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11/05/1981 | CANADA | N°[1981]_1_R.C.S._539

Canada | Bergstrom c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 539 (11 mai 1981)


Cour suprême du Canada

Bergstrom c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 539

Date: 1981-05-11

George John Bergstrom Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1980: 9 décembre; 1981: 11 mai.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Dickson, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU MANITOBA

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba[1], qui a accueilli un appel du jugement du juge Wright et a ordonné un nouveau procès. Pourvoi rejeté.

Norm Cuddy, pour l’app

elant.

J.G.B. Dangerfield, c.r., et H.J. Whitley, pour l’intimée.

[Page 541]

Version française du jugement de la Cour rendu ...

Cour suprême du Canada

Bergstrom c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 539

Date: 1981-05-11

George John Bergstrom Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1980: 9 décembre; 1981: 11 mai.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Dickson, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU MANITOBA

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba[1], qui a accueilli un appel du jugement du juge Wright et a ordonné un nouveau procès. Pourvoi rejeté.

Norm Cuddy, pour l’appelant.

J.G.B. Dangerfield, c.r., et H.J. Whitley, pour l’intimée.

[Page 541]

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE MCINTYRE — Ce pourvoi à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba (les juges Monnin et Matas, et le juge Huband, dissident) soulève des questions relatives à l’application de la défense de contrainte, prévue à l’art. 17 du Code criminel.

Les faits en l’espèce ne sont pas vraiment contestés. La plaignante, une jeune femme alors âgée de vingt-cinq ans, est entrée seule dans un bar d’un hôtel de Winnipeg. Elle voulait entendre l’orchestre qui y jouait. Elle est arrivée vers 20 h 30 ou 21 h et peu de temps après, un groupe assis à une autre table lui a demandé de se joindre à lui. Le groupe, y compris la plaignante, est resté au bar jusqu’à la fermeture vers 1 h 30. Ils sont alors allés à une partie dans un appartement privé de Winnipeg. L’appelant et un nommé Durack étaient aussi présents à la partie qui a duré jusque vers 4 h 30. Au cours de la partie, comme plus tôt au bar, les personnes présentes ont consommé beaucoup de boisson. Peu de temps avant de quitter, Bergstrom et la plaignante ont parlé de reconduire la plaignante chez elle. Bergstrom a accepté de reconduire la plaignante dans son auto, mais comme il n’avait pas de permis de conduire, Durack devait conduire jusque chez lui (chez Durack) où il descendrait et laisserait Bergstrom conduire la plaignante jusque chez elle. Après le départ, au lieu de se rendre chez lui, Durack a conduit l’auto hors de la ville, à un lieu situé à quelque vingt milles au nord de Winnipeg. La plaignante s’est évanouie en chemin, probablement sous l’effet de la boisson qu’elle avait prise. Dans une déclaration faite à la police, Bergstrom a affirmé avoir protesté auprès de Durack lorsqu’il s’est rendu compte qu’il n’allait pas chez lui comme prévu, et que lorsqu’il a protesté une deuxième fois, Durack a sorti un couteau et lui a ordonné de se tenir tranquille.

En passant près d’une maison de ferme, Durack a quitté la route et s’est arrêté dans un champ. Il a ordonné à la plaignante, alors ranimée, de prendre place sur la banquette arrière et, malgré ses protestations et après l’avoir menacée de violence, il a obtenu par la terreur qu’elle se soumette à des

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rapports sexuels. Pendant ce temps, Bergstrom était à l’extérieur de l’auto. Après qu’il eut fini, Durack a ordonné à Bergstrom d’avoir des rapports sexuels avec la plaignante. Dans sa déclaration, Bergstrom a dit avoir refusé de se livrer à des rapports sexuels avec la plaignante mais par crainte que Durack utilise son couteau il a acquiescé à sa demande. Sur l’ordre de Durack, la plaignante a eu des rapports sexuels oraux avec les deux hommes. Chacun a eu des rapports contre sa volonté et, même si elle se souvient vaguement des détails et de la suite des événements, il y a eu d’autres rapports qu’aucun accusé n’a nié. Malgré les cris de la plaignante et la demande qu’elle a faite au moins une fois à Bergstrom de lui venir en aide, les viols ont été commis et on n’a pas tenté de soutenir, au procès, que la plaignante a consenti aux rapports sexuels. Il est reconnu qu’elle n’a pas consenti et que sa peur a vaincu sa résistance et ses protestations.

