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17/06/1980 | CANADA | N°[1980]_2_R.C.S._213

Canada | Fowler c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 213 (17 juin 1980)


Cour suprême du Canada

Fowler c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 213

Date: 1980-06-17

Dan Fowler Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1979: 4, 5 décembre; 1980: 17 juin.

Présents: Les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz, Mclntyre et Chouinard.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[1], qui a rejeté un appel d’un jugement de la Cour de comté[2]

[Page 215]

accueillant un appel interjeté par l’in

timé d’un jugement de la Cour provinciale[3]. Pourvoi accueilli.

Duncan W. Shaw et Richard c. Gibbs, pour l’appelant.

T.B. Smith, c.r...

Cour suprême du Canada

Fowler c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 213

Date: 1980-06-17

Dan Fowler Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1979: 4, 5 décembre; 1980: 17 juin.

Présents: Les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz, Mclntyre et Chouinard.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[1], qui a rejeté un appel d’un jugement de la Cour de comté[2]

[Page 215]

accueillant un appel interjeté par l’intimé d’un jugement de la Cour provinciale[3]. Pourvoi accueilli.

Duncan W. Shaw et Richard c. Gibbs, pour l’appelant.

T.B. Smith, c.r., et H.J. Wruck, pour l’intimée.

E.R.A. Edwards, pour l’intervenant, le procureur général de la Colombie-Britannique.

Alan Reid, pour l’intervenant, le procureur général du Nouveau-Brunswick.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE MARTLAND — La seule question à résoudre dans ce pourvoi est la question constitutionnelle formulée dans l’ordonnance du Juge en chef de cette Cour, savoir:

«Le paragraphe 33(3) de la Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, chap. F-14, relève-t-il de la compétence législative du Parlement du Canada?»

L’article 33 de la Loi sur les pêcheries figure sous la rubrique «Détérioration des pêcheries et pollution des eaux». Cet article comprend, notamment, les paragraphes suivants:

33. (1) Il est interdit de jeter par-dessus bord du lest, des cendres de charbon, des pierres ou d’autres substances nuisibles ou délétères dans une rivière, un port, une rade, ou dans des eaux où se fait la pêche, ou de laisser ou déposer ou faire jeter, laisser ou déposer sur la rive, la grève ou le bord de quelque cours ou nappe d’eau, ou sur la grève entre les marques des hautes et des basses eaux, des restes ou issues de poissons ou d’animaux marins, ou de laisser du poisson gâté ou en putréfaction dans un filet ou autre engin de pêche. Ces restes ou issues de poissons peuvent être enterrés sur la grève, au-delà de la marque des eaux à marée haute.

(2) Sous réserve du paragraphe (4), il est interdit à qui que ce soit de déposer ou de permettre que l’on dépose une substance nocive dans des eaux poissonneuses ou en quelque lieu dans des conditions où cette substance nocive ou une autre substance nocive résultant du dépôt de cette substance pourrait pénétrer dans de telles eaux.

[Page 216]

(3) Il est interdit à quiconque fait l’abattage ou la coupe de bois, le défrichement ou autres opérations de déposer ou de permettre sciemment de déposer des déchets de bois, souches ou autres débris dans une eau fréquentée par le poisson ou qui se déverse dans cette eau, ou sur la glace qui recouvre Tune ou l’autre de ces eaux, ou de les déposer dans un endroit d’où il est probable qu’ils soient entraînés dans l’une ou l’autre de ces eaux.

(4) Par dérogation au paragraphe (2), il est permis d’immerger ou de rejeter en un lieu

a) les déchets ou les substances polluantes désignés par les règlements applicables au lieu et établis par le gouverneur en conseil en vertu d’une autre loi, pourvu que les conditions, notamment les quantités maximales, y fixées soient respectées;

b) les substances nocives des catégories désignées ou prévues par les règlements applicables au lieu, aux ouvrages ou entreprises ou à leurs catégories et établis par le gouverneur en conseil en vertu du paragraphe (13), pourvu que les conditions, notamment les quantités maximales et les degrés de concentration, y désignées ou prévues soient respectées.

