La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/08/1982 | CANADA | N°[1982]_2_R.C.S._286

Canada | R. c. Gee, [1982] 2 R.C.S. 286 (9 août 1982)


Cour suprême du Canada

R. c. Gee, [1982] 2 R.C.S. 286

Date: 1982-08-09

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Robert Douglas Gee Intimé.

N° du greffe: 16447.

1982: 8 février; 1982: 9 août.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ALBERTA

Cour suprême du Canada

R. c. Gee, [1982] 2 R.C.S. 286

Date: 1982-08-09

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Robert Douglas Gee Intimé.

N° du greffe: 16447.

1982: 8 février; 1982: 9 août.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ALBERTA


Synthèse
Référence neutre : [1982] 2 R.C.S. 286 ?
Date de la décision : 09/08/1982
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Meurtre - Moyens de défense - Justification - La défense «restreinte» d’emploi de force excessive pour empêcher la perpétration d’un acte criminel est-elle un moyen de défense reconnu? - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 27, 34.

Droit criminel — Exposé du juge au jury — Les erreurs que comporte l’exposé du juge justifient‑elles un nouveau procès?

L’intimé a été accusé de meurtre au deuxième degré. Il a soutenu en défense que la victime s’était portée à des voies de fait à l’endroit d’un de ses amis et que lui-même et sa coaccusée ont tué la victime en essayant d’empêcher la perpétration de cette infraction. La question qui se pose en regard de l’art. 27 du Code criminel est de savoir s’il existe au Canada une défense «restreinte» d’emploi de force excessive pour empêcher la perpétration d’une infraction, qui aurait pour effet de réduire à un homicide involontaire coupable ce qui serait autrement un meurtre.

Arrêt (les juges Martland, Ritchie et Estey sont dissidents): Le pourvoi est rejeté.

Les juges Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer: Il n’existe pas au Canada de défense «restreinte» d’emploi de force excessive pour empêcher la perpétration d’un crime, qui aurait pour effet de réduire à un homicide involontaire coupable ce qui serait autrement un meurtre. L’article 27 a pour effet de justifier l’accusé qui commet ce qui serait autrement un acte illégal. Si le jury est d’avis que la force employée pour empêcher la perpétration d’un crime est raisonnable compte tenu de toutes les circonstances, l’accusé a le droit d’être acquitté. Sinon, la défense de l’art. 27 échoue et le jury doit prononcer le verdict qu’il aurait prononcé, n’eût été l’art. 27. Il peut s’agir d’un verdict de meurtre si l’accusé a l’intention requise. Il peut s’agir d’un verdict d’homicide involontaire coupable, non à cause d’une justification partielle en vertu de l’art. 27 mais parce que

[Page 287]

l’élément mental particulier qu’exige la culpabilité de meurtre n’a pas été prouvé. On ne peut trouver la solution intermédiaire dans l’art. 27 mais, si elle existe, elle se trouve dans l’art. 212.

L’exposé du juge du procès au jury est entaché d’erreur. Premièrement, le juge a commis une erreur en exposant au jury la légitime défense en vertu de l’art. 34 alors qu’il n’y avait aucune preuve dont un jury pouvait raisonnablement déduire que l’accusé a aidé à tuer la victime parce qu’il appréhendait raisonnablement la mort ou des lésions corporelles graves. Le juge a exposé au jury que si l’accusé a employé une force plus grande qu’il n’était raisonnablement nécessaire pour se défendre, le jury devait déclarer l’accusé non coupable de meurtre mais coupable d’homicide involontaire coupable. En accordant tant d’attention à la légitime défense, le juge a omis d’expliquer le seul motif possible de justification, soit l’art. 27 et l’emploi de la force pour empêcher la perpétration d’une infraction.

Deuxièmement, l’exposé relativement à l’art. 27 était inadéquat. Le juge a omis de mentionner clairement que si la justification en vertu de l’art. 27 ne réussit pas, on doit prononcer un verdict de meurtre ou d’homicide involontaire coupable selon que l’intention est présente ou absente. La preuve soulevait la question de l’intention et la possibilité d’un verdict d’homicide involontaire coupable.

Le jury était perplexe quant à la distinction entre le meurtre et l’homicide involontaire coupable et il a demandé à deux reprises des directives supplémentaires. Ce n’est qu’au deuxième exposé supplémentaire que le juge a déclaré que «la différence entre le meurtre et l’homicide involontaire coupable résulte de l’intention». Il n’est pas certain qu’à ce stade des délibérations, cette explication était suffisante pour dissiper la confusion qu’ont causée les autres omissions de l’exposé.

Le juge en chef Laskin et le juge McIntyre: La possibilité de confusion dans l’exposé du juge au jury justifie l’ordonnance de nouveau procès. Le juge du procès a commis une erreur en donnant au jury des directives sur l’art. 34 du Code puisque les faits ne permettent pas d’invoquer la légitime défense. L’exposé sur le moyen de défense prévu à l’art. 27 était inadéquat et n’indiquait pas clairement au jury qu’il pouvait rendre un verdict d’homicide involontaire coupable en l’absence d’une intention de tuer, même s’il y a eu l’emploi d’une force excessive.

Les juges Martland, Ritchie et Estey, dissidents: Il n’existe pas de défense «restreinte» d’emploi de force excessive pour empêcher une infraction, et qui aurait pour effet de réduire à un homicide involontaire coupa-

[Page 288]

ble ce qui serait autrement un meurtre. L’exposé du juge au jury ne comporte pas d’erreurs suffisantes pour justifier l’ordonnance de nouveau procès. L’intimé ne peut à bon droit se plaindre de ce que la question de la légitime défense ait été exposée au jury puisque cet exposé ne lui était pas préjudiciable. Le juge du procès a traité de façon appropriée de l’application de l’art. 27 puisque les faits n’exigeaient pas de donner au jury un exposé concernant l’al. 27b). L’exposé a expliqué de façon appropriée la différence entre le meurtre et l’homicide involontaire coupable.

