La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/03/1980 | CANADA | N°[1980]_1_R.C.S._1105

Canada | Kane c. Cons. d'administration de l'U.C.B., [1980] 1 R.C.S. 1105 (3 mars 1980)


SUPREME COURT OF CANADA

Kane c. Cons. d’administration de l’U.C.B., [1980] 1 R.C.S. 1105

Date: 1980-03-03

Julius Kane Appelant; et

Le conseil d'administration de l'Université de la Colombie-Britannique Intimé.

1979: 25, 26 octobre; 1980: 3 mars.

Présents: Les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et McIntyre.

EN APPEL DE LA COUR D'APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

SUPREME COURT OF CANADA

Kane c. Cons. d’administration de l’U.C.B., [1980] 1 R.C.S. 1105

Date: 1980-03-03

Julius Kane Appelant; et

Le conseil d'administration de l'Université de la Colombie-Britannique Intimé.

1979: 25, 26 octobre; 1980: 3 mars.

Présents: Les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et McIntyre.

EN APPEL DE LA COUR D'APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE


Synthèse
Référence neutre : [1980] 1 R.C.S. 1105 ?
Date de la décision : 03/03/1980
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Collèges et universités - Président de l'université ordonnant la suspension d'un professeur - Appel au conseil d'administration - Départ de l'appelant après la conclusion de l'audition du conseil - Faits additionnels fournis au conseil par le président en l'absence de l'appelant - Violation de la justice naturelle - Inobservation de la règle exprimée dans la maxime audi alteram partem.

Deux doyens de faculté de l'Université de la Colom­bie-Britannique ont recommandé qu'il soit mis fin à l'emploi de l'appelant (K), un professeur à l'Université, avec motifs à l'appui savoir, principalement, qu'il avait irrégulièrement utilisé les services d'informatique de l'Université à des fins personnelles. Suite à une réunion convoquée par le président de l'Université, à laquelle assistaient K et son avocat, les doyens ont recommandé qu'il ne soit pas mis fin à l'emploi de K, mais que ce dernier soit plutôt suspendu sans traitement pendant trois mois et qu'il soit tenu de rembourser l'Université. Les doyens ont été influencés par l'argument que les méthodes irrégulières suivies par K découlaient d'un malentendu plutôt que d'une tentative délibérée de frau­der et que des agents d'administration de l'Université ont pu faire preuve de négligence dans l'exécution de leurs fonctions au point d'induire K en erreur quant aux méthodes à suivre.

Le président de l'Université a suivi la recommanda­tion des doyens. Il a suspendu K pour trois mois, sans traitement, conformément au par. 58(1) de la Universi­ties Act, 1974 (C.-13.), chap. 100 et lui a ordonné de rendre compte de toutes les sommes dues à l'Université et de les rembourser.

K a interjeté appel devant le conseil d'administration de l'Université conformément au par. 58(3). K n'a pas contesté le fait qu'il avait utilisé l'ordinateur de l'Uni­versité à des fins personnelles, mais selon lui, cela ne justifierait pas sa suspension. Le président assistait à l'assemblée à titre de membre du conseil. L'article 61 de

[Page 1106]

la Universities Act prévoit que le président est membre du conseil «et assiste aux réunions ordinaires».

Le conseil a entendu K et son avocat. K a répondu aux questions que lui ont posées les membres du conseil. Au cours de l'audience, le président de l'Université a répondu aux questions que lui ont posées les membres du conseil mais n'a interrogé ni K ni son avocat.

A la fin de l'audience, le président du conseil a demandé à K et à son avocat de se retirer afin que le conseil puisse délibérer. Après avoir ajourné pour le dîner, le conseil s'est de nouveau réuni, toujours en présence du président de l'Université. Ce dernier n'a pas participé aux discussions ni pris part au vote de la résolution. Il a toutefois répondu aux questions que lui ont posées les membres du conseil. Le conseil a entériné la suspension de trois mois sans traitement et l'ordre de rendre compte et de rembourser toutes les sommes dues à l'Université pour avoir utilisé l'ordinateur à des fins personnelles et commerciales.

K a présenté une requête en annulation de la résolu­tion du conseil devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique, conformément à la Judicial Review Proce­dure Act, 1976 (C.-B.), chap. 25. La requête a été rejetée. La Cour d'appel de la Colombie-Britannique à la majorité a rejeté l'appel interjeté du jugement de première instance. K se pourvoit devant cette Cour du jugement de la Cour d'appel.

Arrêt (le juge Ritchie est dissident): Le pourvoi est accueilli.

Les juges Martland, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et McIntyre: Est acceptée l'allégation fondée sur le fait que le président aurait témoigné au cours de la séance tenue après le repas en l'absence de K et que cela équivaut à une violation des principes de justice naturelle et à l'inobservation de la règle exprimée dans la maxime audi alteram partem. Appliquant les principes suivants, le pourvoi doit être accueilli.

1. Il incombe aux cours de justice d'attribuer à un tribunal, tel le conseil d'administration d'une université auquel la loi donne mandat de siéger en appel, une large mesure d'autonomie de décision.

2. En tant qu'élément constitutif de l'autonomie dont il jouit, le tribunal doit respecter la justice naturelle. Les règles de justice naturelle ne peuvent être abrogées que par un texte de loi exprès ou nettement implicite en ce sens.

3. Une justice de haute qualité est exigée lorsque le droit d'une personne d'exercer sa profession ou de garder son emploi est en jeu. Une suspension de nature disciplinaire peut avoir des conséquences graves et per­manentes sur une carrière.