(5) Toute personne qui contrevient aux dispositions

a) des paragraphes (1) ou (3) est coupable d’une infraction et passible sur déclaration sommaire de culpabilité d’une amende maximale de cinq mille dollars pour une première infraction et de dix mille dollars pour chaque infraction subséquente; ou

b) du paragraphe (2) est coupable d’une infraction et passible sur déclaration sommaire de culpabilité d’une amende maximale de cinquante mille dollars pour une première infraction et de cent mille dollars pour chaque infraction subséquente.

(6) Lorsqu’une infraction prévue au paragraphe (5) se répète à des jours différents ou se continue pendant plus d’une journée, elle est censée constituer une infraction distincte pour chaque jour pendant lequel l’infraction est commise ou se continue.

(11) Pour l’application du présent article et des articles 33.1 et 33.2,

«substance nocive» désigne

a) toute substance qui, si elle était ajoutée à une eau, dégraderait ou modifierait ou contribuerait à dégrader ou à modifier la qualité de cette eau de façon à la rendre nocive, ou susceptible de le devenir, pour le poisson ou son habitat ou encore à rendre nocive l’utilisation par l’homme du poisson qui vit dans cette eau, ou

[Page 217]

b) toute eau qui contient une substance en une quantité ou concentration telle, ou qui, à partir de son état naturel, a été traitée, transformée ou modifiée par la chaleur ou d’autres moyens d’une façon telle que si elle était ajoutée à une autre eau, elle dégraderait ou modifierait ou contribuerait à dégrader ou à modifier la qualité de cette eau de façon à la rendre nocive, ou susceptible de le devenir, pour le poisson ou son habitat encore à rendre nocive l’utilisation par l’homme du poisson qui vit dans cette eau,

et comprend notamment,

c) toute substance ou catégorie de substances prescrites en vertu de l’alinéa (12)a),

d) de l’eau qui contient une substance ou une substance d’une catégorie en quantités ou en concentrations égales ou supérieures aux normes prescrites en vertu de l’alinéa (12)b), et

e) de l’eau traitée, transformée ou modifiée dans les circonstances prévues à l’alinéa (12)c);

«immersion» ou «rejet» désigne le versement, le déversement, l’écoulement, le suintement, l’arrosage, l’épandage, la vaporisation, l’évacuation, l’émission, le vidage, le jet, le basculage ou le dépôt;

«eaux où vivent des poissons» désigne les eaux des pêcheries canadiennes.

(12) Le gouverneur en conseil peut établir des règlements prescrivant

a) les substances et catégories de substances,

b) les quantités ou concentrations de substances et catégories de substances dans l’eau, et

c) les traitements, transformations et modifications de l’eau

aux fins des alinéas c) à e) de la définition de «substance nocive» au paragraphe (11).

L’intimée fait valoir que le par. 33(3) est valide vu le pouvoir du Parlement de légiférer sur «les pêcheries des côtes de la mer et de l’intérieur» en vertu du par. 91(12) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. L’appelant allègue que le par. (3) relève de la compétence législative des provinces. Il s’appuie à cet égard sur les par. 92(5), 92(10), 92(13) et 92(16) de l’Acte:

92(5) L’administration et la vente des terres publiques appartenant à la province, et des bois et forêts qui s’y trouvent;

92(10) Les ouvrages et entreprises d’une nature locale

[Page 218]

92(13) La propriété et les droits civils dans la province;

92(16) Généralement toutes les matières d’une nature purement locale ou privée dans la province.

L’appelant est poursuivi sous deux chefs d’accusation:

[TRADUCTION]

PREMIER CHEF

Dan Fowler est accusé d’avoir, du 27 avril 1975 au 27 mai 1975, alors qu’il faisait l’abattage du bois, ILLÉGALEMENT déposé des débris dans une eau fréquentée par le poisson, savoir la baie Forbes ou les environs, dans le comté de Vancouver (Colombi‑Britannique), CONTRAIREMENT AUX DISPOSITIONS DE L’ARTICLE 33 DE LA LOI SUR LES PÊCHERIES, dans sa forme modifiée;

SECOND CHEF

Dan Fowler est accusé d’avoir, du 27 avril 1975 au 27 mai 1975, alors qu’il faisait l’abattage du bois, ILLÉGALEMENT et sciemment permis que soient déposés des débris dans une eau fréquentée par le poisson, savoir la baie Forbes ou les environs, dans le comté de Vancouver (Colombie-Britannique), CONTRAIREMENT AUX DISPOSITIONS DE L’ARTICLE 33 DE LA LOI SUR LES PÊCHERIES, dans sa forme modifiée.

