La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/07/1980 | CANADA | N°[1980]_2_R.C.S._292

Canada | Northwest Falling Contractors Ltd. c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 292 (18 juillet 1980)


Cour suprême du Canada

Northwest Falling Contractors Ltd. c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 292

Date: 1980-07-18

Northwest Falling Contractors Ltd. Appelante;

et

Sa Majesté La Reine Intimée;

et

Le procureur général du Nouveau-Brunswick et le procureur général de Terre-Neuve Intervenants.

1979: 5 décembre; 1980: 18 juillet.

Présents: Les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz, McIntyre et Chouinard.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour dâ

۪appel de la Colombie-Britannique, qui a rejet̩

[Page 294]

un appel interjeté d’une décision de la Cour suprême de la Colombie-Br...

Cour suprême du Canada

Northwest Falling Contractors Ltd. c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 292

Date: 1980-07-18

Northwest Falling Contractors Ltd. Appelante;

et

Sa Majesté La Reine Intimée;

et

Le procureur général du Nouveau-Brunswick et le procureur général de Terre-Neuve Intervenants.

1979: 5 décembre; 1980: 18 juillet.

Présents: Les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz, McIntyre et Chouinard.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, qui a rejeté

[Page 294]

un appel interjeté d’une décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Pourvoi rejeté.

Brian A. Crane, c.r., pour l’appelant.

T.B. Smith, c.r., et H.J. Wruck, pour l’intimée.

Alan Reid, pour l’intervenant, le procureur général du Nouveau-Brunswick.

James A. Nesbitt, c.r., pour l’intervenant, le procureur général de Terre-Neuve.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE MARTLAND — La question principale soulevée par ce pourvoi est de savoir s’il était de la compétence du Parlement du Canada d’adopter le par. 33(2) de la Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, chap. F-14, et modifications.

Le paragraphe 33(2) est l’une des nombreuses dispositions que l’on trouve sous le titre «Détérioration des pêcheries et pollution des eaux». Les paragraphes pertinents de l’art. 33 se lisent comme suit:

33. (1) Il est interdit de jeter par-dessus bord du lest, des cendres de charbon, des pierres ou d’autres substances nuisibles ou délétères dans une rivière, un port, une rade, ou dans des eaux où se fait la pêche, ou de laisser ou déposer ou faire jeter, laisser ou déposer sur la rive, la grève ou le bord de quelque cours ou nappe d’eau, ou sur la grève entre les marques des hautes et des basses eaux, des restes ou issues de poissons ou d’animaux marins, ou de laisser du poisson gâté ou en putréfaction dans un filet ou autre engin de pêche. Ces restes ou issues de poissons peuvent être enterrés sur la grève, au-delà de la marque des eaux à marée haute.

(2) Sous réserve du paragraphe (4), il est interdit à qui que ce soit de déposer ou de permettre que l’on dépose une substance nocive dans des eaux poissonneuses ou en quelque lieu dans des conditions où cette substance nocive ou une autre substance nocive résultant du dépôt de cette substance pourrait pénétrer dans de telles eaux.

(3) Il est interdit à quiconque fait l’abattage ou la coupe de bois, le défrichement ou autres opérations de déposer ou de permettre sciemment de déposer des déchets de bois, souches ou autres débris dans une eau fréquentée par le poisson ou qui se déverse dans cette

[Page 295]

eau, ou sur la glace qui recouvre l’une ou l’autre de ces eaux, ou de les déposer dans un endroit d’où il est probable qu’ils soient entraînés dans l’une ou l’autre de ces eaux.

(4) Par dérogation au paragraphe (2), il est permis d’immerger ou de rejeter en un lieu

a) les déchets ou les substances polluantes désignés par les règlements applicables au lieu et établis par le gouverneur en conseil en vertu d’une autre loi, pourvu que les conditions, notamment les quantités maximales, y fixées soient respectées;

b) les substances nocives des catégories désignées ou prévues par les règlements applicables au lieu, aux ouvrages ou entreprises ou à leurs catégories et établis par le gouverneur en conseil en vertu du paragraphe (13), pourvu que les conditions, notamment les quantités maximales et les degrés de concentration, y désignées ou prévues soient respectées.

