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22/06/1981 | CANADA | N°[1981]_2_R.C.S._79

Canada | St-Hilaire et autres c. Bégin, [1981] 2 R.C.S. 79 (22 juin 1981)


Cour suprême du Canada

St-Hilaire et autres c. Bégin, [1981] 2 R.C.S. 79

Date: 1981-06-22

Claude St-Hilaire, Gilbert Lévesque, Laurent Dumais, Gabriel Gagné, Jean-Louis Ruest, Fernand Lamontagne et Jean-Yves Parent Appelants;

et

Paul Bégin Intimé;

et

Le ministre des Affaires municipales du Québec, la Commission municipale du Québec, Richard Beaulieu, Jean-Charles Lafond et Gervais Labrecque Mis en cause.

1981: 14 mai; 1981: 22 juin.

Présents: Les juges Dickson, Beetz, Estey, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D

’APPEL DU QUÉBEC

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec accueillant une requête de rejet d’appel. Pou...

Cour suprême du Canada

St-Hilaire et autres c. Bégin, [1981] 2 R.C.S. 79

Date: 1981-06-22

Claude St-Hilaire, Gilbert Lévesque, Laurent Dumais, Gabriel Gagné, Jean-Louis Ruest, Fernand Lamontagne et Jean-Yves Parent Appelants;

et

Paul Bégin Intimé;

et

Le ministre des Affaires municipales du Québec, la Commission municipale du Québec, Richard Beaulieu, Jean-Charles Lafond et Gervais Labrecque Mis en cause.

1981: 14 mai; 1981: 22 juin.

Présents: Les juges Dickson, Beetz, Estey, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec accueillant une requête de rejet d’appel. Pourvoi rejeté. POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec refusant une requête pour permission spéciale d’appeler. Pourvoi accueilli.

Paul Jolin, pour les appelants.

Raynold Bélanger, c.r., pour l’intimé et les mis en cause.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE LAMER — Par leur pourvoi, les appelants attaquent deux arrêts de la Cour d’appel du Québec, l’un accordant la requête présentée par

[Page 81]

l’intimé Paul Begin en rejet de leur appel fondée sur le par. 501(2) C.p.c, l’autre rejetant leur requête pour une permission spéciale d’appeler hors délais que prévoit dans certains cas l’art. 523 C.p.c.

Les appelants avaient demandé en Cour supérieure l’émission d’un bref d’évocation qui chercherait à enjoindre à l’intimé Bégin et au mis en cause Gervais Labrecque, en leur qualité de commissaires-enquêteurs nommés par la Commission municipale du Québec, de surseoir à une enquête qu’ils entreprenaient sur l’administration municipale de la ville de Rimouski. Les circonstances qui ont donné lieu à cette enquête et les faits allégués pour justifier cette demande d’évocation ne sont d’aucune pertinence à la question dont nous sommes saisis. Il importe et il suffit donc de savoir que le juge de la Cour supérieure du district de Rimouski, à qui la requête fut présentée à Rimouski même le 6 mai 1980, signait le jeudi 15 mai suivant en son cabinet à Québec un jugement portant cette même date rejetant la requête, et qu’il l’expédiait le même jour à Rimouski au protonotaire de la Cour supérieure du district de Rimouski.

Le lendemain, soit le vendredi 16 mai, les procureurs des appelants disent avoir appris à Québec l’existence du jugement par des journalistes de Rimouski. Ce n’est que le mardi 20 mai, puisque le lundi était férié, qu’ils réussissaient à obtenir copie du jugement.

Entre-temps les deux commissaires-enquêteurs avaient convoqué des témoins à Rimouski pour le lendemain et comptaient continuer l’enquête qu’ils avaient suspendue.

La narration des faits suivants est celle que l’on retrouve à même l’une des procédures dont nous sommes saisis et qu’appuie de son affidavit l’un des procureurs des appelants:

Vu leur intention d’inscrire en appel le jugement de l’Honorable Boisvert, et de demander à un des Honorables Juges de la Cour d’Appel qu’un sursis soit ordonné selon les dispositions de l’article 850 C.P.C, les procureurs des appelants communiquèrent, dans la journée du 20 mai 1980, à quatre reprises, avec Me Come Boucher, l’un des procureurs de l’intimé pour l’informer de leur intention d’appeler et de loger une requête pour sursis comme susdit;

[Page 82]

