COUR SUPRÊME DU CANADA
Korponay c. Procureur général du Canada, [1982] 1 R.C.S. 41
Date : 1982-01-26
Tibor Korponay Appelant;
et
Le procureur général du Canada Intimé.
N° du greffe: 16054.
1981: 14 octobre; 1982: 26 janvier.
Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.
EN APPEL DE LA COUR D'APPEL DU QUÉBEC
POURVOI à l'encontre d'un arrêt de la Cour d'appel du Québec qui a rejeté l'appel de l'appelant contre sa déclaration de culpabilité sur une accusation de possession d'héroïne pour en faire le trafic. Pourvoi accueilli.
Paul Skolnick et Ivan Lerner, pour l'appelant.
Jacques Letellier, pour l'intimé.
Version française du jugement de la Cour rendu par
LE JUGE LAMER — Un juge des sessions de la paix, siégeant dans le district judiciaire de Montréal en tant que juge visé par la partie XVI du Code criminel, a déclaré l'appelant, un nommé Tibor Korponay, coupable d'avoir eu en sa possession 5 kilos d'héroïne pour en faire le trafic (par. 4(2) de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1).
La Cour d'appel du Québec ayant rejeté son appel, Korponay invoque deux moyens en cette Cour. Premièrement, il allègue que vu son premier choix d'être jugé par un jury, la cour qui l'a reconnu coupable n'avait pas compétence pour le faire parce qu'on ne l'avait pas dûment appelé à
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faire un nouveau choix conformément à l'art. 492 du Code criminel. Son second moyen est fondé sur l'art. 8 de la Loi sur les stupéfiants aux termes duquel la cour qui instruit un procès pour une infraction au par. 4(2) de la Loi sur les stupéfiants doit statuer sur la culpabilité ou l'innocence d'un accusé en deux étapes. L'appelant fait valoir que le juge du procès n'a pas suivi la procédure spéciale établie par l'art. 8 en ce sens qu'il n'a pas d'abord statué sur la question de la possession pour ensuite accorder à l'accusé une occasion de démontrer qu'il n'était pas en possession du stupéfiant pour en faire le trafic, et que, par conséquent, il y a lieu d'ordonner un nouveau procès. A mon avis l'appelant ne doit pas avoir gain de cause sur son premier moyen. Toutefois, comme j'estime que le second doit être retenu, il faut trancher la question soulevée par le premier moyen, car c'est ce qui déterminera quelle cour aura compétence pour entendre le nouveau procès qui, selon moi, doit être ordonné.
Le premier moyen
Conformément au par. 484(2) du Code, Korponay a choisi d'être jugé par une cour composée d'un juge et d'un jury. Le 22 septembre 1972, après une enquête préliminaire, il a été renvoyé pour subir son procès devant la Cour supérieure de juridiction criminelle.
Korponay, qui était en liberté sous caution, a comparu devant cette cour le 6 novembre 1972. Son procès a été remis à plusieurs reprises, la dernière fois au 22 novembre 1974.
Mais, le 6 novembre 1974, Korponay, assisté de deux avocats, a comparu devant le juge en chef d'une autre cour, soit la Cour des sessions de la paix, à Montréal. La pertinence de cet incident deviendra évidente plus loin La secrétaire judiciaire de cette cour avait le dossier de la Cour supérieure et, en la présence de tous les intéressés, y compris le substitut du procureur général, elle a fait lecture de l'inculpation à Korponay. La meilleure description de ce qui s'est alors passé se trouve dans la transcription des procédures que je reproduis ci-après:
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CAUSE 01-004919-72
TIBOR KORPONEY
v.
LA REINE
PAR LA SECRÉTAIRE JUDICIAIRE:
(Lecture de l'acte d'accusation)
Plaidez-vous coupable ou non coupable?
PAR ME JOEL GUBERMAN
PROCUREUR DE LA DÉFENSE:
Juge seul.
PAR ME REJEAN PAUL
PROCUREUR DE LA COURONNE:
Non, c'est-à-dire c'est déjà fait ça.
PAR LA DÉFENSE (ME GUBERMAN):
C'est déjà fait?
PAR LA COURONNE:
Oui, oui.
PAR ME DAVID LINETSKY
PROCUREUR DE LA DÉFENSE:
Bon.
PAR LA DÉFENSE (ME GUBERMAN):
Bon, correct.
PAR LA COURONNE:
Alors?
PAR LA DÉFENSE (ME GUBERMAN):
Non coupable.
PAR LA COURONNE:
Non coupable?
PAR UNE PERSONNE NON IDENTIFIÉE:
Non.
PAR LA COURONNE:
Bon. Alors je suggérerais la date, bien voici, nous allons d'abord verser toute la preuve de consentement. La preuve recueillie dans le dossier 4921-72, soit les dossiers de Fecarotta, Balsamo et Mandolia .. .
PAR LA COUR (M. LE JUGE YVES MAYRAND, J.C.S.P.): Avec les exhibits aussi?
PAR LA COURONNE:
Avec tous les exhibits au soutien et sous leurs cotes respectives dans 4921.. .
PAR LA COUR:
Pas trop vite.
PAR LA COURONNE:
... sont versés intégralement dans 4919 en '72, qui est le présent dossier et nous déclarons à la Cour qu'entretemps nous allons relire cette abondante .. .