(5) Toute personne qui contrevient aux dispositions

a) des paragraphes (1) ou (3) est coupable d’une infraction et passible sur déclaration sommaire de culpabilité d’une amende maximale de cinq mille dollars pour une première infraction et de dix mille dollars pour chaque infraction subséquente; ou

b) du paragraphe (2) est coupable d’une infraction et passible sur déclaration sommaire de culpabilité d’une amende maximale de cinquante mille dollars pour une première infraction et de cent mille dollars pour chaque infraction subséquente.

(6) Lorsqu’une infraction prévue au paragraphe (5) se répète à des jours différents ou se continue pendant plus d’une journée, elle est censée constituer une infraction distincte pour chaque jour pendant lequel l’infraction est commise ou se continue.

…

(11) Pour l’application du présent article et des articles 33.1 et 33.2,

«substance nocive» désigne

a) toute substance qui, si elle était ajoutée à une eau, dégraderait ou modifierait ou contribuerait à dégrader ou à modifier la qualité de cette eau de façon à la rendre nocive, ou susceptible de le devenir, pour le poisson ou son habitat ou encore à rendre nocive l’utilisation par l’homme du poisson qui vit dans cette eau, ou

b) tout eau qui contient une substance en une quantité ou concentration telle, ou qui, à partir de son état naturel, a été traitée, transformée ou modifiée par la chaleur ou d’autres moyens d’une façon telle que si elle était ajoutée à une autre eau, elle dégraderait ou modifierait ou contribuerait à dégrader ou à modifier

[Page 296]

la qualité de cette eau de façon à la rendre nocive, ou susceptible de le devenir, pour le poisson ou son habitat encore à rendre nocive l’utilisation par l’homme du poisson qui vit dans cette eau,

et comprend notamment,

c) toute substance ou catégorie de substances prescrites en vertu de l’alinéa (12)a),

d) de l’eau qui contient une substance ou une substance d’une catégorie en quantités ou en concentrations égales ou supérieures aux normes prescrites en vertu de l’alinéa (12)b), et

e) de l’eau traitée, transformée ou modifiée dans les circonstances prévues à l’alinéa (12)c);

«immersion» ou «rejet» désigne le versement, le déversement, l’écoulement, le suintement, l’arrosage, l’épandage, la vaporisation, l’évacuation, l’émission, le vidage, le jet, le basculage ou le dépôt;

«eaux où vivent des poissons» désigne les eaux des pêcheries canadiennes.

(12) Le gouverneur en conseil peut établir des règlements prescrivant

a) les substances et catégories de substances,

b) les quantités ou concentrations de substances et catégories de substances dans l’eau, et

c) les traitements, transformations et modifications de l’eau

aux fins des alinéas c) à e) de la définition de «substance nocive» au paragraphe (11).

L’article 2 de la Loi renferme les définitions suivantes:

«eaux des pêcheries canadiennes» désigne toutes les eaux des zones de pêche du Canada, toutes les eaux de la mer territoriale du Canada et toutes les eaux intérieures du Canada.

«poisson» comprend les mollusques, les crustacés et les animaux marins ainsi que leurs œufs, le frai ou le naissain.

La dénonciation qui énonce les accusations portées contre l’appelante se lit comme suit:

[TRADUCTION] Le dénonciateur affirme avoir des motifs raisonnables et probables de croire et croit effectivement que le 4 avril 1978 ou vers cette date, dans le comté de Vancouver (Colombie-Britannique), Northwest Falling Contractors Ltd. et Gulf Oil Canada Limitée ont illégalement déposé une substance nocive dans

[Page 297]

des eaux poissonneuses, savoir: l’anse de Cooper, en amont de l’inlet Loughborough,

EN CONTRAVENTION DE LA LOI APPLICABLE EN PAREIL CAS.

DEUXIÈME CHEF D’ACCUSATION: Le dénonciateur affirme avoir des motifs raisonnables et probables de croire et croit effectivement que le 4 avril 1978 ou vers cette date, dans le comté de Vancouver (Colombie-Britannique), Northwest Falling Contractors Ltd. et Gulf Oil Canada Limitée ont illégalement permis que soit déposée une substance nocive dans des eaux poissonneuses, savoir: l’anse de Cooper, en amont de l’inlet Loughborough

EN CONTRAVENTION DE LA LOI APPLICABLE EN PAREIL CAS.