Les faits de la cause ont été énoncés par le juge de la Cour provinciale qui a entendu l’affaire en première instance:

[TRADUCTION] Les faits démontrent que Dan Fowler, l’accusé, exploitait une entreprise d’abattage à un endroit appelé la baie Forbes sur la rive est du chenal Humphrey dans le comté de Vancouver (Colombie-Britannique). En qualité de sous-traitant, il était chargé d’enlever les billes et le bois brut qui se trouvaient à cet endroit en les remorquant vers un autre lieu. D’après la preuve, Dan Fowler exploitait une entreprise d’abattage normale et courante. Dans le cours de l’exploitation, il devait sortir les billes de la forêt en les tirant avec un tracteur à chenilles, lequel devait, au cours de l’opération, les tirer à travers un ruisseau si petit qu’il n’a jamais reçu de nom. On n’a pas indiqué la largeur précise de ce ruisseau, mais une photographie laisse supposer qu’il mesure quelques pieds de large. Cette

[Page 219]

dernière opération a eu comme conséquence de déposer des débris dans le lit du ruisseau. D’après la photographie déposée comme pièce et la description faite au cours des témoignages, les débris étaient composés de tronçons, de branches ou de faîtes d’arbres.

Ce ruisseau se jette dans la baie Forbes dont les eaux salées font partie des eaux côtières de la Colombie-Britannique. Ce cours d’eau a déjà contenu du poisson et le fonctionnaire du ministère des Pêcheries a déclaré que le ruisseau est utilisé pour le frai de deux espèces de saumon, savoir le saumon Coho et le saumon rose, et pour l’élevage des alevins du saumon Coho.

Le ministère public n’a pas présenté de preuve portant que le dépôt de débris aurait de quelque façon nui ou causé des dommages aux poissons ou aux alevins. Le fonctionnaire en cause a affirmé en contre-interrogatoire que les débris déposés dans le ruisseau pouvaient être une substance nocive à même d’agir sur la demande biologique d’oxygène qui, en ce qui concerne les œufs et les alevins, est élevée. Il a également déclaré que les débris pouvaient nuire au nombre d’alevins en causant des dommages aux œufs dans la frayère de gravier. Il a de plus ajouté que toute activité qui touche le ruisseau peut avoir des conséquences importantes ou minimes.

L’appelant a été acquitté en première instance. Le juge s’est prononcé comme suit:

[TRADUCTION] Je conclus que le par. 33(3) de la Loi sur les pêcheries n’est pas un moyen sûr et efficace d’exercice du pouvoir du Parlement aux termes du par. 91(12) de l’A.A.N.B. Puisqu’il empiète sur le pouvoir des provinces prévu aux par. 92(5) et 92(13), le par. 33(3) excède le pouvoir du Parlement.

Le juge de la Cour de comté a accueilli l’appel que l’intimée a interjeté de cette décision. La Cour d’appel a rejeté l’appel alors formé par l’appelant. Ce dernier se pourvoit devant cette Cour sur autorisation.

La Cour d’appel a conclu que le par. 33(3) relève de la compétence législative du Parlement parce qu’il s’agit [TRADUCTION] «d’une disposition législative qui se rapporte clairement au domaine des pêcheries de l’intérieur et particulièrement à la conservation du poisson». La Cour s’est appuyée sur la première des quatre propositions énoncées par lord Tomlin dans Le procureur général du Canada c. Le procureur général de la Colombie-Britannique et autres[4], à la p. 118, que voici:

[Page 220]

[TRADUCTION] On a souvent soumis au Conseil des questions de conflit de compétence entre le Parlement du Canada et les législatures provinciales, et le Conseil a déjà énoncé les principes suivants:

(1) La législation du Parlement, qui porte strictement sur les catégories de sujets énumérés à l’art. 91, a prépondérance, même si elle empiète sur des domaines assignés aux législatures provinciales par l’art. 92: voir l’arrêt Tennant c. Union Bank of Canada, [1894] A.C. 31.