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PAR LA COUR:
Avec réserve de parfaire.
PAR LA COURONNE:
... sauf à parfaire et à clore notre preuve le huit janvier 1975.
PAR LA COUR:
Je vous demande juste une chose, c'est votre preuve de la Couronne.
PAR LA COURONNE:
Oui, oui, oui.
PAR LA COUR:
Alors il faudrait spécifier, mademoiselle. Toute la preuve de la Couronne dans le dossier 4921 avec exhibits à l'appui servira de preuve de la Couronne dans le dossier avec réserve de parfaire s'il y a lieu .. .
PAR LA COURONNE:
C'est ça.
PAR LA COUR:
... le huit janvier 1975.
PAR LA COURONNE:
Ou à une autre date, mais en tout cas . .
PAR LA COUR:
Est-ce que c'est une, de consentement?
PAR LA DÉFENSE (ME GUBERMAN):
D'accord, votre seigneurie.
PAR LA COUR:
Vous aussi, maître? Vous êtes au dossier?
PAR LA DÉFENSE (ME LINETSKY):
Oui, votre seigneurie.
PAR LA COUR:
Alors mettez donc le nom de l'avocat.
PAR LA DÉFENSE (ME LINETSKY):
Me Linetsky. L-I-N-E-T-S-K-Y.
PAR LA COUR:
Vous êtes du même bureau, je pense, hein?
PAR LA DÉFENSE (ME LINETSKY):
Oui, exactement. PAR LA COUR: Ah bon.
PAR LA COURONNE:
Parfait.
PAR LA COUR: Alors ça va.
[TRADUCTION] Alors vous revenez le 8 janvier à neuf heures et demie (09h30), pièce 507.
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PAR L'ACCUSE (monsieur T. Korponey): [TRADUCTION] Merci, votre seigneurie. PAR LA COURONNE:
Parfait. Merci.
PAR ME GUBERMAN:
Merci, votre seigneurie.
PAR LA COUR:
Très bien.
(S) GRACE LIBERATORE
(S) THÉRÈSE PELLETIER
On a commencé le procès à la date de cette comparution devant le juge en chef en versant au dossier, de consentement, la preuve présentée dans le cadre d'autres procédures contre d'autres personnes impliquées dans les événements à l'origine de l'accusation pesant contre Korponay. Le procès paraît s'être déroulé en plusieurs étapes au cours des trois années qui ont suivi. Le ministère public ayant finalement présenté sa preuve, Korponay a présenté sa défense et a témoigné pour son propre compte le 5 mai 1977. Le 3 août de la même année, le juge en chef Mayrand l'a déclaré coupable et, le 23 septembre 1977, l'a condamné à 14 ans de pénitencier.
Ce n'est que le 19 octobre 1979, soit quelque deux ans plus tard, que dans une demande de bref d'habeas corpus, l'appelant a, pour la première fois depuis le commencement de son procès en Cour des sessions de la paix, contesté la compétence de cette cour-là pour le juger.
Ce pourvoi ne porte pas sur ces procédures, mais sur l'appel que Korponay a formé contre sa déclaration de culpabilité. Son premier moyen allègue que la Cour des sessions de la paix n'avait pas compétence pour le juger parce qu'il n'avait pas validement fait son nouveau choix d'être jugé par un juge siégeant seul, et que seule la cour qu'il avait choisie en premier lieu, soit la Cour supérieure, avait cette compétence. Korponay prétend que les dispositions de l'art. 492 relatives au nouveau choix sont impératives, qu'il faut s'y conformer strictement et qu'il ne suffit pas de s'y conformer en substance pour que la cour ait compétence pour le juger.
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L'article 492 dispose:
492. (1) Lorsqu'un prévenu a choisi ou est censé avoir choisi d'être jugé par une cour composée d'un juge et d'un jury, il peut notifier au shérif de la circonscription territoriale où il doit subir son procès qu'il désire faire un nouveau choix, aux termes du présent article,
a) pour être jugé par un juge sans jury; ou,
b) s'il a le consentement écrit du procureur général ou du procureur agissant au nom de ce dernier, pour être jugé par un magistrat sans jury.
(2) Un shérif qui reçoit une notification et un consentement, si le consentement est requis, en conformité du paragraphe (1), doit aussitôt informer un juge ou un magistrat ayant juridiction et le juge ou le magistrat, selon le cas, doit fixer le temps et le lieu où le prévenu pourra effectuer un nouveau choix et il doit en faire donner avis au prévenu.
(3) Le prévenu doit se présenter ou s'il est sous garde être amené aux temps et lieu fixés en vertu du paragraphe (2) et, après que lecture lui a été faite de l'inculpation sur laquelle il a été renvoyé pour subir son procès ou astreint à passer en jugement, il doit,
a) si la notification indique que le prévenu désire effectuer un nouveau choix pour être jugé par un juge sans jury, être appelé à faire son choix dans les termes suivants:
Vous avez choisi ou êtes censé avoir choisi d'être jugé par une cour composée d'un juge et d'un jury. Choisissez-vous maintenant d'être jugé par un juge sans jury?;
ou,
b) si la notification énonce que le prévenu désire effectuer un nouveau choix pour être jugé par un magistrat sans jury, être appelé à faire son choix dans les termes suivants:
Vous avez choisi ou êtes censé avoir choisi d'être jugé par une cour composée d'un juge et d'un jury. Choisissez-vous maintenant d'être jugé par un magistrat sans jury?