[Page 1107]

4. Le tribunal doit entendre équitablement les deux parties au litige afin de leur donner la possibilité de rectifier ou de contredire toute déclaration pertinente préjudiciable à leurs points de vue.

5. A moins d'être autorisée à agir ex parte de façon expresse ou nettement implicite, une juridiction d'appel ne doit pas avoir d'entretiens privés avec les témoins ou, a fortiori, entendre des témoignages en l'absence de la partie dont la conduite contestée fait l'objet de l'examen.

6. La Cour ne cherchera pas à savoir si la preuve a de fait joué au détriment de l'une des parties; il suffit que cette possibilité existe.

Le conseil était tenu d'ajourner l'examen ultérieur de la question jusqu'à ce que K puisse être présent afin d'entendre les faits additionnels; le conseil aurait dû, à tout le moins, lui faire part de ces faits et lui donner une possibilité réelle et valable de rectifier ou de réfuter toute déclaration défavorable. En l'espèce, le conseil n'a fait ni l'un ni l'autre. Le conseil a entendu les faits additionnels, il a délibéré et tranché la question à l'encontre de K. Ce faisant, il a commis une erreur fondamentale. Le danger dont les cours doivent se méfier est la possibilité que le conseil ait pu être saisi d'autres renseignements à même d'influer sur l'issue de l'appel.

Le juge Ritchie, dissident: Dès le début, K connaissait exactement l'accusation portée contre lui et il a eu la possibilité de se défendre et d'interroger les témoins à charge. On ne peut laisser entendre que le président a décidé d'attendre que K soit absent pour fournir aux membres du conseil des faits préjudiciables à ce dernier, la nature véritable des allégations et les motifs à l'ori­gine de la décision de réduire la sanction de renvoi à suspension. S'il en avait été ainsi, le président et les autres membres du conseil auraient effectivement gravement fait fi de la bonne foi et du droit fondamental de l'appelant d'être entendu pour faire valoir sa défense, le tout contrairement aux principes élémentaires de justice naturelle.

La déclaration dans la lettre d'un membre du conseil de l'Université selon laquelle le président a fourni au conseil les faits nécessaires sans discuter de quelque façon du bien-fondé de l'appel est un moyen beaucoup trop ténu pour étayer une accusation aussi sérieuse contre des hommes dont on présume l'intégrité et qui agissent en vertu d'un pouvoir conféré par la loi.

[Jurisprudence: Local Government Board v. Arlidge [1915] A.C. 120; Ridge v. Baldwin, [1962] 1 All E.R 834; Russell v. Duke of Norfolk, [1949] 1 All E.R. 109 Abbott v. Sullivan, [1952] 1 K.B. 189; Board of Education v. Rice, [1911] A.C. 179; Kanda v. Government of the Federation of Malaya, [1962] A.C. 322;

[Page 1108]

Errington v. Ministry of Health, [1935] 1 K.B. 249; Re Brook and Delcomyn (1864), 16 C.B.R. (N.S.) 403; Re an Arbi­tration between Gregson and Armstrong (1894), 70 L.T. 106; R. v. Deputy Industrial Injuries Commissioner, Ex p. Jones, [1962] 2 Q.B. 677; Pfizer Co. Ltd. c. Sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'ac­cise, [1977] 1 R.C.S. 456; Jeffs v. New Zealand Dairy Production and Marketing Bd., [1967] 1 A.C. 551; R. v. Architects' Registration Tribunal, Ex p. Jaggar (1945), 61 T.L.R. 445.]

POURVOI à l'encontre d'un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique[1], qui a rejeté un appel interjeté du rejet d'une requête en vertu de la Judicial Review Procedure Act, 1976 (B.C.), chap. 25. Pourvoi accueilli, le juge Ritchie étant dissident.

David Roberts, pour l'appelant.

G. S. Cumming, c.r., et M. A. Cummings, pour l'intimé.

Version française du jugement des juges Martland, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et McIntyre rendu par

LE JUGE DICKSON — Julius Kane est professeur permanent à l'Université de la Colombie-Britanni­que. Le 21 février 1977, le doyen de la Faculté des Etudes supérieures et le doyen de la Faculté des Sciences recommandaient avec motifs à l'appui qu'il soit mis fin à l'emploi de M. Kane. Ce dernier aurait d'une part irrégulièrement utilisé les services d'informatique de l'Université A. des fins per­sonnelles. Il aurait d'autre part fait un usage irré­gulier de la subvention que lui avait accordée le Conseil national de recherches en l'affectant à des travaux personnels et en achetant du matériel, le tout contrairement aux fins de la subvention.

Suite à une réunion convoquée par le président de l'Université, M. Douglas T. Kenny, à laquelle assistaient M. Kane et son avocat, les doyens ont recommandé qu'il ne soit pas mis fin à l'emploi de M. Kane, mais que ce dernier soit plutôt suspendu sans traitement pendant trois mois et qu'il soit tenu de rembourser l'Université. Les doyens ont été influencés par l'argument que les méthodes irrégulières suivies par M. Kane découlaient d'un

[Page 1109]

malentendu plutôt que d'une tentative délibérée de frauder et que des agents d'administration de l'Université ont pu faire preuve de négligence dans l'exécution de leurs fonctions au point d'induire M. Kane en erreur quant aux méthodes à suivre.

