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21/12/1982 | CANADA | N°[1982]_2_R.C.S._905

Canada | Hammerling c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 905 (21 décembre 1982)


Cour suprême du Canada

Hammerling c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 905

Date: 1982-12-21

Anthony Thomas Hammerling Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

N° du greffe: 16634.

1982: 5 octobre; 1982: 21 décembre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU MANITOBA

Cour suprême du Canada

Hammerling c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 905

Date: 1982-12-21

Anthony Thomas Hammerling Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

N° du greffe: 16634.

1982: 5 octobre; 1982: 21 décembre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU MANITOBA


Synthèse
Référence neutre : [1982] 2 R.C.S. 905 ?
Date de la décision : 21/12/1982
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Vol - Abus de confiance criminel - Détournement de sommes détenues en fiducie.

L’appelant, qui est avocat, a été accusé sous neuf chefs d’abus de confiance criminel et neuf chefs de vol. Il a été déclaré coupable relativement à sept chefs de vol et a été acquitté relativement aux autres chefs, y compris tous les chefs d’abus de confiance criminel. L’appelant a fait appel de la déclaration de culpabilité et de la sentence à l’égard des accusations de vol, et la poursuite a fait appel de l’acquittement à l’égard des accusations d’abus de confiance criminel. La Cour d’appel du Manitoba a accueilli l’appel de l’appelant à l’encontre des déclarations de culpabilité relativement aux accusations de vol et a ordonné un verdict d’acquittement sur ces chefs; le même jour, elle a accueilli l’appel de la poursuite à l’encontre des verdicts d’acquittement sur les accusations relatives à l’abus de confiance criminel; elle a infirmé les verdicts d’acquittement et a déclaré l’accusé coupable relativement aux accusations d’abus de confiance criminel.

Arrêt (les juges McIntyre et Wilson sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.

Le juge en chef Laskin et le juge Estey: La Cour d’appel du Manitoba a eu raison de conclure que le juge du procès a commis une erreur de droit en acquittant l’accusé relativement aux chefs d’abus de confiance criminel. La poursuite avait le droit de faire appel à la Cour et d’obtenir la révision du jugement d’instance inférieure.

Les juges Beetz et Chouinard: Nous souscrivons à la conclusion du Juge en chef que le présent pourvoi doit être rejeté.

Le juge Lamer: Pour l’avenir, lorsqu’une cour est d’avis que les principes énoncés dans l’arrêt Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729, doivent s’appliquer, la cour devrait ordonner la suspension de l’instance au lieu de l’acquittement.

[Page 906]

Les juges McIntyre et Wilson, dissidents: La Cour d’appel n’avait pas compétence pour entendre l’appel incident de la poursuite relativement aux accusations d’abus de confiance criminel puisque, si le juge du procès a commis une erreur, il s’agit d’une erreur de fait et non de droit. La décision de la Cour d’appel d’accueillir l’appel de l’appelant relativement aux accusations de vol et l’appel incident de la poursuite relativement aux accusations d’abus de confiance criminel se fonde en partie sur le principe de l’arrêt Kienapple, qui ne peut s’appliquer si l’appel à l’encontre des accusations d’abus de confiance criminel est accueilli. Les accusations de vol doivent par conséquent être renvoyées à la Cour d’appel pour qu’elle entende de nouveau l’appel et qu’elle se prononce sur le fond.

[Jurisprudence: R. c. Olan et autres, [1978] 2 R.C.S. 1175; Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729.]

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba en date du 12 mai 1979 qui a infirmé un jugement de la cour de comté. Pourvoi rejeté, les juges McIntyre et Wilson sont dissidents.

John Sinclair, pour l’appelant.

John Montgomery, c.r., et E.P. Schachter, pour l’intimée.

Version française du jugement du juge en chef Laskin et du juge Estey rendu par

LE JUGE EN CHEF — Je suis d’avis que la Cour d’appel du Manitoba a eu raison de conclure que le juge du procès a commis une erreur de droit en acquittant l’accusé après avoir conclu qu’il n’y avait pas d’abus de confiance criminel. Compte tenu de ses constatations de faits, le juge du procès aurait dû déclarer l’accusé coupable. La poursuite avait par conséquent le droit de faire appel à la Cour d’appel du Manitoba et d’obtenir la révision du jugement d’instance inférieure. La Cour d’appel a conclu, suivant le principe énoncé dans l’arrêt R. c. Olan et autres, [1978] 2 R.C.S. 1175, que la preuve d’un risque de préjudice aux intérêts pécuniaires des clients de l’accusé constituait un élément de privation suffisant. Je suis d’avis de ne pas modifier cette opinion. Par conséquent, le pourvoi échoue et doit être rejeté.

Version française des motifs rendus par

LE JUGE BEETZ — Je souscris à la conclusion du Juge en chef que le présent pourvoi doit être rejeté.