(4) Lorsqu'un prévenu choisit, selon le présent article, d'être jugé par un juge sans jury ou par un magistrat sans jury, le juge ou le magistrat, selon le cas, doit procéder au procès ou fixer le temps et le lieu du procès.
(5) Lorsqu'un prévenu qui désire effectuer un nouveau choix pour être jugé par un juge sans jury n'avise pas le shérif conformément au paragraphe (1) plus de quatorze jours avant la date fixée pour l'ouverture de la session de la cour siégeant avec un jury par qui il doit être jugé, aucun choix ne peut être fait aux termes du
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présent article à moins que le procureur général ou l'avocat agissant au nom de ce dernier n'y consente par écrit.
L'appelant dit qu'il n'a pas donné de notification au shérif, qu'il n'a pas reçu d'avis du juge et qu'on ne lui a pas lu la question formulée à l'al. 492(3)a). Il conclut que dans ces circonstances, le juge n'avait pas compétence pour procéder à l'instruction.
Tous les arguments que l'appelant invoque dans son mémoire et en cette Cour se rapportent à la question de savoir si l'on s'est conformé strictement à l'article, et ils tendent donc à démontrer qu'il existe une obligation de s'y conformer strictement.
A mon avis, on ne s'est aucunement conformé à l'article, même pas en substance, et la question de savoir s'il faut s'y conformer strictement ou s'il suffit de le faire en substance n'a aucune portée sur l'issue de ce pourvoi. La question soulevée par les procédures suivies en l'espèce est plutôt de savoir, d'une part, si un accusé peut renoncer à ce qu'on se conforme aux règles de procédure établies par l'article, et, dans l'affirmative, de quelle manière, et, d'autre part, si l'accusé dans cette affaire y a effectivement renoncé.
Certaines règles de procédure ont été adoptées pour la protection des droits de l'une des parties, soit le ministère public ou l'accusé, et d'autres pour la protection des deux. Une partie peut renoncer à une règle de procédure adoptée à son profit, mais une renonciation des deux parties est requise lorsque cette règle les protège ensemble. De façon générale, toutes les cours, y compris cette Cour, ont reconnu le droit de renoncer à ce type de règle de procédure, et un arrêt récent de cette Cour a de nouveau confirmé ce droit relativement à un voir dire sur les circonstances entourant une déclaration faite par un accusé à une personne ayant autorité (voir Park c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 64). Mais l'exercice de ce droit est assujetti à celui du juge du procès d'imposer le respect de la règle, même si on a supprimé le désir d'y renoncer, car c'est à lui qu'il appartient en dernière analyse de déterminer les garanties de procédure qu'il faut néanmoins respecter afin de protéger la stabilité et l'intégrité du système judiciaire.
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Lorsqu'on examine les différentes décisions en matière de renonciation, le problème qui se présente est de savoir de quelles formalités une renonciation doit être assortie pour que la cour l'accepte et y donne suite, de sorte qu'elle constitue une fin de non-recevoir pour la partie qui essaie d'invoquer le non-respect de la règle de procédure.
Comme principe général, je reprends ici les propos de notre collègue, le juge Dickson, qui se prononçait au nom de la Cour, dans l'arrêt Park, précité. Il parlait évidemment de a renonciation au voir dire par l'avocat Eaux pp. 73 et 74]:
L'avocat de la défense n'a pas besoin de prononcer de mots particuliers ni de suivre une formule spéciale pour manifester la renonciation et le consentement à la recevabilité. Il suffit que le juge du pro ès soit convaincu que l'avocat comprend de quoi il s'agit et qu'il a pris une décision éclairée de renoncer au voir dire. [ . . . ] Bien que ne nécessitant pas une formulation particulière, la renonciation doit tout de même être expresse. Le silence ou la simple absence d'opposition ne constitue pas une renonciation valide. La question est de savoir si l'accusé renonce effectivement à l'exigence d'un voir dire et s'il reconnaît que la déclaration est volontaire et recevable comme preuve. Si l'on peut répondre à cette question par l'affirmative, je ne puis croire à la nécessité d'autres moyens de procédure pour protéger les droits d'un accusé.
En fait, la Cour dit dans l'arrêt Park que si cette renonciation doit être valide, et j'ajoute qu'il en est ainsi de toute renonciation, il faut qu'il soit bien clair que la personne renonce au moyen de procédure conçu pour sa protection et qu'elle le fait en pleine connaissance des droits que cette procédure vise à protéger et de l'effet de la renonciation sur ces droits au cours de la procédure. C'est un principe établi depuis longtemps, comme cela ressort d'un bon nombre d'arrêts, particulièrement ceux qui portent sur les devoirs du juge à l'égard d'un aveu de culpabilité car, en avouant sa culpabilité, l'accusé renonce à son droit de soumettre la preuve de la poursuite à l'épreuve du procès. (Voir. entre autres, Adgey c. La Reine, [1975] 2 R.C'
426; Brosseau c. La Reine, [1969] R.C.S. 181 t Les devoirs du juge en matière de renonciation ne sont pas différents de ceux qui lui incombent dans le cas d'un aveu de culpabilité. Les facteurs dont il, tiendra compte pour décider si l'accusé à de façon
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claire et non équivoque pris une décision éclairée de renoncer à ses droits varieront en fonction de la nature de la règle de procédure en cause et de l'importance du droit qu'elle vise à protéger. Cependant, sont toujours pertinents la représentation ou la non-représentation de l'accusé par un avocat, l'expérience de l'avocat et, ce que j'estime être un facteur très important dans un pays qui comporte autant de diversité que le nôtre, la pratique particulière qui s'est établie dans le ressort où les événements se déroulent.
