds, que cela soit fait directement ou par clause de renouvellement pour une période de vingt et un ans ou plus, à moins que

a) le bien-fonds ne soit décrit conformément à un plan de lotissement enregistré dont il fait partie; ou

[Page 232]

b) le cédant par acte ou transfert, la personne qui accorde, assigne ou exerce un mandat de désignation, le débiteur hypothécaire ou la personne qui a grevé le bien-fonds, le vendeur aux termes d’une promesse de vente ou le cédant d’un droit d’usage ou autre sur un bien-fonds, suivant le cas, ne retienne pas le droit de propriété ou le droit de rachat, ou un pouvoir ou droit d’accorder, d’assigner ou d’exercer un mandat de désignation relativement à un bien-fonds adjacent au bien‑fonds qui est ainsi cédé ou qui est autrement visé; ou

e) un consentement ne soit donné pour céder, hypothéquer ou grever le bien‑fonds, ou pour accorder, assigner ou exercer un mandat de désignation relativement au bien-fonds ou pour passer une convention relative au bien-fonds.

(7) Si une convention ou un acte de cession est signé, si une hypothèque ou une charge est constituée ou si un mandat de désignation est accordé, assigné ou exercé contrairement au présent article ou à tout article qu’il a remplacé, cela ne crée ni ne confère aucun droit sur un bien-fonds; mais le présent article ne s’applique pas à une convention contenant une condition expresse selon laquelle elle ne sera exécutoire que si le présent article est respecté.

En première instance, les appelants ont invoqué plusieurs moyens de défense, alléguant notamment que les offres de paiement, l’avis de l’intention de lever la seconde option et la date proposée pour la levée de celle-ci comportaient des irrégularités. Le savant juge de première instance n’a pas retenu ces moyens de défense. Il a ordonné l’exécution forcée des deux options, mais non sans exprimer un certain intérêt à l’égard du moyen de défense fondé sur l’art. 29 de The Planning Act. Il s’agit là du seul moyen soulevé en Cour d’appel de l’Ontario et en cette Cour.

Si je comprends bien l’argument des appelants, ils font valoir que la convention du 10 mars 1965 accorde à l’intimée deux options sur des biens-fonds contigus. Suivant cette convention, l’intimée pouvait lever une option seulement ou les deux, mais dans ce dernier cas la levée devait avoir lieu à des époques différentes. La convention serait donc contraire à l’art. 29 de The Planning Act, parce que, quoique fît l’intimée, les appelants retiendraient «la propriété» (fee) des biens-fonds visés

[Page 233]

par l’option non levée. Ils se seraient en fait engagés à céder un bien-fonds, c.-à-d. celui visé par l’option qui a été levée, tout en retenant la propriété (fee) de celui visé par l’option non levée. La convention aurait été parfaitement légitime, selon les appelants, si l’intimée avait été obligée de lever les deux options en même temps. Elle l’aurait été également, bien entendu, en sa forme actuelle, si elle avait été soumise à la condition expresse que l’art. 29 soit respecté. Ils font remarquer, cependant, que la convention envisage clairement la levée par l’intimée d’une seule option et que les deux options ne pouvaient être levées en même temps que si les appelants notifiaient à l’intimée leur intention de vendre le bien-fonds avant la levée de la première option. Aucune notification n’a été donnée et, en fait, il y a eu un intervalle d’environ deux ans entre la levée de chacune des options.

La question de droit fondamentale soulevée par ces arguments est de savoir si la personne qui accorde une option retient la propriété des biens-fonds visés par l’option tant que celle-ci n’a pas été levée. Si c’est le cas, il s’ensuit que les appelants ont retenu la propriété des biens-fonds attenants après avoir convenu de vendre les biens-fonds loués. L’article 29 les empêcherait alors de céder les biens-fonds loués à l’intimée en exécution du contrat. Cela est en fait le point de vue qu’ont adopté les appelants en refusant l’offre de paiement de l’intimée relativement à la première option et, ensuite, relativement à la seconde. Ils se prétendent dégagés de toute obligation découlant du contrat parce qu’il ne peut être exécuté sans infraction à l’art. 29 de The Planning Act.