[Jurisprudence: R. v. McKay, [1957] V.R. 560; Brisson c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 227]

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (1980), 55 C.C.C. (2d) 525, 19 C.R. (3d) 222, 26 A.R. 212, qui a accueilli l’appel de l’intimé à l’encontre de la déclaration de culpabilité de meurtre et qui a ordonné un nouveau procès. Pourvoi rejeté, les juges Martland, Ritchie et Estey sont dissidents.

B.R. Fraser, pour l’appelante.

Noel O’Brien, pour l’intimé.

Version française des motifs du juge en chef Laskin et du juge McIntyre rendus par

LE JUGE EN CHEF — Il s’agit d’un appel de la poursuite, interjeté avec autorisation, à l’encontre d’un arrêt unanime de la Cour d’appel de l’Alberta qui a infirmé, pour des motifs différents, une déclaration de culpabilité de meurtre. Les moyens d’appel qu’invoque la poursuite sont exposés dans les motifs du juge Dickson en l’espèce et je n’ai pas à les répéter, sauf pour dire qu’ils concernent les erreurs du juge du procès qui a exposé au jury que la force excessive employée pour empêcher la perpétration d’une infraction contre une autre personne réduit à une accusation d’homicide involontaire coupable une accusation de meurtre portée contre un accusé, et que la croyance honnête mais erronée que l’emploi d’une force plus grande que nécessaire réduit également le meurtre à l’homicide involontaire coupable. Bien que la poursuite ait soulevé d’autres questions concernant la légitime défense, je suis d’accord avec le juge Dickson pour dire que rien ne permettait d’invoquer la légitime défense et que le juge du procès a commis une erreur en donnant au jury des directives sur l’art. 34 du Code criminel qui s’applique uniquement lorsque la légitime défense est en cause.

[Page 289]

Les membres de la Cour d’appel de l’Alberta, les juges McDermid, Moir et Prowse, se sont fondés entièrement sur les questions susmentionnées concernant la réduction du meurtre à l’homicide involontaire coupable et sur la justification qu’offre l’art. 27 du Code criminel. La Cour d’appel a conclu que l’erreur du juge du procès sur certains de ces points suffisait pour ordonner un nouveau procès. Etant donné la position qu’adopte l’intimé en l’espèce, j’estime superflu d’examiner les diverses opinions qu’ont exprimées les membres de la Cour d’appel.

Notre droit criminel reconnaît de façon constante qu’un intimé en cette Cour peut faire valoir un jugement rendu en sa faveur en invoquant tous les moyens dont il dispose qui ont été soulevés devant les cours d’instance inférieure et que cette Cour reconnaît, même si ces motifs n’ont pas été retenus par les cours d’instance inférieure et même si l’appelante a fondé son pourvoi devant cette Cour sur des motifs entièrement différents.

Dans le pourvoi à cette Cour, l’intimé s’est appuyé sur l’omission du juge du procès d’exposer correctement au jury la justification, une question qui semble avoir influencé l’ordonnance de nouveau procès rendue par la Cour d’appel de l’Alberta.

Ce qui est plus révélateur, cependant, pour l’intimé accusé, c’est l’erreur du juge du procès qui a expliqué la légitime défense, qui n’était pas pertinente, et dont l’exposé sur le moyen de défense prévu à l’art. 27 du Code était inadéquat alors que c’était le seul moyen de défense qui s’offrait à l’accusé. Elle n’a pas exposé clairement au jury qu’il pouvait prononcer un verdict d’homicide involontaire coupable, même s’il y avait eu l’emploi d’une force excessive, si le jury avait un doute sur l’existence d’une intention de tuer. Cette omission, jointe à l’importance accordée par erreur à la légitime défense prévue à l’art. 34 du Code, a été une source de confusion, et je souscris à l’opinion du juge Dickson que, de façon cumulative, en conséquence de ces erreurs, il y avait une possibilité de confusion suffisante pour justifier l’ordonnance de nouveau procès. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

[Page 290]

Version française des motifs des juges Martland, Ritchie et Estey rendus par

LE JUGE MARTLAND (dissident) — Je souscris à l’opinion du juge Dickson que, relativement à l’art. 27 du Code criminel, il n’existe pas de défense «restreinte» d’emploi de force excessive pour empêcher la perpétration d’une infraction, défense qui aurait pour effet de réduire à un homicide involontaire coupable ce qui serait autrement un meurtre. Je ne suis pas d’avis que, si on accepte cette analyse juridique, il y avait dans l’exposé du juge au jury des erreurs suffisantes pour justifier la tenue d’un nouveau procès.

On dit que le juge du procès a expliqué de façon erronée au jury la légitime défense prévue à l’art. 34 du Code. Je suis d’accord pour dire qu’il n’y avait pas de preuve permettant au jury de déduire raisonnablement que l’intimé, lorsqu’il a aidé à tuer Powley, a raisonnablement appréhendé la mort ou des lésions corporelles graves, ou qu’il a raisonnablement cru qu’il ne pouvait éviter autrement de subir des lésions corporelles. Cependant, la question de la légitime défense a été soulevée lorsqu’on a fait valoir que l’intimé a agi après que Powley se fut jeté sur lui avec une bouteille cassée. Le juge du procès a estimé que l’intimé avait droit à ce que cette défense soit exposée au jury.

L’exposé relatif à l’art. 34 n’était pas préjudiciable à l’intimé et il lui était favorable en ce qu’on a exposé au jury que si l’intimé a employé plus de force qu’il n’était nécessaire pour se défendre, le jury devait déclarer l’accusé non coupable de meurtre, mais coupable d’homicide involontaire coupable. A mon avis, l’exposé de la question de la légitime défense au jury n’est pas quelque chose dont l’intimé peut à bon droit se plaindre et ne constitue pas une erreur qui devrait donner lieu à un nouveau procès.