(2) Le pouvoir général de légiférer que l’art. 91 de la Loi confère au Parlement du Canada en plus du pouvoir de légiférer sur les sujets expressément énumérés, doit se restreindre strictement aux matières qui sont incontestablement d’importance ou d’intérêt national et ne doit empiéter sur aucun des sujets énumérés à l’art. 92 comme étant du ressort exclusif des législatures provinciales, à moins que ces matières prennent des proportions telles qu’elles affectent le corps politique du Dominion: voir Le procureur général de l’Ontario c. Le procureur général du Canada, [1896] A.C. 348.

(3) Il est de la compétence du Parlement fédéral de statuer sur des questions qui, bien qu’à d’autres égards de la compétence législative des provinces, sont nécessairement accessoires à une législation efficace du Parlement fédéral sur un sujet de législation expressément mentionné à l’art. 91: voir Le procureur général de l’Ontario c. Le procureur général du Canada, [1894] A.C. 189, et Le procureur général de l’Ontario c. Le procureur général du Canada, [1896] A.C. 348.

(4) Il peut y avoir un domaine dans lequel les législations provinciales et fédérale chevauchent, auquel cas aucune n’est inconstitutionnelle si le champ est inoccupé, mais si le champ n’est pas libre et deux législations viennent en conflit, celle du fédéral doit prévaloir: voir Grand Trunk Ry. of Canada c. Le procureur général du Canada, [1907] A.C. 65.

L’avocat de l’appelant prétend que pour faire reconnaître la validité de la disposition en cause, l’intimée doit démontrer qu’elle relève de la troisième proposition énoncée par lord Tomlin dans l’arrêt précité.

L’arrêt le plus ancien rendu par cette Cour sur la question de l’étendue du pouvoir fédéral de légiférer sur les pêcheries des côtes de la mer et de

[Page 221]

l’intérieur est R. c. Robertson[5]. Il visait la validité d’un bail de pêche, en vertu duquel le ministre de la Marine et des Pêcheries était censé louer pour une durée de neuf ans une portion de la rivière Miramachi au Nouveau-Brunswick pour la pêche au saumon à la mouche. Des propriétaires d’une portion de la rivière ont eu gain de cause devant les tribunaux du Nouveau-Brunswick à l’encontre de la revendication par le locataire du droit de pêche dans cette portion de la rivière. Le locataire a ensuite déposé devant la Cour de l’Échiquier une pétition de droit contre Sa Majesté pour obtenir une indemnité.

Le juge en chef Ritchie s’exprime comme suit à la p. 120:

[TRADUCTION] …je suis d’opinion que le pouvoir de légiférer à l’égard des «pêcheries des côtes de la mer et de l’intérieur», envisagé par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique n’a pas rapport à la «propriété et aux droits civils» — c’est-à-dire la propriété du lit des rivières ou des pêcheries, ou les droits des individus à cet égard mais plutôt aux sujets touchant les pêcheries en général, visant leur réglementation, leur protection et leur conservation, sujets d’intérêt national et général et importants pour le public, comme l’interdiction de prendre du poisson en temps inopportun, d’une façon abusive, ou en employant des accessoires destructifs et les lois en vue de l’amélioration et de l’augmentation du rendement des pêcheries; en d’autres mots, toutes les lois générales dont le but est aussi bien l’avantage des propriétaires des pêcheries que du public en général qui s’intéresse aux pêcheries à titre de source de richesse pour le pays ou la province; en d’autres mots, les lois relatives aux pêcheries, comme celles que les législatures locales avaient coutume, avant la Confédération, d’adopter pour la réglementation, la conservation et la protection…

Il ajoute à la p. 123:

[TRADUCTION] Les lois générales adoptées par le Dominion du Canada relativement aux «pêcheries des côtes de la mer et de l’intérieur» s’appliquent à tout le monde, mais ces lois ne doivent pas entrer en conflit ni rivaliser avec le pouvoir législatif des législatures locales en matière de propriété et de droits civils au-delà de ce qui peut être nécessaire pour faire des lois générales et efficaces en vue de la réglementation, de la protection et de la conservation des pêcheries dans l’intérêt du public en général.