Il est bien établi en droit qu’une fois l’option accordée, le bénéficiaire acquiert un droit en equity sur les biens-fonds qu’elle vise. Cela s’explique par le fait qu’une option, tout comme une promesse de vente, est susceptible d’exécution forcée. Il s’agit en réalité d’un engagement de céder les biens-fonds au gré du bénéficiaire de l’option. Celui qui accorde l’option garde le titre de propriété, mais l’equity l’oblige à transmettre au bénéficiaire de l’option, si celui-ci l’exige conformément aux dispositions du contrat constitutif d’option, les biens-fonds visés par cette option.

[Page 234]

Tant que l’option existera, celui qui Ta accordée ne peut se départir en faveur de quelqu’un d’autre des biens-fonds ou d’un droit quelconque s’y rapportant. Peut-on donc dire que cette personne «retient la propriété» des biens-fonds en question?

Le juge Carruthers a conclu que la personne qui accorde une option ne retient pas la propriété des biens-fonds visés par l’option. Il a fait sien le point de vue adopté par le juge Kelly de la Cour d’appel dans l’arrêt Re Redmond and Rothschild, [1971] 1 O.R. 436, quant à l’interprétation du mot «propriété» (fee). Le juge Kelly a conclu que ce mot n’a pas le sens strict que lui donne la common law, c.-à-d. un droit sur un bien-fonds, d’une durée illimitée et transmissible à un héritier. Dans le contexte de l’art. 26 (l’actuel art. 29) de The Planning Act, il désignait plutôt la sorte de droit réel immobilier qui emporte pouvoir de disposition. Ce que le législateur avait voulu empêcher, c’est qu’un propriétaire cède une partie de ses biens‑fonds tout en retenant un pouvoir de disposer des biens-fonds y attenants. Ainsi, le cédant ne devait pas, par suite d’une opération immobilière, garder le pouvoir de disposer des biens-fonds attenants. Le juge Carruthers a conclu qu’il n’en est pas ainsi lorsque le cédant donne une option sur lesdits biens-fonds.

La Cour d’appel s’est dite d’accord [(1981), 31 O.R. (2d) 577]. Le juge Lacourcière, exprimant l’avis unanime de la cour, a rejeté l’argument de l’avocat des appelants selon lequel la convention d’option est nulle parce que la délivrance, sur levée de l’option, d’un titre de propriété afférent aux biens-fonds loués aurait constitué une infraction flagrante à l’art. 29. Il a dit [à la p. 587]:

[TRADUCTION] Nous ne sommes pas d’accord, car en accordant l’option, les vendeurs ont abandonné leur pouvoir sur la propriété; s’étant engagés, par la signature d’une option exécutoire, à vendre l’ensemble des biens-fonds qui leur restait, les vendeurs n’ont pas retenu la propriété des biens-fonds attenants.

Me Thomson, l’avocat des appelants, a fait valoir devant cette Cour que, jusqu’au moment de la levée de l’option, celui qui l’accorde garde son pouvoir sur la propriété. Le bénéficiaire de l’option ne reçoit qu’un droit en equity sur le bien-fonds. Une option n’est ni plus ni moins qu’une offre,

[Page 235]

quoique irrévocable. Elle peut en fait ne jamais être levée. Pourquoi donc conclure qu’accorder une option emporte abandon de la propriété? Pourquoi ne serait-ce pas uniquement la levée de l’option qui aurait cet effet?

Me Thomson a fait valoir à titre subsidiaire que, compte tenu de l’objet de l’art. 29 de The Planning Act, la personne qui accorde une option doit être réputée avoir retenu la propriété, sinon il y a risque d’abus. L’arrêt de la Cour d’appel, a-t-il prétendu, invite ouvertement les propriétaires fonciers à contourner l’art. 29 en ayant recours au simple expédient de la division du titre de propriété au moyen d’options.

Me Thomson s’est appuyé en grande partie sur le principe énoncé par le juge Grange dans Yield Investments Ltd. v. Newton (1976), 11 O.R. (2d) 554. Dans cette affaire, les vendeurs avaient convenu par une promesse de vente à long terme, de vendre un bien-fonds et d’accorder une option sur un bien-fonds attenant, l’échéance étant la même dans les deux cas. Le juge Grange a conclu que la convention ne violait pas l’art. 26 parce que les vendeurs avaient consenti à se départir des deux biens-fonds si on leur demandait de le faire. Le juge Grange a dit, à la p. 561:

[TRADUCTION] Il est vrai que l’acheteur pourrait en théorie ne pas lever l’option sur le n° 85. Je dis «en théorie» parce que, du point de vue pratique, compte tenu du prix d’achat des deux propriétés, cette possibilité n’existe pas. Mais la Loi vise le droit des vendeurs plutôt que celui de l’acheteur et, dès la signature du contrat, les vendeurs ont été liés par l’option. Suivant l’arrêt Reference Re Certain Titles to Land in Ontario, précité, à la p. 631, un droit éventuel comme une option doit être traité comme tout autre droit en equity. Si l’option n’est pas levée et que l’acheteur essaie de conclure un marché seulement à l’égard du n° 79, il y aura évidemment une violation manifeste de la Loi au moment de la conclusion du marché. Mais, selon moi, la passation du contrat ne constitue pas une violation parce que le vendeur s’engage par là à céder les deux propriétés sur demande. [C’est moi qui souligne.]

Me Thomson prétend que la situation qui se présente en l’espèce est celle-là même envisagée dans l’hypothèse du juge Grange. L’intimée a levé l’option sur les biens-fonds loués à un moment où elle n’était pas en mesure de lever celle sur les biens-

[Page 236]

fonds attenants. Par conséquent, suivant le raisonnement du juge Grange, la levée de l’option sur les biens-fonds loués constituait une violation de la Loi et l’intimée était bien en droit de refuser de clore le marché.

Le jugement du juge Grange a été confirmé en appel ((1978), 18 O.R. (2d) 1). Sans mentionner expressément le principe posé par le premier juge, le juge Lacourcière de la Cour d’appel semble avoir souscrit à la conclusion que les vendeurs ont retenu la propriété du bien-fonds visé par l’option. Il dit à la p. 2:

[TRADUCTION] Nous sommes tous d’avis que le savant juge de première instance a eu raison de conclure que les vendeurs se sont engagés dans les contrats à céder, sur demande, les deux biens-fonds. Examinant, comme il convenait de le faire, «le fond plutôt que la forme de l’opération» (Re Forfar and Township of East Gwillimbury et al., [1971] 3 O.R. 337, à la p. 344, 20 D.L.R. (3d) 377, à la p. 384; confirmé par [1972] R.C.S. v, 28 D.L.R. (3d) 512n), le premier juge a conclu au caractère inattaquable de cette opération, car l’acheteur a acquis le véritable droit aliénable, bien que le vendeur, à strictement parler, ait retenu la propriété. [C’est moi qui souligne.]

Le savant juge de la Cour d’appel a ensuite traité du concept d’ [TRADUCTION] «illégalité possible», qui s’applique lorsqu’une convention susceptible d’exécution conformément à la loi est aussi susceptible d’être exécutée illégalement. Il a fait sien le principe énoncé dans l’arrêt antérieur de la Cour d’appel de l’Ontario Reference Re Certain Titles to Land in Ontario, [1973] 2 O.R. 613; suivant ce principe, une convention dont l’exécution peut donner lieu à une illégalité ne sera invalidée que si on établit l’existence d’une [TRADUCTION] «intention mauvaise de contrevenir à la loi». Bien entendu, si le contrat ne peut être exécuté légalement, c.-à-d. sans infraction à The Planning Act, il sera complètement nul.

Il me semble, avec égards, qu’à moins qu’il n’ait voulu donner du mot «propriété» (fee) une interprétation différente de celle qu’en a donnée le juge Kelly de la Cour d’appel dans l’arrêt Re Redmond and Rothschild, précité, le juge Lacourcière a commis une erreur en concluant que le vendeur a retenu la propriété du bien-fonds visé par l’option. Le juge Lacourcière n’a pas mentionné cet arrêt,

[Page 237]

mais en première instance le juge Grange l’a cité en signalant son approbation (bien que le principe qu’il a posé ne traduise pas cette approbation). Si l’acheteur dans l’affaire Yield Investments, précitée, avait essayé de conclure un marché à l’égard d’un seul bien-fonds, c.‑à-d. le n° 79, il me semble que, selon l’interprétation donnée par le juge Kelly au mot «propriété» (fee), il n’y aurait pas eu infraction à la Loi.