TROISIÈME CHEF D’ACCUSATION: Le dénonciateur affirme avoir des motifs raisonnables et probables de croire et croit effectivement que le 4 avril 1978 ou vers cette date, dans le comté de Vancouver (Colombie-Britannique), Northwest Falling Contractors Ltd. et Gulf Oil Canada Limitée ont illégalement permis que soit déposée une substance nocive en un lieu dans des conditions où cette substance nocive ou une autre substance résultant du dépôt de cette substance pourrait pénétrer dans des eaux poissonneuses, savoir: l’anse de Cooper, en amont de l’inlet Loughborough,

EN CONTRAVENTION DE LA LOI APPLICABLE EN PAREIL CAS.

L’intimée a fourni à l’appelante les détails suivants:

[TRADUCTION] Le 4 avril 1978, vers 8h15, le capitaine R. Davis du F.P.L. Bonilla Rock a remarqué une nappe de pétrole en amont de l’anse de Cooper, nappe d’une longueur approximative d’un mille. Après enquête, on a découvert que le 3 avril au matin, Dennis Stevson, C.P. 2086, Squamish, qui était chargé de conduire le chaland «Gulf Logger» propriété de Gulf Oil, a livré environ 17,000 gallons de gas-oil et rempli des réservoirs, propriété de Northwest Falling Contractors Ltd. Ceux-ci, au nombre de quatre, reposaient sur une vieille bille pourrie. En se cassant, cette bille a entraîné la rupture d’un tuyau au fond d’un réservoir. Trois mille gallons de gas-oil se sont ainsi répandus dans l’anse de Cooper en amont de l’inlet Loughborough.

Avant d’inscrire un plaidoyer, l’appelante a demandé une ordonnance de prohibition à la Cour suprême de la Colombie-Britannique. L’appelante a fait valoir trois moyens à l’appui de sa demande. Deux de ces moyens seulement ont fait l’objet du débat devant cette Cour, savoir, que la dénoncia-

[Page 298]

tion ne révélait pas la perpétration d’une infraction connue en droit et qu’elle était multiple. L’appelante conteste également la décision de la Cour d’appel portant que la prohibition n’est pas un recours approprié pour attaquer l’accusation au motif qu’elle est défectueuse. Le premier moyen est fondé sur l’allégation que le par. 33(2) excède les pouvoirs du Parlement.

La demande d’une ordonnance de prohibition a été rejetée. Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. L’appelante, sur autorisation, a alors formé un pourvoi devant cette Cour.

L’appelante attaque la validité du par. 33(2) au motif qu’il ne s’agit pas d’une disposition législative relative aux «Pêcheries des côtes de la mer et de l’intérieur» (par. 91.12 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique), mais d’une disposition qui a trait à la pollution des eaux en général, ou d’une disposition qui vise la protection de toute vie animale marine.

Je traiterai en premier lieu du second point. L’argument est fondé sur la définition de «poisson» à l’art. 2 de la Loi. On allègue que cette définition est trop large. Toutefois, la compétence législative fédérale prévue au par. 91.12 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique n’est pas un simple pouvoir fédéral de légiférer sur le «poisson» au sens technique du terme. Cette Cour, de même que le Conseil privé, ont attribué au terme «pêcheries» le sens de quelque chose de la nature d’une ressource.

Dans le premier arrêt de cette Cour qui traite du par. 91.12, savoir La Reine c. Robertson[1], le juge en chef Ritchie dit à la p. 120:

[TRADUCTION] …je suis d’opinion que le pouvoir de légiférer à l’égard des «pêcheries des côtes de la mer et de l’intérieur», envisagé par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique n’a pas rapport à la «propriété et aux droits civils» — c’est‑à-dire la propriété du lit des rivières ou des pêcheries, ou les droits des individus à cet égard mais plutôt aux sujets touchant les pêcheries en général, visant leur réglementation, leur protection et leur conservation, sujets d’intérêt national et général et importants pour le public, comme l’interdiction de prendre du poisson en temps inopportun, d’une façon abusive, ou en employant des accessoires destructifs et les lois en vue de

[Page 299]

l’amélioration et de l’augmentation du rendement des pêcheries; en d’autres mots, toutes les lois générales dont le but est aussi bien l’avantage des propriétaires des pêcheries que du public en général qui s’intéresse aux pêcheries à titre de source de richesse pour le pays ou la province; en d’autres mots, les lois relatives aux pêcheries, comme celles que les législatures locales avaient coutume, avant la Confédération, d’adopter pour la réglementation, la conservation et la protection…