Les assauts contre la plaignante sont tous survenus sur la banquette arrière de l’automobile. Pendant que Durack violait la fille, Bergstrom était soit sur la banquette avant, soit, au moins une fois, à l’extérieur de l’auto. Dans le voisinage, il y avait une maison de ferme. La preuve n’indique pas à quelle distance elle se trouvait. Dans sa déclaration, Bergstrom affirme qu’il a laissé la portière de l’auto ouverte lorsque Durack violait la fille de sorte que ses cris puissent être entendus. Aucune lumière n’est apparue à la maison, et il a «supposé» que les habitants n’ont rien entendu. Bergstrom exprime la crainte qu’il avait de Durack et affirme qu’il était un homme dangereux qui avait poignardé un de ses amis (de Bergstrom) et qui, au cours de la partie ce soir-là, avait menacé une autre personne d’un couteau. Bergstrom dit que son violent compagnon lui faisait craindre pour sa vie, mais il est néanmoins évident qu’il a eu au moins deux et probablement trois bonnes chances de s’échapper et qu’il aurait pu trouver à la maison de ferme voisine de l’aide non seulement pour lui-même, mais pour la plaignante. A la suite de ces événements, la plaignante a été reconduite chez elle et les deux hommes sont partis.

Bergstrom et Durack ont été arrêtés. Durack a plaidé coupable de viol et a été condamné à quatre

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ans de pénitencier. Bergstrom a été accusé de viol et d’avoir commis des actes de grossière indécence. Son procès s’est tenu devant un juge et un jury, et il a été acquitté sous les deux chefs. Il a admis les rapports sexuels contre la volonté de la plaignante et sans son consentement. Son seul moyen de défense était la contrainte en vertu de l’art. 17 du Code criminel. Il n’a pas témoigné à son procès, mais il a appuyé sa défense sur le témoignage d’autres témoins et sur une longue déclaration qu’il a faite à la police, et que la poursuite a produite.

La présente affaire soulève deux questions évidentes. La défense de contrainte prévue à l’art. 17 du Code criminel s’applique-t-elle au crime de viol ou est-elle exclue par le texte de cet article et, en supposant que la défense s’applique, y avait-il en l’espèce une preuve suffisante pour justifier de soumettre ce moyen de défense au jury?

En Cour d’appel, la majorité a exprimé l’avis qu’il n’y avait pas de preuve suffisante pour justifier de soumettre au jury la défense de contrainte prévue à l’art. 17 du Code criminel, elle a accueilli l’appel et ordonné un nouveau procès en décidant qu’il n’était pas nécessaire de répondre à la première question. Le juge Huband, dissident, a formulé l’avis que le juge du procès n’a pas erré en l’espèce et que l’appel de la poursuite devait être rejeté.

J’examinerai d’abord la question de savoir si, dans une accusation de viol, on peut soulever la défense de contrainte. L’article 17 du Code criminel prévoit ce moyen de défense en ces mots:

17. Une personne qui commet une infraction, sous l’effet de la contrainte exercée par des menaces de mort immédiate ou de lésion corporelle grave de la part d’une personne présente lorsque l’infraction est commise, est excusée d’avoir commis l’infraction si elle croit que les menaces seront mises à exécution et si elle n’est partie à aucun complot ou aucune association par laquelle elle est soumise à la contrainte; mais le présent article ne s’applique pas si l’infraction commise est la haute trahison ou la trahison, le meurtre, la piraterie, la tentative de meurtre, l’aide à l’accomplissement d’un viol, le rapt, le vol qualifié, l’infliction de blessures corporelles ou le crime d’incendie.

