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23/06/1982 | CANADA | N°[1982]_1_R.C.S._1092

Canada | Schavernoch c. Commission des réclamations étrangères et autres, [1982] 1 R.C.S. 1092 (23 juin 1982)


Cour suprême du Canada

Schavernoch c. Commission des réclamations étrangères et autres, [1982] 1 R.C.S. 1092

Date: 1982-06-23

Jolana Schavernoch (née Kostrinsky) Appelante;

et

La Commission des réclamations étrangères, le procureur général du Canada, le secrétaire d’État aux Affaires extérieures et le ministre des Finances du Canada Intimés.

N° du greffe: 16240.

1982: 5 mai; 1982: 23 juin.

Présents: Les juges Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE


POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale, [1982] 1 C.F. 233, qui a confirmé une décision de la Commission des récl...

Cour suprême du Canada

Schavernoch c. Commission des réclamations étrangères et autres, [1982] 1 R.C.S. 1092

Date: 1982-06-23

Jolana Schavernoch (née Kostrinsky) Appelante;

et

La Commission des réclamations étrangères, le procureur général du Canada, le secrétaire d’État aux Affaires extérieures et le ministre des Finances du Canada Intimés.

N° du greffe: 16240.

1982: 5 mai; 1982: 23 juin.

Présents: Les juges Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale, [1982] 1 C.F. 233, qui a confirmé une décision de la Commission des réclamations étrangères. Pourvoi accueilli.

Julius Grey, pour l’appelante.

Paul M. Ollivier, c.r., pour les intimés.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE ESTEY — L’appelante a présenté à la Commission intimée une demande de paiement d’une indemnité en raison de la prétendue expropriation ou confiscation de certains de ses biens par la Tchécoslovaquie après la Seconde Guerre mondiale. La Commission intimée a rejeté la demande pour le motif que l’appelante ne pouvait recevoir d’indemnité prélevée sur la Caisse des réclamations étrangères puisque de par sa nationalité dominante à l’époque en cause, elle était tchécoslovaque et non pas canadienne. La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision de la Commission, concluant, après un examen en vertu de l’art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale, que la décision n’était entachée d’aucune erreur de droit.

En raison de la solution que j’adopte en l’espèce, il n’est ni nécessaire ni souhaitable de m’étendre sur les faits entourant la demande initiale de l’appelante. Afin de pouvoir trancher ce pourvoi à ce stade-ci des procédures, je présume, comme l’ont fait la Commission et la cour d’instance inférieure, que l’appelante était, à l’époque pertinente, citoyenne canadienne au sens de la Loi sur la citoyenneté du Canada, 1974-75-76 (Can.), chap. 108. Je présume également qu’au moment où l’État tchécoslovaque s’est emparé des biens, apparemment en 1948, la requérante s’était établie à titre permanent dans ce pays-là où elle a continué d’avoir son domicile jusqu’en 1950.

Aux termes d’un accord intervenu entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la Tchécoslovaquie en avril 1973, le Canada, sur réception d’un montant de $3,250,000, a libéré ce

[Page 1094]

dernier de toute obligation relative aux réclamations que des Canadiens pourraient avoir contre la Tchécoslovaquie par suite d’actes antérieurs à la date de l’Accord. L’article II de l’Accord définit les réclamations canadiennes dans ce contexte:

les réclamations de personnes physiques qui étaient citoyens canadiens à la date de l’entrée en vigueur du présent Accord et qui étaient, ou dont les prédécesseurs légaux étaient aussi des citoyens canadiens à la date d’entrée en vigueur des mesures mentionnées à l’Article I ou à la date à laquelle les mesures pertinentes se sont appliquées pour la première fois à leurs biens, droits ou intérêts.

L’Accord lui-même ne contient pas d’autre description ou définition de citoyens canadiens. L’article IV de l’Accord prévoit que, sur paiement du montant susmentionné, le gouvernement de la Tchécoslovaquie sera dégagé de toutes ces réclamations canadiennes, et le gouvernement du Canada s’engage dans le même article à ne présenter au nom de citoyens canadiens aucune réclamation se rapportant aux questions réglées par l’Accord.