Dans Le procureur général du Canada c. Le procureur général du Québec[2], à la p. 428, le vicomte Haldane tient les propos suivants:

[TRADUCTION] …Comme ce conseil l’a affirmé dans l’affaire de la Colombie‑Britannique de 1914, l’objet et l’effet des dispositions de l’art. 91 sont de confier exclusivement au Parlement du Dominion l’administration et la protection des droits publics analogues de navigation et de pêche en mer et dans les eaux qui ont des marées, et de ne laisser ainsi à la province ni droit ni pouvoir à cet égard. Ces droits, comme on l’a noté, sont des droits du public en général; ils ne sont aucunement réservés aux habitants de la province.

Le sens du mot «pêcheries» a été étudié par le juge Newcombe de cette Cour dans le Renvoi relatif à la constitutionnalité de certains articles de la Loi des pêcheries, 1914[3], à la p. 472:

[TRADUCTION] Dans Patterson on the Fishery Laws (1863), à la p. 1, on trouve la définition suivante du mot «pêcherie»:

En termes précis, le mot pêcherie désigne le droit de prendre du poisson dans la mer ou dans un cours d’eau particulier. On l’utilise aussi fréquemment pour désigner le lieu où s’exerce un tel droit.

Selon le New English Dictionary de Murray, le premier sens de ce terme est le suivant:

L’entreprise, l’occupation ou l’industrie qui consiste à prendre du poisson ou d’autres produits de la mer ou de rivières.

Ces définitions ont été citées et suivies par le juge en chef Davey dans l’arrêt Mark Fishing Co. v. United Fishermen & Allied Workers Union[4], aux pp. 591 et 592. Le juge en chef Davey ajoute ce qui suit à la p. 592:

[Page 300]

[TRADUCTION] La définition de Patterson insiste sur la ressource naturelle et le droit de l’exploiter, l’endroit où elle se trouve et où le droit est exercé.

Selon le juge en chef Laskin dans Interprovincial Co-Operatives Limited et autre c. La Reine[5], à la p. 495, le pouvoir fédéral de légiférer «vise… la protection et la conservation des pêcheries à titre de richesse pour le public».

Les mollusques, crustacés et animaux marins qui sont énumérés dans la définition de «poisson» à l’art. 2 de la Loi, font tous partie de cette ressource que sont les pêcheries. Le pouvoir d’administrer et de réglementer cette ressource doit comprendre le pouvoir de protéger tous ces animaux qui en font partie.

L’appelante fait essentiellement valoir que par la disposition législative contestée, le Parlement tente en fait de légiférer de façon générale en matière de pollution et empiète ainsi sur le pouvoir provincial de légiférer sur la propriété et les droits civils. Elle souligne la définition très large de l’expression «eaux où vivent des poissons» du par. 33(11), qui fait référence aux «eaux des pêcheries canadiennes», lesquelles aux termes de l’art. 2 comprennent «toutes les eaux de la mer territoriale du Canada et toutes les eaux intérieures du Canada». Elle fait aussi remarquer la portée très large de la définition de «substance nocive». Lorsque l’on applique ces définitions au par. 33(2), on voit selon elle que le paragraphe porte, en fait, sur la pollution des eaux canadiennes.

Les accusations dans la présente affaire ne mettent toutefois pas vraiment en question la validité de l’extension de la portée du paragraphe à des eaux qui ne sont pas, de fait, des eaux de pêcheries «ou à des substances autres que celles définies à l’alinéa 33(11)a)». Les accusations portent sur du gas-oil déversé dans des eaux qui ont des marées. La Cour doit, en vue de déterminer la constitutionnalité du par. 33(2), établir la nature et le caractère véritables de cette disposition législative. Il est nécessaire de décider si le paragraphe vise la protection et la conservation des pêcheries. A mon avis, la réponse est affirmative.

[Page 301]

Ce paragraphe porte essentiellement sur le dépôt de substances nocives dans des eaux poissonneuses ou dans un lieu d’où cette substance nocive peut pénétrer dans ces eaux. Aux termes de la définition, une substance est nocive quand elle l’est pour le poisson. Le paragraphe cherche essentiellement à protéger les pêcheries en empêchant que des substances nocives pour le poisson pénètrent dans des eaux poissonneuses. C’est là un objectif approprié pour une disposition législative qui relève du chef des «Pêcheries des côtes de la mer et de l’intérieur».