[Page 544]

Conformément aux conditions prévues à cet article, ce moyen de défense s’applique à toutes les infractions criminelles sauf celles qui sont exclues. Il ne peut être accueilli que s’il est établi que l’accusé a, de fait, véritablement commis l’infraction. Lorsque ce moyen de défense s’applique, l’accusé est excusé d’avoir commis l’infraction. Bergstrom a été accusé d’avoir commis un viol, et il y a suffisamment de preuves dans sa propre déclaration et dans le témoignage de la plaignante pour établir hors de tout doute raisonnable qu’il a commis le viol. Son seul moyen de défense repose sur l’affirmation qu’il a commis le crime sous l’effet de la contrainte exercée par des menaces de mort immédiate ou de lésion corporelle grave de la part de Durack qui était alors présent. Avant d’examiner la preuve de menaces, de crainte et l’existence réelle de contrainte, il faut décider si cet article s’applique en l’espèce.

L’article 17 ne mentionne pas de façon spécifique que le viol est une des infractions auxquelles la défense de contrainte ne s’applique pas. L’infraction exclue est «d’aide à l’accomplissement d’un viol». Il faut établir le sens qu’on doit donner à ces mots. L’avocat de l’appelant a souligné que le droit pénal canadien ne prévoit aucune infraction rédigée en ces termes et que, par conséquent, ces mots n’ont aucune portée. L’avocat de la poursuite a soutenu que ces mots comprennent «le viol» et que, par conséquent, le viol est une infraction exclue aux termes de l’art. 17 et le moyen de défense prévu à cet article ne peut être soulevé.

Les mots «l’aide à l’accomplissement d’un viol» sont un élément étrange de l’art. 17. Ils ont toujours figuré à cet article et aux articles qui l’ont précédé depuis l’adoption du premier Code criminel canadien en 1892. Ils viennent directement du Draft Code de 1879 qui était une annexe du Report of the Royal Commission Appointed to Consider the Law Relating to Indictable Offences publié au Royaume-Uni en 1879. Comme ces mots font partie de la loi, il faut leur attribuer un sens puisqu’on ne peut présumer qu’ils n’en ont pas, ou qu’on n’a pas voulu qu’ils en aient. Que signifiaient alors les mots «l’aide à l’accomplissement d’un viol» lorsqu’ils ont été employés dans le Draft Code

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et adoptés ensuite dans le Code criminel canadien en 1892?

J’ai pu trouver bien peu de sources canadiennes pour m’aider à répondre à cette question. On n’en découvre guère plus en Angleterre, mais il est évident qu’au dix-neuvième siècle, en Angleterre, à l’époque où le Draft Code a. été rédigé, les tribunaux ont examiné le concept de l’aide à l’accomplissement d’un viol et les conséquences juridiques de cette conduite. Une personne contre laquelle était portée une plainte de viol pouvait être accusée du crime de viol à titre d’auteur réel (auteur principal) ou, si les faits le justifiaient, elle pouvait être accusée d’avoir aidé à l’accomplissement d’un viol (complice). Peu importe la formulation de la plainte à cet égard, elle pouvait être trouvée coupable du crime de viol. Sur ce point, le droit était établi depuis longtemps. On le mentionne dans l’ouvrage de Hale, History of the Pleas of the Crown, (1736), vol. 1, aux pp. 626 à 636, où on dit, à la p. 628:

[TRADUCTION] Si A viole une femme et que B et C soient présents, l’aident et l’encouragent, ils sont tous également coupables et peuvent tous être également punis tant en vertu de la common law que selon la loi Westminster 2 sur laquelle on reviendra plus loin.

Trois arrêts illustrent la situation telle qu’elle était au dix-neuvième siècle: R. v. Folkes and Ludds[2]; R. v. Gray and Wise[3] et surtout R. v. Crisham[4].