Le président de l'Université a suivi la recom­mandation des doyens. Il a suspendu M. Kane pour trois mois, sans traitement, conformément au par. 58(1) de la Universities Act, 1974 (C.-B.), chap. 100, et lui a ordonné de rendre compte de toutes les sommes dues à l'Université et de les rembourser. L'article 58 de la Loi précitée se lit comme suit:

[TRADUCTION] 58. (1) Le président a le pouvoir de suspendre tout membre du personnel enseignant et administratif et tout cadre ou employé de l'université.

(2) Lorsqu'il exerce ce pouvoir, il doit sans délai communiquer sa décision au conseil avec motifs à l'appui.

(3) La personne suspendue en vertu du présent article a un droit d'appel devant le conseil.

M. Kane a interjeté appel devant le conseil d'administration de l'Université conformément au par. 58(3). L'appel a été entendu au cours d'une réunion ordinaire du conseil d'administration. M. Kane n'a pas contesté le fait qu'il avait utilisé l'ordinateur de l'Université à des fins personnelles, mais selon lui, cela ne justifierait pas sa suspen­sion. Le président assistait à l'assemblée à titre de membre du conseil. L'article 61 de la Universities Act prévoit que le président est membre du conseil [TRADUCTION] «et assiste aux réunions ordinai­res».

Le conseil a entendu M. Kane et son avocat. M. Kane a répondu aux questions que lui ont posées les membres du conseil. Au cours de l'audience, le président de l'Université a répondu aux questions que lui ont posées les membres du conseil mais n'a interrogé ni M. Kane ni son avocat.

A la fin de l'audience, le président du conseil a demandé à M. Kane et à son avocat de se retirer afin que le conseil puisse délibérer. Après avoir ajourné pour le dîner, le conseil s'est de nouveau réuni, toujours en présence du président de l'Uni­versité. Selon les conclusions du juge en chambre,

[Page 1110]

[TRADUCTION] «M. Kenny n'a pas participé aux discussions ni pris part au vote de la résolution. Il a toutefois répondu aux questions que lui ont posées les membres du conseil.» Le conseil a entériné la suspension de trois mois sans traitement et l'ordre de rendre compte et de rembourser toutes les sommes dues à l'Université pour avoir utilisé l'or­dinateur à des fins personnelles et commerciales.

M. Kane a présenté une requête en annulation de la résolution du conseil, devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique, conformément à la Judicial Review Procedure Act, 1976 (C.-B.), chap. 25.

Le principal argument invoqué au nom de M. Kane est que nul ne peut être juge dans sa propre cause et que, même si l'on n'allègue aucune partia­lité réelle de la part du président, sa présence pendant les délibérations du conseil contrevient aux principes de justice naturelle. Le juge a rejeté cet argument étant d'avis que l'arrêt de cette Cour, Law Society of Upper Canada c. French[2], règle la question. Selon lui, le président n'est en aucune façon un accusateur ou un poursuivant et le légis­lateur, en obligeant le président à assister aux réunions ordinaires du conseil, a implicitement accepté le chevauchement qui découle de ce que le président prend la décision de suspendre et entend ensuite l'appel interjeté de cette décision à titre de membre du conseil d'administration. Le juge a également renvoyé aux arrêts King c. Université de la Saskatchewan[3], et Ringrose c. College of Phy­sicians and Surgeons of Alberta[4].

La Cour d'appel de la Colombie-Britannique à la majorité (les juges McFarlane et Aikins, le juge Lambert était dissident) a souscrit aux conclusions du juge en chambre et a rejeté l'appel interjeté par M. Kane. Elle a rejeté l'argument fondé sur le chevauchement des fonctions du président de l'Université en tant qu'auteur de la suspension et membre du tribunal siégeant en appel. Elle a également rejeté une seconde allégation qui n'a apparemment pas été expressément soutenue devant le tribunal de première instance, et qui

[Page 1111]

attaquait la présence et la conduite du président de l'Université au cours des délibérations du conseil, après que M. Kane et son avocat se sont retirés. Cet argument était fondé sur le fait que le prési­dent aurait témoigné au cours de la séance tenue après le repas en l'absence de M. Kane. On allègue que cela équivaut à une violation des principes de justice naturelle et à l'inobservation de la règle exprimée dans la maxime audi alteram partem. Je vais étudier cet argument dès maintenant car, à mon avis, il s'agit d'un argument auquel l'Univer­sité ne peut répondre de façon irrésistible. Si ce moyen d'appel est recevable, comme je pense qu'il l'est, il sera inutile d'examiner l'argument fondé sur le double rôle du président, la maxime nemo judex in causa sua et les ramifications des arrêts King, French et Ringrose.

La preuve de ce qui s'est produit après l'ajournement pour le dîner est mince. Le paragraphe 7 de la requête de M. Kane se lit comme suit:

[TRADUCTION] 7. Le président, Douglas T. Kenny, était présent pendant que le conseil d'administration exami­nait l'appel qui a abouti à la résolution et il a participé à l'examen et à la discussion du bien-fondé de l'appel.

L'affidavit de M. Kane à l'appui de sa requête se lit en partie comme suit:

[TRADUCTION] 6. Je tiens mes renseignements de Roberts [M' David Roberts, avocat de M. Kane] et j'ai la ferme conviction qu'un membre du conseil d'adminis­tration, M. George Morfitt, l'a informé qu'à la fin de l'audition de mon appel interjeté en vertu de l'art. 58 de la Universities Act et durant l'examen de celui-ci par le conseil d'administration, le président de l'Université de la Colombie-Britannique, Douglas T. Kenny, dont la décision faisait l'objet de l'appel en question, était présent et a participé à la discussion qui a abouti à l'adop­tion de la résolution.