La situation en l’espèce diffère de celle étudiée dans Dan Fowler c. Sa Majesté la Reine, un arrêt récent de cette Cour qui traite de la constitutionnalité du par. 33(3) de la Loi sur les pêcheries. Cette Cour a conclu que le par. 33(3) excède les pouvoirs du Parlement. A la différence du par. 33(2), le par. 33(3) ne fait pas référence à des substances nocives. Le texte du paragraphe fait en sorte que ce dernier ne se limite pas aux activités nuisibles aux poissons ou à leur habitat. Le fondement de l’arrêt Fowler se trouve dans l’extrait suivant:

Le paragraphe 33(3) ne cherche pas à établir un lien entre la conduite prohibée et les dommages, réels ou probables, que les pêcheries pourraient subir. C’est une interdiction générale d’exercer certaines activités de compétence provinciale; ce paragraphe ne fixe pas les éléments de l’infraction de manière à établir un lien entre l’interdiction et les dommages vraisemblables aux pêcheries.

A mon avis, le par. 33(2) est de la compétence du Parlement du Canada. La définition d’une «substance nocive» fait en sorte que la portée du par. 33(2) se limite à une interdiction de déposer des substances nuisibles aux poissons, à leur habitat ou à l’utilisation du poisson par l’homme.

L’appelante fait valoir qu’une ordonnance de prohibition aurait dû être accordée parce que les accusations dans la dénonciation sont multiples.

Dans l’affaire La Reine c. Sault Ste-Marie[6], où il était question d’une infraction quelque peu sem-

[Page 302]

blable, il n’y avait qu’un seul chef d’accusation comprenant plusieurs éléments, soit, décharger ou déposer ou faire décharger ou faire déposer ou permettre de décharger ou de déposer des matières. Cette Cour a conclu que l’accusation générique n’était pas multiple. On lit à la p. 1308:

A mon avis, le critère primordial devrait être d’ordre pratique et fondé sur la seule justification valide de la règle s’opposant à la multiplicité: l’accusé sait-il de quoi il est accusé ou l’ambiguïté de l’accusation nuit-elle à la préparation de sa défense?

Si un chef d’accusation qui allègue plusieurs manières de commettre une même infraction n’est pas ambigu, a fortiori un chef d’accusation qui allègue une manière particulière de commettre une infraction ne l’est pas. Il n’est pas plus difficile pour l’accusé de savoir de quoi il est accusé ou de préparer sa défense parce qu’il y a plusieurs chefs d’accusation qui allèguent chacun une manière différente de commettre une infraction. Il n’est pas en plus grand danger si les chefs d’accusation se rapportent à un seul délit, car, vu l’arrêt de cette Cour Kineapple c. La Reine[7], il ne peut être déclaré coupable sur plus d’un chef.

Étant donné que selon moi, la dénonciation est adéquate, il devient inutile d’examiner si la Cour d’appel a eu raison de décider qu’on ne peut avoir recours à la prohibition pour contester une dénonciation au motif qu’elle renferme une accusation multiple.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi rejeté.

Procureur de l’appelante: Graham Wright, Vancouver.

Procureur de l’intimée: Roger Tassé, Ottawa.

[1] (1882), 6 R.C.S. 52.

[2] [1921] 1 A.C. 413.

[3] [1928] R.C.S. 457.

[4] (1972), 24 D.L.R. (3d) 585.

[5] [1976] 1 R.C.S. 477.

[6] [1978] 2 R.C.S. 1299.

[7] [1975] 1 R.C.S. 729.


Synthèse
Référence neutre : [1980] 2 R.C.S. 292 ?
Date de la décision : 18/07/1980
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit constitutionnel - Pêcheries - L’article 33(2) de la Loi sur les pêcheries constitue-t-il un excès de pouvoir? - Dépôt de substance nocive dans des eaux poissonneuses - Disposition législative relative aux pêcheries ou à la pollution - S’agit-il d’une dénonciation multiple? - Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, chap. F-14, art. 2, 33(2), 33(3) et 33(11) - A.A.N.B., art. 91.12.