Le compte rendu complet de l’affaire Crisham est reproduit ci-dessous. Le sommaire se lit comme suit:

[TRADUCTION] Est valable un acte d’accusation qui inculpe A d’avoir commis un viol et B d’avoir été présent et d’avoir aidé à commettre un crime. Dans ce cas, celui qui a aidé peut être accusé comme auteur principal, ce qu’il était en droit, ou comme complice, ce qu’il était en fait.

Le compte rendu se poursuit:

[TRADUCTION] L’acte d’accusation énonce que Peter M’Donough s’est porté à des voies de fait sur Bridget Lamb, et a criminellement violé ladite Bridget Lamb contre sa volonté, etc.; l’acte ajoute que le prisonnier

[Page 546]

était présent et qu’il a criminellement aidé ledit Peter M’Donough dans la perpétration dudit crime en violation de la loi etc. Après un verdict de culpabilité —

M. Payne, pour le prisonnier, demande de surseoir à l’exécution du jugement. — L’acte d’accusation reproche au prisonnier d’avoir aidé M’Donough à commettre un viol contrairement à la loi. Or, comme il n’y a aucune disposition législative qui s’applique aux personnes qui aident et encouragent à commettre un crime dans les cas de ce genre, j’estime que l’acte d’accusation est mal rédigé. Comme la loi ne prévoit aucune disposition expresse, le prisonnier aurait dû être inculpé suivant la common law; et l’acte d’accusation aurait dû l’inculper en tant qu’auteur principal et énoncer qu’il a violé la plaignante au même titre que M’Donough. Dans l’affaire Folkes, on a statué qu’un acte d’accusation inculpant le prisonnier tant à titre d’auteur principal qu’à celui d’avoir aidé et encouragé d’autres hommes à commettre un viol était valide après que le prisonnier eut été déclaré coupable à titre d’auteur principal. La loi 9 Geo. 4, chap. 31, qui prévoit à l’art. 16 la peine de mort pour quiconque a été déclaré coupable de viol, ne prévoit aucune disposition particulière à l’égard des personnes qui aident et encouragent à la perpétration de ce crime. 7 & 8 Geo. 4, chap. 29 et 7 & 8 Geo. 4, chap. 30 ont des dispositions à l’égard du complice relativement aux crimes qu’ils mentionnent respectivement; mais la loi 9 Geo. 4, chap. 31 ne comporte aucune disposition de ce genre relativement au viol.

Le juge Maule. — Votre objection porte donc que l’acte d’accusation n’énonce pas le crime qui a été commis.

M. Payne. — Mon objection porte que le prisonnier n’est pas accusé à titre d’auteur principal, comme il aurait dû l’être.

M.B. Rolfe. — N’est-ce pas à ce titre qu’il est inculpé à l’acte d’accusation? L’acte affirme que M’Donough a commis un viol et que le prisonnier l’a aidé. N’est-ce pas une autre façon de dire que le prisonnier a commis un viol? [C’est moi qui souligne.]

Le juge Maule. — L’objection ne me paraît pas fondée. On a déjà décidé que, dans un cas semblable, le prisonnier peut être accusé suivant les faits, ou inculpé à titre d’auteur principal.

Le droit énoncé dans ces décisions, qui ne font aucune différence entre l’auteur principal et le complice, puisqu’ils sont tous deux également coupables du crime qu’on leur impute, était admis en Angleterre comme une partie du fondement du

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Draft Code rédigé en 1879 et du Code criminel canadien adopté en 1892. Dans Chitty on Criminal Law, 2e éd., (1826), vol. 1, on peut lire, à la p. 255a:

[TRADUCTION] Un homme peut commettre un crime de deux façons. L’auteur principal est celui qui agit ou qui commet véritablement le crime; le complice est celui qui est présent, qui aide et encourage à le commettre. La question de savoir si une personne est coupable en tant qu’auteur principal ou en tant que complice est une question de droit.