Il fut alors convenu que, vu que l’intimé avait convoqué des témoins et entendait tenir une séance d’enquête dès le lendemain à 14H00, l’inscription en appel et la requête pour sursis leur seraient remises en main propre, contre accusé de réception, ce qui fut fait vers 16H15 ce 20 mai 1980;

Vu les circonstances et l’urgence indéniable, et vu les dispositions des articles 3, 17 et 18 du chapitre T-10 des Lois Refondues du Québec, les procureurs des appelants firent apposer sur leur inscription en appel les timbres requis par le protonotaire adjoint du District judiciaire de Québec après s’être assurés que le protonotaire du district judiciaire de Rimouski transmettrait son dossier au Greffier des Appels du District de Québec sans délai et par courrier, afin d’éviter les délais qu’entraînent les dispositions de l’article 498 C.P.C.;

Le même jour, Mme Annette Biais, protonotaire-adjoint de la Cour Supérieure du District de Rimouski transmettait le dossier numéro: 100-05-000171-80-8 à M. Joachim Tardif, greffier des appels à Québec, de même que les pièces invoquées par les parties, tel qu’il appert de copie de sa lettre annexée à la présente contestation;

Le même jour les procureurs de l’intimé ont accusé réception de copie de l’inscription en appel des appelants, dont l’original fut remis au Greffier des Appels M. Joachim Tardif le 21 mai 1980 pour être déposé dans le dossier de la Cour Supérieure de Rimouski numéro 100-05-000171-80-8 qui avait été transmis à ce dernier dans les circonstances précédemment alléguées, tel qu’il appert de photocopie jointe à la présente contestation d’une lettre des procureurs soussignés audit M. Joachim Tardif;

Le 21 mai 1980, après que l’intimé eut accepté de ne point siéger à Rimouski à 14H00, Me Claude Gagnon, l’un des procureurs de l’intimé et Me Louis Dorion l’un des procureurs des appelants convinrent de reporter la présentation de la requête pour sursis au lendemain, soit au 22 mai 1980;

Le 22 mai 1980, les appelants présentèrent et l’intimé contesta devant l’Honorable Juge Dubé, de la Cour d’Appel, la requête des appelants logée suivant les dispositions de l’article 850 C.P.C.;

Le 27 mai 1980, l’Honorable Juge André Dubé accordait la requête des appelants et ordonnait à l’intimé, Me Paul Bégin, et aux autres mis en cause de surseoir à toutes procédures tant que la Cour d’Appel n’aura pas rendu jugement sur l’appel intenté par les appelants;

Le 22 mai 1980, les procureurs de l’intimé, Mes Belleau, Boucher & Brassard avaient également déposé

[Page 83]

au Greffe de la Cour d’Appel une comparution pour l’intimé Paul Bégin et les mis en cause, tel qu’il appert du dossier;

Le 30 mai 1980 l’intimé et la Commission Municipale de Québec logeaient et faisaient signifier aux procureurs des appelants une REQUÊTE EN RÉVISION DU JUGEMENT RENDU EN CHAMBRE LE VINGT-SEPTIÈME JOUR DE MAI 1980 par l’Honorable Juge André Dubé (C.P. 20, et 523), tel qu’il appert du dossier;

Cette requête a été contestée par les Appelants et jugement a été rendu par la Cour d’Appel le 13 août 1980, rejetant cette requête de l’intimé et de la Commission Municipale du Québec avec dépens;

Dès le 15 août 1980 Me Claude Gagnon, l’un des procureurs de l’intimé, écrivait aux procureurs des Appelants une lettre où l’on retrouve entre autres: suite à votre inscription en appel du jugement de l’Honorable Juge Gérald Boisvert, …nous croyons qu’il serait urgent que vous nous fassiez parvenir, dans les dix (10) jours, votre exposé de cause, tel qu’il appert de photocopie de cette lettre annexée à la présente contestation;

Dès réception de cette lettre, soit le 19 août 1980, Me Louis Dorion, l’un des procureurs des appelants, communiqua par téléphone avec Me Claude Gagnon, l’un des procureurs de l’intimé, et l’informa de son intention de produire l’exposé prescrit par l’article 503 C.P.C. dans les trois semaines qui suivraient;

Effectivement, cet exposé a été signifié aux procureurs de l’intimé le 12 septembre 1980;

Tel qu’il appert de la copie de la lettre du protonotaire adjoint Annette Biais de la Cour Supérieure du District de Rimouski qui est annexée à la présente requête, cette dernière priait M. Joachim Tardif de lui retourner le tout dans un avenir prochain;