En application de la Loi des subsides n° 9 de 1966, 1966-67 (Can.), chap. 55, le Règlement DORS/73-681 a été promulgué le 7 novembre 1973 comme décret C.P. 1973-3495. L’article 2 de ce Règlement se réfère à l’Accord susmentionné, daté du 18 avril 1973, qui est entré en vigueur le 22 juin 1973 sur échange de lettres entre les deux parties contractantes.

L’article 2 du Règlement contient en outre des définitions de réclamations et de citoyens canadiens:

«réclamation» signifie une réclamation d’un citoyen canadien contre le Gouvernement tchécoslovaque ou contre des personnes physiques ou morales tchécoslovaques et ayant pour objet des biens, droits et intérêts en Tchécoslovaquie, touchés avant le 18 avril 1973 par les mesures tchécoslovaques de nationalisation, d’expropriation, de prise en administration ou de toute autre mesure législative ou administrative similaire.

«citoyen canadien» désigne

a) une personne qui est un citoyen canadien aux termes de la Loi sur la citoyenneté canadienne, ou

b) une société constituée en vertu des lois du Canada

[Page 1095]

(i) qui est contrôlée par des personnes décrites à l’alinéa a) ou qui leur appartient en grande partie, ou

(ii) qui participe activement à des entreprises au Canada.

D’autres dispositions du Règlement portent sur l’époque du dépôt d’une réclamation et d’autres questions de forme, mais, au cours des procédures d’instance inférieure, les parties ont convenu que la réclamation présentée par l’appelante est complète et régulière quant à la forme. D’autres procédures mentionnées dans le Règlement en ce qui a trait à la création antérieure de la Caisse des réclamations étrangères, sont également réputées, aux fins de la présente espèce, avoir été valablement établies. De plus, le décret C.P. 1970-2077 a dûment constitué la Commission des réclamations étrangères, l’intimée en l’espèce, en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes pour faire enquête et rapport sur les réclamations à la suite desquelles une indemnité peut être prélevée sur la Caisse des réclamations étrangères. Le paragraphe 7(1) du Règlement ajoute:

7. (1) Le commissaire en chef doit faire rapport au Ministre et au ministre des Finances au sujet de toute réclamation étudiée par la Commission et y préciser

a) si le réclamant a le droit de recevoir une indemnité ou non; et

b) le montant de l’indemnité qui, de l’avis de la Commission, doit être allouée au réclamant.

En dernier lieu, le par. 4(1) du Règlement prescrit les conditions d’admissibilité à une indemnité:

4. (1) Pour être admissible à une indemnité, un réclamant doit avoir été citoyen canadien à partir de la date à laquelle la réclamation a pris naissance ou de la date à laquelle il a obtenu le droit de réclamation jusqu’au 22 juin 1973, et, dans le cas d’un réclamant qui a obtenu le droit de réclamation après la date à laquelle elle a pris naissance, chacun des titulaires antérieurs de ce droit doit avoir été citoyen canadien durant la période où il en était le titulaire.

Tant la Commission que la Cour fédérale ont estimé que le Règlement avait été établi et promulgué pour mettre en oeuvre l’Accord entre le Canada et la Tchécoslovaquie et que l’Accord lui-même avait été négocié sur le fondement que la Tchécoslovaquie versait un montant à titre d’in-