Dans l’arrêt Re Forfar and Township of East Gwillimbury, [1971] 3 O.R. 337, le juge Schroeder de la Cour d’appel de l’Ontario a expressément adopté l’interprétation donnée par le juge Kelly au mot «propriété» (fee). Cet arrêt a rejeté la décision antérieure Re Carter and Congram, [1970] 1 O.R. 800. Dans l’affaire Re Carter and Congram, le vendeur avait donné à sa secrétaire une disposition en fiducie (deed to uses) afférente à des biens-fonds attenants, mais il s’était réservé à l’égard de ces biens-fonds un pouvoir de désignation général. Le juge Fraser a conclu que cela n’enfreignait pas The Planning Act, parce que le vendeur n’avait pas retenu la propriété des biens-fonds en cause. Il a donné au mot «propriété» (fee) le sens strict qu’il a en common law. Le juge Schroeder pour sa part a préféré le point de vue adopté dans l’arrêt Re Redmond and Rothschild. Il dit à la p. 344:

[TRADUCTION] Je tiens pour acquis que les juges qui ont tranché l’affaire Re Redmond et al. and Rothschild ont été d’avis que le mot «propriété» (fee) employé à l’al. 26(1)b) désignait un droit ou un intérêt qui s’étend à ce qui était raisonnablement nécessaire à la réalisation de l’objet du législateur et n’avait pas son sens juridique à la fois restreint et technique. Comme l’établit l’arrêt Walsingham (1573), 2 Plowden 547, 75 E.R. 805, un droit de propriété (an estate in fee simple) est le droit le plus grand et le plus étendu qu’une personne puisse posséder sur un bien-fonds et sur une propriété, car il s’agit d’un droit à la fois absolu et perpétuel. La question de savoir si la cession que H. Bruce Forfar a faite à la secrétaire de son avocat en se réservant un pouvoir de désignation général et illimité, aurait, en l’absence de cette réserve, conféré à la secrétaire un titre de propriété afférent au bien-fonds mais soumis à une fiducie tacite en faveur de Forfar, ne revêt pas une importance particulière parce qu’il se dégage très nettement de l’ensemble des circonstances que Forfar avait à toutes les époques pertinentes plein pouvoir sur la propriété et qu’il pouvait exercer ce pouvoir à son gré. Il y a une vaste différence entre la pleine propriété (title in fee) et un

[Page 238]

pouvoir de disposer d’un bien, car dans ce dernier cas la propriété (fee) n’appartient pas au titulaire du pouvoir de disposition, mais celui-ci a sur elle un pouvoir qu’il a toute liberté d’exercer comme il le juge opportun. C’est le fait de retenir un pareil pouvoir sur l’aliénation des biens-fonds attenants au bien-fonds qui a été cédé ou qui a fait l’objet d’une autre opération, que l’art. 26 vise à empêcher. Adoptant l’interprétation donnée au mot «propriété» (fee) dans l’arrêt Re Redmond and Rothschild, précité, j’arrive inévitablement à la conclusion que H. Bruce Forfar a subdivisé ses biens-fonds d’une manière contraire au règlement n° 510 du township, qui impose des restrictions au lotissement et qu’il a ainsi enfreint les dispositions du par. 26(1) de The Planning Act. [C’est moi qui souligne.]

Le pourvoi formé contre le jugement du juge Schroeder a été rejeté en cette Cour ([1972] R.C.S. v, 28 D.L.R. (3d) 512n).

À mon avis, il ne fait pas de doute que la personne qui accorde une option ne retient aucun pouvoir sur l’aliénation des biens-fonds visés par l’option. Elle s’engage pendant toute la durée de l’option à ne transmettre ceux-ci qu’au bénéficiaire de l’option. De plus, elle peut être forcée à exécuter la convention qu’elle a ainsi signée. Elle n’a plus rien à dire sur la question. Le bénéficiaire de l’option peut évidemment décider de ne pas lever l’option, auquel cas le pouvoir de disposer retourne à la personne qui a accordé l’option, mais en attendant que cela arrive, si cela arrive, cette personne est en réalité privée de tout pouvoir sur l’aliénation des biens-fonds. Avec égards, j’adopte l’interprétation que le juge Kelly a donnée au mot «propriété» (fee). Il s’ensuit que le contrat du 10 mars 1965 n’enfreint pas l’art. 29 de The Planning Act et que la levée de l’option sur les biens-fonds loués ne constitue pas une violation de la Loi.