M. Morfitt, un membre du conseil d'administra­tion, a déposé un affidavit dans lequel il atteste que durant la réunion qui a suivi le dîner, le président Kenny n'a pas participé aux discussions concernant le requérant. Afin d'éclaircir l'affidavit de M. Morfitt, Me George S. Cumming, l'avocat de l'Université, a écrit à l'avocat de M. Kane en ces termes:

[TRADUCTION] La présente fait suite à notre conversa­tion téléphonique du 14 décembre où vous m'avez demandé des éclaircissements sur l'affidavit de M. George Morfitt.

[Page 1112]

M. Morfitt m'a fait part de ce qui suit:

«Je remarque que le point 7 à la page 2 de la requête indique que le président Kenny «était présent et a parti­cipé à l'examen . et à la discussion du bien-fondé de l'appel». Même si le président a effectivement fourni au conseil les faits nécessaires relativement à la suspension de M. Kane, on peut affirmer qu'il a toujours pris grand soin de ne pas participer à l'examen ni à la discussion du bien-fondé de l'appel. On peut faire un commentaire semblable en ce qui concerne la déclaration faite au point 6 de l'affidavit.»

Je pense qu'il serait opportun de déposer la présente au dossier de la Cour au moment de l'audition de la requête. Nous éviterions ainsi la nécessité de contre-interroger sur les affidavits.

Les mots cruciaux sont: « ... le président a effec­tivement fourni au conseil les faits nécessaires relativement à la suspension de M. Kane ... ». Il n'y a pas eu de contre-interrogatoire sur les affida­vits. L'éclaircissement que visait la lettre est moins que complet, mais une chose est claire: le conseil a été informé «des faits nécessaires» relativement à la suspension en l'absence de M. Kane et de son avocat. Vu ces circonstances, je ne vois pas com­ment la résolution du conseil peut être maintenue.

L'issue du présent pourvoi repose, à mon avis, sur les propositions suivantes:

1. Il incombe aux cours de justice d'attribuer à un tribunal, tel le conseil d'administration d'une université auquel la loi donne mandat de siéger en appel, une large mesure d'autonomie de décision.' Le conseil n'a pas à faire siens les rites d'une cour de justice. Il n'y a pas de litige entre des parties et pas de poursuivant ni d'accusé. Il lui est permis, dans des limites raisonnables, d'établir ses propres règles de procédure qui varieront suivant la nature de l'enquête et les circonstances de l'affaire. Les membres du conseil sont choisis dans tous les secteurs de la collectivité. Ils ne sont habituellement pas rémunérés pour s'acquitter de ce qui est souvent une forme ardue et ingrate de service public. Peu de membres ont une formation juridi­que, parfois aucun. Par conséquent, il serait injuste de leur demander d'avoir, dans l'exécution de leurs fonctions quasi judiciaires, la haute tenue en matière de procédure que l'on est en droit d'atten­dre d'une cour. Ils ne sont pas liés par les règles de preuve strictes et les autres règles applicables aux

[Page 1113]

procédures engagées devant une cour de justice. Il suffit que la cause soit entendue dans un esprit d'impartialité et conformément aux principes de justice fondamentale: lord Parmoor dans Local Government Board v. Arlidge[5], à la p. 140. Je tiens A. préciser que, dans ce pourvoi, rien de ce qui est dit n'attaque de quelque façon l'intégrité ou la bonne foi des membres du conseil d'administration de l'Université de la Colombie-Britannique.

2. En tant qu'élément constitutif de l'autonomie dont il jouit, le tribunal doit respecter la justice naturelle qui, comme l'a dit le lord juge Harman Ridge v. Baldwin[6] à la p. 850, équivaut simplement [TRADUCTION] «à jouer franc jeu». Dans chaque cas, les exigences de la justice naturelle varient selon [TRADUCTION] «les circonstances de l'affaire, la nature de l'enquête, les règles qui régissent le tribunal, la question traitée, etc.»: le lord juge Tucker dans Russell v. Duke of Norfolk[7], A. la p. 118. Les règles de justice naturelle ne peuvent être abrogées que par un texte de loi exprès ou nettement implicite en ce sens.

3. Une justice de haute qualité est exigée lorsque le droit d'une personne d'exercer sa profession ou de garder son emploi est en jeu. Abbott v. Sullivan[8], à la p. 198; Russell v. Duke of Norfolk, précité, à la p. 119. Une suspension de nature disciplinaire peut avoir des conséquences graves et permanentes sur une carrière.

4. Le tribunal doit entendre équitablement les deux parties au litige afin de leur donner la possi­bilité [TRADUCTION] «de rectifier ou de contredire toute déclaration pertinente préjudiciable à leurs points de vue». Board of Education v. Rice[9], A. la p. 182; Local Government Board v. Arlidge, précité, aux pp. 133 et 141.