[Page 1096]

demnisation pour les biens qu’elle avait pris à des citoyens canadiens qui, à l’époque en question, n’étaient pas citoyens tchécoslovaques. Dans cette optique, dans les cas de double citoyenneté, le droit à l’indemnité devait être établi en fonction de la «citoyenneté dominante» de sorte qu’un réclamant dont la citoyenneté dominante est tchécoslovaque, même s’il est également citoyen canadien, ne pourrait s’en prévaloir. En l’espèce la réclamante, bien qu’elle allègue être née au Canada en 1901, a résidé en Hongrie (annexée à la Tchécoslovaquie après la Première Guerre mondiale) jusqu’à son déménagement au Canada en 1950. Pendant qu’elle résidait dans ce pays-là, ou pendant une partie importante de cette période, dont on ignore peut-être la durée précise, l’appelante était également citoyenne tchécoslovaque (ou hongroise avant l’annexion de la région où elle demeurait à la Tchécoslovaquie). Tout ce qui l’aurait donc rattachée ou reliée au Canada à l’époque où on aurait pris ses biens, c’était la citoyenneté en raison de sa naissance au Canada. On peut ajouter que le mariage de la requérante avec un citoyen tchécoslovaque en 1920 complique davantage la situation. Celui qu’elle aurait épousé est né en Hongrie dans une région ultérieurement annexée à la Tchécoslovaquie, région où il a apparemment résidé de façon continue jusqu’à ce qu’il vienne au Canada en 1950. Il est devenu citoyen canadien par naturalisation en 1956. Comme je l’ai déjà dit, le dossier de la Commission laisse planer un doute considérable sur la question de savoir si la requérante est née dans ce qui est actuellement la Tchécoslovaquie ou à Montréal.

Les mécanismes de calcul du montant des indemnités prévues par le Règlement font mention de l’Accord et de la réception de fonds tchécoslovaques. Le Règlement mentionne donc à plusieurs reprises l’Accord de 1973 et il est évident que ce règlement est destiné à mettre en oeuvre un plan de répartition, entre les réclamants canadiens qui y ont droit, du fonds créé sur réception de l’argent de la Tchécoslovaquie conformément à l’Accord. En interprétant ce règlement et en l’appliquant à la réclamation de l’appelante, le juge Le Dain de la Cour d’appel fédérale a fait remarquer que la Commission avait déclaré que l’appelante n’avait pas droit à l’indemnité parce que «le Canada

[Page 1097]

n’épouse pas la réclamation d’une personne possédant une double nationalité, celle du Canada et celle d’un autre pays, contre cet autre pays dans les cas où la nationalité dominante de cette personne est celle de cet autre pays et qu’elle y a son domicile et qu’en fait, elle est d’abord et avant tout une citoyenne de ce pays». Puisant dans le dossier de l’audience devant la Commission, la Cour d’appel a alors cité l’ambassadeur canadien qui avait participé aux négociations avec la Tchécoslovaquie. La substance du rapport de l’ambassadeur se dégage de la phrase suivante: «Le Canada estime que la doctrine de la nationalité dominante doit s’appliquer dans ce genre de négociation». Il s’agit apparemment d’un extrait tiré d’un rapport rédigé au cours des négociations qui ont abouti à l’Accord de 1973. Ayant pris tout cela en considération, le juge Le Dain a conclu [à la p. 240]:

… la définition de «réclamation» dans le Règlement devrait, selon moi, être interprétée comme excluant nécessairement une réclamation que le Canada ne se reconnaîtrait pas le droit d’épouser parce que la nationalité dominante du réclamant à l’époque où la propriété fut prise était tchécoslovaque.

Il ne fait pas de doute que l’article V de l’Accord investit le gouvernement du Canada des pleins pouvoirs de répartition des fonds payés par la Tchécoslovaquie conformément à l’Accord:

La répartition de la somme payée à l’Article I du présent Accord relève de la discrétion exclusive et de la compétence exclusive du Gouvernement du Canada.

Sur création de la Caisse en vertu du crédit 22a de la Loi des subsides n° 9 de 1966, précitée, le ministre des Finances a reçu l’autorisation de pourvoir aux paiements prélevés sur la Caisse:

… conformément aux réglements du gouverneur en conseil. Ces règlements peuvent, entre autres choses, permettre de déterminer la nature des demandes d’indemnisation qui peuvent être faites, les personnes auxquelles ces indemnités peuvent être payées, la manière et le moment de la présentation des réclamations, le calcul (y compris toute distribution pesée ou évaluée au pro rata) de la somme des paiements effectués par le ministre des Finances et le secrétaire d’État aux Affaires extérieures,…

Il ne fait pas de doute non plus que le Règlement 73-681, précité, a été promulgué en applica-

[Page 1098]

tion de ces dispositions de la Loi des subsides n° 9 de 1966.