Auparavant, on appelait ces complices et on ne les considérait que comme des complices du fait (accessaries at the fact). Il semble que celui qui commettait véritablement le crime était seul coupable à titre d’auteur principal, et ceux qui étaient présents et qui l’aidaient l’étaient d’une façon subsidiaire et ne pouvaient être renvoyés à leur procès avant que l’auteur principal ait d’abord été trouvé coupable. Cependant, on a depuis longtemps abandonné cette distinction, et maintenant, quiconque est présent au moment de la perpétration du crime et y consent est coupable par interprétation et peut être renvoyé à son procès même si l’assassin véritable n’est pas banni ni déclaré coupable. Cependant, pour que ceux qui aident à la perpétration du crime soient déclarés coupables, trois conditions doivent être remplies: ils doivent être présents, aider à la commission du crime, et avoir l’intention criminelle. [C’est moi qui souligne.]

Dans Criminal Pleading & Practice de Archbold, 7e éd., (1860), vol. 1, aux pp. 66 et 67, on lit:

[TRADUCTION] Cependant, le droit ne fait pas de différence entre l’infraction de l’auteur principal et celle du complice; ils sont tous deux également coupables.

Et la distinction est si peu importante en pratique que si un homme est accusé comme auteur principal, la preuve qu’il était présent et qu’il a aidé et encouragé une autre personne à commettre l’infraction, même s’il ne l’a pas commise de ses propres mains, suffira à confirmer l’acte d’accusation. Par ailleurs, s’il est accusé comme complice, la preuve qu’il n’était pas seulement présent mais qu’il a commis l’infraction de ses propres mains suffira à confirmer l’acte d’accusation. Par conséquent, si A est accusé d’avoir été présent et d’avoir aidé et encouragé B à commettre un crime, A peut être déclaré coupable, même si B est acquitté.

Ainsi, lorsqu’une infraction est punissable en vertu d’une loi qui ne mentionne pas les complices, ceux-ci

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sont visés par la loi tout comme les personnes qui commettent effectivement l’infraction; par conséquent, dans le cas d’un viol, une personne peut être trouvée coupable sur une accusation d’avoir été présente et d’avoir aidé et encouragé une autre personne à la commettre. [C’est moi qui souligne]

Dans Pleading & Evidence in Criminal Cases de Archbold, 20e éd., (1886), qui traite du droit anglais en vigueur quelques années seulement avant l’adoption du Code criminel canadien, on trouve à la p. 804 un exemple d’un acte d’accusation de viol. Après la formule de l’acte d’accusation, une note rédigée comme suit nous intéresse particulièrement:

[TRADUCTION] Est valable un acte d’accusation qui inculpe A d’avoir commis un viol et B d’avoir été présent et d’avoir aidé et encouragé à commettre un crime; celui qui a aidé peut être accusé comme auteur principal, ce qu’il était en droit, ou comme complice, ce qu’il était en fait. R. v. Crisham, C. & Mar 187. Une déclaration générale de culpabilité prononcée contre une personne accusée à la fois comme auteur principal d’un viol et comme complice d’autres hommes est valable sous le chef l’accusant d’en avoir été l’auteur principal. Sur cette inculpation, on peut faire la preuve de plusieurs viols de la même femme, en même temps, par l’accusé et d’autres hommes, chacun aidant les autres à tour de rôle, sans que la poursuite ait à choisir sur quel chef elle procède. R. v. Folkes, 1 Mood. C.C. 354; R. v. Gray, 7 C. & P. 164.

Le rapport entre un auteur principal et un complice s’est appliqué au Canada comme en Angleterre à la fin du dix-neuvième siècle: voir Criminal Law of Canada de Clarke, (1872), à la p. 97. R. c. Harder[5] illustre la position moderne dans ce pays. Cet arrêt traite de la validité d’un acte d’accusation qui allègue que [TRADUCTION] «il a eu une connaissance charnelle de V.B., une femme qui n’était pas son épouse, sans son consentement» alors que la poursuite a établi qu’il n’avait pas eu de rapports sexuels avec la plaignante mais qu’il avait aidé d’autres personnes à le faire. En accueillant le pourvoi de la poursuite et en rétablissant la déclaration de culpabilité prononcée au procès, la Cour à la majorité, dans quatre avis distincts (les juges Fauteux, Rand, Kellock et Locke, le juge en

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chef Kerwin et le juge Taschereau souscrivant à l’opinion du juge Fauteux, et le juge Cartwright étant dissident), a fait une revue de l’évolution du droit sur ce point et a cité et analysé plusieurs des décisions et commentaires précités, relativement au rapport entre l’auteur principal et le complice et touchant particulièrement le viol; elle a conclu que le droit ne fait aucune différence, du point de vue de la culpabilité et de la responsabilité criminelles, entre celui qui commet physiquement le viol et celui qui aide à le commettre.