[Page 907]

Version française des motifs des juges McIntyre et Wilson rendus par

LE JUGE MCINTYRE (dissident) — L’appelant, un avocat de Winnipeg, a été accusé dans une dénonciation sous serment faite le 15 décembre 1977 sous neuf chefs d’abus de confiance et neuf chefs de vol. Il a été renvoyé à son procès à l’issue d’une enquête préliminaire et son procès s’est ouvert le 10 octobre 1978 en cour criminelle du juge de la cour de comté du district judiciaire de l’est du Manitoba. Il a plaidé non coupable à chaque chef et à l’issue d’un procès de vingt-trois jours, il a été déclaré coupable relativement à sept chefs de vol et il a été acquitté relativement aux autres chefs, y compris tous les chefs d’abus de confiance criminel. Il a été condamné à trente mois d’emprisonnement.

L’appelant a fait appel de la déclaration de culpabilité et de la sentence à l’égard des accusations de vol, et la poursuite a fait appel de l’acquittement à l’égard des accusations d’abus de confiance criminel. Le 12 mai 1981, la Cour d’appel du Manitoba a entendu les deux appels, a accueilli l’appel de l’appelant à l’encontre des déclarations de culpabilité relativement aux accusations de vol, a ordonné un verdict d’acquittement sur ces chefs et a infirmé la sentence. Le même jour, elle a accueilli l’appel de la poursuite à l’encontre des verdicts d’acquittement sur les accusations relatives à l’abus de confiance criminel et a infirmé les verdicts d’acquittement; elle a déclaré l’accusé coupable relativement aux accusations d’abus de confiance criminel et lui a imposé une sentence de trente mois d’emprisonnement.

Lorsqu’il a rejeté les accusations d’abus de confiance, le juge du procès a examiné certaines décisions qui lui ont été citées au cours des plaidoiries et a reconnu, comme l’a dit le juge Dickson dans l’arrêt R. c. Olan et autres, [1978] 2 R.C.S. 1175, que la privation que comporte l’abus de confiance est établie si l’on prouve que les intérêts pécuniaires de la victime ont subi un dommage ou un préjudice ou qu’il y a risque de préjudice à leur égard. Il a alors fait remarquer:

[TRADUCTION] Il n’est pas essentiel que la fraude mène à une perte pécuniaire réelle.

[Page 908]

Il a en outre cité une autre décision, R. v. J.W.D. (1932), 38 R. de J. 481, pour dire que [TRADUCTION] «le simple fait que les bénéficiaires de la fiducie ne sont pas en fait privés de droits ou d’un bien ne change pas la situation si, de fait, l’accusé a détourné des biens de la fiducie avec l’intention de frauder». Il a fait remarquer que l’art. 296 exige la preuve de l’intention de frauder. Après avoir examiné les opérations de l’appelant avec les fonds de ses clients, et après avoir conclu que l’appelant [TRADUCTION] «avait pris l’habitude d’utiliser parfois les fonds d’un client pour en payer un autre», il a dit:

[TRADUCTION] Ayant établi cette habitude, j’estime qu’il est difficile de conclure que, d’après ces faits, l’intention de frauder est établie hors de tout doute raisonnable. Je rejette, sur tous les chefs, l’accusation portée en vertu de l’art. 296 de l’intention de frauder… d’abus de confiance criminel.

A mon avis, le juge du procès a rejeté les accusations de fraude parce qu’il n’était pas convaincu que l’élément d’«intention de frauder» nécessaire à une déclaration de culpabilité en vertu de l’art. 296 du Code criminel avait été établi. La poursuite a fait appel conformément à l’art. 605 du Code, et l’appel se limitait en conséquence à une question de droit seulement. Dans son avis d’appel, la poursuite a tenté d’énoncer ses moyens dans deux questions de droit rédigées de la façon suivante:

[TRADUCTION] 1. Que le savant juge du procès a commis une erreur de droit en décidant que l’intention de frauder dans le cas d’un abus de confiance criminel repose sur l’intention de rembourser et non sur l’intention de violer les termes de la fiducie;

2. Que le savant juge du procès a commis une erreur de droit en ce que, à partir de ses constatations de fait, il n’a pas conclu à l’intention de frauder que comporte l’infraction d’abus de confiance criminel.

Avec tout le respect que je dois au substitut du procureur général qui a rédigé ces moyens d’appel, et à la Cour d’appel qui les a accueillis, je ne peux pas dire que les motifs du juge du procès permettent de retenir ces moyens d’appel en tant que questions de droit. Les motifs du juge du procès indiquent qu’il a évalué avec justesse la nature de l’infraction d’abus de confiance criminel et que sa décision à cet égard ne s’appuie sur aucune erreur.

[Page 909]

S’il a commis une erreur en rejetant les accusations en raison de l’absence de l’intention de frauder, il s’agit d’une erreur de fait et non de droit, et la Cour d’appel n’avait pas compétence pour entendre l’appel de la poursuite.

Les accusations de vol ont été portées en vertu de l’art. 283 du Code criminel. Lorsqu’il a déclaré l’appelant coupable de vol, le juge du procès a dit:

[TRADUCTION] Il me semble que selon les faits de l’espèce, Me Hammerling a agi de propos délibérés; il connaissait le propriétaire des biens, il savait qu’il n’avait pas le droit de les utiliser et, selon ma conclusion, il n’avait pas les fonds, il a lui-même témoigné en ce sens, il n’avait pas les fonds suffisants pour faire face aux échéances respectives à cette époque. Je ne peux en conséquence que conclure que l’infraction de vol a été commise par l’accusé à l’égard des chefs 4, 6, 8, 10, 12 et 18.