[Page 222]

L’étendue du pouvoir législatif fédéral en vertu du par. 91(12) de. l’Acte de l’Amérique du Nord britannique a été examinée par le Conseil privé dans les arrêts suivants:

Le procureur général du Canada c. Les procureurs généraux des provinces de l’Ontario, du Québec et de la Nouvelle-Écosse[6], à la p. 712:

[TRADUCTION] Leurs Seigneuries sont d’avis que l’art. 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique ne transfère au Dominion du Canada aucun droit de propriété dans les pêcheries. Elles ont déjà fait état de la distinction à faire entre les droits de propriété et la compétence législative. Seule cette dernière a été conférée sous la rubrique «Les pêcheries des côtes de la mer et de l’intérieur» à l’art. 91. Cet article ne porte pas atteinte aux droits de propriété dans les pêcheries, antérieurement conférés aux particuliers ou aux provinces. Les cessions que les provinces ont pu légalement faire auparavant en vertu de leurs droits de propriété pouvaient tout aussi légalement se faire après l’entrée en vigueur de cette disposition. On doit se rappeler également que le pouvoir de légiférer en matière de pêcheries permet en toute logique à la législature titulaire d’un tel pouvoir de toucher dans une certaine mesure aux droits de propriété. Par exemple, une disposition qui fixe la saison où il est permis de pêcher ou le genre d’attirail que l’on peut employer pour pêcher (disposition que, de l’aveu de tous, le Parlement du Dominion a le pouvoir d’adopter) pourrait très sérieusement toucher à l’exercice des droits de propriété et l’étendue, la force et la portée d’une telle loi ressortissent entièrement au Parlement du Dominion.

Le procureur général du Canada c. Le procureur général du Québec[7], à la p. 432:

[TRADUCTION] …Le Parlement du Dominion a partout un pouvoir de réglementation, mais il doit l’exercer de manière à ne pas priver Sa Majesté du chef de la province ou les particuliers des droits de propriété qu’ils possèdent déjà.

Dans l’arrêt Interprovincial Co-Operatives Limited et autre c. La Reine[8], à la p. 495, qui traite d’une loi provinciale sur la protection de droits de propriété provinciaux en matière de pêcheries de l’intérieur, le juge en chef Laskin fait

[Page 223]

référence au premier extrait susmentionné du jugement du juge en chef Ritchie dans l’affaire Robertson. Le juge en chef, qui a prononcé le jugement en son nom et au nom des juges Judson et Spence, jugement dissident quant aux conclusions, a fait une déclaration qui n’est pas l’objet du désaccord de la majorité:

…A mon avis, il est insoutenable de s’attacher aux mots d’un arrêt, tels que «visant leur réglementation, leur protection et leur conservation», dans les motifs de La Reine c. Robertson, et de leur donner, du point de vue constitutionnel, une portée littérale. Le pouvoir fédéral sur les pêcheries ne s’étend pas à la protection des droits privés ou provinciaux dans les pêcheries par la voie de recours en dommages-intérêts ou de redressements accessoires pour atteinte à ces droits. Il vise plutôt la protection et la conservation des pêcheries, à titre de richesse pour le public, et le contrôle et la réglementation de leur exploitation abusive ou nuisible, quel qu’en soit le propriétaire, et même la suppression de l’exercice du droit par le propriétaire.

Le sens du mot «pêcherie» a été étudié par le juge Newcombe de cette Cour dans le Renvoi relatif à la constitutionnalité de certains articles de la Loi des pêcheries, 1914[9], à la p. 472:

[TRADUCTION] Dans Patterson on the Fishery Laws (1863), à la p. 1, on trouve la définition suivante du mot «pêcherie»:

En termes précis, le mot pêcherie désigne le droit de prendre du poisson dans la mer ou dans un cours d’eau particulier. On l’utilise aussi fréquemment pour désigner le lieu où s’exerce un tel droit.

Selon le New English Dictionary de Murray, le premier sens de ce terme est le suivant:

L’entreprise, l’occupation ou l’industrie qui consiste à prendre du poisson ou d’autres produits de la mer ou de rivières.

Ces définitions ont été citées et suivies par le juge en chef Davey dans l’arrêt Mark Fishing v. United Fishermen & Allied Workers Union[10], aux pp. 591 et 592. Le juge en chef Davey ajoute ce qui suit à la p. 592:

[TRADUCTION] La définition de Patterson insiste sur la ressource naturelle, et le droit de l’exploiter, l’endroit où elle se trouve et où le droit est exercé.