Je suis d’avis que l’expression «aider à l’accomplissement d’un viol», si elle n’était pas d’un usage commun et répandu en Angleterre à la fin du dix-neuvième siècle, était néanmoins bien connue en droit à l’époque de la rédaction du Draft Code et de l’adoption du premier Code criminel canadien. C’était une expression décrivant la participation au viol et qui pouvait comprendre, et, dans son emploi au Code criminel, devait comprendre, le crime de viol, qu’il soit commis par celui qui agit physiquement ou par celui qui y prend part en aidant à le commettre. A mon avis, cette expression ne devait jamais comprendre les personnes qui aident à l’accomplissement d’un viol à l’exclusion des personnes qui le commettent réellement. Par conséquent, les mots employés à l’art. 12 du premier Code, maintenant à l’art. 17, devaient donc exclure, et ont effectivement exclu du domaine d’application de la défense de contrainte, le viol, quelle que soit la façon de le commettre.

Je ne crois pas que l’opinion que je viens d’exprimer déforme le sens des mots qu’emploie le Code criminel. Le mot «aider» peut avoir plusieurs sens et l’un des plus importants comporte l’élément de participation. La consultation de dictionnaires généraux qui font autorité donnera des définitions telles «assister, être présent à, seconder et appuyer, favoriser et promouvoir une action ou un résultat, et prendre part à une activité». On peut aussi noter avec intérêt l’opinion judiciaire exprimée sur ce point dans Mensinger v. O’Hara[6], à la p. 50, où on a dit que [TRADUCTION] «Les mots «a assisté, aidé et encouragé» indiquent une participation active ou la coopération, ou l’encouragement volontaire».

[Page 550]

C’est dans ce sens que le Draft Code et l’art. 17 du Code criminel ont employé les mots «aide à l’accomplissement d’un viol».

Les commissaires qui ont rédigé le Draft Code déposé devant le Parlement du Royaume-Uni en 1879 ont souligné, dans la Note A de la page 10 de leur rapport, dans leur commentaire sur la défense de contrainte, qu’ils ont incluse au Draft Code dans les mêmes termes que ceux que l’on retrouve à l’art. 17 du Code criminel actuel, que [TRADUCTION] «la jurisprudence ne laisse aucun doute que la contrainte est un moyen de défense lorsque le crime n’est pas d’un caractère odieux». Par l’exclusion de «l’aide à l’accomplissement d’un viol» qu’a reprise le Code criminel canadien, les commissaires et le Parlement canadien ont reconnu que le viol est une infraction ayant le caractère odieux qui oblige à nier la défense de contrainte en cas de participation à son accomplissement. Il serait illogique au plus haut point d’attribuer aux rédacteurs du Draft Code et du Code criminel canadien l’intention de nier, aux personnes qui aident et qui encouragent un viol, la défense de contrainte tout en l’accordant aux personnes qui commettent effectivement un viol, en particulier lorsque la loi reconnaît dans les deux cas la même culpabilité et le même châtiment.