Effectivement, si le dossier eut été retourné comme susdit après l’ordonnance rendue le 27 mai 1980 par l’honorable Juge André Dubé qui accordait une requête des appelants et ordonnait à l’intimé et aux mis en cause de surseoir à toute procédure devant la Commission Municipale du Québec, l’inscription en appel dûment timbrée, dont les procureurs de l’intimé et des mis en cause avaient accusé réception, aurait été déposée au Greffe de la Cour Supérieure de Rimouski bien avant l’expiration du délai de trente (30) jours prescrit par l’article 494 C.P.C;

Ce n’est qu’après avoir reçu signification, le 16 septembre 1980, de la REQUÊTE POUR REJET D’APPEL logée par l’intimé que les procureurs des appelants ont constaté que l’original du dossier de la Cour Supérieure du District de Rimouski, y compris l’original de l’inscrip-

[Page 84]

tion en appel, étaient toujours entre les mains du greffier des Appels de Québec.

En somme, quoique les appelants aient déposé un exemplaire et deux copies de leur inscription en appel au dossier de la Cour supérieure du district de Rimouski alors que celui-ci se trouvait à Québec, au greffe de la division d’appel de Québec, ils n’ont pas déposé ces documents au greffe de la Cour supérieure de Rimouski (art. 495 C.p.c.) dans les dix (10) jours de la date du jugement (art. 850 C.p.c.).

C’est fort de ce motif que l’intimé présentait une requête pour rejet de cet appel et c’est à mon avis à bon droit que la Cour d’appel agréait cette requête (voir Cité de Pont Viau c. Gauthier Mfg. Ltd.[1], à la p. 519). Aussi suis-je d’avis de rejeter avec dépens le pourvoi à l’encontre de cet arrêt de la Cour d’appel du Québec.

Les appelants avaient par ailleurs présenté à la Cour d’appel une requête fondée sur l’art. 523 du Code de procédure civile:

523. La Cour d’appel peut, si les fins de la justice le requièrent, permettre à une partie d’amender ses actes de procédure, de mettre en cause une personne dont la présence est nécessaire, ou encore, en des circonstances exceptionnelles, de présenter, selon le mode qu’elle indique, une preuve nouvelle indispensable.

Elle a tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de sa juridiction, et peut rendre toutes ordonnances propres à sauvegarder les droits des parties; elle peut même, nonobstant l’expiration du délai prévu à l’article 494, mais pourvu qu’il ne se soit pas écoulé plus de six mois depuis le jugement, accorder une permission spéciale d’appeler à la partie qui démontre qu’elle a été, en fait, dans l’impossibilité d’agir plus tôt. [C’est moi qui souligne]

Cette requête fut rejetée sans motifs à l’appui. L’intimé, entre autres arguments au soutien de cette décision, nous en suggère un dont nous pouvons disposer dès maintenant. Il argue que la Cour ne pouvait accorder une permission spéciale d’appeler puisque les requérants ne la demandaient pas par leurs conclusions; que de surcroît ils n’ont même pas allégué dans leur requête «l’impossibilité d’agir plus tôt», une condition essentielle à l’existence de laquelle la Cour d’appel doit conclure

[Page 85]

avant de pouvoir exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’art. 523 C.p.c.

Un examen de l’ensemble des allégations contenues à la requête révèle que les requérants disent qu’ils ne pouvaient prévoir que le greffier des appels retiendrait à Québec le dossier de la Cour supérieure même une fois prononcée l’ordonnance de sursis le 27 mai 1980, plutôt que de le retourner au greffe de Rimouski; que par voie de conséquence, l’exemplaire et les deux copies de l’inscription en appel consignés au dossier demeureraient à Québec et que les actes de procédure étaient dès lors hors de leur contrôle. Ceci me semble amplement suffisant comme allégation «d’impossibilité d’agir plus tôt», mais seulement en regard de la définition fort large que donnait cette Cour à cette condition de fond dans Cité de Pont Viau, précité, et surtout dû au fait que, par cette décision, la possibilité d’agir qu’auraient peut-être eue les avocats des appelants ne peut être opposée aux appelants eux-mêmes.