La question précise qui se pose est de savoir si la Commission ou une cour chargée d’examiner sa décision peut interpréter les dispositions du Règlement 73-681 en se reportant à l’Accord de 1973 ou à des documents manifestement extrinsèques comme le rapport des négociateurs de l’Accord, au nombre desquels figurait l’ambassadeur canadien. Le concept de la citoyenneté dominante ou principale, par exemple, ne se trouve nulle part dans le Règlement sur lequel l’appelante fonde sa réclamation. Le droit à l’indemnisation est fonction plutôt de la possession du statut de citoyen canadien, ce qui, selon la définition, désigne une personne qui est un citoyen canadien au sens de la Loi sur la citoyenneté. Je souligne que l’on présume ici que l’appelante satisfait aux critères de cette définition.

Si l’on pouvait invoquer une ambiguïté manifeste ou latente dans le Règlement, une cour pourrait peut-être alors justifier un recours à des sources extrinsèques au Règlement pour l’interpréter. Toutefois, puisque je suis d’avis que l’extrait précité du Règlement ne crée aucune ambiguïté, il n’existe aucune autorité qui permette à une cour, et personne n’en a cité au cours des débats, d’avoir recours soit à une convention internationale pertinente, soit à des ouvrages de doctrine portant sur le droit international relativement à la négociation de conventions, ou à des rapports faits au gouvernement du Canada par des personnes qui ont participé aux négociations mentionnées dans le Règlement.

Nous devons nous limiter uniquement à la définition de l’expression «citoyen canadien» qui figure dans la Loi sur la citoyenneté et, aux fins du présent pourvoi, on présume, je le répète, que l’appelante satisfait aux critères de cette définition.

Même à supposer que l’on puisse se référer à l’Accord, une autre difficulté surgit: un tribunal devrait-il chercher appui dans le rapport des négociateurs? L’Accord ne limite nulle part les réclamations canadiennes à celles faites par des personnes dont la seule citoyenneté est canadienne. Il n’y a aucune mention de la double citoyenneté ni de la

[Page 1099]

citoyenneté principale ou dominante. En fait, d’après ce qui se dégage de l’Accord, le gouvernement de la Tchécoslovaquie ne compte pas être dégagé de ses obligations envers les réclamations formulées par des personnes dont la seule citoyenneté est canadienne, pas plus qu’il ne se veut exempté de toute obligation relativement aux réclamations de personnes dont la citoyenneté dominante, quel que puisse être le sens de cette expression, est tchécoslovaque. Le paragraphe 1 de l’article IV de l’Accord, par exemple, prévoit:

1. Le paiement de la totalité de la somme indiquée à l’Article I libérera le Gouvernement Tchécoslovaque et les personnes physiques et morales tchécoslovaques des obligations relatives à toutes les questions réglées par le présent Accord. Le Gouvernement du Canada considérera désormais comme complètement éteintes toutes les réclamations réglées par le présent Accord, qu’elles aient été ou non portées à l’attention du Gouvernement Tchécoslovaque.

Les réclamations visées dans le passage précité sont définies aux articles I et II qui ne contiennent aucune mention de double citoyenneté ni de citoyenneté principale ou dominante. Comme je l’ai déjà fait remarquer, il est question de l’Accord dans le Règlement qui reprend la définition de réclamation de l’Accord. Le Règlement ne vise toutefois pas à limiter le recours à la Caisse quand il s’agit de l’indemnisation de citoyens canadiens qui ont des droits de citoyenneté dans un autre pays.