5. C'est un principe fondamental de notre droit qu'à moins d'être autorisée A. agir ex parte de façon expresse ou nettement implicite, une juridic­tion d'appel ne doit pas avoir d'entretiens privés avec les témoins (de Smith, Judicial Review of Administrative Action (3' éd.) 179) ou, a fortiori,

[Page 1114]

entendre des témoignages en l'absence de la partie dont la conduite contestée fait l'objet de l'examen. Cette partie doit, selon lord Denning dans Kanda v. Government of the Federation of Malaya[10], à la p. 337 [TRADUCTION] « ... connaître la preuve réunie contre [elle]. [Cette dernière] doit être informé[e] des témoignages et des déclarations qui l'intéressent et avoir la possibilité de les rectifier ou de les contredire ... quiconque appelé à rendre une décision ne doit pas recueillir des témoignages ou entendre des arguments d'une partie dans le dos de l'autre.» Dans Errington v. Ministry of Health[11], le lord juge Greer a décidé qu'un fonc­tionnaire qui a des pouvoirs quasi judiciaires doit les exercer conformément aux règles de justice naturelle et ne doit pas entendre une partie en l'absence de l'autre:

[TRADUCTION] s'il ... tient compte de la preuve qui aurait pu être produite à l'enquête publique mais qui ne l'a pas été, mais qui, par contre, a été produite ex parte sans que les propriétaires aient eu la possibilité de la réfuter, alors j'estime que l'ordonnance de ratification était illégale. (p. 268).

Le principe est résumé dans le sommaire en ces termes:

[TRADUCTION] Si le Ministre procède à une enquête privée à laquelle les propriétaires ne sont pas invités à participer ou s'il tient compte de déclarations ex parte que les propriétaires n'ont pas eu la possibilité de réfu­ter, il n'agit pas conformément aux principes de justice reconnus ... .

Dans une décision ancienne Re Brook and Delcomyn[12], le juge en chef Erie a conclu qu'il y avait violation des principes juridiques parce qu'un arbitre avait présenté au juge-arbitre des éléments de preuve qui n'avaient jamais été communiqués à l'autre arbitre et que, par conséquent, l'une des parties n'avait jamais eu la possibilité de réfuter par une preuve contradictoire. Selon le juge en chef Erle, il ne s'agit pas [TRADUCTION] «d'une question de forme» mais bien d'une question de

[Page 1115]

fond, [TRADUCTION] «une question de la plus haute et de la plus grande importance». Dans une autre décision semblable, savoir Re an Arbitration between Gregson and Armstrong[13], une sentence a été annulée à la demande d'un propriétaire parce qu'une fois entendue la preuve des deux parties, les arbitres ont tenu une réunion à la ferme le lende­main, avant de rendre leur sentence, réunion à laquelle assistait le locataire sortant, mais non le propriétaire. Dans une décision beaucoup plus récente, R. v. Deputy Industrial Injuries Commis­sioner, Ex p. Jones[14], le tribunal a été saisi d'une preuve à la fois nouvelle et très préjudiciable à la situation du requérant. Même si la situation présente n'est pas aussi manifeste, le principe à appli­quer est le même. Le juge en chef, lord Parker, a déclaré en accordant le certiorari, qu'un tribunal n'a pas le droit de continuer à recueillir des élé­ments de preuve en secret entre la fin de l'audience et le prononcé de la décision [TRADUCTION] «sans communiquer ensuite aux parties les avis ou les renseignements reçus de manière à leur donner la possibilité de procéder à une nouvelle audition si nécessaire ou, du moins, de commenter les rensei­gnements et de faire valoir leurs prétentions» (p. 686).

Cette Cour a récemment rendu un arrêt perti­nent au présent pourvoi. Il s'agit de Pfizer Com­pany Limited c. Le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise[15], où le juge Pigeon, qui rend le jugement au nom de la Cour, déclare à la p. 463:

Bien que la loi autorise la Commission à obtenir des renseignements autrement que sous la sanction d'un serment ou d'une affirmation ... elle n'est pas pour autant autorisée à s'écarter des règles de justice natu­relle. Il est nettement contraire à ces règles de s'en rapporter à des renseignements obtenus après la fin de l'audience sans en avertir les parties et leur donner la possibilité de les réfuter.

L'arrêt Pfizer ne vise pas le cas d'un tribunal qui entend une partie en l'absence d'une autre. Mais il établit le principe que chaque partie à une affaire a le droit d'être informée des éléments de preuve qui ont trait à la décision et de faire valoir ses

[Page 1116]

arguments à leur égard. Voir également R. v. Birmingham City Justices, Ex p. Chris Foreign Foods (Wholesalers) Ltd.[16], R. v. Barnsley Metro­politan Borough Council, Ex p. Hook[17]; R. v. Justices of Bodmin, Ex p. McEwen[18]

6. La Cour ne cherchera pas à savoir si la preuve a de fait joué au détriment de l'une des parties; il suffit que cette possibilité existe. Voir Kanda v. Government of the Federation of Malaya, précité, à la p. 337. En l'espèce, la Cour ne peut conclure qu'aucun préjudice n'était possible car elle ne sait pas quels éléments de preuve ont réellement été fournis par le président Kenny après l'ajournement pour le dîner. Voir Jeffs v. New Zealand Dairy Production and Marketing Board[19], à la p. 567. Nous ne sommes pas concer­nés ici par la preuve de l'existence d'un préjudice réel mais plutôt par la possibilité ou la probabilité qu'aux yeux des gens raisonnables, il existe un préjudice.