J'aborde maintenant l'étude de l'application de ces principes aux règles de procédure contenues dans l'art. 492.
Examinons d'abord la notification qu'un accusé peut donner au shérif. Pour déterminer le droit de l'accusé que le législateur veut protéger par cette procédure, il faut considérer l'objet de la notification. Cet objet se dégage du fait qu'il impose au shérif une obligation d'informer «aussitôt» le juge qui, lui, «doit fixer le temps et le lieu où le prévenu pourra effectuer un nouveau choix», puis «en faire donner avis au prévenu».
Ce que cette disposition de procédure vise à protéger est le droit de l'accusé qui désire faire un nouveau choix, d'avoir une occasion de le faire en temps utile. Il a le droit de faire informer le juge de son désir et, par ce moyen, d'exiger que le juge agisse conformément à l'article. Un accusé qui s'est effectivement prévalu de cette possibilité ne peut par la suite prétendre qu'il devait renoncer à la notification exigée, car il est évident que dans ces circonstances, elle n'a plus d'utilité.
Quant à l'avis que le juge doit donner à l'accusé, il est prévu pour que ce dernier sache où et quand comparaître pour faire un nouveau choix. Si un accusé convient en fait du temps et du lieu, cela constitue une renonciation claire et non équivoque à cet avis.
La procédure énoncée au par. 492(3), qui exige l'emploi de certains mots, vise à assurer qu'un accusé est bien informé du choix qu'il a fait et de celui qu'il se propose maintenant de faire, En l'espèce, l'accusé avait la possibilité soit d'être jugé par une cour composée d'un juge et d'un jury, ce qu'il avait choisi en premier lieu, soit d'être jugé
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par un juge ou un magistrat siégeant seul, ce qu'il a envisagé par la suite. Donc, pour ce qui a trait à cette partie de l'art. 492, une renonciation éclairée doit consister en une indication claire et non équivoque de l'accusé lui-même ou par l'intermédiaire de son avocat qu'il connaît les mots qu'aux termes de la loi on doit employer lorsqu'il est appelé à faire un nouveau choix, qu'il n'exige pas que ces mots lui soient lus et qu'il sait qu'il allait être jugé par un juge et un jury, que le droit à ce type de procès lui est toujours ouvert mais qu'il a tout de même le droit de faire un nouveau choix d'être jugé par un juge siégeant sans jury ou par un magistrat.
Appliquons maintenant ces considérations aux faits de l'espèce.
Les événements se sont déroulés dans le district judiciaire de Montréal. En réponse à des questions posées par cette Cour à l'audience, l'avocat de l'appelant a reconnu l'existence d'un usage en matière de nouveau choix qui est particulier à ce district. (Voir: Traité de procédure pénale, t. 1, 1981, de Béliveau, Bellemare et Lussier, aux pp. 302 à 308). Comme il se dégage de cet ouvrage, un accusé qui a choisi d'être jugé par un jury et qui désire faire un nouveau choix pour être jugé par un juge siégeant seul, au lieu d'en informer le shérif en avise un greffier de la cour qui est notoirement chargé des nouveaux choix. Si le nouveau choix doit se faire avant la date de comparution de l'accusé devant la Cour d'assises, date fixée à l'occasion de sa dernière comparution devant cette cour, ce greffier, sur avis en ce sens de la part de l'avocat de l'accusé, organise une comparution devant le juge en chef de la Cour des sessions de la paix (ou devant tout juge qui le remplace à cette fin) en vue d'un nouveau choix. Cela se fait habituellement en l'absence du substitut du procureur général chargé de l'affaire, à moins qu'il n'ait une raison particulière d'être présent, par exemple un aveu de culpabilité suivi de représentations pré-sentencielles ou, évidemment, à moins que, comme en l'espèce, on ne doive commencer le procès à ce moment-là en versant au dossier la preuve déjà produite dans le cadre d'autres procédures.
Que ce soit là l'usage dans le district judiciaire de Montréal n'est nullement contesté par
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l'appelant.
Mais il en conteste la validité, puisque cet usage n'est pas conforme à l'art. 492. En l'espèce, l'accusé accompagné de son avocat, le substitut du procureur général et la secrétaire judiciaire se trouvaient en Cour des sessions de la paix, devant son juge en chef. On avait transmis le dossier, qui était en Cour supérieure en raison du premier choix de l'appelant, à la Cour des sessions de la paix; la secrétaire judiciaire a fait lecture de l'acte d'accusation à Korponay et lui a demandé s'il avouait ou niait sa culpabilité. A cette question, l'avocat de l'accusé a répondu «juge seul». Il se dégage nettement des propos qui ont suivi que le ministère public, et vraisemblablement la secrétaire judiciaire de la cour, croyaient à tort que l'accusé avait déjà fait un nouveau choix d'être jugé par cette cour et qu'il était présent pour commencer le procès, ce qui est finalement arrivé.