A l’appui du recours à l’Accord international qui sous-tend le Règlement comme fondement de l’interprétation du décret canadien applicable, l’intimée invoque l’arrêt Post Office v. Estuary Radio Ltd., [1968] 2 Q.B. 740 (C.A.). On peut faire deux observations à cet égard. En premier lieu, l’Accord international en l’espèce ne nous aide aucunement à limiter la définition d’un citoyen canadien à celui qui, à l’époque critique, n’est citoyen d’aucun autre pays. En second lieu, une cour ne peut, simplement parce que le Règlement est destiné à assurer la mise en oeuvre de l’Accord, aller plus loin et déterminer ce que les parties ont voulu dire mais sans l’y exprimer.

[Page 1100]

On a produit devant la Cour une documentation abondante ayant trait à la négociation menée par certains pays pour obtenir l’indemnisation de leurs ressortissants par suite d’expropriations ou de confiscations effectuées par d’autres pays. Les conventions ou les coutumes dans ce domaine peuvent avoir une certaine valeur dans le cadre de procédures devant des tribunaux internationaux spécifiés ou peut-être même devant des tribunaux nationaux lorsqu’une autorité législative précise les rend applicables. En l’espèce, le Règlement doit être interprété suivant les maximes d’interprétation qui s’appliquent au droit interne canadien en général. La seule règle d’interprétation qui semble trouver application ici est celle du sens manifeste, car ni le décret ni d’ailleurs l’Accord qui y est mentionné, si l’on peut à bon droit s’y reporter, ne contiennent d’ambiguïté.

Au cours des débats, les avocats des deux parties ont attiré l’attention de la Cour sur les jugements dans l’affaire Anisminic Ltd. v. Foreign Compensation Commission, [1969] 2 A.C. 147, qui portent sur une série d’événements présentant une ressemblance frappante avec la situation en l’espèce. On avait demandé au juge de première instance au cours des plaidoiries de prendre en considération le traité pertinent pour interpréter le décret applicable qu’avait promulgué le gouvernement du Royaume-Uni en vue de distribuer les fonds reçus conformément à un traité intervenu entre le Royaume-Uni et la République arabe unie. Le juge Browne, qui présidait en première instance, a infirmé le rejet par la Commission d’une demande d’indemnisation et dit à la p. 227:

[TRADUCTION] Le traité n’exclut pas expressément leur réclamation, mais Me Bridge me demande de conclure que non seulement le gouvernement de la République arabe unie a nécessairement cru que cette réclamation serait exclue des négociations intergouvernementales et de l’indemnisation convenue, mais que telle était son intention, et ce malgré la lettre en date du 28 octobre 1957 adressée par le général Ghaleb à M. Denham qui semble donner à entendre le contraire. Mais même si l’on peut à bon droit, en examinant un traité international, s’enquérir des intentions subjectives des parties, je me vois dans l’impossibilité de conclure que le gouvernement de Sa Majesté a voulu exclure la réclamation de la demanderesse; à tout prendre, j’estime qu’il est plus probable que ce n’était pas là son intention.

[Page 1101]

A nouveau à la p. 242, on mentionne l’hésitation du premier juge à se laisser influencer dans l’interprétation d’un texte législatif interne par un traité international, mais en dernière analyse, il a interprété le décret applicable en se reportant aux règles habituelles d’interprétation. A la Chambre des lords, lord Pearce a fait remarquer que: [TRADUCTION] «Le décret porte essentiellement sur le traité de 1959 entre les gouvernements britannique et égyptien …» (à la p. 202); et à la p. 205 il parle de ce qui peut constituer une mention dans le décret d’opérations pertinentes entre la réclamante et la société qui a fini par acheter au gouvernement égyptien les biens en question situés en Egypte. Il n’y a cependant aucune formulation claire d’un principe selon lequel, dans ces circonstances, le droit international l’emporte de quelque façon sur des textes législatifs internes validement adoptés ou leur impose ses interprétations.