Le seul moyen de défense sur lequel l’intimé a cherché à s’appuyer et qui ait vraiment du poids est celui qu’offre l’art. 27 du Code:

27. Toute personne est fondée à employer la force raisonnablement nécessaire

a) pour empêcher la perpétration d’une infraction

[Page 291]

(i) pour laquelle, si elle était commise, la personne qui la commet pourrait être arrêtée sans mandat, et

(ii) qui serait de nature à causer des blessures immédiates et graves à la personne ou des dégâts immédiats et graves aux biens de toute personne; ou

b) pour empêcher l’accomplissement de tout acte qui, à son avis, basé sur des motifs raisonnables et probables, constituerait une infraction mentionnée à l’alinéa a).

A mon avis, ce moyen de défense a été soumis au jury de façon adéquate dans l’exposé. Le juge du procès a dit:

[TRADUCTION] Le deuxième moyen de défense de justification qu’ont soulevé les accusés est celui d’avoir empêché la perpétration d’une infraction. Le Code criminel prévoit que «Toute personne est fondée à employer la force raisonnablement nécessaire pour empêcher la perpétration d’une infraction pour laquelle, si elle était commise, la personne qui la commet pourrait être arrêtée sans mandat et qui serait de nature à causer des blessures immédiates et graves à la personne ou des dégâts immédiats et graves aux biens de toute personne». L’infraction de voie de fait causant des lésions corporelles est une infraction pour laquelle une personne peut être arrêtée sans mandat, de sorte que vous n’avez pas à vous préoccuper de cet aspect de la défense. Vous devez vous demander si les accusés ont agi en vue d’empêcher la perpétration d’une infraction, l’infraction de voies de fait causant des lésions corporelles, et si cette infraction était de nature à causer des blessures immédiates et graves à la personne de Paul Racz. Si vous êtes convaincus que ce n’est pas le cas, alors vous devez rejeter cette défense. Si vous êtes convaincus que les accusés ont agi de cette manière ou si vous avez un doute raisonnable à cet égard, alors vous devez vous demander si les accusés ont employé plus de force qu’il n’était raisonnablement nécessaire dans les circonstances.

La preuve, dans les déclarations des accusés et dans le témoignage de l’accusé Gee, indique qu’ils se sont sauvés lorsque la bagarre a commencé. Lorsqu’ils sont revenus dans la chambre, ils ont trouvé Racz et Powley en train de se battre comme on vous l’a dit, et les deux étaient couverts de sang. Ils l’ont dit à plusieurs reprises, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de passer en revue la preuve à cet égard. On le dit partout dans les déclarations et dans le témoignage de Gee, vous aurez les déclarations et vous pourrez les examiner. On dit partout dans les déclarations et dans le témoignage de l’accusé Gee qu’ils avaient peur que Powley cause des

[Page 292]

lésions graves à Racz ou qu’il le tue. En outre vous devez considérer qu’ils avaient une idée des tendances de Powley au sadisme. Vous devez tenir compte des circonstances dans lesquelles ils se trouvaient et de leur état mental. Dans les circonstances, vous devez décider s’ils ont agi pour empêcher que Powley ne cause de lésions corporelles en attaquant à Racz. Vous devez décider si la force qu’ils ont employée était raisonnablement nécessaire.

Si vous êtes convaincus que ce moyen de défense a été prouvé ou si vous avez un doute raisonnable à cet égard, vous devez déclarer les accusés non coupables de meurtre.

Les faits dans cette affaire n’exigeaient pas que le juge du procès fasse un exposé au jury relativement à l’al. b) de l’art. 27. La preuve qu’a fait valoir la défense est que l’intimé et sa coaccusée Susan Fife ont asséné plusieurs coups à la victime Powley afin d’aider et de protéger leur ami Racz, qui se battait avec Powley. Suivant ces éléments de preuve, leurs efforts tendaient à empêcher que Powley, qui était armé d’une bouteille cassée, continue à se battre.

Cette défense se rapporte à l’empêchement d’un acte criminel au sens de l’al. a). Elle se rapporte à l’empêchement de voies de fait que Powley était en train de subir. Elle ne se rapporte pas à l’empêchement d’une attaque, qui est la situation qu’envisage l’al. b).

Dans un exposé supplémentaire au jury, le juge du procès a dit:

[TRADUCTION] Mesdames et messieurs, vous m’avez posé une question qui indique que vous voulez obtenir, en termes concis, une description et une définition claire de l’homicide coupable, du meurtre au deuxième degré et de l’homicide involontaire coupable.

En ce qui concerne l’homicide coupable, une personne commet un homicide coupable lorsqu’elle cause la mort d’un être humain au moyen d’un acte illégal. En ce qui concerne le meurtre, l’homicide coupable est un meurtre, et je crois que je vous ai déjà dit que vous pouvez faire abstraction de l’expression deuxième degré, qui n’a pas d’importance dans vos délibérations. L’homicide coupable est un meurtre lorsque la personne qui cause la mort d’un être humain a l’intention de causer sa mort ou a l’intention de lui causer des lésions corporelles qu’elle sait être de nature à causer sa mort et qu’il lui est indifférent que la mort s’ensuive ou non. En ce qui

[Page 293]

concerne l’homicide involontaire coupable, l’homicide coupable qui n’est pas un meurtre est un homicide involontaire coupable. Je puis peut-être vous aider davantage. Il y a quatre situations dans lesquelles vous devez déclarer les accusés non coupables de meurtre, un point c’est tout. Si vous avez un simple doute raisonnable que les accusés ont commis un homicide coupable, vous devez les déclarer non coupables de meurtre. Si vous avez un simple doute raisonnable concernant la légitime défense, vous devez les déclarer non coupables de meurtre. Si vous avez un simple doute raisonnable concernant le moyen de défense suivant lequel ils auraient agi pour empêcher la perpétration d’une infraction, vous devez les déclarer non coupables de meurtre. Si vous avez un simple doute raisonnable concernant la défense de nécessité, vous devez les déclarer non coupables de meurtre.