Il est évident aussi que l'avocat de l'appelant et l'appelant lui-même avaient comparu devant cette cour pour commencer le procès et que l'avocat, étant d'avis, et à juste titre, qu'il n'y avait pas eu un nouveau choix, a fait savoir au juge au nom de son client que ce dernier voulait être jugé par un juge siégeant seul. Le juge était en présence d'un avocat dont la connaissance du droit et de la procédure criminelle n'a pas été contestée. Il était bien fondé, selon moi, à présumer, vu que tout le monde était là pour commencer le procès, que l'avocat en avait discuté avec Korponay, que celui-ci avait pris une décision éclairée, fondée sur les conseils de son avocat, d'être jugé non par un jury mais par ce juge siégeant sans jury et que l'avocat avait plein pouvoir de faire tout ce qui était nécessaire à cette fin. Par conséquent, je suis d'avis que le juge était bien fondé à estimer que lorsque l'avocat a dit «juge seul», il s'agissait d'une renonciation éclairée à l'exigence de faire lecture à son client des mots contenus dans l'article. L'avocat de l'accusé connaissait ces mots; il en connaissait la signification et l'effet que sa réponse «juge seul» aurait sur les droits de son client. De plus, je fais miens les propos du juge Monnin, parlant au nom de la majorité en Cour d'appel du Manitoba dans l'affaire R. v. Matheson (1979), 13 C.R. (3d) 62, à la p. 71 (cette Cour a infirmé l'arrêt[1] mais pour des motifs qui ne touchent pas le passage
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auquel j'opine):
[TRADUCTION] Je suis d'avis que ce que l'accusé peut faire lui-même, son avocat parlant pour lui et en sa présence peut également le faire; s'il en était autrement, le rôle de l'avocat s'en trouverait diminué et le concept de procès publics tenus solennellement en la présence de l'accusé représenté par l'avocat de son choix ne serait qu'un simulacre. Il est évidemment plus expéditif et plus sûr de permettre à une personne possédant une formation et une instruction juridiques d'aviser la cour du choix de l'accusé et de son plaidoyer, pourvu que cela se fasse en audience publique et que l'accusé puisse l'entendre, que d'exiger que l'accusé, qui peut ne pas complètement comprendre les questions posées ou qui peut hésiter à y répondre de crainte de ne pas comprendre ou de commettre une erreur, participe directement au rituel lent et fastidieux du procès. L'avocat a un rôle à jouer dans la salle d'audience. Qu'on lui permette de le jouer pleinement.
En l'espèce, l'accusé a, de façon claire et non équivoque, par l'intermédiaire de son avocat, renoncé à la lecture de la formule de l'article. L'avocat, croyant avec raison que l'accusé n'avait pas fait un nouveau choix, l'a fait lui-même afin de pouvoir commencer le procès, car c'était pour cela que tout le monde s'était présenté en cour. Quant à la (notification» au shérif, je m'en tiens à ce que j'ai déjà dit à ce propos. Vu qu'on a offert à l'accusé le choix que la notification est destinée à assurer, cette procédure aurait été superflue et il n'était pas nécessaire d'y renoncer.
Il en va de même pour l'avis du juge. De toute façon, il est aussi évident que toutes les personnes présentes étaient convenues d'un moment, d'un lieu et d'un objet et qu'il serait extravagant d'oser prétendre qu'il n'y avait pas eu une renonciation claire et non équivoque à cette règle.
Ce moyen ne peut donc pas être retenu.
Le second moyen
Ce moyen se fonde sur la procédure établie par l'art. 8 de la Loi sur les stupéfiants dont voici le texte:
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8. Dans toutes poursuites pour une violation du paragraphe 4(2), si l'accusé n'avoue pas sa culpabilité, le procès doit s'instruire comme s'il s'agissait d'une poursuite pour une infraction prévue par l'article 3, et après que le poursuivant a terminé son exposé et qu'il a été fourni à l'accusé une occasion de présenter une réplique et une défense complètes, la cour doit statuer sur la question de savoir si l'accusé était ou non en possession du stupéfiant contrairement aux dispositions de l'article 3; si la cour constate que l'accusé n'était pas en possession du stupéfiant contrairement aux dispositions de l'article 3, elle doit l'acquitter, mais si elle constate qu'il était en possession du stupéfiant contrairement aux dispositions de l'article 3, il doit être fourni à l'accusé une occasion de démontrer qu'il n'était pas en possession du stupéfiant pour en faire le trafic, et, par la suite, il doit être fourni au poursuivant une occasion d'établir la preuve que l'accusé était en possession du stupéfiant pour en faire le trafic; si celui-ci démontre qu'il n'était pas en possession du stupéfiant pour en faire le trafic, il doit être acquitté de l'infraction dont fait mention l'acte d'accusation, mais il doit être déclaré coupable d'une infraction aux termes de l'article 3 et condamné en conséquence; et si l'accusé ne démontre pas qu'il n'était pas en possession du stupéfiant pour en faire le trafic, il doit être déclaré coupable de l'infraction dont fait mention l'acte d'accusation et condamné en conséquence.