Quant aux conclusions, elles sont comme suit:

DISPENSER les appelants des délais prescrits par le Code de Procédure civile; RECEVOIR la présente requête;

DECLARER valable l’appel tel que formé par les appelants;

RECONNAITRE l’existence et la non-déchéance du droit d’appel des appelants;

RENDRE toute ordonnance propre à sauvegarder les droits des appelants;

FRAIS A SUIVRE.

Ces conclusions sont, à mon avis, une demande de surseoir à la déchéance du droit d’appel et d’accorder aux appelants une permission spéciale d’appeler. Je serais donc fort surpris que la Cour d’appel ait fondé sa décision sur ce motif; de toute façon, l’eût-elle fait qu’elle aurait à mon avis eu tort.

Dans la décision récente de cette Cour dans la cause Cité de Pont Viau c. Gauthier Mfg. Ltd., précitée, M. le juge Pratte commentant la portée et le fonctionnement du deuxième alinéa de l’art. 523 C.p.c. s’exprimait ainsi:

La première partie de cette disposition accorde à la Cour d’appel un vaste pouvoir discrétionnaire qu’elle

[Page 86]

doit exercer, selon le texte même de l’article, de façon «à sauvegarder les droits des parties». Mais la discrétion de la Cour d’appel n’est pas illimitée lorsqu’il s’agit d’accorder la permission d’appeler après l’expiration des délais prévus à l’art. 494 C.p.c.; dans ce cas, le pouvoir discrétionnaire de la Cour d’appel est assujetti à l’existence de deux conditions préalables: la demande de permission d’appeler doit être faite dans les six mois du jugement et la partie doit en outre démontrer «qu’elle a été, en fait, dans l’impossibilité d’agir plus tôt». C’est seulement à l’égard d’une partie qui rencontre ces deux conditions préalables que la Cour d’appel peut accorder une permission spéciale d’appeler; mais il ne faudrait pas croire que la permission spéciale d’appeler doit être accordée à toute partie qui en fait la demande dans les six mois et qui établit qu’il lui a été impossible, en fait, d’agir plus tôt. Le pouvoir de la Cour d’appel est ici discrétionnaire, et le verbe «peut» ne doit pas être interprété comme synonyme de «doit».

Il est facile de concevoir des cas où, par un exercice judicieux de cette discrétion, la Cour d’appel refuserait d’accorder la permission spéciale d’appeler alors que demande lui en a été faite dans les six mois du jugement par une partie qui a démontré «qu’elle a été, en fait, dans l’impossibilité d’agir plus tôt». Il en serait ainsi, par exemple, si l’appel était manifestement futile ou vexatoire ou si la partie s’était elle-même placée par suite de son incurie coupable dans l’impossibilité d’agir plus tôt. [Soulignés dans le texte original.]

Il appert de ces propos qu’avant d’exercer sa discrétion la Cour d’appel doive se satisfaire (outre ce qui concerne le délai de six mois qui n’est pas ici en cause) que la partie «a été, en fait, dans l’impossibilité d’agir plus tôt». A cette fin, la Cour d’appel ne doit pas exiger de la part du plaideur la démonstration d’une impossibilité d’agir qui résulte d’un obstacle invincible et indépendant de sa volonté, mais il suffit que lui soit démontrée une impossibilité de fait, relative. De plus la Cour, toujours sous la plume du juge Pratte, ajoutait:

Dans l’espèce qui nous est soumise, la forclusion a été encourue uniquement à cause de l’erreur des procureurs de l’appelante. La partie elle-même a agi avec diligence et je ne vois pas ce qu’elle aurait pu faire elle-même pour «agir plus tôt».

Mais, dit-on, l’impossibilité dont parle l’art. 523 C.p.c. n’est pas celle de la partie, mais plutôt celle de ses procureurs. Je ne suis pas d’accord avec cette prétention. La dernière partie de l’art. 523 C.p.c. a été édictée en

[Page 87]

faveur de la partie elle-même de façon à tempérer la rigueur de la déchéance automatique du droit d’appel lorsque le titulaire de ce droit — la partie elle-même — n’a pu agir à temps. L’impossibilité d’agir doit donc s’apprécier du point de vue de celui qui aura à supporter les conséquences de la forclusion s’il n’en est pas relevé.

D’ailleurs en choisissant le critère de l’impossibilité «en fait», le législateur a voulu indiquer que l’impossibilité doit s’apprécier concrètement, en dehors de toute fiction. Or, c’est uniquement par suite d’une fiction légale que l’on pourrait dire que la possibilité d’agir des procureurs est celle de la partie; ce n’est clairement pas ce qu’envisage la dernière partie de l’art. 523 C.p.c.: l’on ne saurait nier l’existence d’une impossibilité réelle, «en fait», en invoquant une fiction suivant laquelle la possibilité d’agir d’un représentant devrait être tenue comme celle du représenté.