J’ai examiné attentivement l’argument selon lequel une décision dans ce sens inviterait les propriétaires fonciers à contourner l’art. 29 en ayant recours à l’expédient de la division du droit de propriété au moyen d’options. Je ne suis toutefois pas convaincue du bien-fondé de cet argument. Pour qu’une telle opération réussisse, il faudrait que le propriétaire foncier soit assuré dès le début que l’option qu’il a fait semblant d’accorder ne sera jamais levée. Comme le juge Lacourcière l’a fait remarquer en Cour d’appel [à la p. 588]:

[Page 239]

[TRADUCTION]… si les parties avaient rédigé un contrat contenant des clauses constitutives d’une option que l’acheteur n’avait aucune intention de lever, l’opération serait «fictive dès le moment de sa conception», comme on a dit dans le renvoi [Reference Re Certain Titles to Land in Ontario], à la p. 642. Il est évident que la Cour ne prêterait pas son concours à l’exécution de pareilles opérations.

Rien n’indique qu’il s’agit en l’espèce d’opérations fictives. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs des appelants: Campbell, Godfrey & Lewtas, Toronto.

Procureurs de l’intimée: Broderick, McLeod, Clifford, Marimelli & Amadia, Niagara Falls.


Synthèse
Référence neutre : [1983] 1 R.C.S. 229 ?
Date de la décision : 08/02/1983
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Immeubles - Options - Biens-fonds attenants - Lotissement restreint - Refus du paiement offert conformément à l’option - Demande d’exécution forcée de l’option - La personne qui a accordé l’option a-t-elle retenu la propriété (fee) des biens-fonds attenants faisant également l’objet d’une option rendant l’exécution du contrat constitutif d’option contraire à The Planning Act? - The Planning Act, R.S.O. 1970, chap. 349, art. 29.

Les appelants ont consenti à l’intimée un bail immobilier de cinq ans assorti d’une option d’acheter à n’importe quel moment pendant sa durée ou pendant la durée de cinq ans du bail reconduit et, dans le même contrat, ils lui ont accordé sur des terres attenantes une seconde option susceptible d’être levée sur avis de l’intention de vendre ou, à défaut d’avis, au cours des 30 derniers jours de la durée de 12 ans de l’option. Les biens-fonds en cause se trouvent dans une zone de lotissement restreint. Le contrat ne comporte toutefois pas de condition expresse selon laquelle il serait exécutoire seulement si les dispositions de l’art. 26 (l’actuel art. 29) de The Planning Act étaient respectées. Son offre de paiement ayant été rejetée dans chaque cas, l’intimée a demandé, avec succès, l’exécution forcée de l’option. La question en l’espèce est de savoir si la personne qui accorde une option retient, tant que celle-ci n’aura pas été levée, la propriété (fee) des biens-fonds attenants faisant aussi l’objet d’une option. Dans l’affirmative, les appelants seraient dégagés de leurs obligations parce qu’elles ne pourraient être exécutées sans infraction à l’art. 29 de The Planning Act.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Ni le contrat de mars 1965 assorti d’une option ni la levée de cette option ne constituent une violation de l’art. 29 de The Planning Act. Pris dans le contexte de l’art. 26 (l’actuel art. 29) de The Planning Act, le mot «propriété» (fee) n’a pas le sens strict que lui donne la common law, savoir un droit sur un bien-fonds de durée illimitée et transmissible à un héritier. Au contraire, ce

[Page 230]

mot désigne le type de droit réel immobilier qui emporte pouvoir de disposition. La personne qui accorde une option ne retient aucun pouvoir sur l’aliénation des biens-fonds visés par l’option et, pendant toute la durée de celle-ci, elle est tenue par contrat, contrat dont l’exécution forcée peut être exigée, de ne transmettre lesdits biens-fonds qu’au bénéficiaire de l’option.

Il ne s’agit pas en l’espèce d’opérations fictives conçues pour contourner The Planning Act.


Parties
Demandeurs : Miller
Défendeurs : Ameri-Cana Motel Ltd.

Références :

Jurisprudence: arrêt appliqué: Re Redmond and Rothschild, [1971] 1 O.R. 436

arrêts examinés: Yield Investments Ltd. v. Newton (1976), 11 O.R. (2d) 554

Re Forfar and Township of East Gwillimbury, [1971] 3 O.R. 337, confirmé par [1972] R.C.S. v

arrêts mentionnés: Reference Re Certain Titles to Land in Ontario, [1973] 2 O.R. 613

Re Carter and Congram, [1970] 1 O.R. 800.

Proposition de citation de la décision: Miller c. Ameri-Cana Motel Ltd., [1983] 1 R.C.S. 229 (8 février 1983)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1983-02-08;.1983..1.r.c.s..229 ?
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