Après que le ministère public eut présenté sa preuve, Korponay, le 5 mai 1977, a témoigné puis a terminé l'exposé de ses moyens de défense. Le juge du procès a fixé le jugement au 3 août. A cette date, Korponay et trois autres accusés qui avaient été inculpés séparément sur deux chefs d'accusation, soit d'avoir comploté de faire le trafic d'un stupéfiant et de trafic d'un stupéfiant, ont comparu pour entendre le jugement. Korponay avait subi un procès distinct. On avait versé au dossier du procès de Korponay des éléments de preuve produits aux procès des autres accusés. Le juge du procès a prononcé le jugement dans les cas des quatre accusés le même jour, car ils avaient tous participé à la même opération illégale, quoique les accusations portées contre les trois autres accusés fussent différentes et qu'ils n'eussent pas subi leur procès avec Korponay. Ce fait a une certaine importance parce qu'il nous aide à comprendre ce qui, à mon avis, n'est qu'un oubli regrettable de la part d'un juge qui connaît bien la procédure d'exception à suivre dans un procès régi par l'art. 8 de la Loi sur les stupéfiants. A la fin
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des motifs écrits qu'il a lus, le juge a déclaré tous les accusés coupables des infractions qui leur étaient imputées. De toute évidence, il a momentanément oublié la situation spéciale de Korponay et, par conséquent, n'a pas suivi la procédure établie par l'art. 8, c'est-à-dire, conclure à la possession (c'était évidemment le cas), puis lui fournir l'occasion d'être entendu sur la question de «l'objet» de la possession.
Quoique soulevé en Cour d'appel, ce moyen n'a pas retenu l'attention de cette cour-là qui n'en a même pas fait mention. Après avoir analysé le moyen fondé sur la procédure de nouveau choix, le juge Nolan, parlant au nom de la Cour, a passé la preuve en revue, puis il a dit (d.a. A la p. 2789):
[TRADUCTION] A mon avis, l'appelant n'a pas établi le bien-fondé de ses moyens d'appel. J'estime que le ministère public a démontré la culpabilité de l'accusé hors de tout doute raisonnable et je suis donc d'avis de rejeter l'appel.
Les deux avocats conviennent que c'est là un oubli regrettable. Je suis d'accord, d'autant plus qu'il s'agit non seulement d'un moyen sérieux, mais aussi d'un moyen qui aurait dû, à mon avis, donner gain de cause à l'appelant.
L'appelant allègue en substance que la procédure prévue par l'art. 8 est impérative et invoque à l'appui de cet argument l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario R. v. McDonald (1958), 120 C.C.C. 209. Il fait valoir en outre que le non-respect de cet article est fatal et que l'on ne peut invoquer le sous-al. 613(1)b)(iii), prétention qu'il appuie sur l'arrêt de cette Cour Cloutier c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 709.
L'intimé prétend qu'en interprétant l'arrêt McDonald, on doit garder à l'esprit les faits particuliers de l'affaire, comme l'ont fait la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt R. v. Sharpe (1961), 131 C.C.C. 75, et, ultérieurement, la Cour d'appel du Québec dans l'arrêt R. v. Sylvain (1974), 17 C.C.C. (2d) 323. L'intimé se fonde en somme sur les arrêts Sharpe et Sylvain pour prétendre qu'il n'y a aucune raison, lorsque les circonstances le justifient, comme ces cours estimaient que c'était le cas dans les deux affaires en question, de ne pas appliquer les dispositions réparatrices du sous-al. 613(1)b)(iii).
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Le sous-alinéa 613(1)b)(iii) du Code criminel
Selon l'intimé, comme Korponay a en réalité eu l'occasion d'expliquer pourquoi il était en possession du stupéfiant et vu qu'il a donné une telle explication, il y a lieu en l'espèce d'appliquer les dispositions du sous-al. 613(1)b)(iii).
Avec égards, j'estime que cet argument traduit une méconnaissance des droits d'un accusé dont le procès relève de l'art. 8 de la Loi sur les stupéfiants.
L'article 8 confère à l'accusé un droit qui comporte quatre volets:
— un procès qui, dans sa première phase, s'instruit comme s'il s'agissait d'une accusation portée en vertu de l'art. 3;
— une occasion de présenter une réplique et une défense complètes relativement à la question de la possession avant même qu'il ne soit réellement exposé à être reconnu coupable en vertu du par. 4(2);
— une conclusion sur la question de la possession avant qu'il ne choisisse un moyen de défense et n'en révèle la nature pour expliquer pourquoi il était en possession du stupéfiant, dans l'hypothèse où la cour conclurait à la possession;
— une occasion de présenter ce moyen de défense.
Le ministère public intimé prétend qu'une violation du droit de l'accusé à ce que le juge tire une conclusion quant à la possession avant que l'on ne passe à la question de l'objet de la possession du stupéfiant est nécessairement réparée si, à quelque moment avant cette conclusion, l'accusé a eu la possibilité de plaider sur ce point et s'il s'en est prévalu.
Le droit de l'accusé ne se limite pas à la possibilité de démontrer qu'il n'était pas en possession du stupéfiant pour en faire le trafic; s'il en était ainsi, je partagerais l'avis du ministère public qu'après le témoignage de l'accusé sur cet aspect de l'infraction, il serait possible, lorsque les circonstances le permettent, d'appliquer le sous-al. 613(1)b)(iii) de manière à remédier à l'oubli de la deuxième étape prévue par l'art. 8.