Il y a trois situations dans lesquelles vous devez déclarer les accusés non coupables de meurtre mais coupables d’homicide involontaire coupable. Si vous avez un doute raisonnable quant à la légitime défense, mais que vous soyez convaincus qu’ils ont employé plus de force qu’il n’était nécessaire, vous devez déclarer les accusés non coupables de meurtre mais coupables d’homicide involontaire coupable. Si vous avez un simple doute raisonnable quant à la défense de provocation, vous devez déclarer les accusés non coupables de meurtre mais coupables d’homicide involontaire coupable. Si vous êtes convaincus que les accusés ont commis un homicide coupable, mais que vous ayez un doute raisonnable quant à savoir s’ils ont commis un meurtre, vous devez alors déclarer les accusés non coupables de meurtre mais coupables d’homicide involontaire coupable.

On reproche au juge du procès de n’avoir pas mentionné l’art. 27 dans le deuxième alinéa de ce passage. C’est parce que, dans le premier alinéa de ce passage, le juge du procès énonce quatre situations dans lesquelles, comme elle le dit, «vous devez déclarer les accusés non coupables de meurtre». Une de ces situations est le moyen de défense prévu à l’art. 27 «Si vous avez un simple doute raisonnable concernant le moyen de défense suivant lequel ils auraient agi pour empêcher la perpétration d’une infraction, vous devez les déclarer non coupables de meurtre».

Le deuxième alinéa traite des situations dans lesquelles le jury peut déclarer l’accusé non coupable de meurtre, mais coupable d’homicide involontaire coupable. Le moyen de défense prévu à l’art. 27 ne s’y trouve pas parce que le juge du

[Page 294]

procès était d’avis, et je suis d’accord avec elle, qu’il n’y a pas de défense restreinte d’emploi d’une force excessive pour empêcher la perpétration d’un acte criminel, défense qui aurait pour effet de réduire à un homicide involontaire coupable ce qui serait autrement un meurtre.

Le juge du procès avait déjà traité, et avec justesse à mon avis, de la nécessité d’une preuve de l’intention en vue d’établir une accusation de meurtre. Au premier alinéa du passage cité ci-dessus, elle a dit: [TRADUCTION] «L’homicide coupable est un meurtre lorsque la personne qui cause la mort d’un être humain a l’intention de causer sa mort ou a l’intention de lui causer des lésions corporelles qu’elle sait être de nature à causer sa mort et qu’il lui est indifférent que la mort s’ensuive ou non. En ce qui concerne l’homicide involontaire coupable, l’homicide coupable qui n’est pas un meurtre est un homicide involontaire coupable».

Dans un autre exposé supplémentaire, elle a dit:

[TRADUCTION] Un meurtre peut être commis de deux façons. D’abord, une personne commet un meurtre lorsqu’elle cause la mort d’un être humain au moyen d’un acte illégal et qu’elle a l’intention de causer sa mort. En deuxième lieu, une personne commet un meurtre lorsqu’elle cause la mort d’un être humain au moyen d’un acte illégal et qu’elle a l’intention de lui causer des lésions corporelles qu’elle sait être de nature à causer sa mort et qu’il lui est indifférent que la mort s’ensuive ou non. Je répète. Une personne commet un meurtre lorsqu’elle cause la mort d’un être humain au moyen d’un acte illégal et qu’elle a l’intention de lui causer des lésions corporelles qu’elle sait être de nature à causer sa mort et qu’il lui est indifférent que la mort s’ensuive ou non. Une personne commet un homicide involontaire coupable lorsqu’elle cause la mort d’un être humain au moyen d’un acte illégal. La différence entre le meurtre et l’homicide involontaire coupable résulte de l’intention. Je peux vous répéter ce que j’ai dit concernant l’homicide involontaire coupable. Une personne commet un homicide involontaire coupable lorsqu’elle cause la mort d’un être humain au moyen d’un acte illégal.

A mon avis, dans son exposé, le juge du procès a traité de façon approprié de l’application de l’art. 27 et de la différence entre le meurtre et l’homicide involontaire coupable. Lorsqu’il s’applique, l’art. 27 offre un moyen de défense absolu. Si on emploie une force excessive pour empêcher la per-

[Page 295]

pétration d’un acte criminel, l’art. 27 ne s’applique pas et, dans ce cas, l’article n’a pas pour effet de réduire un meurtre à un homicide involontaire coupable. Etant donné les faits de l’espèce, la seule chose qui aurait pu conduire à un verdict d’homicide involontaire coupable aurait été l’absence de l’intention de commettre un meurtre ou la provocation. A mon avis, ces deux possibilités ont été exposées au jury de façon appropriée.

En conséquence, je suis d’avis que l’exposé au jury ne comporte pas d’erreur qui ait été préjudiciable à l’accusé. Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel et de rétablir le verdict prononcé au procès.

Version française du jugement des juges Dickson, Beetz, Chouinard et Lamer rendu par

LE JUGE DICKSON — La question en l’espèce est de savoir s’il existe au Canada une défense «restreinte» d’emploi de force excessive pour empêcher la perpétration d’une infraction qui aurait pour effet de réduire à un homicide involontaire coupable ce qui serait autrement un meurtre. La question se pose en regard de l’art. 27 du Code criminel qui se lit:

27. Toute personne est fondée à employer la force raisonnablement nécessaire

a) pour empêcher la perpétration d’une infraction

(i) pour laquelle, si elle était commise, la personne qui la commet pourrait être arrêtée sans mandat, et

(ii) qui serait de nature à causer des blessures immédiates et graves à la personne ou des dégâts immédiats et graves aux biens de toute personne; ou

b) pour empêcher l’accomplissement de tout acte qui, à son avis, basé sur des motifs raisonnables et probables, constituerait une infraction mentionnée à l’alinéa a).