Il s’agit là d’une interprétation de l’art. 523 qui suppose que le législateur, quoiqu’il ne l’ait fait que de façon implicite, ait néanmoins voulu en la matière déroger aux règles contenues au titre huitième du Code civil (Du mandat). Il en résulte, à toutes fins pratiques, que rares sont les cas (à part ceux de déchéance suite à l’expiration des six mois prévus à l’art. 523) où la partie ne réussira pas à satisfaire ce préalable à l’exercice par la Cour de sa discrétion; si bien que c’est au deuxième stade de l’application de l’art. 523 C.p.c. que la Cour d’appel du Québec peut éviter les conséquences fâcheuses pour la bonne administration de la justice auxquelles autrement donnerait lieu ce divorce jurisprudentiel entre le mandant et son mandataire.

En l’espèce il me faut conclure que, eu égard aux critères énoncés dans la décision récente de cette Cour dans Cité de Pont Viau, il a été démontré à la Cour d’appel qu’au moins les appelants, sinon leurs procureurs, étaient dans l’impossibilité de fait relative de déposer leurs procédures au greffe de la Cour supérieure de Rimouski en temps utile et que, partant, la Cour d’appel était dès lors en droit d’exercer sa discrétion d’accorder ou de refuser la permission.

En procédant à l’exercice de sa discrétion, elle doit de façon générale, comme le veut l’art. 523, chercher «à sauvegarder les droits des parties».

[Page 88]

Comme nous avons un système où les parties sont adversaires et dont les droits respectifs sont plus souvent qu’autrement en situation de conflit, il va de soi que la Cour devra donner priorité aux droits des uns par rapport et souvent au détriment de ceux des autres. A cette fin la Cour doit s’inspirer des premiers mots de l’art. 523 et choisir, lorsqu’un choix s’impose, la sauvegarde des droits des parties selon que le requièrent «les fins de la justice». Aussi je suis d’avis que, lorsqu’il s’agit de protéger les droits des parties suite à l’erreur de l’avocat de l’une d’elles dans un cas où cette erreur aura de toute nécessité des conséquences défavorables à l’une ou à l’autre partie selon la décision de la Cour, «les fins de la justice» requièrent que les conséquences fâcheuses de cette erreur soient supportées par la partie de qui l’avocat tient son mandat et non par l’adversaire; le contraire serait, pour le moins, incongru.

En l’espèce, si l’erreur des avocats ne peut être imputée aux appelants lors du premier stade de l’application de 1 art. 523 (c.-à-d. lors de la détermination de l’impossibilité ou non d’agir), elle demeure pertinente lors du deuxième stade de l’application de l’article. En effet, la Cour doit alors se demander si cette erreur a causé un préjudice à l’intimé ou encore si le fait de relaxer les conséquences de cette erreur lui causerait un préjudice; le cas échéant, elle en fera assumer les inconvénients par les mandants de ces avocats et refusera la permission spéciale d’appeler.

Dans le cas qui nous occupe, la partie adverse n’a pas subi de préjudice. Elle a reçu copie des procédures dès le 20 mai; elle a même comparu en appel et entamé des pourparlers avec ses adversaires pour la confection du dossier en appel. Je ne vois dans le fait que la production fut faite au dossier plutôt qu’au greffe rien qui puisse causer à l’intimé un préjudice; par contre les conséquences sont drastiques pour les appelants. Je suis donc pour cette raison d’avis, avec déférence pour l’opinion contraire, que «les fins de la justice» commandaient en l’espèce de sauvegarder les droits des appelants et que, partant, cette requête eût dû être agréée.

[Page 89]

Tout en rejetant avec dépens contre les appelants leur pourvoi quant à la requête pour rejet d’appel, j’accueillerais donc le pourvoi quant à la requête fondée sur l’art. 523 C.p.c, j’accorderais aux appelants une permission spéciale d’interjeter appel, et à cette fin leur donnerais un délai de dix (10) jours à compter de ce jugement pour déposer au greffe de la Cour supérieure à Rimouski leur inscription en appel, frais à suivre le sort du pourvoi.

Pourvoi à l’encontre de l’arrêt accueillant la requête de rejet d’appel rejeté avec dépens.