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Mais ce n'est pas le cas, parce que ce qui importe avant tout est le droit supplémentaire d'un accusé de ne se prévaloir de cette possibilité ou de décider de ne pas s'en prévaloir qu'après avoir été informé de la conclusion du juge des faits quant à la possession, et seulement si cette conclusion lui est défavorable. La question en ce qui concerne l'application du sous-al. 613(1)b)(iii) est donc de savoir si le ministère public a convaincu la cour que, même si l'accusé avait su que la conclusion lui serait défavorable, il aurait nécessairement invoqué le même moyen de défense. Je conçois difficilement qu'une cour en soit jamais convaincue. A la vérité, il est fort possible que la façon dont un accusé aborde son procès soit tout à fait différente à la deuxième étape des procédures. Je m'explique. Un accusé a bien le droit, en ne témoignant pas lui-même en défense, même s'il a présenté une défense à la première étape des procédures, de ne pas révéler qu'il est toxicomane, révélation qui pourrait être incriminante sur la question de la possession. Il pourrait toutefois désirer prouver ce fait à la deuxième étape des procédures lorsqu'il fait valoir que le stupéfiant qu'il avait en sa possession était destiné à sa propre consommation. Cet exemple illustre la proposition générale qu'une cour ne peut savoir que le moyen de défense mis de l'avant après la décision sur la possession aurait nécessairement été le même que celui invoqué avant cette décision et, de là, conclure qu'il n'y a eu «aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave».
A mon avis, on ne pourra jamais invoquer avec succès les dispositions réparatrices du sous-al. 613(1)b)(iii) pour une erreur de ce type. Pareil non-respect de l'article sera fatal, à moins d'une renonciation valide de la part de l'accusé. Bien que le législateur n'ait soustrait aucune erreur de droit du champ d'application du sous-al. 613(1)b)(iii), certaines erreurs de droit sont telles que le ministère public ne réussira jamais à convaincre la cour que, n'eût été l'erreur, le verdict aurait nécessairement été le même.
C'est de ce type d'erreur qu'il s'agit en l'espèce. En fait, lorsque l'accusé est privé de la possibilité de présenter un moyen de défense, la cour sera
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toujours dans l'incertitude quant à la preuve dont elle aurait finalement été saisie si cette possibilité avait été donnée à l'accusé.
En s'appuyant sur l'arrêt Cloutier de cette Cour, l'appelant tire argument des propos du juge Pratte (à la p. 724):
L'accusé, à qui on a erronément refusé une récusation péremptoire, est bien fondé à demander la nullité du procès et du verdict de culpabilité rendu par un jury ainsi irrégulièrement formé; il ne lui est pas nécessaire de prouver un préjudice; il y a préjudice de droit: cela ne fait pas de doute: R. v. Churton (1919), 31 C.C.C. 188; Henry Williams (1925), 19 Cr. App. R. 67; R. v. Page, [1965] Crim. L.R. 444.
Il s'agit d'un obiter. Quoi qu'il en soit, dans la mesure où l'on peut dire que les propos du juge Pratte laissent entendre que la formation irrégulière d'un jury est une erreur de droit que le sous-al. 613(1)b)(iii) ne pourra jamais réparer, avec égards, je ne suis pas d'accord. Mais je partage l'avis de l'appelant qu'on est ici en présence de ce type d'erreur. Et, comme je l'ai déjà dit, seule une renonciation valide peut écarter l'effet fatal du non-respect de l'art. 8 sur le procès en l'espèce.
La renonciation
Bien que ni l'une ni l'autre des parties n'ait fait d'observations sur la renonciation, il convient tout de même de se pencher sur cette question, car elle est déterminante en l'espèce.
Sous l'aspect de la renonciation, la question à trancher est la suivante: une accusé renonce-t-il à son droit à une «conclusion» sur la possession et à son droit de présenter à nouveau des moyens de défense sur la question de (d'objet» de la possession, du simple fait qu'il a plaidé sur cette question à la première étape?
Il n'est pas nécessaire de répéter ici, relativement à l'art. 8, ce que j'ai déjà dit concernant le critère qui permettra de déterminer s'il existe une renonciation valide, sauf pour réitérer que celle-ci doit être éclairée, claire et non équivoque.
Deux affaires invoquées par l'intimé à l'appui de l'application du sous-al. 613(1)b)(iii), tranchées, il est vrai, sur le fondement de ce sous-alinéa, montrent,
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à mon avis, des circonstances dans lesquelles il y avait effectivement eu une renonciation valide; pour cette raison, bien que n'étant pas d'accord sur la légitimité du recours au sous-al. 613(1)6)0E), je souscris au résultat: R. v. Sylvain, précité, où il s'agit d'une renonciation à la «conclusion» sur la possession, et R. v. Sharpe, précité, où, à la différence de l'affaire Sylvain, il s'agit d'une renonciation à la production d'éléments de preuve après la conclusion sur la possession.
Dans l'affaire Sylvain, l'accusé a témoigné à la première étape; dès le début il a avoué la possession et a alors plaidé sur la question de (d'objet» de la possession avant que le juge ne statue sur la possession. La Cour d'appel du Québec, appliquant le sous-al. 613(1)b)(iii), a rejeté l'appel. Comme je l'ai déjà dit, je ne pense pas que l'art. 613 puisse s'appliquer lorsqu'on ne s'est pas conformé à l'art. 8. Mais, le fait que Sylvain, assisté de son avocat, et en réponse aux questions de ce dernier, ait commencé par reconnaître la possession pour passer directement ensuite à l'objet de la possession constituait dans les circonstances, à mon avis, une renonciation claire et non équivoque à son droit à une «conclusion» du juge sur la possession avant qu'il ne témoigne sur «l'objet» de la possession.