I

Les faits

L’intimé Gee et une nommée Susan Fife ont été accusés d’avoir tué David Powley et d’avoir ainsi commis un meurtre au deuxième degré contrairement au Code criminel. Ils ont été jugés devant un jury, déclarés coupables de l’infraction reprochée

[Page 296]

et condamnés à l’emprisonnement à vie sans avoir droit à une libération conditionnelle avant dix ans.

Le soir du 15 novembre 1978, Gee, un prostitué et travesti, Fife, une prostituée, et un certain Paul Racz se sont rencontrés chez Gee pour prendre un verre avant de descendre dans la rue aux fins de la prostitution. Comme il faisait mauvais, l’intimé a fait en sorte que tous trois se retrouvent chez la victime, David Powley, que l’intimé connaissait et qu’il a décrit comme [TRADUCTION] «un tordu bourré d’argent». A leur arrivée, ils ont à nouveau pris quelques verres au bar puis sont montés dans une chambre. Ce qui s’est produit ensuite a été raconté dans une déclaration que l’intimé a faite à la police et qui se résume brièvement comme suit. Powley a proposé que Racz se déguise avec de la lingerie féminine, ce que Racz a consenti à faire avec hésitation. Gee et Fife ont cherché d’autres vêtements féminins. La déclaration poursuit: [TRADUCTION] «Ensuite, j’ai entendu un fracas et nous nous sommes retournés et David et Paul se battaient. Je pense que Paul a essayé de l’assommer en le frappant à la tête avec une bouteille». Gee et Fife ont frappé Powley à la tête à plusieurs reprises avec des objets, y compris des bouteilles, une poêle à frire et une lampe. Powley était mort lorsqu’ils ont cessé de frapper. Selon la théorie de la poursuite, la mort résulterait d’un vol prémédité auquel Powley a résisté. Selon celle de la défense, Powley aurait attaqué Racz et se serait porté à des voies de fait à son endroit; l’intimé et Fife auraient tenté d’empêcher la perpétration de cette infraction et, de ce fait, ils ont tué Powley.

II

La Cour d’appel de l’Alberta

Les trois juges de la Cour d’appel de l’Alberta ont accueilli, pour des motifs complètement différents, l’appel de l’intimé et ordonné un nouveau procès. Le juge McDermid a considéré que le droit canadien est semblable au droit australien et que la croyance honnête, bien qu’erronée, qu’on n’emploie pas une force plus grande que nécessaire est un moyen de défense qui réduit à un homicide involontaire coupable ce qui serait autrement un meurtre et que ce moyen de défense s’applique en

[Page 297]

vertu du par. 7(3) du Code criminel à la légitime défense. Le juge McDermid a conclu que cette réduction de meurtre à homicide involontaire coupable s’applique également lorsque le moyen de défense porte que la force employée vise à empêcher la perpétration d’un acte criminel. Il justifie cette réduction de meurtre à homicide involontaire coupable par le degré moindre de «culpabilité morale» chez une personne qui emploie une force plus grande qu’il n’est nécessaire, mais non une force plus grande que celle qu’il croit honnêtement, mais erronément, nécessaire pour empêcher la perpétration d’un crime violent.

Si je comprends bien son raisonnement, le juge Prowse tente d’examiner la question à partir de la mens rea qu’exige le meurtre; une personne qui croit honnêtement, mais de façon erronée, que la force qu’elle emploie est raisonnable n’a pas l’intention coupable qu’exige le meurtre. Le juge Moir souscrit à la conclusion du juge Prowse mais non à ses motifs. Il appuie son jugement sur le fait que [TRADUCTION] «même s’il y a eu intention de tuer ou de blesser, on peut excuser ou pardonner à cause des circonstances atténuantes» et il y a donc lieu d’envisager la possibilité de réduire l’accusation de meurtre à celle d’homicide involontaire coupable. Un accusé peut employer la force en sachant qu’il en résultera la mort ou des blessures graves. En ce sens, la définition du meurtre de l’art. 212 s’appliquerait prima facie à l’accusé. Cependant, si l’accusé a employé la force en croyant honnêtement qu’elle était nécessaire, il ne pourrait alors être coupable de meurtre. En outre, cette conviction ne paraît pas devoir être raisonnable. Dans ces circonstances, le jury devrait «réduire» l’accusation de meurtre à une accusation d’homicide involontaire coupable.

La question que soulèvent les trois juges de la Cour d’appel est de savoir si un meurtre est réduit à un homicide involontaire coupable lorsqu’on plaide la justification comme moyen de défense, savoir que l’accusé voulait empêcher la perpétration d’un acte criminel, et qu’on emploie une force excessive. A ma connaissance, c’est la première fois au Canada qu’on admet une défense partielle en vertu de l’art. 27 du Code pour réduire à un homicide involontaire coupable ce qui serait autre-

[Page 298]

ment un meurtre. Jusqu’à présent, on avait considéré la défense de justification prévue à l’art. 27 comme un moyen de défense absolu, qui entraîne l’acquittement de l’accusé, ou qui n’offre aucune défense. Il n’y a pas eu de solution intermédiaire.