Pourvoi à l’encontre de l’arrêt rejetant la requête pour permission spéciale d’appeler accueilli.

Procureurs des appelants: Dorion, Jolin & Associés, Québec.

Procureurs de l’intimé et des mis en cause: Bélanger & Bélanger, Québec.

[1] [1978] 2 R.C.S. 516.


Synthèse
Référence neutre : [1981] 2 R.C.S. 79 ?
Date de la décision : 22/06/1981
Sens de l'arrêt : Le pourvoi contre l’arrêt accueillant la requête de rejet d’appel est rejeté et le pourvoi contre l’arrêt refusant la requête pour permission spéciale d’appeler est accueilli

Analyses

Procédure civile - Appel - Inscription en appel non déposée dans les délais au greffe du tribunal de première instance - Permission spéciale d’appeler - Sens de «impossibilité d’agir plus tôt» - Exercice du pouvoir discrétionnaire - Code de procédure civile, art. 494, 495, 501(2), 523, 850.

Les appelants n’ont pas pu déposer un exemplaire et deux copies de leur inscription en appel au greffe de la Cour supérieure de Rimouski (art. 495 C.p.c.) dans les dix jours de la date du jugement refusant leur demande en évocation, le dossier de première instance ayant été transféré d’urgence au greffe de la Division d’appel de Québec pour l’audition d’une requête pour ordonnance de sursis. C’est à cet endroit que les appelants déposèrent au dossier l’original et les copies de l’inscription en appel. L’intimé présenta une requête en rejet d’appel et la Cour d’appel y agréa. Les appelants avaient par ailleurs présenté une requête fondée sur l’art. 523 C.p.c. qui fut également rejetée sans motifs à l’appui.

Arrêt: Le pourvoi contre l’arrêt accueillant la requête de rejet d’appel est rejeté et le pourvoi contre l’arrêt refusant la requête pour permission spéciale d’appeler est accueilli.

Quant à la première requête, c’est à bon droit que la Cour d’appel agréa cette requête pour rejet d’appel (Cité de Pont Viau c. Gauthier Mfg. Ltd., [1978] 2 R.C.S. 516).

Quant à la deuxième requête, il ressort de l’arrêt précité qu’avant d’exercer sa discrétion, la Cour d’appel doit être convaincue (outre ce qui concerne le délai de

[Page 80]

six mois qui n’est pas ici en cause) que la partie «a été en fait, dans l’impossibilité d’agir plus tôt». A cette fin, la Cour d’appel ne doit pas exiger de la part du plaideur la démonstration d’une impossibilité d’agir qui résulte d’un obstacle invincible et indépendant de sa volonté, mais il suffit que lui soit démontrée une impossibilité de fait relative. Comme c’est la cas en l’espèce, la Cour d’appel était dès lors en droit d’exercer sa discrétion et ce comme suit. Elle doit de façon générale, comme le veut l’art. 523, chercher «à sauvegarder les droits des parties». Dans un système où les parties sont adversaires et dont les droits respectifs sont plus souvent qu’autrement en situation de conflit, il va de soi que la cour devra donner priorité aux droits des uns par rapport et souvent au détriment de ceux des autres. A cette fin, la cour doit s’inspirer des premiers mots de l’art. 523 et choisir, lorsqu’un choix s’impose, la sauvegarde des droits des parties selon que le requièrent «les fins de la justice» et, lorsqu’il s’agit de protéger les droits des parties après l’erreur de l’avocat de l’une d’elles dans un cas où cette erreur aura de toute nécessité des conséquences défavorables à l’une ou à l’autre partie selon la décision de la cour, «les fins de la justice» requièrent que les conséquences fâcheuses de cette erreur soient supportées par la partie de qui l’avocat tient son mandat et non par l’adversaire.

Puisque dans l’espèce la partie adverse n’a pas subi de préjudice, «les fins de la justice» commandaient de sauvegarder les droits des appelants et, partant, cette requête eût dû être agréée.


Parties
Demandeurs : St-Hilaire et autres
Défendeurs : Bégin

Références :

Jurisprudence: Cité de Pont Viau c. Gauthier Mfg. Ltd., [1978] 2 R.C.S. 516.

Proposition de citation de la décision: St-Hilaire et autres c. Bégin, [1981] 2 R.C.S. 79 (22 juin 1981)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1981-06-22;.1981..2.r.c.s..79 ?
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