Si l'on applique ces principes, j'estime qu'il faut faire droit au présent pourvoi. Le conseil était conscient de la situation probablement anormale du président de l'Université durant les délibéra­tions postérieures au dîner. Le président du con­seil, soucieux d'assurer à M. Kane une audition impartiale, a avisé les membres du conseil que le président de l'Université ne devrait pas participer aux discussions ni voter. On ne peut critiquer cette directive. Malheureusement, la vigilance du prési­dent du conseil n'a pas été aussi loin que possible, car, malgré le soin apporté à l'audition de l'appel, le conseil, comme il ressort du dossier, a conclu qu'il avait besoin de faits additionnels, (nécessai­res», avant de rendre une décision et le président de l'Université les lui a fournis. Il importe peu que les faits aient été fournis par le président ou, par exemple, par un autre professeur de l'Université. Mais que l'informateur ait été le président de l'Université n'arrange pas les choses.

Le conseil était tenu d'ajourner l'examen ulté­rieur de la question jusqu'à ce que M. Kane puisse être présent afin d'entendre les faits additionnels;

[Page 1117]

le conseil aurait dû, à tout le moins, lui faire part de ces faits et lui donner une possibilité réelle et valable de rectifier ou de réfuter toute déclaration défavorable. En l'espèce, le conseil n'a fait ni l'un ni l'autre. Le conseil. a entendu les faits additionnels, il a délibéré et tranché la question à l'encon­tre de M. Kane. Ce faisant, il a commis une erreur fondamentale. Le danger dont les cours doivent se méfier est la possibilité que le conseil ait pu être saisi d'autres renseignements à même d'influer sur l'issue de l'appel. Voir R. v. Architects' Registra­tion Tribunal, Ex p. Jaggar[20], à la p. 447.

Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'infirmer l'arrêt de la Cour d'appel et d'annuler la résolution adoptée le 5 juillet 1977 par le conseil d'adminis­tration de l'Université de la Colombie-Britannique relativement à l'appelant, avec dépens à ce dernier dans toutes les cours.

Version française des motifs rendus par

LE JUGE RITCHIE (dissident) — Il s'agit d'un pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique qui a rejeté l'appel interjeté d'un jugement rendu en première instance par le juge Macdonald qui avait rejeté la requête de l'appelant introduite conformément à la Judi­cial Review Procedure Act, 1976 (C-.B.) chap. 25. Par cette requête, l'appelant cherchait à faire annuler une résolution adoptée par le conseil d'ad­ministration intimé, le 5 juillet 1977, laquelle enté­rinait la suspension de l'appelant, un professeur à l'Université de la Colombie-Britannique, pour une période de trois mois, soit de mai à juillet 1977.

J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement préparés par le juge Dickson dans la présente affaire. Comme il m' t impossible de souscrire à la conclusion à laquelle il parvient à partir du dossier très peu étoffé qui nous a été soumis, j'estime nécessaire d'exprimer mon opinion dans des motifs distincts.

Le jugement rendu en première instance par le juge Macdonald est maintenant publié (82 D.L.R. (3d) à la p. 494); les motifs de l'arrêt de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique le sont également

[Page 1118]

(11 B.C.L.R. 318). Les deux décisions rapportent de façon détaillée les circonstances qui sont à l'origine du présent pourvoi.

Le requérant, Julius Kane, est professeur per­manent à l'Université de la Colombie-Britannique. Les doyens de la Faculté des Études supérieures et de la Faculté des Sciences ont toutefois recom­mandé qu'il soit mis fin à son emploi à l'Univer­sité, avec motifs à l'appui, savoir, principalement, qu'il avait irrégulièrement utilisé les services d'in­formatique de l'Université à des fins personnelles.

M. Kane n'a jamais contesté l'allégation qu'il avait utilisé l'ordinateur de l'Université de la manière qui lui est reprochée, mais il se plaint de la sanction qu'on a cherché à lui imposer en mettant fin à son emploi. A une réunion convoquée par le président de l'Université, Douglas T. Kenny, à laquelle étaient présents Kane et son avocat, les doyens ont modifié leur recommandation et demandé que M. Kane soit suspendu sans traitement pendant trois mois et qu'il rembourse l'Uni­versité. Le président Kenny a suivi cette recom­mandation et a rendu un ordre en ce sens conformément au par. 58(1) de la Universities Act, 1974 (C.-B.), chap. 100 (ci-après appelé la Loi). L'article 58 de cette Loi se lit comme suit:

[TRADUCTION] 58. (1) Le président a le pouvoir de suspendre tout membre du personnel enseignant et administratif et tout cadre ou employé de l'université.

(2) Lorsqu'il exerce ce pouvoir, il doit sans délai communiquer sa décision au conseil avec motifs à l'appui.

(3) La personne suspendue en vertu du présent article a un droit d'appel devant le conseil.

M. Kane a interjeté appel comme il en avait le droit en vertu du par. 58(3), et en temps voulu, l'appel est venu à audience à une réunion ordinaire du conseil d'administration composée de dix mem­bres dont le président du conseil (l'honorable T. A. Dohm, c.r.) et le président de l'Université dont l'art. 61 de la Loi exige la présence. Y assistaient également le doyen de la Faculté des Sciences, le doyen de la Faculté de Géologie et le doyen de la Faculté des Études supérieures, en plus de trois autres professeurs. Le professeur Kane, de même

[Page 1119]

que son avocat et l'avocat du conseil, étaient également présents. Le, procès-verbal de cette réunion du conseil d'administration n'a pas été versé au dossier, mais je suis disposé à adopter le récit qu'en fait le savant juge de première instance, 82 D.L.R. (3d) à la p. 497:

[TRADUCTION] Le conseil d'administration a été saisi de l'appel au cours d'une réunion ordinaire le 5 juillet. C'était un des nombreux points à l'ordre du jour. Parmi les membres du conseil présents se trouvait M. Kenny. Au moment de l'audition de l'appel, d'autres personnes sont venues à la réunion dont le requérant et son avocat, Me Roberts. Le conseil a entendu Me Roberts et M. Kane. Les membres du conseil ont interrogé M. Kane sur les points qu'il avait soulevés. Au cours de l'au­dience, le président Kenny n'a pas posé de question au requérant ni à Me Roberts. Il a répondu aux questions que lui ont posées d'autres membres du conseil; il a peut-être répondu aux déclarations de M. Kane ou de Me Roberts. A la fin de l'audience, le président a demandé à me Roberts et à son client de se retirer pour que le conseil puisse délibérer. Les autres personnes étrangères au conseil, qui avaient assisté à l'audition de l'appel, se sont également retirées. Les délibérations du conseil postérieurement à l'appel ont commencé après l'ajournement pour le dîner. M. Kenny n'a pas participé aux discussions ni pris part au vote de la résolution. Il a toutefois répondu aux questions que lui ont posées les membres du conseil.

En acceptant, comme je le fais, cette version des procédures, il me paraît clair que l'appelant a eu amplement la possibilité à la première réunion du conseil de réfuter toutes les allégations portées contre lui et de présenter sa version de l'affaire. Cette possibilité lui a été offerte en présence d'un groupe de personnes qui, en leur qualité d'adminis­trateurs, doivent être considérées comme ayant à coeur le bien de l'Université; le président du con­seil, M. Dohm, est un ancien juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique. L'appelant et le président Kenny ont tous deux témoigné, de même que le doyen Larkin qui, en qualité de doyen de la Faculté des Etudes supérieures, était l'un des auteurs de la recommandation de mettre fin à l'emploi de l'appelant à l'Université. J'estime qu'il est raisonnable de conclure que tous les faits perti­nents se rapportant à la situation critique de l'ap­pelant ont été exposés par un ou plusieurs de ces témoins au moment de l'audition. On doit se rappeler que le conseil a agi en vertu du pouvoir que

[Page 1120]

lui confère la Loi et le dossier ne laisse nullement entendre que les procédures suivies au cours de la première audience ne l'ont pas été de façon équita­ble et régulière, en accordant tout le poids voulu à la situation de l'appelant et aux conséquences de sa suspension.

Pourtant, l'appelant se plaint essentiellement du fait qu'à la fin de l'audience, la président du conseil, le président de l'Université et les autres membres du conseil ont ajourné pour le dîner et qu'en l'absence de son avocat et en son absence, ils ont repris leur réunion qui devait porter sur un certain nombre de points en plus de l'appel de l'appelant et qui s'est terminée, pour ce qui est de l'appelant, par l'adoption de la résolution ordon­nant sa suspension. Dans le par. 7 de la requête, l'appelant se plaint que:

[TRADUCTION] Le président, Douglas T. Kenny, était présent pendant que le conseil d'administration exami­nait l'appel qui a abouti à la résolution et il a participé à l'examen et à la discussion du bien-fondé de l'appel.

L'affidavit déposé par l'appelant à l'appui de sa requête renferme le paragraphe suivant:

[TRADUCTION] Je tiens mes renseignements de Roberts [Me David Roberts, avocat de M. Kane] et j'ai la ferme conviction qu'un membre du conseil d'adminis­tration, M. George Morfitt, l'a informé qu'à la fin de l'audition de mon appel interjeté en vertu de l'art. 58 de la Universities Act et durant l'examen de celui-ci par le conseil d'administration, le président de l'Université de la Colombie-Britannique, Douglas T. Kenny, dont la décision faisait l'objet de l'appel en question, était présent et a participé à la discussion qui a abouti à l'adop­tion de la résolution.

Cet affidavit date du 8 août 1977, mais il convient de noter que M. Morfitt a déposé un affidavit le 6 septembre de la même année dans lequel il déclare après avoir décrit la réunion du conseil:

[TRADUCTION] 11. M' Roberts et le requérant se sont retirés. L'audience a été ajournée.

12. Après le dîner, l'assemblée du conseil a repris ses travaux.

13. Le président Kenny n'a pas participé à la discussion concernant le requérant.

[Page 1121]

Ce dernier affidavit constitue la seule preuve donnée sous serment par un membre du conseil présent à la séance tenue après le dîner et, en l'absence de tout autre élément, il ne fait aucun doute qu'il étayerait la prétention qu'aucune décla­ration défavorable n'y a été faite au sujet de l'appelant. Il y a toutefois une lettre écrite par l'avocat de l'Université à l'avocat de M. Kane où les propos de M. Morfitt sont en partie cités:

[TRADUCTION] Même si le président a effectivement fourni au conseil les faits nécessaires relativement à la suspension de M. Kane, on peut affirmer qu'il a toujours pris grand soin de ne pas participer à l'examen ni à la discussion du bien-fondé de l'appel.