[Page 224]

La disposition législative en cause ici ne traite pas directement des pêcheries, comme telles, au sens où l’entendent ces définitions. Elle cherche plutôt à réglementer certaines activités non parce qu’elles ont des conséquences nuisibles sur le poisson à strictement parler mais plutôt parce qu’elles pourraient en avoir. De prime abord, le par. 33(3) réglemente la propriété et les droits civils dans les limites d’une province. Puisqu’il traite effectivement de ces droits et non spécifiquement de «pêcheries», il faut, pour en appuyer la validité, démontrer qu’il vise des sujets nécessairement accessoires à une législation efficace en matière de pêcheries des côtes de la mer et de l’intérieur.

Dans l’arrêt Le procureur général du Canada c. Le procureur général de la Colombie‑Britannique et autres, auquel on a déjà fait référence, le procureur général du Canada voulait faire reconnaître la validité de certaines dispositions de la Loi des pêcheries, 1914, qui exigeaient l’obtention d’un permis fédéral pour exploiter, à des fins commerciales, une conserverie de poisson ou, en Colombie-Britannique, une conserverie ou une usine de traitement du saumon. C’est dans cet arrêt que lord Tomlin a formulé ses quatre propositions sur les conflits de compétence entre le fédéral et les provinces.

Le fédéral a plaidé que les dispositions législatives en cause étaient valides aux termes du par. 91(12) puisqu’elles se rapportaient directement ou accessoirement aux pêcheries des côtes de la mer et de l’intérieur. Il a allégué que l’exploitation de conserveries et d’usines de traitement est inséparable de l’activité des pêcheries.

On a jugé que les dispositions législatives excédaient les pouvoirs du Parlement. Lord Tomlin dit aux pp. 121 et 122:

[TRADUCTION] Il se peut, bien que leurs Seigneuries ne se prononcent pas sur cette question, que pour être efficace, une loi sur les pêcheries doive donner au Ministre les pouvoirs nécessaires pour faire observer les règlements interdisant la prise de poissons non comestibles ou la pêche hors saison, pour inspecter toutes les conserveries ou les usines de traitement de poisson et exiger de ces établissements qu’ils fournissent des renseignements statistiques adéquats. Même si c’était le cas, il ne s’ensuit pas qu’il faille appliquer à ces établissements un

[Page 225]

système de permis comme celui prévu dans les articles en cause. Il n’est pas évident qu’un système de permis est nécessairement accessoire à une législation efficace en matière de pêcheries, et ni en Cour suprême ni devant leurs Seigneuries, on n’a produit une preuve qui établisse le lien nécessaire entre les deux sujets. Par conséquent, de l’avis de leurs Seigneuries, la seconde prétention de l’appelant n’est pas bien fondée.

Les articles contestés donnent au Ministre des pouvoirs sur des matières qui, de l’avis de leurs Seigneuries, relèvent de prime abord de la catégorie «propriété et droits civils dans la province» prévue à l’art. 92 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867. Comme on l’a déjà indiqué, de l’avis de leurs Seigneuries, ces matières ne relèvent ni directement ni accessoirement d’aucun des sujets énumérés à l’art. 91.

L’avocat de l’intimée appuie la disposition législative sur le fondement qu’elle est préventive et a pour objet de protéger et de conserver le poisson. Il fait valoir que sa validité n’est pas subordonnée à la preuve que les activités auxquelles elle se rapporte nuisent effectivement aux pêcheries.

Les extraits suivants tirés de la décision de première instance rendue en Cour provinciale illustrent bien la vaste portée de la disposition en cause:

[TRADUCTION] Après avoir examiné la preuve produite en l’espèce, pris connaissance d’office de la géographie du littoral de la Colombie-Britannique et entendu les arguments des deux avocats, j’ai pris en considération que sur le littoral de la Colombie-Britannique où se trouvent d’importantes exploitations d’abattage, il existe d’innombrables cours d’eau, ruisseaux et ruisselets qui se déversent dans les différents bras et eaux ouverts sur le littoral de la Colombie-Britannique dont les eaux sont salées et poissonneuses et que les mots «une eau fréquentée par le poisson ou qui se déverse dans cette eau» comprennent tous ces ruisselets, cours d’eau et ruisseaux d’eau vive qui se groupent et qui se jettent en définitive dans l’océan peu importe leur importance et peu importe qu’une zone déterminée de ces eaux soit poissonneuse ou non.