On peut se demander pourquoi il était nécessaire d’employer les mots «aide à l’accomplissement d’un viol» relativement à cette infraction dans l’art. 17 du Code. A mon avis, la réponse se trouve dans la nature particulière du viol. Suivant le Code criminel, le viol est un crime qui ne peut être commis que par une personne de sexe masculin, contre une femme qui n’est pas son épouse. Néanmoins, d’autres personnes peuvent être déclarées coupables de viol même si, pour des raisons d’ordre légal ou physiologique, elles peuvent être incapables de commettre effectivement l’infraction. Par exemple, dans R. v. Lord Baltimore[7], des femmes inculpées comme complices; dans R. v. Audley (Lord)[8], un mari déclaré coupable d’avoir aidé au viol de son épouse; dans R. v. Ram and Ram[9], une

[Page 551]

femme accusée de complicité de viol pour avoir aidé son mari; voir aussi R. v. Eldershaw[10], où l’on a décidé qu’un garçon de moins de quatorze ans ne pouvait être déclaré coupable de viol sauf s’il était complice. C’est cet aspect du viol qui le distingue des autres infractions qui sont exclues de la défense de contrainte prévue à l’art. 17 du Code. Dans les autres infractions, toute personne susceptible de responsabilité criminelle peut commettre les infractions exclues et en être déclarée coupable. Pour le viol cependant, certaines personnes peuvent être déclarées coupables uniquement pour avoir aidé à le commettre, et pour nier ce moyen de défense à toutes les personnes qui, en droit, peuvent commettre un viol et en être déclarées coupables, il était nécessaire d’employer le concept d’aide, qui constitue pour certaines personnes le seul fondement de culpabilité. Je suis convaincu qu’en mentionnant le viol à l’art. 17 du Code, l’intention du législateur était de nier ce moyen de défense en cas de viol. L’emploi des mots «aide à l’accomplissement d’un viol» visait à élargir plutôt qu’à restreindre l’exception et à nier ce moyen de défense aux personnes dont la responsabilité vient de ce qu’elles ont aidé à l’accomplissement d’un viol comme à ceux qui ont effectivement commis le viol.

Quelle que soit la raison de l’emploi de ces mots au Code criminel, il est clair que depuis qu’ils figurent au Code, nos tribunaux et nos auteurs reconnus ont été d’avis que ces mots sont suffisamment larges pour comprendre le viol. Dans la première édition du Crankshaw’s Criminal Code (1894), à la p. 13, sous la rubrique [TRADUCTION] «Contrainte par la force», dans une analyse de l’effet de ce qui était alors l’art. 12, maintenant l’art. 17, on lit:

[TRADUCTION] Même si la loi n’excuse pas la perpétration d’aucune des infractions exclues ci-dessus, telles le meurtre, la piraterie, le viol et le crime d’incendie, commises sous l’effet de la contrainte exercée par des menaces, même de mort immédiate, il en sera autrement dans le cas d’une personne qui n’est pas libre physiquement mais qui est l’objet, non de menaces appliquées à ses facultés mentales, mais d’une force physique réelle exercée sans ou contre son consentement par une autre personne au moment où l’acte est commis.

[Page 552]

Ces mots, ou d’autres mots de même sens, sont apparus dans les éditions subséquentes du Code jusqu’à la septième édition publiée en 1959, et ce fait renforce mon opinion que ces mots devaient avoir pour effet de nier la défense de contrainte dans les cas de viol.

Il est donc inutile d’examiner si la preuve de la contrainte était suffisante pour être soumise au jury puisqu’à mon avis, c’était une erreur que de la soumettre. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi et de confirmer l’ordonnance d’un nouveau procès par la Cour d’appel.

Pourvoi rejeté.

Procureur de l’appelant: Norm A. Cuddy, Winnipeg.

Procureur de l’intimée: Le procureur général de la province du Manitoba, Winnipeg.

[1] [1980] 3 W.W.R. 146; (1980), 52 C.C.C. (2d) 407; (1980), 13 C.R. (3d) 342.

[2] (1832), 1 Mood. 354.

[3] (1835), 7 Car. & P. 164.

[4] (1841), Car. & M. 187.

[5] [1956] R.C.S. 489.

[6] (1914), 189 Ill. App. 48.

[7] (1768), 4 Burr. 2179.

[8] (1631), St. Tr. 401.

[9] (1893), 17 Cox C.C. 609.

[10] (1828), 3 Car. & P. 396.


