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22/06/1981 | CANADA | N°[1981]_2_R.C.S._214

Canada | Matheson c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 214 (22 juin 1981)


Cour suprême du Canada

Matheson c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 214

Date: 1981-06-22

Lawrence Graham Matheson Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1980: 8 décembre; 1981:22 juin.

Présents: Les juges Martland, Ritchie, Dickson, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU MANITOBA

Cour suprême du Canada

Matheson c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 214

Date: 1981-06-22

Lawrence Graham Matheson Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1980: 8 décembre; 1981:22 juin.

Présents: Les juges Martland, Ritchie, Dickson, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU MANITOBA


Synthèse
Référence neutre : [1981] 2 R.C.S. 214 ?
Date de la décision : 22/06/1981
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Preuve - Droit criminel - Omission de verser au dossier du procès après le nouveau choix les témoignages entendus h l’enquête préliminaire - Déclaration de culpabilité fondée sur l’ensemble de la preuve - Allégation qu’on voulait que tous les témoignages soient pris en considération - Opportunité d’annuler la déclaration de culpabilité et d’ordonner un nouveau procès - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 484, 485(1), 491.

Le juge du procès, au cours d’une enquête préliminaire, a fait droit à la demande de l’appelant de faire un nouveau choix pour être jugé par un magistrat. Par inadvertance, on n’a pas versé au dossier du procès les témoignages entendus avant le nouveau choix. L’accusé a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité. La question dont la Cour est saisie est de savoir si, compte tenu de la prétention que c’était là l’intention de l’accusé, on aurait dû considérer toute la preuve recueillie relativement à la question de la culpabilité.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Pour qu’il y ait déclaration de culpabilité, le ministère public doit légalement faire sa preuve au procès de l’accusé. Des conjectures quant aux intentions de l’accusé ne répareront pas l’oubli fatal de verser la preuve au dossier du procès. Il n’est pas pertinent que le juge des faits au procès soit la personne qui a présidé l’enquête préliminaire.

POURVOI à rencontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba[1], qui a rejeté un appel contre le verdict de culpabilité rendu par le juge Dubienski de la Cour provinciale. Pourvoi accueilli.

Personne n’a comparu pour l’appelant.

J.G.B. Dangerfield, pour l’intimée.

[Page 215]

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE LAMER — L’appelant a été accusé devant un juge de la Cour provinciale à Winnipeg d’avoir commis quatre infractions, dont deux font l’objet de ce pourvoi. Il s’agit, dans la même accusation, d’un chef de vol qualifié, al. 302d) du Code criminel, et d’un chef d’utilisation d’arme à feu pour commettre un acte criminel, art. 83 du Code criminel. Comme l’accusé avait choisi d’être jugé par un juge sans jury et que le ministère public avait choisi de procéder relativement au premier chef d’accusation, le magistrat a commencé à tenir une enquête préliminaire relativement à cette infraction. Après qu’on eut entendu douze témoins, l’appelant a demandé, en vertu de l’art. 491 du Code, de faire un nouveau choix pour être jugé par un magistrat conformément à la Partie XVI. Le juge de la Cour provinciale a fait droit à la requête, reçu un plaidoyer de non-culpabilité, continué les procédures à titre de procès et entendu les témoignages qui restaient. Par la suite, on a versé au dossier du second chef d’accusation la preuve soumise lors du procès relatif au premier chef et le juge a déclaré l’appelant coupable des deux infractions.

L’accusé a interjeté appel à la Cour d’appel du Manitoba en invoquant divers moyens qu’il fait maintenant valoir devant cette Cour. Ils portent principalement sur la question de savoir s’il faut se conformer strictement aux dispositions applicables des art. 484 (choix) et 491 (nouveau choix) du Code et, dans l’affirmative, si on s’y est conformé strictement en l’espèce. L’appelant s’oppose à ceux qui soutiennent qu’il suffit de se conformer en substance aux dispositions en question. Il conteste en outre le droit d’un accusé de renoncer, soit personnellement, soit par son avocat, à l’exigence de s’y conformer et ce, qu’il s’agisse de respect strict ou de substance. Il n’est pas nécessaire en l’espèce d’examiner ces moyens, car je suis d’avis que le pourvoi doit être accueilli à cause d’un motif soulevé dans le mémoire du ministère public.

Le substitut du procureur général, (il faut lui en tenir gré, d’autant plus que l’appelant n’était pas

[Page 216]

représenté devant cette Cour), nous a fait remarquer que par inadvertance on n’avait pas, à l’exception de la reconnaissance de certains faits et de certaines déclarations, de quelque manière versé au dossier du procès les témoignages entendus avant le nouveau choix et le plaidoyer de non-culpabilité. Ayant soulevé la question, le ministère public intimé plaidait néanmoins que [TRADUCTION] «il est évident que l’appelant voulait que tous les témoignages entendus soient utilisés afin de décider de sa culpabilité ou de son innocence». L’intimé a alors prétendu que [TRADUCTION] «le savant juge de la Cour provinciale avait certes le pouvoir, dans les circonstances de l’espèce, de considérer toute la preuve recueillie relativement à la question de la culpabilité».