Cette disposition législative s’applique à la manutention du bois par ceux qui font de l’abattage et du défrichement et vise presque tous les cours d’eau au Canada. Elle vise toute bille, pièce de bois brut ou arbre ainsi placé ou jeté dans une rivière, un lac, un cours d’eau ou un océan au Canada, et dont se détachent des déchets de bois, souches ou autres débris. Je ne vois pas comment les trains de bois, le flottage du bois et autres

[Page 226]

opérations forestières du même genre peuvent s’effectuer sans qu’il se produise un dépôt de débris dans les eaux utilisées à cette fin. Si le par. 33(3) n’exige pas un élément de preuve additionnel selon lequel le dépôt des débris nuit à la conservation du poisson, alors chacune de ces opérations constituerait une infraction au par. 33(3).

Les critères qui servent à déterminer la responsabilité en vertu du par 33(3) sont effectivement larges. Le paragraphe vise l’abattage et la coupe du bois, le défrichement et d’autres opérations forestières. Les substances interdites sont les déchets de bois, les souches et les autres débris. La quantité de substance déposée n’est pas pertinente. Le champ d’application de la disposition législative s’étend non seulement à une eau fréquentée par le poisson mais également à une eau qui se déverse dans cette eau, à la glace qui recouvre cette eau et à tout endroit d’où il est probable que les déchets de bois, les souches et les autres débris soient entraînés dans cette eau.

Le paragraphe 33(3) ne cherche pas à établir un lien entre la conduite prohibée et les dommages, réels ou probables, que les pêcheries pourraient subir. C’est une interdiction générale d’exercer certaines activités de compétence provinciale; ce paragraphe ne fixe pas les éléments de l’infraction de manière à établir un lien entre l’interdiction et les dommages vraisemblables aux pêcheries. De plus, aucune preuve produite devant la Cour n’indique que l’ensemble des activités visées par le paragraphe cause effectivement des dommages aux pêcheries. A mon avis, l’interdiction, dans ses termes généraux, n’est pas nécessairement accessoire au pouvoir fédéral de légiférer sur les pêcheries des côtes de la mer et de l’intérieur et elle excède les pouvoirs du Parlement fédéral.

Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer les décisions de la Cour d’appel et de la Cour de comté et de rétablir le jugement de première instance. L’appelant a droit à ses dépens dans toutes les cours.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de l’appelant: Davis & Company, Vancouver.

Procureur de l’intimée: R. Tassé, Ottawa.

[Page 227]

Procureur de l’intervenant, le procureur général de la Colombie-Britannique: R.H. Vogel, Victoria.

Procureur de l’intervenant, le procureur général du Nouveau-Brunswick: G.F. Gregory, Fredericton.

[1] [1979] 1 W.W.R. 285.

[2] [1977] 4 W.W.R. 449, 36 C.C.C. (2d) 297.

[3] [1976] 6 W.W.R. 28.

[4] [1930] A.C. 111.

[5] (1882), 6 R.C.S. 52.

[6] [1898] A.C. 700.

[7] [1921] 1 A.C. 413.

[8] [1976] 1 R.C.S. 477.

[9] [1928] R.C.S. 457.

[10] (1972), 24 D.L.R. (3d) 585.


Synthèse
Référence neutre : [1980] 2 R.C.S. 213 ?
Date de la décision : 17/06/1980
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit constitutionnel - Pêcheries - Détérioration des pêcheries et pollution des eaux - Inconstitutionnalité du par. 33(3) de la Loi sur les pêcheries - Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, chap. F-14, art. 33, modifié par S.R.C. 1970 (1er Supp.), chap. 17, art. 3 et 1 (Can.), chap. 35, art. 7 - Acte de l’Amérique du Nord britannique, art. 91(12), 92(13).