III

La poursuite appelante a énoncé comme suit les questions que soulève le pourvoi:

[TRADUCTION] [1.] La Cour d’appel a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que le concept de common law de la force excessive, jointe à la légitime défense qui réduit le meurtre à l’homicide involontaire coupable et qu’on trouve en droit australien, s’applique à la justification comme moyen de défense, savoir que l’accusé voulait empêcher la perpétration d’une infraction, et est-ce que la directive donnée au jury constitue par conséquent une erreur de droit équivalant à une directive erronée?

[2.] La Cour d’appel a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que le droit canadien est semblable au droit australien, et que la croyance honnête, quoique erronée, qu’on n’emploie pas une force plus grande que nécessaire est un moyen de défense qui réduit à un homicide involontaire coupable ce qui serait autrement un meurtre et que cette défense s’applique, en vertu du par. 7(3) du Code criminel, au moyen de légitime défense, et la directive donnée au jury constitue-t-elle par conséquent une erreur de droit équivalant à une directive erronée?

[3.] La Cour d’appel a-t-elle commis une erreur en concluant que la force excessive employée en situation de légitime défense ou de justification excuse le meurtre et le réduit à l’homicide involontaire coupable même si l’accusé avait l’intention de tuer ou de blesser, et la directive donnée au jury constitue-t-elle par conséquent une erreur de droit équivalant à une directive erronée?

[4.] La Cour d’appel a-t-elle commis une erreur en décidant que si le jury conclut que l’accusé a tué la victime et rejette le moyen de légitime défense de l’accusé, alors la question de l’homicide involontaire coupable doit être laissée à l’appréciation du jury avec la directive suivante:

«si vous croyez que l’accusé a agi parce qu’il craignait raisonnablement qu’une autre personne soit tuée ou subisse des lésions corporelles graves, ou si vous avez un doute raisonnable sur cette question, alors, si l’accusé échoue sur le moyen de légitime défense uniquement parce que vous en venez à la conclusion qu’il a employé plus de force que nécessaire dans les circonstances, vous devez prononcer un verdict de culpabilité d’homicide involontaire coupable.»

[Page 299]

et le refus de le faire constitue-t-il une erreur de droit équivalant à une directive erronée?

IV

Le débat s’est centré sur la question de savoir si l’emploi de la force excessive en légitime défense peut réduire à un homicide involontaire coupable ce qui serait autrement un meurtre. La poursuite appelante a plaidé pour la négative. L’intimé Gee plaide en faveur.

On s’est penché attentivement sur la jurisprudence australienne, anglaise et canadienne qui porte sur la légitime défense, même s’il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas de légitime défense mais de force excessive pour empêcher la perpétration d’un acte criminel, à savoir, pour empêcher que la victime Powley ne poursuive ses voies de fait graves à l’endroit de Racz. Il convient de souligner la différence entre le texte de loi de l’art. 34 du Code, pour la légitime défense, et de l’art. 27 du Code que j’ai déjà cité. L’article 34 se lit:

34. (1) Toute personne illégalement attaquée sans provocation de sa part est fondée à repousser la violence par la violence, si, en faisant usage de violence, elle n’a pas l’intention de causer la mort ni des lésions corporelles graves et si la violence n’est pas poussée au-delà de ce qui est nécessaire pour lui permettre de se défendre.

(2) Quiconque est illégalement attaqué et cause la mort ou une lésion corporelle grave en repoussant l’attaque, est justifié

a) s’il la cause parce qu’il a des motifs raisonnables pour appréhender que la mort ou quelque lésion corporelle grave ne résulte de la violence avec laquelle l’attaque a en premier lieu été faite, ou avec laquelle l’assaillant poursuit son dessein, et

b) s’il croit, pour des motifs raisonnables et probables, qu’il ne peut autrement se soustraire à la mort ou à des lésions corporelles graves.

La défense restreinte d’emploi de force excessive en légitime défense s’est développée dans certaines juridictions criminelles de common law et a été appliquée par analogie à la défense dite d’empêchement de la perpétration d’un acte criminel (voir R. v. McKay, [1957] V.R. 560). Le coeur de l’argument de l’intimé est que, s’il existe au Canada une défense restreinte d’utilisation de force excessive en légitime défense, par analogie, on doit admettre également pareille défense pour

[Page 300]

avoir empêché la perpétration d’une infraction. Cette analogie, cependant, peut être plus difficile à faire, dans un pays, comme le Canada, doté d’un code criminel dans lequel les deux moyens de défense sont prévus dans deux dispositions législatives rédigées de façon différente.

Dans l’arrêt Brisson c. La Reine, [1982] 2 S.C.R. 227, rendu en même temps que celui en l’espèce, j’ai exprimé l’avis que la force excessive en légitime défense, à moins qu’elle ne se rapporte à l’intention au sens de l’art. 212 du Code ou à la provocation, ne réduit pas le meurtre à l’homicide involontaire coupable. Comme je l’ai souligné dans les motifs de l’arrêt Brisson, la distinction entre le meurtre et l’homicide involontaire coupable réside dans l’intention. L’intention est un élément du meurtre au sens de l’art. 212 du Code criminel. Une décision quant à la présence ou à l’absence de cette intention doit être sous-jacente à l’examen de l’existence d’une défense ou d’une justification. C’est la nature de l’infraction qui établit quels moyens de défense possibles s’offrent à l’accusé. Par exemple, une «défense» de provocation prévue à l’art. 215 du Code criminel n’est pas nécessaire lorsqu’on constate l’absence de l’intention requise à l’art. 212. Une fois l’infraction qualifiée d’homicide involontaire coupable en raison de l’absence de l’intention requise à l’art. 212, il n’est simplement plus nécessaire d’invoquer une «défense» telle la provocation qui réduit le meurtre à l’homicide involontaire coupable. De même, il est capital que l’infraction ait été qualifiée de meurtre ou d’homicide involontaire coupable avant de se tourner vers l’art. 27 du Code, la défense d’empêchement de la perpétration d’une infraction.