Dans l'affaire Sharpe, la Cour d'appel de l'Ontario semble s'être fondée à la fois sur la «renonciation» et sur les dispositions de l'art. 613. Sharpe avait témoigné à la première étape. Ce qui s'est alors passé se dégage nettement des motifs du juge Morden (à la p. 80):
[TRADUCTION] En l'espèce, le magistrat connaissait bien les dispositions du par. 4(4). Après avoir entendu la plaidoirie de l'avocat sur la question de la possession, il a conclu que l'appelant était coupable de possession de stupéfiant. C'est alors qu'il a abordé la question du trafic et a entendu les plaidoiries à cet égard. Il ne se dégage pas du dossier qu'il ait de façon précise avisé l'accusé de son droit de témoigner ou de faire témoigner d'autres personnes sur cette question. Je présume toutefois que l'avocat qui a comparu pour l'appelant au procès (qui n'est pas son avocat en cette Cour), connaissait la bonne procédure et que, s'il avait eu des éléments de preuve à apporter sur la question du trafic, il en aurait informé le magistrat qui les aurait reçus. Vu que
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l'appelant a nié la possession, il est difficile de concevoir quelle preuve il aurait pu lui-même apporter sur la question du trafic. L'omission du magistrat de demander si la défense voulait présenter des éléments de preuve à ce stade-là constitue tout au plus une irrégularité et, étant donné l'acquiescement de l'avocat de l'accusé, on ne saurait se fonder sur cela pour accueillir cet appel. Comme l'a dit le lord juge en chef Goddard dans l'arrêt R. v. Neal, [1949] 2 K.B. 590, à la p. 597: «Nous désirons cependant souligner que si une irrégularité à laquelle il est possible de remédier se présente au cours d'un procès et n'est pas portée en temps utile à l'attention du tribunal qui l'entend, cela ne veut aucunement dire que cette cour permettra à la partie en question d'en tirer avantage lorsqu'il est trop tard pour y remédier si ce n'est par l'annulation de la déclaration de culpabilité.»
Voir aussi R. v. Lashbrooke (1958), 43 Cr. App. R. 86.
Dès lors que la cour a conclu à la possession, il incombait à l'appelant en vertu du par. 4(4) d'établir, selon ta prépondérance des probabilités, qu'il n'était pas en possession du stupéfiant pour en faire le trafic. Il n'a présenté aucune preuve sur cette question. Il avait le droit de se fonder sur la preuve déjà produite et si l'ensemble de cette preuve avait fait naître un doute raisonnable, alors il aurait eu droit à un verdict d'acquittement: R. v. Cappello, précité. A mon avis, la quantité de stupéfiants trouvés en sa possession, leur valeur et le fait que l'appelant n'est pas toxicomane ne laissent pas planer de doute raisonnable quant à sa culpabilité, et le magistrat n'a pas commis d'erreur en déclarant l'appelant coupable d'avoir eu en sa possession un stupéfiant pour en faire le trafic.
Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter l'appel.
(C'est moi qui souligne.)
Dans cette affaire-là, le fait que l'avocat, après que la cour eut répondu par l'affirmative à la question de la possession, n'ait pas présenté de preuve mais ait présenté tout de suite ses arguments sur «l'objet» de la possession, pouvait être considéré comme une renonciation au droit de l'accusé de présenter à nouveau des éléments de preuve sur la question de l'objet de la possession. Dans la mesure où la conclusion de la Cour d'appel de l'Ontario repose sur l'existence d'une renonciation valide, j'y souscris. Toutefois, pour les motifs que j'ai déjà exposés, je ne puis, avec égards, opiner à ce qui paraît être une application
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du sous-al. 613(1)b)(iii) en faisant des conjectures sur la question de savoir si l'accusé avait d'autres éléments à ajouter à sa défense, et s'il les aurait effectivement ajoutés s'il avait exercé son droit de le faire après une «conclusion» sur la possession.
La présente espèce diffère de l'affaire Sharpe en ce qu'il n'y a pas eu de conclusion sur la possession. Elle diffère de l'affaire Sylvain en ce que l'accusé n'a pas avoué la possession. Si l'on applique le critère approprié, il n'y a aucune raison de conclure que l'appelant a renoncé à la «conclusion» sur la possession, comme dans l'affaire Sylvain, ou qu'il a renoncé à présenter d'autres éléments de preuve, comme dans l'affaire Sharpe. Faute de renonciation, nous sommes ici en présence d'une erreur de droit, savoir le non-respect de l'art. 8, que, je le répète, on ne saurait corriger en recourant au sous-al. 613(1)b)(iii). L'appelant doit donc, à mon avis, avoir gain de cause sur ce moyen et un nouveau procès doit être ordonné.
Pourvoi accueilli.
Procureur de l'appelant: Ivan Lerner, Montréal.
Procureur de l'intimé: Jacques Letellier, Montréal.
[1] [1981] 2 R.C.S. 214.