Synthèse
Référence neutre : [1981] 1 R.C.S. 539 ?
Date de la décision : 11/05/1981
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Défense - Contrainte - Accusation de viol - Exclusion de la défense «l’aide à l’accomplissement d’un viol» mais non le viol - L’appelant invoque la contrainte - Le viol est-il exclu de la défense de contrainte? - S’il ne l’est pas, y a-t-il une preuve suffisante pour soumettre ce moyen de défense au jury? - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 17.

Ce pourvoi soulève des questions relatives à l’application de la défense de contrainte, prévue à l’art. 17 du Code criminel, au viol. L’appelant, qui a admis les rapports sexuels contre la volonté de la plaignante et sans son consentement, n’a pas témoigné au procès mais il a appuyé sa défense sur le témoignage d’autres témoins et sur une longue déclaration qu’il a faite à la police. La plaignante a d’abord été violée par un nommé Durack, pendant que l’appelant attendait à l’extérieur de l’auto, et ensuite par l’appelant. Même si l’appelant a initialement refusé d’avoir des rapports sexuels avec la plaignante sur l’ordre de Durack, il a acquiescé parce qu’il disait craindre pour sa vie. Durack était un homme violent et était armé d’un couteau. La plaignante a témoigné qu’elle a été forcée à avoir d’autres rapports sexuels avec les deux hommes. Malgré qu’il y avait dans le voisinage une maison de ferme où l’appelant et la plaignante auraient pu trouver de l’aide, l’appelant n’a pas profité de cette occasion de s’échapper — au moins deux et peut-être trois viols ont été commis.

La présente affaire soulève deux questions évidentes. La défense de contrainte prévue à l’art. 17 du Code criminel s’applique-t-elle au viol ou est-elle exclue par le texte de l’art. 17 et, en supposant que la défense s’applique, y avait-il en l’espèce une preuve suffisante pour justifier de soumettre ce moyen de défense au jury?

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

[Page 540]

La défense de contrainte s’applique à toutes les infractions criminelles sauf celles qui sont exclues. Elle ne peut être accueillie que s’il est établi que l’accusé a, de fait, véritablement commis l’infraction.

«L’aide à l’accomplissement d’un viol» est une des infractions exclues; le viol n’est pas mentionné de façon spécifique. «L’aide à l’accomplissement d’un viol» est une expression qui décrit la participation au viol et peut exclure et, dans son emploi au Code criminel, doit exclure le crime de viol, qu’il soit commis par celui qui agit physiquement ou par celui qui y prend part en aidant à le commettre. Comme le viol est un crime où certaines personnes peuvent être déclarées coupables uniquement pour avoir aidé à le commettre, les mots «aide à l’accomplissement d’un viol» visent à élargir plutôt qu’à restreindre l’exception et à nier ce moyen de défense aux personnes dont la responsabilité vient de ce qu’elles ont aidé à l’accomplissement d’un viol comme à ceux qui ont effectivement commis le viol. Cette expression n’a jamais visé à comprendre les personnes qui aident à l’accomplissement d’un viol à l’exclusion des personnes qui le commettent réellement.

Le sens des mots «aide à l’accomplissement d’un viol» n’a pas été déformé par cette interprétation parce que ces mots ont été employés dans le sens qu’ils «indiquent une participation active ou la coopération, ou l’encouragement volontaire».


Parties
Demandeurs : Bergstrom
Défendeurs : Sa Majesté la Reine

Références :

Jurisprudence: R. v. Folkes and Ludads (1832), 1 Mood. 354

R. v. Gray and Wise (1835), 7 Car. & P. 164

R. v. Crisham (1841), Car. & M. 187

R. v. Lord Baltimore (1768), 4 Burr. 2179

R. v. Audley (Lord) (1631), St. Tr. 401

R. v. Ram and Ram (1893), 17 Cox. C.C. 609

R. v. Eldershaw (1828), 3 Car. & P. 396.

Proposition de citation de la décision: Bergstrom c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 539 (11 mai 1981)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1981-05-11;.1981..1.r.c.s..539 ?
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