L'appelant allègue que les mots que j'ai soulignés pourraient lui être préjudiciables en ce sens qu'ils pourraient signifier que le président a fait état de certains faits nécessaires relativement à la suspen­sion de M. Kane qui pourraient être interprétés à son encontre sans qu'il ait eu la possibilité de les réfuter. L'appelant appuie sa prétention sur l'arrêt Kanda v. Government of the Federation of Malaya[21]. Dans cette affaire, le rapport d'une enquête qui renfermait une accusation extrêmement préjudiciable à l'inspecteur Kanda (ce dernier y était traité de scélérat), a été mis à la disposition du fonctionnaire juge avant l'ouverture de l'enquête portant sur l'accusation, alors qu'on le cachait à Kanda. C'est dans ce contexte que lord Denning a dit à la p. 337:

[TRADUCTION] Il s'ensuit bien entendu que le juge ou quiconque appelé à rendre une décision ne doit pas recueillir des témoignages ou entendre des arguments d'une partie dans le dos de l'autre. La cour ne cherchera pas à savoir si les témoignages ou les arguments ont joué au détriment de l'autre partie; il suffit que cela ait pu se produire. La cour n'étudiera pas la probabilité de partia­lité. Il suffit qu'il y ait un risque de partialité.

Il est clair que les faits dans Kanda sont très différents de ceux de l'espèce. Dès le début, M. Kane connaissait exactement l'accusation portée contre lui et, comme je l'ai déjà expliqué, il a eu la possibilité de se défendre et d'interroger les témoins à charge et on ne peut, à mon avis, laisser entendre que le président a décidé d'attendre que Kane soit absent pour fournir aux membres du conseil des faits préjudiciables à ce dernier, la

[Page 1122]

nature véritable des allégations et les motifs à l'origine de la décision de réduire la sanction de renvoi à suspension. S'il en avait été ainsi, le président et les autres membres du conseil auraient effectivement gravement fait fi de la bonne foi et du droit fondamental de l'appelant d'être entendu pour faire valoir sa défense, le tout contrairement aux principes élémentaires de justice naturelle.

A mon avis, la déclaration dans la lettre de M. Morfitt selon laquelle le président a fourni au conseil les faits nécessaires sans discuter de quelque façon du bien-fondé de l'appel est un moyen beaucoup trop ténu pour étayer une accusation aussi sérieuse contre des hommes dont on présume l'intégrité et qui agissent en vertu d'un pouvoir conféré par la loi. Je dis ceci en pensant plus particulièrement aux motifs de jugement du juge Pennell dans Re Schabas and Caput of the Uni­versity of Toronto[22], motifs auxquels renvoie le juge Macdonald dans la présente affaire en ces termes, 11 B.C.L.R. 326:

[TRADUCTION] Sous réserve d'une preuve de partialité réelle, je suis d'avis que la Cour doit se montrer peu disposée à conclure à une présomption de partialité dans le cas des membres d'un organisme quasi judiciaire, lorsque la composition en a été expressément autorisée par le législateur ... Il faut présumer qu'un groupe de personnes à qui le législateur a conféré de vastes pou­voirs touchant les droits d'autrui feront preuve de bonne foi,

Selon l'interprétation donnée à la maxime latine «omnia praesumuntur rite acta esse ...», lorsque des actes revêtent un caractère officiel ou exigent l'approbation de personnes qui exercent des fonc­tions officielles, il existe une présomption que ces actes ont été dûment exécutés. C'est une maxime ancienne, mais, à mon avis, elle n'a pas disparu de l'administration de notre droit. A mon avis, elle énonce un principe applicable aux circonstances présentes. On explique dans Halsbury's Laws of England, 3e éd., vol. 10, à la p. 457 que:

[TRADUCTION] La présomption omnia rite esse acta (par exemple, qu'une personne dans l'exercice de ses fonctions publiques a été dûment nommée et s'est adé­quatement acquittée de ses fonctions) s'applique tant en matière criminelle que civile.

[Page 1123]

Pour ces motifs, et pour ceux contenus dans les motifs du juge McFarlane et dans les arrêts de cette Cour qu'il a mentionnés, je suis d'avis de rejeter ce pourvoi avec dépens.

Pourvoi accueilli avec dépens, le juge RITCHIE étant dissident.

Procureurs de l'appelant: Macrae, Mont­gomery, Spring & Cunningham, Vancouver.

Procureurs de l'intimé: Cumming, Richards, Underhill, Fraser, Skillings, Vancouver.

[1] (1979), 11 B.C.L.R. 318.

[2] [1975] 2 R.C.S. 767.

[3] [1969] R.C.S. 678.

[4] [1977] 1 R.C.S. 814.

[5] [1915] A.C. 120.

[6] [1962] 1 All E.R. 834 (C.A.).

[7] [1949] 1 All ER. 109.

[8] [1952] 1 K.B. 189.

[9] [1911] A.C. 179 (Ch. L.).

[10] [1962] A.C. 322.

[11] [1935] 1 K.B. 249.

[12] (1864), 16 C.B.R. (N.S.) 403.

[13] (1894), 70 L.T. 106.

[14] [1962] 2 Q.B. 677.

[15] [1977] 1 R.C.S. 456.

[16] [1970] 1 W.L.R. 1428.

[17] [1976] 3 All E.R. 452.

[18] [1947] 1. K.B. 321.

[19] [1967] 1 A.C. 551 (C.P.).

[20] (1945), 61 T.L.R. 445.

[21] [1962] A.C. 322.

[22] (1974), 52 D.L.R. (3d) 495.


Parties
Demandeurs : Kane
Défendeurs : Cons. d'administration de l'U.C.B.
Proposition de citation de la décision: Kane c. Cons. d'administration de l'U.C.B., [1980] 1 R.C.S. 1105 (3 mars 1980)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1980-03-03;.1980..1.r.c.s..1105 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award