A mon avis, le point de départ est la combinaison des art. 212 et 205 du Code. Suivant l’art. 205 du Code, commet un homicide quiconque, directement ou indirectement, par quelque moyen, cause la mort d’un être humain. L’homicide est coupable ou non coupable. L’homicide qui n’est pas coupable ne constitue pas une infraction. L’homicide coupable est un meurtre ou un homicide involontaire coupable lorsqu’il cause la mort d’un être humain par un des quatre moyens énumérés, dont celui énoncé à l’al. 205(5)a) est pertinent aux fins des présentes: «au moyen d’un acte illégal».

[Page 301]

L’article 27 a pour effet de justifier l’accusé qui commet ce qui serait autrement un acte illégal. Il rend légal ce qui serait autrement illégal.

Passons maintenant à l’art. 212. L’homicide coupable est un meurtre lorsque la personne qui cause la mort d’un être humain a l’intention de causer sa mort ou a l’intention de lui causer des lésions corporelles ou sait qu’elle causera des lésions corporelles et qu’il lui est indifférent que la mort s’ensuive ou non.

S’il n’y a pas cette intention, l’homicide coupable est un homicide involontaire coupable ou un infanticide. Il ne peut s’agir d’un meurtre en l’absence de la preuve de l’intention qu’exige l’al. 212a) du Code criminel, et cette intention ne peut être présumée simplement du fait du crime. Si la poursuite établit hors de tout doute raisonnable que la mort a été donnée avec cette intention, ou que la mort a été illégalement donnée sans cette intention, c.-à-d. les éléments du meurtre ou de l’homicide involontaire coupable respectivement, l’accusé peut invoquer l’art. 27 du Code que je répète pour en faciliter la consultation:

27. Toute personne est fondée à employer la force raisonnablement nécessaire

a) pour empêcher la perpétration d’une infraction

(i) pour laquelle, si elle était commise, la personne qui la commet pourrait être arrêtée sans mandat, et

(ii) qui serait de nature à causer des blessures immédiates et graves à la personne ou des dégâts immédiats et graves aux biens de toute personne; ou

b) pour empêcher l’accomplissement de tout acte qui, à son avis, basé sur des motifs raisonnable et probables, constituerait une infraction mentionnée à l’alinéa a).

Cet article offre une justification pour l’emploi de toute la force raisonnablement nécessaire pour empêcher la perpétration d’un acte criminel. Il est évident que cet article envisage la possibilité du décès et peut même étendre la justification à la mort donnée avec intention, si cela est raisonnablement nécessaire. Il appartient au jury de décider si la force employée est raisonnablement nécessaire. Si la force employée est raisonnable compte tenu de toutes les circonstances, l’accusé a le droit

[Page 302]

d’être acquitté; sinon, à mon avis, il est coupable de meurtre s’il a l’intention requise. La fonction du jury appelé à appliquer le critère du caractère raisonnable dans l’administration de la justice est décrite comme suit dans Halsbury’s Laws of England (4e éd.), vol. 11, à la p. 630:

[TRADUCTION] Pour décider si la force employée était raisonnable, la cour tiendra compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris la nature et le degré de la force employée, la gravité du mal à empêcher et la possibilité de l’empêcher par d’autres moyens. Il s’agit d’une disposition d’application générale qui ne se limite pas aux infractions qui autorisent une arrestation ou à une autre catégorie d’infractions, mais il ne serait pas raisonnable d’utiliser même la moindre force pour empêcher des infractions sans aucune gravité. Les circonstances dans lesquelles on peut juger raisonnable de tuer une autre personne pour empêcher un crime doivent être exceptionnelles; elles peuvent probablement survenir uniquement dans le cas d’une attaque contre la personne susceptible de causer la mort ou des lésions corporelles graves et lorsque tuer l’attaquant est la seule façon possible d’empêcher le crime. Il ne peut être raisonnable de tuer une autre personne simplement pour empêcher un crime contre les biens seulement.

L’article 26 du Code doit être lu de concert avec le passage de Halsbury. L’article 26 prévoit que quiconque est autorisé à employer la force est criminellement responsable de tout excès de force selon la nature et la qualité de l’acte qui constitue l’excès.

A mon avis, on ne peut dire que la force peut être justifiée en partie. La défense qui réussit en vertu de l’art. 27 entraîne l’acquittement. Si le moyen de défense qu’offre l’art. 27 ne réussit pas, le jury doit prononcer le verdict qu’il aurait prononcé, n’eût été l’art. 27. Il peut s’agir d’un verdict d’homicide involontaire coupable, non à cause d’une justification partielle en vertu de l’art. 27, mais parce que l’élément moral particulier qu’exige la culpabilité de meurtre n’a pas été prouvé. En d’autres mots, on ne peut trouver la solution intermédiaire dans l’art. 27 mais, si elle existe, elle se trouve dans l’art. 212.

Pour ces motifs, je suis d’avis qu’il n’existe pas au Canada de défense «restreinte» d’emploi de force excessive pour empêcher la perpétration d’un crime, qui aurait pour effet de réduire à un homi-

[Page 303]

cide involontaire coupable ce qui serait autrement un meurtre.

V

L’exposé au jury

Il faut dire immédiatement que la tâche du juge du procès, face à son exposé au jury, était loin d’être facile compte tenu de l’état incertain du droit au moment du procès et de l’opinion généralement dominante que les principes applicables aux moyens de défense que sont la légitime défense et l’empêchement de la perpétration d’un crime, en dépit de dispositions législatives différentes, devaient être trouvés dans la common law et étaient, à toutes fins pratiques, identiques.