L’appelante a été accusée d’avoir violé le par. 33(2) de la Loi sur les pêcheries en vertu duquel «il est interdit à qui que ce soit de déposer ou de permettre que l’on dépose une substance nocive dans des eaux poissonneuses…». Du gas-oil a été livré à l’appelante et on en a rempli ses réservoirs. Ceux-ci reposaient sur une vieille bille pourrie. En se cassant, cette bille a entraîné la rupture d’un tuyau au fond d’un réservoir. Trois mille gallons de gas-oil se sont répandus dans l’anse de Cooper en amont de l’inlet Loughborough. Avant d’inscrire un plaidoyer, l’appelante a demandé une ordonnance de prohibition à la Cour suprême de la Colombie-Britannique. L’appelante a fait valoir trois moyens à l’appui de sa demande dont deux seulement ont fait l’objet d’une argumentation devant cette Cour, savoir, que le par. 33(2) excède les pouvoirs du Parlement et que la dénonciation était multiple. La demande a été rejetée et cette décision confirmée par la Cour d’appel.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

La validité du par. 33(2) a été contestée pour les motifs qu’il ne s’agit pas d’une disposition législative relative aux «Pêcheries des côtes de la mer et de l’intérieur» (par. 91.12 de l’A.A.N.B.), mais d’une disposition qui a trait à la pollution des eaux en général, ou d’une disposition qui vise la protection de toute vie animale marine. La compétence législative fédérale prévue au

[Page 293]

par. 91.12 de l’ A.A.N.B. n’est pas un simple pouvoir fédéral de légiférer sur le «poisson» au sens technique du terme. Cette Cour, de même que le Conseil privé, ont attribué au terme «pêcheries» le sens de quelque chose de la nature d’une ressource et ont considéré le pouvoir législatif fédéral comme visant la protection et la conservation des pêcheries, à titre de ressource publique. Le pouvoir d’administrer et de réglementer cette ressource doit comprendre le pouvoir de protéger tous ces animaux qui en font partie. La Cour doit, en vue de déterminer la constitutionnalité du par. 33(2), établir la nature et le caractère véritables de cette disposition législative. Il est nécessaire de décider si le paragraphe vise la protection et la conservation de pêcheries ou la prévention de la pollution. Ce paragraphe porte essentiellement sur le dépôt de substances nocives dans des eaux poissonneuses ou dans un lieu d’où cette substance nocive peut pénétrer dans ces eaux. Aux termes de la définition, une substance est nocive quand elle l’est pour le poisson. Le paragraphe cherche essentiellement à protéger les pêcheries en empêchant que des substances nocives pour le poisson pénètrent dans des eaux poissonneuses. C’est là un objectif approprié pour une disposition législative qui relève du chef des «Pêcheries des côtes de la mer et de l’intérieur»; la définition de «substance nocive» fait en sorte que la portée du par. 33(2), contrairement à celle du par. 33(3) qui a été déclaré excéder les pouvoirs du Parlement dans Fowler c. La Reine, est limitée à une interdiction de déposer des substances nuisibles aux poissons, à leur habitat ou à l’utilisation du poisson par l’homme.

A l’égard de l’allégation que les accusations dans la dénonciation sont multiples, le critère primordial devrait être d’ordre pratique: l’ambiguïté de l’accusation nuit-elle à la préparation de la défense de l’accusé? Il n’est pas plus difficile pour l’accusé de savoir de quoi il est accusé ou de préparer sa défense parce qu’il y a plusieurs chefs d’accusation qui allèguent chacun une manière différente de commettre une infraction.


Parties
Demandeurs : Northwest Falling Contractors Ltd.
Défendeurs : Sa Majesté la Reine

Références :

Jurisprudence: R. c. Robertson (1882), 6 R.C.S. 52

Procureur général du Canada c. Procureur général du Québec, [1921] 1 A.C. 413

Renvoi relatif à la constitutionnalité de certains articles de la Loi des pêcheries, 1914, [1928] R.C.S. 457

Mark Fishing Co. v. United Fishermen & Allied Workers Union (1972), 24 D.L.R. (3d) 585

Interprovincial Co-operatives Limited et autre c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 477

Fowler c. La Reine, C.S.C. 17 juin 1980

R. c. Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299

Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S. 729.

Proposition de citation de la décision: Northwest Falling Contractors Ltd. c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 292 (18 juillet 1980)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1980-07-18;.1980..2.r.c.s..292 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award