L’appelant exploitait une entreprise d’abattage sur la rive est du chenal Humphrey dans le comté de Vancouver. Dans le cours de l’exploitation, il devait sortir les billes de la forêt en les tirant avec un tracteur à chenilles, lequel devait, au cours de l’opération, les tirer à travers un ruisseau d’une largeur de quelques pieds. Cette dernière opération a eu comme conséquence de déposer des débris dans le lit du ruisseau. Ce ruisseau se jette dans la baie Forbes dont les eaux salées font partie des eaux côtières de la Colombie-Britannique. Ce cours d’eau a déjà contenu du poisson car il était utilisé pour le frai et l’élevage de deux espèces de saumon, mais il n’y a pas de preuve portant que les débris auraient de quelque façon nui ou causé des dommages aux poissons ou aux alevins. L’appelant a été accusé d’avoir violé les dispositions de l’art. 33 de la Loi sur les pêcheries, d’avoir illégalement déposé des débris dans une eau fréquentée par le poisson et d’avoir illégalement et sciemment permis que soient déposés des débris dans une eau fréquentée par le poisson. L’appelant a été acquitté en première instance, car le juge du procès a conclu que le par. 33(3) de la Loi sur les pêcheries excède le pouvoir du Parlement du Canada. Le juge de la Cour de comté a accueilli l’appel que l’intimée a interjeté de cette décision. La Cour d’appel a rejeté l’appel alors formé par l’appelant, car elle a décidé que le par. 33(3) relève de la compétence législative du Parlement parce qu’il s’agit «d’une disposition législative qui se rapporte clairement au domaine des pêcheries de l’intérieur et particulièrement à la conservation du poisson». La seule question à résoudre dans ce pourvoi est la question constitutionnelle. «Le paragraphe 33(3) de la Loi sur les pêcheries relève-t-il de la compétence législative du Parlement du Canada?»

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Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Le mot «pêcheries», tel qu’utilisé au par. 91(12) de l’A.A.N.B. et interprété par les tribunaux, se rapportent à la ressource naturelle et au droit de l’exploiter, à l’endroit où elle se trouve et où le droit est exercé. Le pouvoir fédéral à l’égard des pêcheries vise la protection et la conservation des pêcheries, à titre de ressource publique. La disposition législative en cause ici ne traite pas directement des pêcheries, comme telles, dans ce sens-là. Elle cherche plutôt à réglementer certaines activités non parce qu’elles ont des conséquences nuisibles sur le poisson à strictement parler mais plutôt parce qu’elles pourraient en avoir. De prime abord, le par. 33(3) réglemente la propriété et les droits civils dans les limites d’une province: puisqu’il traite de ces droits et non spécifiquement de «pêcheries», il faut, pour en appuyer la validité, démontrer qu’il vise des sujets nécessairement accessoires à une législation efficace en matière de pêcheries des côtes de la mer et de l’intérieur. Ce n’est pas le cas parce que le par. 33(3) s’étend non seulement à une eau fréquentée par le poisson mais également à une eau qui se déverse dans cette eau et qu’il ne cherche pas à établir un lien entre la conduite prohibée et les dommages, réels ou probables, que les pêcheries pourraient subir. C’est une interdiction générale d’exercer certaines activités de compétence provinciale; ce paragraphe ne fixe pas les éléments de l’infraction de manière à établir un lien entre l’interdiction et les dommages vraisemblables aux pêcheries. Comme tel, le par. 33(3) de la Loi sur les pêcheries excède les pouvoirs du Parlement fédéral.


Parties
Demandeurs : Fowler
Défendeurs : Sa Majesté la Reine

Références :

Jurisprudence: Le procureur général du Canada c. Le procureur général de la Colombie‑Britannique et autres, [1930] A.C. 111

R. c. Robertson (1882), 6 R.C.S. 52

Le procureur général du Canada c. Les procureurs généraux des provinces de l’Ontario, du Québec et de la Nouvelle-Écosse, [1898] A.C. 700

Le procureur général du Canada c. Le procureur général du Québec, [1921] 1 A.C. 413

Interprovincial Co-Operatives Limited et autre c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 477

Renvoi relatif à la constitutionnalité de certains articles de la Loi des pêcheries, 1914, [1928] R.C.S. 457

Mark Fishing v. United Fishermen & Allied Workers Union (1972), 24 D.L.R. (3d) 585.

Proposition de citation de la décision: Fowler c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 213 (17 juin 1980)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1980-06-17;.1980..2.r.c.s..213 ?
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