L’appel de l’appelant à la Cour d’appel du Manitoba à l’encontre des accusations de vol a été formé en vertu des dispositons de l’art. 603 du Code criminel et la Cour d’appel qui avait compétence pour l’entendre, en était donc régulièrement saisie. La Cour d’appel a accueilli les appels à l’encontre de la déclaration de culpabilité et le juge en chef Freedman a dit à cet égard:

[TRADUCTION] Bien que nous ayons conclu à la fois à l’abus de confiance criminel et au vol, nous sommes tous d’avis d’appliquer en l’espèce le principe de l’arrêt Kienapple, savoir qu’il ne doit pas y avoir de condamnations doubles ou de peines doubles pour des infractions qui découlent des mêmes faits.

En conséquence, nous sommes d’avis d’accueillir l’appel incident de la poursuite relatif aux accusations d’abus de confiance criminel. L’appel de l’accusé à l’encontre de la déclaration de culpabilité relativement aux accusations de vol, bien qu’il ne puisse être accueilli au fond, est accueilli en raison de l’application du principe de l’arrêt Kienapple. En conséquence, les déclarations de culpabilité sont prononcées uniquement à l’égard des accusations d’abus de confiance criminel que soulève l’appel incident.

Il en résulte donc que la décision de la Cour d’appel d’accueillir l’appel de la poursuite à l’encontre des acquittements prononcés au procès à l’égard des accusations d’abus de confiance criminel doit être infirmée pour défaut de compétence et que les acquittements doivent être rétablis. La

[Page 910]

Cour d’appel a accueilli l’appel de l’appelant à l’encontre des déclarations de culpabilité de vol, mais cette décision paraît fondée, du moins en partie, sur l’application du principe de l’arrêt Kienapple. Cet arrêt ne peut s’appliquer si l’appel de l’appelant à l’encontre des accusations d’abus de confiance criminel est accueilli. Aucun pourvoi n’a été formé devant cette Cour à l’égard de ces accusations et, en conséquence, il n’appartient pas à cette Cour de les examiner au fond. Par conséquent, je suis d’avis de renvoyer les accusations de vol à la Cour d’appel pour audition, s’il y a lieu, et pour qu’elle se prononce sur le fond de l’appel interjeté par l’appelant devant elle.

Version française des motifs rendus par

LE JUGE CHOUINARD — Je souscris à la conclusion du Juge en chef que le présent pourvoi doit être rejeté.

Version française des motifs rendus par

LE JUGE LAMER — Je suis d’accord avec le Juge en chef, pour les motifs qu’il donne, que le présent pourvoi échoue et doit être rejeté.

Je suis en outre d’avis que, pour disposer de l’espèce, si nous avions accueilli le présent pourvoi, il aurait été préférable dans l’intérêt de la justice de procéder comme le suggère notre collègue le juge McIntyre, savoir de renvoyer les accusations de vol à la Cour d’appel du Manitoba pour qu’elle entende et décide de l’appel de l’appelant au fond.

Mais, pour l’avenir, l’arrêt de cette Cour Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729, devrait être reconsidéré et modifié de la façon suivante: lorsqu’une cour est d’avis que les principes énoncés dans l’arrêt Kienapple doivent s’appliquer, elle devrait ordonner une suspension de l’instance au lieu de l’acquittement.

Cette façon de procéder comporte deux avantages. Premièrement, elle évite des situations telles celle à laquelle nous sommes confrontés en l’espèce lorsqu’une cour d’appel reçoit l’ordre de reconsidérer un verdict d’acquittement bien que, évidemment, aucun appel n’ait été interjeté, de cette décision. Mais deuxièmement, la raison plus fondamentale est que, bien qu’une personne ne doive

[Page 911]

pas être déclarée coupable plus d’une fois pour une même infraction, ce principe n’entraîne pas nécessairement, lorsque des accusations multiples sont portées et qu’une condamnation est prononcée à l’égard de l’une d’elles, le droit à un verdict d’acquittement à l’égard de toutes les autres accusations. Une suspension d’instance concilie le principe sous-jacent à l’arrêt de cette Cour dans l’affaire Kienapple en même temps qu’elle évite l’enregistrement d’un verdict d’acquittement nonobstant la preuve hors de tout doute raisonnable d’une conduite qui constitue la culpabilité d’un acte criminel.

Pourvoi rejeté, les juges MCINTYRE et WILSON sont dissidents.

Procureurs de l’appelant: Sinclair & Edmond, Winnipeg.

Procureur de l’intimée: Le sous-procureur général de la province du Manitoba, Winnipeg.


Parties
Demandeurs : Hammerling
Défendeurs : Sa Majesté la Reine
Proposition de citation de la décision: Hammerling c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 905 (21 décembre 1982)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1982-12-21;.1982..2.r.c.s..905 ?
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