Je suis d’avis que le juge du procès a commis une erreur à deux égards: d’abord dans son exposé au jury relativement à l’art. 34 du Code et ensuite, par un exposé insuffisant relativement à l’art. 27 du Code. Le dossier ne contient aucune preuve dont un jury pouvait raisonnablement déduire que Gee, lorsqu’il a aidé à tuer Powley, l’a fait parce qu’il appréhendait raisonnablement la mort ou des lésions corporelles graves ou qu’il croyait raisonnablement qu’il ne pouvait autrement éviter des lésions corporelles. Gee avait droit à ce que le jury examine tous ses moyens de défense subsidiaires, mais uniquement si une constatation de fait appuyait le moyen de défense. La seule preuve qu’a mentionnée le juge du procès était que Gee et Racz ont tous deux témoigné que Powley s’est jeté sur Gee et a donné un coup de pied à Fife. Mais comme le juge du procès l’a elle-même fait remarquer, [TRADUCTION] «Or, je crois qu’il est bien évident qu’il [Powley] ne pouvait échapper à Racz de sorte qu’il ne pouvait en venir à ses fins au moment en question». De plus, Gee a témoigné qu’après l’attaque de Powley, il [Gee] [TRADUCTION] «s’est précipité hors de la chambre». Il n’y avait donc plus de possibilité d’un affrontement qui mette la vie de Gee en danger et ainsi tout fondement d’un plaidoyer de légitime défense avait disparu. C’est plus tard, alors qu’il descendait l’escalier, que Gee a entendu un fracas. Il a couru au bar, s’est emparé d’une bouteille, a remonté en courant et [TRADUCTION] «l’a frappé [Powley] à la tête avec cette bouteille».

[Page 304]

Le juge a fait un long exposé sur la légitime défense. Dans son exposé, elle a indiqué au jury que s’il était d’avis que les accusés ont employé une force plus grande qu’il n’était raisonnablement nécessaire pour leur permettre de se défendre, le jury devait déclarer l’accusé non coupable de meurtre mais coupable d’homicide involontaire coupable. En ce sens, l’exposé était indûment favorable à l’accusé. En accordant tant d’attention à la légitime défense, le juge a cependant omis d’expliquer suffisamment le seul motif possible de justification, soit l’art. 27, et l’emploi de la force pour empêcher la perpétration d’une infraction.

L’exposé relativement à l’art. 27 était inadéquat. On a mentionné uniquement l’al. 27a) et non l’al. 27b). On a indiqué au jury que si [TRADUCTION] «il est convaincu que le moyen de défense a été prouvé ou s’il a un doute raisonnable à cet égard, il doit déclarer les accusés non coupables de meurtre». Le juge n’a pas indiqué au jury quel serait l’effet de l’échec de la défense des accusés en vertu de l’art. 27. Au cours d’un exposé supplémentaire, le juge a dit à la p. 967 [du dossier]:

[TRADUCTION] Il y a trois situations dans lesquelles vous devez déclarer les accusés non coupables de meurtre mais coupables d’homicide involontaire coupable. Si vous avez un doute raisonnable quant à la légitime défense, mais que vous soyez convaincus qu’ils ont employé plus de force qu’il n’était nécessaire, vous devez déclarer les accusés non coupables de meurtre mais coupables d’homicide involontaire coupable. Si vous avez un simple doute raisonnable quant à la défense de provocation, vous devez déclarer les accusés non coupables de meurtre mais coupables d’homicide involontaire coupable. Si vous êtes convaincus que les accusés ont commis un homicide coupable, mais que vous ayez un doute raisonnable quant à savoir s’ils ont commis un meurtre, vous devez alors déclarer les accusés non coupables de meurtre mais coupables d’homicide involontaire coupable.

Ce passage mentionne la force excessive en légitime défense et la provocation, mais ne mentionne pas l’art. 27. Il ne mentionne pas clairement que si la justification en vertu de l’art. 27 ne réussit pas, on doit prononcer un verdict de meurtre ou d’homicide involontaire coupable selon que l’intention prévue à l’art. 212 est présente ou absente. Gee a témoigné avoir dit à Susan Fife de ne pas poignarder Powley, [TRADUCTION] «d’essayer seulement

[Page 305]

de l’assommer». La question de l’intention et la possibilité d’un verdict d’homicide involontaire coupable en cas d’échec de la défense permise par l’art. 27 étaient donc soulevées. En aucun temps le juge n’a relié l’art. 27 à l’absence d’intention.

Le jury était perplexe quant à la distinction entre le meurtre et l’homicide involontaire coupable. Au cours de ses délibérations, il a demandé à deux reprises des directives supplémentaires à ce sujet. Ce n’est qu’au deuxième exposé supplémentaire que le juge du procès a énoncé de façon précise que [TRADUCTION] «la différence entre le meurtre et l’homicide involontaire coupable résulte de l’intention». Je ne suis pas convaincu qu’à ce stade des délibérations, cette explication de la distinction était suffisante pour remédier aux omissions que comportait l’ensemble de l’exposé, d’autant plus qu’en l’espèce, l’exposé a été compliqué par l’introduction, dans cette partie-là, de la légitime défense et du concept erroné de la défense «restreinte» d’emploi de force excessive qui réduirait le meurtre à l’homicide involontaire coupable. On a ainsi ouvert la porte à une confusion possible dont on ne peut mesurer toute la portée, et on a détourné l’attention de l’art. 212 et de la portée potentiellement étendue de l’art. 27 du Code.

En conséquence, pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi et de confirmer l’ordonnance d’un nouveau procès.

Pourvoi rejeté, les juges MARTLAND, RITCHIE et ESTEY sont dissidents.

Procureur de l’appelante: Bruce R. Fraser, Edmonton.

Procureurs de l’intimé: O’Brien, Devlin, Munbolland, Calgary.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Gee
Proposition de citation de la décision: R. c. Gee, [1982] 2 R.C.S. 286 (9 août 1982)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1982-08-09;.1982..2.r.c.s..286 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award