Je ne suis pas d’accord. Quelles qu’aient pu être les intentions de l’appelant, il incombe toujours au ministère public de faire sa preuve au procès de l’accusé et nous ne pouvons compenser son oubli de le faire, compréhensible mais non moins fatal, en recourant à des conjectures quant aux intentions de l’appelant à l’époque. Même si ces intentions sont celles que lui impute le ministère public, on ne peut rendre un verdict de culpabilité contre un accusé sur la preuve que ce dernier croyait avoir été soumise à son procès, mais uniquement sur la preuve légalement soumise devant le juge des faits au cours du procès. Il n’est pas pertinent que le juge des faits au procès soit la personne qui a présidé l’enquête préliminaire avortée. Nous ne sommes pas ici en présence d’une erreur qui porte sur une simple formalité, bien qu’on eût pu régler la question assez facilement à ce moment-là puisque l’intimé a raison du moins en ce qui concerne l’intention de l’avocat de l’appelant à l’époque. Il s’agit de toute évidence d’un oubli de la part de tout le monde; mais par suite de cet oubli, si compréhensible soit-il, des preuves, sur lesquelles il fallait nécessairement s’appuyer pour qu’il y ait verdict de culpabilité, n’ont pas véritablement été faites devant le juge du procès. En l’espèce, ce n’est pas le par. 485(1) du Code qui s’applique. Ce paragraphe vise le cas où un magistrat (de la Partie XVI) qui préside un procès est d’avis que l’inculpation devrait être poursuivie par voie de mise en accusation et continue les procédures à

[Page 217]

titre d’enquête préliminaire. Selon mon interprétation du par. 485(1), le magistrat en pareil cas n’est pas tenu de lire et de verser au dossier de l’enquête la preuve recueillie pendant le procès. Le Parlement a fait une distinction entre les deux situations sans doute parce que la preuve qui est recevable au procès d’un accusé le sera nécessairement à son enquête préliminaire, alors que l’inverse ne tient pas forcément.

Une personne ne peut être reconnue coupable d’une infraction qu’après avoir été accusée de l’avoir commise et après un procès au cours duquel on a apporté devant un juge (ou devant un juge et jury) ayant juridiction la preuve de sa culpabilité. Un accusé peut renoncer (pourvu que le juge accepte la renonciation) à son droit à un procès en plaidant coupable. Autrement, il faut se conformer à la règle selon laquelle la culpabilité doit être établie au cours du procès devant le juge des faits. Pour ce qui est des dépositions des témoins, le respect strict de la règle exige que ces derniers prêtent serment ou fassent une affirmation solennelle et qu’ils soient entendus au cours du procès et ce devant le juge des faits. Un accusé peut, si le ministère public y consent et que la cour y acquiesce, renoncer au respect strict de cette règle, et ce de nombreuses façons et à différents degrés. En effet, il peut dispenser le ministère public de prouver certains faits en les admettant; il peut, en admettant quels seraient leurs témoignages à l’égard de certains faits si on les faisait témoigner, ne pas exiger que des témoins prêtent serment et que leurs dépositions soient effectivement recueillies; il peut, si le témoignage a déjà été apporté au cours d’une procédure antérieure, accepter que ce témoignage soit versé ou même considéré comme versé au dossier du procès; il peut même admettre, lorsque, comme en l’espèce, le juge du procès est le même que celui qui a entendu les témoins au cours de la procédure antérieure, que leurs témoignages soient considérés comme versés au dossier de son procès sans même attendre que la transcription de ces témoignages soit déposée. Mais quelle que soit la méthode choisie pour se conformer à la règle, au moins en substance, il existe deux conditions préalables et l’inobservation d’une seule de ces conditions suffit pour qu’il n’y ait pas conformité avec la règle (abstraction faite de l’exception qui se trouve

[Page 218]

à l’al. 485(3)b) du Code): savoir, que le consentement de l’accusé et du ministère public à ce qu’il y ait dispense de se conformer strictement à la règle soit transmis à la cour au cours du procès, puis que les témoignages soient de quelque façon, que ce soit par le dépôt de transcriptions ou même par quelque renvoi à des procédures judiciaires antérieures, versés au dossier à quelque moment pendant le déroulement du procès. En l’espèce on n’a rempli ni l’une ni l’autre condition. Par conséquent la preuve apportée avant le nouveau choix ne peut faire partie du dossier du procès.

Il n’est que juste de mentionner que ce motif n’a pas été soulevé devant la Cour d’appel. C’est à regret que je me vois contraint d’être de l’avis de casser l’arrêt d’une cour à cause d’un motif qui n’a pas été soulevé devant elle; néanmoins, compte tenu de l’effet fatal de cet oubli sur les procédures, je dois conclure que ce pourvoi devrait être accueilli et un nouveau procès ordonné.

Pourvoi accueilli.

Procureur de l’intimée: Le sous-procureur général du Manitoba, Winnipeg.

[1] (1979), 90 C.C.C. (2d) 92, 13 C.R. (3d) 62, 1 M.R. (2d) 111; [1979] 6 W.W.R. 738.


Parties
Demandeurs : Matheson
Défendeurs : Sa Majesté la Reine
Proposition de citation de la décision: Matheson c. La Reine, [1981] 2 R.C.S. 214 (22 juin 1981)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1981-06-22;.1981..2.r.c.s..214 ?
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