En l’espèce le décret, même s’il mentionne souvent l’Accord international, ne le suit pas entièrement. Toutefois, pour ce qui est des points essentiels, comme l’exigence préalable de citoyenneté canadienne, ils concordent. L’Accord lui-même ne mentionne pas la possibilité d’exclure les citoyens canadiens qui sont en même temps citoyens d’un autre pays. Le décret ne le fait pas non plus. Ce n’est qu’à la lecture d’ouvrages de droit international ou du rapport des négociateurs de cet Accord que l’on découvre les usages qui ont été suivis ailleurs dans le cadre de négociations internationales dans ce domaine. Si le rédacteur du décret, ou le gouverneur en conseil lorsqu’il l’a promulgué, avait voulu exclure les personnes qui se trouvent dans la situation de l’appelante, il aurait suffi d’adopter une disposition des plus simples. Rien dans le décret (ou même dans l’Accord lui-même) n’indique l’intention d’exclure qui que ce soit. Comme je l’ai déjà dit, la terminologie du décret ne renferme aucune ambiguïté, que celle-ci soit latente ou manifeste, en ce qui concerne la réclamation de l’appelante. Une cour n’est donc pas fondée à adopter d’autre critère que celui du sens manifeste des mots employés par le gouverneur en conseil dans ce règlement.

[Page 1102]

Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi avec dépens en cette Cour et en Cour d’appel fédérale et, comme l’a suggéré l’intimée au cas où le pourvoi serait accueilli, de transmettre l’affaire à la Commission pour qu’elle statue sur la réclamation de l’appelante suivant l’interprétation donnée au règlement 73-681.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Gareau, Grey & Pohoryles, Montréal.

Procureurs des intimés: Paul M. Ollivier et Jean-Marc Aubry, Ottawa.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Législation - Interprétation - Règlement habilitant les citoyens canadiens à faire des réclamations auprès de la Commission des réclamations étrangères - Définition des mots «citoyen canadien» - Impossibilité d’interpréter le règlement en se reportant à des documents extrinsèques - Règlement concernant la liquidation des réclamations étrangères (Tchécoslovaquie), DORS/, art. 2, 4, 7 - Loi des subsides n° 9 de 1966, 1966-67 (Can.), chap. 55, crédit 22a.

Un règlement, promulgué en application de la Loi des subsides n° 9 de 1966, a constitué un régime visant à indemniser, à même un fonds créé en vertu d’un accord entre le Canada et la Tchécoslovaquie, les citoyens canadiens expropriés de leurs biens par la Tchécoslovaquie qui établissent le bien-fondé de leur réclamation. La Commission des réclamations étrangères a exclu l’appelante parce qu’au moment de l’expropriation de ses biens, sa nationalité dominante était tchécoslovaque et non pas canadienne. La Cour d’appel fédérale a confirmé cette décision. Tant la Cour d’appel que la Commission ont interprété le règlement en se reportant à l’Accord et à des documents extrinsèques comme le rapport des négociateurs.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Le règlement ne mentionne pas la citoyenneté dominante ou principale et donne aux mots «citoyen canadien» la définition qui figure dans la Loi sur la citoyenneté. Si la formulation du règlement ne comporte aucune ambiguïté, une cour n’est pas fondée à adopter d’autre critère que celui du sens manifeste des mots employés dans le règlement ni à se reporter à des documents extrinsèques.

[Page 1093]


Parties
Demandeurs : Schavernoch
Défendeurs : Commission des réclamations étrangères et autres

Références :

Jurisprudence: Anisminic Ltd. v. Foreign Compensation Commission, [1969] 2 A.C. 147

Post Office v. Estuary Radio Ltd., [1968] 2 Q.B. 740 (C.A.).

Proposition de citation de la décision: Schavernoch c. Commission des réclamations étrangères et autres, [1982] 1 R.C.S. 1092 (23 juin 1982)


Origine de la décision
Date de la décision : 23/06/1982
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1982] 1 R.C.S. 1092 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1982-06-23;.1982..1.r.c.s..1092 ?
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